Préface
p. 7-8
Texte intégral
1La vallée du Rhône, un espace si fragmenté et si cohérent à la fois, une vieille frontière d’Empire parcourue d’incessantes circulations d’hommes, de marchandises, d’idées… et d’armées. L’une de ces dernières, équipée par la Convention nationale, vint y rétablir son ordre révolutionnaire à l’été 1793. Tandis que Kellermann assiégeait Lyon, l’armée des Alpes commandée par le général Carteaux progressait vers le sud, de Valence jusqu’à Marseille, pour y réduire les rebelles. À l’arrivée des troupes, certaines villes de la vallée protestèrent de leur fidélité à l’assemblée, d’autres clamèrent leur résistance à son oppression, dans un de ces moments de vérité où l’affirmation d’une affiliation est un choix dramatique. De Lyon jusqu’à Arles, la région était profondément divisée selon des lignes de fracture complexes, dont la localisation et les logiques de formation ne sont pas facilement explicables de prime abord. En effet, la carte des prises de position à l’été 1793 n’est pas facilement intelligible à la première lecture.
2Il fallait un historien rigoureux, patient et bon connaisseur de cet espace pour parvenir à dévoiler tous les replis d’une conflictualité multiforme et enracinée dans le temps long d’une histoire politique à cheval sur l’Ancien Régime et la Révolution. C’est ainsi que Nicolas Soulas a parcouru toute la vallée du Rhône, de dépôts d’archives départementaux en dépôts municipaux, pour exhumer les traces – parfois ténues – des affrontements politiques – au sens large – qui ont secoué les communautés d’hommes et de femmes habitant au bord du Rhône et dans ses environs immédiats. Dans près d’une trentaine de villes-tests, il a dépouillé un nombre impressionnant de registres et de liasses, avant de les soumettre à plusieurs approches méthodologiques. Il s’est fait tour à tour quantitativiste, en mesurant les taux de renouvellement des autorités municipales, microhistorien, en restituant la richesse des contextes sociopolitiques locaux, et presque anthropologue en étudiant les mutations des formes de violence mises en œuvre par les acteurs des différentes situations politiques. Rajoutons à cela un souci constant du jeu d’échelles, qui seul permet de réinsérer dans un espace national des luttes politiques locales que d’aucuns pourraient considérer comme picrocholines, bien que l’on sache depuis longtemps que les différentes échelles d’un phénomène ne sont pas réductibles les unes aux autres.
3De fait, la thèse qu’il en a tiré – et dont nous saluons, ici, la publication réfléchie – est elle-même multiforme dans ses résultats. Elle donne d’abord à voir une géographie politique renouvelée, dans laquelle les prises de position des villes en 1793 prennent tout leur sens. On y observe en particulier une subtile combinaison des frontières d’Ancien Régime avec les clivages dramatiques issus des événements comtadins et avignonnais des premières années de la Révolution. Sans anachronisme, le lecteur y trouvera même des éléments suggestifs pour relire la carte politique contemporaine, comme l’avait suggéré Paul Bois pour la Sarthe dans ses Paysans de l’Ouest. Quoi qu’il en soit, la carte complexe que propose Nicolas Soulas enrichit singulièrement notre connaissance des frontières politiques révolutionnaires. Cette recherche apporte aussi beaucoup à la compréhension de ce que l’on nomme parfois la « politisation » des individus, mais qui – plutôt qu’une naissance à la politique – n’est bien souvent qu’une mutation de leur culture en la matière, car – après bien des thèses en histoire politique locale, dont on peinerait aujourd’hui à faire un recensement exhaustif – qui pourrait encore affirmer qu’il n’y avait pas de vie politique dans les villes et les villages de la France d’Ancien Régime ? C’est donc bien par-là que Nicolas Soulas a commencé son travail, afin de mettre en évidence les dynamiques diverses d’une participation politique profondément renouvelée par le phénomène révolutionnaire. Cette approche consistant à observer ces mutations de la culture et des pratiques comme les produits successifs d’une sédimentation des expériences est finalement très fructueuse et prouve encore combien la Révolution ne peut être enfermée dans une dialectique entre rupture et continuité. Avec une maîtrise certaine de la microhistoire, celle dont le potentiel narratif permet de déconstruire les logiques de l’action, l’auteur montre comment des pratiques anciennes ont été recyclées dans des formes d’expression nouvelles. Le lecteur suivra ainsi avec intérêt l’analyse des événements survenus – entre autres lieux – à Saint-Paul-Trois-Châteaux, à Mondragon et à Orange, terrains tout à la fois d’affrontements et de recherches d’idéaux collectifs.
4Voici donc l’édition d’une belle étude qui, dans un champ classique de l’histoire révolutionnaire, devrait susciter l’intérêt des spécialistes de la période – en particulier de ceux que les découpages académiques agacent – aussi bien qu’attirer l’attention des curieux d’une histoire régionale et locale dont l’auteur sait restituer brillamment quelques-uns de ses moments dramatiques.
Auteur
Professeur d’histoire moderne Avignon Université Centre Norbert Elias UMR 8562
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