Avant-propos

1Ce livre est l’œuvre originale d’un auteur qui ne l’est pas moins. Non pas celle d’un óuriginau qui n’en aurait fait qu’à sa tête – car le travail d’Aurélien Gras a reçu toutes les onctions académiques souhaitables – mais celle d’un chercheur ayant tissé des liens singuliers avec son sujet d’étude. L’auteur en a d’abord forgé l’idée de lui-même, à peine sorti de ses examens de licence d’histoire. Puis, au fil des années, il en a poursuivi la concrétisation en faisant preuve d’un indéniable sens de la recherche, avec toutes les qualités requises pour y parvenir : de l’enthousiasme, sans lequel on ne s’engage pas dans une thèse, de la persévérance pour en venir à bout, de la générosité dans le partage des trouvailles et une qualité d’écoute exceptionnelle, sans laquelle on ne progresse pas. L’auteur en est devenu sans conteste un chercheur accompli. Les faiseurs de notes est un livre d’historien.

2Mais, à vrai dire, ce n’est pas tant avec son sujet qu’Aurélien Gras a créé ce rapport singulier, qu’avec les musiciennes et les musiciens qu’il a croisés dans les archives d’Avignon, du Comtat et de Provence, au fil des dépouillements patiemment pris en notes. Un par un, il les a rencontrés, celui-ci signant son engagement auprès des chanoines de La Major, à Marseille, cet autre acceptant la coquette dot de la fille de drapier qu’il épouse à Toulon. Il a cheminé avec eux dans les rues d’Aix ou de Grasse, depuis leur placement comme enfant de chœur jusqu’à la lecture de leur testament. Il les a même surpris, dans les silences des documents, quittant ici la maîtrise de la cathédrale de Vaison pour les retrouver là, tentant leur chance à Avignon. Avec cette capacité très historienne à appréhender avec empathie le destin des hommes et femmes du passé, l’auteur a rassemblé de quoi documenter les trajectoires de vie de quelque 2 105 individus, sans jamais oublier la singularité de chacun d’eux. Le labeur qui a fourni la substance à cet ouvrage est tout à fait colossal.

3Il a ensuite fallu livrer les résultats de cette recherche. Par- delà la rigueur d’une production académique, le lecteur sentira très vite un goût évident pour le récit, un plaisir à peine masqué de faire apparaître un décor et d’y convoquer des acteurs. Dans les pages qui suivent, l’auteur restitue avec humanité et sensibilité l’univers social et professionnel de tous ces musiciens et musiciennes du XVIII^e siècle. Ainsi le lecteur s’imaginera-t-il marchant au côté des trompettes des chevau-légers du pape, ou témoin de la formation des enfants de chœur intégrés à la psallette de Saint-Trophime d’Arles. Les noms des musiciens célèbres – André Campra en tête – y côtoient les moins renommés, dont celui de Toussaint Justamond, ce fifre aptésien n’ayant guère laissé d’autres traces que la participation aux réjouissances publiques de sa ville. Les joueurs de serpent y sont assurément plus nombreux que les chanteuses solistes, mais ces dernières tiennent toute leur place dans des académies alors en plein développement. C’est ainsi tout un monde social varié et foisonnant que dépeint Aurélien Gras, avec autant de clarté que de nuances.

4Le lecteur académique trouvera dans cette version profondément remaniée de la thèse de l’auteur un beau travail mêlant à la fois de la microhistoire, de la prosopographie et une histoire sociale plus classique, mâtinée de quelques travaux de spatialisation très judicieux en la matière. De la Provence moderne, au sens large, le lecteur féru de culture régionale verra surgir tout un pan de la vie sociale rarement mis en valeur dans des fresques historiques souvent peuplées d’évocations plus classiques, même s’il croisera ici aussi des joueurs de fifre et de tambour. Enfin, le lecteur simplement curieux prendra plaisir à découvrir les conditions d’exercice d’un métier à la fois essentiel et marginal dans une société d’ordres qui ne pouvait subsister sans se célébrer en musique. Que celle-ci prenne donc vie dans le silence de ces pages !