Chapitre I. Le modèle auctorial
Note de l’éditeur
Première version de cette étude : « Alphonse X ou la science politique (Septénaire, 1-11) », Cahiers de linguistique hispanique médiévale, 18-19, 1993-1994, p. 79-100.
Texte intégral
1Si le Septénaire1 n'a pas, autant qu'il eût été souhaitable, retenu l'attention des spécialistes de l'œuvre d'Alphonse X, c'est sans doute parce qu'il a été jusque naguère mal daté. Loin d'avoir été composé à l'aube du règne d'Alphonse – et en partie conçu au crépuscule de celui de son père, Ferdinand III –, le Septénaire est une œuvre tardive, l'une des toutes dernières produites sous l'autorité du roi Sage. Aussi bien faut-il cesser de le regarder comme une ébauche confuse et le tenir au contraire pour l'expression ultime et la plus achevée – quoique la plus vivement marquée par un contexte chaotique – de l'idéalité politique d'Alphonse X. Le Septénaire offre ainsi le meilleur point de vue à qui souhaite appréhender, dans toute son ampleur et sa profonde cohérence comme aussi dans les conflits au sein desquels elle s’est construite, l'architecture conceptuelle du projet politique alphonsin.
2De la nécessité de revoir la datation du Septénaire, Jerry R. Craddock2, Peter Linehan3 et moi-même4 avons jeté les fondements philologiques : le texte, qui, dans sa plus grande partie, constitue un traité de théologie et un exposé de droit canonique, apparaît comme la dernière version connue de la première des Sept parties, dérivée de sa troisième rédaction (postérieure à 1272)5. À l'appui de cette thèse, et pour mieux situer le Septénaire dans la chronologie du règne d'Alphonse, on pourrait invoquer d'autres indices, sémantiques et contextuels : le retrait idéal d'une œuvre initialement conçue pour avoir force de loi et dont la vocation déclarée se borne désormais à un enseignement testamentaire6 (ceci nous porterait après l'été 1273, au cours duquel le roi dut renoncer définitivement à légiférer contre la tradition7) ; telle allusion à une aspiration impériale frustrée8 (qui prend tout son sens après la rencontre de Beaucaire où, en mai 1275, Alphonse s'effaça officiellement devant Rodolphe de Habsbourg) ; la nature et l'ampleur de la tourmente politique évoquée dans les derniers paragraphes du dixième article ou « loi » (qui semble correspondre au moment où, après les cortes réunies par l'infant Sanche à Valladolid en avril 1282, les villes se joignirent à la révolte des nobles et des prélats)9 ; l'éloge de Séville (où résidait le roi et qui, de toutes les cités du royaume, fut, avec Murcie, l'une des deux dernières à rester fidèles à Alphonse)10. Il m'apparaît enfin que le Septénaire entretient d'étroites connivences de fond et de forme avec les derniers documents produits par le notariat alphonsin, notamment avec les testaments de novembre 1282 et de janvier 128411, et je ne vois aucune raison de ne pas le tenir, puisqu'il est le seul texte alphonsin portant explicitement ce titre12, et dans sa complétude arbitrairement intitulée depuis Alphonse XI Sept parties, pour le Septénaire que le roi Sage, dans le second de ses testaments, légua à son successeur13.
3C'est donc aux tout derniers temps du règne d'Alphonse X – entre 1282 et 1284 – que je situe la composition du Septénaire – c’est-à-dire de la dernière révision du code territorial alphonsin dont il constitue le seul titre authentique, préférable à celui, tardif et empirique, de Sept parties.
4Des cent huit « lois » que compte l'édition de Kenneth H. Vanderford, je ne retiendrai que les onze premières : une unité de sens, quoique complexe, organique, isolée du propos théologique et canonique par une lacune des manuscrits14. Le nouveau positionnement du Septénaire dans la chronologie permet de rendre son plein sens à cette dernière élaboration du droit royal alphonsin et de prendre toute la mesure de son importance dans le développement de la production scientifique, historique et juridique du roi Sage. Nous en suivrons l’analyse à travers les trois grands modèles, profondément liés entre eux, qui en régissent le propos : un modèle auctorial, un modèle politique, un modèle épistémologique. Tous les trois jettent sur les fondements intellectuels du programme politique d’Alphonse X de Castille l’éclairage le plus profond.
5Voyons donc pour commencer quelle place occupe le Septénaire sur la carte disciplinaire et chronologique des déclarations d'autorité qui figurent dans les œuvres d’Alphonse le Sage.
6Les prologues des œuvres scientifiques –des traductions, le plus souvent– font foi d'un système unique donnant lieu à deux variantes énonciatives. Tantôt le locuteur est un sujet indéfini –« Et [le noble roi Alphonse] commanda [à Judas Moshe le Jeune] de traduire [ce livre]... », « [...] Judas fils de Moshe Al-Cohen [...], sur le commandement de notre susdit seigneur, [...] traduisit [ce livre]...15 »–, tantôt c'est le roi lui-même qui parle : « Ainsi, nous, le roi Alphonse, eûmes à cœur et commandâmes au dit Rabiçag de faire ce livre... »16. Dans les deux cas, cependant, la déclaration d'autorité distingue et, le plus souvent, nomme une autorité de commande (« mandar ») et une autorité de réalisation (« fazer » ou ses modalités spécifiques : « traduzir », etc.). En ce qui concerne les productions scientifiques, le roi occupe seulement la fonction d'autorité de commande.

7Dans les prologues généraux des œuvres historiographiques, le locuteur est toujours le roi : « Et pour toutes ces raisons, moi, Alphonse [...] », « Et donc, nous, Alphonse [...] »17. Quant à la distinction entre autorité de commande et autorité de réalisation, elle est moins nette que dans les œuvres scientifiques. Le prologue de la Générale estoire marque, certes, le mandat technique qu'ont reçu du roi les historiographes : « Moi, Alphonse, par la grâce de Dieu roi de Castille [...], après avoir fait réunir de nombreux écrits [...], j’ai fait faire ce livre et commandé d'y mettre tous les faits mémorables [...] »18. Néanmoins, la sélection des œuvres compilées ménage au commanditaire une place active dans la réalisation de l’ouvrage final : « [...] j'ai choisi parmi elles les plus véritables et les meilleures que j'ai su trouver »19. Ce phénomène est plus affirmé encore dans l'Estoire d'Espagne. Si l’évocation de la collecte préparatoire opère de même la distinction entre commanditaire et réalisateurs – « [...] nous avons commandé que fussent réunis autant de livres d'histoire que nous pûmes nous procurer [...] »20 –, c’est, outre la sélection, la composition elle-même qui est mise au compte du roi : « [...] et nous avons emprunté à la chronique de l'archevêque Rodrigue, [...] et à celle de maître Luc, évêque de Tuy, et à Paul Orose, [...] et à d'autres histoires de Rome que nous avons pu obtenir qui racontassent quelque chose du fait de l'Espagne, et avons composé ce livre [...] »21. Dans le domaine de la production historiographique, on voit donc le roi continuer d'assumer solitairement l'autorité de commande, mais s'attribuer aussi une part ou l’entier de l’autorité de réalisation. On observera du reste que lorsque commanditaire et réalisateurs sont discriminés, l'identité des seconds reste ici dans l'ombre.

8Plus que partout ailleurs, l'autorité du roi s'affirme dans les prologues des œuvres législatives. Comme dans l'historiographie, le locuteur est toujours Alphonse : « Et donc, nous, Alphonse [...] »22. Quant au rapport entre autorité de commande et autorité de réalisation, on observe deux déplacements. Le premier discrimine des autres productions les œuvres législatives ; le second distingue l’un de l’autre les livres de lois.
9La loi étant, dans sa production même, l’expression suprême du pouvoir, autorité de commande et autorité de réalisation ont vocation à se confondre dans les déclarations d’autorité des codes alphonsins. Aussi, leur distinction le cède-t-elle à une différenciation de second rang qui, au sein du processus de réalisation, fait le partage entre une autorité de conception et une autorité de rédaction.
10Dans le prologue des œuvres législatives, le roi ne limite jamais sa fonction à celle de commanditaire. Même lorsque est évoqué, dans le For royal – le premier des codes alphonsins, si l'on accepte la chronologie fixée par Aquilino Iglesias Ferreiros23 – le conseil auxiliaire « [de] la cour et [des] hommes savants en droit »24, l'intervention auctoriale du roi s'étend, sinon à la rédaction même du livre, du moins à la conception de son contenu. Le roi donne la loi, mais surtout il la fait ; même s'il n'est pas le rédacteur du code : « Ainsi, il convient que le roi [...] fasse [les] lois... Et donc, nous, Alphonse [...] donnons le for qui est écrit dans ce livre »25. Au sein de la bipolarisation fonctionnelle autorité de commande ("mandar") vs autorité de réalisation ("fazer"), le roi s'est donc déplacé du premier au second pôle. Celui-ci, toutefois, semble s’être scindé en un couple fonctionnel de second rang autorité de conception ("fazer leyes") vs autorité de rédaction ("escribir en el libro") dont le roi n'investit, dans le cas du For royal, que le premier terme :

11Un pas de plus est franchi dans le prologue du Miroir du droit, dont la composition suit de très près celle du For royal26. Le roi fait les lois27, le roi prend conseil auprès « des archevêques, des évêques de Dieu, des riches-hommes et des meilleurs savants en droit »28, le roi laisse encore transparaître l'existence d'exécutants techniques généreusement rémunérés29, mais déjà plusieurs formulations suggèrent ou déclarent que le champ de l'autorité royale s’étend, au-delà de la loi, au livre qui la contient : « Voici le livre du for que fit le roi Alphonse... », lit-on dans l'avant-prologue, et dans le corps du prologue, sans plus d’ambiguïté : « [...] ce livre que nous fîmes... »30.
12Loi ou livre, il est difficile de faire le distinguo dans le prologue de la première version31 (type British Museum) des Sept parties : « Voici le prologue du livre du for des lois que fit le noble Alphonse [...] », « Nous fîmes donc les lois qui sont écrites dans ce livre [...] »32. La nouveauté tient d’abord ici à la disparition des conseillers et à l’émergence d’une nouvelle représentation de la production de la loi où le roi se donne pour le consultant, le sélectionneur et le compilateur direct des expressions antérieures du droit : « Et nous avons tiré (ces lois) des bons fors et des bonnes coutumes de Castille et de León, et du droit dont nous trouvons qu'il est le plus commun et le plus profitable aux gens du monde entier »33.
13Et voici maintenant le prologue de ce qui passe pour la dernière version34 – immédiatement antérieure au Septénaire – des Sept parties. Comme dans le reste du corpus législatif, le roi prend ici directement la parole. Il puise en personne aux meilleures sources du droit : « Et nous avons emprunté aux paroles et aux bonnes sentences des sages [...] et aux droits des lois, et aux bons fors que firent les grands seigneurs et les autres savants en droit [...] »35. Il dispose cette matière dans l’ordre qui convient : « Et nous avons placé chacun de ces propos là où il convenait de le faire »36. En somme, il fait lui-même le livre : « Et nous avons donc fait ce livre [...] », « Et pour cette raison en particulier nous avons fait ce livre [...] »37. Certes, le roi avoue ne pas être venu à bout d'une si lourde entreprise par la vertu de « (son seul) entendement et (sa seule) intelligence ». Mais l'aide qu'il a cherchée, il l'a trouvée non plus auprès d'experts humains mais auprès de puissances spirituelles : Dieu le Père, Jésus, la Sainte Vierge et toute la « cour céleste »38 ! Dans la représentation qu'il entend donner de son autorité législative, le roi donne donc désormais à croire, qu'au sein même de l'autorité de réalisation, il concentre l'autorité de conception ("fazer leyes") et l'autorité de rédaction ("fazer el libro", "tomar de los dichos", "poner las razones").

14Quelle qu'ait été la réalité pratique de la collaboration du roi Sage à l'élaboration des ouvrages qu'il a suscités – le propos, devenu célèbre, des rédacteurs de la Générale estoire limite plus strictement son intervention39 –, retenons que, sous le rapport de l'énonciation aussi bien que sous celui de la représentation auctoriale, le Septénaire survient dans un domaine et au terme d'une évolution qui font au sujet royal une place de plus en plus grande dans la production de son œuvre. Mais avant d'en venir à l'étude du texte, il importe de relever, au sein de la production législative d'Alphonse X, deux autres mouvements.
15Le premier a trait à la généalogie de l'autorité d'Alphonse, présentée comme consubstantielle à celle de son pouvoir politique. Rien, dans le prologue du For royal, qui réfère aux ancêtres du roi. Le pouvoir d'Alphonse n'y reçoit qu'une définition spirituelle et territoriale : « [...] Nous, Alphonse, par la grâce de Dieu roi de Castille, de Tolède, de León [...] »40. Quelque chose d'analogue se produit dans le Miroir, puisque le père et la mère du roi ne sont évoqués que dans un avant-prologue41 sans doute écrit postérieurement au prologue lui-même. Dans le corps du prologue, l'évocation du pouvoir politique d'Alphonse est identique à celle que l'on trouve dans le For royal42. De l'avant-prologue, où elle reste présente, la référence parentale, ici comme là bornée au politique, passe au corps du prologue dans la première version des Sept parties : « Et c'est pourquoi, nous, Alphonse, fils du très noble roi Ferdinand et de la très noble reine Béatrice, régnant en Castille, à Tolède, à León [...] »43. Cette formule, présente aussi dans le prologue des œuvres scientifiques et historiographiques, disparaît de celui de la seconde grande version des Parties, où l'on retrouve les termes du For royal44. Mais ici un récit généalogique s'ébauche qui concerne moins désormais le pouvoir politique d'Alphonse que son autorité d'écriture :
Et [à faire ce livre] trois choses particulièrement nous ont décidé. La première, que le très noble et bienheureux roi Ferdinand, notre père, qui était pleinement soucieux de justice et de droit, et qui aurait voulu le faire s'il avait vécu davantage, nous commanda de le faire45.
16Ainsi, dans le même temps que s'affirme l'autorité d'Alphonse dans la production du livre de lois, naît une autre autorité qui, relativement à l'autorité de réalisation qu'Alphonse prend pleinement en charge, vient en somme occuper le lieu de l'autorité de commande : son père, le roi Ferdinand III, dont l'auteur des Sept parties ne ferait qu'accomplir la volonté. L'opposition fonctionnelle autorité de commande vs autorité de réalisation, dont nous avons vu l'effacement progressif dû aux fonctions grandissantes que s'attribuait Alphonse, se trouve donc rétablie à la seule fin que s'institue un couple actoriel d'autorité formé par le roi et son père. Notons néanmoins que, faisant son apparition dans la représentation de la genèse de l'œuvre, Ferdinand, n'occupe pour l'instant qu'une place modeste : celle que fait sienne Alphonse dans les œuvres scientifiques ; pas même –commandant l'œuvre, mais ne semblant guère la concevoir qu'en son utilité la plus générale – celle que se donnait Alphonse dans sa première production législative.

17Le second mouvement tient à la présence du spirituel dans l'autorité législative. La référence à Dieu est formulaire et, comme la référence parentale dans les premiers livres de loi, seulement politique, notons-le au passage, dans le prologue des œuvres de science et d'histoire : « Alphonse, par la grâce de Dieu roi de Castille [...] ». Outre cette formule, qui est néanmoins de rigueur46, les prologues des œuvres juridiques comportent tous une invocation initiale ainsi que d'autres propos ou d'autres signes par lesquels celles-ci se trouvent rapportées plus intimement à la divinité. Ici encore, toutefois, des différences sont sensibles dans la chronologie. L'invocation initiale se borne, dans le For royal, à ces mots : « Au nom de Dieu, amen »47. Dans le corps du livre, d’autre part, la présence du religieux se limite à une première mais très courte loi traitant de la Trinité et des articles de la foi catholique48. Le prologue du Miroir s'ouvre sur une invocation plus complexe : « Au nom de Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, qui sont trois personnes et un Dieu »49. Par la suite, le livre s’y trouve doublement placé sous l'autorité spirituelle : dans sa conception (« achevé selon Dieu ») comme dans son application (« ceux qui viendront contre lui (seront) maudits par Dieu notre Seigneur »)50. Enfin, figurent au premier rang des conseillers du roi les prélats (« archevêques et évêques de Dieu »)51. À sortir du cadre du prologue, on constate que l'œuvre – dont l'architecture semble avoir déjà obéi à une conception heptalogique52 – comporte un premier livre qui, pour être court, n'en développe pas moins considérablement le propos de la première loi du For royal et surtout assemble comme ce qui se ressemble définition de la loi et définition de la foi53.
18Dans la première version du prologue des Sept parties, l'invocation trinitaire du Miroir est précédée d'un propos dogmatique avec lequel, enveloppant la déclaration du pouvoir politique et de l'autorité scripturale du roi, elle forme autour de celles-ci comme une gangue spirituelle :
Dieu doit être mis en avant et placé en tête de tous les bons faits que l'homme veut entreprendre, car Il est commencement et faiseur et achèvement de tout bien. C'est pourquoi, nous, Alphonse, fils du très noble roi Ferdinand et de la très noble reine Béatrice, régnant en Castille, à Tolède, en León, en Galice, à Séville, à Cordoue, à Murcie, à Jaén et dans l'Algarve, nous commençâmes ce livre au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, qui sont trois personnes et un Dieu véritable54.
19La nature divine du droit, d'autre part, s'affirme davantage. Les fors que le roi se fixe d'abroger sont dénoncés pour aller « contre Dieu et contre le droit », de même que les lois qu'il établit sont conçues pour être « au service de Dieu » et que le contrevenant serait tenu pour « (errer) contre Dieu, à qui appartiennent dans leur perfection la justice et la vérité selon lesquelles est fait (ce) livre »55. Quant à celui-ci : sa rédaction, nous dit-on, s'est déroulée en un cycle de neuf ans, d'une veille de Saint-Jean Baptiste à une veille de Saint-Jean Baptiste martyr56) ; sa première unité, qui continue d'associer définition de la loi et définition de la foi, s'épaissit pour former un long traité de droit canonique ; enfin, attirant l'identité de l'auteur royal dans la numérologie figurale de son organisation, les lettres initiales des sept parties qui le composent forment le nom A-L-F-O-N-S-O57.
20Ces grands traits de structure se maintiennent dans toute la tradition connue des Parties. La seconde grande version du prologue reprend, quant à elle, la plupart des données de la première tout en amplifiant son propos spirituel : Dieu est placé à l'origine de l'entreprise d'Alphonse58, de son pouvoir59 et de son lignage60 ; les conseillers ecclésiastiques font place, nous l'avons vu, à des auxiliaires spirituels (Dieu, Jésus, Marie et la cour céleste61) ; la symbolique septénaire s'épanouit et devient explicite, la durée de rédaction de l'œuvre étant ramenée de neuf ans à sept62 tandis qu'une longue démonstration de la sénéfiance du chiffre sept par le savoir naturel et les saintes Écritures occupe la partie finale du propos63. Expansion de l'intervention divine à tous les niveaux de l'élaboration du droit, explicitation et approfondissement de son inscription sémiologique dans l'œuvre : code après code, version après version se renforce l'assomption du droit royal par l'ordre spirituel.
21La lecture des livres de lois alphonsins fait donc apparaître, dans la représentation de l'autorité qui élabore le droit, les progrès d'une affirmation simultanée du roi, de son père et de Dieu. Cette tendance trouve son couronnement dans le Septénaire.
[...] Nous, Alphonse, fils du très noble et bienheureux roi Ferdinand et de la très noble reine Béatrice ; seigneur héritier, premièrement par la grâce de Dieu et ensuite par droit lignage, par quoi nous avons hérité des royaumes de Castille, de Tolède, de León, etc.64 [...], nous avons commencé ce livre [...]65, nous avons entrepris de faire cette œuvre66[...] Et nous, Alphonse, une fois que nous eûmes composé et ordonné ce livre, nous lui donnâmes pour nom Septénaire comme il convenait à la nature du propos et à la manière de l'exposé67.
22Rien de bien nouveau, dira-t-on ; à ceci près, tout de même, que le pouvoir politique et surtout l’autorité scripturale d'Alphonse reçoivent ici une formulation particulièrement complète et insistante, la seconde trouvant son accomplissement dans l'acte terminal et à la fois fondateur entre tous de l'intitulation. Mais, en effet : l'essentiel est dans le propos général où cette proclamation, par séquences, s'insinue.
23Les invocations aperturales du For royal et du Miroir du droit (« Au nom de Dieu [...] »), les déclarations, plus dogmatiques, de ce qu'il est convenu d'appeler les Sept parties (« Dieu est commencement, et moyen terme et achèvement de toutes choses [...] Et tout homme qui veut entreprendre un bon fait doit d'abord mettre Dieu en avant et le prier et lui demander la grâce de lui donner savoir, volonté et pouvoir pour le bien achever »68) sont reprises et développées encore dans le Septénaire69 ; mais elles y font en outre l'objet d'une singulière et imposante réalisation littérale. Sur le thème modélisant de l'Alpha et de l'Oméga sont en effet énumérés, ouvrant l'œuvre, les noms de Dieu : sept sous chacune des sept lettres de la composition ALFA ET O70. Et ce que nous avons vu s'esquisser d'une unité analogique entre le livre de lois et, par le nom que forment les initiales de ses divisions, le roi trouve ici son aboutissement dans la déclaration d'une dernière analogie à la fois numérique, littérale et linguistique – n'étant exacte qu'en castillan – avec Dieu : « Et c'est pourquoi, nous, Alphonse (Alfonso), fils de [...] et de [...], et seigneur héritier [...] des royaumes de Castille, de Tolède, etc., dont Dieu voulut que par sa grâce le nom commençât en A et finît en O et qu'il comportât, en langage d'Espagne, sept lettres à ressemblance de son nom [...] Nous avons commencé [ce livre]...71 ». Le lien, embrassant plus largement que jamais l'autorité d'Alphonse – sa personne, son ascendance, son pouvoir, son nom, sa langue et son livre –, est aussi – noué dans le couplage historico-figural de la lettre – plus que jamais substantiel avec Dieu. Et c'est désormais un auteur royal tourné, comme Salomon, vers l'Esprit-Saint, recevant, semblablement à Jésus, ses sept dons, qui se met à l'œuvre72.
24C'est la première idée : exaltée sous tous rapports autant qu’ancrée dans la loi et le livre qui la recueille, la nature spirituelle de l'autorité royale. Mais en incidant au sept – dont nous n’avons relevé jusqu'ici que la fonction d'opérateur analogique – la symbolique littérale de l'Alpha et de l'Oméga sollicite aussi, et redouble, la symbolique intrinsèque du nombre qui, dans les mentalités chrétiennes médiévales, exprimait en tout premier lieu la complétude, l'achèvement dérivés de la Genèse.
25Si cette dernière signification, déjà latente à la structure du Miroir et des Parties, est ici comme magnifiée, c'est sans doute qu’on entend montrer dans le Septénaire, version dernière du grand code alphonsin, la complétude, l'achèvement de l'œuvre royale. Le paragraphe qui précède immédiatement la déclaration d'autorité et la manifestation d'une correspondance entre le nom du roi et le modèle divin commente du reste le symbole de l'Alpha et de l'Oméga par le propos qui ouvrait autrefois le prologue des Sept parties : « Car il convient à tout homme qui veut entreprendre, poursuivre et bien achever quelque bonne œuvre, de la commencer au nom de Dieu, etc. »73 Cependant : la double symbolisation, numérique et littérale, de l'achèvement rencontre aussi, dans la deuxième « loi » du Septénaire, l'expression historique que lui avait donnée la deuxième version des Parties : l'intention avortée de Ferdinand III et le commandement fait à son fils de la réaliser ; soit : l'accomplissement par Alphonse de l'œuvre voulue par son père. Or, ce thème subit ici deux transformations.
26La première – procédure systématique – le charge de spiritualité. L'obligation contractée par Alphonse auprès de Ferdinand s'érige ici en tableau funèbre. C'est sur son lit de mort, à la lisière du siècle et de l'éternité, que Ferdinand – comme David confia jadis à Salomon la construction du Temple – charge son fils de mener à bien l'œuvre que lui-même n'a pu accomplir : « Et... nous entreprîmes de faire cette œuvre... parce qu'il nous le commanda à sa mort, lorsqu'il était en route vers le Paradis, où, eu égard à ses faits, nous croyons qu'il est allé »74. À l'assomption spirituelle d'Alphonse, Ferdinand est lui-même gagné. Médiateur naturel entre son fils et la divinité – « [il] fut notre père naturellement75 », écrit Alphonse, ce qui revient à dire ce qui est déclaré plus loin : « Dieu voulut qu'il fût notre père et que par lui nous vinssions au monde »76 –, il est lui-même marqué au sceau de la transcendance par « [son] nom, [qui] en langage d'Espagne (Ferando) comporte sept lettres »77. La continuité spirituelle de Dieu avec la royauté est comme redoublée par la continuité naturelle du père avec le fils. De façon à peine sous-jacente, cette coïncidence s'inscrit dans la figure trinitaire :
Ainsi, le A montre avec raison, comme nous l'avons dit plus haut, que Dieu est commencement, et le O la fin... Et les autres cinq lettres qui sont au milieu montrent les autres choses qui sont en Lui, selon le savoir et le pouvoir et la vertu qu'Il a. Et ceci s'entend comme la Trinité complète ; car par le pouvoir on entend le Père, par le savoir le Fils, et par le vouloir et la vertu grâce auxquels Ils œuvrent, l'Esprit-Saint. (...) Et donc nous, Alphonse, fils du très noble et bienheureux roi Ferdinand... dont Dieu voulut que par sa grâce le nom commençât en A et finît en O, et qu'il comptât sept lettres... Par (lesquelles) sept lettres Il envoya sur nous les sept dons de l'Esprit-Saint [...]78.
27La seconde transformation porte la continuité naturelle du père avec le fils à un niveau plus profond du processus de création de l'œuvre. Pour la première fois, Alphonse prétend que le livre de lois, qu’il a achevé après la mort de Ferdinand, a été commencé du vivant de son père et dans une forme de collaboration avec lui : « [...] Nous l'aidâmes à le commencer de son vivant et à l'achever après sa mort [...] » « Nous avons voulu achever après sa mort cette œuvre qu'il avait commencée de son vivant et qu'il nous commanda d'achever [...] »79. Ou bien encore :
Et donc, pour ôter ces maux […], le roi Ferdinand commanda de faire ce livre [...] Et pour ôter ces sept maux, il divisa ce livre en sept parties. Et il exposa dans chacune d'elles un propos par lequel les hommes entendraient ce qu'il leur convenait de faire et ce dont ils devaient se garder80.
28Moins, désormais, que la commande et la réalisation, moins même qu'au sein du procès de réalisation, la conception et la rédaction – le rapport continue d'exister, néanmoins, le premier terme étant occupé dans une proportion indéfinie par Ferdinand et par Alphonse : « Nous entendîmes parfaitement quelle était la volonté qui le poussait à faire [ce livre] et sur quels sujets il tenait qu'il devait le faire [...] »81 –, sont ici distingués, au plan désormais de la rédaction, le début et la fin, le commencement et l'achèvement, tous deux occupés – le premier, mais aussi, virtuellement, le second : « Nous l'aidâmes à l'achever après sa mort » – par l'autorité royale bicéphale que forment, indissociables, le père et le fils. Et l'on voit Ferdinand suivre pas à pas Alphonse sur le chemin que, de fonction en fonction, le second a prétendu avoir parcouru lui-même dans l'élaboration du livre :

29Ainsi donc, le paysage disciplinaire de l'activité auctoriale d'Alphonse X de Castille, autant que la diachronie de sa production législative, manifestent d'abord dans les livres de lois la représentation d'une emprise toujours croissante de l'autorité royale. Dans le mouvement même de cette évolution, toutefois, deux puissances s'affirment aux côtés d'Alphonse. L'une est humaine : son père Ferdinand III, invoqué seulement, dans un premier temps, comme chaînon d'une généalogie du pouvoir politique, puis comme agent de plus en plus actif de la création législative : commanditaire, puis concepteur et rédacteur. L'autre est spirituelle : Dieu, avec qui l'autorité royale entretient un rapport chaque fois plus substantiel. Le Septénaire, qui marque l'aboutissement de ces deux progressions voit aussi l'épanouissement d'un thème notionnel jusque-là resté latent : l'achèvement de l'œuvre royale. Ce thème y est lié à celui de la nature spirituelle de l'autorité royale dans la figuration emblématique du couple formé par Ferdinand et son fils Alphonse, lequel est rapporté analogiquement au couple historique formé par David et Salomon et, avec l'invocation du Saint-Esprit, à celui, dogmatique, du Père et du Fils dans la Trinité.
30Cette construction complexe, reposant à la fois sur des conceptions manifestes et sur un réseau de rapports implicites, extrêmement cohérente cependant, vaut sans doute d'abord par elle-même, en ce qu'elle constitue une des formes les plus achevées de l'idéologie monarchique. Je ne vois pas, avant elle, en Espagne, plus savamment tramés les fondements imaginaires de la clôture spirituelle et naturelle de l'autorité royale, ni plus habilement représentés, en outre, sur la scène de ce qui, doublement, sous le rapport du politique et du scriptural, se donne pour une pratique d'autorité : le livre de lois. Néanmoins : je ne peux m'empêcher de lire plus étroitement dans les évolutions que le Septénaire couronne comme dans les émergences qui s'y font jour, les traces du contexte politique des dernières années d'Alphonse X.
31Celui-ci, au plan de l'Empire comme au plan du royaume, avait dû renoncer dès 1273 (échec des négociations d'Almagro, élection impériale de Rodolphe de Habsbourg) à réaliser l'ordre monarchique dont la conception avait occupé ses jours. Depuis 1282, bien qu’encore légitime82, il ne tenait plus rien. Le royaume s'était détourné de lui, adhérant à la dissidence de son fils héritier. Au chaos politique, Alphonse oppose le démenti d'une autorité royale de nature spirituelle ; à l'effondrement de son laborieux édifice législatif, l'achèvement de l'œuvre royale ; à l'infidélité du fils héritier, le plus parfait exemple de continuation filiale. Sur ce dernier thème, le plus déterminant et le plus algique, les deux autres reposent leur charge. Si lourde, qu'elle provoque un effet de réel. Jusqu'ici, on a tenu pour vraie cette fiction stratégique. Mais, non, le Septénaire n'a pas été composé par Alphonse à la demande de son père dans les années précédant et suivant immédiatement sa mort. Non, le Septénaire ne témoigne d'aucune façon de l'existence d'un audacieux programme de rénovation législative dans l'esprit de Ferdinand III. Cette légende fait aussi partie du « miroir » que, parmi l'inventaire de son héritage, Alphonse lègue par testament à son successeur afin que, « lui-même et les rois qui viendront après lui [...] sachent amender leurs fautes et celles des autres et redresser leurs faits »83.
Notes de bas de page
1 ALFONSO EL SABIO, Setenario, Kenneth H. VANDERFORD, éd., [ALFONSO EL SABIO, Setenario], [19451], reprod. f.-s. de la 1ère édition avec étude préliminaire de Rafael LAPESA, Barcelone : Crítica, 19842 [désormais : Septénaire, page, ligne].
2 Jerry R. CRADDOCK, « El Setenario : última e inconclusa refundición alfonsina de la Primera partida », Anuario de historia del derecho español (AHDE), 56, 1986, p. 441-446.
3 Peter LINEHAN, « Pseudo-historia y pseudo-liturgia en la obra alfonsina », in : España y Europa : un pasado jurídico común, Murcie : Instituto de Derecho Común, 1986, p. 259-274 (p. 264 et 266).
4 Georges MARTIN, « De nuevo sobre la fecha del Setenario », e-Spania, 2, 2006 [URL : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/e-spania/381].
5 Pour l'essentiel, l'argumentation repose sur une comparaison entre la « loi » 89 du Septénaire et la loi 4, 30 de la Première partie, qui n'apparaît que dans la troisième version de celle-ci (base de l'édition Real Academia de la Historia) et dont le Septénaire offre une transcription lacunaire. Outre une analogie générale de contenu qui l'apparente à la première des Sept parties, le Septénaire présente une référence à son organisation suggérant qu'il participe de leur structure d'ensemble : « Mais s’il tombait aux mains d’un juge séculier plutôt que dans celles de clercs, qu’il reçoive la peine (pena) stipulée dans la septième partie de ce livre, où il est traité des châtiments (escarmientos) » (Septénaire, p. 243, l. 11-14). À partir du second état de l'œuvre, lui-même postérieur à 1272, la Septième partie contient en effet un chapitre consacré aux « peines » (Titre XXXI : « Châtiés doivent être les hommes… » annoncé « Des peines et des châtiments (de las penas e de los escarmientos) » dans le prologue général [édition de Gregorio LÓPEZ (réf. en note 6), 1, fol. 4 v°b]. J'ajoute que dès le prologue amplifié que constituent les onze premières « lois » du Septénaire il est fait référence à l'organisation heptalogique de l'œuvre : « Et pour combattre ces sept maux [le roi Ferdinand] divisa ce livre en sept parties » (Septénaire, p. 25, l. 14-15).
6 Prologue du For royal (1255) : « Il convient donc au roi, qui doit tenir ses peuples en justice et en droit, de faire des lois pour que les peuples sachent comment ils doivent vivre et pour que les mésententes et les plaids qui naîtraient entre eux soient réglés de façon que ceux qui ont fait le mal soient punis et que les bons vivent en sécurité. [...] et nous leur donnâmes le for qui est écrit dans ce livre pour que se jugent communément les hommes et les femmes ; et nous ordonnons que ce for soit respecté pour toujours et que nul n'ait l'audace d'aller à son encontre » (Gonzalo MARTÍNEZ DÍEZ, éd., Leyes de Alfonso X. II : Fuero real, Ávila : Fundación Sánchez Albornoz, 1988, p. 184-185 ; éd. de réf., désormais : For royal) ; prologue du Miroir du droit (1256) : « Il convient donc au roi, qui doit tenir et garder ses peuples en paix et en justice et en droit, de faire des lois et des conventions pour que les divisions et les volontés des hommes s'accordent tous en un par le droit, pour que les bons vivent en paix et en justice et que les méchants soient châtiés de leurs méchancetés par peine de droit. [...] Et c'est pourquoi, nous, le susdit roi Alphonse, voyant et entendant tous ces maux et tous ces dommages qui avaient cours pour toutes les raisons que nous avons dites, nous fîmes les lois qui sont écrites dans ce livre, qui est miroir du droit, pour que se jugent tous ceux de nos royaumes et de notre seigneurie, lequel est lumière pour tous afin de savoir et d'entendre les choses correspondant à tous les faits pour connaître l'avantage et le dommage et se corriger des défaillances dont nous avons parlé, et plus encore pour les juges afin qu'ils sachent rendre les jugements droitement et garder chacune des parties qui viendraient devant eux dans son droit et qu'ils mènent leurs plaids de manière ordonnée comme ils le doivent » (id., éd., Leyes de Alfonso X. I : Espéculo, Avila : Fundación Sánchez Albornoz, 1985, p. 101-102) ; éd. de réf., désormais Miroir du droit) ; Prologue de la première version (type British Museum) des Sept parties (1265) : « Et donc, pour ôter tous ces maux dont nous avons parlé, nous fîmes les lois qui sont écrites dans ce livre... Et nous tenons pour bon et ordonnons qu'on se juge par elles et non par une autre loi ou un autre for » (Juan Antonio ARIAS BONET, éd., Alfonso X el Sabio. Primera partida (manuscrito Add. 20.787 del British Museum), Valladolid : Universidad de Valladolid, 1975 ; p. 4 ; éd. de réf.). Jusqu'ici, les lois alphonsines sont donc conçues pour être appliquées. Les choses changent avec la seconde version (postérieure à 1272) des Sept parties, dont le prologue borne les ambitions à ceci : « Et nous fîmes ce livre particulièrement pour cette raison : pour que les rois de notre seigneurie s'y regardent comme dans un miroir et voient les choses qu'ils doivent amender en eux-mêmes, et les amendent, et qu'ils en fassent de même avec leurs sujets. [...] Et à faire ainsi trois raisons particulièrement nous ont porté : [...] la troisième pour permettre aux hommes de connaître le droit et la raison, et qu'ils sussent se garder de faire tort ou faute, et qu'ils sussent aimer les autres seigneurs qui viendraient après nous et leur obéir » [Gregorio LÓPEZ, Las Siete Partidas del rey don Alfonso el Sabio, Salamanque : Andrea de Portonariis, 1555, (fac-similé : Boletín Oficial del Estado, 3 vol., 1974, 1, fol. 3v°) ; éd. de réf.]. Le Septénaire se donne pour objectif d'enseigner rois et sujets au bien (fondamentalement aux bonnes mœurs politiques) : « Et donc, pour ôter ces maux et bien d'autres qui survenaient pour cette raison, et écarter les autres qui pourraient survenir, le roi Ferdinand commanda de faire ce livre pour que lui-même et les autres rois qui viendraient après lui l'aient pour trésor et pour meilleur conseil qu'ils pourraient recevoir, et pour meilleure intelligence, où ils se verraient toujours comme en un miroir pour savoir amender leurs erreurs et celles des autres et redresser leurs faits et savoir les faire bien et parfaitement. [....] Et il exposa dans chacune de [ses parties] des raisons par lesquelles les hommes entendraient ce qu'il leur convenait de faire et ce dont ils devaient se garder » (Septénaire, p. 25, l. 7-17). On lit quelques lignes plus haut : « [Ferdinand III] songea que le mieux et le plus convenable était de faire un écrit où il démontrerait [à ses sujets] les choses qu'ils devaient faire pour être bons et être dans le bien et pour se garder de ceux qui les rendraient mauvais et les porteraient à faire le mal. [...] Et que ceci fût mis en un livre qu'ils entendraient souvent, de sorte qu'ils s'accoutumassent à avoir de bonnes coutumes et qu'ils se fissent et s'habituassent à enraciner en eux le bien et à éradiquer le mal » (Septénaire, p. 23, l. 18-23). Le code juridique s'est mué en traité de morale politique.
7 Robert A. MAC DONALD, « Problemas políticos y derecho alfonsino considerados desde tres puntos de vista », AHDE, 54, 1984, p. 25-53 (p. 39) et, plus nettement, « El Espéculo atribuído a Alfonso X, su edición y problemas que plantea », in : España y Europa, un pasado jurídico común, Murcie : Instituto de Derecho Común, 1986, p. 611-653 (p. 645, n. 114).
8 « Et même, sans compter tout ceci, il aurait voulu ennoblir et honorer davantage ses faits en rendant sa seigneurie à l'état où elle avait été et dans lequel la maintinrent anciennement les empereurs et les rois dont il descendait. [...] En raison de l'empire, il aurait voulu que fût ainsi appelée sa seigneurie, et non royaume, et qu'il fût couronné empereur comme l'avaient été d'autres de son lignage. [...] Mais... » (Septénaire, p. 22, l. 3-10 et 26). Alphonse parle ici de son père, mais il sera montré plus loin comment ce renoncement attribué à Ferdinand III participe d'un transfert global des préoccupations du fils à l'imago paternelle.
9 Memorial Historico Espanol, Madrid : Real Academia de la Historia, 1851 (2, p. 59-63, 72-75, etc. ; désormais : MHE) ; Antonio BALLESTEROS BERETTA, Alfonso X el Sabio, Barcelone : Salvat, 1963, p. 963 sq. ; Joseph F. O’CALLAGHAN, El rey Sabio. El reinado de Alfonso X de Castilla, Séville : Universidad, 19992, p. 312-314 ; Manuel GONZÁLEZ JIMÉNEZ, Alfonso X el Sabio, Barcelone : Ariel, 2004, p. 345-350 et 420-421. Le réquisitoire du Septénaire – c'est un indice – ne discrimine sa cible – « hommes » (omnes) – que par de subtiles connotations. La noblesse en est le mille – « les bons-hommes d’autrefois (omnes buenos ancianos) qui avaient de bonnes coutumes et de bonnes manières », « ils ne reconnaissaient pas le bien que leur avait fait ceux dont ils descendaient », « ils n’aimaient pas ceux de leur lignage » –, mais quelques touches suggèrent, autour d'elle, la présence de vilains : « […] ils agissaient en tout vilement, sur le conseil d’hommes vils et méprisables », « ceux qui ne l’étaient pas ni ne pouvaient l’être se faisaient passer pour gentilshommes» (Septénaire, respectivement : p. 23, l. 29 ; p. 24, l. 19 ; p. 24, l. 29-30 ; p. 24, l. 11-12, p. 25, l. 2-3).
10 Septénaire, p. 19-20 (« Des bontés du royaume de Séville ») ; A. BALLESTEROS BERETTA, Alfonso X el Sabio, p. 1008 sq ; O’CALLAGHAN, El rey Sabio…, p. 314 ; GONZÁLEZ JIMÉNEZ, Alfonso X el Sabio, p. 351. Rapportant, vers 1305, ces événements, Joffre de Loaïsa écrit : « Et tunc remansit taliter illustris rex Alfonsus predictus cum sola civitate Sibilie et cum aliquibus villis et locis positis circa ipsam » [JOFRÉ DE LOAISA, Cronica, Agustín UBIETO ARTETA, éd., Valence : Anubar (Textos medievales, 30), 1971, p. 22-23].
11 Version latine : Georges DAUMET, « Les testaments d'Alphonse X le Savant, roi de Castille », Paris : Bibliothèque de l'École des Chartes, 67, 1906, p. 70-99 ; version castillane : MHE, 2, p. 110-134.
12 « Et nous, Alphonse, quand nous eûmes composé et ordonné ce livre, nous lui donnâmes nom Septénaire... » (Septénaire, p. 25, l. 18-19). Dans la seconde version des Sept parties, le prologue s'achevait déjà sur un développement symbologique intitulé « Septénaire » (G. LÓPEZ, 1, fol. 4).
13 « De même, nous léguons à celui qui héritera de nos biens le livre Septénaire que nous fîmes » (MHE, 2, p. 126).
14 Septénaire, p. xxx-xxxi ; p. li-lii ; p. 47, l. 10.
15 Successivement : Lapidaire (Sagrario RODRIGUEZ M. MONTALVO, éd., Alfonso X. « Lapidario » según el manuscrito escurialense H.I.15, Madrid : Gredos, 1981, p. 19) et Livre complet sur les jugements des étoiles (Gerold HILTY, éd., Aly Aben Ragel. El libro conplido en los judizios de las estrellas, Madrid : RAE, 1954, p. 4a). On trouvera le même système énonciatif dans le Livre des croix (Lloyd A. KASTEN et Lawrence B. KIDDLE, éd., Alfonso el Sabio. Libro de las cruzes, Madrid/Madison : CSIC, 1961, p. 1b).
16 Livre de la pierre à ombre (Manuel RICO Y SINOBAS, éd., Libros del saber de astronomía..., 5 vol., Madrid : Imp. de Eusebio Aguado, 1863-1867 ; 4, p. 3). Même système énonciatif dans (par exemple) le Livre de l'horloge à vif argent (ibid., 4, p. 65) ou le Livre de l'ataçir (ibid., 2, p. 295). Quelques observations intéressantes et d'autres références dans Rafael CANO AGUILAR, « Los prólogos alfonsíes », Cahiers de linguistique hispanique médiévale, 14-15, 1989-1990, p. 79-90 (notamment p. 82-86).
17 Successivement : Générale estoire (Antonio GARCÍA SOLALINDE, éd., Alfonso el Sabio. General estoria (primera parte), 2 vol., Madrid : JAEIC, 1930 ; 1, p. 3b ; éd. de réf., désormais : Générale estoire) ; et Estoire d'Espagne (Ramón MENÉNDEZ PIDAL, éd., Primera crónica general de España, 2 vol., Madrid : Bailly-Baillières, 19061 (réed. par Diego CATALÁN, Madrid : Gredos, 19773), 1, p. 4a ; éd. de réf., désormais : Estoire d’Espagne).
18 Générale estoire, 1, p. 3b.
19 Ibid.
20 Estoire d'Espagne, 1, p. 4a.
21 Ibid.
22 La formule est la même dans les prologues du For royal (p. 184), du Miroir du droit (p. 101 ; et des Sept Parties dans leurs versions type British Museum (Sept parties « type British Musuem », p. 3) et type Silos (Sept parties, 1, fol. 3r°a).
23 Aquilino IGLESIAS FERREIROS : « Fuero real y Espéculo », Anuario de historia del derecho español, 52, 1982, p. 111-191 ; « La labor legislativa de Alfonso el Sabio », in : España y Europa : un pasado jurídico común, Murcie : Universidad de Murcia (Instituto de Derecho Común), 1986, p. 275-599 ; « En torno a una nueva edición del Fuero real », Anuario de estudios del derecho español, 59, 1989, p. 785-840. Également : Antonio RODRÍGUEZ ADRADOS, « El derecho notarial en el Fuero de Soria y en la legislación de Alfonso el Sabio », Revista de derecho notarial, 12, 1964, p. 88.
24 For royal, p. 185.
25 Ibid., p. 184-185.
26 Cf. les travaux d'IGLESIAS FERREIROS cités en note 23.
27 Miroir, p. 101 et 102.
28 Ibid., p. 102.
29 « Et nous n'avons pas regardé à la baisse de nos rentes et de nos droits afin que ce livre fût profitable pour tous et achevé selon Dieu et plein de droit et de justice », ibid., p. 102. Quelques lignes plus haut est repris le propos du For royal, porteur d'une dissociation implicite : « (...) nous fîmes les lois qui sont écrites dans ce livre... », ibid., p. 102.
30 Ibid., successivement p. 101 et 102.
31 IGLESIAS FERREIROS, « La labor legislativa... », p. 595 ; CRADDOCK, « El Setenario... », p. 444-445.
32 J. A., ARIAS BONET, successivement p. 3 et 4.
33 Ibid., p. 4.
34 IGLESIAS FERREIROS, « La labor legislativa... », p. 595 ; CRADDOCK, « El Setenario... », p. 445. Les deuxième (édition Gregorio LÓPEZ) et troisième (édition Real Academia) états des Parties distingués par CRADDOCK n'offrent aucune différence dans leur prologue. Notre édition de référence peut donc continuer d'être celle de Gregorio LÓPEZ.
35 G. LÓPEZ, Las Siete Partidas…, 1, fol. 3 v°b.
36 Ibid., 1, fol. 3 v°b.
37 Ibid., 1, fol. 3 v°a et b.
38 Je traduis l'entier du passage : « Mais, puisque nous ne pouvions tenir par notre entendement ni par notre intelligence tant de propos ni si bons comme il était besoin pour démontrer ce fait et achever une œuvre si grande et si bonne, nous eûmes recours à la merci de Dieu, et de son fils béni notre seigneur Jésus-Christ, avec l'encouragement de qui nous le commençâmes, et de la sainte Vierge Marie, sa mère, qui est médiatrice entre nous et la cour céleste, ainsi qu'à toutes leurs paroles », ibid., 1, fol. 3 v°b.
39 « [...] le roi fait (faze) un livre, non parce qu'il l'écrive de ses mains, mais parce qu'il en compose (compone) les propos (razones), et les corrige, et égalise (yegua), et redresse (endereça), qu'il montre la manière selon laquelle ils doivent être faits, et désigne ensuite qui doit les écrire, mais nous disons pour cette raison que le roi fait le livre » (Générale estoire, 1ère partie, SOLALINDE, 1, p. 477b). Sur ce thème, Georges MARTIN, Les Juges de Castille. Mentalités et discours historique dans l'Espagne médiévale, Paris : Klincksieck (Annexes des Cahiers de linguistique hispanique médiévale, 6), 1992 ; p. 326-327 et 391, n. 48-49. On trouve, du reste, dans le corps du Septénaire (p. 68) : « Et nous, roi Alphonse, qui avons fait composer ce livre... ». Je traite, on l'aura compris, d'une représentation affichée de l'autorité (que je ne rechigne pas à regarder comme une « réalité historique »).
40 For royal, p. 184.
41 Miroir, p. 101, l. 1-3.
42 Ibid.
43 ARIAS BONET, p. 3.
44 LÓPEZ, 1, fol. 3r°a.
45 Ibid., 1, fol. 3 v°b.
46 Seul le prologue de la première version (type British Museum) des Parties ne la contient pas.
47 For royal, p. 184.
48 « Titre de la Trinité et de la foi catholique », ibid., p. 186-187.
49 Miroir, p. 101.
50 Ibid., p. 102.
51 Ibid.
52 Sur ce point (entre autres) : G. MARTÍNEZ DÍEZ, Leyes de Alfonso X. I : Espéculo, p. 20-24 et 31-39, ainsi que R. A. MAC DONALD, "El Espéculo atribuído a Alfonso X..., p. 611-653 (p. 622-624).
53 Miroir, p. 103-113 : « Titre premier : des lois », « Titre II : de la sainte Trinité et de la foi catholique », « Titre III : des articles de la foi ».
54 ARIAS BONET, p. 3.
55 Ibid., p. 4.
56 « [...] et [le roi Alphonse] le commença dans la quatrième année de son règne, au mois de juin, veille de Saint-Jean Baptiste, de l'ère de 1294, et il l'acheva dans la treizième année de son règne, au mois d'août, veille de ce même Saint-Jean Baptiste, lorsqu'il fut martyrisé, de l'ère de 1303 », ibid., p. 3.
57 Dans toutes les versions : « A seruicio de Dios... » (Première partie), « La fe catholica... » (Deuxième partie), « Fizo nuestro sennor... » (Troisième partie), « Onrras sennaladas... » (Quatrième partie), « Nascen entre los omes... » (Cinquième partie), « Sesudamente dixeron... » (Sixième partie), « Oluidança e atreuimiento... » (Septième partie).
58 LÓPEZ, 1, fol. 3 r°a : « Dieu est commencement et moyen terme et achèvement de toutes choses... Et tout homme qui veut entreprendre quelque bon fait doit d'abord mettre Dieu en avant et le prier et lui demander la grâce de lui donner savoir, volonté et pouvoir pour le bien achever. Et c'est pourquoi, nous, Alphonse... ».
59 Dans l'interprétation du fondement divin de la royauté, la procession semble du reste importer moins, ici, que l'obligation et la crainte : « Et c'est pourquoi, nous, Alphonse, par la grâce de Dieu roi de Castille, etc., entendant les hauts lieux que tiennent de Dieu les rois dans le monde, et les biens qu'ils reçoivent de Lui en diverses manières et notamment dans le grand honneur qu'il leur fait en voulant qu'ils soient appelés rois, car tel est leur nom ; et à cause de la justice qu'ils doivent rendre pour maintenir les peuples dont ils sont les seigneurs, car telle est leur fonction ; et connaissant la très lourde charge que cela constitue s'ils ne le font pas bien ; non seulement à cause de la crainte de Dieu, qui est si puissant et justicier et au jugement de qui ils devront se rendre, sans pouvoir d'aucune façon y échapper, ni éviter qu'ayant mal agi ils aient la peine qu'ils méritent... », ibid., fol. 3 r°.
60 « Et (considérant) aussi la très grande grâce que nous fit Dieu en voulant que nous venions du lignage dont nous venons... », ibid., fol. 3 r°b.
61 Cf. note 38.
62 LÓPEZ, fol. 4 r°a : « Et (ce livre) fut achevé, du moment qu'il fût commencé à sept ans pleins ».
63 Le développement (trop long pour être ici transcrit) s'intitule d'ailleurs « Septénaire » (Septenario) : LÓPEZ, 1, fol. 4r°-v°.
64 Septénaire, p. 7, l. 18-23.
65 « [...] ce livre que nous avons commencé... », ibid., p. 8, l. 13-14.
66 Ibid., p. 9, l. 4-5.
67 Ibid., p. 25, l. 18-20.
68 Cf. note 58.
69 Septénaire, p. 7, l. 5-17.
70 Ibid., p. 3, l. 1 - p. 7, l. 4. Une lacune des manuscrits nous prive du début de ce segment (lettres A et L).
71 Ibid., p. 7, l. 18-26.
72 Ibid., p. 7, l. 26-28 : « Par ces sept lettres (Dieu) envoya sur nous les sept dons de l'Esprit-Saint ». On trouvait dans le paragraphe intitulé « Septénaire » du prologue à la seconde rédaction des Sept parties : « Et après tout cela, quand notre Seigneur voulut faire si grande grâce au monde qu'il vint prendre chair de la Vierge sainte Marie, pour nous mener au salut. Et parce que nous pûmes le voir visiblement et connaître qu'il était Dieu et homme, par ce même chiffre (comme le dit le prophète) il eût en soi sept dons de l'Esprit-Saint » (LÓPEZ, 1, fol. 4v°). Pour Salomon, Livre de la Sagesse, 2 : 9 : « Qui a connu votre volonté, si vous ne lui avez donné la sagesse et si vous n'avez pas envoyé du ciel votre Esprit-Saint ? ».
73 Septénaire, p. 7, l. 13-17.
74 Ibid., p. 9, l. 6-8.
75 Ibid., p. 8, l. 14-15.
76 Ibid., p. 10, l. 6-7.
77 Ibid., p. 8, l. 15-16.
78 Ibid., p. 7, l. 5-6 ; p. 7, l. 8-13 ; p. 7, l. 18-19 ; p. 7, l. 23-25 ; p. 7, l. 26-27.
79 Ibid., p. 9, l. 11-12 ; p. 10, l. 26-28.
80 Ibid., p. 25, l. 7-9 ; p. 25, l. 14-17.
81 Ibid., p. 9, l. 8-10.
82 Sanche ne s'intitula pas roi avant la mort de son père (cf. chartes réunies dans le MHE, 2, pour les années 1282-1284).
83 Septénaire, p. 25, l. 9-13 ; second testament (21 janvier 1284), MHE, 2, p.126.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les clercs au palais
Chancellerie et écriture du pouvoir royal (Castille, 1157-1230)
Amaia Arizaleta
2010
Un roi en quête d’auteurité
Alphonse X et l’Histoire d’Espagne (Castille, XIIIe siècle)
Corinne Mencé-Caster
2011
Del peccato alessandrino
Realtà e limiti della maestría di un autore e di un personaggio (Libro de Alexandre)
Marta Materni
2013
‘Fágote de tanto sabidor’. La construcción del motivo profético en la literatura medieval hispánica (siglos XIII-XV)
Pénélope Cartelet
2016
Le charme du Maure
Enquête sur le Tractado del origen de los reyes de Granada, œuvre apocryphe attribuée à Fernando de Pulgar (Bibliothèque de l’Académie Royale Espagnole de Madrid, manuscrit 150)
Frédéric Alchalabi
2019
Correspondencias entre mujeres en la Europa medieval
Jean-Pierre Jardin, Annabelle Marin, Patricia Rochwert-Zuili et al.
2020
Saberes, cultura y mecenazgo en la correspondencia de las mujeres medievales
Ángela Muñoz Fernández et Hélène Thieulin-Pardo (dir.)
2021
Une genèse pour l’Espagne
Le récit des origines dans la Estoria de España d’Alphonse X le Sage
Soizic Escurignan
2021
Correspondances de femmes et diplomatie
(Espagne, France, Italie, IXe-XVe s.)
Isabella Lazzarini, José Manuel Nieto Soria et Patricia Rochwert-Zuili (dir.)
2021