Avant-propos
p. 11-13
Texte intégral
Envoûtant Ventoux
1Il y a plusieurs raisons qui justifient ce qualificatif, lorsqu’on évoque le Ventoux.
2D’abord sa dimension imposante : en quelques minutes de voiture, on passe de la plaine la plus basse – d’où le lieu-dit les « Baysses », à Bédoin – à une hauteur avoisinant 2 000 mètres. Insistant sur ce contraste, Jean Giono (1895-1970) présentait déjà le Mont Ventoux comme une « montagne qui habite un pays qui n’est pas le sien ».
3Ensuite, sa forme en accent circonflexe, qui lui donne à la fois de la stabilité et de la puissance ; Pablo Picasso (1881-1973), qui aimait le Vaucluse, l’a ainsi mis en valeur dans certaines Bacchanales ; omniprésent, le Ventoux peut être vu depuis le grand lointain – depuis la Méditerranée, Villeneuve-lès-Maguelone, le Mont Canigou, la Lozère, etc… ; c’est aussi pour cette raison qu’on l’appelle le « Géant de Provence ».
4Également la blancheur de sa calotte sommitale et son caractère lunaire, qui contrastent avec les flancs verts du piémont ; René Char (1907-1988) disait de cette montagne qu’elle abrite le « tombeau d’un Dieu ».
5Enfin l’ondulation de ses combes recouvertes de forêts, qui donne l’image de plissements dans une chevelure foisonnante ou un doux pelage. Le Ventoux est comme une divinité – dieu ou déesse –, un homme ou un animal qui ne cesse d’affirmer sa présence.
Le Ventoux appartient à celui qui le regarde
6Un jour, un comtadin amoureux du Ventoux m’interroge en me demandant à qui appartient le Ventoux. Me souvenant qu’il était partagé entre plusieurs communes, je pars dans une énumération hésitante : « Il appartient à Bédoin et à Flassan… à Malaucène, bien sûr… à Caromb, pour le versant occidental… à Beaumont du Ventoux et au petit village voisin de Saint Léger du Ventoux, sans aucun doute… à Brantes, le village perché… à Savoillan… pour le versant est, à Sault… J’allais oublier Villes-sur-Auzon, Monieux et Aurel, qui sont rattachés au massif… ». En réalité, j’avais dans mon esprit et mon langage déjà détruit l’unité et, partant, la majesté du Ventoux, en le rendant à l’état de puzzle inachevé. Mon interlocuteur m’arrête rapidement pour me dire cette vérité qui me laissa bouche bée :
« Le Ventoux appartient à celui qui le regarde ».
7Ce vauclusien, qui avait pris l’habitude de lever les yeux sur le Ventoux tous les matins, avait raison. Il est illusoire de vouloir morceler le Ventoux. Dans une même journée, il peut changer d’aspect, de couleur et de climat. Les variations de luminosité ont un impact immédiat sur le Ventoux qui, par ailleurs, est très sensible aux saisons1. Qui n’a pas été ébloui, un jour d’octobre, par les éclats dorés que laisse l’automne sur les cerisiers et la vigne qui l’entourent à la base, de même que sur les hêtres, les chênes et, surtout, les érables qui le peuplent ?
Le Ventoux, lieu de contrastes
8Le Ventoux est surprenant en tant que lieu de contrastes. De la plaine, on s’interroge sur sa hauteur impressionnante. L’humanité du Comtat laisse place, lorsqu’on s’élève, au désert : là-haut, même les oiseaux s’arrêtent de chanter et seules les fleurs de pierrier peuvent espérer s’y maintenir. La chaleur du bas s’évanouit devant la fraicheur de la cime. La verdure des flancs laisse peu à peu la place aux cailloux de la crête, que l’on appelle la « casse ».
9L’habitat abrité dans la vallée disparaît progressivement lorsqu’on grimpe au sommet, très exposé au vent hurlant et giflant ; la limpidité du ciel peut se ternir dans la brume des hauteurs ; il n’est pas rare, sous un ciel radieux, de voir une masse nuageuse s’arrêter sur le Ventoux – on évoque alors la présence d’une « mer de nuages » – et y déverser eau à la belle saison, brouillard et neige en hiver.
10Le Ventoux est né de l’alliance du ciel, de la pierre, de la terre et de la mer.
Le Ventoux comme sentinelle
11Le même interlocuteur poursuit en indiquant que l’accès au sommet du Ventoux est protégé par des sentinelles...
12S’agit-il d’un site protégé ou protecteur ? Il est les deux en même temps. J’ai pensé d’abord à la protection spirituelle de la Chapelle de la Sainte Croix, mais aussi aux installations militaires qui ont été implantées au-delà du Col des Tempêtes. En réalité, ce n’est pas tout à fait cela qu’il évoquait : les sentinelles, certes habillées de vert, ne sont que les pins et les sapins qui tapissent le Ventoux avant le chalet Reynard. Si l’on a tenté l’effort physique jusqu’à cette altitude, la porte étroite et ombragée qui, sinueuse, s’ouvre comme dans une cathédrale de verdure, finit par donner sur la partie sommitale, largement pierreuse, grisâtre, puis blanchâtre, enfin désertique, souvent exposée au soleil accablant ou au vent violent. Si le marcheur ou le cycliste veut s’abreuver et se rafraichir à la Fontaine de la Grave – d’où l’eau jaillit sans faillir à la même température : 7 degrés –, il repart avec le sentiment d’avoir été apaisé, pourquoi pas baptisé ! Marie Mauron (1896-1986) appelait cette montagne envoûtante le Dieu Ventoux !
Mazan, le 24 décembre 2015
Franck Petit
Notes de bas de page
1 Galas (Jacques et Philippe), Les Quatre Saisons du Ventoux, Brantes, Ed. du Toulourenc, 2012.
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