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La triade des langues véhiculaires ou sacrées
p. 11-12
Texte intégral
1Les érudits de l’Antiquité tardive et du Moyen Âge, pour peu qu’ils se consacrassent à une telle question, connaissaient la dette importante de la pensée romaine et de la littérature latine dans son ensemble envers les réalisations des Grecs ainsi que les fortes influences du grec sur la langue latine elle-même. Il s’agissait cependant là d’un problème qui touchait à la fois à la théologie sur le plan formel et à la sociologie de l’église : comment faire en sorte que la langue véhiculaire de l’Empire romain, qui était aussi la langue unique de l’Église catholique – église universelle –, semble se situer au même niveau que les deux langues bibliques, l’hébreu et le grec ? Des tentatives afin d’anoblir le latin dans ce sens se firent jour assez tôt. Elles consistaient à l’inclure dans une triade de langues véhiculaires. Dans un premier temps, comme chez Hilaire de Poitiers (vers 315–367/8), c’est pour des raisons politiques liées à l’Empire romain que l’on reconnut ce haut rang au latin ; plus tard, on rangea l’hébreu du côté de la « loi » (ou, par la suite, de son ancienneté supposée qui faisait de lui la langue primitive de l’humanité), le grec du côté de la « sagesse » et on associa le latin au « pouvoir ». Bientôt cependant, comme on peut en trouver une première occurrence chez Isidore de Séville (vers 560–636), même le latin – ou le latin lui aussi – fut entouré de l’aura du sacré, et ce à travers la notion des « trois langues sacrées » (tres linguae sacrae) employée tout d’abord principalement par les Irlandais. Comment l’idée selon laquelle le latin serait aussi sacré que les deux langues bibliques originelles a-t-elle pu devenir plausible ? Pour cela, on a eu recours à un subterfuge dans l’argumentation, en s’appuyant sur l’action d’un homme dont on n’a pas dit grand bien par ailleurs. Il s’agit de Pilate : suivant les évangiles, l’inscription au-dessus de la croix de Jésus était rédigée en langues grecque, latine et hébraïque. La présence du latin n’était pas étonnante, puisqu’il s’agit d’une des deux langues administratives de l’Empire romain. Du latin au-dessus de la croix du Rédempteur : c’est tout ce qui importait. Comme dans nombre d’autres cas, on a eu recours à la figure argumentative qui consistait à légitimer une représentation en laissant supposer qu’on avait « découvert » son origine dans la Bible elle-même. Cette nouvelle noblesse du latin a eu des conséquences : elle a été utilisée pour s’opposer au crédit attribué alors aux langues vernaculaires et a également servi à préserver le texte latin en usage de tentatives visant à mettre davantage en avant les langues bibliques originelles.
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