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Introduction : l’étude de la régulation de la pauvreté
p. 21-53
Texte intégral
1Il faut quelques heures de route en partant des capitales de la région Nordeste du Brésil pour découvrir le paysage semi-aride. Souvent, c’est en quittant une grande ville et ses franges industrielles, le long d’autoroutes parfois bordées de bidonvilles, de favelas ou de petits rassemblements de maisons en briques apparentes. Les villes font alors place à la végétation côtière, mélange de forêts de palmiers dispersés, de mangroves le long des rivières allant à la mer et de vastes champs de canne à sucre. Les petits villages de maisons en file indienne de chaque côté de la route se succèdent et, à leurs abords, des jeunes profitent que les voitures s’approchent des ralentisseurs pour vendre des fruits de saison aux voyageurs.
2Le Sertão, nom populaire de la région qualifiant la délimitation territoriale appelée Semi-aride1, apparait doucement. Sauf dans les périodes les plus pluvieuses, le vert laisse place au gris-jaune de la caatinga, qui donne ses tonalités à l’écosystème particulier du Nordeste brésilien.2 Les arbres tordus gardent peu de feuilles en cette saison pour ne pas dépenser de l’eau inutilement. La variété de cactus impressionne : mandacaru, xique-xique, facheiro, palma, coroa-de-frade, rabo de raposa, entre autres. La terre devient blanche, les collines ou les petites chaines de montagnes rocheuses gagnent l’horizon. D’un coup, le voyageur réalise qu’il est déjà dans le Sertão.
3La présence des troupeaux d’animaux devient plus fréquente. Le bétail paît dans les pâturages, les chèvres dispersées dans la caatinga cherchent les dernières feuilles aux arbres, les ânes, qui ont été récemment remplacés par les motos comme moyen de transport principal des nordestinos — les personnes originaires du Nordeste —, errent à côté de la route. Ces animaux entourent de petites fermes : une maison, le jardin, quelques arbres à fruits, une citerne d’eau, les champs et la végétation derrière. Tous les dix kilomètres il est possible d’accéder à des chemins de terre qui donnent accès à d’autres fermes ou à des communautés de paysans.
4Éventuellement la route entre dans de petites villes qui furent des villages ruraux, mais qui aujourd’hui se transforment en centres commerciaux. L’église est toujours sur la place principale, qui était parfois un ancien centre-ville. Pas très loin on voit les bâtiments de l’administration publique, une ou deux banques, des bars et des restaurants. Les magasins trouvent leur place même dans les villes les plus petites : vêtements, appareils électroménagers, meubles, motos. Chaque week-end il y aura des marchés de rue, des fêtes, des rodéos, des groupes de musique qui traversent la région en tournée.
5Si on suit la route, on arrive dans une des villes principales du Sertão — celles classifiées au Brésil comme « moyennes », c’est-à-dire entre 100 000 et 500 000 habitants. Il y en a plusieurs, qui jouaient historiquement le rôle de poste de traite entre la région côtière et l’intérieur. Ce sont peut-être les centres urbains qui ont récemment connu la plus grande transformation du pays. Ils ont attiré des investissements, l’industrie et le commerce, les universités publiques, les hôpitaux. Ils sont devenus la principale destination des migrants de toute la région en quête d’emploi, qui auparavant allaient jusqu’à São Paulo, ou d’autres grandes villes à deux ou trois jours de voyage. Maintenant ces migrants font partie de la population qui habite les nouveaux quartiers populaires de ces villes moyennes, ou des favelas aussi, pas très différentes de celles connues plus au sud du pays.
6Dans ces villes, le développement économique récent n’éradique pas complètement la précarité, et la juxtaposition de ces deux mondes différents — parfois opposés — est inscrite dans l’espace. Dans les quartiers populaires, l’asphalte ne couvre que quelques rues, et les égouts sont fréquemment apparents. Les maisons sont collées les unes aux autres, formant un mur frontal de chaque côté de la rue. Les portes et fenêtres sont en métal, les maisons sont en briques. Elles ont toutes des plafonds bien construits. À l’intérieur, on voit souvent des draps partageant la pièce en plusieurs chambres. Elles manquent de lumière, mais il y fait frais, les gens y sont protégés de la chaleur intense du soleil. Il y a toujours une télévision et un lecteur de DVD ; dans la cuisine, il y a aussi un réfrigérateur et une cuisinière à gaz. Et ce qui n’allait pas de soi pour la majorité des personnes adultes de ces quartiers auparavant : dans les années 2010s, on y trouve toujours de quoi manger.
7Notamment pour ceux qui ont réussi à acheter ou à construire leur petite maison, il ne fait aucun doute que la vie des plus pauvres a été transformée radicalement dans la transition des années 2000s et 2010s. Cette transformation, dans laquelle la responsabilité de l’intervention de l’État est incontestable, est loin d’être seulement matérielle. Elle comprend aussi une importante modification dans la position sociale occupée par ces personnes. Dans ce contexte, ce livre étudie les interactions qui lient les pauvres du Nordeste à la société, sous l’angle des enjeux contemporains de la régulation de la pauvreté à l’échelle locale. Actuellement les principales transformations chez ce groupe concernent la reconnaissance de droits sociaux qui ont été historiquement négligés.
8Depuis 2011 j’analyse avec attention les dynamiques de la citoyenneté chez les plus pauvres du pays, notamment dans le Nordeste semi-aride. Dans mes visites répétées sur le terrain, j’ai vite constaté que l’exercice de la citoyenneté chez ces personnes est soumis à des barrières qui sont inconnues d’autres groupes sociaux. L’accès à leurs droits sociaux et l’exercice de leurs droits politiques sont souvent entravés par le seul fait que ces personnes sont pauvres, comme on verra dans ce livre. Parfois ces droits leur sont niés. Quelquefois ils dépendent de contreparties qui vont au-delà de leurs devoirs en tant que citoyens. Régulièrement ils dépendent du bon vouloir personnel de certains individus. Fréquemment, ils leur sont inaccessibles.
9Pour accéder à ce que les politiques publiques prévoient en leur faveur, les pauvres doivent d’abord surmonter la distance symbolique qui les sépare des institutions publiques. En effet, les pauvres recourraient historiquement à l’intermédiation de patrons (et de parrains politiques) pour avoir accès aux institutions publiques, jusqu’à l’accès à l’hôpital par exemple. Mais les programmes d’assistance des dernières décennies prévus par l’État prévoient des liens impersonnels entre sa bureaucratie et les citoyens, et entrent ainsi en contradiction avec ces pratiques traditionnelles locales.
10Par ailleurs, nombreuses sont les interrogations quant aux critères d’admission pour ces politiques publiques : existe-t-il des règles informelles auxquelles les citoyens doivent se conformer pour devenir bénéficiaires de ces politiques publiques ? Si oui, qui impose ces règles, et comment interagissent-elles avec les règles formelles de mise en œuvre de ces programmes ? Pour les pauvres qui arrivent à avoir accès à ces institutions, se voient-ils comme bénéficiant légitimement d’un droit, ou à l’inverse comme profitant d’une faveur qui leur serait donnée ? Enfin, les pauvres interagissent avec les acteurs locaux responsables de la mise en œuvre des politiques d’assistance sociale et on peut s’interroger sur l’influence de cette relation sur la construction de la citoyenneté des pauvres. Je note que je comprends citoyenneté ici non seulement comme les règles formelles qui structurent la relation entre les citoyens et l’État, mais comme l’ensemble des interactions, formelles et informelles, qui se produisent dans la vie quotidienne (Desforges et al. 2005 ; Koster 2014), ainsi que les imaginaires de l’État qui en découlent (Lund 2001).
11L’exercice des droits politiques des pauvres est aussi historiquement l’objet d’une tentative d’appropriation par des hommes politiques dans cette région, notamment à travers le détournement électoral des programmes d’assistance, comme on le verra en détail par la suite. Quelles sont les positions prises par les pauvres envers ces pratiques ? Comment les termes de ces rapports sont-ils négociés entre les acteurs concernés ? Quel est le rôle du contexte institutionnel des nouveaux programmes sociaux dans le pouvoir de négociation des pauvres ?
12Sachant que l’accès aux droits sociaux et l’exercice de droits politiques sont deux aspects de la citoyenneté, on formule ainsi la question centrale de ce travail : comment les mécanismes de régulation de la pauvreté interagissent-ils avec les pratiques locales de construction de la citoyenneté ? Je défendrai la thèse que ces pratiques font partie d’un processus de régulation de la pauvreté par des valeurs familiales dans un contexte de fortes inégalités sociales. Au-delà du fait que l’aide sociale dépende de l’organisation familiale, la mise en œuvre des programmes d’assistance sociale se fait selon des règles informelles, reflétant les représentations sociales dominantes de la pauvreté au Brésil. De plus, l’octroi des allocations sociales dépend en partie de liens ou d’échanges personnels avec les élus et les candidats politiques. Je vais décrire dans ce livre comment la pratique de la citoyenneté des pauvres est soumise à une régulation de logique familialiste.
13Le cas du Nordeste semi-aride est emblématique pour répondre à ces questions, puisque c’est la région dont les représentations sociales ont influencé le sens historique de la régulation de la pauvreté au Brésil. Mes analyses sont fondées sur des événements qui se sont déroulés dans l’une de ces villes moyennes du Semi-aride (fig. 1), dans l’État du Ceará, que j’appellerai « Angico ».
14Étant donné le caractère illégal et délinquant de certaines des activités visées par l’enquête, la confidentialité et l’anonymat étaient des conditions nécessaires à l’établissement d’une relation de confiance avec les informateurs et les répondants. Ils couraient d’importants risques à fournir ce type d’information, jusqu’à la perte de leur emploi. En outre, certains de mes informateurs ayant participé eux-mêmes à des activités illégales — même si passivement, contraints —, il était donc essentiel de ne pas divulguer leur identité. En raison de l’importance de certaines informations contextuelles qui feront partie de l’analyse — telles que la description des quartiers, des profils et des postes professionnels —, la meilleure stratégie pour combiner la richesse des données et l’anonymat de mes interlocuteurs est d’omettre l’identité de la ville objet de l’enquête. L’annexe 1 présente une caractérisation démographique et économique d’Angico.
1. Construction de l’objet d’étude
15Quels sont les facteurs qui définissent, dans chaque société, qui sont les « pauvres » ? Cette question nous amène au centre de la sociologie de la pauvreté, qui permet une étude critique de la définition de la pauvreté, mais surtout du statut social donné aux pauvres et des moyens institutionnels créés pour résoudre ce qui est considéré comme un problème social. Une approche sociologique de la pauvreté doit chercher à comprendre, d’abord, la « relation d’assistance — et donc d’interdépendance — entre [les pauvres] et la société dont ils font partie » (Paugam 2005 : 7). On privilégie, dans cette perspective, l’analyse des modes de construction de la « pauvreté » en tant que catégorie sociale, et les mécanismes de régulation sociale applicables.
16Cette approche suit une tradition sociologique d’étude de la pauvreté inaugurée par Georg Simmel. Il s’agit de faire une sociologie de la pauvreté par une approche relationnelle au lieu de l’approche absolue qui définit la pauvreté par des critères matériels, par des seuils de pauvreté déterminés par le revenu, des quantités de calories ingérées, des conditions de vie, etc. Dans son texte « Les pauvres » (2002 [1907]), Simmel voit l’assistance sociale comme le lieu d’observation permettant de comprendre les normes sociales qui définissent dans chaque société quels sont ses membres qui doivent être assistés. Ainsi, « sociologiquement parlant, la personne pauvre est l’individu qui reçoit assistance à cause de ce manque de moyens » (ibid. : 102).
17En France, c’est Serge Paugam qui, dans « La disqualification sociale » (2009 [1991]), a repris l’approche de Simmel et qui par là même a initié un courant d’études dans lequel je m’inscris pour étudier la régulation locale de la pauvreté. Cette approche nous permet de voir que les politiques d’assistance sociale dans une société donnée définissent des catégories d’individus ciblés par des dispositifs. Ces dispositifs s’accompagnent d’objectifs, de critères d’évaluation de leur efficacité, de modalités de financement. Ces politiques et ces dispositifs définissent ainsi en creux la frontière entre ceux qui sont reconnus comme pauvres et les autres, les non-pauvres. L’objectif d’une telle approche est de comprendre comment une société cohésive peut être construite et maintenue en présence de fortes inégalités. Les individus disposent d’un ensemble de discours et de croyances qui leur donne un sens à ces inégalités et donc participe à les rendre acceptables et à faciliter leur reproduction.
18Mais comment et pourquoi réguler la pauvreté ? Le judaïsme, l’islam et le christianisme prônent la charité en indiquant qui sont les pauvres qui la méritent. Les empereurs de la Rome antique ont promu la politique « du pain et des jeux » pour flatter la population et apaiser les esprits mécontents. En Angleterre, les poor laws remontent aussi loin que 1601, et ont établi les bases de la régulation non seulement des indigents, mais aussi des travailleurs pauvres, avec l’objectif déclaré de maintenir l’ordre. La loi d’assistance aux pauvres de Prusse de 1842 (Armengesetzses) conditionne l’aide à l’intérêt de la prospérité publique. La pauvreté est ainsi un facteur d’instabilité et de déséquilibre, qu’il faut avoir sous contrôle. Dans ce cadre, comme le dit Simmel, « il n’y a aucune raison d’aider le pauvre plus que ne le demande le maintien du statu quo social » (2002 : 49), fondé sur la différenciation. Le travail de référence sur la régulation par l’assistance sociale de Piven et Cloward (1971), a ainsi permis d’identifier aux États-Unis la double fonction de régulation des troubles civils temporaires en temps de crise économique, et d’encouragement des pauvres à entrer sur le marché du travail par l’ajustement occasionnel de ces mêmes politiques.
19On trouve selon les pays divers modèles de régulation de la pauvreté et divers modèles nationaux de politiques sociales (Esping-Andersen 1990 ; Paugam 2005 ; Böhnke 2008). Cette structure normative — le mode de régulation — concerne « le statut des pauvres dans la société, la forme et l’intensité de leur participation aux échanges sociaux » (Paugam 2005 : 83). Ainsi, l’étude des modalités de régulation de la pauvreté interroge nécessairement le système de normes sociales dans une société donnée en tant qu’il définit la pauvreté ; ces modalités permettent d’identifier qui sont les pauvres qui méritent l’assistance, et ceux qui ne la méritent pas ; elle permet d’identifier ce qui justifie de façon normative la pauvreté et les moyens pour la combattre, de façon à produire une société cohésive — même dans un contexte de fortes inégalités sociales.
20Les représentations, et les pratiques qui émergent de ces normes peuvent être institutionnalisées — comme l’est l’assistance sociale — ou informelles. Par ailleurs, la régulation de la pauvreté peut aussi être étudiée à travers les pratiques et les discours politiques sur la pauvreté et les inégalités. Le débat politique est l’un des moments les plus forts de production de discours sur les moyens à mettre en œuvre pour résoudre la pauvreté des individus et le problème social constitué par leur situation à grande échelle. Le point d’émission et l’intensité de la circulation de ces discours produisent des effets d’autorité et de légitimité quant à la (re)configuration institutionnelle nécessaire pour résoudre le problème social causé et la situation de pauvreté des individus à l’échelle macro-sociale.
21Au-delà des formes politiques et institutionnelles, certaines pratiques locales de la régulation de la pauvreté peuvent exister. Même si elles pourraient présenter des formes originales, elles sont généralement des variantes produites par la même configuration sociale qui forme le débat politique, mais dans une expression locale. La prise en charge de la pauvreté au niveau local est régulée par des normes qui vont au-delà des règles bureaucratiques des programmes et des institutions qui agissent sur la pauvreté. En effet, ces règles sont ajustées à l’échelle des interactions entre les individus, font l’objet de négociations entre les acteurs impliqués et c’est précisément dans ces interactions qu’est produit le système de normes de régulation locale de la pauvreté. Dans ce sens, ce système doit être compris comme un « ordre négocié » (Strauss 1992), dans le sens où il n’est pas déterminé exclusivement par l’application directe des normes sans la participation des acteurs impliqués. Dans ce cadre, les lieux de la mise en œuvre de l’assistance sociale sont les lieux privilégiés pour l’étude de la régulation de la pauvreté à l’échelle locale : par l’observation de l’action de ses agents, il est possible de saisir la combinaison des dimensions macro et microsociologique de la régulation de la pauvreté.
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22Ce livre a pour objet la régulation de la pauvreté autour du Programme Bolsa Família (bourse famille), qui sera désigné dans ce travail par l’acronyme PBF (voir encadré 1.1). L’existence et l’organisation du PBF sont des sujets clivant le débat politique sur la pauvreté au Brésil, une ligne de division politique, même si son existence est de moins en moins contestée par des candidats aux postes politiques, quelle que soit leur position idéologique partisane, jusqu’à sa dissolution en 2021. Dans ce cadre, la mise en œuvre du PBF est un objet privilégié pour l’étude de la régulation de la pauvreté. C’est à ce moment que le système de normes, de représentations et de pratiques des acteurs impliqués de la mise en place du PBF — élus, assistantes sociales et bénéficiaires — sera constitué.
23Encadré 1.1 Un aperçu du Programme Bolsa Família en bref
Le PBF est un programme de transferts conditionnels de revenus (PTCR), un modèle d’assistance sociale très répandu parmi les pays en développement. Il consiste dans un transfert direct de revenu aux familles en dessous d’une ligne de pauvreté établie par le gouvernement fédéral du Brésil (170 R$ ou 50 $ en janvier 2016). En contrepartie, les familles doivent observer certaines « conditionnalités » : scolarisation des enfants et suivi médical de femmes enceintes. Avant d’être terminé, le programme assistait environ 50 millions de personnes, soit un quart de la population du pays.
24Ce travail part donc de l’hypothèse que les relations d’accueil des bénéficiaires exigé par les règles du programme ne correspondent pas toujours aux relations réelles, celles-ci étant déterminées par un système de normes d’interaction entre les acteurs constitué à l’échelle locale, au niveau microsociologique des relations personnelles. Le principal objectif est de décrire ce système, ainsi que le tissu de relations liant les différents groupes d’acteurs ordonné par des valeurs familiales, et sera exploré pas à pas au long des chapitres. L’analyse considèrera les représentations que les acteurs se font les uns des autres et comment ces représentations sont intégrées à leurs pratiques.
25Malgré les transformations des dernières décennies, qui ont permis d’affranchir les personnes en situation de pauvreté d’une forme quasi féodale de domination des élites foncières, leur rapport avec l’État continue à être régulé par des interactions personnelles. Dans la mise en œuvre du PBF, deux mécanismes entrelacés de régulation de la citoyenneté des pauvres coexistent, ayant un impact dans l’octroi de prestations sociales du programme : le rôle que jouent les représentations sociales de la pauvreté à travers le pouvoir discrétionnaire des agents locaux, et l’utilisation du programme comme monnaie d’échange du soutien politique des pauvres. Cela ne veut pas dire que le PBF a créé ces pratiques. Puisqu’elles lui préexistent, qu’elles sont bien connues dans le Nordeste, et qu’elles étaient d’ailleurs l’une des cibles du programme. Ces pratiques relèvent d’un processus anthropologique ancré dans une tradition nationale — plus accentuée dans le Nordeste — de régulation de la pauvreté par les valeurs familiales, dans lequel le PBF s’est inséré.
26Pour comprendre les mécanismes locaux de régulation de la pauvreté au Brésil, à quoi ce travail envisage de contribuer, il est nécessaire de considérer le rôle de l’économie des liens sociaux dans l’expérience vécue de la pauvreté. Pour Paugam (2002, 2005), le statut des pauvres dans une société donnée dépend des modes de régulation qui vont déterminer l’équilibre entre les différents types de liens sociaux — lien de filiation, lien de participation élective, lien de participation organique, lien de citoyenneté (voir encadré 1.2).
27Encadré 1.2. Une typologie des liens sociaux
Paugam (2005, 2008) distingue quatre types de liens sociaux :
Le lien de filiation « constitue le fondement absolu de l’appartenance sociale », suscitant, « notamment en raison de [son] intensité et de [sa] permanence […], un engagement durable et un investissement affectif important » (2008 : 65, 68). Il permet à l’individu dès sa naissance d’avoir un réseau social familial qui lui donne protection et intégration au reste de la société.
Le lien de participation élective permet aux individus de s’intégrer dans un réseau social en dehors du cadre familial. Par la participation à des groupes et des institutions, l’individu construit un réseau d’appartenance « à partir duquel il pourra affirmer sa personnalité sous le regard des autres » (2008 : 68).
Le lien de participation organique comprend aussi la socialisation en dehors du cadre familial, mais il est présent surtout dans l’organisation du travail, où l’exercice d’une fonction déterminée permet à l’individu de se sentir utile par la complémentarité de son travail avec les autres. Il faut souligner que ce lien ne concerne pas exclusivement la dimension économique de la vie sociale.
Enfin, le lien de citoyenneté est fondé sur le principe d’appartenance à une nation qui a pour fondement la reconnaissance de droits et d’obligations de l’individu dans une société plus large que la communauté locale. Ce lien repose sur le dépassement des oppositions et des rivalités des individus, ce qui implique des efforts pour un traitement égal des membres en vue de former « un corps ayant une identité et des valeurs communes » (2008 : 75).
Ces différents liens « apportent tous aux individus à la fois la protection et la reconnaissance nécessaires à leur existence sociale », et « dans chaque société, ils constituent toutefois la trame sociale qui préexiste aux individus et à partir de laquelle ils sont appelés à tisser leurs appartenances au corps social par le processus de socialisation » (2005 : 80-81).
28La configuration des liens sociaux dans chaque société est révélatrice du fonctionnement de sa cohésion sociale. Paugam (2016) a nommé ces configurations, ou modes de régulation, des « régimes d’attachements ». Un régime d’attachement est la structure de régulation normative des liens sociaux dans une société donnée :
Dans chaque régime d’attachement, les quatre types de liens peuvent avoir une fonction d’intégration et/ou une fonction de régulation. Un lien intégrateur est un lien qui attache l’individu aux groupes alors qu’un lien régulateur a une fonction supplémentaire de tessiture, qui consiste à produire un ensemble de règles et de normes susceptibles de se traduire par une extension de son influence aux autres liens, jusqu’à infléchir leur conception normative initiale (Paugam 2016 : 128).
29Un régime d’attachement révèle la « tessiture de la société » : la régulation sociale globale qui permet la cohésion de la société, résultat de l’entrecroisement normatif des liens sociaux. Ainsi, l’intégration à la société serait « assurée par les liens sociaux que les individus s’efforcent de construire au cours de leur socialisation en se conformant aux normes sociales en vigueur » (ibid. : 129). Paugam développe ainsi une typologie pour expliquer comment, dans différents contextes, un lien social prend cette place de régulation. Chacun des quatre régimes d’attachement correspond à une configuration sociale où un lien social étend son empreinte normative sur les autres liens sociaux. Il devient le lien prééminent, sans pour autant se substituer au rôle intégrateur de tous les autres liens sociaux. Ainsi, on a les types : familialiste, volontariste, organiciste et universaliste, où les liens de filiation, de participation élective, de participation organique, de citoyenneté, respectivement, prennent un tel rôle. Les formes de régulation de la pauvreté prennent des formes distinctes en fonction de chaque configuration. Elles déterminent les représentations de la pauvreté, et ce que la pauvreté signifie pour la cohésion sociale, ainsi que quand et comment elle doit être combattue.
30La « citoyenneté » est ainsi le concept-horizon de ce travail, vu que nous allons analyser des modalités de régulation de l’accès des droits sociaux et l’exercice des droits politiques auxquelles seuls les pauvres sont soumis. D’autres politiques publiques n’entrainent pas de telles pratiques avec la même intensité soit parce qu’elles jouissent d’une base légale plus assurée — le PBF n’est pas un droit constitutionnel, comme nous le verrons plus tard —, soit parce qu’elles ne couvrent pas un besoin matériel aussi important pour les bénéficiaires. Nous voulons ainsi analyser les rapports que les pauvres établissent avec les institutions liées à l’assistance sociale désignées pour les aider, ainsi que les « épreuves dont ils font l’expérience à cette occasion » (Paugam et Duvoux 2008 : 25).
31C’est en partant d’une approche empiriquement ciblée, favorisant l’observation continue, mais aussi conceptuellement et théoriquement fondée, que je suis arrivé à l’objet de cette recherche, qui vise à éclairer quelques questions sur la mise en œuvre du PBF et son effet sur la citoyenneté de ses bénéficiaires, questions qui restent sans réponses ou, plutôt, qui ne sont pas couramment posées.
2. Justification de l’objet
32Le PBF est largement considéré comme un exemple de politique de lutte réussie contre la pauvreté. C’est un modèle dans toute l’Amérique latine et dans le monde, souvent soutenu par les programmes de développement financés par la Banque Mondiale. Au Brésil, le programme est vu comme une rupture dans l’évolution de l’assistance sociale, car il garantit un revenu aux familles en situation de pauvreté. La discussion de la perception des programmes de transferts conditionnels de revenus (PTCR) en tant que « droit » a jusqu’ici été liée essentiellement au comportement électoral. Des études montrent que ces programmes influencent le vote des bénéficiaires, qui soutiennent le parti qu’ils considèrent être à l’origine du programme, comme un mécanisme de récompense ou comme un choix rationnel visant à assurer la continuation du programme (Hunter et Power 2007 ; Baez et al. 2012 ; Hunter 2014). En 2021, 17 ans après sa création, le PBF a été terminé directement par le président Jair Bolsonaro parce qu’il a toujours était un programme gouvernemental, jamais un droit garanti par la Constitution brésilienne. Dans ce cadre, il y a ceux qui voyaient le soutien généralisé au programme — comme c’était le cas de tous les candidats à la présidence aux élections de 2014 et 2018, y compris Bolsonaro — comme une preuve qu’il était devenu une « politique publique de l’État » (Ávila 2013) ; et d’autres qui pensaient que, tant que le programme ne sera pas garanti par la constitution, il sera passible d’usage politique (Lavinas 2007). Par ailleurs, peu de choses ont été dites sur les mécanismes bureaucratiques qui pourraient freiner l’application de ces programmes et le respect des droits afférents.
33Un des ouvrages de référence sur le sujet au Brésil est celui de Leão Rego et Pinzani, Vozes do Bolsa Família [Des voix du Bolsa Família] (2013), qui discute la constitution du programme en tant que « droit ». Les auteurs se fondent sur une enquête où ils ont demandé à des bénéficiaires du PBF si elles considéraient le programme comme une faveur ou bien comme une obligation du gouvernement, en faisant référence donc à la nature du programme, son existence et son appartenance au gouvernement fédéral. On notera que la mise en œuvre du programme a été exclue de la discussion, ainsi que les relations avec les assistantes sociales, les gouvernements locaux et les hommes et femmes politiques et leurs agents. Les auteurs suggèrent que les problèmes de gestion du programme se produisent au niveau local, en soulignant certains indicateurs observés, tels que des plaintes contre ses gestionnaires, l’appartenance du personnel à un parti politique et la dimension fataliste et aléatoire des allocations d’après les bénéficiaires. Pour l’expliquer, les auteurs concluent qu’il existe une « déconnexion communicative » entre les bénéficiaires et les fonctionnaires — conclusion que ce livre montrera comme étant incomplète — et que le programme a un effet positif sur la construction de la citoyenneté des bénéficiaires. Considéré comme une « politique d’urgence morale », qui donne des conditions minimales pour le développement éthique et politique, il a le potentiel de devenir une « politique publique de citoyenneté » initiant un « cercle vertueux de droits » : un droit qui s’élargirait donnant lieu à de nouvelles demandes pour obtenir d’autres droits.
34Mais quel genre de citoyenneté le PBF est-il en train de construire ? Si on adopte le point de vue de l’ouvrage de Holston (2008), les contradictions entre les attentes des gouvernements et les pratiques des citoyens — de la même façon que la contradiction entre l’expansion et l’érosion des droits — sont considérées comme des caractéristiques normales de la citoyenneté moderne. Pourtant, même si la citoyenneté brésilienne ne se caractérise pas comme dysfonctionnelle, Holston considère qu’elle reste massivement inégale dans la distribution des droits, même si l’expansion de l’assistance sociale contribue à la réduction de cette inégalité. Dans ce cadre, le PBF ne renforce-t-il pas cette « citoyenneté différenciée », qui distingue systématiquement des citoyens à part entière et des citoyens de deuxième classe ? Si les droits sociaux ciblés ne sont pas accompagnés d’autres services publics universels de qualité — tel que pour la santé et l’éducation — et de droits du travail plus inclusifs, ils ne serviront qu’à la différenciation systématique des citoyens.
35Il n’existe pas d’unanimité sur le potentiel du PBF à favoriser la reconnaissance sociale des pauvres comme citoyens à part entière. Les conditionnalités du programme sont vues aussi comme des outils de coercition et impliquent un déni du droit de recevoir une part de la richesse socialement produite (Silva et al. 2007). Le programme n’est pas accompagné systématiquement par une offre des services publics de base qui pourraient aussi contribuer à l’égalité entre les citoyens (Lavinas 2013 ; Saad-Filho 2015). Au contraire, les institutions liées à l’assistance sociale peuvent être intégrées dans le même système de reproduction d’inégalités sociales et peuvent être transformées en instruments de domination qui sont en contradiction avec l’autonomie que le transfert direct de revenus pourrait générer.
36Par l’étude du cas d’Angico, ce livre permettra de comprendre les facteurs empiriques qui font que le PBF n’est effectivement pas perçu en tant que droit acquis. L’accent est mis sur le rôle des institutions locales d’assistance sociale dans la mise en place du PBF, ainsi que le rôle de chaque acteur impliqué, que seule l’approche ethnographique permettait d’obtenir.
3. Les enjeux méthodologiques et axiologiques de la recherche
37Dans cette section, nous présentons le lieu de l’enquête, la méthodologie de recherche ainsi qu’une discussion critique de l’approche choisie. Avant cet exposé, trois remarques doivent être faites en ce qui concerne le choix des mots. Premièrement, tous les assistants sociaux à la mairie d’Angico étaient des femmes, nous parlerons donc des « assistantes sociales » dans le livre. Deuxièmement, il ira de même pour les bénéficiaires du PBF, puisque les titulaires prioritaires de l’allocation sont des femmes, et parce que seules des femmes ont été interviewées. Troisièmement, bien que le mot « allocataire » soit plus neutre pour identifier ces personnes, nous utiliserons « bénéficiaire » puisque c’est le mot utilisé au Brésil (beneficiárias), qui porte aussi un sens positif dans le sens où il identifie une personne qui jouit d’un avantage ou d’un privilège, ce qui révèle un choix politique qui ne doit pas être ignoré.
3.1. Angico : le lieu de l’enquête
38L’enquête s’est déroulée aux services d’assistance sociale de la mairie d’Angico4, qui développe des actions dans plusieurs quartiers de la municipalité. Bien évidemment, le quartier le plus pauvre et le plus peuplé de la ville concentre plus d’actions de l’assistance sociale, et c’était sur ce quartier — et son entourage — que l’enquête s’est concentrée. Ce quartier se localise à proximité du centre d’Angico, et son développement a suivi la croissance récente de la ville. Dans les années 1990, un quartier riche a été créé dans une zone proche du centre-ville, qui disposait alors de suffisamment d’espace pour de grandes maisons destinées à être occupées par une nouvelle classe aisée qui se développait dans la ville. Avec la croissance rapide et spontanée du quartier populaire, la zone qui séparait le quartier riche du centre-ville a été vite occupée.
39Si auparavant la pauvreté à Angico se concentrait dans les franges de la ville et dans la zone rurale, ce quartier est vite devenu le plus dense de la municipalité. Il est facilement comparable à une favela des plus grandes villes du pays, et comme dans la majorité des favelas, les petites maisons sont aujourd’hui bâties en briques, avec portes et fenêtres en métal, et des plafonds bien construits. L’asphalte couvre quelques rues, il y a de l’eau qui sort des maisons vers la rue puisque la majorité des maisons ne sont pas liées au réseau d’eau public et utilisent une fosse septique. L’accès à l’eau n’est pas garanti : les maisons sont intégrées dans le système de distribution, mais l’eau n’arrive que tous les deux ou trois jours, avec des horaires irréguliers.
40Le Secrétariat d’assistance sociale (SAS) d’Angico a produit en 2014 un document qui discute les principaux problèmes des quartiers vulnérables de la ville, notamment le quartier en question. Selon ce document, appelé « Rapport social », les principaux problèmes sociaux sont : l’insécurité alimentaire, le travail des enfants, l’addiction aux drogues, la violence urbaine, l’extrême pauvreté, et les abus sexuels contre les enfants et les adolescents. Le quartier étudié est identifié comme le principal point de vente et de consommation de drogues d’Angico. De nombreux adolescents participent aussi à la commercialisation et à l’utilisation des drogues. Le rapport indique que les homicides sont fréquents dans les rues du quartier étudié, et la plupart de ces meurtres sont liés au trafic de drogue, que ce soit pour des dettes de consommateurs ou des conflits impliquant différents gangs de dealers.
41Selon les responsables de l’école du quartier, de nombreux enfants délaisseraient leur scolarité pour travailler, pour aider leurs parents ou pour travailler dans le secteur commercial. Ainsi, le quartier étudié est illustratif des problèmes des enfants en situation de mendicité. Il n’est pas rare de les voir mendier aux feux de circulation, par exemple. Les enfants et les adolescents sont par ailleurs particulièrement vulnérables à la violence sexuelle. Une autre vulnérabilité identifiée est l’extrême pauvreté de nombreuses familles. Le rapport indique que dans le quartier étudié la plupart des familles habitent dans des maisons en situation précaire, avec peu d’hygiène, sans accès constant à l’électricité et à l’eau courante. Le rapport pointe aussi l’insécurité alimentaire : le revenu des familles moyennes est presque complètement consacré à l’alimentation, ce qui est un indice d’extrême pauvreté.
3.2. La collecte du matériau
42Le matériau de première main utile à ce travail a été obtenu lors d’une enquête de terrain ethnographique, et plus précisément par : 1) des observations directes dans deux bureaux d’assistance sociale municipale ; 2) des entretiens répétés et des conversations informelles avec un total de quinze assistantes sociales directement impliquées dans les activités du PBF, ou qui y avaient travaillé au cours des dernières années et qui occupaient divers postes dans le SAS ; 3) des entretiens formels avec des cadres du bureau municipal d’assistance sociale et des cadres supérieurs dans le Ministère du Développement social (MDS) à Brasília ; 4) des entretiens en profondeur avec 35 bénéficiaires du PBF ; et 5) par une collecte de sources écrites, telles que des lois et des documents officiels relatifs au sujet de l’enquête.
43Pour l’observation des travaux des assistantes sociales, j’ai partagé mon temps entre deux bureaux de l’assistance sociale : le bureau municipal du PBF — responsable de la mise en œuvre du programme — et un « Centre de référence de l’assistance sociale », le CRAS (voir encadré 1.3). En remarquant le caractère éphémère et superficiel de la relation entre les bénéficiaires et les assistantes sociales du PBF, et en considérant que les rapports du type clientélistes sont de relations durables, il était clair que les observations devaient être élargies à un autre dispositif d’assistance sociale. Une des assistantes sociales qui travaillait dans le PBF à l’époque de mon premier séjour avait été placée dans le CRAS récemment, et elle m’avait invité à y faire une visite. Comme elle m’avait prévenu, le CRAS était effectivement directement impliqué dans mon sujet de recherche, et j’ai décidé d’y conduire aussi des observations. J’ai obtenu l’autorisation de la coordinatrice de l’unité, et j’ai ainsi commencé à suivre le quotidien de la dizaine d’assistantes sociales qui y travaillaient. Ce CRAS était placé dans le quartier le plus pauvre d’Angico, avec la plus large population couverte et le plus grand nombre d’employés. Le rôle central du CRAS (avec le PBF et la coordination municipale) justifiait de l’inclure dans la recherche.
44Encadré 1.3. Les Centres de référence de l’assistance sociale (CRAS)
Les CRAS sont également un programme fédéral, lancé par l’ancien président Lula, dont le principal objectif est de faciliter l’accès aux services offerts par le Système unifié d’assistance sociale (SUAS), intégrant le PBF. Ces centres font partie d’une stratégie de décentralisation et sont placés dans les zones les plus vulnérables de chaque municipalité. Le CRAS est également responsable de la gestion territoriale du réseau des services sociaux basiques (MDS 2016). Ce programme offre la nouveauté de suivre les familles en situation de risque social afin d’éviter la rupture des liens, de favoriser l’accès et l’utilisation des droits et d’aider à améliorer la qualité de la vie (MDS 2016). L’implantation des CRAS se fait dans les quartiers les plus pauvres des municipalités afin de cibler les familles les plus déshéritées, et en 2013, 7 883 unités CRAS étaient en fonctionnement (Bichir 2016). Ces unités développent un travail continu et permanent avec ces familles, avec qui elles créent des relations durables, et agissent dans le cadre des différents programmes d’aide (y compris l’enregistrement et la mise à jour du dossier familial pour le PBF). Le nombre d’employés engagés dans ce programme est illustratif de son importance : l’unité étudiée (l’un des sept CRAS à Angico), comptait une dizaine d’assistantes sociales et environ cinq membres du personnel technique, tandis que le PBF en avait au plus trois mais une trentaine de personnel administratif.
45L’enquête de terrain a été conduite en trois temps, pour un total de sept mois. En 2013, dans un séjour de trois mois à Angico, j’ai noué mes premiers contacts dans le SAS via une personne connue de mon réseau qui était enseignant de service social dans un établissement d’enseignement supérieure local, et qui avait une collègue qui travaillait aussi au SAS. Cette personne occupait un poste de cadre au SAS, mais n’était pas directement impliquée dans le PBF. Elle m’a présenté à d’autres cadres, y compris la directrice du PBF, avec qui j’ai eu une brève discussion pour présenter mon enquête, et qui m’a donné l’autorisation d’accompagner le quotidien des assistantes sociales du PBF pendant les mois où je suis resté à Angico.
46En 2014, je suis retourné pour un séjour de deux mois. Huit employés détenant des postes de coordination au sein de l’assistance sociale municipale d’Angico ont été interviewés. Des entretiens avec six coordonnateurs ou assistantes sociales du PBF des municipalités voisines ont également été effectués afin d’établir une perspective comparative. Au niveau national, trois personnes détenant des postes de haut niveau au sein du PBF ont été interviewées. Ce séjour a été particulièrement intéressant pour ma recherche puisqu’il s’est déroulé durant les élections générales.5 Je suis arrivé à Angico une semaine avant le premier tour et je suis resté pendant toute la période de préparation du deuxième tour, jusqu’à la semaine suivant la fin des élections. Pendant cette période, en plus des observations directes, j’ai mené dix-sept entretiens avec des bénéficiaires du PBF.
47Le troisième terrain, de dois mois, a été réalisé un an après, en 2015. Cette fois la cible des observations était les bénéficiaires du PBF. Les entretiens ont porté sur leur perception du PBF et de l’assistance sociale d’une manière générale, ainsi que sur leur perception de la politique et des élections. En raison du contenu des entretiens, et de la présence constante de solliciteurs et d’agents des hommes et femmes politiques, l’adoption d’un échantillonnage de type boule de neige a été nécessaire, afin d’avoir une référence qui attestait mon impartialité en tant que chercheur. Afin de diminuer le biais de sélection des interviewées, j’ai adopté quatre sources différentes, qui m’ont été présentées par les assistantes sociales du CRAS. Chaque entretien a été conduit sans la présence de personnes liées à la mairie ou au SAS, toujours chez l’interviewée, dans le salon, occasionnellement en présence des enfants ou d’autres membres de la famille. Les entretiens duraient 30 à 90 minutes.6
3.3. Les points d’observation
48Le principal matériau de la recherche a été recueilli lors de l’observation directe des activités quotidiennes liées au PBF à Angico, conduites dans deux dispositifs de l’assistance sociale : au bureau municipal du PBF et au CRAS. Je me suis concentré sur les interactions entre les assistantes sociales et les bénéficiaires. Avec chaque assistante sociale, je commençais normalement avec un ou deux entretiens formels, pour ensuite avoir au moins une dizaine de conversations informelles avec presque chacune d’entre elles. Ces conversations avaient lieu pendant leurs pauses, dans les moments de transition entre deux rendez-vous avec des bénéficiaires, ou dans les moments où elles avaient peu de travail à faire.
Au bureau du PBF
49Après avoir eu l’autorisation de faire mon enquête dans le bureau municipal du PBF, je m’y suis rendu régulièrement pour passer des journées avec les assistantes sociales. Presque toutes les activités de mise en œuvre et de gestion du programme sont développées au sein du bureau du PBF, en particulier celles liées à l’enregistrement et à la mise à jour des dossiers des familles. Le travail quotidien des assistantes sociales a été observé, en les accompagnant dans les visites aux ménages et dans leur travail au bureau, où elles tiennent des rendez-vous réguliers avec les bénéficiaires — la plupart du temps pour résoudre les problèmes liés à la suspension des allocations — et dans leurs échanges avec le reste du personnel.
50Après une rencontre avec une bénéficiaire, chaque assistante sociale m’en expliquait l’histoire en me donnant son point de vue. Elles me racontaient aussi des échanges antérieurs, des cas similaires, des pratiques courantes. Ce n’est pas l’assistante sociale qui choisit les ménages à visiter. La liste des cas devant être vérifiés est mise à jour ou par le MDS ou automatiquement (comme expliqué plus loin dans ce chapitre). Chaque assistante sociale réalisait entre 5 et 10 visites par jour, durant chacune dix à quinze minutes. J’accompagnais ces visites, et j’étais normalement présenté comme étudiant ou chercheur. Je ne posais aucune question au moment des interactions entre assistantes sociales et bénéficiaires. Une fois en dehors de la maison, je discutais avec les assistantes sociales sur le cas ou sur l’approche mise en œuvre. Chaque assistante sociale réservait une ou deux journées par semaine pour rester au bureau. Je passais alors la journée avec elles dans leur bureau auquel une minorité des fonctionnaires avait accès. Entre les entretiens, elles traitaient des dossiers, discutaient des cas particulièrement intéressants et partageaient des stratégies. Dans ces moments détendus, je posais des questions qui parfois étaient discutées en groupe, avec deux ou trois assistantes sociales.
Au CRAS
51Le deuxième lieu d’observation était le CRAS, plus précisément celui situé dans le quartier le plus pauvre et le plus peuplé d’Angico. Les autres CRAS d’Angico couvraient des zones plus isolées du centre-ville, ainsi que des zones rurales. Le CRAS en question couvrait donc la presque totalité des quartiers populaires inscrits dans la zone centrale de la ville. Pour mes observations au CRAS, j’ai privilégié le bureau des assistantes sociales comme point d’observation, et je n’ai effectué que quelques visites à des ménages, plus précisément celles qui avaient un rapport avec le PBF. C’est dans le bureau que les assistantes sociales reçoivent les bénéficiaires et se préparent pour leurs interventions ou leurs visites aux familles. Comme dans le bureau du PBF, j’ai accompagné les interactions entre assistantes sociales et bénéficiaires.
52C’est au CRAS où j’ai eu accès aux données les plus significatives concernant l’utilisation électorale de l’assistance sociale. En fait, c’était même la raison pour laquelle mon informatrice m’avait conseillé d’étudier cette unité. En 2014, ce CRAS était un important instrument d’achat de vote, tout le personnel étant concerné, de façon volontaire ou sous contrainte. Même si la coordinatrice du CRAS ne discutait pas ouvertement le sujet avec moi, les assistantes sociales avec qui j’avais le plus de contact me disaient que la coordinatrice savait que j’étais au courant de ce qui se passait. L’accès libre dont j’ai bénéficié me le confirmait, mais j’ai décidé de ne pas aborder le sujet avec elle. Dans notre dernière rencontre, vers la fin du séjour en 2014, la coordinatrice m’expliquait sa fatigue face aux enjeux politiques, et qu’elle voulait partir pour faire un travail « indépendant », affranchi de l’ingérence des élus. Des phrases telles que « tu le sais », ou « tu l’as vu », m’ont donné la certitude que non seulement elle tolérait ma présence, mais qu’elle souhaitait que je faisait connaissance de ce que se passait. Je pense qu’elle me voyait comme vecteur d’une possible contestation. Étant impliquée dans l’utilisation électorale de l’assistance sociale, ayant des liens familiaux avec le maire, tout en coordonnant l’exécution de telles pratiques illégales, elle ne pouvait pas admettre ouvertement l’existence de ces activités face à quelqu’un de l’extérieur.
3.4. Interaction avec les participants de la recherche
53En raison de la nature illégale ou immorale d’un des objets de l’enquête, l’un des principaux défis rencontrés concernait la qualité des sources disponibles. Quel que soit l’instrument utilisé — questionnaire, entretien, observation ethnographique — les interactions entre chercheurs et enquêtés sont imprégnées par des préjugés qui doivent être considérés, en particulier au moment du choix des informateurs et des interlocuteurs. Dans le cas du clientélisme, les « patrons » — qui, dans le cas étudié, sont les élus et les candidats politiques — ont tendance à être au courant de l’illégalité de leurs actions. Le moment des élections est particulièrement risqué pour les candidats politiques qui font usage des stratégies d’achat de vote, car chaque candidat tente de faire tomber ses adversaires précisément en l’accusant d’acheter des votes. Même les patrons qui admettent la présence d’un chercheur — parce qu’ils estiment que leurs actions sont justifiées, soit parce que tous les candidats le font ou par demande de leur électorat — vont cacher ou minimiser les aspects négatifs de leurs actions dans la parole donnée au chercheur. C’est bien pour cela que j’ai pris la précaution de n’employer que les mots et expressions employées par les personnes interrogées elles-mêmes, notamment « clientélisme » et « achat de vote », ainsi que tout le vocabulaire du domaine, qui sera éclairé et analysé plus tard dans le livre (chapitre 1, section 4.2).
54D’autre part, les personnes dans la position de « clients » peuvent se sentir jugées par l’enquêteur qui, dans ses questionnements sur la valeur des transactions d’achat de vote, par exemple, essaierait de mesurer la citoyenneté de l’autre, ou d’une certaine manière de délégitimer leur droit de vote. Comme il est difficile de demander directement à quelqu’un s’il a déjà « vendu » son vote, de nombreux auteurs choisissent plutôt de demander si des offres ont été reçues. Pour ces raisons, les détails d’une structure clientéliste sont difficiles à cerner.
55Pour contourner ces difficultés, sans remettre en cause la légitimité des études qui ont choisi d’interroger les clients du système, j’ai choisi comme principale source d’information le fonctionnaire public contraint de participer à des actes illégaux pour préserver son emploi. Contrairement à l’agent intermédiaire qui doit à son patron le poste qu’il occupe, cet employé a atteint sa position de façon relativement indépendante, et il ne se sent endetté envers personne. Tel est le cas des postes qui doivent être remplis par un professionnel ayant un profil spécifique. À défaut de ne pouvoir doter ces postes uniquement avec des personnes de confiance, le patron (que ce soit le maire ou un bureaucrate de haut niveau) est obligé d’embaucher des personnes extérieures à son réseau d’influence. Pour assurer le fonctionnement des stratégies électorales utilisant des ressources publiques, le patron doit coopter ses fonctionnaires, contourner les attributions bureaucratiques qui pourraient faire obstacle, ou bien directement les forcer à y participer. Ce fut ce dernier scénario que j’ai rencontré dans le SAS d’Angico, en particulier pour les assistantes sociales.
56Dans ce contexte, et dans le but de décrire l’organisation d’une activité délinquante, une démarche inductive de recherche ethnographique était la plus appropriée pour mener l’enquête avec les assistantes sociales. Mon objectif était de comprendre, et pour cela de décrire, ce que les individus observés faisaient dans les conditions habituelles (ou presque) d’exercice de leur métier. Grâce à l’interaction au quotidien, j’ai pu non seulement établir une relation de confiance avec les assistantes sociales, mais aussi comprendre les implications de leur participation forcée à la campagne électorale pour leur travail. Leurs réactions à des événements clés, tels que le limogeage d’une employée pour des raisons politiques ou les commentaires inappropriés de quelqu’un ignorant ma présence, m’ont indiqué de qui je pouvais m’approcher sans risque d’être dénoncé auprès de la coordination de la campagne électorale, ce qui aurait pu mettre en péril la continuation de l’enquête.
57Mes doutes sur la possibilité d’accéder aux informations recherchées ont rapidement été dissipés dans les premiers jours de l’enquête, quand j’ai eu la confiance d’une assistante sociale qui est devenue ma première informatrice. Sa liberté à me fournir des détails des pratiques illégales était une forme de protestation et de rébellion à la situation à laquelle elle était soumise. Cela s’est répété avec toutes les assistantes sociales qui, fatiguées d’être contraintes à faire campagne pour des hommes ou des femmes politiques au cours de leur travail, me voyaient comme un moyen de se débarrasser d’un poids dans leur conscience. Par exemple, l’une d’elles, Márcia, me disait que dans cette situation, « toute l’éthique de la profession est jetée à la poubelle ». Durant nos échanges, elle insistait sur le fait que l’assistance sociale était un « droit », et qu’être forcée de menacer les bénéficiaires pour influencer leur vote était « absurde ». Elle ne cachait pas son espoir que ma recherche puisse l’aider.
58Ces motivations pour participer à l’enquête étaient limitées aux assistantes sociales qui ne faisaient pas partie du réseau d’influence du maire d’Angico. De toutes les autres, je ne pouvais pas vraiment m’approcher, et nos conversations sont restées limitées à leur travail. Bien que cela constitue un biais dans l’échantillon, je ne pouvais pas faire autrement : si ces personnes découvraient cet objet spécifique de mes recherches, mon accès au terrain aurait été compromis, et peut-être même — et surtout — l’emploi des mes informatrices. Il faut remarquer que, hormis ce sujet délicat, que je n’ai pu qu’aborder uniquement avec ces personnes, tous les autres sujets qui concernent cette étude ont été abordés avec toutes les assistantes sociales que j’ai rencontrées. Il est important de souligner que, pendant l’enquête et le temps passé dans les bureaux de l’assistance sociale, je n’ai ressenti aucun sentiment d’hostilité vers moi. Même si quelques personnes se sont peut-être méfiées de ma présence dans des moments délicats comme les élections, ou quand je discutais de sujets relatifs à des pratiques illégales, je n’ai jamais été témoin ou informé de cette méfiance.
59J’estime que mon profil a aussi été un facteur favorable à mon acceptation parmi les assistantes sociales. Le fait d’être originaire de Brasília a toujours été mentionné au début des premières conversations, vu que mon accent indiquait vite que je n’étais pas originaire du Nordeste. J’expliquais lors des premières rencontres que j’étais dans la région pour une enquête académique. Dans quelques cas, par précaution, je mentionnais que je n’avais jamais travaillé pour le MDS. Être chercheur suscitait beaucoup d’intérêt chez les assistantes sociales. Quelques-unes d’entre elles pensaient en effet poursuivre des études post-licence, d’autres s’intéressaient à la vie académique, et nous en avons souvent parlé. Notre similarité d’âge était un autre important facteur d’identification puisque les assistantes sociales étaient âgées de 23 à 35 ans, alors que j’avais 27 ans à l’époque de mon dernier séjour à Angico.
60L’utilisation de l’enregistreur n’a pas été possible. Les conversations ont été dans la plupart du temps faites à voix douce dans des coins des bureaux où les assistantes sociales pouvaient parler sans qu’on les entende. Lorsque l’entretien se déroulait dans un endroit plus isolé et que j’osais alors demander si je pouvais utiliser l’enregistreur, j’ai reçu presque tout le temps des réponses négatives. Lorsque je leur expliquais qu’enregistrer était pour moi une solution purement technique me permettant de ne pas tout écrire et m’évitant d’oublier des détails, j’ai écouté quelque fois de mes informatrices que je pourrais tout demander à nouveau en cas d’oubli. Après la première semaine, je décidai de ne plus insister, en évitant l’inconfort généré par cette demande. Ces refus ne sont pas surprenants : dans nos conversations, nous traitions de délits électoraux, de fautes éthiques professionnelles graves,7 qui entrainaient tous un fort risque de limogeage.
61Obtenir la confiance des bénéficiaires du PBF a aussi été un défi de l’enquête de terrain. Mon premier séjour de recherche dans la région m’a permis de constater que le lien entre enquêteur et enquêté n’est pas facile à construire. Il est vrai que les nordestinos sont connus pour être chaleureux, et en effet j’ai été magnifiquement bien accueilli parmi les bénéficiaires du PBF. Cependant, pour y arriver, il était nécessaire de bien établir ma position et les raisons de ma présence dans le quartier. Les tentatives d’escroqueries sont courantes dans les groupes les plus pauvres, certaines personnes se faisant par exemple passer pour des agents publics pour demander des informations privées et des pièces d’identité. C’est pour cela que je disais toujours clairement aux personnes interviewées que je ne voulais voir aucun de leurs documents officiels, que ce soit leur carte du PBF ou leur numéro d’identification. Je me présentais en tant que chercheur et tout ce que je voulais c’était de discuter avec eux de leurs impressions sur le PBF. Je présentais alors mon attestation de consentement éclairé pour qu’ils la lisent — parfois en demandant à des enfants de les aider — et la signent, en soulignant qu’il n’était pas nécessaire d’écrire leurs noms complets, mais que le prénom ou une signature suffisait. Dans la majorité des cas, les personnes interrogées les signaient volontiers.
62Une fois leur confiance acquise — ce qui d’habitude ne prenait pas beaucoup de temps —, j’ai rarement remarqué de sujets interdits. Même quand nous discutions de la précarité de leurs vies, où la honte peut inhiber la parole, particulièrement vis-à-vis d’un enquêteur d’une classe supérieure, j’ai constaté une tranquillité pour aborder ce sujet, avec des sentiments de fatalisme même, mais jamais de culpabilisation. Je pense qu’arriver chez eux dans le cadre d’un rapport professionnel, avec le PBF pour centre d’intérêt, donnait l’impression de que je pourrai les aider d’une manière ou d’une autre dans leurs difficultés. En fait, quelques personnes me demandaient à la fin des entretiens à quoi servirait mon travail et comment il pourrait influencer directement leurs vies. Je leur expliquais qu’il s’agissait d’une étude académique et que mon objectif était que cette étude arrive au MDS, mais sans pouvoir le leur garantir.
63Pour faciliter la discussion, j’ai choisi de banaliser les sujets les plus délicats, notamment celui de l’utilisation électorale de l’assistance sociale. Par exemple, quand je sentais une résistance à donner des éléments que je connaissais déjà sur les pratiques dans le quartier, je disais ouvertement ce que j’en connaissais et ce dont j’avais déjà été témoin. J’expliquais que je ne cherchais pas forcément à savoir si elles avaient accepté ou non des propositions d’achat de votes, mais plutôt à recueillir leur témoignage sur les activités des acteurs politiques et de leurs agents. Après mes premiers jours sur le terrain, j’ajoutais aussi que je connaissais le quartier, parfois en mentionnant des femmes plus connues que j’avais déjà interviewées. Dans mon deuxième et troisième séjour de terrain, je mentionnais que ce n’était pas ma première fois dans le quartier, et j’estime qu’arriver seul dans les maisons, sans voiture, seulement avec un petit carnet de notes et une pochette étaient des facteurs favorisant une relation de confiance.
64On trouvera principalement deux types de données dans ce livre : des extraits d’entretiens et des observations de terrain. Les extraits d’entretien complémentaires ou non-essentiels pour la compréhension tu texte seront présentés dans des encadrés. Les entretiens avec les bénéficiaires de l’assistance sociale seront identifiés par des numéros, et la liste des personnes interviewées se trouve dans l’annexe 2. Les assistantes sociales interrogées seront identifiées par des noms fictifs, et leurs notices biographiques se trouvent dans l’annexe 3. Les définitions et les explications relatives aux mots écrits en portugais (qui figurent en italique) sont rassemblées dans un glossaire pour faciliter leur consultation (annexe 4).
65Les citations longues ont été reconstruites a posteriori pour leur donner vie, à partir des notes prises pendant les entretiens et consolidées chaque jour. L’objectif est de permettre au lecteur de mieux s’approprier les données brutes.
*
66Après l’introduction, ce livre s’articulera en quatre chapitres. Dans le premier, nous présenterons les éléments qui serviront de fondements contextuels et conceptuels d’analyse de ce travail. Nous commencerons par le cadre théorique construit pour ce livre indiquera à grands traits certains enjeux conceptuels de notre objet d’étude. Le chapitre analysera ensuite la configuration sociale dans laquelle le PBF s’insère et le statut du pauvre dans la société brésilienne.
67Le chapitre 2 traite des relations entre assistantes sociales et bénéficiaires du PBF dans sa mise en œuvre, notamment comment ces interactions sont structurées par des rapports de classes. Le chapitre 3 décrit comment ces rapports sont à la base des pratiques informelles de mise en œuvre du PBF adoptées par les assistantes sociales. Ce chapitre analyse aussi comment ces pratiques informelles influent sur l’image que les bénéficiaires ont du programme. Enfin, le chapitre 4 présentera les données relatives à l’utilisation électorale des services d’assistance sociale d’Angico. Une conclusion générale synthétise les principaux arguments de ce travail et initie une discussion sur les implications scientifiques et politiques des résultats présentés.
Notes de bas de page
1 En dépit du risque de confusion autour du terme « semi-aride », un adjectif qui qualifie le climat de la région, il est la meilleure option pour traduire le nom officiel de la région. Je distinguerais l’adjectif du nom propre par l’utilisation d’une majuscule dans le dernier cas.
2 Qui fait partie du biome des déserts et des brousses xériques. Le nom caatinga est issu de la langue amérindienne Tupi et signifie « forêt blanche ».
3 Les États fédérés sont représentés par leurs sigles : Minas Gerais (MG), Bahia (BA), Sergipe (SE), Alagoas (AL), Pernambuco (PE), Paraíba (PB), Rio Grande do Norte (RN), Ceará (CE), Piauí (PI) et Maranhão (MA).
4 Voir l’annexe 1 pour une caractérisation démographique et économique d’Angico.
5 Les élections générales permettent de désigner le président de la République, les gouverneurs des États fédérés, les sénateurs, et les députés du congrès fédéral et de la chambre de l’État fédéré. Les élections municipales se tiennent avec deux ans de décalage.
6 Des informations additionnelles sont présentées dans les annexes suivants : une liste des entretiens avec les bénéficiaires du PBF (annexe 2) ; les notices biographiques des assistantes sociales et des cadres de l’assistance sociale d’Angico (annexe 3).
7 Au Brésil, la profession du travailleur social est réglementée une loi (n° 8 662/93), et dispose d’un conseil fédéral, de conseils régionaux et d’un code d’éthique (Brasil 2012).
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La politique de la pauvreté: la régulation de droits sociaux et politiques au Nordeste du Brésil
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