V – Le Ventoux, entre vent, neige et eau
p. 129-138
Texte intégral
L’eau de là-haut
1Qui n’a pas été surpris par un orage ou une tempête sur le Ventoux ? Plus on grimpe, plus on est exposé à des variations météorologiques, comme l’atteste le nom même du Col des Tempêtes. Lorsque le phénomène arrive, il est préférable de se mettre à l’abri et d’attendre la fin du petit déluge, qui était très redouté au début du XIXe siècle lorsqu’il n’y avait que ravines et pelouses désertiques sur le Ventoux.
2Le juriste Eugène Barrême s’est trouvé exposé à un de ces orages violents lorsqu’il était en excursion sur le Ventoux le 19 août 1878 avec des amis et le docteur Taulier ; les voyageurs avaient trouvé refuge dans la Chapelle de la Sainte Croix – au point le plus haut –, quand ils furent surpris dans leur sommeil par les éléments déchaînés du ciel ; à la lecture de ce récit, on se rend mieux compte que les orages du Ventoux atteignent directement le sommet, à une hauteur où les gens de la plaine sont déjà protégés par la distance :
Soudain un formidable coup de tonnerre, sec et sans écho, éclate comme une bombe au-dessus de la chapelle, fait vaciller les murs, ébranle le sol et nous éveille en sursaut. Au même instant et comme s’ils n’eussent attendu que ce signal, tous les éléments se ruent à la fois à l’assaut du Ventoux. La bataille est engagée, attention ! Les éclats de la foudre se succèdent sans interruption comme des décharges d’artillerie. Le vent fait rage autour de nous et pénètre par toutes les fissures avec des hurlements de bêtes fauves et des plaintes déchirantes de damnés. Une pluie diluvienne fouette les dalles qui forment la toîture, passe à travers les fentes de la voûte et nous inonde d’une douche glacée. Nous cherchons d’abord un refuge dans le sanctuaire, puis aiguillonnés par notre curiosité instinctive qui pousse l’homme à braver le danger, nous entr’ouvrons laporte et drapés de nos couvertures, debout contre la muraille, serrés les uns contre les autres, nous assistons comme Lord Byron ou Beethoven, au sublime spectacle que nous donne la nature. Quelle plume pourrait décrire cette lutte terrible des éléments ligués contre le Ventoux ! On croirait par moment que la montagne chancelle sur sa base et va crouler comme dans un de ces cataclysmes qui, aux temps primitifs, bouleversaient l’écorce terrestre. De tous côtés, à nos pieds même, les éclairs jaillissent, zèbrent l’opaque brouillard et l’illuminent de leurs clartés blafardes (…).
3Quelques années plus tard, le botaniste Charles Flahault a raconté, dans une lettre du 9 octobre 1895 adressée à sa mère, comment il avait trouvé refuge lors d’une pluie torrentielle, dans le baraquement situé au lieu-dit le Contrat, à une hauteur avoisinant 1 450 mètres ; mais il fit le choix, lors d’une accalmie, de poursuivre sa progression :
On se serre dans l’étroit refuge autour du poêle qui ronfle. La baraque de bois tremble sous les rafales et l’eau nous assourdit en battant le toit léger. Nous attendons, mais la pluie tombe toujours. Nous attendons… Attendons encore en devisant. Mais la pluie tombe toujours et par torrents. On ne voit plus à deux mètres, le tonnerre gronde et le vent redouble. On décide en conseil qu’il faut renoncer à arriver au sommet ; nous déjeunons là, nous tenant prêts à redescendre à la première éclaircie. Elle vient bientôt et nous nous hâtons de peur que le concert recommence. Nous luttons avec peine contre le vent aux endroits découverts et nous courons presque chaque fois que c’est possible. C’est que les nuages sont toujours menaçants, tout noirs, montant et descendant sur les flancs de la montagne décharnée. Tout là- haut, au bord d’un formidable escarpement, voici une fumée que le vent emporte et jette en tous sens. Quelle puissance invisible a allumé ce feu sur ce mur de titans ? C’est une cascade qui arrivant au bord de l’abîme est enlevée par les rafales et remonte en poussière vers les nuages (…)1.
Les sources discrètes du Ventoux
4La fontaine la plus remarquée, située dans une combe après le chalet Reynard est dite « Fontaine de la Grave ». Autrefois, ce lieu continuellement alimenté en eau s’appelait la « Font des Pastres ». En 1865, Jean-Henri Fabre la décrivait comme « un mince filet d’eau reçu au sortir du sol dans une série de longues auges en hêtre où les bergers de la montagne viennent faire boire leurs troupeaux. La température est de 7°, inestimable pour nous qui sortons des fournaises caniculaires de la plaine ».
5Il existe sur le versant sud une autre fontaine abondante, la fontaine d’Angiou. Elle servait également à abreuver les ovins : une draille y menant portait le nom de la « draille de la fontaine d’Angiou ». Cette source a été restaurée en 1988 par des habitants de Bédoin, heureux de maintenir intact le patrimoine de « leur » montagne. Cette fontaine alimente en contrebas un réservoir contemporain servant à la lutte contre les incendies.
6Au nord, se situe une autre fontaine sous le Col des Tempêtes, difficilement accessible : la Fontaine de Fonfiole, qui libère une eau d’environ 4 ou 5°C. Les randonneurs du petit matin sont nombreux à y voir s’abreuver des chamois qui, ensuite, disparaîtront de la vue humaine dans la journée. À l’aplomb de Saint Léger, après le Col du Comte, a été aménagée une fontaine dite de « l’Arjelas ». Jaillissant du sol à l’aide d’un tuyau en métal, elle a dû servir à des bergers, des chasseurs et aux forestiers qui ont participé au reboisement du Ventoux.
Les sources en forme de résurgence
7En bas, près des Gorges du Toulourenc, sur la rive gauche, se niche une fontaine foisonnante que l’on appelle la source de Notre-Dame des Anges. Il s’agit d’une résurgence qui jaillit au fond de la grotte de la Baume.
8Située sur la rive droite du Toulourenc, la Font de Martin est alimentée par des écoulements gravitaires du front septentrional du Ventoux et du versant oriental de la montagne de Bluye.
9Plus importante encore, la fontaine du Groseau laisse sortir directement de la montagne des jets puissants d’eau claire, douce et rafraîchissante. Elle alimente ensuite une petite rivière qui traverse le site des manufactures de papier de Malaucène. Encore aujourd’hui, les gens de la ville viennent remplir leur bouteille d’eau minérale auprès de cette source mythique. Le Groseau est habituellement considéré comme une résurgence du même type que celle de Fontaine de Vaucluse, également alimentée par les eaux infiltrées du Ventoux et des Monts de Vaucluse. Ces eaux jaillissent de terrains calcaires fissurés d’âge crétacé, que l’on dit nés du procédé de la karstification. Très tôt, les hommes ont divinisé ces eaux qui permettaient à Dieu et la Vie d’habiter de plus près leurs corps. La consécration de la source du Groseau au dieu celte Graselos n’a pas empêché les Romains et les chrétiens de reprendre à leur compte ce site divin2. Le pape Clément V aimait se rendre dans sa résidence d’été du Groseau.
10Mais la résurgence la plus importante est celle de la Fontaine de Vaucluse, certes plus distante, mais que l’on pense alimentée en grande partie par l’hydrographie du Ventoux3, l’impluvium de cette fontaine couvrant aussi le plateau d’Albion, les monts de Vaucluse et la montagne de Lure.
Les lacs et plans d’eau artificiels
11Autour du Ventoux, il y a trois plans d’eau artificiels liés à l’hydrographie du massif.
12Le premier plan d’eau qui a été créé est celui du Paty, à la faveur d’un barrage, édifié entre 1764 et 1766, selon les plans dressés par le Père Morand, professeur de mathématiques au collège des Jésuites d’Avignon. Construit en pierre de taille, il mesure 6 à 7 mètres de large, 80 mètres de long sur sa partie supérieure et 20 mètres de haut.
13Le second plan d’eau est celui du Bourget, à Monieux, qui a été créé en 1965 afin de permettre l’alimentation en eau des travaux d’installation de la base militaire d’Albion. Sa superficie est de 2,4 hectares.
14Le dernier plan d’eau alimenté par les eaux du Ventoux est l’étang des Salettes, de Mormoiron. Situé au confluent de trois vallats (Maupas, Borel et Marquetton), il couvre 2 hectares.
Les débuts des sports d’hiver sur l’adret du Ventoux
15Les sports d’hiver ont vu le jour sur le Ventoux près du Chalet Reynard. Le 14 février 1926, une équipe de Carpentrassiens – composée de Marius Chabaud, Julien Ravaute et Pierre Rey – fit la première expédition en vue d’organiser une démonstration de ski. Une seule paire avait été montée, il fallait donc attendre patiemment son tour. Un film immortalisa ces premiers essais4. Pierre de Champeville créa ensuite avec quelques amis, notamment Firmin Meyer, le ski-club de Carpentras, en vue de développer la pratique des sports d’hiver sur le Ventoux.
16Depuis lors, à 1440 mètres, la station du chalet Reynard ouvre ses pistes chaque année en hiver, lorsque la neige est au rendez-vous, car il s’agit de la face la plus ensoleillée et, partant, sensible à la fonte rapide des neiges : 2 téléskis desservent 6 pistes rouges et bleues. Un tracé permet aux sportifs munis de raquettes de gagner le sommet. Le restaurant a été construit en 1926. Plus tard, un magasin adjacent de matériel de sport a été ouvert. Aujourd’hui, il y a autour de cette station plusieurs chalets privatifs en bois.
La création d’une station de sports d’hiver sur le Mont-Serein
17Dès les années trente, l’idée s’imposa d’ouvrir également une station sur la face nord. Avec ses amis Émile Peyre et Alain Charasse, le directeur de l’école de Malaucène, M. Aubert, emprunta en motocyclette le chemin forestier de Malaucène à Piaud et aux Ramayettes, puis la grande draille des Prés du Mont-Serein qui conduit à l’ancienne Bergerie de l’Avocat. Poursuivant à pied, en direction de la Font du Contrat où subsistaient les baraquements de la période des reboisements, ils découvrirent, selon les mots utilisés par Pierre de Champeville, « un balcon baigné de lumière où les bouquets de vieux pins tordus allongent leurs ombres bleues sur un tapis de neige vierge ». L’idée s’imposa aux trois randonneurs d’y développer la pratique du ski à l’image du versant sud. Mais il fallut attendre la construction de la route depuis Malaucène, l’accès n’étant possible qu’au moyen de drailles abruptes et de sentiers caillouteux.
18C’est après l’achèvement des travaux d’aménagement de cette route en été 1932 qu’on put se rendre plus facilement au Mont-Serein5. Dès les premières neiges, la nouvelle station vit affluer de nouveaux adeptes, qui participèrent même à des compétitions. Raoul Chauvert, un maçon de Malaucène, édifia à leur intention un chalet de bois – rapidement présenté comme le chalet Chauvert – servant d’abri et de lieu de ravitaillement. Reconstruit plus tard en pierre, il devint le chalet Liotard.
19C’est en 1934 que les Ponts et chaussées s’équipèrent d’un Véhicule 15 CV susceptible de porter une étrave nécessaire au déneigement. Les routes devinrent plus accessibles, notamment pour se rendre aux stations du Mont-Serein et du Chalet Reynard.
20Il a fallu attendre 1937 pour voir apparaître au Mont-Serein un remonte- pente : il s’agissait d’une sorte de luge géante sur laquelle 15 personnes debout avec leurs skis aux pieds pouvaient prendre place pour être hissées en haut de la piste par un treuil. En 1940, une corde tournant autour de deux poulies permettait aussi de se faire tracter en direction de la crête, pour terminer sur les pistes de la Lisière et du gros Pin.
21Après la guerre, un chalet fut édifié au centre des installations de remontées mécaniques afin d’y abriter le personnel temporaire et le matériel d’étraves et de fraiseuses. En 1950, une liaison réservée aux services d’entretien est créée entre les deux stations du Mont-Serein et du Chalet Reynard et devient rapidement un chemin apprécié des skieurs de fond et de randonnée.
22Dans les années 60 et jusqu’aux années 80, les téléskis du Mont-Serein se développèrent sous l’impulsion de l’Association pour la Pratique des Sports d’Hiver au Mont Ventoux (APSHMV) ; de 1980 à 1992, la gestion du site revint à la Régie autonome du Mont Ventoux (RAMV). Le 15 décembre 1992, elle a été reprise par l’Association pour le développement et la promotion du Mont Ventoux (ADPMV). Il existe actuellement sur le Mont-Serein huit remontées mécaniques (un tapis pour le jardin d’enfant ; les téléskis de La Prairie ; La Source ; La Lisière ; La Chapelle ; Les Crêtes ; Le Gros Pin ; Le Vallon) qui mènent à 16 pistes (3 vertes ; 4 bleues ; 6 rouges ; 3 noires).
L’exploitation commerciale des glacières
23Sur le Ventoux existent des fosses à neige, désignées sur les cartes comme des « conserves à glaces ». Sur le lieu-dit de la « Chaudure », il existait neuf fosses creusées dans la caillasse dont trois sont encore visibles de nos jours près du sentier dit des glacières, à quelques centaines de mètres du « Jas des Pèlerins », dit aussi le Bâtiment ; les dimensions moyennes de ces glacières étaient de six mètres de diamètre sur quatre mètres de profondeur. Les dernières glacières ont tendance à se combler peu à peu et se recouvrent de végétation ; pendant l’hiver, les exploitants de ces conserves faisaient monter au Ventoux des préposés chaudement emmitouflés pour les charger de les remplir de neige et de les recouvrir de matières isolantes : branchages, paille, feuilles de houx imputrescibles qui conservent mieux la neige damée. La glace obtenue en hiver par enfouissement dans ces fosses perdurait toute la saison chaude.
24Pendant l’été, l’ouvrier taillait la glace en blocs cubiques avec des ciseaux d’acier et les faisait glisser sur le chemin proche des fosses. Les blocs de glace étaient d’abord tirés par des mulets jusqu’aux chemins carrossables, où le relais était pris par des charrettes tôlées. La descente du Ventoux était périlleuse, à tel point qu’il fallait régulièrement arroser les freins métalliques ! En bas de la vallée, on stockait cette denrée rare dans des glacières – par exemple dans celle de Mormoiron, celle de Monteux ou celle de Mazan, récemment découverte – ou on se dépêchait de la transporter auprès des grandes villes, là où se trouvait la clientèle riche – Carpentras, Avignon, Arles, Marseille – le cas échéant en utilisant des bateaux sur le Rhône. Cette glace fragile était destinée à fabriquer des sorbets ou à conserver la viande, voire les corps ! Très souvent, il ne restait d’un chargement initial que la moitié de son volume, par suite de la fusion sous le soleil. Il fallait couvrir la glace pour éviter qu’elle ne fonde et la transporter de nuit !
25L’ouvrier choisi pour cette tâche ne trouvait là qu’une occupation saisonnière ; il n’avait d’ailleurs aucune qualification particulière, sinon celle de muletier ou de charroyeur de glaces. L’hiver, qui occupait peu les journaliers agricoles, était propice à ce type d’activité. À une époque où les routes de montagne n’existaient pas, le chemin emprunté sur le Ventoux était toujours le même : on partait d’un sentier instable depuis les conserves de glace, pour rejoindre le clapier de l’Ermite. Après avoir quitté la zone forestière, il fallait emprunter la Combe Fiole, passer les Fébriers, dépasser les Baux puis arriver à Bédoin. Le trajet utilisé était ni plus ni moins celui des pèlerins qu’ils empruntaient pour monter à la Chapelle de la Sainte Croix.
26Il y avait aussi sur le versant nord une glacière au lieu-dit la Rieufroid, entre Malaucène et Beaumont-du-Ventoux, dont le vieux plan cadastral de 1835 indique un « Coulet des glacières », une « Combe des glacières » et une « draye des glacières », à l’ouest du plateau du Mont-Serein. Les archives communales de Malaucène et de Beaumont conservent dans les registres de délibération le témoignage officiel de l’exploitation et de l’affermage des glacières entre 1854 et 1878. Cette glacière n’était pas une simple réserve creusée dans le sol. Dotée d’une porte, elle était circulaire, avec une hauteur et un diamètre de 6 mètres. L’intérieur était crépi, alors que le sol était de terre battue6.
27Du côté de Bédoin, il existait des « baux à ferme de la neige ou glace ». Ces baux comportaient deux éléments distincts, le bail de la « provision » c’est-à-dire la fourniture de la neige – passé entre la ville et les fermiers habitants de Bédoin, et le bail de la « débite » – c’est-à-dire de la vente au détail dans la ville, passé entre les fermiers et les revendeurs. La période de la fourniture allait de Pâques à la Toussaint ou du 1er mai à fin octobre.
28Une fois arrivé près de la glacière, le charroyeur déposait les blocs de glace sur un treillage en bois pour permettre l’écoulement de l’eau de fusion. La glace était ensuite tassée et on la recouvrait d’une dernière couche de paille, d’herbes sèches ou de toute autre matière naturelle isolante. Une fois remplie, la glacière était fermée hermétiquement, jusqu’à ce que l’exploitant en prélève une part à la saison voulue, en vue de satisfaire la clientèle7.
Une ascension du Ventoux enneigé le 25 janvier 2015
Je laisse la voiture peu après le Chalet Reynard, au bord de la route glacée. Une barrière empêche toute progression sur la route enneigée, comme chaque année à cette époque. D’ailleurs, qui oserait s’aventurer sur cette route impraticable ? Je vois quelques cyclistes redescendre la voie blanche, avec des VTT équipés de pneumatiques neige (oui, cela existe !). En réalité, ils n’ont pu aller très loin, car la voie d’accès n’a pas été dégagée. Ils m’expriment leur déception face à ce matériel qu’ils viennent d’acquérir et qui ne leur a pas permis d’aller très loin.
Je commence une grimpette à pas de course sur la voie encombrée de congères. Très vite, le poids de la neige (en réalité mon propre poids) me ralentit. Mon pied s’enfonce jusqu’à mi-mollet ! Il y 5 kilomètres à parcourir jusqu’au sommet. Le soleil brille de tous ses éclats, mais un froid glacial, accentué par le vent, se plaque sur mon visage. Des tourbillons de vent emportent la poudreuse comme du sable. La neige apparait vierge de partout, car les sautes du vent recouvrent toute ancienne trace. La progression se fait moins vite que je le souhaitais. Parfois, mon pied s’enfonce brusquement dans la neige, arrêtant toute progression. Il m’est nécessaire de retrouver un chemin plus praticable, tout en gardant comme repère les piquets noirs et jaunes qui bordent la route. De part et d’autre, les sapins sont accablés de neige. On repère encore les traces du pierrier, mais la neige se fait de plus en plus épaisse. Heureusement, j’ai laissé chez moi mes vieilles paires de running pour préférer des chaussures style rangers, qui accrochent bien au sol.
Par endroit, la neige est sculptée par le vent. Un peu plus haut, je remarque des skieurs de randonnée qui paraissent tout petits dans cet épais manteau blanc.
Tout d’un coup, après un virage, la tour du sommet apparaît, entourée d’un halo de poudreuses légères. Toute petite au milieu de cet amas de neige, elle est comme une boussole, qui ne cesse de grossir au fur et à mesure de ma progression. Sur la droite, apparaît bientôt la stèle du cycliste Tom Simpson, qui a succombé il y a maintenant près de 50 ans à l’ascension du Ventoux en bicyclette. La neige s’est creusée autour de la pierre commémorative, mais on peine à lire ce qui est inscrit dessus.
La neige se fait de plus en plus épaisse et il n’est pas rare que je m’enfonce jusqu’à mi-cuisse. Pour ne pas freiner ma progression, je choisis de marcher sur une crête dessinée par le vent, dont le faîte est bien glacé. Cela m’évite de m’enfoncer dans les masses neigeuses. Par moment, le vent emporte la neige fraîche et forme un léger nuage blanc qui masque la vue. Heureusement, une pellicule de glace s’est formée sur la couche neigeuse, à la faveur des températures négatives de la nuit. Je poursuis ainsi ma progression jusqu’au sommet. Là-haut, un vent violent me gifle à la hauteur du restaurant Vendran englouti sous la neige. La Chapelle de la Sainte Croix apparaît figée dans des postures glacées, et accueille quelques marcheurs heureux de trouver un abri à la fois temporaire et éternel. Un peu plus haut, la tour blanche qui supporte les antennes de télécommunication semble s’être endormie dans la neige, à moitié rentrée dans la pierre. De part et d’autre, des stalactites se sont formées sur les piquets, les panneaux de signalisation et les gouttières, empruntant la forme horizontale que leur a dictée le vent, telles des bannières. Je rencontre quelques skieurs, heureux de s’être réfugiés près des murs de la tour, pour à la fois échapper au vent du nord et profiter du soleil radieux, qui menace de disparaître. On a l’impression là-haut que tout se lave en vous et s’apaise dans la lumière déclinante.
Après quelques photos, je reprends le chemin du retour. La route est toujours ensevelie sous la neige. Il faut poser son pied sur la croûte pour éviter de s’enfoncer. Mes anciennes traces de pas ont disparu : c’est pourquoi tout est à refaire ! Finalement, la descente se fait assez bien, avec un bon rythme, sans que j’ai à sentir de grandes fatigues. Parfois, le vent glacé déporte la neige en flocons tourbillonnants. Mais le soleil est toujours là. Je dépasse même quelques randonneurs. C’est amusant de constater combien ces trois heures passées dans la neige m’ont permis de m’évader des misères du quotidien, surtout des solitudes mal maîtrisées par les autres et de leurs orgueils indéfiniment froissés ! Le Ventoux offre une culture de la sérénité.
Notes de bas de page
1 Flahault (Charles), « Herborisation au Mont Ventoux en 1895 », Les Carnets du Ventoux, 2e trimestre 2000, p. 93-94.
2 Peyre (Paul), « La Stèle gallo-grecque du Groseau », Les Carnets du Ventoux, 4e trimestre 2006, p. 40.
3 Puig (J.-M.), « Participation du Mont Ventoux au bassin d’alimentation de la fontaine de Vaucluse », in Etudes Vauclusiennes, n° spécial : Voyage autour du Mont Ventoux, Juillet 1987, p. 59.
4 Isnard (Patricia), « La Neige sur le Ventoux et dans le département », Les Carnets du Ventoux, 4e trimestre 1997, p. 61.
5 Ughetto (André), « Les Routes d’accès au Mont Ventoux », Les Carnets du Ventoux, 4e trimestre 1998, p. 22.
6 Peyre (Olivier), « La Neige du Ventoux nord et la glacière du Rieufroid », Les Carnets du Ventoux, Juillet 1992, p. 27.
7 Durand (Guy Gérard), « L’exploitation industrielle et la commercialisation de la glace naturelle », Les Carnets du Ventoux, Déc. 1991, p. 14.
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