Chapitre 6
Les musiciens en mouvement
p. 283-350
Texte intégral
1Longtemps considérées comme des mondes immobiles, surtout en zone rurale, les sociétés d’Ancien Régime font depuis plusieurs décennies l’objet d’une réévaluation de leur enracinement. Les historiens tendent, aujourd’hui, à rejeter le paradigme de la sédentarité dominante des populations modernes, en insistant au contraire sur l’importance de la mobilité, ponctuelle ou définitive1. Qu’il s’agisse de voyages liés au divertissement et à l’accumulation de connaissances – la pratique du fameux Grand Tour par les élites, le tour d’Europe musical de Charles Burney –, de grandes migrations collectives de travail – les célèbres « remues d’hommes » – ou de simples trajets aller-retour d’un village à un autre – lors d’un jour de marché, par exemple –, la mobilité se révèle fort répandue2. Elle marque particulièrement certains métiers, comme le marchand, le forestier, le colporteur ou le verrier3. Elle touche également les musiciens. Les professionnels musicaux se déplacent en effet beaucoup. Leur existence se trouve fréquemment marquée du sceau de l’itinérance ; l’assertion du maître de chapelle et infatigable marcheur marseillais Annibal Gantez en témoigne pour le XVIIe siècle : « jamais un musicien ne fut estimé, s’il n’a un peu voyagé4. » Cette situation se prolonge au siècle des Lumières. Plus qu’un simple déplacement d’un lieu à l’autre, la mobilité représente un véritable capital que les individus constituent et gèrent au cours de leur vie5. En ce sens, nous la considérons comme une ressource essentielle pour nos musiciens. Ces derniers la manipulent au même titre que le travail et l’intègrent à leurs pratiques professionnelles. En retour, la mobilité les façonne en altérant la manière dont la société les perçoit. Elle modèle leur identité sociale. Au-delà des personnes, les circulations d’hommes dessinent en creux une cartographie mouvante de territoires musicaux qui évolue en fonction de la diachronie des flux. Regardons tout cela d’un peu plus près, en abordant les différentes facettes de ces mobilités spatiales musiciennes.
Les circulations musiciennes
2Interurbaines, infranationales ou transfrontalières, les circulations musiciennes revêtent des motivations, formes et configurations variées. L’ampleur et la direction de leurs flux évoluent au fil de la période. Jugeons donc sur pièces.
Les motivations des mobilités musiciennes
3Pour quelles raisons un musicien quitte-t-il une ville et s’aventure-t-il sur les routes afin de rejoindre une autre cité parfois située à des centaines de kilomètres de distance ? Stéphane Gomis évoque une quête spirituelle pour décrire le parcours du Rouennais Georges Martin, prêtre-musicien qui parcourt la France de l’Ouest puis la Provence – Marseille, Draguignan, Toulon – en mentionnant les musiciens et les orgues célèbres dans la seconde moitié du XVIIe siècle6. Nous retrouvons ce motif religieux en janvier 1700, lorsque l’organiste Charles Desmazures obtient la permission des chanoines de la cathédrale marseillaise d’effectuer le voyage jusqu’à Rome « pour visiter les lieux saints », à la condition expresse d’être de retour aux fêtes de Pâques7. L’ordination est également une bonne occasion pour un aspirant ecclésiastique de revenir temporairement dans son diocèse d’origine. Engagé à Saint-Sauveur d’Aix, le joueur de serpent phocéen Jean-Honoré Esquier se rend plusieurs fois au séminaire de Marseille afin d’y recevoir la tonsure, le sous-diaconat ainsi que l’ordre de diacre en 1765 et 17708.
4La première motivation de mobilité qui vient à l’esprit lorsqu’on pense aux circulations des faiseurs de notes est évidemment d’ordre professionnel. Que ce soit pour trouver un emploi, pour accroître sa réputation ou pour obtenir une place plus prestigieuse et mieux rémunérée, le musicien sillonne souvent les chemins dans l’espoir d’améliorer son existence et de conforter sa carrière. Au sommet de la hiérarchie musicale, les grands compositeurs et interprètes de cour ou théâtraux se déplacent d’une capitale à l’autre à travers toute l’Europe du XVIIIe siècle. Ils divertissent de nouveaux mécènes, profitent de la puissance économique et politique d’une ville, comme en Italie ou dans l’espace germanique, s’engagent auprès d’un monarque ou suivent plus prosaïquement leurs aristocratiques patrons par nécessité de service9. Nous songeons aux célébrissimes pérégrinations de Mozart, d’abord enfant, puis adulte, à la recherche d’une place à Milan, à Mannheim, à Paris ou à Vienne afin d’échapper au prince- archevêque de Salzbourg10. Chez nos musiciens, le départ sur les routes intervient parfois dès la quête d’un premier emploi, à la fin de l’apprentissage. Un enfant de chœur fraîchement sorti de sa maîtrise après dix ans de formation ne décroche en effet pas toujours un poste musical au sein de l’église qui l’a élevé. Il doit alors, s’il veut demeurer musicien, postuler ailleurs dans un autre chapitre, voire une autre ville. Louis François Leffry des Fontaines quitte la psallette de Saint-Sauveur d’Aix en 1748 et se rend à Vaison, où il devient maître de chapelle à la cathédrale pendant trois ans avant de retourner dans la capitale parlementaire11. Bien entendu, la recherche de travail peut se poursuivre chez des praticiens confirmés. Le haute-contre Soliers arrive du hameau haut-provençal de Saint-Pons pour se présenter au chapitre de La Major de Marseille en 1715, tandis que son homologue toulonnais Gouliaud postule à la cathédrale aixoise 26 ans plus tard12. Ces démarches ne sont pas systématiquement couronnées de succès : Soliers comme Gouliaud sont refusés et doivent rentrer chez eux, les chanoines payant leurs frais de voyage afin de les indemniser. La perspective d’une place plus intéressante incite aussi au changement géographique. Le choriste Moreau part ainsi de Notre-Dame-de-Nazareth de Vaison juste après avoir obtenu une charge à la collégiale Saint-Didier d’Avignon en 176613. L’itinérance sert en outre à engranger de l’expérience en passant d’un lieu à l’autre, expérience valorisable auprès de futurs employeurs. Il s’agit d’une pratique largement répandue chez les musiciens d’Église, qui s’appelle vicarier. Le rêve de faire fortune et la quête de gloire et de renommée poussent également les musiciens à entreprendre des voyages, surtout à partir de la seconde moitié du siècle14.
5À ces raisons professionnelles s’ajoute l’influence déter- minante des relations entre les praticiens et leurs employeurs. L’entretien de bons rapports avec l’institution nourricière favorise l’enracinement d’un musicien en un lieu en sécurisant sa place et ses revenus. À l’inverse, une dégradation des relations et des liens conflictuels aboutissent parfois à un renvoi et à un départ, forcé ou volontaire, du praticien. Délivré de toute obligation, celui-ci peut– ou doit – partir vers de nouveaux horizons. Le 4 mars 1791, les commissaires du Concert d’Aix rédigent ainsi une lettre de congé à leur maître de musique « sur des raisons exposées et jugées légitimes » suite à des « torts » de ce dernier15. Près d’un quart de siècle auparavant, le haute-contre Jean-Baptiste Legier, « fâché que le chapitre ait refusé ses offres de service à la maîtrise », claque la porte de la cathédrale de Carpentras. Les chanoines approuvent sa démission, vraisemblablement lassés de son caractère difficile16. Au-delà des cas singuliers et des situations personnelles, Bernard Dompnier note une intéressante propension de certains chapitres à diminuer les distributions de leurs bénéficiers à la fin du XVIIIe siècle afin de remettre les sommes dégagées entre les mains des musiciens gagistes dans une optique de développement de la musique à moindre coût. Cette politique du monde canonial en faveur d’un régime de salariat pour l’ensemble de ses serviteurs musicaux remet en cause la stabilité traditionnelle des musiciens bénéficiers et encourage indirectement, mais encore davantage, la circulation des praticiens d’Église, déjà bien développée par ailleurs17. De même, les musiciens militaires subissent une mobilité inhérente à l’armée. Les soldats de l’Europe moderne se déplacent en effet continuellement du fait de leurs obligations de service ; l’armée entraîne d’importantes circulations d’hommes, qu’il s’agisse de mouvements de troupes ou de désertions18. Déterminées par l’administration militaire, ces migrations sont clairement subies par les musiciens. Ils ne peuvent que suivre leur unité. Les trois hautbois des gardes de la Marine de Toulon ne passent pas moins de 11 mois en mer en 1710-1711, du 16 août 1710 au 13 mars 1711 et du 26 du même mois à juillet 171119. Les employeurs influent véritablement sur les mobilités musiciennes. Ils peuvent même parfois volontairement bloquer un déplacement. Le sieur Fournel, maître de musique de la cathédrale de Grasse, en fait les frais au milieu des années 1730 :
Le sieur Fournel, maître de chapelle, a souvent fait connaître depuis quelques années que ses affaires le demandent dans son pays, que l’air de Grasse ne lui est pas salutaire ni à sa famille, que messieurs du chapitre de Sisteron le désirent et lui ont souvent écrit des lettres à ce sujet, qu’il a présenté aux économes précédents. Il représente au chapitre que depuis environ un mois, quelques marchands de Grasse venant du côté de Sisteron assurent que les messieurs du chapitre de cette dernière cité l’attendent. Comme le sieur Fournel n’y disconvient pas et qu’il souhaite y aller, l’économe requiert le chapitre de délibérer afin d’éviter que les enfants de chœur se retrouvent sans maître le temps qu’on y pensera le moins20.
6Hélas pour le pauvre Fournel, les chanoines décident de faire la sourde oreille et de remettre leur délibération à plus tard. Le chapitre grassois ne semble pas enclin à perdre son maître de chapelle au profit du rival sisteronais, probablement parce qu’il le juge talentueux et qu’il n’a pas de remplaçant sous la main. Notons au passage que les informations transitent d’une ville à l’autre via les marchands ambulants à travers les montagnes de Haute- Provence. Visiblement respectueux de la hiérarchie et n’osant pas braver l’autorité canoniale, le malheureux Fournel ne quittera jamais Grasse. Il y décède moins de deux ans plus tard, en janvier 173721.
7Une autre motivation de circulation consiste à voyager « pour s’instruire », c’est-à-dire pour aller suivre ailleurs un apprentissage musical, en se rendant, par exemple, auprès d’un maître réputé afin de suivre ses leçons. Lorsque l’offre d’apprentissage locale se révèle insuffisante pour un aspirant musicien talentueux, ce dernier n’a pas d’autre choix, s’il en a les moyens, que de s’expatrier en un lieu mieux pourvu en professeurs. Dans le cadre de ces mobilités, Avignon constitue un foyer attractif qui attire des apprentis de toute la région. Les élèves musiciens rencontrés dans les contrats d’apprentissage de la cité pontificale proviennent fréquemment des villes ou des provinces voisines22. Lorsque ces praticiens fraîchement formés retournent au pays, ils appliquent leurs nouveaux savoirs chez eux et s’attachent à les diffuser, endossant ainsi le rôle de vecteurs musicaux entre les territoires. En 1725, l’organiste de Saint-Sauveur Joseph Saye demande à profiter d’un séjour du prévôt à Paris pour se rendre avec lui à la capitale et se perfectionner à l’orgue. Considérant que cela ne peut qu’être bénéfique à l’église, les chanoines aixois acceptent de le laisser partir pour six mois23. Des maîtres renommés comme Paisiello à Naples attirent autour d’eux des musiciens de toute l’Europe, à l’instar du Marseillais Dominique Della Maria.
8Des motifs personnels entrent aussi en ligne de compte dans les migrations. Difficiles à cerner avec précision, ils incluent par exemple des revers de fortune, ou bien des « ennuis en cours ou prévus » que les musiciens cherchent à fuir, comme ce hautboïste qui séduit la fille d’un baron du pays fléchois avant de l’abandonner enceinte en 168924. Les hasards de la vie et les aléas de l’existence constituent de puissants moteurs de déplacement. Le basse-taille Giraud quitte ainsi en urgence Carpentras en 1756 après avoir démissionné de la cathédrale pour aller porter des remèdes à ses parents malades à Pernes25. On le voit, l’impératif familial pèse d’un poids non négligeable. Outre Giraud, le sieur Jouvet, basse d’accompagnement à l’académie d’Aix, « est appelé à Marseille pour le commerce de son père et demande à être dégagé de son engagement » en 178826. La force des réseaux, qu’ils soient familiaux, amicaux, régionaux ou professionnels, joue un rôle décisif dans la mobilité. Une fois tissés sur place par des pionniers, ces réseaux relationnels deviennent propices au drainage de nouveaux musiciens qui marchent sur les pas de leurs devanciers en profitant des ressources acquises par ces derniers27.
9Lorsqu’ils parviennent à un âge avancé, il arrive que la nostalgie de la terre natale pousse certains musiciens à revenir dans leur ville d’origine. Formé à la psallette de Notre-Dame-des- Doms d’Avignon, le maître de musique gyrovague Jean-François Bouchet passe successivement par Saint-Siffrein de Carpentras, Saint-Trophime d’Arles, Notre-Dame-de-la-Nativité de Vence et Saint-Pierre d’Annecy avant de retourner terminer ses jours à la cathédrale de la cité pontificale, où il décède le 3 février 176628. De même, « par amour de la patrie », le trompette public carpentrassien Louis Lavondès refuse tout au long de son existence des postes mieux rémunérés et choisit de demeurer fidèle aux édiles de la capitale comtadine jusqu’à son épuisement physique29.
10Une mobilité peut aussi intervenir en cas de problèmes de santé, parfois commanditée par des tiers lorsqu’ils atteignent l’intégrité psychique de la personne et ont des répercussions sur l’espace social. Visiblement atteint de troubles mentaux, le chanteur Jean-Joseph Roumieu, qui travaille habituellement à Saint-Sauveur d’Aix, « est malade et hors d’état de faire le service du chœur depuis assez longtemps » en 1785. Il erre en effet dans la ville, « où il se comporte avec indécence et manque souvent du nécessaire » malgré la pension que les chanoines versent à son père afin qu’il s’occupe de lui. Par conséquent, le chapitre délibère de prier le procureur général de prendre des mesures pour que Roumieu soit « arrêté et enfermé dans une maison de retraite ». Le procureur général propose alors de faire emprisonner le malheureux musicien dans la maison des Cordeliers de Manosque en obtenant les ordres du roi nécessaires. Les chanoines opinent et décident de financer l’entretien du choriste au sein de ladite maison, plus les frais de « sa capture et son voyage30 ». Et voilà le pauvre Roumieu en route pour Manosque, où il finit vraisemblablement son existence coupé du monde. On le voit, à l’instar de la pluriactivité, il existe aussi bien des mobilités choisies que des mobilités contraintes. Que ce soit à la suite d’un renvoi, d’un appel familial ou d’un revers de fortune lié à la conjoncture, la mobilité ne constitue alors plus une stratégie, mûrement réfléchie ou prise sur un coup de tête par un individu, mais bel et bien un événement subi contre son gré.
11Recherche de meilleurs revenus, quête d’un travail ou de notoriété, perfectionnement professionnel, influence des employeurs, motifs personnels ou thérapeutiques, l’éventail des raisons des mobilités musiciennes se révèle très varié. Loin de se limiter à la Provence, à Avignon et au Comtat, la plupart de ces raisons se retrouvent dans les motivations des musiciens d’Église de l’ensemble du royaume de France, tout comme la force des réseaux familiaux, amicaux ou professionnels qui les sous-tendent31. Maintenant que nous avons examiné les motivations des migrations musiciennes, qu’en est-il de leurs caractéristiques ? Quelles tendances de flux pouvons- nous dégager des circulations des faiseurs de notes au dernier siècle de l’Ancien Régime ?
De l’international au local : des déplacements variés à toutes les échelles
12Déterminer avec certitude la part de musiciens concernés par le phénomène de la mobilité n’est pas chose aisée. Nous considérons un musicien mobile lorsqu’il se déplace d’une ville à une autre au moins une fois au cours de sa carrière, soit pour s’y installer avec instruments et bagages, soit pour y effectuer une prestation musicale quelconque avant de rentrer chez lui. Nous ne dissocions pas nécessairement la mobilité temporaire de la mobilité définitive, du moment que la première s’effectue pour un motif professionnel clairement identifié, ce qui n’est pas toujours le cas de la seconde. Ce critère posé, il se trouve que sur les 2105 musiciens de notre échantillon, nous ne pouvons pas nous prononcer sur la situation sédentaire ou mobile de 1258 d’entre eux. Une majorité de musiciens – 60 % – demeure donc dans l’ombre. Nous ne pensons pas prendre un grand risque en affirmant que la mobilité concerne probablement un nombre important de musiciens. En effet, des 40 % d’individus dont nous connaissons les niveaux de mobilité, les trois quarts circulent au moins d’une cité à une autre au cours de leur existence, soit pratiquement un tiers du total. Seuls 206 musiciens semblent passer toute leur vie au sein de leur ville d’origine sans en bouger (un sur dix).
13Les lieux de naissance connus témoignent également d’une mobilité répandue. 353 musiciens sur 803 naissent dans l’une des 15 cités de notre échantillon et 450 voient le jour en un autre endroit, soit respectivement 44 % et 56 % du total. Les migrants sont ainsi plus nombreux que ceux nés sur place, ce qui plaide en faveur d’une intense circulation musicienne vers la Provence et les États pontificaux outre-alpins. L’examen affiné des lieux de naissance de ces 803 musiciens permet de dresser une cartographie générale des mouvements musiciens pendant la période. Les trois cartes des pages 297, 298 et 299 rendent compte de cette répartition géographique.
14Les musiciens viennent non seulement de France, mais aussi d’ailleurs en Europe. L’attractivité musicale de la Provence et des États pontificaux rhodaniens est ainsi très large, puisqu’elle s’étend à une échelle internationale. Gardons-nous toutefois d’y lire une convergence particulière de tous ces musiciens vers notre région, car nous ne connaissons pas toujours les étapes avant leur arrivée32.
Les musiciens étrangers
15Sur les 803 musiciens dont nous connaissons le lieu de naissance, 735 voient le jour en France et dans ses enclaves ; 68 de ces praticiens, soit 9 %, sont donc des étrangers. Par étranger, nous entendons ici tout individu né en dehors des frontières du royaume de France, de l’État d’Avignon et du Comtat Venaissin. Les provenances se répartissent entre plusieurs zones géographiques parmi lesquelles émergent, par ordre d’importance, l’Italie, l’Europe centrale et la péninsule Ibérique. Avec 38 ressortissants différents (56 %), les Italiens forment indéniablement le groupe le plus étoffé numériquement. Ils viennent majoritairement du Nord et du Centre. Turin, Coni, Venise, Bologne, Rome et Naples fournissent le plus gros bataillon, à savoir des centres urbains qui possèdent souvent une bonne réputation musicale. La présence de ces musiciens italiens n’a rien de surprenant. Elle s’explique en premier lieu, bien sûr, par la proximité géographique et culturelle avec la Provence et les États du pape. Plusieurs des villes italiennes recensées se situent relativement près de la frontière française – Turin, Coni, Casale Monferrato, Alexandrie. En outre, la Provence représente la plaque tournante des échanges entre la France et l’Italie ; beaucoup de voyageurs y passent pour se rendre dans la péninsule et vice versa. De même, les liens politiques qu’entretiennent Avignon et le Comtat avec Rome favorisent la venue d’Italiens. La « diaspora » musicienne italienne essaimant à travers toute l’Europe caractérise les XVIIe et XVIIIe siècles dans leur ensemble. Il s’agit d’une migration professionnelle où les individus partent exercer ailleurs des talents déjà acquis en Italie. Principalement issus du centre et du nord de la péninsule – ce qui se retrouve sur notre carte –, les musiciens italiens se rendent dans les cours et les villes étrangères, où ils sont invités et accueillis à bras ouverts33. Ils sont par exemple majoritaires à la cour des Bourbons sous Louis XV et Louis XVI34. Les Italiens fuient souvent ainsi un marché musical saturé sur leur terre natale35. En Provence, ils deviennent notamment faiseurs d’instruments. L’orgue provençal et comtadin s’inspire justement du modèle instrumental italien, bien enraciné dans la région36. De fait, des facteurs transalpins viennent parfois relever les monumentaux instruments. En 1717, le Bolonais Jean-Baptiste Fortunaty effectue des réparations sur les orgues de la cathédrale de Digne et de la collégiale de Draguignan37. À Marseille, tous les fabricants de cordes d’instruments étrangers recensés sont napolitains en 179338. Des luthiers italiens bien implantés se rencontrent aussi à Aix et à Arles à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle39.
Carte n 6 : Lieux de naissance des musiciens de Provence et des États pontificaux rhodaniens au XVIIIe siècle – Échelle provençale et pontificale

Carte n 7 : Lieux de naissance des musiciens de Provence et des États pontificaux rhodaniens au XVIIIe siècle – Échelle française

Carte n 8 : Lieux de naissance des musiciens de Provence et des États pontificaux rhodaniens au XVIIIe siècle – Échelle européenne

16Outre les États italiens, les musiciens étrangers viennent beaucoup d’Europe centrale. L’aire germanophone envoie quelques musiciens dans notre région, principalement dans la seconde moitié du siècle des Lumières, époque où les Allemands passent pour d’excellents instrumentistes et où la musique germanique concurrence le goût italien à Paris. Près du Saint Empire, neuf musiciens sont originaires des Provinces-Unies et des Pays-Bas autrichiens (Flandres, diocèse de Gand, Ath, Mons, Namur, La Haye et Maastricht). Deux d’entre eux, le choriste Antoine Anotin, de Mons, et le haute-contre Vandeveld, du diocèse de Gand, sont reçus à quelques semaines d’intervalle à la cathédrale aixoise en septembre 174740. Peut-être se connaissaient-ils déjà auparavant. Fait intéressant, leur arrivée coïncide avec la période où Mons et la région de Gand se trouvent sous domination française suite aux conquêtes militaires de la guerre de Succession d’Autriche. Il semblerait que les circulations musiciennes profitent des vicissitudes diplomatiques et des annexions territoriales.
17Les territoires limitrophes de la France fournissent un certain nombre d’autres musiciens étrangers. Se distinguent ainsi l’espace helvétique (Genève) ou la Catalogne (Barcelone). Le prêtre Félix Rey, chantre à La Major de Marseille en 1723, est originaire de la principauté de Monaco, tandis que son homologue vençois Jean-André Broquardy naît à Malaussène, dans le comté de Nice, sur les terres de la maison de Savoie41. Les rapports étroits qu’entretient le royaume français avec l’Espagne, l’île de Malte et l’Écosse – respectivement par le biais des Bourbons espagnols, de l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem et de la Auld Alliance – expliquent peut-être la venue de cinq praticiens depuis ces contrées. Deux Portugais complètent le contingent venu de la péninsule Ibérique, dont un de Lisbonne. Enfin, le Russe George Streistermann est celui qui a parcouru le plus de distance. Originaire de Saint-Pétersbourg, il exerce le métier de facteur de piano-forte à Marseille au début des années 179042.
18La distribution territoriale de tous ces musiciens se retrouve à l’identique à Marseille, cité où nous avons la chance de disposer d’un panorama précis des étrangers à la Révolution. Le 6 septembre 1793, en effet, une loi ordonne à tous les individus nés hors du territoire de la République de se présenter sous huitaine aux conseils généraux des communes où ils résident afin d’y réclamer un certificat d’hospitalité, « à quelque âge qu’ils aient touché le sol français et quelque alliance qu’ils aient contractée en France43 ». Un registre des demandes de certificat est ouvert à Marseille, qui recense une grande partie des étrangers de la ville. Ce précieux document, qui comporte 2915 entrées, donne des renseignements sur le nom, le prénom, l’âge, la profession, l’adresse et le temps de présence en France et à Marseille de chaque individu enregistré44. Sur les 2915 étrangers recensés, 32 sont des musiciens. Le tableau suivant détaille leurs caractéristiques.
19Suivant le registre, 72 % des musiciens étrangers sont italiens en 1793. Nulle originalité à cela : les Italiens représentent 70 % des étrangers du recensement en général45. Il s’agit de la diaspora musicienne transalpine de Marseille. Cette diaspora se structure beaucoup autour de la comédie. De fait, près du tiers des musiciens étrangers travaillent dans les deux théâtres phocéens des rues Beauvau et du Pavillon. Rien d’étonnant à cela. Les théâtres de Marseille se caractérisent par un cosmopolitisme particulièrement marqué : on y trouve, outre nos praticiens, un portier piémontais, un archiviste bolonais, un décorateur espagnol, un maître de ballet danois et divers acteurs belges et suisses46. En dehors de l’univers théâtral, voici cinq autres luthiers, dont quatre fabricants de cordes d’instruments, tous napolitains. « Organiste de la paroisse Saint-Ferréol », le Toscan Joseph Antoine Rossi est l’unique représentant de la musique d’Église, alors que le « tambour » piémontais Joseph Ollivier bat peut-être la caisse pour le compte de la municipalité47. Les 15 autres individus se qualifient de « musicien[s] » sans précision de spécialité.
Tableau n 9 : Les musiciens étrangers à Marseille en 1793 d’après les demandes de certificat d’hospitalité

20Les musiciens étrangers de Marseille apparaissent comme des personnes d’âge mûr, de 45 ans en moyenne. Ils sont généralement arrivés en France autour de 1775 – 18 années auparavant – et résident dans la cité phocéenne depuis environ 15 ans. Il s’agit ainsi d’une population qui a surtout migré dans la force de l’âge, classiquement pour travailler, et dont Marseille ne constitue pas la première étape française. Les plus jeunes sont probablement venus avec leur famille. Le doyen de 77 printemps, Sauveur Demarc, chanteur maltais au théâtre républicain, n’a pas bougé de Marseille depuis qu’il y a débarqué 11 ans plus tôt ; à l’inverse, le benjamin de l’échantillon, le Genevois Jean George Perlet, 17 ans, n’est là que depuis deux jours lorsqu’il court s’enregistrer48 ! Une fois encore, une grande variété de cas individuels se croise et se mêle.
Entre France, Provence et États du pape
21Franchissons à présent à notre tour les frontières du royaume des Bourbons. En retranchant du comptage la Provence et les États pontificaux outre-alpins, le nombre de musiciens nés en France et dans ses enclaves s’élève à 188. Un rapide coup d’œil à la carte correspondante montre que ces 188 musiciens quadrillent l’intégralité du territoire français, depuis le bourg breton de Crozon jusqu’à Grenoble, capitale dauphinoise, en passant par la Picarde Albert, l’Alsacienne Strasbourg, la Roussillonnaise Perpignan et la Béarnaise Cuqueron. À y regarder de plus près, on constate que des aires géographiques se détachent du lot. Le Sud-Est émerge sans surprise en premier. Le Bas-Languedoc et le Dauphiné voisins envoient de nombreux musiciens en Provence, à Avignon et dans le Comtat. Parmi cette multitude de praticiens, citons ceux de Montpellier, du diocèse d’Embrun, d’Orange et de Nîmes. Enclavé avec son ancienne principauté au sein du Comtat Venaissin, Orange entretient des liens naturels avec notre région d’étude. De leur côté, Montpellier et Nîmes sont les plus gros centres urbains du Languedoc oriental. Ces résultats montrent que des relations musiciennes existent bien entre tous ces espaces. La Provence et les États pontificaux s’insèrent dans un ensemble de territoires musicaux interconnectés qui, ne se limitant pas aux frontières politiques, englobe un large Sud-Est. Ce réseau méridional se prolonge en direction du Sud-Ouest, comme en témoignent les quelques musiciens originaires de cités de cette zone – Bordeaux, Tarbes, Cahors.
22Venant du Nord, les autres musiciens empruntent probablement le couloir rhodanien pour se rendre en Provence. Un certain nombre d’entre eux voient le jour dans l’est de la France, de Lyon jusqu’à Strasbourg. Les cités de Bourgogne, de Franche-Comté, de Lorraine et d’Alsace fournissent un contingent non négligeable de praticiens, par exemple Mâcon, Dijon, Besançon, Metz, Pfaffenheim ou encore Mirecourt, centre luthier réputé. Le Nord-Est picard et champenois regroupe aussi un bassin relativement dense de lieux de naissance de musiciens – Péronne, Vorges, Fère-en-Tardenois, Reims. Si les Provençaux et les Comtadins partent souvent tenter leur chance à Paris, la réciproque semble également vraie. 18 Parisiens finissent par arriver en Provence, ce qui fait largement de la capitale la cité la plus pourvoyeuse en musiciens. Les échanges musicaux entre notre région d’étude et le cœur culturel du pays – deux Versaillais s’ajoutent aux Parisiens – sont ainsi à double sens, riches et édifiants.
23Moins représentés, l’Ouest et le Nord-Ouest ne sont pas absents. Du côté de la Normandie, quatre musiciens naissent à Rouen, dans son diocèse et dans celui d’Avranches. À l’Ouest, huit autres viennent de Poitiers et de ses alentours, d’Angoulême, de Vendôme, d’Angers, de son diocèse et de celui du Mans. En particulier, le Sud-Est entretient un axe de circulation musicale privilégié avec la côte sud de la Bretagne dans la première moitié du siècle49. Ces courants d’échanges se retrouvent en Provence et dans les États enclavés de l’Église avec des musiciens arrivant de Rennes, Rohan ou encore de Vannes. Enfin, le Centre envoie aussi une poignée de praticiens, en nombre plus réduit, depuis Moulins ou Clermont-Ferrand. Le maître de chapelle Henrié Maubois, reçu à la cathédrale de Vaison en 1711, vient ainsi du Berry50.
24La plus grande partie des musiciens dont nous connaissons le lieu d’origine puisent cependant leurs racines en Provence même ou au sein des États pontificaux rhodaniens – 547 individus sur 803, soit 68 %. Parmi eux, une écrasante proportion (65 %) voit le jour en l’une des 15 villes de notre corpus, en tête desquelles viennent Avignon, Aix, Apt, Marseille, Arles et Carpentras. L’effet de sources explique aisément ce résultat. Puisque nos documents proviennent essentiellement des archives de ces cités, ils nous renseignent plus facilement sur les natifs locaux. L’inégale conservation archivistique justifie aussi que le nombre de praticiens originaires d’un grand centre urbain ne soit pas toujours très élevé – à Toulon, par exemple. En dehors des villes du corpus, les 194 musiciens restants témoignent des intenses circulations musiciennes qui parcourent alors la Provence et les États du pape. Beaucoup se déplacent depuis les cités du Comtat Venaissin. Citons en particulier Pernes, dont nous retrouvons 12 natifs à Cavaillon, Apt, Carpentras, Arles, Aix et Marseille – le fameux Esprit Antoine Blanchard en vient. En Basse-Provence, où les lieux de naissance sont plus espacés, se distingue notamment Salon, ville relais au carrefour du Comtat, d’Arles, d’Aix et de Marseille.
25Les lieux de naissance de musiciens se raréfient plus à l’est. La dispersion de l’habitat en Haute-Provence, qui compte beaucoup moins d’habitants qu’en Basse-Provence, explique partiellement ce constat. Quelques communautés se différencient, comme Riez et Barjols, qui donnent chacune naissance à quatre musiciens figurant dans notre corpus. Il semble toutefois exister une séparation nette entre la Basse- Provence et le Comtat d’un côté, et la Haute-Provence de l’autre. La dizaine de musiciens originaires des villages autour de Grasse et de Vence – Saint-Vallier, Cabris, Cipières, La Colle, Antibes, etc. – ne s’aventurent pas au-delà de ces deux cités voisines de notre corpus. Le maître de musique de Notre-Dame-du-Puy de Grasse, Jean Guirard, arrive par exemple de Biot en 173951. Cela ne signifie toutefois pas qu’il n’existe aucune connexion musicale entre la Haute et la Basse- Provence. Les huit praticiens du diocèse de Senez recensés travaillent tous sous les voûtes des cathédrales de Marseille, d’Aix et d’Arles, alors qu’un natif d’Escragnolles, Honoré Carlevan, décède musicien de Saint- Trophime en 176852. Il existe bien une tendance de flux migratoire entre les deux parties provençales, notamment de la Haute vers la Basse- Provence, mouvement qui s’effectue en direction de villes possédant une offre musicale institutionnelle plus importante et qui sont, de ce fait, attractives.
26L’étude des caractéristiques globales des circulations musiciennes provençales et comtadines révèle plusieurs tendances. Remarquons tout d’abord une prépondérance de flux de proximité, avec des musiciens qui viennent principalement de Provence et des États pontificaux transalpins, mais aussi de provinces proches, qu’elles soient françaises, comme le Bas-Languedoc et le Dauphiné, ou savoyardes, à l’instar du comté de Nice. Ensuite, notre région d’étude s’inscrit dans un réseau musical plus vaste qui englobe un large Sud- Est et déploie ses ramifications en direction de l’ouest, vers Bordeaux, et du nord, jusqu’à Lyon. Sans grande surprise, la Provence et les États du pape constituent également une interface de communication entre la France et l’Italie, pour lesquelles elles représentent une véritable plaque tournante en termes de migrations de musiciens. L’attractivité musicale de nos provinces ne s’arrête cependant pas là. Elle se hisse à une échelle nationale et européenne en suscitant des flux bretons, picards, alsaciens, italiens, germaniques et même russes. En ce sens, la Provence et les États pontificaux rhodaniens participent pleinement aux circulations internationales accrues qui irriguent le siècle des Lumières. Toutes ces mobilités ne demeurent pas figées au cours du temps. Elles changent et évoluent pendant la période en fonction de nombreux facteurs.
L’évolution des circulations
27L’examen de la diachronie des flux au fil du siècle nécessite de se pencher non plus sur les lieux de naissance, mais sur les trajets qui émaillent la carrière de nos musiciens. Pour cela, nous avons réuni un corpus de 631 déplacements documentés pour l’ensemble de la période. Chaque flux de ce corpus implique une circulation d’une ville à une autre renseignée par nos sources. Les 631 déplacements recensés se répartissent entre six grandes tranches diachroniques : avant 1710, 1710-1730, 1730-1750, 1750-1770, 1770-1790 et après 1790.
28Deux sets de six cartes exposent ci-après les résultats obtenus, suivis d’un graphique indiquant le nombre de flux dans chaque tranche chronologique53.
Carte n 9 : Les circulations musiciennes de Provence et des États pontificaux rhodaniens au XVIIIe siècle - Échelle française

Carte n 10 : Les circulations musiciennes de Provence et des États pontificaux rhodaniens au XVIIIe siècle - Échelle provençale et pontificale

Illustration n 3 : La diachronie des flux musiciens de Provence et des États pontificaux rhodaniens au XVIIIe siècle

29L’analyse générale des mobilités des musiciens au cours de leur carrière sur l’ensemble du siècle confirme les caractéristiques relevées grâce à leurs lieux de naissance. Nous y retrouvons à la fois une prévalence des déplacements locaux à l’intérieur de la Provence et des États enclavés de l’Église, des couloirs de circulations qui connectent particulièrement ces provinces au Sud-Ouest et au Nord-Est français en suivant l’axe rhodanien, ainsi que des échanges importants et soutenus avec Paris. Au niveau des mobilités internationales, la petite vingtaine de circulations recensée met à l’honneur les pays déjà examinés, à savoir l’Italie – avec Turin, Naples, Rome… –, le Saint Empire romain germanique – Dresde –, les États savoyards – Annecy dans les années 1710-1730, Nice – et l’Espagne – Madrid. Un nouvel espace émerge toutefois de ces migrations : la colonie de Saint-Domingue. Quatre de nos musiciens partent en effet s’installer sur l’île antillaise entre 1733 et 1786.
30Nous les retrouvons dans la capitale, Port-au-Prince, ainsi que dans les villes de Saint-Marc et de Léogane. Deux sont des praticiens marseillais, un autre est un maître de musique aixois, le dernier un soldat tambour de la Marine toulonnaise54. L’attrait du Nouveau Monde rencontre ainsi un écho chez les musiciens. Éloignée de la métropole, Saint-Domingue n’en demeure cependant pas isolée et les musiciens y affluent régulièrement depuis la France55. Il n’y a notamment rien de surprenant à observer des natifs marseillais sur l’île. Port colonial, la cité phocéenne commerce largement avec Saint-Domingue et les Antilles à partir des années 1730. Les liaisons entre Marseille et la colonie se renforcent encore après la guerre de Sept Ans et jusqu’à la veille de la Révolution56. Par leurs migrations transatlantiques qui les font quitter l’Europe, certains musiciens provençaux se hissent donc à une échelle supérieure et s’insèrent dans des circulations mondiales sur plusieurs continents.
31Revenons aux flux musiciens qui couvrent la France et ses enclaves. La première constatation diachronique qui s’impose est celle d’une intensification des mobilités à mesure qu’avance le siècle, suivie d’un décrochage sur la fin de la période57. L’augmentation des circulations s’effectue d’abord graduellement jusqu’en 1750 (+ 52 déplacements entre avant 1710 et 1710-1730 ; + 22 entre les tranches 1710-1730 et 1730-1750) ; elle connaît une brusque accélération au mitan de la période (+ 112 déplacements entre 1730-1750 et 1750-1770). Les flux ralentissent ensuite à partir de 1770 (− 59 déplacements entre 1750-1770 et 1770-1790) avant de s’effondrer et de retrouver leur niveau exact du début du siècle après 1790 (− 127 entre les deux dernières périodes). L’intensification des mobilités ne concerne pas que les musiciens de la Provence et des États pontificaux transalpins. Elle caractérise les artistes de toute l’Europe, qui voient leurs circulations croître au siècle des Lumières en parallèle du desserrement du mécénat princier et du développement du marché musical58.
32Cette augmentation des flux va de pair avec une diversification des zones couvertes, ce que montrent bien les cartes. Avant 1710, les mobilités musiciennes se limitent presque exclusivement aux villes de notre corpus, à une exception près. À la tête de la maîtrise arlésienne pendant un an en 1699-1700, le Salonnais Pierre César Abeille monte ensuite à Paris, où il devient maître de musique de l’église Saint- Germain-l’Auxerrois59. Les liens musicaux avec la capitale existent évidemment déjà à cette époque, puisque c’est à la fin du Grand Siècle que s’y rend, par exemple, André Campra. La prédominance des flux entre les centres urbains, qui persiste tout au long du siècle, s’explique par ailleurs en partie par l’effet de sources. Quoi qu’il en soit, nous assistons à un incontestable désenclavement de la Provence et des États pontificaux rhodaniens dès 1710-1730. Outre Paris et Versailles, qui restent des pôles d’échanges importants pour nos villes, se remarque un développement des mobilités en direction de l’Est (Besançon) et de la Bretagne (Vannes). La tendance vers l’Est se creuse au cours des deux décennies suivantes avec des flux allant jusqu’à Lunéville, tandis que des couloirs de circulations s’installent durablement entre l’espace provençal et pontifical et le Sud-Ouest (Albi, Moissac, Toulouse).
33Les déplacements explosent en 1750-1770. Les musiciens empruntent encore plus fréquemment le sillon rhodanien jusqu’à Lyon, ils continuent d’aller et de venir depuis l’Est (Dijon, Lunéville), le Sud-Ouest (Agde, Béziers, Carcassonne, Nîmes, Montpellier, Lescar, etc.), Paris, Versailles et désormais aussi le Centre-Nord (Moulins, Orléans, Rouen, Soissons). Cet impressionnant bond quantitatif des mobilités s’explique vraisemblablement par la croissance et l’amélioration du réseau routier. « Grand siècle des routes », le XVIIIe connaît en effet un essor sans précédent de la construction des voies de communication terrestres, essor qui monte en puissance au tournant des années 1730-1750 sous la houlette du corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées administré par les Trudaine et Perronet60. Bâti par une main-d’œuvre réquisitionnée grâce à la très impopulaire corvée des paysans instaurée par le contrôleur général des finances Philibert Orry en 1738, ce réseau des routes de poste part d’abord en étoile à partir de Paris. Il s’organise ensuite en un deuxième niveau autour des capitales provinciales à partir des années 1750. Le maillage routier produit ainsi des territoires polarisés par les métropoles régionales qui animent des sous-réseaux autour d’elles61. Visiblement, les musiciens profitent pleinement de ces nouvelles installations qui stimulent et amplifient leurs circulations. De fait, ils empruntent probablement, vu leurs trajets, les voies militaires de l’Est initiées par Vauban à la fin du XVIIe siècle et les routes de première classe sur les axes Paris-Lyon- Marseille et Avignon-Montpellier-Toulouse-Bordeaux. Peut-être naviguent-ils également sur le Rhône ou le canal du Midi pour arriver dans le Sud-Est.
34Les mobilités des musiciens recouvrent à peu près les mêmes espaces en 1770-1790, période qui connaît néanmoins un ralentissement des flux. Le Sud-Ouest et le Nord-Est suscitent toujours des circulations, alors que les échanges avec Paris se renforcent encore par rapport à la tranche chronologique précédente. L’effondrement des flux après 1790 nous paraît à imputer à l’effet de sources. Bien que la Révolution ait brisé beaucoup de carrières de musiciens d’Église, il nous semble improbable qu’elle ait enrayé les mobilités des praticiens. Le moment particulier des bouleversements révolutionnaires suscite au contraire un nombre non négligeable de déplacements en même temps qu’il bouscule les situations professionnelles. Nous nous souvenons des Hill, famille avignonnaise dont une partie des membres quitte la cité pontificale pour Marseille en 179162. Quoi qu’il en soit, les liens musicaux de la Provence et des États pontificaux outre-alpins avec Paris demeurent après 1790, comme ceux tissés entre le Languedoc et la vallée rhodanienne.
35Au niveau des circulations régionales, nous constatons un maillage dense de flux qui quadrillent la Haute-Provence, Avignon et le Comtat Venaissin. Ces flux s’intensifient et se renforcent au fur et à mesure, notamment entre les plus gros centres urbains que sont Marseille, Aix, Arles et Avignon. Incontestablement le trajet le plus emprunté par les musiciens de notre corpus, la route entre la capitale parlementaire et le port phocéen enregistre pas moins de 75 mobilités différentes au cours du XVIIIe siècle. Si des échanges musicaux existent bien entre la Haute-Provence et le reste de la région, ils se révèlent plutôt rares et moyennement développés comparés aux flux irriguant la Basse-Provence et les États du pape. L’état rudimentaire des voies de communication dans les montagnes explique grandement ce phénomène. Commencée sous le règne de Louis XV, la route des Alpes qui relie Marseille à Sisteron ne sera pleinement fonctionnelle qu’en 184063.
36Les circulations musiciennes de Provence et des États pontificaux rhodaniens connaissent enfin une courbe ascendante jusque vers 1770. Accélérées à la faveur du développement routier des années 1730-1750, ces mobilités subissent ensuite un reflux dans le dernier tiers du siècle, peut-être parce que les musiciens choisissent d’adopter en plus grand nombre un mode de vie sédentaire. En parallèle de cette diachronie se remarque aussi un élargissement des déplacements au fil de la période. Bien que se concentrant toujours beaucoup sur le Sud-Est, ces derniers se ramifient progressivement à travers une grande partie de la France, spécifiquement Paris, le Sud- Ouest et l’Est. Ce désenclavement géographique confirme l’insertion musicale de nos provinces dans le réseau national. De national, ce réseau devient européen et même mondial lorsque des musiciens traversent l’océan Atlantique pour se rendre à Saint-Domingue.
Usages professionnels et conséquences sociales de la mobilité
37Les circulations musiciennes ne se limitent pas à de simples déplacements spatiaux. Au-delà des motivations personnelles et des migrations contraintes, elles s’insèrent pleinement dans la panoplie des stratégies professionnelles des musiciens. Ces derniers se servent de la mobilité comme ressource au profit de leur métier. Cet usage n’est cependant pas sans conséquence sur leur image sociale, avec laquelle les musiciens doivent sans cesse composer lorsqu’ils migrent.
L’usage professionnel des mobilités
38Circuler fait partie du métier de musicien. Lorsqu’elle est choisie, la mo- bilité rentre en effet souvent dans le cadre d’une pratique professionnelle. Elle diffère dans son nombre et ses modalités en fonction du domaine d’activité musicale étudié. Un musicien d’Église ne se déplace pas for- cément de la même manière que son confrère de théâtre, ni à la même fréquence. Le tableau suivant présente les taux de mobilité et d’enraci- nement de chaque catégorie de praticiens de notre zone géographique64.
Tableau n 10 : Sédentarité et mobilité chez les musiciens par domaine d’activité en Provence et dans les États pontificaux rhodaniens au XVIIIe siècle

39D’un point de vue général, la mobilité l’emporte très largement sur la sédentarité. Les musiciens nomades sont plus nombreux que leurs collègues sédentaires dans six domaines d’activité sur sept. À l’inverse, les sédentaires dominent uniquement parmi les praticiens au service des municipalités.
40Avec 74 % de praticiens qui circulent d’une ville à l’autre au moins une fois dans leur carrière, les musiciens d’Église forment une catégorie musicale résolument mobile. De fait, un musicien de ce type passe rarement la totalité de son existence sous les voûtes d’un seul sanctuaire. L’itinérance constitue un trait dominant de sa profession65. Cette catégorie de musiciens « vicarie » souvent, c’est-à-dire papillonne d’église en église en louant ses talents aux chanoines sur un temps plus ou moins long. Cette période d’activité musicale en un lieu varie d’une poignée de jours à plusieurs années, en passant par quelques mois66. Sylvie Granger établit la durée moyenne de service à quatre ans et neuf mois chez les musiciens de la collégiale Saint-Pierre du Mans67. À Arles, pas moins de 71 % des praticiens de Saint-Trophime ne font que passer temporairement à la cathédrale avant de repartir vers de nouveaux cieux. Les comptes d’administration et les registres capitulaires mentionnent de temps à autre des gyrovagues qui ne restent que pendant un office ou deux et reçoivent une obole de la part des chanoines. En 1771, le chapitre métropolitain d’Avignon paie une « aumône » de 6 livres et 14 sols à sept « musiciens passants68 ». Il existe en outre des disparités de circulations en fonction de la place occupée. Les organistes tendent à demeurer plus longtemps en poste que les choristes ou les instrumentistes. Ainsi, Marc Antoine Lapierre touche les claviers de la cathédrale de Cavaillon de 1759 jusqu’à la Révolution69. Cette relative stabilité des joueurs d’orgues se rencontre à l’échelle du royaume de France tout entier70. Elle s’explique notamment par le lien affectif qui peut se tisser entre le musicien et son monumental instrument. Cette relation symbiotique s’installe d’autant plus facilement que l’homme entretient et nettoie fréquemment son outil de travail71. Les organistes ne sont « que » 68 % à être mobiles. Par comparaison, 81 % des chantres de notre échantillon et 85 % des maîtres de musique circulent d’une cité à l’autre une ou plusieurs fois durant leur carrière. Aussi mobiles que leurs voix, ils n’ont aucun mal à se déplacer ailleurs et se révèlent fort prompts à user de leurs jambes pour ce faire. Les praticiens d’Église se servent de cette itinérance afin d’accumuler de l’expérience professionnelle qu’ils valorisent ailleurs. Le sieur Merlin présente ainsi des attestations « de plusieurs églises dans lesquelles il a servi » pour se faire engager comme musicien à la cathédrale aixoise en 178772.
41La mobilité fait partie des stratégies pivots d’un autre groupe de professionnels de la musique en lien avec l’Église : les facteurs d’orgues. Comme les chanteurs et les instrumentistes, certains de ces fabricants vicarient de lieu en lieu afin de proposer leur service au sanctuaire local. Un « organiste passant » reçoit ainsi 45 sols à la cathédrale de Carpentras pour avoir travaillé à quelques tuyaux de l’orgue « pendant deux après-dîners » au début du siècle73. Les facteurs sillonnent périodiquement la région et vaquent souvent de chantier en chantier. L’Arlésien Antoine Gibert ne déclare-t-il pas au comité ecclésiastique que « les chapitres de la Provence, du Languedoc et du Dauphiné » lui donnent suffisamment d’ouvrage pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, entendant par là qu’il se déplace régulièrement à l’intérieur de ces trois provinces74 ? De même, une clause du contrat de Jean Eustache qui le lie aux chanoines de La Major de Marseille pour entretenir annuellement leur monumental instrument en 1709 stipule que s’il s’absente plus de six mois de la cité « pour construire ses orgues ailleurs », sa paie lui sera supprimée75. On le voit, les facteurs entreprennent parfois de longs voyages professionnels qui les retiennent longtemps sur un chantier loin de chez eux.
42Le nomadisme domine également parmi les rangs des musiciens militaires – 61 % de mobiles contre 39 % de sédentaires. Toutefois, la mobilité inhérente à l’armée avec les mouvements réguliers de troupes fait que ces circulations rentrent dans le cadre d’un service militaire ordinaire. Les musiciens au service du roi se contentent de suivre leurs régiments ou d’embarquer sur leurs vaisseaux au gré des ordres de l’intendance. Par conséquent, il ne nous semble pas réellement exister d’usage professionnel spécifique de la mobilité pour ces praticiens, dans le sens où cette dernière s’imbrique naturellement dans leurs obligations de soldats. Lorsque Joseph Magny, dit Lafleur, décède le 31 mai 1733 à Saint-Marc, sur l’île de Saint-Domingue, il se trouve en garnison « dans la compagnie de monsieur Savardy » en qualité de soldat-tambour76. À peine cinq mois auparavant, il était toujours à Toulon, sa cité natale, où il battait la caisse au sein des gardes de la Marine77. Comme la majorité de ses confrères musiciens militaires, Lafleur n’a probablement pas choisi son affectation.
43À l’instar des musiciens de l’armée, ceux de théâtre exercent une mobilité le plus souvent collective qui se pratique aussi au sein d’une troupe. En proportion identique dans ce groupe de praticiens (61 % aussi), la propension à la circulation est cette fois-ci fréquemment volontaire et s’inscrit dans une véritable stratégie professionnelle. Les compagnies théâtrales auxquelles appartiennent ces musiciens se lancent en effet régulièrement dans des tournées afin d’augmenter leurs recettes dans un contexte où bon nombre de troupes sont encore itinérantes. En se déplaçant, les musiciens théâtraux et leurs compagnies élargissent leur champ d’action professionnel à une zone géographique plus grande que leur ville d’origine. Ils profitent notamment de l’absence de concurrence locale dans les lieux où ne se trouvent pas de salle de spectacle fixe pour s’y produire lucrativement. Ils comblent ainsi une demande artistique et musicale. Souvent régionale, leur circulation est organisée en tenant compte des conditions matérielles, climatiques et physiologiques du voyage – état du réseau routier, offre hôtelière, mauvais temps, fatigue inhérente au rythme du roulage, etc. – ainsi que de la période du déplacement – attractivité des foires qui permettent aux acteurs de se greffer sur un réseau d’échanges et de divertir des foules sur un temps spécifique78.
44Une logique similaire aux tournées des praticiens théâtraux régit les circulations des musiciens de rue, à une échelle encore supérieure. La totalité des 11 individus qui jouent de leurs instruments sur les places et dans les ruelles d’Avignon ou de Carpentras et dont nous connaissons le lieu de naissance arrive d’ailleurs, souvent de fort loin. Le symphoniste Nicolas Thomazo vient de Venise, Joseph Lule de Strasbourg, en compagnie de « sa troupe de musiciens allemands79 ». Les déplacements de cette catégorie de musiciens se réalisent fréquemment dans l’espace européen. Il s’agit, selon les mots d’Enzo Vinicio Alliegro, de « voyages d’exploration », dont les destinations ne sont pas prévues à l’avance mais décidées en cours de route au gré des circonstances, choix animés « par la capacité de suivre le connu et d’apprendre l’inconnu, c’est-à-dire de savoir découvrir des itinéraires toujours nouveaux80 ». Lorsqu’en 1766, le violoniste avignonnais Joseph Jean Baptiste Hill signe un accord avec le danseur de corde itinérant Jacop Sanders pour intégrer sa troupe pendant un an, la convention précise qu’il suivra cette dernière « dans toutes les villes et royaumes que le dit sieur Sanders ira pour y faire ses équilibres81 ». L’itinéraire n’est pas fixé en amont, mais l’artiste prévoit bien une mobilité internationale ainsi que des étapes nombreuses et lointaines. De fait, la musique de rue entraîne des déplacements continus, probablement plus que pour le reste des faiseurs de notes. Pour un musicien de rue, la décision de quitter un endroit ou d’y demeurer dépend de nombreux facteurs comme l’attitude des autorités, les ordonnances de la police municipale, la réaction positive ou négative de la population devant sa prestation, l’ampleur de la concurrence, les conditions atmosphériques favorables ou défavorables, ou encore l’exigence de renouveler le public afin de mieux gagner sa vie82. Loin d’être des vagabonds errants sans attaches, les musiciens de rue possèdent généralement des familles qu’ils ont laissées dans leur ville ou village d’origine et qu’ils retournent voir périodiquement, à la fois pour leur rapporter de l’argent et pour vérifier l’état de leurs biens, en plus de profiter de la chaleur humaine. Leur mobilité sert ainsi à nourrir leur foyer, qu’ils ne perdent jamais de vue. Ils peuvent ensuite investir leurs gains dans leur communauté et y engranger de la respectabilité sociale grâce à la musique, à l’image des musiciens itinérants de Viggiano, petite bourgade du sud de l’Italie, qui font graver leurs instruments sur les portes de leurs maisons83. En ce sens, et paradoxalement, la mobilité favorise et renforce la stabilité des musiciens de rue, qui s’enracinent et s’enrichissent chez eux par le fruit de leurs circulations. Il s’agit d’un phénomène semblable à la « culture de l’itinérance » des colporteurs alpins, qui ont, eux aussi, un feu et un lieu à entretenir. Dévalorisés et marginalisés au plat pays, ces marchands ambulants sont à l’inverse les plus riches habitants de leurs villages de montagne, où ils affichent également des signes distinctifs de leur errance voyageuse sur eux ou dans leur demeure – ils portent des parures exotiques et importent les modèles architecturaux des pays dans lesquels ils commercent84.
45Juste après les musiciens de rue, ce sont les musiciens académiques qui circulent proportionnellement le plus. 77 % d’entre eux bougent au cours du siècle. Leur mobilité est évidemment conditionnée par l’existence, ou non, d’une académie de musique en une ville donnée. La fréquence accrue des migrations musiciennes académiques s’explique ainsi en partie par la durée de vie souvent éphémère des Concerts. La faillite d’une institution rejaillit directement sur ses employés musicaux qui, s’ils veulent continuer à exercer la même profession, partent ailleurs. En 1776, par exemple, la chanteuse Meillas quitte Avignon, dont le Concert menace de cesser ses activités, pour se rendre à Turin85. À l’inverse, l’inauguration d’une nouvelle académie a des chances d’attirer des musiciens dans une cité.
46En revanche, les musiciens municipaux tendent à être plutôt stables géographiquement. Plus de la moitié de ces musiciens demeurent dans une seule ville pendant leur carrière. Rien de réellement surprenant à cela. Le service musical régulier d’une communauté pousse à s’y enraciner du fait des liens qui en résultent, surtout lorsque le musicien est symboliquement associé au pouvoir municipal. Les trompettes, surtout, qui représentent l’autorité publique, se sédentarisent plus facilement. Ils fondent de véritables dynasties qui se transmettent leur charge de génération en génération, parfois sur plusieurs siècles. Les 44 % de musiciens communaux mobiles se déplacent d’une façon intéressante. Beaucoup d’entre eux circulent en effet provisoirement sur une durée courte.
Les circulations occasionnelles
47Certaines circulations musiciennes ne sont que temporaires. Elles impliquent le séjour passager d’un musicien en un lieu donné à l’occasion d’une prestation musicale effectuée en dehors de sa ville de résidence. Une fois la prestation accomplie, le musicien ne s’attarde pas et regagne rapidement ses pénates, souvent au cours même de la journée. Cette circulation occasionnelle se différencie de la migration saisonnière, dans le sens où la seconde dure au moins quelques semaines alors que la première ne dépasse jamais une poignée de jours. Il s’agit d’un voyage limité dans le temps et dans l’espace qui rentre fréquemment – mais pas toujours – dans la catégorie des micromobilités. Les circulations occasionnelles offrent l’illustration parfaite d’un usage professionnel de la mobilité. La carte suivante détaille les aires de jeu couvertes par les circulations occasionnelles des musiciens de Provence et des États pontificaux rhodaniens au XVIIIe siècle. Elle répertorie uniquement les déplacements ponctuels des musiciens qui vont animer un bal ou une fête dans une communauté voisine avant de rentrer chez eux sitôt l’occasion musicale achevée.
Carte n 11 : Les circulations occasionnelles des musiciens de Provence et des États pontificaux rhodaniens au XVIIIe siècle

48Cette carte révèle une prépondérance de déplacements occasionnels courts. La plupart du temps, la distance parcourue par les musiciens n’excède pas les 25 kilomètres et beaucoup se cantonnent à un trajet d’une dizaine de kilomètres. Une fois encore, une ligne de fracture semble exister entre la Basse-Provence, Avignon et le Comtat Venaissin d’un côté, la Haute-Provence de l’autre. En ce qui concerne les circulations occasionnelles, ces deux ensembles spatiaux demeurent repliés sur eux-mêmes et ne communiquent pas. Le relief montagneux explique probablement cet état de fait. Lorsqu’il s’agit de se déplacer pour un ou deux jours, les musiciens privilégient majoritairement un espace proche et facilement accessible. Les États pontificaux et la Basse-Provence apparaissent comme des espaces musicaux bien connectés à la faveur d’un dense maillage urbain. Les musiciens les parcourent sans problème au gré des circonstances. Une majorité de circulations occasionnelles sont donc des micromobilités, quelle que soit la zone spatiale observée – par exemple de Mougins à Grasse, d’Aubignan à Carpentras ou de Tarascon à Arles. Les praticiens favorisent des déplacements de proximité qui ne nécessitent pas un trop long voyage. Le fifre Esprit Dauphin effectue ainsi régulièrement l’aller-retour entre L’Isle et Cavaillon afin d’animer des fêtes rémunérées par la municipalité cavaillonnaise au début des années 176086.
49Si ces circulations esquissent essentiellement un espace de mobilités musicales géographiquement restreintes, elles mettent également en exergue l’existence de centres à rayonnement plus large. Marseille ou Avignon envoient leurs musiciens plus loin que Grasse ou Carpentras. En 1729, cinq violonistes avignonnais se rendent à la cathédrale de Montpellier pour solenniser une grande célébration sous les voûtes, tandis que 22 ans plus tard, des chanteurs de l’académie phocéenne partent se joindre au Te Deum entonné à Avignon en l’honneur de la naissance du duc de Bourgogne87. Ce mélange entre circulations de proximité et cités à amplitude musicale plus étendue est aussi relevé par Lluís Bertran dans la région de Barcelone. L’espace catalan se structure en effet musicalement autour d’un réseau dense d’institutions religieuses dont les musiciens couvrent la totalité du territoire par leurs mobilités occasionnelles88. Ce phénomène d’imbrication territoriale en chaîne des circulations occasionnelles se retrouve clairement en Basse-Provence et dans les États enclavés de l’Église : il est repérable au premier coup d’œil sur la carte.
50À la manière des comédiens et de leurs tournées théâtrales, les musiciens élargissent grâce aux déplacements occasionnels leur aire de jeu au-delà des remparts de leur lieu d’habitation et accèdent, ce faisant, à de nouveaux marchés. Cet élargissement de leur champ d’action est explicitement prévu dans les clauses de certains contrats d’association. Les 23 individus qui forment une société de musique en 1722 jouent ainsi du violon et du hautbois à Avignon, dans « son terroir » et à Villeneuve-lès-Avignon89. On le voit, les musiciens englobent le périurbain dans leurs pratiques professionnelles. Ils participent de ce fait aux échanges entre la ville et son territoire ainsi qu’à la domination et au contrôle de la première sur le second. En se servant de la mobilité occasionnelle comme d’une ressource professionnelle, les musiciens compensent en outre une éventuelle rareté des embauches musicales. Beaucoup de praticiens repérés temporairement dans les villes de notre corpus pour animer une célébration proviennent en effet de petits villages qui ne disposent vraisemblablement que d’une offre musicale institutionnelle réduite à l’église et à la municipalité, qu’il s’agisse de hameaux languedociens, dauphinois, comtadins ou provençaux. Il est à parier que, pour les musiciens de ces communautés, les circulations occasionnelles revêtent un aspect vital s’ils veulent se nourrir grâce à leur art. Se rendre dans les localités voisines permet ainsi de compléter son éventail d’engagements et de vivre plus efficacement de la musique. Les destinations occasionnelles préférentielles de ces praticiens ruraux dessinent des profils de pôles urbains attractifs qui drainent régulièrement les talents musicaux des alentours lors de leurs fêtes municipales ou religieuses : Vaison, Carpentras et Cavaillon dans le Comtat Venaissin, Salon et Arles en Provence.
51À l’inverse, les musiciens des grands centres urbains partent renforcer les effectifs musicaux des petites communautés lorsque le besoin s’en fait sentir. À l’occasion de fêtes extraordinaires, les musiciens d’Église se déplacent dans les sanctuaires qui ne disposent pas d’un personnel suffisant afin de marquer la somptuosité du moment. Les habitants de Sérignan demandent ainsi à la cathédrale carpentrassienne leur maître de chapelle et deux enfants de chœur « pour une musique extraordinaire qu’ils doivent avoir pour la bénédiction de leur église » en 176490. Il peut également s’agir d’étoffer une cérémonie privée, à l’image de celle qu’organise à Tarascon un membre de la famille de Sade pour l’enterrement d’un franc-maçon en 1788. Ces funérailles rassemblent une quarantaine de musiciens, dont certains venus de Nîmes et d’Avignon91. Les municipalités, surtout, font fréquemment appel à des musiciens extérieurs surnuméraires afin de marquer l’éclat des réjouissances publiques extraordinaires. À Caromb, la célébration patronale de la Saint-Maurice attire chaque année les meilleures bandes de musiciens des alentours aux XVIIe et XVIIIe siècles. Nous y retrouvons des têtes connues, comme les frères avignonnais Pilat, qui y mènent une troupe d’instrumentistes à vent en 1770, ou encore celle de Jean-Paul Boireau, chef de la bande de violons et de hautbois de Carpentras 60 ans auparavant92. Comme le remarque Jean-François Heintzen pour les ménétriers du centre de la France, l’étendue de l’aire de jeu de ces musiciens qui se produisent périodiquement au-delà de leur cité révèle aussi la renommée musicale régionale de certains d’entre eux93.
52Pour les municipalités, le recours à des musiciens extérieurs à la communauté donne lieu à une organisation matérielle minutieuse. Il faut tout d’abord envoyer un émissaire les recruter, à l’instar du sieur Simon, qui reçoit 13 livres et 15 sols en 1729 « pour les frais de son voyage à Avignon afin de faire venir des musiciens » sur ordre des consuls d’Arles lors de la célébration de la naissance du Dauphin94. Cet envoyé édilitaire négocie les termes de l’engagement auprès des praticiens, notamment la délicate question du salaire. Les discussions n’aboutissent pas toujours à un consensus. En 1781, par exemple, le messager de la municipalité de Salon effectue un voyage jusqu’à Avignon « afin de faire le prix avec les musiciens, et de là à Cavaillon, n’ayant pas été d’accord avec ceux d’Avignon95 ». On le voit, les musiciens de la cité pontificale monnaient âprement leurs talents et ne sont pas prêts à effectuer un déplacement s’ils ne s’estiment pas rémunérés à leur juste valeur. Outre le salaire, les praticiens jouissent d’intéressants avantages en nature qui rentrent probablement en ligne de compte dans les négociations. La plupart du temps, la communauté qui les emploie prend en charge leurs frais de transport, leur logement et leur nourriture. Lorsque l’occasion s’étale sur plusieurs jours, les musiciens ont le choix d’effectuer des allers-retours quotidiens ou de s’épargner de la fatigue en dormant sur place. Ils louent des chevaux dans le premier cas et logent à l’auberge dans le second. La municipalité de Cavaillon rembourse ainsi six journées équestres à l’Avignonnais Arnaud et à sa bande de trompettes et de timbales en 1761, pendant que des violonistes carpentrassiens dorment à l’auberge de Saint-Martin, à L’Isle, la même année96.
53Ouverture de nouvelles opportunités pour les musiciens des grands centres urbains, manne financière bienvenue pour ceux des petites villes et des villages, renfort non négligeable des effectifs musicaux pour les employeurs, les circulations occasionnelles arrangent tous les acteurs concernés. Les musiciens se servent de la mobilité en général comme d’une véritable ressource qui fait partie de leurs stratégies professionnelles. Son usage est cependant à double tranchant, car il peut également avoir des conséquences fâcheuses sur l’image sociale des musiciens.
L’impact social de la mobilité sur les musiciens
54La mobilité n’a pas que des avantages pour ses pratiquants. Outre l’éventuel déracinement et les désagréments relatifs aux conditions de voyage, migrer a un coût social. En effet, dans une société française d’Ancien Régime où les autorités valorisent et encouragent la sédentarité afin de mieux encadrer les populations, la mobilité apparaît parfois suspecte et l’étranger équivoque. Elle provoque par conséquent des procédures de contrôle et d’identification mises en place par l’État monarchique, soucieux de préserver la tranquillité et l’ordre public. Condition partagée par une grande partie des individus, la mobilité n’entraîne toutefois pas un rejet systématique. La suspicieuse situation d’extranéité ne s’acquiert que dans le cas où la circulation se soustrait au contrôle et à l’ordre instaurés par les instances régulatrices, qu’elles soient politiques, juridiques ou professionnelles – État, structures corporatives, etc.97 En particulier, la mobilité spatiale devient inquiétante lorsqu’elle brouille les jeux et les pistes de l’identité sociale. L’incertitude du statut de celui qui vient d’ailleurs engendre une inquiétude à son égard, surtout s’il appartient visiblement à une couche sociale peu élevée. La figure obsédante du vagabond errant et dangereux hante continuellement les représentations modernes de l’itinérance.
55Lorsqu’ils se déplacent, les musiciens doivent soigneusement prendre garde à s’extirper de cette image dévalorisante qui colle à la peau de certains migrants. La tâche peut se révéler moins facile qu’il n’y paraît. La réputation négative attachée à la profession de musicien est partiellement due à sa mobilité, qui cristallise un pan de sa différence avec le reste de la population. Déjà au Moyen Âge, le nomadisme des jongleurs desservait grandement leur renom. Très mal perçus car assimilés à des vagabonds, ils se situaient tout en bas de l’échelle sociale et subissaient de nombreuses brimades98. Cette situation ne se limite pas à l’Europe. Dans le Japon médiéval des XIIe et XIIIe siècles, de nombreux itinérants vus comme des marginaux exercent le métier de musicien errant99. Cette image évolue lentement au cours de l’époque moderne, mais persiste encore çà et là, notamment pour les musiciens de rue. De fait, au Mans, certains contrats de mariage de praticiens comportent une clause exceptionnelle qui prévoit un déménagement ultérieur des conjoints en spécifiant que leur communauté doit demeurer régie par la coutume du Maine où que soit leur domicile futur. Rare dans ce type d’acte notarié, cette condition révèle le fond de méfiance qui subsiste vis-à-vis du musicien ; son activité est toujours considérée comme instable100.
56Le paradoxe de la mobilité réside dans le fait qu’elle renforce les pratiques professionnelles des musiciens tout en risquant de fragiliser leur identité sociale. L’ampleur des circulations observées tout au long du siècle montre néanmoins que le calcul est vite effectué pour les musiciens. Les avantages personnels et professionnels tirés de la mobilité surpassent vraisemblablement les inconvénients sociaux des déplacements. Il convient en outre de conserver à l’esprit que, pour un certain nombre de musiciens, la mobilité ne relève pas d’un choix délibéré, mais d’une contrainte résultant de la recherche d’un employeur stable, de la quête d’une vie sédentaire ou d’un désir de promotion sociale101. Face à cela, quelles stratégies les musiciens mettent-ils en place afin de contrer ou d’atténuer l’impact social négatif de leur mobilité ?
57Beaucoup prennent leurs précautions et anticipent le problème en amont. Les musiciens de rue veillent à se munir d’une copie écrite de la permission qu’ils obtiennent des pouvoirs publics de se produire en plein air au moment de prendre leur instrument102. Ils peuvent ainsi l’exhiber en cas de besoin – une friction avec les habitants du quartier, par exemple. Ils prouvent par-là qu’ils jouent le jeu de l’identification et qu’ils insèrent leur mobilité dans la légalité, désarmant par avance les éventuelles critiques de mendicité et de vagabondage qui pourraient leur être décochées. Cet usage est à mettre en parallèle avec les pratiques des troupes de théâtre ambulantes. Ces dernières demandent des privilèges royaux, municipaux ou privés pour circuler et jouer en une province ou un endroit donné dans une logique de prévention similaire103.
58De leur côté, les musiciens d’Église demandent souvent des certificats d’attestation de service et de bonnes mœurs à leur chapitre au moment de prendre congé. C’est le cas du maître de chapelle Jacques Gautier, qui, lorsqu’il quitte la cathédrale de Vaison en 1752, obtient un certificat attestant qu’il est « bon joueur de basse » et « bon musicien104 ». Ces lettres de recommandation permettent aux praticiens d’apaiser d’hypothétiques soupçons de la part des chanoines du lieu où ils comptent postuler, surtout si ce lieu se trouve dans une région lointaine. Le chapitre de la cathédrale d’Aix, par exemple, refuse catégoriquement d’accepter un musicien à la table commune tant qu’il ne fournit pas un certificat de vie et de mœurs105. L’attestation remplit une double fonction. D’une part, elle légitime les déplacements du musicien en prouvant au regard des autorités qu’il n’est pas un vagabond ; d’autre part, elle détermine sa réputation auprès de ses futurs employeurs en lui tenant lieu de véritable curriculum vitae. Elle atteste alors à la fois des capacités professionnelles du musicien et de sa probité morale. Le certificat revêt du même coup un rôle important dans les mobilités musiciennes, dont il constitue un instrument de circulation essentiel. Loin de se limiter à l’Église, son usage s’étend à d’autres catégories de praticiens. Les musiciens aristocratiques se munissent ainsi fréquemment de lettres de recommandation afin d’entrer au service d’une maison nobiliaire, tout comme ceux qui se déplacent dans les cours d’Europe106.
59Une autre manière de conjurer l’effet social négatif de la mobilité consiste, bien entendu, à s’ancrer durablement en une ville. L’habitude quotidienne de la cohabitation aplanit progressivement les préjugés. Pour s’intégrer, rien de tel qu’un bon mariage sur place. Certains musiciens venus d’ailleurs choisissent effectivement d’épouser une fille locale afin de renforcer leur implantation urbaine. Les musiciens étrangers, en particulier, ont tout intérêt à tisser de tels liens matrimoniaux pour atténuer leur extranéité. Conscients de ce fait, ils ne s’en privent pas, tel le luthier tridentin Domenico Della Maria qui convole en 1766 avec une fille de portefaix marseillais, Marguerite Madeleine Bertrand107. Cette tendance au mariage mixte concerne les étrangers qui résident dans la cité phocéenne en 1793108. Il s’agit d’un phénomène d’intégration très classique. Cette volonté d’assimilation peut en outre se prolonger dans l’autofrancisation volontaire de son propre nom. Après avoir signé « Dominico Delamaria » à ses noces en 1766, notre fabricant d’instruments paraphe « Dominiqe [sic] Dellamarie » au bas du baptême de son fils trois ans plus tard109. Son collègue napolitain faiseur de mandolines Pietro Lippi, qui est le parrain du petit Della Maria et trace bien « Pietro » à ce moment-là, va plus loin encore. Non content de franciser son patronyme en « Pierre Lippi » moins d’une décennie après, il encourage sa propre fille à signer « Marie Lippi », alors même que le prêtre la désigne par le nom de « Maria Lippy110 ». Tout cela témoigne d’un processus d’acculturation du luthier et de sa famille. Ce processus s’achève couronné de succès : à sa mort en février 1781, Pietro Lippi est bel et bien enseveli sous le prénom de Pierre111.
60Aspect essentiel du métier de musicien par la multiplicité des opportunités professionnelles qu’elle offre aux praticiens, la mobilité présente aussi une certaine ambivalence en risquant d’impacter défavorablement leur image sociale. L’enjeu des musiciens en mouvement est donc de profiter des avantages de la migration tout en évitant de passer pour d’instables errants, représentation dévastatrice pour leur réputation. La soumission de la mobilité au contrôle légal des autorités, l’utilisation de certificats de service et de mœurs et l’intégration par des noces mixtes ou la francisation du patronyme sont autant de moyens pour parvenir à cette fin. En plus d’avoir des conséquences sociales sur les individus qui la pratiquent, la mobilité a également des répercussions sur les espaces musicaux sur lesquels elle s’étend.
Les espaces musicaux et leurs mutations
61Les territoires que parcourent les musiciens au siècle des Lumières ne sont pas neutres. Produits par des pratiques et des mobilités, ils forment des espaces musicaux qui interagissent constamment avec les circulations musiciennes. La Provence et les États pontificaux rhodaniens attirent différemment les musiciens selon le territoire observé. Rétrospectivement, cette cartographie musicale est elle- même mouvante et se voit influencée par les flux de musiciens autant qu’elle les façonne.
L’attractivité musicale des territoires
62Étudier les mobilités musiciennes nous renseigne non seulement sur les hommes, mais aussi sur les territoires qu’ils arpentent. Divers profils urbains émergent des circuits de circulation, selon qu’ils soient attractifs ou répulsifs. Certaines villes se révèlent particulièrement intéressantes pour les musiciens qui y affluent en masse, alors que d’autres sont plutôt des impasses qui connaissent une hémorragie musicale. L’objectif est de dégager ici une vue d’ensemble des espaces musicaux provençaux et comtadins au XVIIIe siècle à travers le prisme des arrivées et des départs des praticiens pour chaque cité. Nous avons recensé 988 mobilités différentes, qui prennent en compte toutes les fois où un individu se rend dans une ville ou la quitte, qu’il s’agisse d’un établissement – provisoire ou définitif – ou d’une circulation occasionnelle dans le cadre d’une prestation professionnelle.
63En schématisant grossièrement, dans les plus grands centres urbains, les arrivées de praticiens sont supérieures aux départs, tandis que les musiciens partent plus souvent qu’ils n’arrivent au sein des petites villes de moins de 5000 âmes. Les grosses cités de Basse- Provence semblent plus attractives que leurs modestes homologues de Haute-Provence et des États pontificaux, Avignon excepté. Ce résultat global n’a, bien sûr, rien de surprenant. En sus du facteur démographique – qui joue indubitablement un rôle : plus d’habitants, cela signifie aussi plus de clientèle potentielle –, il nous paraît surtout relier à l’offre musicale institutionnelle de chaque ville. Une offre fournie et diversifiée – église, théâtre, académie, etc. – favorise la venue de musiciens extérieurs, alors qu’un marché musical étroit avec peu de postes et d’opportunités incite au contraire à la migration lorsque ce même marché parvient à saturation. L’offre institutionnelle explique par exemple que le solde migratoire de Carpentras soit légèrement positif : la capitale comtadine possède un Concert jusqu’au milieu du siècle.
64Au contraire, les petites communautés dont la vie musicale se limite à l’église et à la municipalité voient plus facilement leurs musiciens partir vers d’autres cieux – ainsi de Digne, de Sisteron ou de Forcalquier. Cette catégorie de territoires n’exerce qu’une attraction musicale limitée qui ne s’étend souvent guère au-delà de la région proche. Le musicien d’Apt qui arrive du plus loin vient par exemple de Gap, à une centaine de kilomètres. De même, le rayon des zones d’attraction de L’Isle, de Cavaillon et de Digne ne dépasse pas les 36 kilomètres – les musiciens qui parcourent le plus de distance pour s’y rendre arrivent respectivement de Vaison, Arles et Riez. En outre, l’examen attentif des identités de ces immigrants révèle qu’il s’agit principalement de retours au pays de personnes nées sur place ou dans le diocèse. En somme, ces territoires ressemblent à de véritables isolats repliés musicalement sur eux-mêmes et au solde migratoire déficitaire. Leur aire d’attraction se limite à l’échelle locale. Ne s’y épanouissent la plupart du temps que des musiciens du cru. Ceux-ci forment des dynasties qui accaparent l’animation musicale à travers les générations. La prévalence des microdéplacements dans une aire restreinte caractérise par ailleurs les circulations globales de la Provence rurale tous déplacements confondus au XVIIIe siècle112. Les auras musicales des isolats se placent dans des attractivités urbaines déjà limitées.
65De leur côté, les cités attractives au solde migratoire positif insèrent les circulations de leurs praticiens dans des réseaux nationaux et européens. Leurs zones d’attractivité se hissent à l’échelle française et internationale, avec des musiciens arrivant pour les plus lointains de Lisbonne (à Marseille), du Portugal (à Aix), de Naples (à Avignon), de Malte (à Toulon), du diocèse de Cambrai (à Arles), de Bois-Normand (à Grasse) et de Rouen (à Carpentras). Ces cités se décomposent elles- mêmes en plusieurs types. Il y a tout d’abord les villes rêvées, celles où les musiciens cherchent idéalement à s’établir pour profiter d’une vie professionnelle stable. Avec 65 % d’arrivées contre 35 % de départs chacune, Marseille et Aix semblent parfaitement correspondre à ce profil. La renommée de leurs institutions n’y est pas étrangère. Les cathédrales Saint-Sauveur et La Major constituent de brillants centres musicaux avec l’abbaye de Saint-Victor, alors que les théâtres et les académies de musique offrent des places prestigieuses et bien rémunérées en leurs orchestres, sans compter la multitude de tribunes d’orgues disponibles dans le port phocéen. Arles rentre également dans cette catégorie, comme en témoigne son solde migratoire positif jusqu’au milieu du siècle. L’attractivité de la cité camarguaise décline ensuite, ce qui est à relier avec sa stagnation démographique au siècle des Lumières – au contraire de Marseille qui, elle, croît continuellement113.
66À côté de ces villes rêvées se trouvent des cités-étapes que nous pourrions qualifier d’espaces de transition. Il s’agit de lieux où les musiciens se rendent mais sans s’attarder dans l’idée d’y faire carrière, que ce soit pour se former ou pour occuper un premier poste qui servira plus tard de tremplin en vue d’obtenir une place plus lucrative et prestigieuse114. Ils partent ensuite après quelques mois ou années. Ces villes sont des endroits de formation et de début de carrière pour les musiciens débutants. Avignon, Grasse et Carpentras illustrent ce genre de configuration. Avec ses quatre maîtrises capitulaires, Avignon élève de nombreux enfants de chœur à la musique. Nous avons également vu que la cité pontificale draine une multitude d’aspirants musiciens venus y apprendre les rudiments du métier depuis les communautés et les provinces voisines115. Une fois leur formation achevée, ces musiciens rentrent souvent chez eux ou partent tenter leur chance ailleurs. C’est le cas du haute-contre Claude Julien, ancien enfant de chœur de la collégiale Saint-Didier, qui choisit en 1766 d’aller se placer à Béziers car il estime que ses appointements ne sont pas assez élevés à Avignon116. De son côté, Grasse représente l’un des épicentres musicaux de la Provence orientale. Sa cathédrale permet aux musiciens des environs d’acquérir de l’expérience avant de migrer vers l’ouest en direction d’Arles ou de Marseille. Enfin, Carpentras se révèle parfaite pour une première étape de carrière des musiciens comtadins.
67L’attractivité musicale des territoires ne peut cependant se réduire à une simple corrélation entre importance démographique et offre institutionnelle, et où les plus grands centres urbains se tailleraient la part du lion au sommet de la hiérarchie spatiale grâce au rang de leurs institutions. Vence et surtout Vaison en fournissent l’éclatante démonstration. Voici deux petites villes qui, contrairement à leurs consœurs de taille comparable, ne sont pas des isolats musicaux. Elles ont un bassin de recrutement bien plus large que la seule région. Le lieu de départ de migration le plus lointain en direction de Vence est Mandagout, dans le Languedoc ; celui vers Vaison est Vorges, village situé en Picardie à 750 kilomètres de distance ! Le solde migratoire de ces deux cités est également positif, avec un nombre d’arrivées qui excède celui des départs. Vence et Vaison se rapprochent par leurs caractéristiques des villes attractives transitoires. Leur vitalité musicale réside clairement dans leurs cathédrales. À l’instar de celle de Grasse, l’église de Vence anime la Provence orientale et en constitue l’un des centres musicaux, tandis que Notre-Dame-de- Nazareth de Vaison abrite une chapelle musicale à l’aura visiblement considérable. L’ancienneté de la cathédrale vaisonnaise, dont l’évêché a été fondé au ive siècle, joue peut-être un rôle dans son honorabilité et son prestige musical. Vence et Vaison attestent de l’attractivité que peuvent exercer de petits centres urbains sur lesquels nous n’aurions pas, a priori, parié.
68Villes attractives, villes répulsives ; cités rêvées, de transition ou de formation ; isolats musicaux : les territoires provençaux et pontificaux dessinent une typologie des espaces musicaux complexe et diversifiée que mettent en lumière les mobilités de musiciens. Pas toujours liée au paramètre démographique, l’attractivité musicale dépend de multiples facteurs – offre institutionnelle, situation géographique, etc. – qui ne sont pas faciles à démêler. Une même ville peut en outre cumuler plusieurs profils musicaux. Marseille constitue ainsi à la fois une destination idéale rêvée et une cité de formation pour les organistes. Pas moins de cinq joueurs d’orgues différents s’y rendent provisoirement depuis les cathédrales d’Aix, de Grasse et de Vence afin de perfectionner leur aptitude aux claviers entre 1727 et 1759. Barthélémy Lazare Rampal part par exemple de Saint-Sauveur prendre des leçons auprès du virtuose phocéen Pierre Benoît Peyre pendant 18 mois de janvier 1758 à Pâques 1759117. Forgeant les pratiques musiciennes par ses différences d’attractivité, la typologie musicale des territoires est aussi en retour pleinement influencée par les circulations des musiciens.
L’influence des circulations musiciennes sur l’articulation des territoires
69À l’instar des institutions qu’ils servent, les musiciens jouent en tant qu’individus un rôle important dans l’articulation musicale des territoires. Ils participent à l’essor de la communication qui caractérise l’Europe des Lumières en connectant des espaces et des sphères sociales différentes. Ce sont des passeurs qui, par leur mobilité, mettent en relation des gens et des milieux auparavant séparés118. Les circulations des musiciens d’Église vers et depuis les cathédrales de Grasse ou de Vence désenclavent ainsi la Haute-Provence orientale en l’insérant dans le réseau musical du sud-est de la France. La région est connectée aussi bien à la Basse-Provence, au comté de Nice et à l’Italie qu’aux États du pape et au Languedoc. Les migrations musiciennes revêtent ici un aspect positif de dynamisation des territoires. De la même manière, la mise en place d’une filière de circulation profite à l’institution musicale concernée. L’arrivée d’individus dans le sillage de pionniers représente en effet un réservoir appréciable de candidats qui permet aux employeurs de combler sans trop d’efforts d’éventuelles vacances de poste. En ce sens, la mobilité vivifie l’espace musical qu’elle irrigue. Elle donne lieu à un cercle vertueux grâce aux réseaux relationnels : le succès de l’installation d’un premier musicien dans une ville encourage un deuxième musicien à le suivre et à faire de même, qui à son tour incite un troisième à venir et ainsi de suite. Le flux s’alimente et grandit, fortifiant au passage l’attractivité musicale du territoire.
70Les académies de musique illustrent bien ce phénomène. La fondation de l’un de ces établissements entraîne des déplacements de musiciens en créant un pôle attractif. Non seulement la ville où se trouve l’académie profite de cet afflux de praticiens, mais les circulations en elles-mêmes consolident le nouveau Concert et participent à sa pérennisation en fournissant des musiciens à ses pupitres. Apprenant l’ouverture de l’académie aixoise en 1756, le haute-contre Touchain, qui se trouve à Marseille, « exprime le souhait de s’engager » au Concert ; les sociétaires l’engagent à 1000 livres annuelles119. Inversement, la fermeture d’une académie redirige les flux musiciens vers d’autres Concerts à l’avantage des territoires où ils se situent. Lorsque l’académie d’Avignon cesse momentanément ses activités à Pâques 1774, sa première chanteuse essaie, sans succès, de s’engager à Aix pour une rémunération moindre120. Ces circulations interacadémies prennent place dans un climat de mise en concurrence entre les établissements dont les musiciens tirent financièrement profit. Ceux-ci n’hésitent pas à solliciter des Concerts parfois lointains afin d’obtenir un meilleur poste. En avril 1739, par exemple, les premières basses-tailles des académies de Marseille et de Toulon écrivent au Concert de Lille pour leur proposer leurs services121.
71Bien entendu, des arrivées sous-entendent des départs en amont. Si les mobilités musiciennes ont un impact positif sur les espaces et les institutions qu’elles irriguent, elles peuvent également modeler défavorablement la cartographie musicale de certains territoires. Lorsqu’un flux de migrants se tarit, une fois une filière épuisée ou lors de départs en masse de musiciens, voilà qu’intervient le risque d’un assèchement musical. Cet assèchement aboutit parfois àunedésertification préjudiciable aux institutions dont le personnel musical se réduit comme peau de chagrin. Loin de ne concerner que des villes-isolats, ce mouvement de désertification affecte périodiquement même les structures les plus prestigieuses. Le milieu du siècle, qui, comme nous l’avons constaté, connaît une intensification des circulations musiciennes, voit plusieurs églises parmi les plus connues subir des problèmes de recrutement. À la cathédrale d’Aix, les chanoines estiment que « le nombre des musiciens de l’église est trop petit » en 1752 ; plutôt que d’engager directement de nouveaux sujets, ils misent sur le long terme en augmentant le nombre d’enfants de chœur, peut-être parce que les candidats ne se bousculent pas au jubé122. Trois ans plus tôt, le bénéficier aixois Guigues s’inquiète dans une lettre à l’organiste Jean-Baptiste Vallière de multiples départs de musiciens de l’église d’Arles123. Cette hémorragie musicienne révèle en outre l’évolution du profil musical d’Arles, d’abord cité rêvée, puis espace de transition entre la Provence et le Languedoc.
72Les départs en masse de musiciens fragilisent musicalement les territoires quittés lorsque leur départ n’est pas compensé par l’arrivée d’autres musiciens. Cet effet de fragilisation se révèle dans certains cas encore plus dévastateur, lorsqu’il met en danger l’existence même d’institutions. Les mobilités musiciennes influencent ainsi directement la santé des académies de musique. Si elles les consolident indéniablement, elles peuvent aussi les mener à leur perte en mettant leur fonctionnement en péril par le départ de bons éléments. En 1762, la réputation de haute-contre d’Antoine Trial parvient aux oreilles du prince de Conti à Paris, qui décide de se l’attacher :
Aussitôt que Votre Altesse sérénissime m’eut fait connoître le dessein où elle étoit d’avoir le sieur Trial, musicien du concert d’Aix, j’écrivis à M. le duc de Villars [gouverneur de Provence, N.d.A.] pour qu’il lui ordonnât de se rendre icy. M. le duc de Villars me répondit sur la fin du mois d’avril que ce chanteur était la seule haute-contre qu’eût le concert, et qu’il tomberoit totalement si on la lui ôtoit sur-le-champ. Il me proposa en conséquence de différer son départ jusqu’à ce que le concert se fût pourvu d’un sujet pour le remplacer124.
73Le débauchage de Trial par le prince met le Concert aixois en difficulté. Il oblige l’institution à rechercher un autre haute-contre, chanteur considéré comme vital si l’établissement ne veut pas fermer ses portes. Heureusement pour eux, les sociétaires parviennent à dénicher un remplaçant à Trial, le sieur Pariseau, en septembre, ce qui sauve l’académie d’une dommageable carence125. Même si l’affirmation du duc de Villars concernant la faillite totale du Concert sans haute- contre paraît un peu exagérée, le défaut de musiciens talentueux partis ailleurs place réellement l’établissement dans une position délicate pour poursuivre correctement ses activités.
74Qu’elles soient stimulantes pour les espaces d’arrivées ou désespérantes pour les institutions des villes de départ, les circulations musiciennes ont un rôle essentiel dans l’articulation des territoires. Elles influent notamment sur l’attractivité musicale des lieux en contribuant à l’augmenter ou à la diminuer. Même si les grands points d’ancrage demeurent globalement statiques – villes attractives, espaces de transition, etc. –, la cartographie des espaces musicaux change subtilement en fonction des flux et des reflux des hommes.
75Motivés par des raisons très diverses, aussi bien personnelles que professionnelles, les musiciens de Provence et des États pontificaux rhodaniens se déplacent énormément au XVIIIe siècle, en toute liberté ou par pure contrainte. L’étude de leurs lieux de naissance et de leurs mobilités révèle des réseaux de circulation qui quadrillent non seulement le royaume de France, mais également l’Europe jusqu’à atteindre les Amériques. L’analyse diachronique des flux met en outre en lumière une intensification des circulations qui profite du développement du réseau routier du milieu de la période. Éminemment mobiles, les musiciens semblent toutefois plus nombreux à se sédentariser à partir de 1770, peut-être pour éviter le coût social d’une vie nomade.
76Loin de se limiter à un simple déplacement spatial, la mobilité a des conséquences concrètes sur l’existence des praticiens. Son usage rentre d’une part dans le cadre des stratégies professionnelles musiciennes. Elle renforce le métier en ouvrant aux individus de nouveaux marchés musicaux au-delà de leur cité d’attache, surtout par le biais des circulations occasionnelles. Dans le même temps, elle impacte aussi négativement l’identité sociale du musicien en risquant de dégrader son image par une assimilation à l’inquiétant groupe des vagabonds errants. Ce paradoxe fait de la mobilité une ressource à manier avec précaution.
77En plus de nous renseigner sur les hommes, les circulations dévoilent également l’articulation musicale des territoires. Interfaces de communication, la Provence et les États pontificaux transalpins s’intègrent dans un vaste réseau international qui connecte le Languedoc, le Dauphiné, l’Italie et les terres de la maison de Savoie. Au niveau infrarégional, les différences de profils urbains font émerger une typologie musicale des cités. Celles-ci se distinguent par des indices de nodalité et des fonctions variées. En filigrane se dessine une cartographie musicale mouvante influencée par les déplacements des musiciens et à partir de laquelle peut être esquissée une modélisation des mobilités. Depuis le voyage de formation auprès d’un maître réputé jusqu’à l’installation définitive en un poste rêvé, en passant par le gain d’expérience dans un lieu en vue d’un départ ultérieur et les déplacements occasionnels dans toute la province afin d’engranger d’appréciables revenus supplémentaires, chaque circulation représente finalement un palier dans la vie professionnelle d’un musicien. Étape par étape se construisent ainsi les carrières, au fil des mobilités.
Notes de bas de page
1 J. Lucassen, L. Lucassen (dir.), Migration, Migration History, History. Old Paradigms and New Perspectives, New York, Peter Lang, 1997.
2 La bibliographie est pléthorique à ce sujet. Voir, entre autres, Poitrineau, Remues d’hommes…, op. cit. ; D. Roche, Humeurs vagabondes : de la circulation des hommes et de l’utilité des voyages, Paris, Fayard, 2003 ; P.-Y. Beaurepaire, P. Pourchasse (dir.), Les circulations internationales en Europe (années 1680-années 1780), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010 ; G. Bertrand, « La place du voyage dans les sociétés européennes (XVIe-XVIIIe siècle) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 121-3, 2014, p. 7-26. Pour un bilan historiographique, voir M. Martini, « Migrations », dans C. Gauvard, J.-F. Sirinelli (dir.), Dictionnaire de l’historien, op. cit., p. 457-460.
3 A. Burkardt (dir.), Commerce, voyage et expérience religieuse (XVIe-XVIIIe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007 ; S. Jahan, E. Dion, Le Peuple de la forêt. Nomadisme ouvrier et identités dans la France du Centre-Ouest aux Temps Modernes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003 ; L. Fontaine, Histoire du colportage en Europe, XVe-XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 1993 ; C. Maitte, Les Chemins de verre. Les migrations des verriers d’Altare et de Venise (XVIe- XIXe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.
4 A. Gantez, L’Entretien des musiciens, Auxerre, chez Jacques Bouquet, 1643, p. 38.
5 M. Flonneau, V. Guigueno, « De l’histoire des transports à l’histoire de la mobilité ? Mise en perspective d’un champ », dans M. Flonneau, V. Guigueno (dir.), De l’histoire des transports à l’histoire de la mobilité ? État des lieux, enjeux et perspectives de recherche, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 13.
6 Il laisse à sa mort un ouvrage de dévotion, le Confiteor ; S. Gomis, « Le Confiteor de Georges Martin (1640-vers 1680). Le récit d’un prêtre-musicien entre parcours spirituel et itinéraire professionnel », dans Bisaro, Clément, Thoraval (dir.), La Circulation de la musique…, op. cit., p. 80-81.
7 AD 13, 6 G 442, 20 janvier 1700.
8 Ibid., 2 G 496, 3 mai 1765, 19 mai et 11 décembre 1770.
9 C. Meyer, « Lieux et destinations. Introduction », dans C. Meyer (dir.), Le musicien et ses voyages. Pratiques, réseaux et représentations, Berlin, Berliner Wissenschafts-Verlag, 2003, p. 93.
10 Élias, Mozart…, op. cit., p. 175-202 ; Gribenski, « Les voyages de Mozart… », art. cité, p. 181-187.
11 AD 13, 2 G 495, 16 mai 1748 ; AD 84, 6 G 138, 26 février 1751.
12 AD 13, 6 G 442, 11 septembre 1715 ; 2 G 495, 28 mars et 5 avril 1741.
13 AD 84, 6 G 139, 7 avril 1766.
14 C. Meyer, « Motifs. Introduction », dans Meyer (dir.), Le musicien et ses voyages…, op. cit., p. 5.
15 BM Aix-en-Provence, ms. 1633 (1498), 4 mars 1791.
16 BM Carpentras, ms. 1441, 15 octobre 1768. Legier avait déjà été congédié par le chapitre comtadin en 1753 après avoir mené à deux reprises une fronde collective des musiciens de Saint- Siffrein afin d’obtenir, en vain, une augmentation de leur portion consacrée aux vivres (idem, 15 octobre 1753).
17 B. Dompnier, « Accroître la musique sans dépenser davantage. Les chapitres du XVIIIe siècle et la rémunération des bas-chœurs », dans Bisaro, Clément, Thoraval (dir.), La Circulation de la musique…, op. cit., p. 247-269.
18 H. Sonkajärvi, « Mobility Between Risk and Opportunity. The Military Profession in The Eighteenth Century », Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée, 123-1, 2011, p. 49.
19 SHDT, 2 E4 7, fol. 429 v. et 436 v., janvier-juillet 1711.
20 20. AD 06, G 273, 10 octobre 1735.
21 Ibid., 14 janvier 1737.
22 Robert, « Contrats d’apprentissage… », art. cité, p. 534.
23 AD 13, 2 G 494, 28 mars 1725. Le prévôt se rend d’ailleurs à Paris au sujet du procès que le chapitre intente à son maître de musique Pelegrin afin de le contraindre à revenir occuper son poste.
24 Granger, Musiciens dans la ville…, op. cit., p. 137-138.
25 BM Carpentras, ms. 1441, 10 janvier 1756.
26 26. BM Aix-en-Provence, ms. 1633 (1498), 12 juin 1788.
27 Granger, Musiciens dans la ville…, op. cit., p. 135.
28 BM Carpentras, ms. 1439, 25 septembre 1702 ; AD 13, 4 G 84 et 85, 23 mars 1706 et 23 octobre 1725 ; AD 06, 1 G 36, 31 décembre 1706 et 30 avril 1707 ; Bouquet, Musique et musiciens à Annecy…, op. cit., p. 37 ; AD 84, 1 G 447, 15 février 1715, 5 mars 1723, 26 mars 1734 et 11 février 1737 ; AM Avignon, GG 200, 3 février 1766.
29 AM Carpentras, BB 261, fol. 284, 25 mars 1763.
30 AD 13, 2 G 497, 5 février et 9 mars 1785.
31 B. Dompnier, « Épilogue. “Distillation par circulation” », dans Bisaro, Clément, Thoraval (dir.), La Circulation de la musique…, op. cit., p. 344.
32 Granger, Les métiers de la musique…, op. cit., p. 152.
33 R. Strohm, « Introduction », dans Strohm (ed.), The Eighteenth-Century Diaspora…, op. cit., p. 16.
34 Y. Carbonnier, « Non-French Music and Foreign Musicians at the Musique du Roi, Versailles, c. 1760-1792 », dans P.-Y. Beaurepaire, P. Bourdin, C. Wolff (ed.), Moving Scenes…, op. cit., p. 25.
35 G. Zur Nieden, « Mobile Musicians. Paths of Migration in Early Modern Europe », Jahrbuch für Europäische Geschichte. European History Yearbook 16, 2015, p. 112.
36 Dufourcq, « Orgues comtadines et orgues provençales », art. cité, p. 76-79.
37 Ibid., p. 155.
38 AM Marseille, 2 I 172, 1793.
39 Sur la présence italienne dans la lutherie provençale, voir aussi A. Gras, « La transmission des métiers de la musique en Provence et dans les États pontificaux outre-alpins (1690-1750) », Polymatheia. Les cahiers des Journées de musiques anciennes de Vanves, 1, 2015, p. 11.
40 AD 13, 2 G 495, 9 et 23 septembre 1747.
41 Idem, 6 G 443, 30 août 1723 ; AD 06, 1 G 37, 6 janvier 1727.
42 AM Marseille, 2 I 172, no 682, 19 octobre 1793.
43 Cité par P. Échinard dans É. Témime (dir.), Migrance. Histoire des migrations à Marseille, t. I, La Préhistoire de la migration (1482-1830), Marseille, Jeanne Laffitte, 1989, p. 62.
44 AM Marseille, 2 I 172, 1793.
45 Témime (dir.), Migrance…, op. cit., t. I, p. 66.
46 Ibid., p. 85.
47 AM Marseille, 2 I 172, no 57 et no 2582, 14 octobre et 5 novembre 1793.
48 Ibid., no 487 et no 2860, 17 octobre et 7 novembre 1793.
49 M.-C. Mussat, « L’itinérance dans la carrière des musiciens d’Église », dans C. Demeulenaere- Douyère, A. Le Goff (dir.), Histoires individuelles, histoires collectives. Sources et approches nouvelles, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2012, p. 239.
50 AD 84, 6 G 136, 7 juin 1711.
51 AD 06, G 273, 14 février et 9 juillet 1742.
52 AM Arles, GG 221, 5 décembre 1768.
53 Les deux sets ont comme échelle la France et le Sud-Est français. Je tiens à exprimer ici ma plus vive gratitude à Isabelle Langlois et à Julien Chadeyron, respectivement ingénieure d’études et cartographe à l’université Clermont-Auvergne, pour avoir effectué ces projections cartographiques.
54 ANOM, état civil numérisé de Saint-Domingue, registres paroissiaux de Saint-Marc, 31 mai 1733 et 3 juillet 1786 ; registres paroissiaux de Léogane, 27 juillet 1747 ; registres paroissiaux de Port-au-Prince, 6 mai 1783.
55 Sur la vie musicale de Saint-Domingue, voir B. Camier, « Les concerts dans les capitales de Saint-Domingue à la fin du XVIIIe siècle », Revue de musicologie, 93-1, 2007, p. 75-98.
56 É. Témime, Histoire de Marseille, Marseille, Jeanne Laffitte, 2006, p. 63-64.
57 Ce graphique est à mettre en parallèle avec celui de l’évolution numérique générale des musiciens du corpus au cours du siècle, disponible en annexe p. 366.
58 M. Traversier, « Like a Rolling Musician », dans M. Traversier (dir.), Musiques nomades. Objets, réseaux, itinéraires (Europe, XVIIe-XVIIIe siècles), Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2015, p. 9.
59 AD 13, 4 G 84, 3 mars 1699 ; Signorile, Musique et société…, op. cit., p. 49.
60 G. Livet, Histoire des routes et des transports en Europe. Des chemins de Saint-Jacques à l’âge d’or des diligences, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2003, p. 344-345.
61 P.-Y. Beaurepaire, La France des Lumières (1715-1789), Paris, Belin, 2011, p. 292-293.
62 Gras, « Des musiciens anglais… », art. cité, p. 147.
63 B. Amouretti, « La route de Marseille à Sisteron de 1760 à 1860 », Provence historique, 201, 2000, p. 257-270.
64 Échantillon élaboré à partir des musiciens dont nous connaissons le lieu de naissance afin de mesurer leur mobilité ou leur sédentarité.
65 Il s’agit d’une caractéristique relevée par tous les historiens, notamment ceux du réseau Muséfrem qui œuvrent en collaboration et tâchent de restituer les parcours géographiques parfois tortueux de ces individus au service de Dieu.
66 Sur ces gyrovagues, voir Mussat, « L’itinérance… », art. cité, p. 237-247 ; M.-C. Mussat, « “Vicarier” au XVIIIe siècle, nécessité ou choix de vie ? », dans Bisaro, Clément, Thoraval (dir.), La Circulation de la musique…, op. cit., p. 203-218.
67 S. Granger, « Dans les villes de l’Ouest : des musiciens venus d’ailleurs… (XVIIe-XVIIIe siècles) »,
Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 112-3, 2005, p. 113.
68 AD 84, 1 G 478, 1770-1771.
69 Gerbault, Le personnel des chapitres…, op. cit., p. 71.
70 Mussat, « L’itinérance… », art. cité, p. 238.
71 Granger, Musiciens dans la ville…, op. cit., p. 141-142.
72 AD 13, 2 G 497, 11 avril 1787.
73 BM Carpentras, ms. 1439, 8 mars 1705.
74 AN, DXIX/062/312/12, 13 juillet 1790.
75 AD 13, 6 G 442, 10 juillet 1709.
76 ANOM, état civil numérisé de Saint-Domingue, 31 mai 1733.
77 SHDT, 2 E4 21, fol. 342 v., décembre 1732.
78 Triolaire, « Structures théâtrales et itinérance… », art. cité, p. 371.
79 AM Carpentras, FF 117, fol. 14, 12 mars 1766 ; AD 84, B Rote 201, fol. 119, 8 octobre 1749.
80 E. V. Alliegro, « Les voyages des musiciens de rue. Pratiques du métier et processus de marginalisation (XVIIIe-XIXe siècles) », dans Meyer, Le musicien et ses voyages…, op. cit., p. 323.
81 AD 84, 3 E 6/242, fol. 361 v., 6 novembre 1766.
82 Alliegro, « Les voyages des musiciens de rue… », art. cité, p. 322.
83 Ibid., p. 325.
84 Fontaine, Histoire du colportage…, op. cit., p. 207 ; L. Fontaine, Pouvoir, identités et migrations dans les hautes vallées des Alpes occidentales (XVIIe-XVIIIe siècles), Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2003, p. 153.
85 BM Aix-en-Provence, ms. 1633 (1498), 5 février 1776.
86 AM Cavaillon, CC 378, no 40, 3 août 1760 ; CC 28, fol. 210 et fol. 210 v., 6 juillet 1761 ; CC 29, fol. 75 v., 1er mai 1764.
87 G. Escoffier, « Les emplois de maître de musique des cathédrales au XVIIIe siècle : un salariat ambigu », Revue de musicologie, 94-2, 2008, p. 338 ; Morénas, Relation des réjouissances…, op. cit., p. 9.
88 L. Bertran, Musique en lieu : une topographie de l’expérience musicale à Barcelone et sur son territoire (1760-1808), thèse de doctorat (dir. T. Favier, M. Á. Marín), universités de Poitiers et de La Rioja, 2017, p. 103-104.
89 AD 84, 3 E 10/1135, fol. 539 v., 18 novembre 1722.
90 BM Carpentras, ms. 1441, 3 octobre 1764.
91 H.-A. Durand, « Sur une prétendue Messe des morts de Gilles et Campra », Revue de musicologie, 121, 1960, p. 89.
92 Achard, « Notes historiques… », art. cité, p. 266-267.
93 Heintzen, « Du “Joueur d’instruments”… », art. cité, p. 50.
94 AM Arles, CC 757, 18 décembre 1729.
95 AM Salon-de-Provence, CC 477, 28 novembre 1781.
96 AM Cavaillon, CC 28, 6 juillet 1761 ; AM L’Isle-sur-la-Sorgue, fonds Joannis, vol. 30, pièce II, 27 novembre 1761.
97 S. Cerutti, Étrangers. Étude d’une condition d’incertitude dans une société d’Ancien Régime, Montrouge, Bayard, 2012, p. 22.
98 Charles-Dominique, Les ménétriers français…, op. cit., p. 39 ; Salmen, « The Social Status… », art. cité, p. 12.
99 P.-F. Souyri, Histoire du Japon médiéval. Le monde à l’envers, Paris, Perrin, 2013, p. 44.
100 Granger, Les métiers de la musique…, op. cit., p. 326-327.
101 G. Zur Nieden, « Roads “which are commonly wonderful for the musicians” – Early Modern Times Musicians’ Mobility and Migration », dans G. Zur Nieden, B. Over (ed.), Musicians’ Mobilities…, op. cit., p. 11-12.
102 102. AD 84, B Rote 201, fol. 122 v., 19 octobre 1749.
103 Triolaire, « Structures théâtrales et itinérance… », art. cité, p. 359-360.
104 AD 84, 6 G 138, conclusions capitulaires du chapitre cathédral de Vaison, 25 septembre, 1752.
105 AD 13, 2 G 496, 2 mai 1763.
106 Hennebelle, De Lully à Mozart…, op. cit., p. 316-317 ; Morales, L’artiste de cour…, op. cit., p. 32-33.
107 AD 13, 201 E 775, 28 septembre 1766.
108 Témime (dir.), Migrance…, op. cit., t. I, p. 69.
109 AD 13, 201 E 778, 14 juin 1769.
110 Ibid., 201 E 786, 28 janvier 1777.
111 Ibid., 201 E 832, 11 février 1781.
112 M. Vovelle, « Les migrations en Provence au XVIIIe siècle », Recherches régionales, 78, 1981, p. 16.
113 Ibid., p. 30.
114 Cette hiérarchisation entre espaces visés et espaces de transition se retrouve aussi à l’échelle infra-urbaine. Par exemple, au Mans, la collégiale Saint-Pierre-la-Cour représente souvent une étape de début de carrière avant qu’un musicien ne se rende à la cathédrale Saint-Julien : Granger, Les métiers de la musique…, op. cit., p. 1 012-1 013.
115 Robert, « Contrats d’apprentissage… », art. cité, p. 534.
116 A. et J. Bèges, La chapelle de musique de la cathédrale Saint-Nazaire 1590-1790, Béziers, Société de musicologie du Languedoc, 1982, p. 112-115.
117 AD 13, 2 G 496, 21 janvier et 17 juin 1758, 3 et 19 décembre 1759.
118 J. Boutier, « Conclusion. Un procès européen de communication ? Mise en perspective », dans P.-Y. Beaurepaire (dir.), La communication en Europe de l’âge classique au siècle des Lumières, Paris, Belin, 2014, p. 345-346.
119 BM Aix-en-Provence, ms. 1633 (1498), 16 mars 1756.
120 Ibid., 2 mars 1774.
121 Duhamel, La musique dans la ville…, op. cit., p. 135.
122 AD 13, 2 G 495, 3 mai 1752.
123 BM Arles, ms. 379, 16 avril 1749.
124 Lettre du secrétariat de la maison du roi au prince de Conti le 29 juin 1762, cité par Hennebelle, De Lully à Mozart…, op. cit., p. 96.
125 BM Aix-en-Provence, ms. 1633 (1498), 15 septembre 1762.
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