VIII – Les jas et les drailles sur le Ventoux
p. 161-178
Texte intégral
1Jusqu’aux temps les plus anciens, le Mont Ventoux a été l’univers reculé et secret des pâtres et des ovins. Il suffit de s’en remettre à la lettre de Pétrarque, rédigée à Malaucène, le six des Calendes de Mai 1336, pour s’en convaincre. Alors qu’il pensait initialement en être le premier grimpeur, le poète italien avoua qu’il avait rencontré avec son frère un berger qui en avait déjà fait l’ascension :
Sur les croupes de la montagne, nous rencontrâmes un pâtre d’âge très reculé qui, avec bien des discours, s’efforça de nous détourner de notre ascension ; cinquante années auparavant disait-il, la même ardeur juvénile l’avait porté à gravir le pic culminant et il n’en avait rapporté que regret et fatigue, le corps et les habits déchirés aux roches et aux buissons d’épines. Jamais ni avant ni après, on n’avait entendu dire dans le pays que quelqu’un eût risqué pareille escalade (…).
2Associés au monde des pâtres, les jas et les drailles peuvent aussi être rangés parmi les premières traces humaines présentes sur le Mont Ventoux1. Le terme « draille » correspond au chemin de transhumance qui menait à une bergerie de montagne. Il vient du mot occitan « dralha », qui signifie « piste ». Il a pu être orthographié différemment dans le temps : draio/ draye, ou tralha au XIVe siècle. On lui trouve ainsi une origine dans le mot bas-latin tragula (de trahere « tirer »), utilisé pour signaler en montagne la trace la plus directe, par exemple pour la descente des bois coupés.
3La draille est effectivement le parcours le plus souvent naturel que suivaient les troupeaux pour rejoindre l’estive. Cette dernière était le moment de l’année où les troupeaux paissaient dans la montagne (en général de mai à septembre/octobre, jusqu’à la première neige). On évoque encore aujourd’hui le mot de « dépaissance » pour désigner ce mouvement de transhumance, qui avait pour intérêt, particulièrement dans la région du Ventoux, de laisser intactes les terres de vallée, en vue d’y développer d’autres cultures, notamment le foin. Elle prenait fin lorsque les pâturages de montagne avaient été exploités et que le froid repoussait bergers et troupeaux dans la plaine. Utilisé depuis le Moyen-Âge, le mot « Jas », également orthographié « Jasse », est un terme occitan – tiré initialement du bas latin « jacium », désignant le « gîte », c’est-à-dire le « lieu où l’on gît, où l’on est couché ». Il servait à désigner les bergeries construites à l’écart des fermes et hameaux, au milieu des terres de dépaissance. Sur le Mont Ventoux, comme sur la Montagne de Lure, il s’agissait de constructions montées en pierres sèches, apparaissant le plus souvent sur le cadastre. Si les jas de la montagne de Lure ont fait l’objet d’attentions multiples, il est patent que ceux du Ventoux, considérés comme moins perfectionnés, ont été longtemps délaissés, tant du point de vue matériel (nombreux sont en ruines !) que du point de vue conceptuel, historique et scientifique. Depuis une trentaine d’années, l’Association pour la Participation et l’Action Régionale (APARE) et la commune de Bédoin s’y intéressent de plus près, au grand bonheur des amoureux de la nature et du pastoralisme. Depuis une dizaine d’années, les chantiers de restauration se sont même faits plus fréquents. C’est une bonne chose.
4Il nous a paru intéressant d’observer ces jas, de les isoler et de les identifier en vue de faciliter leur préservation, car ils constituent une des richesses passées et actuelles du Mont Ventoux. En tant que présences humaines sur le Géant du Ventoux, ils montrent comment la population rurale a pu « domestiquer » cette montagne sacrée pour à la fois en tirer des ressources (viande, suif et laine de mouton ; miel ; lavande ; champignons ; bois et charbons ; glacières ; sport d’hiver et villégiature) et se préserver des dangers d’une utilisation massive et dévastatrice de l’environnement. Les jas du Ventoux présentent encore des attraits aujourd’hui, parce que tout relief en Provence tend à se dénuder. En tant que témoin d’une architecture de la pierre sèche, le jas maintient la tradition de cette technique de construction en en montrant tout l’intérêt architectural, écologique, touristique et sécuritaire.
5Il est intéressant de maintenir intacte la technique de construction de la pierre sèche dans les endroits difficiles d’accès, où le cheminement des matériaux est coûteux et, parfois, impossible. En soi, la construction en pierre sèche est économiquement intéressante, puisqu’elle dispense de l’utilisation du béton. Le jas présente un intérêt touristique évident – voire ludique –, en attirant des vacanciers et randonneurs dont l’habitude a été prise de respecter la nature2. À travers la possibilité d’une utilisation plus ou moins permanente par des éleveurs (Jas du Toumple, Jas de la Couanche, Jas de Roussas, Jas des Abeiés, Jas de Montagard, Jas de Combaret, Jas des Fébriers), il offre une possibilité de les fidéliser et, partant, de maintenir intacte l’identité rurale.
Il constitue un biotope.
6Il constitue encore aujourd’hui un abri permettant d’assurer la sécurité des biens et des personnes. On citera à ce sujet les écrits du Père Laval, du Docteur Guérin, de Jean-Henri Fabre et de Félix Achard. La ligne des jas n’est-elle pas en même temps, lorsqu’elle est bien entretenue, un barrage contre le risque de feu ? D’ailleurs, ce n’est pas tant le jas lui- même et son organisation, que le travail de défrichement et de nettoyage des moutons, qui protège de la progression du feu. Le jas est enfin une protection contre le risque de ravinement et d’éboulement. Il protège de l’érosion naturelle, surtout des eaux de ruissellement, car il constitue en lui-même un véritable système d’assainissement.
Ce que sont devenues les drailles
7Un grand nombre de drailles figuraient sur le cadastre de Bédoin de 1832. Les jas étaient souvent accessibles par une draille individuelle qui permettait au bétail de monter de la vallée de la manière la plus directe, la plus simple. Il ne faut pas perdre à l’esprit que le nom « draille » renvoie à l’idée d’un tracé à la fois naturel et direct. Il existait également des drailles d’un jas à l’autre, de même qu’une draille menant des Mélettes à la fontaine de l’Angiou (dite Draille de l’Ave/Avé), où les troupeaux venaient boire en fin de journée, dans la nuit. C’était l’occasion pour les bergers d’échanger, sinon de se disputer. Lorsque la draille était de petite taille, elle était dite « draillau ».
8Il était possible aussi de reconnaître à certaines combes ou vallons une fonction de draille, même si ce n’était pas leur destination. Par exemple, la combe de Fontfiole est également dénommée « draille de Fontfiole » dans certaines présentations de parcours touristiques. On remarquera la présence dans la combe de Curnier de deux abris sous roche dotés de petits murs à hauteur d’appui, qui ont pu servir d’enclos temporaires dans cet endroit très frais, envahi par des buis de grande hauteur (une Bouisse/ Bouix était une buxeraie). On y trouve aussi une auge creusée dans un bloc de rocher.
9Mais la draille la plus importante était dite « Draille de Sainte Croix », dotée de 14 stations. C’est elle qui était empruntée par les pèlerins pour monter au sommet, avec un arrêt possible au Bâtiment (Jas des Pèlerins). Sur le cadastre de 1832, figurent aussi la longue draille de Clops, la courte draille des Fébriers, la grande draille, la draille de la Combe Sourne (qui, en passant par les Jas du Serre et de Roussas, menait aux « Réserves de glaces »), la draille – très courte – des Prayets et, sur les hauteurs, la draille des Glacières (dite Chemin du Bâtiment).
Les premiers témoignages littéraires relatant l’existence de jas sur le Ventoux
10Quatrième personne à avoir laissé une trace écrite de son ascension sur le Ventoux, le Père Antoine Jean de Laval raconta, dans Le Journal de Trévoux de mai 1714, qu’il put trouver refuge dans le Jas des Pèlerins lors de son déplacement à caractère scientifique de juin 17113 :
(…) Après avoir bien monté nous arrivâmes vers les 8 heures du soir à un endroit qu’on appelle le Jas ; là nous trouvâmes un climat très différent, au lieu du grand chaud que nous avions senti au pied de la montagne, nous ressentîmes un air froid ; nous vîmes le haut de la montagne couvert de nuages & de brouillards, ce qui nous détermina à nous arrêter en ce lieu, où nous fîmes un grand feu : le bois ne manquoit pas, on ne l’alloit pas chercher bien loin, au lieu d’eau qui nous manqua absolument, nous envoyâmes chercher de la neige dans une grande fondrière qui étoit à trente pas de nous, et nous nous en servîmes utilement ; nous restâmes environ trois heures dans ce poste, qui consistoit en un bâtiment vouté, étroit, assez long et fort enfumé, les Pâtres qui s’y retirent y faisans du feu lorsqu’ils mènent leur troupeau dans la montagne. Les nüages et le brouillard s’étant dissipez dans cet intervalle, nous résolûmes d’achever de monter la montagne (…).
11Lors d’une ascension hivernale faite le 11 janvier 1798, le docteur Joseph (Xavier Bénézet) Guérin (1775-1850) évoqua lui aussi une halte faite au Bâtiment :
Nous arrivâmes à six heures à un bâtiment nommé Lou Jas élevé d’environ 700 toises, que les bergers habitent en été. Ici la neige recouvrait tout le sol. Nous y allumâmes un feu ; le thermomètre que j’avais exposé dehors était à -6 (…).
12Dans son livre de Souvenirs entomologiques, l’entomologiste Jean-Henri Fabre donna force détails sur une de ses ascensions (la vingt-troisième !) du Mont Ventoux, en août 1865, avec un guide et quelques compagnons. À cette occasion, il raconta sa halte dans un jas – celui des Pèlerins, encore désigné par les anciens comme le « Bâtiment » – qui lui servit d’abri pour la nuit :
(…) Après une heure de repos : debout ! le temps presse ; il faut se remettre en marche. Le guide, avec les bagages, s’en ira seul, vers l’ouest, en longeant la lisière des bois, où se trouve un sentier praticable aux bêtes de somme. Il nous attendra au Jas ou Bâtiment, situé à la limite supérieure de hêtres, vers 1 550 mètres d’altitude. Le Jas est une grande hutte en pierres qui doit nous abriter la nuit, bêtes et gens. Quant à nous, poursuivons l’ascension et atteignons la crête, que nous suivrons pour gagner avec moins de peine la cime terminale. Du sommet, après le coucher du soleil, nous descendrons au Jas, où le guide sera depuis longtemps arrivé. Tel est le plan proposé et adopté (…).
13La suite de son texte est très instructive quant à la difficulté de progresser sur le Ventoux à la nuit tombante. La forêt de hêtres qui englobait le jas était très touffue, presque impénétrable dans la pénombre, à tel point que Jean-Henri Fabre et ses compagnons durent toucher des mains le sol pour progresser. Ils sont arrivés au Bâtiment avec les mains couvertes de piqûres d’orties :
Sous nos pieds ce n’est pas le vide de l’abîme, c’est le sol de pierrailles, qui croûlent derrière nous en longs ruissellements. Pour nous tous ce cliquetis, signe de terre ferme, est pour nous musique divine. En quelques minutes est atteinte la lisière supérieure des hêtres. Ici l’obscurité est plus forte encore qu’au sommet de la montagne : il faut se courber jusqu’à terre pour reconnaître où on met les pieds. Comment, au sein de ces ténèbres, trouver le Jas enfoui dans l’épaisseur du bois ? (…).
14Un dernier extrait, qui raconte la nuit passée dans le Jas, ne peut tromper sur son confort. La fumée dans le Bâtiment s’échappait difficilement à travers une brèche de la voûte. La litière de feuilles de hêtres était moins agréable que les voyageurs ne le pensaient :
Delacour y est, ainsi que le guide avec nos bagages, abrité à temps de la pluie. Un feu flambant et des vêtements de rechange ont bientôt ramené l’habituelle gaîté. Un bloc de neige, apporté du vallon voisin, est suspendu dans un sac devant le foyer. Une bouteille reçoit l’eau de fusion ; ce sera notre fontaine pour le repas du soir. Enfin la nuit se passe sur une couche de feuillage de hêtre, qu’ont trituré nos prédécesseurs ; et ils sont nombreux. Qui sait depuis combien d’années n’a pas été renouvelé ce matelas, aujourd’hui devenu terreau ! Ceux qui ne peuvent dormir ont pour mission d’entretenir le foyer. Les mains ne manquent pas pour tisonner, car la fumée, sans autre issue qu’un large trou produit par l’écroulement partiel de la voûte, emplit la hutte d’une atmosphère à fumer des harengs. Pour obtenir quelques bouffées respirables, il faut les chercher dans les couches les plus inférieures, le nez presque à terre. On tousse donc, on maugrée, on tisonne, mais vainement essaie-t-on de dormir. Dès deux heures du matin tout le monde est sur pied, pour gravir le cône terminal et assister au lever du soleil. La pluie a cessé, le ciel est superbe et promet une admirable journée (…).
15Félix Achard (1843-1923), qui a exercé de nombreuses activités (archiviste-paléographe, ancien préfet et général, adjoint au maire d’Avignon, percepteur), a aussi laissé quelques lignes sur le Bâtiment en 1874, en rappelant d’ailleurs le risque que faisait peser la présence des loups sur les troupeaux de moutons4 :
Le Bâtiment, que les gens du pays appellent le Jasse, est situé à la limite des bois, à une altitude que la carte porte à 1551 mètres et au pied du pic principal que Pétrarque appelle par antiphrase sans doute, le Filleul (…). Le trajet de Bédoin au Bâtiment peut se faire en quatre heures. Les 361 mètres d’élévation perpendiculaire qui séparent encore du sommet sont franchis en cinquante minutes ou une heure (…).
16Enfin, on ne peut manquer de citer un épisode important du roman « Jean des Baumes » qui se passe dans le « Bâtiment » : pour Henry de la Madelène, qui est parti d’une histoire vraie, l’épouse de Jean Gravier, Félise, meurt dans la Baume de Maraval après une nuit passée au Jas (le Bâtiment) pour échapper aux gendarmes. Elle aurait été enterrée dans la combe de Maraval, à l’endroit dit du « Clapier de la femme morte » où chacun en passant jetait une pierre.
La répartition géographique des jas sur l’adret du Ventoux
17Les jas situés sur l’adret du Ventoux peuvent être répartis sur cinq zones.
1 – Il y a d’abord les jas situés le long du GR 91 B, au sud de la chapelle Sainte Croix :
Au bord de la route montant au Chalet Reynard se trouve le Jas des Mélettes5, à 1 142 mètres (la mélette désignant une espèce de figuier noir), doté d’une citerne en état et d’un abri de berger fraîchement restauré. Ce jas ancien, qui figurait déjà dans le cadastre de 1832, était alors appelé Jas Fatigon (il appartenait à la famille Dauberte, surnommée Fatigon). Au-dessus était situé le Jas de la Besouce, aujourd’hui introuvable (il ne figure plus sur la carte IGN).
En allant vers l’ouest, on tombe sur le Jas du Roussas, à 1 149 mètres, en assez bon état, avec une citerne en service, un abri pour le troupeau couvert de tôles et un abri de berger. Il existait initialement, à quelques centaines de mètres plus haut, un premier jas du Roussas, appartenant à la famille Gerbaud, dont il ne reste que des ruines. Curieusement, ce sont ces ruines qui figurent sur la Carte IGN, non pas le jas plus récent, construit plus bas. À proximité figurait a ussi s ur l e c adastre d e 1 832 l e J as d e Joachin Reynard (maire de Bédoin en 1861), qui est ensuite devenu le jas de Jean Bau.
En allant vers l’ouest, vient le grand Jas du Serre (1 056 mètres), en ruines, où l’on devine la présence de plusieurs abris de troupeaux et de bergers : il s’agissait manifestement d’un jas de grande envergure. On peut y voir les traces d’une citerne ruinée et les murs sont encore tous dressés. Sous ce jas figuraient autrefois trois autres jas, aujourd’hui endommagés : deux jas au lieu-dit « collet de Robin » (un de ces jas, avec citerne, est couvert de plaques Éternit), ainsi que le jas du Noyer de Peytraud (dit également Poutroy ou Poutreil). Mireille Gravier évoque par ailleurs dans ce secteur la présence d’un Jas de Bernard (910 mètres), sans que l’on sache s’il est vraiment distinct6. Il est vrai qu’au fil des appartenances, les Jas pouvaient changer de nom (il était fréquent de leur donner le nom de l’occupant).
Actuellement, le randonneur poursuit sur le Jas du Mourre (ce nom signifiant « mont » en P rovence), restauré par l’APARE et entouré de très beaux cèdres (1 045 mètres).
Après le Jas de Compagnon, récemment restauré (désigné autrefois Jas de Reynard – occupé par Siffrein Reynard, l’époux d’une demoiselle de Raxis), apparaît le Jas de la Couanche, en assez bon état (1 142 mètres) ; sur les anciennes cartes, apparaissent les emplacements de deux Jas de Compagnon : celui du bas et celui du haut (tous les deux distincts du Jas de la Couanche). Le même chemin mène ensuite au Jas du Toumple, à 1 290 mètres, lui aussi fraîchement restauré et, pour l’abri du troupeau, couvert de tôles (le mot Toumple, écrit parfois Temple ou Tomple, signifie « gouffre », « trou » ou « aven » en Provence).
Toujours le long du même sentier vers l’ouest, on rencontre le Jas de Baumasson (Beaumasson ou Beaumaçon), utilisant une citerne intégrée dans une baume (1 117 mètres). La toiture de l’abri du berger, qui était équipé d’une cheminée, s’est effondrée. L’abri du troupeau n’a plus de toiture (il reste les pannes), mais les murs sont intacts, avec deux fenestrons au nord.
Sur le même sentier, on se rend ensuite sur le grand Jas des Landérots (Lendérots), à 1 020 mètres, en assez bon état (malgré une toiture récemment crevée), avec citerne en activité. L’accès à la citerne vient d’être maçonné, sans doute pour éviter les accidents et le vandalisme. En continuant vers l’ouest, on rencontre un jas en ruines, le long du GR 91 B. Les murs sont encore dressés, mais des arbres immenses l’ont envahi.
Enfin s ’annonce le J as du Pié G ros (le mot « Pié », proche du terme « Puy », signifiant « Mont »), à 939 mètres, restauré par l’APARE et également doté d’une belle citerne (en 1832, ce jas portait le nom de « Jas des Tourniaires »). Il existe une cheminée dans l’abri du berger, qui est toujours couvert.
Sur le cadastre de 1832 figurent aussi dans le secteur des Landerots le jas de Roumiguier, le Jas Guigau(d), le Jas Rasteau(d), qui appartenait à Jules Gauthier (dit Rasteaud), le jas Mian (Méjan), mais il ne reste guère de traces de ces édifices. M. Gérard Damian se souvient aussi d’un Jas des Marchands, qui pouvait être en réalité le Jas Guigaud. Mireille Gravier évoque par ailleurs la présence dans ce secteur d’un Jas de Favier (989 mètres)7. Enfin, en allant dans les Vendrans, au nord-est de Pié- Gros, se situait le Jas de Benoît-Guillaume, apparemment disparu dans la forêt.
182– Il y a ensuite les Jas situés dans le secteur de « Perrache » :
Situé à environ 1100 mètres, le Jas de Perrache (ayant appartenu à Esprit Reynaud, dit « Perrache ») vient de faire l’objet d’une restauration soignée et salutaire par l’APARE. En revanche, il ne reste du Jas de Jacob (ayant appartenu à Jean Joseph, dit Jaco) que des ruines et une citerne. Il en va de même du Jas du Cros (autrefois entre les mains de la famille Dauberte, dite Fatigon ; parfois désigné « Jas des Clos Fatigons »), en ruines, pourtant doté d’un beau pâturage.
193– On trouve plus près de la cime quelques jas :
Le jas des Pèlerins (1 517 mètres) – dit le « Bâtiment » – en bon état depuis sa restauration complète en 1985 ;
Le jas de la Fréchière, en ruines (ayant appartenu à Bernard, du Riche) ; Le jas des Héritiers, situé au-dessus de la fontaine d’Angiou (disparu).
Le jas de la Graverette, situé en dessous du chalet Reynard à environ 1 400 mètres (toiture en tôles ondulées). Ce jas assez récent est composé d’un abri pour troupeau et d’un abri de berger, dans lequel on trouve encore un vieux poêle.
Les Jas des hauteurs ont été finalement abandonnés par les bergers et les propriétaires de troupeaux, en raison de la trop grande fraîcheur dégagée près de la cime et de l’aridité du sol. Le Jas des Pèlerins a toutefois fait l’objet d’une attention particulière des autorités publiques : datant de la fin du XVIIe siècle, il portait initialement le titre d’ermitage, usage auquel il était destiné. Dans son Guide du Mont Ventoux, D. Moulinas indique que sa construction est due à César de Vervins, prêtre et chanoine théologal du chapitre métropolitain d’Avignon, en même temps qu’il fit reconstruire sur la même période la chapelle Sainte Croix (érigée en 1504 par Pierre de Valétariis, Prélat en Avignon). Il existe effectivement un lien étroit entre les deux édifices, le Jas des Pèlerins ayant servi, comme l’indique son nom actuel, à accueillir les pèlerins lorsqu’ils venaient le 14 septembre en dévotion à la Chapelle Sainte Croix. À cette même période ont été creusées les glacières, dont la glace – en majorité destinée aux villes d’Avignon, d’Arles et de Marseille – permettait aussi d’éteindre la chaux produite sur place, dans le Vallon du Four à Chaux (on remarquera aussi à proximité la présence d’un lieu-dit « les Chaudures »). Simon Clop, doyen d’une communauté de pénitents, avait même alloué au XVIIIe siècle une somme pour que la Chapelle Sainte Croix et le Bâtiment soient enduits de chaux, à fin d’être protégés de l’humidité. La Chapelle a fini par être détruite, puis a été reconstruite en 1936 un peu plus haut.
204– Au plus bas, en sortant du hameau de Saint Estève (dans le secteur justement désigné les « Baysses »), avant de prendre la route qui monte au Chalet Reynard, on trouve un « Chemin des jas » qui oriente sur plusieurs jas :
Le Jas de Montagard (617 mètres), récent, en activité et avec citerne ; Le beau Jas des Abeiés (Abeyets), construit vers 1860 par François Germain (dont l’ami de sa fille fut tué lors d’une battue aux sangliers, de deux coups de fusil !), doté d’une citerne en activité (le mot « Abeié » signifie « troupeau », à moins qu’il ne corresponde à la situation d’un berger disposant aussi de ruches ; cette bergerie, située à environ 800 mètres, est dite également le Jas de Charles – dit « Le Bon Dieu » –, du nom sans doute du propriétaire ou de l’occupant dont le patronyme est gravé dans du ciment, avec une date de restauration : Charles Constant, 2 avril 1943) ;
Les deux Jas de Remelin, dont il ne reste que des ruines ;
Le Jas de Chanvillard (en bon état) ;
Le Jas de Bounin (disparu).
215– À mi-chemin entre le sommet du Ventoux et Sault, on trouve plusieurs Jas, particulièrement dans le secteur du Col des Abeilles, ce nom « abeille » étant une déformation du mot « abeié » désignant le troupeau.
C’est à la Chapelle « Notre Dame de Consolation » que le curé procédait à la bénédiction des troupeaux regroupés par les bergers à cet endroit avant qu’ils ne partent en transhumance sur le Ventoux. On a identifié sur ce territoire :
Le Jas Forest, restauré en 1984/1985, en bon état, avec une belle cheminée intérieure et une citerne extérieure (1 130 mètres) ; il devient en période de chasse un rendez-vous de chasseurs.
Le Jas Rousseau, en ruines ; Le Jas de Taramate ;
Le Jas de Reilhanette, situé près de la chapelle du Ventouret, à environ 1 100 mètres (en ruines) ;
Le Jas Signoret (près du Col des Abeilles, propriété privée) ;
Le Jas des Gardes (près du Col des Abeilles : en ruines, non repéré) ; La Bergerie de Callot (en ruines, non repérée) ;
Enfin la grande bergerie plus récente au lieu-dit La Gaillarde, visible de la route allant de Sault à Villes-sur-Auzon (encore en activité, avec une citerne vide et deux pièces pour le berger). Derrière cette bergerie a été construit un puits-citerne original, doté d’une rigole circulaire. Totalement couvert, il permettait de protéger l’eau de pluie récoltée des déjections des moutons.
Développement important des jas au XVIIIe siècle
22La plupart des jas du Ventoux ont été construits sur le même modèle, ce qui permet de penser qu’ils ont été construits ensemble sur une période resserrée. D’après Jean-Michel André, ils se sont développés avec la nécessité de trouver d’autres espaces protecteurs au moment des épidémies de peste, particulièrement au début du XVIIIe siècle. Ce même siècle connut, dans sa deuxième moitié, un développement important de la population rurale, ce qui justifia, là encore, la découverte et l’occupation d’espaces vierges. Les plus anciennes dates identifiées par Jean-Michel André sur ce type de bâtiments sont celles de 1713 et 1731 (territoire de Venasque) qu’il a retrouvées gravées sur des linteaux en pierre. Une dernière raison du développement des jas sur cette période tenait à la nécessité de se préserver des glissements de terrain. En construisant un jas – reposant en partie sur la roche-mère –, on donnait une stabilité au terrain, à la faveur notamment des espaces de jardinage reposant sur des terrasses.
23Sur le cadastre de Bédoin dressé en 1832, plus d’une vingtaine de jas ont été recensés sur le Ventoux. Ils sont actuellement estimés au nombre de 60, sans compter une trentaine d’abris troglodytiques (souvent dotés de murs en pierre sèche à hauteur d’appui, pour y enfermer quelques moutons ou pour offrir un lieu de repos au berger). L’ensemble de ces jas pouvait accueillir sur l’ensemble du Ventoux (jusqu’à Flassan et Sault) entre 7000 et 8000 brebis.
24L’élevage de moutons, qui était l’affaire d’une quarantaine de familles au XIXe siècle, occupait une place primordiale sur le Ventoux depuis le XIVe siècle. Les ovins étaient élevés non pas seulement pour la viande, mais aussi pour le suif destiné à alimenter les lampes, et pour leur laine, tissée à Bédouin en vue de confectionner des vêtements de laine cardée, d’apparence sergée et épaisse : le tissu de Cadis. Dans chaque famille, il y avait d’ailleurs un rouet pour filer la laine, en vue de la confection de couvertures. Les peaux des bêtes étaient en revanche confiées aux bouchers, qui disposaient d’un endroit pour les faire sécher. Initialement couvert de forêts, le Ventoux fit progressivement l’objet d’un défrichement dévastateur, qu’encouragea la pratique du pâturage. En 1860, cette montagne ne supportait pratiquement plus de forêts au-dessus de 400 mètres. Cette érosion devint non pas seulement gênante pour la population de Bédoin – qui perdit une partie de ses ressources en bois –, mais également dangereuse : le ruissellement des eaux, devenues torrents par temps de pluie, entraînait des dégâts importants. Par décision ministérielle du 22 mars 1861, le reboisement fut ordonné. Les habitants du Ventoux se mobilisèrent pour planter de nouveaux arbres : chênes blancs, chênes verts, hêtres, cèdres de l’Atlas, pins d’Alep, pins maritimes, pins noirs d’Autriche, pins sylvestre, pins à crochets, … Les bergers durent mettre fin à la pratique du brûlage. Voyant que leurs activités étaient menacées, les bergers incendièrent les plantations : c’est pourquoi, indique M. Gérard Damian, le Maire de Bédoin les convoquèrent tous vers 1880 pour les remettre au pas.
Situation : à mi-hauteur du Ventoux, là où commence la neige !
25La majorité des jas du Ventoux sont situés à une hauteur de 1 100 mètres, chacun espacé de la distance nécessaire pour éviter le surinvestissement des territoires et pour optimiser les avantages résultant de leur installation (aire de jardinage, gestion de l’eau…). Construits à la croisée de sentiers et de drailles, ils étaient des lieux de ralliement et de vie. Un grand nombre de ces jas se situaient sur des territoires chauves, qu’une exploitation abusive du Ventoux n’avait pas cessé d’appauvrir. Le reboisement du Ventoux des années 1860 entraîna l’apparition d’arbres tels que le pin ou le cèdre, dont le développement permit de dépasser en hauteur et en épaisseur la maigre végétation existante. Aujourd’hui, il est frappant de voir que certains jas se positionnent à un endroit où la végétation change de nature. Ce constat est très net près du jas des Landerots. Après dépassement du bâtiment, la forêt, très clairsemée, se densifie et s’obscurcit, avec une prédominance de cèdres de l’Atlas. La ligne des jas forme comme une frontière entre les terres situées sur l’aval, caractérisées par une végétation encore timide, et celles qui s’étendent sur l’amont, plus denses, avec une végétation plus resserrée, moins propice au pastoralisme. Cette situation n’est pas le fruit du hasard : à l’origine, on a souhaité construire les jas à l’endroit où la neige était moins drue ou moins persistante ; cette ligne apparaît à 1 100 mètres.
Caractéristiques morphologiques et architecturales
26Les jas du Ventoux prennent souvent appui sur la roche-mère, avec une prise dans le talus. Il s’ensuit que les murs de l’aval sont plus hauts que les murs de l’amont. Le jas est parfois constitué d’un seul abri de berger (Jas des Pèlerins), autrefois aménagé d’une litière épaisse de feuilles de hêtres. Mais, le plus souvent, les jas sont composés d’un abri couvert pour le troupeau et d’un abri contigu pour le berger.
27L’abri pour le troupeau reçoit une large toiture reposant sur des pannes et des chevrons. Très souvent, des colonnes intermédiaires, montées à sec, sont nécessaires dans la bergerie pour supporter la charpente. Construites initialement sans enduit, ni liant, ces colonnes massives et irrégulières– de base soit carrée, soit circulaire – permettaient d’isoler le bois de la charpente de l’humidité qui pouvait remonter par capillarité.
28Dans l’abri du berger, qui est doté d’une porte en bois souvent rudimentaire (constituée de planches verticales ou horizontales), s’ouvrant sur la pente, on trouve très souvent dans les murs une petite niche, qui permettait de poser la lampe à huile ou le bougeoir, de même que quelques objets indispensables (gobelet et couteau par exemple). Il existe très souvent un fenestron, permettant au berger qui se reposait de surveiller de l’intérieur son troupeau. Un âtre permet de se réchauffer (Les Abeiés, Les Landerots, Pié-Gros, Les Pélerins, Forest) et d’éclairer l’intérieur de l’abri. Parfois, un autre bâtiment attenant servait de « maternité » afin d’isoler les brebis prêtes à mettre bas.
29La plupart des jas ont été construits avec un système de stockage de l’eau. Il s’agit, non pas d’aiguiers creusés dans la roche, mais de citernes semi-enterrées, alimentées par les eaux recueillies sur un goulet formé de tuiles rondes (ensuite gouttières en zinc, aujourd’hui en plastique, ou gouttière formée d’une poutre IPN au jas des Abeiés), éventuellement par des eaux infiltrées entre les pierres clavées de la voûte. Jadis, l’intérieur de la cuve était recouvert d’un enduit de chaux, de sable et de tuileaux (tuiles concassées) pour garantir l’étanchéité. Dans les opérations de restauration, on procède de manière comparable. En général, la construction en pierre sèche est étroitement associée à une possibilité de récupération, de captage et de stockage de l’eau. Une citerne est encore active, par exemple, sur les sites des Landerots, des Mélettes, de Perrache, de Pié-Gros et des Abeiés. Elles sont dotées d’une trappe de puisage et de nettoyage, accessible soit depuis un mur pignon (Les Mélettes), soit sur l’extrados de la citerne (Les Abeiés). On aperçoit encore parfois les corbeaux à la naissance des voûtes, qui permettaient de supporter le coffrage nécessaire à la construction.
30Il n’est pas rare aussi de trouver autour de ces abris des enclos avec murs à double parement. Il fallait se protéger des animaux sauvages, notamment du loup, qui n’a disparu du Ventoux qu’entre 1910 et 1920. La pierre était également ramassée pour monter des « clapiers » servant au soutènement de terrasses de jardinage. Car c’était aussi une des utilités du jas : tout autour, la pente était aménagée en terrasses légumières pour nourrir le berger pendant son séjour estival. L’ensemble constitué du jas et des murs de soutènement des terrasses jouait un rôle important pour stopper les ravinements.
Matériaux
31Les jas sont faits à l’aide de cette pierre dure et froide, de ton gris, qu’il est difficile de tailler. Cette pierre calcaire, née de la corrosion de la roche, est dite « karstique ». Elle présente parfois des trous comparables à ceux d’un gruyère ! Les murs sont à « double parement », autrefois montés à sec (selon les techniques de la maçonnerie de la pierre sèche), aujourd’hui posés à l’aide d’un liant « pauvre » (mortier de chaux), surtout sur la partie basse. Sans être taillée, la pierre est utilisée de telle manière à laisser apparente sa partie plane. On donne par ailleurs du « fruit » au mur (une base plus large, à la manière d’un renflement), de telle manière à le consolider et à éviter son écroulement. Cela confère aux murs une impression de remparts ou de renforts moyenâgeux. Des éclats de pierre remplissent les interstices du mur, à l’intérieur comme sur le parement. Pour monter les chaînes d’angles, les niches, les fenestrons et les piédroits de l’unique porte, il est nécessaire « d’épaufrer » la pierre, de la tailler. On trouve encore, par exemple sur le site des Landérots, une pierre « trouée » – remplaçant l’anneau de métal – qui permettait d’attacher un animal.
32Sur certains abris de bergers, on retrouve, dans l’embrasure de l’entrée, la trace d’une feuillure en enduit, qui permettait d’améliorer l’étanchéité de la porte en bois. Le linteau est le plus souvent en bois, constitué d’une ou deux planches. Il supporte très peu de pierres, puisque l’embrasure atteint presque la toiture. Les pannes de la couverture sont en mélèze, souvent débité sur place dans la forêt. Les chevrons pouvaient être constitués de branches longues. Pour la restauration du Jas de Perrache, l’ONF a prêté son concours pour choisir les arbres qui ont été découpés par le service technique de la ville de Bédoin. Les pannes qui en sont sorties avaient une longueur de six mètres. La toiture est le plus souvent monopente, avec des tuiles creuses (sauf sur le Jas des Pèlerins, couvert de dalles). Autrefois, des pierres lestaient les rives et les rampants. Aujourd’hui, les tuiles sont fixées à l ’aide d ’une résine qui les maintient solidement en place, même par temps de vent.
Le mode de vie des bergers
33Les jas étaient parfois occupés par des bergers-patrons, qui ne descendaient à Bédoin auprès des familles qu’une fois par semaine, le dimanche. Ils se faisaient alors remplacer par un jeune du village. Les bergers-patrons étaient des personnes respectées dans le village, qui, lorsqu’ils redescendaient avec leur troupeau dans les rues, aimaient impressionner les enfants en faisant claquer leur fouet. Mais, le plus souvent, les jas étaient occupés par des garçons- bergers, choisis parmi les enfants de l’assistance publique lorsqu’ils ne faisaient « faute à personne ». La solitude les rendait souvent sauvages. Échappant au statut de « souffre-douleur » dans lequel les villageois voulaient les enfermer, ils menaient sur le Ventoux une vie tranquille, mais sans confort. On leur donnait 2 litres de vin par jour, du pain et 1 demi-oignon. Ils avaient interdiction de manger une brebis. Les plus courageux complétaient ce repas par du fromage qu’ils faisaient eux-mêmes. Ils travaillaient 7 jours sur 7, avec la permission unique dans la saison de descendre à Malaucène le 29 septembre, le jour de la fête des bergers, pour trouver une nouvelle place. Les garçons-bergers ne se lavaient jamais ; l’accès à l’eau de la citerne, qui était réservé aux animaux, leur était interdit, pour éviter qu’ils ne souillent cette eau précieuse. La surveillance du troupeau se faisait « bâton planté » : ils ne pouvaient s’asseoir, car il leur revenait d’intervenir rapidement pour empêcher les brebis de détruire les glacières ou de piétiner les champs de lavande.
34Pour compléter leur maigre repas, les bergers, pour la majorité équipés d’un fusil, chassaient le renard – qu’ils ne refusaient pas de manger –, les perdreaux, parfois le chamois8. Présent au premier millénaire après Jésus-Christ sur les pentes du Ventoux, l’ours avait totalement disparu et il a fallu attendre la première guerre mondiale pour que soit réintroduit le sanglier. Pour tuer le petit gibier à plume, les bergers creusaient dans le sol près de leur gîte un bassin peu profond qu’ils remplissaient d’eau de telle manière à attirer les oiseaux. Ils tiraient depuis leur fenestron. On remarque encore aujourd’hui que l’ouverture faite sur le Jas des Abeiés permettait, grâce à une large embrasure en éventail, de couvrir avec le fusil un secteur élargi.
35Les bergers ne montaient au jas avec leur mule et leur charrette que pour ramasser le « mignon », constitué de crottin de brebis, sans paille, qui était très recherché par les agriculteurs comme engrais.
36Il n’y avait pas de femme parmi les bergers. En revanche, les cochons qui étaient élevés dans les baumes près des forêts de hêtres du Ventoux, notamment sur les hauteurs, étaient gardés par des femmes. Ces cochons se nourrissaient principalement des fênes.
Le loup sur le Ventoux
37Avant qu’il ne disparaisse – parfois empoisonné – au début du XXe siècle, le loup constituait une véritable menace pour les troupeaux. À tel point que les bergers avaient un fusil pour défendre leurs bêtes. Gérard Damian se souvient de deux épisodes qui ont été conservés dans les mémoires :
Tenant le Jas de Compagnon, Siffrein Reynard était parti acheter en ville un chien avec collier à pointe. En remontant sur son jas, voilà que son chien s’échappa. Près de l’abri, il le retrouva ensanglanté près du seuil. Pensant que le chien avait blessé ses brebis, il se décida à l’abattre. Mais quelle ne fut pas sa surprise, lorsqu’il découvrit la dépouille elle- même ensanglantée du loup dans son jas ! Il comprit immédiatement qu’il s’était trompé en tuant son chien, qui, en réalité, s’était battu avec le loup et l’avait éliminé !
Un autre berger, excédé par les passages de loup, s’était posté aux Costières, près du sommet, à un endroit désigné par tous comme la « Passière des loups ». Il n’avait qu’une cartouche, quand il vit apparaître deux loups de forte corpulence. Pour éviter de se mettre en danger face à un probable survivant, il prit le parti de ne pas tirer !
Les chantiers de restauration de l’APARE
38Ces chantiers ont un double rôle : mettre en valeur le site, pour le rendre attractif ; sauvegarder le contexte historique et pastoral. Certains jas sont privés, la plupart sont communaux. Mais la Commune entend mettre fin au fermage, car elle s’est rendu compte que ce statut ne facilitait pas l’entretien des abris. Les Jas du Tomple et de la Couanche sont utilisés périodiquement. Il existe encore alentour quelques fermes disposant d’un troupeau, notamment une ferme de Monieux, disposant d’un troupeau de 700 bêtes qu’un berger mène à la Couanche en été, ainsi que la grande exploitation Montagard de Bédoin, utilisant notamment le jas du même nom.
39Les sites de restauration sont le plus souvent choisis en fonction des facilités d’accès pour un camion. Le chef de chantier part à chaque fois de l’existant, en souhaitant reconstituer le site à l’identique. En général, la campagne de restauration d’un jas s’articule sur deux périodes : dans un premier temps, il faut d’abord s’atteler au débroussaillage et au nettoyage du site, pour ensuite remonter les murs. Dans un second temps, l’équipe de l’APARE, composée majoritairement de bénévoles, s’emploie à la mise « hors eaux » (couverture de l’abri du berger et réfection de la citerne). Il convient notamment, lors de cette étape, de procéder à la pose des poutres après leur « engravure » (enfoncement dans les murs).
40Jean-Michel André a participé à la restauration en 1992-1993 du jas des Pèlerins, qu’un éboulement du mur du nord menaçait d’écroulement. La couverture se fit en dalles de pierre, comme pour la Chapelle Sainte Croix et l’Église de Malaucène. Le choix de ce matériau avait été dicté par les risques de détérioration que le gel peut causer sur les toits en tuile. Il fut aussi question de maintenir une unité architecturale pour ce type de bâtiment situé près de la cime.
41Dans les années 2000, la restauration du Jas du Mourre précéda celle du Jas de Pié-Gros. Sur le site de la Couanche, les bénévoles de l’APARE procédèrent à une restauration partielle, notamment au relèvement d’un chaînage d’angle. En 2012, le Jas des Mélettes fut relevé partiellement (composé de deux bergeries, une seule a été reconstruite, avec toiture uniquement sur l’abri du berger). Pendant l’été 2014, un chantier s’ouvrit sur le site de Perrache, qui permit de restaurer les enclos, la citerne et l’abri du berger. La campagne suivante concerna le Jas du Toumple, doté d’un abri de berger. Il a été question de consolider les murs et de remplacer les vieilles tôles couvrantes de l’abri destiné au troupeau. Le Jas du Compagnon a également été relevé.
Notes de bas de page
1 Les développements qui suivent sont inspirés d’un article intitulé « Jas et drailles du Ventoux » qui a été publié aux Études comtadines. Nous remercions M. Jean-Paul Chabaud de l’avoir accueilli dans la revue qu’il a créée et qu’il dirige.
2 25 balades sur les chemins de la pierre sèche, ouvrage publié avec le concours de l’APARE, Éd. Le bec en l’air, 2008.
3 Brun (Georges), Le Mont Ventoux : Recueil de textes anciens et modernes, Graveson, Le Nombre d’Or, 1977, p. 53.
4 Texte publié initialement dans Le Républicain de Vaucluse en 1874, et reproduit dans l’ouvrage de Georges Brun, Le Mont Ventoux : Recueil de textes anciens et modernes, Graveson, Le Nombre d’Or, 1977, p. 154.
5 Les jas désignés en caractère gras figurent sur la carte IGN.
6 Gravier (Mireille), Paysans et paysages du Ventoux, Brantes, Éd. du Toulourenc, 2006, p. 47.
7 Gravier (Mireille), Paysans et paysages du Ventoux, Brantes, Éd. du Toulourenc, 2006, p. 47.
8 Jouvaud (Gilbert), « Au Temps des bergeries », Les Carnets du Ventoux, Déc. 1994, p. 75.
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