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L’image de Jérôme dans la Bible de Vivien
p. 22-25
Texte intégral
1Au IXe siècle, une série de Bibles complètes somptueusement illustrées fut composée dans le scriptorium de Saint-Martin à Tours. L’une d’entre elles, réalisée en 845/846 sur commande de l’abbé laïc et comte Vivien (pour le futur empereur Charles le Chauve), porte de ce fait le nom de Bible de Vivien. Les prologues de la Bible sont accompagnés d’une page entière de représentations iconographiques en trois registres qui représentent les différentes étapes de la vie de Jérôme (voir illustration page 25). Dans le registre de la partie supérieure, nous le voyons quitter Rome et partir en bateau vers la terre sainte. Là-bas, il apprend l’hébreu auprès d’un Juif ; on le voit en train de lui régler ses honoraires. Dans le registre central Jérôme, assis sur un banc garni de coussins, explique l’écriture à ses disciples ; simultanément, sur sa gauche, il semble dicter sa traduction aux clercs. Dans le registre inférieur, Jérôme est assis sur une sorte de trône ; de chaque côté se trouvent des coffres ouverts remplis de Bibles. Il distribue de droite et de gauche un livre après l’autre ; la réserve semble inépuisable. Ces Bibles complètes sont lourdes, certains des ecclésiastiques qui s’en vont Hles porter tout droit dans leurs églises en ont hissé des exemplaires sur leurs épaules. La légende est la suivante : Hieronimus translata sui, quae transtulit almus / ollis hic tribuit, quis ea conposuit, qu’il faut probablement comprendre ainsi : « Jérôme distribue ici ce qu’il a traduit, ce que l’Être suprême lui-même a traduit, à ceux pour qui il l’a composé (ou : rédigé). » La croyance à l’inspiration immédiate d’une traduction que nous avons vue à l’œuvre dans la légende de la Septante semble avoir gagné aussi cette version. Jérôme n’est plus l’individu savant, donneur de leçons, il est un docteur de l’église en titre qui, inspiré par Dieu, révèle sa parole à l’église occidentale de langue latine. Manifestement, la conception selon laquelle ses travaux de traduction auraient été directement repris par l’église était déjà en vigueur à l’époque ; en réalité il s’était agi d’un processus laborieux. Pourtant, reconnaître dans l’Histoire un processus cumulatif n’allait probablement pas de soi pour les hommes du Moyen Âge ; même si quelqu’un avait voulu en savoir davantage, il aurait eu du mal à trouver des données fiables.
2Par ailleurs, il faut considérer le fait qu’il n’existe pas simplement la Bible de Jérôme, mais que son auteur a adapté ses différentes parties avec des degrés d’intervention variables. Bien que Jérôme n’ait justement pas réalisé « d’édition complète autorisée » des textes qu’il avait élaborés, cela ne l’empêcha pas de disposer bientôt d’une autorité absolue en ce qui concerne la Bible latine. Cela s’explique par le fait que l’on n’avait plus sous les yeux les différents stades et modalités de son travail, ni ce qui était parfois problématique dans ses décisions ; par ailleurs, l’importance supérieure de la Sainte Écriture pour la vie de l’église rendait nécessaire de disposer d’un fondement immuable dont le grand docteur de l’église semblait apporter la garantie. Isidore de Séville exprime cela en des termes particulièrement lapidaires : De Hebraeo... in Latinum eloquium tantummodo Hieronymus presbyter sacras scripturas convertit. Cuius editione generaliter omnes ecclesiae usquequaque utuntur pro eo, quod veracior sit in sententiis et clarior in verbis, soit « Le prêtre Jérôme est le seul à avoir traduit les Saintes Écritures de l’hébreu en latin. Sa traduction est utilisée par les églises en tous lieux, en général parce qu’elle est plus fidèle pour ce qui est des pensées et plus claire quant aux paroles ». Cependant, comme cela s’est révélé peu à peu, à de nombreux endroits, étaient en circulation des textes qui mêlaient les versions de Jérôme et de la Vetus Latina, tout en se parant du nom et du prestige du docteur de l’église célébré. La déclaration d’Isidore est sous-tendue par un intérêt d’ordre ecclésiologique et théologique : il s’agissait de pouvoir prouver qu’une unanimité régnait parmi les différentes églises locales quant à la teneur de la Sainte Écriture. Une telle position est favorable à Jérôme, comme ce sera le cas par la suite, tandis que durant sa propre existence elle était encore utilisée contre lui.
Titre Image : Comment Saint-Jérôme traduisit la Bible, page de la Bible de Vivien

Comment Saint-Jérôme traduisit la Bible, page de la Bible de Vivien (Tours, vers 844-845) : Paris, BnF lat. 1, f. 3v. Voir L’image de Jérôme dans la Bible de Vivien [9], p. 22. http://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/btv1b8455903b/f14.image
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