Chapitre 6
La participation dans la création d’un dispositif numérique relatif au patrimoine culturel
p. 193-223
Texte intégral
Introduction
1De nombreuses institutions publiques ou privées mettent aujourd’hui en place des projets dont un des objectifs est la collecte d’informations, de questions ou de suggestions par la participation de citoyens non-professionnels et qui s’engagent bénévolement1. Cette pratique a déjà mobilisé de nombreux chercheurs en sciences sociales, principalement dans les domaines des politiques publiques2 et des sciences participatives ou citoyennes3. Ces deux domaines donnent a priori à voir une participation théorique du plus grand nombre grâce notamment aux technologies numériques. Ainsi, dans le domaine des sciences participatives, des plateformes numériques invitent les citoyens à observer des écosystèmes et populations d’espèces et à remplir des fiches et formulaires de description, comme dans le cas de ClicNat4 en Picardie. Ils peuvent également effectuer des tâches de reconnaissance en vue d’analyser des données, à l’instar de Zooniverse5. Enfin, les participants peuvent contribuer à la création de métadonnées : le projet des Herbonautes6 propose de transcrire les étiquettes d’un herbier préalablement numérisé afin de rentrer des informations (date et lieu de collecte, collecteur, etc.) dans une base de données. Dans les trois cas, quiconque peut participer et des tutoriels détaillent la marche à suivre afin de participer correctement.
2Le patrimoine, et les institutions culturelles en général7, n’est pas en reste en termes de projets participatifs et d’utilisation des technologies numériques. La participation citoyenne n’y est pas récente : instituteurs, membres du clergé, antiquaires et érudits participaient déjà au xixe siècle à l’inventaire et à la connaissance du patrimoine français8. Dans les années 1970, la nouvelle muséologie entendait quant à elle rapprocher les musées et les citoyens dans un objectif de démocratisation de la culture et les écomusées ont fait de la participation des populations un principe fondateur. Dans cette continuité, il est actuellement question de construire un « patrimoine citoyen9 » en impliquant les citoyens dans les phases de collecte, de mise en forme et de valorisation de ce patrimoine10, voire en laissant ces derniers initier la collecte et la valorisation de différents savoirs, souvenirs, expériences, relatifs à un patrimoine.
3Mais que signifie participer à de tels projets ? Qui participe et comment ? Qui influence la création d’un dispositif numérique et comment ? Quelles sont les (re)formulations de la participation ? Afin de répondre à ces questions, je prends comme cas d’étude le projet FAB-PAT, dont un des objectifs est la création d’une maquette numérique 3D participative, évolutive et collaborative du secteur UNESCO de Lyon.
4Sur la base de cette enquête ethnographique, je m’intéresse à la dimension participative du projet FAB-PAT, en abordant la participation comme une problématique et non comme une caractéristique, un impératif ou une conséquence désirée du projet. Dans un premier temps, je présente le projet, ses acteurs et leurs objectifs. Je m’intéresse ensuite à son inscription dans un contexte plus général, marqué par une double injonction participative et numérique et une compétition entre territoires urbains. La troisième partie concerne la participation et ses reformulations au sein du projet FAB-PAT du point de vue de ses principaux acteurs, au cours de sa première année, c’est-à-dire l’année 2017.
Le projet FAB-PAT
5De plus en plus de projets participatifs relatifs au patrimoine culturel recourent aux technologies numériques. Ainsi, musées, archives, bibliothèques, mettent en place des projets de crowdsourcing, consistant à proposer des tâches spécifiques d’enrichissement de documents patrimoniaux et de métadonnées par des publics qui ne sont pas forcément professionnels du patrimoine11. Ces institutions fournissent l’objectif, les documents patrimoniaux numérisés et les protocoles précis relatifs aux tâches à effectuer, qui sont aussi variées que le tagging, la transcription, la géolocalisation, l’indexation, l’identification, la correction collaborative d’OCR12, etc. Ces plateformes numériques gérées par des institutions autorisent la participation sous forme de travail bénévole, de commentaires et d’échanges lorsque des outils de dialogue sont mis à disposition. Elles consistent généralement en ce qu’Hannah Lewi et ses collègues13 ont appelé des curated sites, dotés d’un animateur en charge du site, visible et se posant explicitement comme garant du discours patrimonial. Ce dernier veille notamment au contrôle de la qualité et à la modération des contributions du public, et à la sélection des « super-contributeurs », à savoir les contributeurs les plus assidus et les plus compétents pour effectuer les tâches.
6Ces sites institutionnels diffèrent des sites d’hébergement de contenu14, qui sont le plus souvent créés et gérés par des entreprises spécialistes du numérique. Ces content-hosting sites se présentent comme des bases de données vides qui peuvent être remplies par des matériaux divers (textes, photographies, fichiers audios, etc.) avec des modèles de champs à remplir destinées à recueillir certaines informations (titre, date du document, description, localisation, etc.). Il n’y a pas de modération officielle, mais des conventions à respecter : le contenu des matériaux n’est discuté que s’il est signalé par un autre utilisateur. Ainsi, en rendant visibles des régimes d’engagement avec le patrimoine qui ne sont pas ceux des institutions, ces sites donnent une place à des éléments patrimoniaux moins emblématiques, relevant également du registre de l’ordinaire.
7C’est entre ces deux modèles qu’oscille le projet FAB-PAT15, un projet de recherche pluridisciplinaire dont l’acronyme signifie « Partager la Fabrique du Patrimoine ». Depuis décembre 2016, il est porté par le LabEx IMU (Intelligence des Mondes Urbains) de Lyon qui le finance pour une durée de trois ans. L’équipe est constituée de chercheurs issus de quatre laboratoires de sciences sociales16 et de sciences des données et de l’image17, de praticiens18 lyonnais, ainsi que de partenaires internationaux19. Un objectif des membres de l’équipe est la création d’une maquette 3D numérique évolutive, collaborative et participative du secteur de Lyon classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette maquette prendra la forme d’une ville numérisée en 3D au sein de laquelle les visiteurs pourront librement se déplacer à partir d’un site Internet dédié. Cette ville numérique est construite à partir des données fournies par la Métropole de Lyon qui scanne son territoire tous les trois ans par drone, données modélisées suivant la norme CiyGML. La modélisation est ensuite texturée grâce à une photographie de la ville. Au terme du projet, à savoir fin 2019-début 2020, cette maquette aurait dû être hébergée sur les serveurs des musées Gadagne afin d’être mise à disposition des publics. Ces derniers auraient pu soit se promener dans la maquette pour visionner les documents présents relatifs au patrimoine de la ville, soit déposer de tels document. En effet, la dimension participative signifie que divers acteurs (individus, membres d’institutions, résidents lyonnais, etc.) pourront remplir la maquette en y déposant tout type de document (photo, vidéo, texte, son, etc.) relatif au patrimoine de la ville et à la manière de le vivre au quotidien. Des contretemps ont empêché cette mise à disposition des publics, la maquette dans sa version participative n’existant pour l’instant qu’en version confidentielle à destination des membres de l’équipe.
8À cet objectif pratique s’ajoutent des objectifs scientifiques et théoriques. Il est tout d’abord question de réfléchir à l’articulation entre les sciences des données et de l’image, les sciences sociales et les praticiens autour de la fabrique du patrimoine. Ainsi, les praticiens apportent leurs questions et expériences en terme de participation citoyenne à des projets relatifs au patrimoine à Lyon. Les sciences sociales abordent la problématique de la participation sous l’angle du patrimoine citoyen (ou de la citoyenneté patrimoniale) et des communautés patrimoniales numériques, tandis que les chercheurs en sciences des données et de l’image réfléchissent à la modélisation, à la navigation (interroger, consulter) et à la visualisation de données hétérogènes de deux types : des données urbaines relatives à la représentation 3D de la ville et des données multimédia relatives aux documents déposés et à leurs métadonnées. Il est ensuite question de réfléchir à ce qui fait patrimoine à Lyon en associant toutes les parties prenantes. Suivant une démarche de patrimoine citoyen, les membres de l’équipe ont décidé de ne pas imposer le dispositif déjà formaté aux contributeurs, mais d’associer ces derniers dès la première année du projet aux réflexions sur la création et le fonctionnement de la maquette 3D, afin d’adapter le dispositif en fonction de leurs commentaires, questions, expériences et remarques. Pour faciliter cet intéressement – presque – mutuel, les membres de l’équipe ont délimité une zone plus réduite que le secteur UNESCO, afin d’y faire un « inventaire » des contributeurs potentiels qu’ils ont, seuls ou ensemble, rencontrés lors d’entretiens, d’ateliers et de réunions en petit comité. Une dizaine de membres d’institutions, une vingtaine de membres d’associations et une dizaine de particuliers passionnés par le patrimoine ont pris part à ces rencontres.
9Enfin, les membres de l’équipe entendent réfléchir à la manière de traduire, concrètement et numériquement, le contenu de la Recommandation sur le Paysage Urbain Historique20 (PUH) publiée en 2011 par l’UNESCO. Cette dernière, avec d’autres textes normatifs internationaux21, influence la manière de qualifier et de gérer le patrimoine culturel en mettant en avant des notions de communauté patrimoniale ou de participation démocratique. Ainsi, la Recommandation de 2011 invite les gestionnaires à concilier développement local, aménagement urbain et conservation du patrimoine, et à adopter une approche « globale et intégrée » de la gestion des paysages urbains historiques qui respecte les spécificités locales. Afin de parvenir à cet objectif aussi général et abstrait que les termes qui le composent, l’UNESCO souligne le besoin de nouvelles politiques de conservation et de nouveaux outils de participation civique, de connaissance et de planification, de réglementation et de financement, outils adaptés aux contextes locaux et recourant si possible aux technologies numériques. La maquette FAB-PAT entend être un de ces outils.
Contexte du projet
10Sa relation avec les textes internationaux relatifs au patrimoine invite à préciser le contexte plus général dans lequel le projet prend place. Il est tout d’abord marqué par une double injonction, participative et numérique. En effet, en France, le cadre normatif national (loi SRU, loi pour une République numérique, loi relative à la démocratie de proximité) invite, voire contraint, le développement d’outils participatifs et/ou numériques. Ce contexte national serait trop long à détailler, mais il est intéressant de préciser sa présence à Lyon. L’équipe municipale a mis en place trente-six conseils de quartier qui permettent une concertation sur les grands projets d’aménagement et les politiques publiques locales, une expertise d’usage sur les projets municipaux comme les pistes cyclables ou les jardins partagés, et des initiatives lancées par les habitants (comme une opération propreté ou un blog participatif). L’équipe municipale dispose également d’un adjoint au maire délégué à la démocratie locale et à la participation citoyenne. La Métropole, quant à elle, met à disposition des données (transports, chantiers, cadastre, culture, équipements, localisation) sur une plateforme, Data Grand Lyon22, librement accessible. Les données permettant de créer la maquette 3D de FAB-PAT proviennent ainsi du scannage 3D par drone du territoire de la métropole, dont les données sont disponibles sur la plateforme. L’inscription de Lyon dans un espace compétitif entre territoires urbains constitue un second élément important du contexte. En effet, suite à la restructuration du rôle de l’État, dont les pouvoirs sont redistribués vers le haut (international) et vers le bas (local), les villes et agglomérations sont devenues des territoires concurrentiels présentés comme ayant des fonctions et des stratégies propres, notamment d’un point de vue économique, au sein du contexte mondial. Il est alors essentiel pour la ville entrepreneuriale23 de se positionner vis-à-vis des autres villes.
11À Lyon, la concurrence est tout d’abord présente dans le domaine patrimonial. La Ville comporte l’un des plus anciens secteurs sauvegardés de France (1962) et un secteur de plus de 400 hectares inscrit à l’UNESCO en 1998. En tant que membre de l’Organisation des Villes du Patrimoine Mondial, elle a initié plusieurs projets dont « Villes historiques en développement : des clés pour comprendre et agir. Un recueil d’études de cas sur la conservation et la gestion des villes historiques ». Lyon est notamment définie comme une ville patrimoniale modèle. En témoigne sa participation au projet européen ROCK (Regeneration and Optimisation of Cultural heritage in creative and Knowledge cities) qui vise à établir des relations entre des villes modèles (dont Lyon) et des villes réplicatrices qui ont des besoins concrets en termes de patrimoine (gestion, développement). De plus, la métropole se positionne comme une smart city. Elle travaille avec divers acteurs locaux, dont le LabEx IMU, au développement d’innovations numériques en termes de gestion et de gouvernance urbaine. Elle accompagne le « développement d’entreprises innovantes sur son territoire grâce à des espaces collaboratifs et de nombreux services pour l’innovation », comme Tuba (Tube à expérimentations urbaines), un espace collaboratif d’incubation et de développement d’entreprises travaillant sur des données urbaines publiques et privées. Son objectif est de créer des services, mais aussi des activités et des emplois autour de ces données. Par contre, ni la Ville ni la Métropole ne se positionnent encore dans l’espace compétitif en termes de participation. Si elles développent des initiatives (conseils de quartier, greeters24, arch&eau25 et arch&show26), ces dernières sont encore timides et connaissent plutôt l’échec ou un succès mitigé. C’est en tout cas ce qu’il est ressorti du premier atelier organisé par l’équipe FAB-PAT27. De plus, ces initiatives ne constituent en rien des modèles comme le sont le budget participatif de Porto-Allegre, la liste collégiale à Saillans, ou le droit de pétition à Grenoble. Lyon semble actuellement suivre la tendance générale de l’injonction participative plus que la mener ou la guider. Ainsi, le développement de l’outil numérique FAB-PAT, initialement demandé par la Ville de Lyon avant d’être reformulé au sein de l’équipe constituée au LabEx IMU, permettrait à la Ville d’entrer dans cet espace de compétition, tout en renforçant sa position dans les deux autres domaines que sont le patrimoine et le numérique.
12Le projet FAB-PAT s’inscrit dans un contexte notamment caractérisé, d’une part, par une double injonction, numérique et participative, qui incite particuliers, associations et institutions à disposer d’un outil numérique participatif, et, d’autre part, par une compétitivité, entre villes et universités, en vue de développer des recherches et des innovations relatives au patrimoine, à la participation, et au numérique. L’inscription du projet FAB-PAT dans un contexte dépassant celui du strict travail en équipe, permet de saisir les enjeux politiques, économiques et stratégiques qui influencent la création du dispositif numérique. Les acteurs autour de ce dispositif ont chacun des intérêts différents dans sa création (positionner la ville dans un espace compétitif, développer de nouveaux algorithmes, etc.), et sont inscrits dans des réseaux qui dépassent le projet. Ces intérêts et réseaux influencent les formes que prend la participation et ses (re)formulations.
Conceptions et (re)formulations de la participation
Les membres de l’équipe
13Comme mentionné, les membres de l’équipe font participer des contributeurs potentiels dès la première année du projet afin de prendre en compte leurs remarques, questions, et réflexions lors de rencontres sous forme d’entretiens ou d’ateliers. Les entretiens ont lieu entre un ou deux membres de l’équipe, et les contributeurs contactés peuvent être seuls ou à deux (la plupart du temps) ou en groupe (notamment lorsque des associations invitent les membres de l’équipe à une de leurs réunions). D’une durée d’une à deux heures et demie, ces entretiens sont généralement enregistrés et consistent en une présentation du projet FAB-PAT suivie d’une discussion sur les pratiques des contributeurs potentiels autour du patrimoine et leurs questions et remarques. Les ateliers, quant à eux, durent toute une journée et consistent en une présentation d’études de cas suivie d’une discussion. Leur programme est établi autour d’une question spécifique (patrimoines et pratiques collaboratives, présentation du projet). Si le premier atelier rassemblait principalement des chercheurs et des membres d’institutions, le second était destiné aux contributeurs potentiels. Il faisait suite à une série d’entretiens (enregistrés et intégralement retranscrits) afin d’avoir des moments de réflexion collective entre ces contributeurs et les membres de l’équipe de sorte que ces derniers ne basent pas leur connaissance des contributeurs potentiels uniquement sur la transcription des entretiens. Les ateliers ont fait l’objet d’enregistrements et de comptes rendus disponibles sur le site Internet du projet.
14Trois inflexions à la participation méritent d’être mentionnées dans cette première situation. Tout d’abord, ces rencontres étaient moins fréquentes que celles, formelles et informelles, réservées aux membres de l’équipe qui prennent finalement les décisions. Ensuite, les relations personnelles et professionnelles conflictuelles entre des membres de l’équipe et des contributeurs potentiels ont empêché ces derniers de prendre part aux rencontres, soit parce qu’ils n’étaient pas contactés, soit parce qu’ils refusaient une entrevue. Enfin, certaines caractéristiques du projet (modalités de participation, gestion future de la maquette) restant floues pour les membres de l’équipe, l’intéressement mutuel s’est parfois avéré problématique, les contributeurs potentiels ne comprenant pas vraiment ce qui était attendu d’eux.
15Ce flou est notamment dû au fait qu’aucune définition précise de la participation n’est formulée au sein de l’équipe au début du projet. Deux formulations principales circulent. Chacune met en lien la participation et la collaboration, deux termes clés de la présentation officielle du projet. Une première formulation est temporelle : la participation concerne les contributions d’acteurs qui n’ont pas pris part à la construction de la maquette 3D mais qui y déposeront des documents une fois qu’elle sera disponible en ligne. La participation consisterait donc à prendre part à un projet que les contributeurs n’auraient pas contribué à définir. Les acteurs ayant participé à la création de la maquette 3D sont, eux, des collaborateurs. Cette manière de définir la participation pose certaines questions qui la rendent difficile à mettre en œuvre : quel est l’intérêt de cette distinction ? Quelle étiquette accoler aux acteurs qui ont collaboré et qui participeront ? Selon une seconde formulation, la participation est un mouvement ascendant de remontée des données et informations depuis des acteurs non-institutionnels. À l’inverse, la collaboration est descendante puisqu’il s’agit du dépôt de documents par des professionnels du patrimoine. La distinction se base alors sur la qualité du contributeur (professionnel ou non). Cette formulation pose un problème qui a une implication directe sur le fonctionnement de la maquette. Par exemple, que faire lorsqu’un architecte du patrimoine (professionnel) également passionné par le parler lyonnais (non-professionnel), dépose des documents relatifs à ce second domaine sur la maquette 3D ? Est-il considéré comme collaborateur ou participant ?
16Cette seconde formulation implique également que tout contributeur s’identifie en tant que professionnel ou non-professionnel lors de son inscription (future) sur la maquette, permettant ainsi à tout visiteur de savoir qui est à l’origine de l’information donnée. Au cours de discussions informelles entre certains membres de l’équipe, les débats au sujet de cette distinction se sont notamment cristallisés autour des « arêtes de poissons28 ». Ces souterrains font en effet l’objet d’écrits et de théories ésotériques quant à leur construction et leur usage. Selon certains membres de l’équipe, ces écrits avaient droit de cité sur la maquette : il fallait laisser juger les visiteurs de la qualité de ces écrits sur la base de l’identification, en tant que professionnel ou non, de la personne qui avait soumis l’information. Les visiteurs – et non pas les gestionnaires de la maquette – pourraient dans ce cas de figure choisir à quel type de contribution – et donc de contributeur – ils accordaient du crédit. D’autres à l’inverse, désiraient instaurer un « droit de réponse » effectué par un professionnel – l’archéologue municipal dans ce cas – afin de mettre à distance l’information donnée. Pour d’autres encore, il fallait éviter que ces écrits figurent sur la maquette. Dans ces deux derniers cas, un contrôle de la qualité des informations par un professionnel était requis avant de rendre celles-ci publiques sur la maquette, l’idée étant de ne rendre disponibles que des informations vérifiées. Cette modération et ce contrôle des publications en vue de leur sélection auraient alors pour conséquence de réduire la participation, vu que seul un petit nombre de contributeurs verrait ses publications reconnues.
17Ainsi, le projet FAB-PAT oscille entre deux modèles de participation. La volonté de distinguer professionnels et non-professionnels afin de contrôler et sélectionner les publications relève du participatif juxtaposé29 et rapproche FAB-PAT des curated sites. Pourtant, son objectif de collecter des documents relatifs au patrimoine lyonnais et à la manière de le vivre au quotidien, intégrant donc des souvenirs, des impressions, des récits qu’il est difficile d’évaluer au regard de critères professionnels, le rapproche plutôt du participatif intégré30 et des sites d’hébergement de contenu. Dans ce cas, la reconnaissance d’une publication ne passe pas par la qualité du contributeur mais par les caractéristiques de la publication, qui doivent être aussi complètes que possible (date, auteur, format, contenu, etc.), et par la possibilité de la commenter (et donc de laisser dialoguer professionnels et non-professionnels). À ces différentes conceptions s’ajoute une place variable accordée à la participation au sein du projet. Au cours de la première année, elle a été au centre de diverses pratiques, comme par exemple les rencontres avec les contributeurs potentiels. Suite à ces rencontres, la participation a pris une autre tournure : les membres de l’équipe ont sélectionné un petit nombre de contributeurs intéressants et intéressés. Intéressants, afin de mettre à disposition des chercheurs des documents et autres matériaux empiriques afin de développer la maquette 3D, sans que ces chercheurs n’aient à faire face à une montagne de données et documents. Intéressés, afin que leur participation leur apporte également quelque chose, comme de la visibilité ou un nouveau support de présentation pour leurs informations. Cette sélection a d’abord été effectuée par les membres de l’équipe sur la base de plusieurs critères : leur qualité (professionnel, amateur, membre d’association, etc.), le patrimoine auquel ils s’intéressent (architectural, petit patrimoine, immatériel, etc.) et le type de documents disponibles (photographies, enregistrements sonores, documents écrits, etc.). Quatre ont été retenus et invités à une réunion au cours de laquelle les membres de l’équipe leur ont présenté la suite des opérations. Deux ont décliné l’offre, ne désirant pas participer de cette manière au projet. Les deux autres ont accepté. Les membres de l’équipe ont alors décidé d’ajouter l’un des leurs, praticien, aux contributeurs intéressants et intéressés. Cette manière de procéder s’apparente à celle des dispositifs de démocratie participative qui sélectionnent les « bons citoyens31 » et des projets de crowdsourcing qui sélectionnent des super-contributeurs intéressés par le sujet, disponibles, prêts à apprendre pour participer, et participant avec des compétences telles que les étapes de contrôle ou de correction sont réduites. Ce ne serait qu’une fois la maquette 3D disponible en ligne qu’un plus grand nombre de contributeurs pourrait prendre part au remplissage de la maquette.
Les contributeurs potentiels
18Du côté des contributeurs, aucune définition de la participation n’était encore développée à ce stade du projet (en 2017). Cela tient notamment à la diversité de ces contributeurs (membres d’institutions et d’associations ou amateurs pratiquant leur passion en dehors de tout collectif ; professionnels ou non-professionnels ; retraités ou travailleurs ; résidants de longue date à Lyon ou nouveaux arrivants ; hommes ou femmes) et au temps dont ils disposaient pour prendre part aux activités du projet. Si les entretiens ne posaient pas de problèmes, plusieurs contributeurs ne pouvaient, pour des raisons professionnelles principalement, assister à toute une journée d’atelier. Cette diversité a influencé également la formulation de formes de participation à laquelle ces contributeurs potentiels ont accepté de participer. Ils ont en effet formulé plusieurs visions de la participation, ici inscrites dans une typologie en six catégories. Pour certains, la participation est purement pratique : participer au projet signifie « sortir de ses murs », selon le directeur d’une institution, à savoir être présent sur la maquette 3D d’une manière inédite. Un autre évoque la possibilité de créer de la complémentarité entre des sites internet, des blogs et la maquette 3D, en y géolocalisant par exemple les articles publiés sur le blog « Histoires lyonnaises32 ». Des membres d’association soulignent également la possibilité d’avoir accès à de nouvelles informations et de toucher un plus grand nombre d’habitants. D’où l’intérêt par exemple pour une association n’ayant à disposition que quelques études en architecture et en histoire de l’art, de pouvoir collecter à plus grande échelle les témoignages des habitants. La participation peut également être économiquement intéressée. Certains acteurs, exerçant par ailleurs une profession libérale, ont demandé une rémunération si leur participation impliquait trop de travail et de temps. L’un d’entre eux disposait d’une importante base de données manuscrite. Il évaluait sa transcription en fichiers numériques à plusieurs semaines, qu’il ne pouvait se permettre de prendre sur son temps de travail. S’il était intéressé par ce que le projet FAB-PAT lui permettrait de réaliser, il a posé la question de la rémunération ou de toute autre solution pratique permettant de répondre aux objectifs du projet (comme l’emploi par FAB-PAT d’un stagiaire en vue d’effectuer une partie de ce travail). D’autres y ont vu l’opportunité d’une vitrine numérique pour leur association ou institution, voire d’outil de médiation numérique, sans avoir à développer – et payer – leur propre dispositif. Cette participation est à lier au fait que l’injonction numérique incite de nombreux acteurs à posséder un dispositif sans pour autant avoir les moyens financiers et humains, ni même les compétences techniques, pour ce faire.
19Certains font preuve d’une participation « cognitive », intégrée dans un questionnement plus général sur les dispositifs numériques : quelle est leur utilité ? Comment mettre en place une forme de capitalisation des connaissances lorsque des contributeurs commentent, par exemple, une photographie ancienne ou une carte postale sur Facebook – ou sur la future maquette 3D ? Pour un membre de l’équipe de conservation de la chapelle de l’Hôtel-Dieu, la maquette 3D, ainsi que les projets numériques sur lesquels il est engagé (visite virtuelle de la chapelle et partenariat avec Wikipédia) sont aussi une manière de réfléchir à la place de la chapelle au xxie siècle.
20La participation peut de plus être patrimoniale. Les acteurs participent afin de montrer ce qui a disparu ou de partager l’histoire de la ville ou d’un quartier. Lors d’un atelier a été mise en évidence l’envie de faire voir l’invisible, ce qui a disparu, ou ce qui est tellement familier qu’il n’est plus regardé, autrement dit le registre de l’ordinaire, du quotidien. Le maître mot est alors le partage : partager ce que l’on connaît sur la ville pour « attirer le regard [des Lyonnais] sur d’autres choses ». Ce partage ne fait pour autant pas consensus, certains contributeurs trouvant que d’autres s’éloignent trop d’une perspective patrimoniale au profit d’une dimension artistique ou religieuse. Un débat a par exemple émergé autour de la possibilité de remplacer, sur la maquette 3D, des statues ayant disparu par des œuvres artistiques contemporaines ou par des répliques supposées de ces statues.
21Ces formes de participation enthousiastes ne doivent pas faire perdre de vue d’autres, plus hésitantes. Ainsi, bon nombre de contributeurs étaient dans une posture d’attente : attente de réponses aux questions concernant les droits d’auteur, la modération, ou encore le temps nécessaire pour participer ; attente d’instructions et de précisions sur ce qu’ils devaient faire concrètement pour participer. La participation consiste alors à suivre des instructions permettant de prendre part à un projet, de contribuer selon des directives particulières. D’autres ne voyaient pas l’utilité de multiplier les dispositifs numériques : ils disposaient déjà d’un site internet qu’ils ne désiraient pas remplacer. De plus, il n’était pas question de mettre tout le contenu de leur site à disposition sur la maquette. À cela s’ajoute une contrainte temporelle et humaine : les salariés et les bénévoles des associations et institutions avaient déjà de nombreuses occupations, et ne pouvaient se charger, même à temps partiel, de la maquette 3D et de sa documentation, voire de la numérisation de documents pouvant y figurer. Enfin, certains étaient effrayés par le côté institutionnel. Par exemple, lors d’un atelier au cours duquel chaque participant était invité à présenter ses activités ou celles de son institution ou association, plusieurs membres d’une même association ont dans un premier temps refusé de prendre la parole. Lors de leur première rencontre avec des membres de l’équipe, ils leur ont fait subir un « interrogatoire », et émis leur désir de participer à l’atelier en tant que spectateurs. Ils arguaient que ce projet était celui de la ville, avec laquelle ils n’étaient pas toujours en bons termes. Ils se définissent en effet comme une association « poil à gratter » pour pousser la municipalité à prendre des décisions concernant le patrimoine et sa préservation. De plus, les objectifs du projet étaient, selon leurs termes, trop flous pour participer tête baissée, et la dimension numérique les laissait perplexes. Toutefois, le premier tour de table de l’atelier les a mis en confiance : ils ont présenté leur association, et ont participé de manière active aux discussions, y apportant leurs questions et réflexions critiques.
22La dernière forme de participation observée est le refus. Certains n’ont jamais répondu aux sollicitations. D’autres ont aimablement refusé, comme deux passionnés ayant fait un travail conséquent sur les plaques commémoratives. Ils ont déclaré qu’ils avaient fait ce travail dans le cadre de leurs loisirs : ils n’avaient pas envie de passer du temps à mettre leurs fiches et fichiers en conformité avec les formats impliqués par la maquette 3D (créer un itinéraire pour la zone concernée, mettre en forme le texte de description des plaques, etc.), et qu’ils étaient passés à un nouveau projet. Participer à la maquette ne les intéressait pas, car ils voulaient tout d’abord publier les résultats de leur recherche dans un livre digne de ce nom. Pour d’autres encore, participer au projet était prématuré, leur projet n’étant pas encore assez abouti pour se lancer.
Discussion
23Cet aperçu de la participation au sein du projet FAB-PAT invite à plusieurs remarques. La première est relative à « qui participe et comment ». Les membres de l’équipe ont mis au point des pratiques participatives au cours de la première année du projet. Pourtant, la participation théorique du plus grand nombre rencontre, lors de la phase d’élaboration du dispositif, certaines limites. Les contributeurs potentiels sont en effet sélectionnés sur la base de deux critères : leur intérêt pour le patrimoine (et non pas pour l’informatique) et leur présence dans la zone définie par les membres de l’équipe. La délimitation de cette dernière a d’ailleurs posé problème à la fin de la première année, le patrimoine qui intéressait le plus les super-contributeurs intéressants et intéressés, étant situé hors de cette zone. Le cadrage strict au sein de la zone s’est alors assoupli afin de satisfaire à l’objectif de documentation du patrimoine ordinaire qui intéressait les contributeurs potentiels – réduits au nombre de trois super-contributeurs. La seconde remarque concerne les multiples (re)formulations de la participation. Tout d’abord, ces formulations renvoient bien à la participation telle que définie par Joëlle Zask33. Selon elle, la participation consiste en trois expériences qui doivent être associées pour que la participation soit entière. La première revient à prendre part à un groupe34 qui se définit par une activité commune, comme la construction et la documentation d’une maquette 3D. Il est donc question d’avoir un objectif commun, de produire du commun (et non pas seulement de partager un bien commun), de faire quelque chose qu’il serait impossible de faire individuellement, et de participer selon une affiliation temporaire et optionnelle. Cette expérience correspond actuellement à celle que vivent les acteurs prenant part à la construction de la maquette 3D. Pour autant, tous ne participent pas de la même manière, mais bien en fonction de leur intérêt, de leurs compétences et de leur temps disponible : ici les membres de l’équipe ont plus d’influence sur la forme et le contenu de la maquette 3D que les contributeurs potentiels.
24La seconde expérience présentée par Joëlle Zask est la contribution : il est question d’apporter une part, de produire une réaction en apportant quelque chose de personnel. En effet, une contribution n’a de valeur que si elle permet au contributeur de laisser une trace. La contribution doit de plus être personnelle, à savoir résulter d’une analyse de la situation par un individu qui sélectionne sa contribution en fonction des attentes du groupe. Enfin, n’importe qui peut apporter une contribution, car chacun est spécialiste de quelque chose. Au sein du projet FAB-PAT, les contributeurs potentiels laissent pour le moment des traces dans les enregistrements et transcriptions d’entretiens, ainsi que dans les comptes rendus d’ateliers et de réunions disponibles sur le site internet du projet. Mais au vu du flou qui entoure encore certains objectifs et certaines caractéristiques du projet, ces contributions ne sont pas encore toutes personnelles. En effet, pour permettre des contributions réactives et personnelles, les attentes et modalités de contribution doivent être partagées et visibles notamment sous forme de chartes et conventions qui restent ici à définir.
25La dernière expérience de participation est le bénéfice : participer, c’est aussi recevoir une part. Mais pour que l’individu puisse bénéficier de sa participation, il faut que cette dernière soit reconnue par les autres. Ainsi, ne pas reconnaître les participations revient à nier les individus et leurs capacités. Au sein du projet FAB-PAT, la question du bénéfice se pose de plusieurs manières. Elle est relativement absente lors des rencontres et ateliers avec les contributeurs potentiels. Lors des ateliers, ces derniers n’ont pas d’autres bénéfices que le repas offert, la prise en compte de leurs remarques et questions, l’envoi du compte-rendu et la communication d’événements ultérieurs. Mais la question du bénéfice s’est posée de manière plus visible lors de la sélection des super-contibuteurs, qui, selon les membres de l’équipe, devaient avoir un avantage à contribuer à l’avancement du projet. De fait, les membres de l’équipe réfléchissent à des modes de rétribution pour les contributeurs une fois la maquette disponible sur Internet : classer les meilleurs, accorder des badges ou des étoiles, etc. La maquette 3D n’étant pas encore disponible en ligne, la question n’est pas encore tranchée… La définition que Joëlle Zask donne de la participation permet de laisser une place aux multiples formulations évoquées ci-dessus, pour autant qu’elles respectent les trois dimensions précédemment citées. Il n’est donc pas question de choisir et de permettre une seule forme de participation, mais bien de laisser les citoyens s’exprimer sur le patrimoine. De plus, cette définition n’empêche en aucun cas les tensions et conflits de s’exprimer. Selon certains auteurs35, conflits et participation vont de pair, la participation ne limitant en rien l’existence de conflits, mais leur permettant de prendre forme au sein d’un dispositif particulier leur laissant plus ou moins de place. Pourtant, la participation juxtaposée et les curated sites, premier modèle qui qualifie la participation au sein du projet FAB-PAT, visent à limiter les conflits en leur laissant peu de place pour s’exprimer, suite à la sélection des publications ou à l’absence d’outils de dialogue. Tandis que la participation intégrée et les sites d’hébergement de contenu leur donnent une certaine visibilité et possibilité d’expression, tant qu’ils ne dépassent pas certaines limites, légales notamment. Au sein du projet FAB-PAT, ces conflits s’expriment de plusieurs manières : refus de prendre la parole, reformulation de la participation (de manière économiquement intéressée notamment), discussions autour des modalités de contrôle des contributions et de sélection des contributeurs, etc. En fin de compte, c’est la manière de régler et d’intégrer ces tensions et conflits qui donnera l’orientation future du projet vers un modèle ou l’autre de participation. Ces conflits montrent en tout cas que la co-production des projets participatifs peut être inconfortable et invite à développer des outils de gestion, comme une charte ou une convention cadrant les échanges et cette participation.
26Enfin, il est pertinent de s’interroger sur le terme même de participation. En effet, le travail d’enquête a permis de mettre en évidence que, derrière toute contribution, il y a des individus, professionnels ou non, qui ne définissent pas toujours leur pratique comme de la participation mais comme du travail (parfois de longues heures voire des années de travail) ou comme la pratique de leur passion faite sans compter. Leur enrôlement dans un dispositif participatif n’a donc rien d’évident, et entraîne des questions (sur les récompenses), des hésitations (attente d’instructions précises) et des demandes de rétribution financière. L’approche en termes de participation peut donc amener à mettre de côté (en les considérant comme des conflits, des résistances, des détournements) des pratiques de documentation qui s’inscrivent par exemple dans le régime des passions cognitives36 ou du travail rémunéré37. La relation entre participation et travail n’est pas récente. En effet, selon Claire Waterton38, l’incapacité des institutions publiques à disposer des connaissances requises pour servir de base à leurs actions implique la création de liens, sous forme de participation, avec des collectifs amateurs, bénévoles, citoyens qui travaillent gratuitement. D’autres n’hésitent pas à décrire la participation en termes d’externalisation des tâches dans le cadre du capitalisme cognitif et du développement de nouvelles formes de travail allant au-delà de la relation salariale39. S’il est encore trop tôt pour déterminer quelle place le projet FAB-PAT laissera à d’autres pratiques que celles qu’il aborde en termes de participation, la question mérite cependant d’être posée, ne serait-ce que pour réfléchir au mode de gouvernance à développer. En effet, les curated sites entrent dans une logique d’externalisation alors que les sites d’hébergement de contenu suivent une logique de capitalisation communautaire des connaissances et expériences, laissant plus de place à d’autres pratiques de contribution que la participation bénévole.
Conclusion
27À partir du cas d’étude du projet FAB-PAT, dont un des objectifs est la création d’une maquette 3D numérique, participative et collaborative du secteur UNESCO de Lyon, j’ai présenté diverses conceptions de la participation d’acteurs prenant part au projet. La présentation du projet a permis de mettre en évidence le contexte plus général dans lequel il s’inscrivait, à savoir une double injonction participative et numérique, et une compétition internationale entre territoires urbains. Ce contexte influence la participation au sein du projet, suite à l’inscription des membres de l’équipe dans des réseaux plus larges que celui du projet. La participation, si elle reste un objet de recherche pour certains membres de l’équipe, est une caractéristique essentielle de la maquette pour d’autres. J’ai ensuite présenté diverses (re)formulation de la participation des acteurs prenant part au projet, qu’ils soient membres de l’équipe ou contributeurs potentiels. J’ai alors mis en évidence la sélection des contributeurs potentiels (par le choix d’une zone de test, suite à des relations interpersonnelles) encore plus évidente lors de la sélection d’un petit nombre de super-contributeurs. Je n’y ai cependant qu’effleuré la question de l’exclusion de certains publics, comme les passionnés d’informatique. J’ai mis en évidence tout au long de cet article la tension entre deux modèles participatifs. Le premier, principalement présent dans les curated sites, met en pratique une participation juxtaposée, distinguant notamment les professionnels des non-professionnels, et assurant une modération des publications par un gatekeeper expert et visible. Les sites d’hébergement de contenu proposent quant à eux une participation intégrée, misant sur la qualité des contributions plus que des contributeurs, et sur une accumulation des connaissances. Il va sans dire que le choix d’un modèle n’est pas sans lien avec le type de modèle économique choisi (financement public, privé, participatif) pour assurer le maintien du dispositif. Choix techniques, modèle économique et modalités de participation entretiennent donc des liens qu’il s’agit de prendre en compte dans l’élaboration et le fonctionnement d’un dispositif numérique : chacune de ses caractéristiques est en relation avec d’autres dont elle influence la forme et le fonctionnement.
28La réflexion par rapport à ces choix n’est pourtant pas toujours évidente. En effet, le développement de dispositifs numériques participatifs s’inscrit dans un contexte d’injonction participative et d’injonction numérique. Ainsi, dans certains projets participatifs, les modalités, la temporalité, le financement et une certaine idée de la participation, ne permettent pas de prendre en compte cette co-construction du dispositif et de la pluralité des publics. Les gestionnaires se contentent de faire appel à la « participation en kit40 », à reproduire des dispositifs déjà éprouvés. D’autre part, les dispositifs numériques, notamment lors de leur développement, offrent des opportunités d’innovation en termes de participation, de diversité et d’inclusion des publics. Parvenir à faire place à la pluralité reste difficile. Trois éléments peuvent néanmoins aider à relever ce défi, à commencer par le développement de ces dispositifs au sein d’équipes pluridisciplinaires, regroupant chercheurs, praticiens, habitants, et des outils de communication pertinents (mais à définir au cas par cas) à la co-construction des dispositifs.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Cette forme de participation à des projets définis par des institutions diffère de formes de participation spontanée, consistant par exemple pour des individus à initier ou prendre part à un ou des groupes Facebook ou blogs traitant de questions publiques, à participer à l’entreprise de Wikipédia, à aider au développement de logiciels libres, ou encore à prendre part à un projet de géoweb comme OpenStreetMap.
2 L. Blondiaux, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Paris, Seuil, 2008 ; M.-H. Bacqué, Y. Sintomer (dir.), La démocratie participative. Histoire et généalogie, Paris, La Découverte, 2011 ; A. Deboulet, H. Nez (dir.), Savoirs citoyens et démocratie urbaine, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013 ; J. Zask, Participer. Essai sur les formes démocratiques de la participation, Paris, Le Bord de l’eau, 2011.
3 F. Charvolin, « Comment penser les sciences naturalistes “à amateurs” à partir des passions cognitives », Natures Sciences Sociétés, 17/2, 2012, p. 145-54 ; L. Chupin, « Documentarisation participative et médiation du patrimoine scientifique numérisé. Le cas des herbiers », Études de communication, 46, 2016, p. 33-50 ; M. Ridge, « From Tagging to Theorizing: Deepening Engagement with Cultural Heritage through Crowdsourcing », Curator: The Museum Journal, 56/4, 2013, p. 435-450 ; A. Wiggins, K. Crowston, « Surveying the Citizen Science Landscape », First Monday 2/1, 2014 (http://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/article/view/5520 consulté le 14 mai 2017).
4 Voir https://clicnat.fr/ consulté le 4 juin 2020.
5 Voir https://www.zooniverse.org/ consulté le 4 juin 2020.
6 Voir http://lesherbonautes.mnhn.fr/ consulté le 4 juin 2020.
7 M. Hand, Making Digital Cultures. Access, Interactivity, and Authenticity, Aldershot, Ashgate, 2008 ; C. Tardy, L. Renaud, « Introduction », Études de communication, 45, 2016, p. 7-14.
8 O. Parsis-Barubé, La province antiquaire. L’invention de l’histoire locale en France (1800-1870), Paris, Éditions du CTHS, 2011 ; F. Ploux, Une mémoire de papier. Les historiens de village et le culte des petites patries rurales (1830-1930), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011.
9 Ce terme est utilisé aussi bien par les institutions, lors des Journées européennes du patrimoine de 2016 par exemple, que par les chercheurs en sciences sociales pour désigner des processus communautaires, collaboratifs et participatifs de production et de consommation du patrimoine.
10 H. Lewi, A. Murray, W. Smith, S. Webber, « Some implications of digital social media for heritage practice », Proceedings of the Australia Icomos Conference, 2015 (https://www.aicomos.com/wp-content/uploads/Some-implications-of-digital-social-media-for-heritage-practice_full-paper.pdf consulté le 05 novembre 2018).
11 Parmi quelques exemples : les archives départementales du Cantal ont, depuis 2010, un dispositif photographique d’annotation collaborative des registres paroissiaux et d’état civils ; l’Institut de Recherches Historiques du Septentrion (IRHiS) propose depuis 2009 une base de données participative d’inventaire des monuments aux morts en France et en Belgique.
12 Optical character recognition, ou reconnaissance optique de caractères : traduction, à l’aide d’un logiciel OCR, d’images de textes imprimés ou dactylographiés en fichiers de texte.
13 H. Lewi, A. Murray, W. Smith, S. Cooke, « Visitor, Contributor and Conversationalist: multiple digital identities of the heritage citizen », Historic Environment, 28/2, 2016, p. 12-24.
14 Parmi quelques exemples : HistoryPin (https://www.historypin.org consulté le 31 juillet 2020) et PastPort (https://pastport.com.au consulté le 28 août 2020).
15 Pour une présentation détaillée du projet, voir https://projet.liris.cnrs.fr/fabpat/doku.php consulté le 4 septembre 2020.
16 Géographes d’Environnement, Ville et Société (EVS) ; sociologues et anthropologues du Centre Max Weber (CMW) : politistes d’Action, discours, pensée politique et économique (TRIANGLE).
17 Laboratoire d’InfoRmatique en Image et Systèmes d’information (LIRIS).
18 Le musée des Confluences, le Service Patrimoine de la Direction des Affaires Culturelles, les musées Gadagne, le Service archéologique municipal, la bibliothèque municipale, la mission de coopération culturelle et la direction de l’aménagement urbain.
19 La ville de Québec, l’Université Laval au Québec et UNESCO Culture.
20 UNESCO, « Recommandation sur le Paysage Urbain Historique », 2011, http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=48857&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html consulté le 19 mai 2020.
21 Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003) ; Convention de Faro (2005).
22 Plate-forme Data Grand Lyon, https://data.grandlyon.com consultée le 4 juin 2020.
23 D. Harvey, « From Managerialism to Entrepreneurialism: The Transformation in Urban Governance in Late Capitalism », Geografiska Annaler. Series B, Human Geography, 71/1, 1989, p. 3-17.
24 Habitants qui font bénévolement visiter la ville ou une partie à des touristes, en fonction de leurs connaissances et intérêts. Ils sont à Lyon regroupés sur le site de l’Office du tourisme : https://www.lyon-france.com/Je-decouvre-Lyon/lyon-city-greeters consulté le 2 juillet 2020.
25 Projet mené en 2014 par le service archéologie de la Ville, qui consistait à regrouper des habitants du 5e arrondissement de Lyon et, avec l’aide des trois MJC de cet arrondissement, de mettre en place des visites guidées du quartier par des habitants. Il s’agissait donc, en groupe, de collecter les informations, de les apprendre, de créer des circuits, d’apprendre à être guide bénévole et à faire les visites.
26 Projet mené en 2015 par le service archéologie de la Ville, qui consistait à inviter les habitants du 5e arrondissement à monter une exposition autour de la thématique suivante : « Les lieux de spectacle, de Jean Nouvel à Agrippa ». Il s’agissait, sur plusieurs mois, de constituer un groupe, de récolter les informations, d’apprendre à constituer une exposition (panneaux, circuit, informations…) et à la faire visiter aux publics.
27 FAB-PAT : https://projet.liris.cnrs.fr/fabpat/doku.php?id=descriptiona1 consulté le 5 juin 2020.
28 Nom donné aux souterrains de la balme Saint-Clair.
29 A. Noblet, N. Pignard-Cheynel, « L’encadrement des contributions “amateurs” au sein des sites d’information. Entre impératif participatif et exigences journalistiques », in Web social. Mutation de la communication, F. Millerand, S. Proulx, J. Rueff (dir.), Québec, Presses de l’Université de Québec, 2010, p. 265-282.
30 Idem.
31 J. Talpin, « Jouer les bons citoyens », Politix, 75/3, 2006, p. 11-31.
32 Voir le carnet de recherche Histoires lyonnaises, https://lyonnais.hypotheses.org/ consulté le 2 juin 2020.
33 J. Zask, Participer…, op. cit.
34 Je n’aborde pas ici la question de l’importance de la conscience d’appartenance à un groupe afin d’y participer, sachant qu’elle fait débat.
35 L. Bobbio, P. Melé, « Introduction. Les relations paradoxales entre conflit et participation », Participations, 3/13, 2015, p. 7-33.
36 J. Roux, F. Charvolin, A. Dumain (dir.), Passions cognitives : l’objectivité à l’épreuve du sensible, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 2013.
37 N. Auray, « Le modèle souverainiste des communautés en ligne : impératif participatif et désacralisation du vote », Hermès, La Revue, 47, 2007, p. 135-144.
38 C. Waterton, « Publics expérimentaux ? Les politiques de participation au prisme des affiliations avec les objets », in Passions cognitives…, op. cit. L’objectivité à l’épreuve du sensible, J. Roux, F. Charvolin, A. Dumain (dir.), Paris, Éditions des Archives contemporaines, 2013, p. 175-205.
39 D. Brabham, « The Myth of Amateur Crowds », Information, Communication & Society 15/3, 2012, p. 394-410 ; Y. Moulier-Boutang, Le Capitalisme cognitif : la nouvelle grande transformation, Paris, Éditions Amsterdam, 2007.
40 J. Bonaccorsi, M. Nonjon, « “La participation en kit” : l’horizon funèbre de l’idéal participatif », Quaderni. Communication, technologies, pouvoir, 79, 2012, p. 29-44.
Auteur
Manon Istasse est anthropologue (LAMC, Université libre de Bruxelles). Elle s’intéresse particulièrement à l’engagement de non- professionnels dans la connaissance, la sauvegarde et la valorisation du patrimoine culturel. Plusieurs post-doctorats en France lui ont permis d’affiner son approche développée dans le cadre de sa thèse au Maroc.
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