II. Principe fondateur de l’urbanisme sous le Protectorat : séparation, ségrégation ou apartheid urbain ?
p. 57-88
Texte intégral
1Louis-Hubert Lyautey forge une politique urbaine sur deux axes complémentaires qui se légitiment mutuellement : préservation des cités anciennes et création de villes nouvelles séparées de ces nouveaux enjeux patrimoniaux. La séparation des agglomérations naissantes et des médinas est justifiée alors par diverses raisons, « politiques, économiques, sanitaires, édilitaires et esthétiques ».1 Lyautey, fort de son expérience coloniale, a voulu l’imposer pour ne pas altérer la culture et les mœurs des « protégés ». Il exprime, dès son accession au poste de résident, le vœu de ne pas sacrifier les médinas à l’autel de la conquête. Lui qui a vu en Algérie des centres « sabotés », « pollués » (ibid., p. 453), il refuse d’adapter et de contraindre l’espace urbain des protégés aux besoins des colons. Les projets de toutes les villes nouvelles du Maroc imaginés par Jean-Claude Nicolas Forestier puis Henri Prost reposent donc sur un même schéma : création d’une ville nouvelle à côté, mais en dehors de la ville ancienne.
2Ce concept, autant loué que critiqué, est à l’origine d’un véritable déchaînement de passion. La séparation est perçue par les partisans de Lyautey comme l’élément initiateur de la réussite de cet urbanisme, celui qui aurait préservé les villes impériales de la ruine. Elle permet d’épargner à leur tissu urbain et architectural une « occidentalisation », irréfléchie et inadaptée, qui mènerait à la destruction de l’essence des villes marocaines. De leur côté, les contradicteurs du résident général l’accusent de baser sa politique urbaine, et ce principe en particulier, sur un cloisonnement strict des colons et des colonisés. Cet urbanisme et le principe sur lequel il se fonde matérialiseraient la politique impérialiste, sous-tendue par une ségrégation raciale, établie au détriment du peuple marocain, exclu des villes nouvelles et de la modernité qu’elles introduisent. Cette thèse qui se développe sous le Protectorat est largement reprise dans les écrits scientifiques, en particulier dans les années 1970-1980. Plusieurs chercheurs qualifient l’urbanisme lyautéen de ségrégationniste, à travers l’étude de Rabat.2 Janet Abu-Lughod analyse ainsi le principe de séparation comme un système d’apartheid culturel et religieux, qui isolerait les européens et les Marocains, que l’administration française confine dans les vieilles villes.3
3La dualité de l’espace urbain colonial est souvent schématisée à l’extrême.4 L’agglomération est résumée à deux entités qui se font front, caractérisées par deux morphologies et, surtout, deux populations distinctes et fermées l’une à l’autre. La question de la séparation, comme celle de la ségrégation raciale, appelle pourtant des réponses diverses, selon que l’on mobilise les discours idéologiques, les textes juridiques, ou qu’on la pose à la lumière des pratiques ou des représentations. les documents d’archives concernant, en particulier, l’acquisition et la valorisation de lots à bâtir, accessibles depuis peu aux chercheurs, nuancent la vision trop souvent admise de ségrégation raciale et montrent que, si dualisation de l’espace il y eut, elle fut probablement moins tranchée que ne le laissent penser certains discours patriotiques, et qu’elle fut basée sur des critères sociaux plus que raciaux.
4Les contingences locales – situations politique et militaire complexes, cadre esthétique et paysagé remarquable, contexte économique incertain, caractéristiques naturelles du site, etc. – sont aussi intéressantes à étudier que les fondements politiques de l’urbanisme français au Maroc, largement traités. Car ces contingences, elles aussi, façonnent les villes. Elles dirigent l’application du principe de séparation, le modèlent de manière unique dans chaque cité.
Une terminologie binaire ambiguë et réductrice
5Les villes créées sous le Protectorat sont définies, et donc nommées, en premier lieu, par rapport aux noyaux urbains préexistants, formés du mellah et de la médina. Quel que soit le référent des mots pour dire la ville, les expressions désignant les cités en construction ont leur pendant pour désigner la ville précoloniale. Si l’opposition est la caractéristique constante de ce vocabulaire, les référents sur lesquels il repose ne supportent pas l’adhésion de tous. Cette terminologie antagonique a évolué au cours du Protectorat pour échapper aux vives polémiques qu’elle a suscitées. Plusieurs couples d’expressions opposent ainsi les deux villes : ville européenne versus ville indigène, ville nouvelle versus ville ancienne, ville moderne versus ville traditionnelle, etc. parce que cette terminologie est officielle, elle a généralement été analysée comme une allégorie de la politique du Protectorat, créant une image caricaturale des agglomérations.
Ville européenne et ville indigène : définition et opposition par la race
6Au cours de la première décennie du Protectorat, il n’est pas rare que soit employé un terme arabe pour désigner le noyau urbain primitif des villes nouvelles : Gueliz à Marrakech, Aguedal à Rabat, Dar Debibagh pour Fès. Cette dénomination, empruntée au camp militaire français situé à proximité, est employée par la population et l’administration locale qui l’utilise jusqu’en 1917-1918, avant de lui préférer les expressions « ville européenne » puis « ville nouvelle » dans les documents officiels.
7La race et la religion sont les premiers référents utilisés pour qualifier, officiellement, l’espace urbain. Dès que la ville nouvelle est projetée, les pouvoirs publics utilisent de manière fréquente et conjointe les expressions « ville européenne » et « ville indigène » pour désigner les deux principales entités constitutives des agglomérations marocaines. Les plans dressés par Henri Prost et son équipe soutiennent cette terminologie et matérialisent la dualité créée par le Protectorat. La population urbaine autochtone est définie, cela même après l’indépendance, comme étant attachée à un territoire sédimentaire, composé de la médina, du mellah et de nouveaux quartiers dits indigènes. Cet espace est continuellement opposé aux villes nouvelles, associées, quant à elles, aux colons européens. Cette toponymie favorise le développement d’une vision schématique des agglomérations coloniales, présentées comme une juxtaposition d’espaces différents et différenciés, ayant chacun une population spécifique et préalablement déterminée. Médina et ville nouvelle, les deux espaces que l’on oppose par un usage consacré d’adjectifs antinomiques, sont circonscrites par des contours nets ; l’un est délimité par ses remparts, l’autre par un arrêté viziriel qui fixe le périmètre urbain. L’agglomération est ainsi réduite à un simple cloisonnement des races et des religions, des fragments urbains indépendants qui n’admettraient aucun métissage.
8Ce vocabulaire fait penser à une totale exclusion des Marocains des villes nouvelles et sous-tend l’idée de ségrégation urbaine. Lyautey a toujours préconisé « le moins de mélange possible entre deux ordres de villes »5, mais la terminologie employée par ses services est trop équivoque, car elle suggère une séparation entre deux ordres de population. elle est fort controversée depuis le début du Protectorat ; elle est à l’origine d’une polémique qui atteint son paroxysme en 1931, à l’occasion du congrès international de l’urbanisme aux colonies et dans les pays tropicaux, qui éclate après que le délégué néerlandais Cohen Stuart a adressé des reproches aux représentants de la France.6 Il offre une occasion à Lyautey et à tous ses anciens collaborateurs de défendre la politique Marocaine et de relativiser la portée de l’emploi du binôme ville européenne versus ville indigène.7 Tous s’accordent à dire que les villes nouvelles ont été créées en premier lieu par et pour les colons européens, mais affirment que la population marocaine ne peut légalement en être écartée, et qu’il n’y a aucune volonté, contrairement à ce que soupçonnait Stuart, de créer des frontières interraciales et/ou interconfessionnelles. Les congressistes, satisfaits par ces explications, votent à l’unanimité le vœu que, dans les colonies, « […] soit engagée la création de cités satellites séparées par des écrans de verdure, à l’exclusion de toute disposition pouvant s’opposer au contact et à la collaboration des races ».8
Le tournant de 1925 : changement de référent
9Le couple ville européenne versus ville indigène ne fut utilisé par l’administration française de manière systématique que dans le premier quart du xxe siècle. À partir de 1925, elle emploie et généralise un autre couple d’antonyme, et use d’un référent qu’elle espère plus neutre : ville ancienne versus ville nouvelle9, cherchant à se prémunir des critiques en tenant mieux compte des réalités sociales de la ville.
10Mais l’opposition reste à la base de ce vocabulaire. Son emploi, dans les textes de propagande, est généralement accompagné d’adjectifs peu laudatifs envers la médina, ancienne et délabrée, par contraste avec la ville neuve. le besoin de souligner les qualités soi-disant supérieures de la culture et des mœurs de leur société, de leur race, est intrinsèque chez les colons et dans l’administration ; puisque cette prétendue supériorité justifie leur présence, à leurs yeux, mais aussi à ceux du monde. Au clivage par la race se substitue, ou plutôt se juxtapose, un clivage civilisationnel. L’usage qui est fait de ce vocabulaire donne, tout comme le précédent, matière aux critiques.
11La pseudo-suprématie du mode de vie occidental, brandie chaque fois que le Protectorat veut légitimer son action sur un « empire croulant »10, est déclinée sous différentes formes dans moult textes propagandistes français. Généralement, l’espace urbain y apparaît comme la figure la plus ostensible de cette supériorité. les médinas sont comparées aux villes européennes du xiie siècle, analogie qui en fait le paradigme d’un décalage culturel. Elles renvoient dans ces écrits à une incapacité présumée des Marocains d’adhérer, sans l’aide de la France, aux idées novatrices d’hygiène et de progrès social.
12Ce vocabulaire se rapporte aux formes et au degré d’équipement de chacun de ces espaces urbains. Toutefois, le mode de vie des populations qui y sont associées apparaît sous-jacent. Les Français évoquent souvent l’incompatibilité des mœurs des colons et de celles des colonisés musulmans. La présence d’Européens en médina briserait selon eux l’intimité des indigènes, surtout celle des femmes. Les descriptions des innombrables terrasses de Fès, dépeintes comme contrées des musulmanes, accentuent l’idée d’une prétendue incapacité à vivre ensemble. Henri Prost n’hésite pas à écrire, à propos de « l’élément indigène », que « […] sa misère physiologique et la malpropreté sont des facteurs prépondérants à la propagation des épidémies ».11 Dans le même registre, il déclare que « la vie musulmane ne peut s’accommoder au voisinage immédiat de l’européen, et nos habitudes ne peuvent s’adapter aux obligations musulmanes ».12 La terminologie officielle13, extrêmement réductrice, renvoie à cette dissociation. Une nouvelle vision duelle s’appuie sur elle, alimentée par la propagande parfois extrêmement raciste. L’image, véhiculée par une altérité paroxystique, est celle d’une ville permettant d’accéder au confort, opposée à une cité qui laisse ses habitants prisonniers d’un autre temps ; une ville que l’on crée, une autre que l’on subit.
13Si le référent racial n’est plus utilisé à partir de 1925 pour qualifier les villes nouvelles et les médinas, ce n’est pas le cas pour ces nouveaux quartiers, puisque les termes « nouvelle médina », « quartier marocain » ou plus souvent « ville nouvelle marocaine » et « bidonville » complètent le vocabulaire précité. Cette spécificité s’explique par le fait que contrairement aux villes nouvelles, les nouvelles médinas sont projetées et construites spécialement pour la population Marocaine, à qui la vente des terrains est réservée.
14La prise en compte de cette terminologie et des images qu’elle a contribué à faire naître est d’autant plus importante que les discours ont longtemps constitué la source principale des chercheurs s’intéressant au fait urbain. Son utilisation, sous le Protectorat, a biaisé l’analyse du processus colonial d’urbanisation au Maroc, parce qu’elle confronte brutalement et de manière extrême deux espaces qu’elle définit, schématiquement, comme compacts et fermés l’un à l’autre. L’étude fine du terrain et des archives permet de nuancer et de redéfinir cette opposition, née d’une perception limitée du principe de séparation, elle-même issue des plans et des discours institutionnels.
Le choix du terrain : le principe de la séparation confronté aux contingences locales
15L’emplacement du terrain de Fès-nouvelle est définitivement arrêté par le résident général et Henri Prost, le 23 décembre 191414, après concertation avec les autorités locales. Le statut des terrains est un élément déterminant dans ce choix. La Résidence, pressée par le temps, veut faciliter les démarches administratives et débourser un minimum de ses deniers pour acquérir les terrains nécessaires à la création des quartiers européens. Contrairement aux villes côtières dans lesquelles l’administration doit composer avec la floraison d’édifices extra-muros survenue dès 1907-190815, les terrains environnant Fès sont nus. Dès 1912, ceux qui entourent immédiatement la médina sont frappés d’une servitude de non ædificandi de cinquante mètres16, interdisant toute extension. Et avant cette date, personne n’a eu l’envie de s’installer à l’extérieur des murailles de la ville. Les terrains qui bordent la médina possèdent en outre un statut qui facilite les démarches de l’administration, puisqu’ils sont quasiment tous habous ou makhzen. Pour autant, les pouvoirs publics ne sont pas affranchis de toutes contraintes pour choisir le site le plus apte à recevoir la ville nouvelle. La topographie et le contexte politique local influent largement sur cette étape du processus urbain.
Une topographie contraignante
16Le site sélectionné, à l’unanimité, pour accueillir la ville nouvelle se trouve au nord-ouest de la médina. Le choix du Protectorat est assujetti à la ville ancienne, d’abord parce que le lien qu’elle entretient avec la ville nouvelle est prédéfini par Lyautey, mais aussi et surtout parce que la médina est implantée sur un site très accidenté et par conséquent contraignant. La topographie est telle que le choix est quasiment une évidence.17
17La ville ancienne de Fès s’est développée sur un socle de travertin en pente, le long de l’oued Fès qui alimente la ville. Son extension s’est toujours faite vers l’ouest, à cause de la présence de collines autour de la médina : le djebel Tratt et le Zalagh. Les fortes déclivités qui caractérisent les abords de la ville orientent le choix des urbanistes français qui portent rapidement leur attention sur un plateau de la plaine du Saïss. Le projet tel qu’il est formulé et les délais de mise en œuvre acceptables dans le contexte colonial ne peuvent supporter un site au relief tourmenté. Or, à proximité de la médina, c’est le seul terrain, en pente douce, qui soit assez grand pour recevoir une ville nouvelle.
18Le périmètre urbain, défini par arrêté viziriel en juillet 191718, délimite la ville nouvelle, au nord-est par le Dar el-makhzen, à l’est par le ravin de l’oued el-Adham, le chemin de fer et l’oued Fès au nord-ouest, et au sud par le camp militaire de Dar el-Debibagh. Fès est la ville marocaine qui dispose de la plus faible « aire angulaire de développement possible », seulement une quarantaine de degrés ; ce terrain est un « véritable entonnoir dont le fond est le palais, l’oued Fès et le ravin ».19 Ce défaut n’enlève pourtant rien aux qualités naturelles du site, bien aéré, facilement irrigable (donc propice au développement d’une végétation abondante et rafraîchissante) et éloigné des sources potentielles d’infection, en particulier des marécages de l’oued Fès.
19L’application des plans de Fès est envisagée de manière plus souveraine que ce n’a été le cas pour les villes de la côte. La situation foncière privilégiée de cette ville est une garantie d’autonomie. Celle-ci est toutefois relativisée par la nature du site qui impose la séparation des deux villes, accentuée au début du Protectorat puisqu’un contexte politique lourd oblige les pouvoirs publics à faire lotir d’abord des terrains éloignés de la médina.
Lien avec les camps militaires : un urbanisme de domination ?
20La position de la ville nouvelle de Fès, ses liens avec la médina et avec les camps militaires ont fait émerger une analyse hautement politisée du principe de séparation et de son application fassie. L’installation des premiers colons à l’ouest, en hauteur par rapport à la médina et donc aux colonisés, est souvent perçue20 comme la concrétisation d’une idéologie de domination française sur la population marocaine, même si la pente est douce et que cette hauteur est tout aussi relative. Les pouvoirs publics et les urbanistes symboliseraient, par cette position surplombante, l’autorité nouvelle de la France, la supériorité de son armée et de ses ressortissants. Cette perception ne tient pas compte des orientations politiques de l’administration et des contraintes qui ont motivé ses choix. Les premiers terrains de Fès-nouvelle offerts à la vente, situés à cent soixante-quinze mètres environ du camp de Dar el-Debibagh, ont une position stratégique qui vise à tranquilliser et attirer des européens méfiants.
La ville criminelle, incidences des journées d’avril 1912
21Parce que le massacre d’avril 1912 a déterminé en partie la politique indigène lyautéenne, ses causes ont été analysées avec précision.21 Reste à comprendre quelles répercussions cet incident a eu sur la relation des colons avec les Marocains et le rôle qu’il a joué sur l’implantation des premiers lotissements de Fès-nouvelle.
22Les événements d’avril ont défrayé la chronique et ont été maintes fois relatés.22 Un journaliste qui a assisté aux faits publie, en 1913, un ouvrage entièrement consacré à ces « journées sanglantes ».23 La ville y est dépeinte d’une manière extrêmement négative. Fès, « inquiétante » par son aspect labyrinthique que l’on ne parvient que difficilement à sonder, s’est muée en « ville criminelle ».24 Les Fassis sont désormais présentés comme des êtres inhospitaliers et cruels, « frondeur[s] »25, capables de « […] se dispute[r] un paquet d’entrailles toutes chaudes, les coupant avec les dents en morceaux de deux ou trois mètres pour se les enrouler autour du cou en poussant des hurlements de joie ».26 Le traumatisme de ces journées meurtrières est amplifié par ce type de publications qui stigmatisent l’autre. Plus encore que la destruction du mellah, le souvenir de ces Français égorgés, brûlés vifs, ou encore fusillés, se perpétue. Il faudra du temps aux Fassis, à la ville de Fès, pour se défaire de cette funeste image qu’ils renvoient dorénavant. en 1931, elle domine encore la littérature coloniale. Henry Bordeaux, notamment, décrit « l’inquiétude, l’angoisse » qui escortent le promeneur étranger « comme un chien fidèle dont on ne peut se débarrasser ». Ces sentiments seraient l’effet du
[…] pressentiment d’une âme collective […] qui, dans un instant, sans même qu’il y ait entente préalable, peut réunir cette innombrable population d’apparence paisible […] dans une frénésie de haine ou dans une exaltation de xénophobie.27
23Instinctive, furieuse, fanatique, enragée, bestiale, raciste, violente, etc., sont autant d’adjectifs qui définissent, pour une majorité d’européens, la population musulmane de Fès. Même lorsque la région est pacifiée, les Occidentaux, persuadés qu’une forme de « cruauté subsiste au fond de l’âme orientale » (ibid.), redoutent toujours les Fassis, et un éventuel comportement brutal à leur encontre.
Un écrin sécuritaire pour la ville nouvelle
24Bien que l’ancienne capitale makhzénienne soit désormais une cité apaisée, sous contrôle militaire, les craintes ne sont pas totalement dissipées lorsque la première vente des terrains de Fès-nouvelle est organisée en 1916. La tension est progressivement retombée dans la ville ancienne mais pas hors les murs. À l’extérieur de l’enceinte, les attaques de tribus sont toujours redoutées. L’idée d’être de nouveau confronté à la violence est palpable, et la population européenne éprouve le besoin de se sentir rassurée, à l’abri d’un éventuel assaut.
25À Casablanca, les premiers colons se sont installés près des camps militaires. Dans les villes de l’intérieur, les autorités optent également pour cette solution, inaugurée, par instinct, par les premiers colons de la côte. Elles choisissent de proposer à la vente les terrains les plus proches des camps, même lorsqu’ils sont éloignés de la médina, centre commercial de l’agglomération et donc des affaires de leurs administrés. À Meknès, la ville nouvelle est accolée aux installations militaires ; à Marrakech, la ville se déploie entre la médina et le camp situé sur le rocher du Guéliz. À Fès, parce que le contexte l’exige, ce rapprochement est encore plus marqué. L’implantation de la ville nouvelle est projetée entre la médina et deux camps militaires, celui de Dar el-Debibagh et celui de Dar Mahrès, qui doivent assurer la protection de sa population. Henri Prost28 reconnaît que ce regroupement des constructions nouvelles à proximité de Dar el-Debibagh est également justifié par une réduction, au minimum, des frais de voirie et d’égouts. Le chemin de fer militaire à voie étroite qui dessert le camp ouvre également quelques perspectives économiques.29
26Toutefois, l’administration porte son choix sur un emplacement dont elle n’ignore pas les inconvénients. Dans un pays où les longs déplacements sont difficiles, à pied ou avec monture, sous les fortes chaleurs d’été ou les pluies torrentielles d’automne, l’éloignement de la médina reste très problématique. Il retarde le développement de Fès-nouvelle puisque, dans un premier temps, seules les personnes qui ont « des intérêts en rapport avec les camps et la gare militaires, plutôt qu’avec la médina »30 décident de s’y établir. Les pouvoirs publics, conscients des problèmes qu’il engage, défendent toutefois leur choix en indiquant que la situation est amenée à évoluer favorablement. Pour attirer ses futurs colons, la ville nouvelle doit présenter une image apaisée et sécurisante, un environnement qui ne peut pas encore se construire loin des camps.
27Dans la plupart des agglomérations Marocaines, la situation foncière, les conditions géographiques et politiques sont autant d’éléments qui influencent l’application du principe de séparation. Aussi est-il légitime que chaque ville nouvelle ait un rapport différent avec la médina située à côté. Et parce que Fès est la capitale religieuse du Maroc, qu’elle a un poids symbolique important, mais surtout parce qu’elle a baigné dans un contexte violent et incertain, et aussi parce qu’elle est implantée sur un site escarpé, le principe de séparation y a été appliqué avec plus de rigueur que dans les autres villes Marocaines. Lyautey, qui s’enorgueillit de ne pas croire aux « programmes aprioristes »31, a esquissé, dès 1912 et par touches successives, un modèle, une formule, qu’il consolidera et définira a posteriori. Ce qui se révèle comme une prescription inflexible, en 1931, est appliqué de multiples manières dans les années 1910, au gré des contextes et des contingences rencontrées.
Entre la ville nouvelle et la médina : barrière ou couture ?
28Suivant le principe fondateur de l’urbanisme français au Maroc, deux morphologies urbaines se développent l’une à côté de l’autre. Leur séparation est matérialisée par une zone non ædificandi, servitude définie par Henri Prost dans les plans qu’il a dressés.32
29Au début de l’occupation, le noyau de Fès-nouvelle se forme près du camp de Dar el-Debibagh à plusieurs kilomètres de la médina ; la séparation entre les deux villes est très marquée. Les intérêts économiques des colons de la ville nouvelle sont concentrés dans la ville ancienne et nombreux sont les observateurs qui déplorent cet éloignement forcé par le contexte politique et géographique. Henri Prost lui-même qualifie la distance qui les sépare de « fort gênante » pour son développement33, à une époque où la liaison avec la médina n’est pas facilitée, les moyens de transport étant peu développés. Les premiers portraits de Fès-nouvelle, dressés à partir de 1916, font état d’une distance moyenne de trois kilomètres entre le cœur de Fès el-Bali et le centre de la ville nouvelle. Cette représentation de l’agglomération fassie perdure encore aujourd’hui. Pourtant, dans ce mode d’appréciation, ni le mellah, ni Fès el-Jedid ne sont pris en considération. Lorsque Fès-nouvelle prend son essor, les bâtiments situés au nord-est ne sont séparés de la médina que par le boulevard Ducla. Et la rupture produite par la zone non ædificandi entre ces deux ordres de villes afin d’éviter qu’elles ne s’enchevêtrent et se confondent est adoucie par un espace de transition. Les institutions, à l’échelle locale ou résidentielle, ont toujours porté leurs efforts sur la création de ce lien. Un des chefs municipaux de Fès définit l’équilibre recherché : « la dernière venue des villes nouvelles marocaines est prête à prendre figure de ville moderne, harmonieusement liée à la ville ancienne. »34 Une multitude d’aménagements sont prévus pour les unir. Ils sont diffus dans le paysage urbain actuel, puisque leur réalisation a souvent été partielle, mais les documents d’archives rendent particulièrement bien leur projection.

Illustration 2. Avenue Moulay-Youssef, espace transitoire entre médina et ville nouvelle. Photographie de l’auteur, 2004.
30La municipalité a toujours eu pour objectif d’acquérir le terrain « Gide », situé entre le mellah et la nouvelle ville, afin d’en faire un des points les plus attractifs de l’agglomération, véritable nœud entre la ville ancienne et Fès-nouvelle.35 Il lui faudra plusieurs années pour y parvenir, en y créant la maternité, futur siège des services municipaux36, une cité de police et un lycée. Dans cet interstice vers lequel convergent les deux villes sont donc situés des édifices publics, mais aussi un monument marocain de premier ordre : le palais. Les colons comme les indigènes sont, théoriquement, soumis à l’autorité du sultan. La construction des bureaux de la municipalité à côté de son palais crée donc un espace de rassemblement, de convergence, où administration européenne et administration makhzénienne sont représentées. Visuellement, ces édifices sont noyés dans une végétation particulièrement luxuriante, mais une vue dégagée sur le palais royal se dessine lorsque l’on arrive de la ville nouvelle par le boulevard Moulay-Youssef (illustration 2). Ce monument qui marque l’entrée de la médina, du quartier de Fès el-Jedid, est ainsi mis en valeur.
31La construction de la gare de chemin de fer du Tanger-Fès, initialement prévue en haut de l’avenue de France, en lieu et place de l’ancienne gare militaire à voie de soixante (illustration 3, page suivante), devait accentuer ce rapprochement visuel. Le voyageur à son arrivée dans la capitale makhzénienne aurait trouvé devant lui la principale artère de Fès-nouvelle, ses bâtiments administratifs et ses immeubles les plus imposants, avant de découvrir en arrière-plan la médina, son palais, ses remparts, etc. Vers elle auraient convergé les regards des passagers, vacanciers ou hommes d’affaires. La ville nouvelle aurait ainsi été ouverte vers la ville ancienne. Cette échappée visuelle n’a finalement pas pu être réalisée, pour des raisons techniques liées notamment à la qualité des sols ; la gare a été reportée au nord, à sa place actuelle. Les urbanistes étant dans l’incapacité de mettre en œuvre le projet initial, la scénographie du lien entre médina et ville nouvelle prévue à l’origine est désormais affaiblie.
32Le lien entre les deux villes change doublement avec la modification de l’emprise de la ligne du Tanger-Fès. Le nouvel emplacement de la gare réduit la polarisation symbolique de la médina et le tracé de la ligne sépare désormais ville ancienne et ville nouvelle, même si cette coupure est relative ; effective sur plan, elle est largement minimisée sur le terrain, puisque, pour ne pas gâter le paysage et éviter de faire de la séparation une scission, les pouvoirs publics décident de la faire passer en souterrain à cet endroit, suivant ce qui a été expérimenté à Rabat.

Illustration 3. Premier plan de Fès-nouvelle, Henri Prost, vers 1915.
Archives nationales, Fonds Lyautey, Carton 475 AP 133.
33Les pouvoirs publics tentent de combler le vide laissé par le déplacement de la gare, cherchant toujours à ouvrir une perspective sur la ville ancienne depuis l’ancienne gare militaire. Les urbanistes étudient les possibilités d’aménager la place Gallieni, projetée sur l’emplacement de cette station vouée à la destruction. Ils envisagent, dans les années 1930, d’y construire l’hôtel de ville. Puis il est question d’y édifier un monument aux morts à la fin de la Seconde Guerre mondiale.37 Ces projets, qui restent des intentions puisque les travaux de démolition des locaux de l’ancienne gare militaire sont retardés, modifient profondément le rôle structurel de la place Gallieni. Elle perd sa fonction d’ouverture vers la médina, en devenant un lieu de convergence. La ville a pris son essor et le lien avec la médina est créé ; les pouvoirs publics ont désormais pour ambition de relier le centre-ville et les quartiers en cours de réalisation : Hippodrome, Tanger-Fès et Grand Secteur industriel.
34Le lien qui unit le nouveau noyau urbain et la médina diverge d’une ville à l’autre, mais partout les urbanistes ont cherché à mettre en scène un espace transitoire entre les deux. À Rabat, Henri Prost souhaite isoler la ville indigène de l’agglomération européenne par un large berceau de verdure, mais la situation budgétaire de la ville et les bâtiments déjà construits extra-muros en 1912 ne permettent pas la réalisation de ce plan. Les deux cités sont finalement séparées par une artère et le rempart, peu élevé, et une puissante transition est ménagée entre les deux. La trame viaire de la ville ancienne sert de base à celle de la nouvelle capitale. Les grandes artères de la médina s’y prolongent.38 Et la rue principale de la ville nouvelle donne, progressivement, accès à la médina, en se rétrécissant par paliers successifs à mesure que l’on en approche. Le resserrement du bâti avant d’entrer dans la ville ancienne marque le passage d’une ville à l’autre. Et cette liaison est soulignée par la construction du marché central à l’entrée de la médina, lieu accessible aux habitants de toute l’agglomération. Les urbanistes sont parvenus à séparer les deux villes, sans créer de rupture totale et brutale. L’intérêt des colons déjà installés hors les murs a été pris en compte, comme le manque d’intérêt artistique et pittoresque de la ville ancienne qui autorise une proximité spatiale avec les nouveaux quartiers. Au contraire, à Fès, « joyau de l’islam », la zone non ædificandi ne constitue pas un espace d’hinterland, mais un espace transitoire, une couture que renforcent le ménagement et la conservation de ces vues panoramiques, notamment grâce au « tour de Fès ».39
35Les urbanistes qui ont œuvré à la fin du Protectorat sont confrontés à de nouveaux problèmes et proposent des solutions radicalement différentes pour traiter du rapport entre les deux villes, même s’ils attribuent un bien-fondé aux principes adoptés par Prost et son équipe, puisqu’ils convenaient au contexte de 1912. Michel Écochard signale que le développement des villes a induit de nouvelles questions touchant au logement et à l’industrie. L’agglomération est perçue comme un espace éclaté, composé de différentes parties qu’il est nécessaire de lier, voire de ressouder. Comme Albert Deguez, inspecteur de l’urbanisme dans la région de Fès, Écochard prône une relation plus ferme entre les deux villes. Elles sont unies sur un plan économique et, pour faciliter les déplacements massifs des milliers de travailleurs qui se rendent quotidiennement de Bab Ftouh et Fès el-Jedid en ville nouvelle, Écochard et Deguez proposent de modeler les formes de la ville ancienne en fonction de ces migrations pendulaires. Les problèmes que Fès rencontre priment sur les considérations esthétiques et symboliques. Reste que le principe de séparation est respecté jusqu’à la fin du Protectorat, en dépit de quelques tentatives de resserrement de l’espace urbain. La zone non ædificandi permet aux deux cités de garder leur intégrité, leurs spécificités, tout en étant proches, physiquement, visuellement et/ou symboliquement. Les abords communs des médinas et des villes nouvelles sont donc de nature plurielle, à la fois lieu de séparation et de rapprochement. Cette relation, à la fois rupture et union, s’est tissée progressivement, à mesure que la ville nouvelle se développait et s’étendait vers la ville ancienne.
Une ville nouvelle cosmopolite
36La consultation des dossiers de permis de construire fait apparaître, dans la ville nouvelle de Fès, un cosmopolitisme au premier abord inattendu40, l’espace urbain colonial étant souvent représenté comme cloisonné et ségrégationniste. La ville, à la lumière de ces archives, se révèle être un lieu où diverses nationalités, pas uniquement européennes, sont présentes. À défaut d’être un véritable creuset, un espace de brassage, Fès-nouvelle est un lieu où cohabitent des personnes de diverses nationalités. Des propriétaires français bien sûr, mais aussi italiens, espagnols, grecs, quelques algériens et turcs, et, en nombre, des Marocains juifs et musulmans lotissent les terrains de la ville nouvelle qui, légalement, est ouverte à tous ceux qui ont les moyens et le désir d’y habiter.
La colonie européenne
37Avant l’instauration du Protectorat, les occidentaux sont peu nombreux à pousser leur voyage Marocain jusqu’à Fès, pour s’y installer. en 1886, six civils sont installés dans la capitale makhzénienne, ils sont une douzaine en 1903 et soixante-quatre six ans plus tard.41 La colonie européenne de Fès (tableau 4, page suivante) se forme et s’accroît à un rythme lent jusque dans les années 1910-1920, les colons faisant preuves d’une prudence imputable au contexte politique et économique tumultueux et incertain. Six cents Européens vivent à Fès en 191642, chiffre dérisoire au regard de la population marocaine, près de cent mille personnes, et de la situation de certaines villes côtières.43 À titre comparatif, à la même époque, plus de vingt mille Européens sont installés à Casablanca.44 En 1924, l’administration en comptabilise, à Fès, trois mille cinq cents, dont sept cents non-Français. Fès connaît deux hausses démographiques importantes, la première vague accompagne l’ouverture de la voie ferrée du Tanger-Fès, au début des années 1920, et la deuxième arrive pendant la Seconde Guerre mondiale, qui verra arriver de nombreux démobilisés. La population européenne croît mais reste modeste.
38La plupart des pionniers de Fès, arrivés vers 1912, viennent des départements d’Oran ou d’Alger, voire de Tunisie. Parce qu’ils sont rompus à l’expérience coloniale, ils sont généralement les premiers à s’installer au Maroc. Les colons lotisseurs de la ville nouvelle se répartissent en trois catégories professionnelles. Ils sont commerçants, entrepreneurs de travaux publics et privés ou agents du Protectorat. La communauté européenne est composée de Français, d’Espagnols et d’Italiens.45 La communauté ibérique de Fès représente plus de 13 % de la population de la ville nouvelle en 1920.46 Quant aux italiens, on en compte une centaine à la même époque. Un grand nombre de ces ressortissants travaillent dans le domaine de la construction et investissent avec aisance la ville nouvelle.

39Fès abrite une importante communauté algérienne, déjà implantée avant l’instauration du Protectorat.47 En 1907, cinq mille algériens sont installés dans la médina. Beaucoup ont fui leur pays après sa colonisation par la France.48 Il est délicat de les reconnaître lorsque l’on consulte les permis de construire, car beaucoup sont assimilés, souvent par un mariage, à des Marocains, et un grand nombre d’Algériens qui travaillent auprès des autorités coloniales acquièrent la nationalité française. Ceux qui ont construit en ville nouvelle sont, comme la plupart des Marocains lotisseurs, européanisés.
Les Marocains en ville nouvelle : législation et réalité
40Pour ne pas entraver la légitimation de leur présence, les autorités du Protectorat négligent, dans leurs commentaires, le rôle joué par les Marocains dans la fabrication des villes nouvelles. À peine évoquent-elles celui des indigènes de confession israélite, celui des Marocains musulmans n’étant jamais abordé. Leur action est aussi sous-estimée et marginalisée dans les études post-coloniales. Le plus souvent, elle n’est évoquée que lorsque les auteurs considèrent le développement de bidonvilles et l’exécution des travaux, la main-d’œuvre marocaine ayant fortement contribué à l’érection des nouveaux noyaux urbains. Les Marocains vivant en ville nouvelle ont rarement constitué une catégorie d’analyse autonome ; pourtant, sans eux, le développement de la ville dite européenne de Fès était largement compromis.
1916 : les premiers terrains réservés aux Français
41Les européens, contraints de résider, au moins durant les quatre premières années du mandat français, au mellah et en médina, se plaignent auprès de l’autorité locale de la rudesse de leurs conditions de vie. Insalubrité des logements, promiscuité, difficultés d’intégration, inadéquation de leurs locaux avec leurs projets commerciaux ou industriels, sont autant d’arguments avancés par les colons pour souligner la nécessité d’amorcer sans tarder la réalisation de la ville nouvelle.
42« Mais comme ce [n’est] pas chose réalisable en un tour de main »49 et que la population européenne fassie est encore embryonnaire, les pouvoirs publics décident d’abord de pourvoir Fès el-Jedid d’une extension, pour répondre à la hausse des loyers et à l’exode rural. en 1914, ils cèdent à des Européens et à des israélites huit mille mètres carrés des terrains de la Kechla des Djelaba50, voisins de Dar el-Makhzen. Les pouvoirs publics n’ont pas prévu de texte réglementaire établissant une police de constructions et des règles d’hygiène, et les édifices qui s’y élèvent s’avèrent rapidement insatisfaisants. De plus, aucune limite de hauteur n’a été imposée et certains édifices du lotissement ont une vue directe sur le palais, mettant à mal l’intimité du sultan. Les pouvoirs publics, impuissants à établir un réel contrôle de l’urbanisme, profitent de l’arrêt du développement urbain induit par la guerre pour reprendre les terrains51, rétrocession qu’elle obtient en 1917 contre une indemnité de 103 720 pesetas hassani.52 Ils projettent alors de construire, à la place des logements détruits, des édifices publics ou à usage du public et peu élevés : une école israélite, une place publique (la place du Commerce) et d’autres ouvrages, en particulier un dispensaire, les bureaux, provisoires, d’une entreprise de transport, un cinéma, lui aussi temporaire, un kiosque, et des w.-c. publics.53 Puis le plan de Fès-nouvelle est mis en œuvre.
43En mars 1916, les autorités comptabilisent vingt et une demandes de lots de la future ville nouvelle de Fès.54 Pour leur répondre, la première vente est organisée, le 26 août 191655, « dans le but de favoriser le développement de la ville de Fès, et d’y faciliter l’installation des Européens ».56 Ce premier lotissement, exigu, ne compte que quarante lots ; seules les personnes résidant à Fès depuis plus d’un mois pourront participer à la vente (article premier). Pour arracher au plus vite les européens à des conditions de vie qu’ils déplorent, l’administration locale exclut les Marocains de cette première vente, y compris ceux qui possèdent le statut de protégés des grandes nations européennes.
44Cette première vente tardive, pourtant attendue depuis des mois, n’obtient pas le succès attendu par les services centraux de Rabat. Seuls vingt-six lots ont trouvé acquéreur. Contrairement aux villes de la côte, confrontées à une véritable suractivité foncière, qui se débattent avec les spéculateurs, Fès est touchée par une désaffection de la population européenne qui craint une reprise des hostilités avec les tribus insoumises et un avenir économique encore incertain ; il faut aussi compter, à Fès comme ailleurs, avec les répercussions du conflit mondial. Le souvenir de la tuerie survenue au début du Protectorat hante encore les esprits. avant la première adjudication des terrains de Fès-nouvelle, seule une poignée de démobilisés, uniquement agriculteurs ou commerçants, se sont aventurés à l’extérieur des murailles pour ériger quelques baraques éphémères, sur des terrains loués aux Habous ou au makhzen.57 Si l’Afrique du Nord, le Maroc en particulier, représente pour les Européens « ce qu’est le Far-West pour l’Amérique, le champ par excellence de l’énergie, du rajeunissement et de la fécondité »58, il tarde à l’être pour les européens de Fès.
45L’aspect ingrat et peu engageant de l’emplacement de la ville nouvelle en 1916 contribue à modérer l’enthousiasme des acquéreurs potentiels. La campagne grillée qui environne la ville est « morne », « solitaire », « désertée des chèvres et des animaux domestiques ».59 Elle offre un cadre peu plaisant au regard et constitue une source d’appréhensions pour les Européens. Le manque d’équipement – carence souvent considérée comme une défaillance du Protectorat60 – est également un élément qui leur fait émettre des réserves. À Fès, Meknès, Marrakech, etc., les services publics sont tous installés en médina et l’administration peine à les en sortir. La perspective des « courses dispendieuses entre les magasins, leurs bureaux et les services publics » sont un frein aux investissements immobiliers. Les célibataires européens demandent et acquièrent des terrains, mais les familles sont, jusqu’en 1918-1919, encore réticentes à l’idée de s’installer dans cet espace nu et froid, dépourvu de tous services publics, de commerces, etc., où la sécurité leur paraît encore minime. au cours des années 1910, les demandes de terrain émanent soit de Marocains, le plus souvent fassis israélites, soit de commerçants célibataires européens, ou de soldats stationnés dans les camps militaires alentour qui pensent à leur démobilisation. La plupart de ces pionniers habitent Fès depuis plusieurs années déjà ; beaucoup arrivent d’Algérie ou de Tunisie, et ne sont donc pas néophytes en terrain colonial.
46Les résultats de la première vente encouragent les pouvoirs publics à supprimer définitivement la clause qui impose aux personnes se portant acquéreurs d’être de nationalité européenne. Dès la seconde vente des terrains de Fès-nouvelle, les Marocains sont autorisés à participer aux enchères publiques des terrains, aux mêmes conditions que les européens. Cette ouverture de la ville dite européenne aux non-européens est entreprise dans l’espoir de lui insuffler l’élan qui lui fait défaut.
La ville nouvelle : une extension du mellah ?
47Les Marocains ont concouru à l’érection de Fès-nouvelle, non seulement en tant que main-d’œuvre laborieuse et peu onéreuse61, mais aussi et surtout en tant que promoteurs immobiliers. Le contexte local rend opportun, on l’a vu, le concours des Marocains ; il exige même leur collaboration. En mars 1919, la population civile de la ville nouvelle s’élève péniblement à trois cent quarante-neuf âmes62, et les européens sont aussi nombreux en médina qu’en ville nouvelle. Contrairement à eux, les Marocains n’ont pas peur de bâtir dans cet espace encore désertique et prétendument hostile. Leur participation intervient alors que « cette amorce de ville nouvelle […] isolée de tout [semble] à beaucoup une erreur de l’administration en même temps qu’une opération téméraire de la part des premiers acquéreurs ».63
48Plus de cent soixante terrains ont ainsi été lotis par des propriétaires Marocains (illustration 4). Entre 1912 et 1943, sur six cent trente-cinq lots de terrains de Fès-nouvelle mis en vente, un quart est adjugé à des Marocains (quatre-vingt-dix-sept à des israélites et cinquante-huit à des musulmans).64 Ces constructeurs composent un groupe assez homogène. Tous issus de l’élite marocaine, la plupart fassis, ils exercent souvent la profession de commerçant. Quelques-uns, moins nombreux, sont des agents administratifs ou des notabilités religieuses, ou encore caïds, chérifs, maalems, chaouchs. Certains ont obtenu le statut de protégés auprès des nations occidentales et quelques-uns sont en passe d’acquérir une nationalité européenne.65 le point commun de ces lotisseurs, qu’ils soient ou non protégés66, c’est qu’ils sont tous européanisés. Les négociants en particulier, importateurs et/ou exportateurs, qui constituent la catégorie de propriétaires marocains la plus importante à Fès, sont en relation constante et étroite avec les capitales et les ports d’Angleterre, de France et d’Italie où ils se rendent régulièrement pour leurs affaires, y possédant parfois une demeure.

Illustration 4. Lots valorisés par des propriétaires marocains, israélites ou musulmans en ville nouvelle entre 1916 et 1956.
49Le dépouillement de l’ensemble des permis de construire permet la localisation des terrains qu’ils ont lotis, et ainsi, de comprendre leur logique et leur stratégie d’implantation, régulées par l’administration. Leurs terrains se concentrent surtout dans trois zones, loties à des périodes différentes : le secteur Habitation et Petit Commerce (HPC), le secteur de villas d’Aïn Khèmis, et celui de la Gare.
50De 1916 à 1925, les Marocains sont les principaux acquéreurs des terrains de la ville nouvelle. Ils sont particulièrement dynamiques dans le premier secteur créé, celui d’Habitation et Petit Commerce, où ils ont loti près de la moitié des terrains. Ils sont aussi très présents sur les terrains proches de la ville ancienne, en particulier le long du boulevard du IVe-Tirailleurs, artère appelée, dans les années 1930, à devenir l’une des voies les plus commerçantes de la ville. Ils y possèdent la quasi-totalité des terrains et y édifient des immeubles, souvent pour leur usage propre, où ils installent leurs commerces, souvent des épiceries, ou des ateliers et des hangars. L’autre grande voie du secteur, le boulevard Poeymirau (actuel boulevard Mohamed-V), est investie de la même manière, particulièrement à proximité du marché municipal. Les Marocains acquièrent également une trentaine de lots de villas, dans les jardins d’Aïn Khèmis. Certains secteurs, probablement en raison de leur éloignement de la médina, attirent moins ces lotisseurs indigènes, en particulier le secteur industriel « provisoire » et celui de la route de Sefrou, le secteur de la Résidence, ou encore le secteur de villas de la route de Sefrou et celui de l’Hippodrome. le secteur central Habitation et Commerce (HC) s’avère lui aussi peu attrayant pour cette catégorie de maîtres d’ouvrage. Cédés aux enchères publiques, ces lots sont onéreux et sont généralement acquis par de grandes firmes et consortiums privés avec lesquels peu de Marocains peuvent rivaliser.
51À partir de 1945, le nombre de transactions immobilières entre l’administration et les Marocains augmente67, ces derniers contribuant fortement à l’essor du secteur de la Gare, où ils construisent de nombreux immeubles locatifs. Ils investissent également, à cette période, le Grand Secteur industriel raccordé à la voie ferrée du Tanger-Fès où ils lotissent un tiers des terrains avant 1956.68 Ils participent ainsi à l’impulsion urbaine, suscitée par l’arrêt des combats en Europe et celui du contingentement des matériaux qu’il occasionne.
52Les Marocains qui occupent leurs locaux sont assez nombreux. En septembre 1939, vingt et une familles marocaines musulmanes et deux cent soixante-dix familles israélites habitent en ville nouvelle. En 1941, leur nombre a augmenté de façon significative ; elles sont désormais respectivement trente-neuf et trois cent quarante-deux familles69, ce qui représente approximativement deux cent cinquante musulmans et deux mille israélites. C’est donc une faible proportion de la population marocaine musulmane qui vit en ville nouvelle, alors que pas moins de 14 % de la population israélite fassie y habite ; les juifs Marocains sont dix fois plus nombreux que les musulmans en ville nouvelle. Ils apprécient de s’installer dans les secteurs peu éloignés du mellah, surtout au nord-est de la ville nouvelle. La situation sanitaire du quartier juif, bien plus dégradée que dans la médina dans les années 1910-1920, explique en partie la force du désir qu’ont ses habitants les plus fortunés de s’en extraire. Un an après la vente des premiers lots de cette ville qui n’a d’européen que le nom, le grand rabbin Vidal Serfaty demande à ériger une synagogue en plein cœur du secteur Habitation et Petit Commerce, rue de Fréjus, qui relie le tribunal au marché central.70 Ce type de construction témoigne du caractère durable de l’installation des Marocains de confession juive en ville nouvelle.
53La plupart de ces propriétaires ont fait appel aux architectes européens domiciliés au Maroc, mais quelques-uns ont eux-mêmes produit leurs plans. La forme et l’organisation de leur demeure, lorsqu’elle est construite pour leur usage personnel, peuvent être marquées par leur double culture, ou du moins leur connaissance des modes de vie européen et marocain, auxquels ils sont souvent attachés. Ce double référentiel culturel est matérialisé, dans certaines villas, par l’usage d’éléments issus du vocabulaire architectural Marocain précolonial.71
54La présence de Marocains en ville nouvelle prend parfois une forme moins consensuelle. Des dizaines de travailleurs Marocains ont été contraints de vivre dans des logements insalubres en ville nouvelle, à proximité des chantiers ou des usines où ils travaillaient. À Casablanca, ce sont quarante mille personnes, quinze mille à Rabat, qui vivent dans des bidonvilles en 1937. même si la situation de Fès n’est pas aussi catastrophique qu’aux abords des grandes villes de la côte, la crise du logement indigène s’accroît au cours des années 1930, et de plus en plus d’habitations précaires sont construites en tôle, torchis, planches, tissu et divers matériaux de récupération, autour de la médina, mais aussi en ville nouvelle, le plus souvent des « bicoques » qui appartiennent à des européens et sont occupées par des Marocains.72 Contrairement à l’élite fassie, ces Marocains-là, quelle que soit leur confession, ne sont pas bienvenus, les Français étant peu enclins à voir la pauvreté se développer sous leurs fenêtres.
55Poussée à l’extrême dans les écrits coloniaux, la dualisation de l’espace urbain semble, à l’aune des archives produites par l’administration coloniale, devoir être révisée, tout au moins nuancée. Une partie de la population indigène a pu, avec l’aval des autorités françaises, bâtir et vivre en ville nouvelle. Cette élite commerçante, en particulier l’élite israélite, plus que tolérée, a été attendue, encouragée, en tant que moteur providentiel du développement de Fès-nouvelle. Jusqu’en 1941, date à laquelle un réel basculement s’opère, si ségrégation il y a, elle est plus sociale que raciale. Les Marocains qui acceptent et respectent les règlements de voirie et possèdent les ressources financières pour y parvenir, exactement comme les européens, ont le droit de construire en ville nouvelle. Mais la Seconde Guerre mondiale et les changements politiques qui ont lieu pendant cette période modifient profondément la politique indigène du Protectorat. Pendant quelques années, cette élite, qui a tant participé au développement des villes nouvelles, doit se contenter d’un statut qui ne lui permet plus d’être aussi entreprenante.
Le « patrimoine français » et le dahir de 1941
56La mise en place du régime vichyste ouvre une période particulièrement xénophobe, peu favorable à la participation des Marocains au développement urbain. Qu’ils soient de confession juive ou musulmane, l’accès à la propriété leur est rendu difficile, à partir de 1941, entravé qu’il est par le « dahir du 17 février relatif aux opérations immobilières concernant certains immeubles »73, qui impose à tout vendeur et acheteur, excepté lorsque le contrat engage deux Marocains de droit commun, d’obtenir de l’administration une autorisation de transaction. Deux stratégies engagent la promulgation de cette loi : l’une est politique, l’autre monétaire, visant à la fois à enrayer la « dispersion du patrimoine français », à faciliter d’éventuels séquestres et à empêcher la dévaluation du franc qu’induit la spéculation immobilière.
57Le volet financier de cette loi concerne toutes les transactions, y compris celles entre Français.74 Si le vendeur est français et que l’acquéreur est européen, Marocain ou de toute autre nationalité non française, la vente peut être refusée. L’administration locale est également invitée à refuser les transactions si le vendeur est italien ou allemand, celui-ci pouvant tenter d’échapper à des mesures de séquestres.75
58Les juifs Marocains76, déjà soumis aux dures lois antisémites importées de métropole, sont particulièrement inquiets de ces proscriptions. À partir de 1940, ils sont progressivement exclus de l’administration, des professions libérales et des postes de direction d’entreprise, par l’introduction d’un numerus clausus ou l’interdiction pure et simple d’exercer. en 1940, les autorités hésitent à appliquer les lois françaises avec autant de fermeté qu’en métropole77, mais progressivement la législation se durcit. En tant que dhimmi78, les israélites marocains cherchent la protection du sultan et lui demandent d’intervenir auprès du résident Henri Noguès pour qu’il mette fin à cette politique raciste, sans succès.79
59Cette période ségrégationniste, relativement courte puisque la loi est abrogée par dahir le 18 août 1943, est déterminée par une politique qui se veut autoritaire ; cependant, l’application du dahir de février 1941 est circonstancielle et donc protéiforme. Les services municipaux, en charge du contrôle des transactions, interprètent cette loi au gré du contexte, de l’emplacement du bien concerné par la transaction, de sa destination, mais aussi selon leur propre idée du rapport à l’autre. L’autorité locale déploie tous ses arguments pour appliquer la loi avec souplesse lorsqu’elle a un besoin impérieux de voir se développer la ville. Une enquête du service de police sur les acquisitions immobilières indique que la région de Fès est celle où les transactions portant sur des propriétés rurales et urbaines de grande valeur et impliquant un acquéreur indigène ont été les plus nombreuses entre 1940 et 1941.80
60Sur les quarante-sept demandes de transaction parvenues à la municipalité au cours des cinq premiers mois d’application81, les quinze demandes déposées par des Français qui se portent acquéreur d’un immeuble, d’une villa ou d’un terrain nu appartenant à un de leurs compatriotes, reçoivent l’approbation du chef des services municipaux. Le même assentiment est donné à des Espagnols qui proposent d’acheter le bien d’un ressortissant français. En ce qui concerne l’autre moitié des demandes, faites par des Marocains, les réponses sont plus contrastées. Un tiers des dossiers est refusé au motif que le montant des transactions est trop élevé. Les propriétaires sont soupçonnés d’alimenter la spéculation immobilière dont Fès ne parvient pas à sortir. L’administration est incommodée par la surenchère immobilière ; l’argument racial n’est pas celui qui prime au cours de cette première phase d’application.
61De 1941 jusqu’en 1943, la position de la municipalité se durcit puisque la plupart des transactions impliquant des acquéreurs étrangers, qu’ils soient Marocains ou européens non français, sont refusées. Cette opposition est motivée, selon la formule consacrée, par le désir « de ne pas laisser passer le patrimoine français entre les mains des étrangers », quelle que soit la nationalité et/ou la religion de l’acquéreur. par exemple, la transaction impliquant un premier Marocain et un second Marocain naturalisé Français, concernant une maison de Dar Mahrès achetée 4 128 000 FF et proposée à la vente, deux mois plus tard, à 4 280 000 FF, est refusée82, comme l’est aussi, pour une raison identique, une vente impliquant cette fois deux colons français.83
62La population marocaine pense que le Protectorat, par ces interdictions, cherche à l’annihiler par l’appauvrissement.84 Cette éviction du marché et le mécontentement qu’il suscite constituent un terreau favorable aux dissensions. Le sultan lui-même se montre hostile aux interventions de l’administration dans les transactions immobilières n’intéressant que des Marocains musulmans.85 En ces temps de guerre, le danger est réel de voir une des puissances ennemies utiliser cet argument pour retourner les Marocains contre la France. Pourtant, il faut attendre avril 1943 pour que les mentions relatives à la religion des parties en cause soient supprimées dans les déclarations de transactions immobilières.86 Mais jusque-là, une certaine souplesse est admise dans l’application de cette loi qui ne fait pas l’unanimité. en 1942 par exemple, les pouvoirs publics délivrent un certificat de non-opposition à deux juifs marocains désireux d’acquérir chacun un lot nu du secteur industriel raccordé à la voie ferrée. Le chef des services municipaux argumente son agrément en répondant que « […] s’il est possible d’évincer les juifs des adjudications de lots du secteur d’habitations, pour la raison que leur présence n’y est pas désirable, il semble bien ne pas en être de même pour le secteur industriel, surtout lorsque les candidats apportent toutes les preuves qu’ils sont à la tête d’une industrie devant normalement y trouver place ».87 Un des propriétaires projette en effet de transférer au secteur industriel un dépôt de peaux fraîches et d’os installé en plein centre de la médina, ce qui permettrait la disparition d’une industrie gênante dans la ville ancienne sans paiement de grosses indemnités, tout en facilitant le développement du secteur industriel. Au nom de l’intérêt général, la transaction est autorisée. Pour éviter toute opposition, le chef des services municipaux prétend que la vente de ces lots municipaux ne peut être régie par le dahir de 1941, puisqu’ils appartiennent au domaine privé municipal, dont il revendique le caractère chérifien. Il ne fait pas partie du patrimoine français à protéger puisqu’il est le bien de toute la collectivité marocaine, française et même étrangère. La municipalité n’hésite pas à déployer toutes sortes d’arguments lorsque le développement de Fès est en jeu.
63Cette période marque un basculement réel dans la xénophobie, même si l’application de la loi est faite de manière souple, évoluant en fonction du contexte. Et si beaucoup de colons français regrettent l’abrogation de cette loi qui modérait la concurrence sur les lots mis en adjudication, les administrateurs, eux, la reçoivent avec soulagement. Même s’ils approuvaient sur le principe une telle interdiction, ils étaient conscients des effets néfastes qu’elle pouvait avoir sur la population indigène.
64En août 1941, une seconde loi, nettement anti-juive, est promulguée par Henri Noguès dans le but de regrouper la population marocaine de confession juive dans les villes anciennes, en lui interdisant d’habiter dans les villes nouvelles, secteurs requalifiés d’« européens » pour l’occasion.88 Les juifs marocains qui s’y sont installés après le 1er septembre 1939 ont un mois pour évacuer les locaux qu’ils occupent89, tandis qu’un court délai est concédé à ceux qui s’y sont installés avant le printemps 1939.90 À Fès, une centaine de familles juives ont dû quitter la ville nouvelle pour retourner vivre dans le mellah.91
65Comme l’ont habilement démontré Colette Zytnicki et Robert assaraf, les administrateurs coloniaux, même lorsqu’ils partagent la doctrine vichyste, appliquent généralement la législation discriminatoire avec moins de zèle qu’en métropole. le gouvernement français, soucieux de garantir ses intérêts économiques outre-mer et conscient des spécificités du contexte marocain, fait preuve de pragmatisme bien plus que de magnanimité, craignant qu’une application stricte de la législation ne favorise l’expatriation des nombreux israélites marocains vers la zone espagnole ou l’Amérique du Nord, au risque de compromettre l’équilibre économique du Maroc auquel ils contribuent largement.
66Au Maroc, l’apartheid urbain à proprement parler n’existe pas sous le Protectorat. Européenne par sa forme, Fès-nouvelle est cosmopolite dans ses usages. Il est anachronique et inexact d’employer le terme d’apartheid car s’il existe effectivement une forme d’exclusion, elle est limitée dans le temps et ne concerne pas uniquement les Marocains. Lorsqu’il y a ségrégation, elle est bien plus sociale que raciale. L’élite est accueillie à bras ouverts, alors qu’une grande frange de la population est laissée en marge parce qu’elle n’a pas les moyens financiers d’accéder à la ville nouvelle.
67Les arguments mobilisés pour justifier la séparation des ordres de villes sont multiples. Et certains, issus du domaine politique ou sanitaire, renvoient à une désunion des races qui serait nécessaire et indispensable en milieu colonial. Elle n’est ni fondée sur des principes « purement urbanistiques » comme l’indique notamment Emmanuel Durand92 au congrès de 1931, ni strictement créée par la politique racialiste coloniale.93 La séparation de la ville nouvelle et de la médina est déterminée par plusieurs logiques qui s’enchevêtrent. La séparation spatiale est effective, mais toujours relative au contexte historique et esthétique. Elle est soumise à plusieurs facteurs qui l’encouragent, la rendent obligatoire ou au contraire l’affaiblissent ; ainsi prend-elle des formes diverses dans les diverses agglomérations concernées. Elle paraît stricte sur les plans, marquée par une zone non ædificandi qui coupe nettement l’agglomération en deux, mais est souvent tempérée par une multitude d’aménagements urbains. Distancées et opposées morphologiquement, médina et ville nouvelle, sans se toucher, se rejoignent et communiquent. Guillaume de Tarde, ancien secrétaire adjoint du Protectorat, redéfinit, a posteriori, le principe fondateur de l’urbanisme français au Maroc : « […] séparation, mais pas séparation radicale. Il ne s’agit pas ici d’un éloignement, si je puis dire, distant, d’une sorte d’attitude de mépris à l’égard de la ville indigène […], mais, au contraire, d’une séparation discrète des deux villes, par ailleurs étroitement unies ».94 Loin de la vision antagonique issue des plans, ce portrait rend, en nuance, la réalité de la séparation.
Notes de bas de page
1 Protectorat de la République française au Maroc, Résidence générale, La renaissance du Maroc, dix ans de Protectorat, 1912-1922, 1922, p. 362.
2 Voir en particulier le texte, de sociologie urbaine, qui inaugure ce mouvement : M. Jolé, Khatibi, M. Martensson, art. cité, 1975.
3 J. Abu-Lughod, art. cité, 1975. Elle développera cette thèse quelques années plus tard : Abu-Lughod, ouvr. cité, 1980.
4 Voir par exemple N. Lahbil Tagemouati, Dialogue en médina, 2001, p. 113.
5 L.-H. Lyautey, ouvr. cité, 1927, cité par F. Béguin et al., ouvr. cité, 1983, p. 119.
6 M. Cohen-Stuart, E. Hébrard, E. Durand, « À propos de la séparation des villes au Maroc et aux indes néerlandaises », J. Royer dir., Urbanisme aux colonies et dans les pays tropicaux, 1932, p. 276-277.
7 Au sujet de l’intervention de M. Cohen-Stuart, voir F. Béguin et al., ouvr. cité, 1983, p. 199 et H. Vacher dans un chapitre consacré à la « Séparation urbaine », ouvr. cité, 1997, p. 245-247.
8 Troisième vœu voté à l’unanimité par les congressistes, J. Royer dir., ouvr. cité, 1932, p. 22.
9 Le terme villeneuve, employé notamment par J. Berque, n’est jamais utilisé par l’administration. J. Berque, « médinas, villeneuves et bidonvilles », 1974.
10 H. de la Casinière, ouvr. cité, 1924, p. 1.
11 BNRM, Carton A 1523 : « Bureau du Contrôle administratif, participation du Maroc aux expositions et congrès internationaux », H. Prost, « note sur les plans d’extension et d’urbanisme au Maroc », 9 mai 1919.
12 H. Prost, « le développement de l’urbanisme dans le Protectorat français, de 1914 à 1923 », 1932, p. 60.
13 Les expressions moins réductrices : villes coloniales versus villes impériales, utilisées dans certaines descriptions à l’époque coloniale, n’ont jamais été employées par l’administration. Elles ne soulignent sans doute pas assez son action « bienfaitrice », ni par conséquent les raisons de la présence française au Maroc.
14 M. A. Ahlafi, La planification urbaine au Maroc, de la conception à l’application, le cas de Fès, 2000, p. 18.
15 Il a été recensé 219 propriétés bâties aux abords de la médina de Casablanca en 1912. A. Tarriot, Monographie de Casablanca, 1907 à 1914, 1924, p. 42.
16 Cette zone de servitude est définie par « firman chérifien le 1er novembre 1912 », BO n° 2, 8 novembre 1912, p. 9. Elle est portée à 250 mètres par « arrêté viziriel du 15 juin 1913 », BO n° 37, 11 juillet 1913, p. 234.
17 Le terrain désigné en 1914 est d’ailleurs celui que J.-C. N. Forestier avait proposé un an auparavant lors de sa mission. Voir B. Leclerc, S. Tarragò i Cid éd., Grandes villes et systèmes de parcs, France, Maroc, Argentine, 1994, p. 202.
18 « Arrêté viziriel du 26 juillet 1917 », BO n° 251, 13 août 1917, p.902.
19 AMF, Dossier n. r., « Remembrement du secteur de la gare T-F », Note schématique sur l’immobilier de Fès, n. r., adressée par la SIF, Société immobilière de Fès (nous pensons qu’elle a été rédigée par Henri Prost, qui a travaillé pour la Société), avril 1942, note remise à M. le directeur des Affaires politiques.
20 Voir l’analyse de M. Idrissi Janati, qui s’intéresse aux termes que les Fassis utilisent pour qualifier leur agglomération. « La ville européenne va devenir un haut et un centre qui symbolise la modernité, tandis que la cité d’hier, la médina, va se trouver dévaluée et dégradée en un espace d’exclusion, un simple quartier taht (bas) où résident ceux qui ne peuvent – vu leur pauvreté – accéder au al-fouq [le haut] ». M. Idrissi Janati, « Les images identitaires à Fès : divisions de la société, divisions de la ville », 2002, p. 369.
21 Sur cet événement, voir en particulier l’analyse de D. Rivet, ouvr. cité, 1988, t. I, p. 125-132. Voir également M. Kenbib, ouvr. cité, 1994, p. 370-400.
22 Hubert-Jacques leur consacre un ouvrage ; de nombreux auteurs leur réservent un chapitre, notamment H. Cambon, Histoire du Maroc, 1952.
23 Hubert-Jacques, Les journées sanglantes de Fès, 1913.
24 Expression employée par le général Moinier lors des obsèques des victimes européennes du soulèvement de Fès, propos rapportés par Hubert-Jacques, ibid., p. 4.
25 Cet adjectif est très souvent mobilisé pour qualifier la population fassie. Voir notamment H. de la Casinière, ouvr. cité, 1924, p. 22 ; J. et J. Tharaud, Le Maroc, 1932, p. 43. Même le chef des services municipaux de Fès l’emploie. Voir notamment BNRM, Carton A 621 : « Contrôle des municipalités, bureau du Contrôle administratif, renouvellement des membres, propositions et arrêtés de nomination des membres des commissions municipales, Casablanca, Fès, Kenitra, Marrakech, Mazagan, Meknès, Mogador, Oujda, Safi, 1928 », Lettre n° 1/C adressée le 27 janvier 1927 au directeur des Contrôles civils et du Contrôle des municipalités.
26 Hubert-Jacques, ouvr. cité, 1913, p. 24.
27 H. Bordeaux, Un printemps au Maroc, 1931, p. 167.
28 BNRM, Carton A 723 : « Contrôle des municipalités, travaux municipaux, programme 1914-1921 », Lettre n. r., adressée le 4 janvier 1919 par H. Prost, au directeur des affaires civiles.
29 Voir chapitre iii, « le chemin de fer militaire, centre pour la future ville ».
30 Protectorat de la République française au Maroc, Résidence générale, ouvr. cité, 1922, p. 384.
31 L.-H. Lyautey cité par D. Rivet, ouvr. cité, 1988, p. 158.
32 Voir en particulier les deux premiers plans qu’il a dressés. CAA, IFA, Fonds Henri Prost, Carton HP DES. 21/3.1, cote provisoire : « Plan de la ville nouvelle de Fès (probablement 1915), au 1/5 000, crayon et aquarelle, 485 × 600 ». Et archives nationales de France, Carton 475 AP 133 : « Plans de villes : Agadir (1921-1924), Casablanca (1913-1914 et s. d.), Fedhala (1922 et s. d.), Fès (1912-1913, 1924 et s. d.), Kenitra (1922-1924 et s. d.), Marrakech (1924), Mazagan (1916, 1922 et s. d.) », Plan Probst (sic), s. d. (probablement antérieur au précédent), au 1/5 000.
33 H. Prost, art. cité, 1932, p. 75.
34 AMF, PV de la commission municipale de Fès, Séance du 12 février 1945, Allocution de Salanié à l’occasion de son départ.
35 BNRM, Carton A 1370 : « Contrôle des municipalités, bureau administratif des plans de villes, correspondances départ, 1921-1923 », Lettre adressée le 5 novembre 1921 par les agents du bureau administratif des Plans de villes au CSM.
36 La maternité Lucien-Saint, construite en 1932, est fermée quelques années plus tard, puis transformée pour accueillir les bureaux de la municipalité.
37 Concernant l’aménagement de l’avenue de France et la place Gallieni, voir le chapitre iii, « Installation des services du Protectorat, une quête de monumentalité ».
38 De nombreuses études urbaines traitent de Rabat sous le Protectorat. Voir en particulier A. Chorfi, « transformation de l’espace urbain par le Protectorat à travers le cas de Rabat », Villes rattachées, villes reconfigurées xvie-xxe siècles, D. Turrel (textes réunis et présentés par), 2003, p. 247-258. M. Belfquih, A. Fadloullal Abdallatef, Mécanismes et formes de croissance urbaine au Maroc, cas de l’agglomération de Rabat Salé, 1986.
39 Voir chapitre vii, « Donner à voir la ville ancienne : le ménagement de vues ».
40 Sur les demandes de permis de construire, appelées aussi pétitions, les propriétaires indiquent souvent leur statut, qui peut aussi être mentionné sur les autorisations de bâtir, bien que ce ne soit pas une obligation.
41 R. le Tourneau, La vie quotidienne à Fès en 1900, 1965, p. 150.
42 P. Ricard, Guide de Fès, 1916, p. 6.
43 Cette situation est propre aux villes de l’intérieur. On note qu’à Marrakech seulement sept européens sont recensés en septembre 1912.
44 En 1912, plus de 12 000 européens sont installés à Casablanca, dont 7 000 Français, 2 500 espagnols et 2 200 italiens. Il y a également quelques ressortissants allemands au nombre de 200 et une centaine d’anglais. Voir J.-L. Cohen, M. Eleb, ouvr. cité, 1998, p. 43.
45 Une dizaine d’Allemands et d’Anglais gibraltariens et maltais habitent également Fès en 1914, sans participer au développement de Fès-nouvelle.
46 L. d’Anfreville de la Salle, « La colonie espagnole du Maroc français », 1929, p. 117-118.
47 Sur cette question, voir E. Michaux-Bellaire, « Les musulmans d’Algérie au Maroc », 1907, p. 1-128. Voir aussi le travail, basé sur celui de Michaux-Bellaire, de M. Yakhlef, « la colonie algérienne de Fès à l’époque du Protectorat, 1912-1956 », 1995, p. 12.
48 R. Le Tourneau, ouvr. cité, 1965, p. 32.
49 A. Jouffray, « la ville nouvelle », L’écho du Maroc, 2 février 1916.
50 Parfois orthographié Qechla des Jelarda. Il s’agit d’un vaste terrain donné, par dahir du 25 juin 1913, à la communauté israélite, à titre de dédommagement du préjudice subi lors des événements de 1912. Ces dédommagements sont accordés par une commission « chargée d’examiner les réclamations formées à l’occasion des événements de Fès », instituée par l’« arrêté viziriel du 31 mai 1913 », BO n° 33, 13 juin 1913.
51 Elle entreprend cette démarche dès le 25 novembre 1915 à la demande du résident général. BNRM, Carton A 1046 : « Contrôle des municipalités, bureau du Contrôle administratif, travaux municipaux ordre général, aménagement des différentes municipalités, 1913-1931 », Décision n. r. du résident général au sujet de la Kechla des Djelaba, s. d., probablement 1917.
52 La peseta hassani (PH) est une monnaie frappée, à partir de 1881, à Paris, Londres et Berlin. Son cours équivaut à peu de chose près à celui du franc.
53 Ce projet de lotissement à proximité du Dar el-Makhzen sera repris dès les années 1920, pour désengorger un mellah de plus en plus surpeuplé. Voir le chapitre vii, « extension de la médina : une remise en cause de sa patrimonialisation ».
54 Les requérants, tous européens et entrepreneurs, demandent des lots de grandes dimensions, en moyenne 2 400 m2, pour construire leurs logements et leurs outils de travail, commerces ou dépôts de matériaux. Liste des demandes d’achat de lots, dressée par le CSM le 4 mars 1916, document administratif reproduit par M. Ameur, Fès… ou l’obsession du foncier, 1993, p. 100.
55 Cette vente est réglementée par le « dahir du 19 juin 1916 autorisant l’allotissement et la vente d’une partie des terrains makhzen de Fès », BO n° 192, 26 juin 1916, p. 635. Elle est présidée par le lieutenant-colonel Doudoux, représentant le commandant de la région, en présence du général Cherrier et du CSM.
56 AMF, SAB, Cahier des charges pour parvenir à la vente de terrains makhzen constituant une partie du premier secteur de la ville nouvelle de Fès, lotissement pour le commerce et l’habitation.
57 En juillet 1913, une première cabane à usage de garage est construite avec autorisation par un démobilisé qui la transforme rapidement en restaurant, pour une clientèle exclusivement militaire issue des camps alentour. Un transporteur, Jean Mazères, obtient lui aussi l’autorisation d’édifier, à titre provisoire et pour un délai de cinq années, un atelier de réparation avec garage automobile. Cette autorisation est accordée après avis du chef des travaux publics municipaux. AMF, Dossier n. r., Arrêté d’autorisation de bâtir sur les terrains de la ville européenne de Fès, n. r., 18 février 1916.
58 A. de Tarde, Le Maroc, école d’énergie, 1923, p. 28.
59 M. Boyon, « La fondation et l’évolution de la ville nouvelle de Fès », Le progrès de Fès, 26 juin 1932.
60 « Imposer aux Européens des villes de l’intérieur une installation hors des murailles anciennes, sans doter dès l’abord les agglomérations nouvelles des différents services administratifs auxquels il leur faut constamment recourir pour la plus infime tractation : finances, enregistrement, postes, télégraphes, téléphones, bureaux municipaux, d’hygiène, conservation foncière, tribunaux de paix, etc., c’était la plus belle démonstration d’illogisme que l’on put voir », M. Tranchant de Lunel, ouvr. cité, 1924, p. 166-167.
61 La main-d’œuvre indigène est abondante et, à compétences égales, bien moins rétribuée que la main d’œuvre française.
62 Rapport mensuel du Protectorat français au Maroc, du 21 février au 20 mars 1919.
63 M. Boyon, art. cité, 1932.
64 D. Bensimon, Le judaïsme Marocain sous le Protectorat français, 1912-1956, 1968, p. 51.
65 À ce sujet, voir la thèse de M. Kenbib, Les protégés. Contribution à l’histoire contemporaine du Maroc, 1996.
66 Le nombre de protégés lotisseurs est difficilement quantifiable, leur statut n’étant pas systématiquement précisé sur les permis de construire et autres documents officiels relatifs aux immeubles construits par les Marocains.
67 Elle fait suite à l’abrogation de la loi foncière de 1941. Concernant cette loi et ses incidences sur le lotissement des terrains de Fès-nouvelle, lire « Le “patrimoine français” et le dahir de 1941 » dans ce chapitre.
68 Le secteur est morcelé en quatre-vingt-huit lots, mais seuls quarante-huit lots ont au total été lotis avant la proclamation d’indépendance.
69 J. d’Étienne, S. Delisle, L. Villeme, L’évolution de la vie citadine au Maroc, s. d., p.168, cité par M. Yakhlef, ouvr. cité, 1990, p. 110.
70 AMF, SAB, Dossier « Lot n° 45 du secteur d’HPC », Lettre n. r. adressée le 26 novembre 1917 par Vidal Serfaty au CSM.
71 Nous nous attardons plus longuement sur cette question dans « Hybridations architecturales », chapitre vi.
72 Dans les archives municipales de Fès, ce type d’habitat est mentionné à plusieurs reprises. Voir notamment un procès-verbal d’infraction daté du 27 décembre 1947, rédigé par un agent auxiliaire assermenté, qui indique l’existence, à Dar Mahrès, de onze petites baraques, habitées par des femmes livrées à la Prostitution, AMF, SAB, Dossier « Secteur Ben Souda ».
73 BO n° 1479, 28 février 1941, p. 206.
74 Toute demande est soumise à une autorisation administrative, qui ne peut être donnée que si le prix de la vente n’est pas spéculatif.
75 BNRM, Carton A 1796 : « Contrôle des municipalités, bureau du Contrôle administratif des Plans de villes, contrôle des opérations immobilières, 1941-1944 », Lettre n. r., s. d. (probablement 1942), adressée par le directeur des Affaires politiques au secrétariat général du Protectorat.
76 Leur statut est défini par dahir le 31 octobre 1940, BO, 9 novembre 1940. « Est considéré comme juif tout Marocain israélite, toute personne non marocaine résidant dans cette zone, issue de trois grands-parents juifs ou de deux grands-parents de la même race si le conjoint est lui-même juif. »
77 « S’il est exact qu’il convient dans un intérêt supérieur d’éliminer de certaines professions les juifs français ou étrangers, il est hors de doute qu’au Maroc, le juif marocain, faisant partie intégrante de la population autochtone, doit voir s’appliquer avec moins de rigueur la politique qui le concerne. En fait, son activité peut, dans certains cas, être indispensable à l’économie du Protectorat », archives diplomatiques de Nantes, « Maroc, direction de l’intérieur, statuts des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, août 1940 mai 1945, 5 », Lettre confidentielle adressée le 20 avril 1940 par le directeur des services de Sécurité publique au secrétaire général du Protectorat, citée par C. Zytnicki, « La politique antisémite du régime de Vichy dans les colonies », 2004, p. 162.
78 Par ce statut de dhimmi, les juifs marocains bénéficient de la protection du sultan, moyennant le paiement d’un impôt.
79 R. Assaraf, Mohamed V et les juifs du Maroc à l’époque de Vichy, 1997.
80 BNRM, Carton A 1796, Lettre confidentielle n° 8075 SDP/I, adressée le 5 avril 1941 par le directeur du service de la Sécurité publique au directeur des Affaires politiques.
81 BNRM, Carton A 1796, Liste des décisions prises par la municipalité de Fès, en application des dispositions du dahir du 17 février 1941 réglementant les opérations concernant certains immeubles, arrêtées au 31 juillet 1941, n. r.
82 BNRM, Carton A 1127 : « Bureau du Contrôle administratif, transactions immobilières du n° 641 au n° 704, 1943 », Transaction n° 690, 1943, vente d’une maison d’habitation à Dar Mahrès, TF [titre foncier] n° 199F, 258 m2, entre Al Hadj Abdou (naturalisé français, lieutenant en retraite, épicier arrivé au Maroc en 1939) et Zohra Ben Mohamed Métiouni (Marocaine née Fès vers 1911, travaille la laine).
83 BNRM, Carton A 1127, Transactions n° 702, 1943, Vente d’un hangar et d’un appartement, T.F. 1203f, entre Lafargue Paul Victor (français, colon, célibataire, arrivé au Maroc 3 décembre 1925) et Mme Dufour Marie (née Farina, française, arrivée en 1917).
84 BNRM, Carton A 1127, Note non signée, datée du 16 avril 1942.
85 BNRM, Carton A 1127, Lettre n° 104 DAP/C, adressée le 23 décembre 1942 par le directeur des Affaires politiques au CSM de Rabat.
86 BNRM, Carton A 1127, Circulaire n° 1589 DAP/03, datée du 2 avril 1943.
87 BNRM, Carton A 1391 : « Contrôle des municipalités, bureau administratif des Plans de villes, transactions immobilières, aménagement divers, loyers en médinas, vente aux israélites de lots au secteur industriel 1942-1946 », Lettre n° AI 11611, adressée le 22 juillet 1942 par le CSM au général chef de la région de Fès.
88 « Dahir du 19 août 1941 interdisant l’habitat des sujets juifs marocains dans les secteurs européens des municipalités », BO n° 1505, 22 août 1941, p. 857.
89 Article premier. « Les sujets marocains occupant, à quelque titre que ce soit, dans les secteurs européens des municipalités, des locaux, à usage d’habitation, devront, s’ils ne peuvent justifier d’une installation antérieure au 1er septembre 1939, évacuer les dits locaux, dans le délai d’un mois à dater de la publication du présent dahir. »
90 Article 4. « Les juifs sujets marocains résidant dans les secteurs européens des municipalités avant le 1er septembre 1939 évacueront leurs habitations dans le délai qui sera fixé par un arrêté de notre grand vizir. »
91 R. Assaraf, ouvr. cité, 1997, p. 155.
92 E. Durand, directeur de l’administration municipale à la Résidence de France au Maroc, dans S. Cohen, E. Hébrard, E. Durand, art. cité, 1932, p. 277.
93 Sur le caractère « racialiste » de la séparation, voir H. Vacher, ouvr. cité, 1997, p.247.
94 G. de tarde, art. cité, 1932, p. 29.
Notes de fin
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