Introduction
Texte intégral
1Comme le titre de la chronique l’indique, la Estoria de España raconte l’histoire de l’Espagne, mais que recouvre ce terme pour Alphonse X ? Quand les Romains envahissent la péninsule Ibérique au IIe siècle av. J.-C., ils lui donnent le nom d’Hispania1, terme géographique qui désigne uniquement la Péninsule. Ensuite, lorsque les Goths s’emparent de l’Hispanie, ils lui adjoignent la Narbonensis qui appartenait à la Gaule et la Tingitanie qui appartenait à l’Afrique2. Selon les conceptions romaines qui perdurent à Tolède, le nouveau royaume est constitué de trois régions distinctes. Ainsi, même si Isidore de Séville le premier associe l’Hispanie au Royaume des Goths3, lui-même oscille entre une Espagne politique synonyme du royaume dans son entier, et une Espagne géographique qui ne désigne que la péninsule Ibérique4. Après Isidore, l’ambiguïté demeure et l’usage le plus courant semble être de limiter l’Hispanie à la Péninsule, ainsi les Conciles de Tolède ou encore Julien de Tolède parlent souvent d’Hispanie et de Gaule (gothique)5 pour désigner le Royaume. Le terme « Espagne » comme synonyme du Royaume est une création idéologique forgée par Isidore de Séville pour favoriser l’émergence d’une unité nationale, néanmoins ce concept n’a pas pu s’imposer durablement. D’une part, la permanence de l’idée géographique de l’Espagne a fait de la « patria »6 un terme plus adapté car il permettait de dépasser les différences géographiques et d’englober tout le Royaume, au-delà des différentes régions qui le composaient. D’autre part, les guerres civiles et les soulèvements de la Gaule gothique contre le pouvoir central n’ont de toute façon pas permis à ce concept de s’imposer durablement7. Si la défaite de 711 et l’effondrement du Royaume de Tolède marquent la disparition officielle de l’Hispanie en tant qu’entité politique cela ne signifie pas pour autant que l’idée d’Espagne ait disparu, d’autant plus que la conception géographique elle, demeure8. Luis A. García Moreno évoque une possible nostalgie9 des habitants de la péninsule vis-à-vis du Royaume de Tolède, synonyme de grandeur et d’union politique. Derrière une péninsule Ibérique politiquement, linguistiquement et religieusement divisée, l’idée d’Espagne a non seulement survécu, mais elle est perçue comme le dénominateur commun10 de tous ceux qui y sont nés comme l’écrit I. Fernández Ordóñez : « España es, pues, un ámbito geográfico al que sus habitantes, con independencia de sus varias sujeciones señoriales, se adscriben como naturales y que, en consecuencia, les confiere habitualmente conciencia de pertenencia »11. Alors quels sont les territoires qu’Alphonse X inclut dans sa conception de l’Espagne ? Et s’agit-il d’une conception purement géographique ou l’Espagne acquiert-elle aussi une dimension politique ? Nous allons donc étudier les procédés qu’utilisent les rédacteurs afin de définir l’Espagne et de convaincre les lecteurs de leurs origines communes au travers de différents mythes et topiques littéraires et historiographiques habilement maniés.
Notes de bas de page
1 Vicente PALACIO ATARD (éd.), De Hispania a España, el nombre y el concepto a través de los siglo, Madrid : Temas de hoy, 2005, p. 13.
2 Inés Fernández-Ordóñez, « La denotación de “ España ” en la Edad Media, perspectiva historiográfica (siglos VII-XIV) », in : José María García (éd.), Actas del IX Congreso Internacional de Historia de la Lengua Española (Cádiz, 2012), 1, Madrid-Frankfurt am Main : Iberoamericana-Vervuert, 2015, p. 49-105, p. 49-50.
3 S. TEILLET, op. cit., p. 463-501.
4 A. p. BRONISCH, « El concepto de España en la historiografía… », p. 23.
5 Ibid., p. 19-25.
6 S. TEILLET, op. cit., p. 529.
7 Edward Arthur Thompson, Los godos en España, Madrid : Alianza Editorial, 1979, p. 208-212, p. 219, p. 227…
8 Sur l’emploi d’Hispania et Hispanias, voir aussi J. A. Maravall, op. cit., p. 60-65.
9 Luis A. García Moreno, « Patria española y etnia goda (siglos VI-VIII) », in : V. PALACIO ATARD, op. cit., p. 41-53, p. 43.
10 José María Blázquez Martínez, « El nombre de Hispania aparece en la historia. Los hispanos en el Imperio Romano », in : V. PALACIO ATARD, op. cit., p. 17-39, p. 14.
11 I. Fernández-Ordóñez, « La denotación de “ España ”… », p. 49.
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