Husserl « néocartésien » ? La phénoménologie, le néokantisme et le motif « transcendantal » dans la philosophie cartésienne
Texte intégral
1Dans les conférences de Paris de 1929, puis dans les Méditations cartésiennes qui en constituent la mise en forme, Husserl a, pour caractériser la phénoménologie, usé d’un syntagme – neuen Cartesianismus (nouveau cartésianisme) – devenu un néologisme – Neu-Cartesianismus (néo-cartésianisme) – qui l’un et l’autre ne doivent certainement pas qu’aux circonstances1. De (trop) nombreuses études ont déjà relevé la place éminente accordée à Descartes dans la genèse même de la phénoménologie transcendantale2 : dès les Ideen de 1913, les « considérations fondamentales de Descartes » sont convoquées pour accompagner la démarche de l’épokhè et l’ouverture à la phénoménologie pure sous la forme d’une égologie3. Il faudrait ajouter que Husserl s’écarte en réalité du cartésianisme à mesure que s’affinent ses connaissances historiques. Les fameuses Méditations cartésiennes sont ainsi bien plus éloignées du cartésianisme que ne l’étaient les Ideen – mais trop indulgentes encore si on les compare à la Krisis de 1935-1936. L’expression même de « néo-cartésianisme » y apparaît d’ailleurs dans une tournure concessive qui interdit d’y voir une quelconque revendication théorique :
On pourrait presque l’appeler [la phénoménologie] un néo-cartésianisme, bien qu’elle se soit vue obligée de rejeter à peu près tout le contenu doctrinal connu du cartésianisme, pour cette raison même qu’elle a donné à certains thèmes cartésiens un développement radical.4
2Les études de Koyré et de Gilson, parues tardivement, entre 1922 et 1930, viennent à l’appui de cette démarcation :
Descartes avait la volonté ferme de se débarrasser radicalement de tout préjugé. Mais nous savons, grâce à des recherches récentes et notamment grâce aux beaux et profonds travaux de MM. Gilson et Koyré, combien de « préjugés » non éclaircis, hérités de la scolastique, contiennent encore les Méditations. Mais ce n’est pas tout ; il s’y ajoute encore le préjugé que nous avons mentionné plus haut, issu de son admiration pour les sciences mathématiques. Nous-mêmes nous subissons encore l’influence de cet héritage ancien dont nous devons nous garder. Je parle de la tendance à envisager l’ego cogito comme un « axiome » apodictique, axiome qui, réuni à d’autres non encore dévoilés, voire à des hypothèses trouvées par voie inductive, doit servir de fondement à une science « déductive » et explicative du monde, science « nomologique » procédant ordine geometrico, analogue justement aux sciences mathématiques.5
3À l’héritage de la métaphysique scolastique vient donc s’ajouter son envers en quelque sorte, tout aussi néfaste cependant : une conception non critique de la mathématicité de la physique, qui intègre cette fois Descartes dans une histoire « monumentale » de la mathesis universalis dont David Rabouin a tout récemment fait la généalogie6.
4Si l’on a donc bien souvent confronté Husserl à Descartes ou à son Descartes, on s’est en revanche assez peu penché sur la connaissance historique que Husserl a pu avoir du cartésianisme, et plus spécialement sur ses sources. Or, celles-ci sont de première importance car elles permettent en partie d’expliquer le motif transcendantal que Husserl ne peut se défendre de chercher chez Descartes, et qui ruine le « rationalisme objectiviste » au fondement de la physique moderne dont ce dernier est par ailleurs, à ses yeux, le principal représentant7. La contradiction dans laquelle Husserl installe le cartésianisme, entre rationalisme objectiviste et subjectivisme transcendantal radical, n’est pas de son fait. Elle constitue même le fond commun des lectures épistémologiques de Descartes entre la fin du xixe et les premières décennies du xxe siècle, dont Husserl hérite dans une très large mesure. Toutefois l’orientation prise par la phénoménologie correspond à une autre version du transcendantal que celle qui est adoptée pour extraire Descartes de la métaphysique scolaire, et en cela elle oppose bien plus Husserl aux lecteurs « épistémologues » de Descartes qu’à Descartes lui-même.
5Si l’on tente de faire un bref inventaire des sources en langue allemande disponibles de et sur Descartes dans les années 1880-1930 durant lesquelles Husserl se forme à l’histoire de la philosophie, on est essentiellement renvoyé à un contexte théorique, celui du néokantisme de l’école de Marbourg8. Tout d’abord, Husserl ne peut pas avoir lu les œuvres majeures de Descartes dans des traductions plus récentes que celles, remarquables en tout point, proposées par Artur Buchenau (1879-1946) chez Dürr puis Meiner, dans les toutes premières années du siècle, de 1904 à 19119. Or, le grand et fort jeune éditeur qu’est Buchenau n’est autre qu’un élève de Paul Natorp, l’un des principaux représentants du néokantisme marbourgeois, encadré par deux autres grandes figures, Hermann Cohen et Ernst Cassirer. Dans la magistrale édition qu’il propose des Méditations métaphysiques en 1904, Buchenau appuie d’ailleurs son important appareil de notes sur trois ouvrages qu’il cite en introduction : La théorie kantienne de l’expérience d’Hermann Cohen (dans la seconde édition de 1885), La théorie cartésienne de la connaissance, une étude sur la préhistoire du criticisme par Paul Natorp (1882), et la dissertation d’Ernst Cassirer, La critique cartésienne de la connaissance dans les sciences mathématiques et naturelles (1899), reparue en introduction de son second livre, Le système de Leibniz dans ses fondements scientifiques (1902)10. Soit la triade qui a toujours représenté les deux générations de l’école de Marbourg. On ne peut pas supposer que Husserl, travaillant Descartes, aurait pu ignorer ces ouvrages de référence, qui comptent parmi les rares de la période sur le sujet. Et quand bien même il l’eût fait, les notes mêmes de Buchenau, très largement inspirées de leurs thèses (et spécialement celle de Natorp), auraient dû suppléer à ce manque ou ce manquement.
6Mais ce n’est pas le seul lien qu’on puisse tirer de Descartes à Marbourg et à Husserl. Dans une lettre du 5 janvier 1917 à Dietrich Mahnke, Husserl évoque « le bel et imposant écrit de Heimsoeth sur Descartes et Leibniz »11, éloge qu’il ne manque pas de répéter devant le maître de Heinz Heimsoeth, Natorp, dans une lettre du 8 juin 1917 – en insistant certes sur la seconde partie de l’ouvrage, consacrée à Leibniz12. Il s’agit cette fois encore, comme chez Cassirer, d’une dissertation sur La méthode de la connaissance chez Descartes et Leibniz, dont le premier cahier a pour titre : La méthode de la connaissance claire et distincte chez Descartes13. Si Husserl insiste plus particulièrement sur la seconde partie de l’ouvrage, ce n’est pas seulement parce qu’elle lui offre une mise au point précise sur l’idée de mathesis chez Leibniz, mais encore sans doute parce que la première partie sur Descartes manque incontestablement d’originalité, et constitue plus généralement une synthèse des travaux déjà cités de Natorp et Cassirer, assortie toutefois de quelques critiques plus historiques.
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7Que retenir alors de la version néokantienne de Descartes, qui aurait pu être à la fois exploité et déplacé par Husserl14 ? La clé de lecture la plus générale est la suivante : chez Descartes devrait se lire pour la première fois la tentative, certes inaboutie, d’une subordination complète de la métaphysique à la Methodenlehre15, notamment dans une continuité des motifs épistémologiques identifiés dans les Regulae, des motifs métaphysiques des Meditationes, et de la philosophie naturelle des Principia. Au moment de se pencher sur les Meditationes, Heimsoeth résume d’ailleurs fort bien la perspective adoptée par l’école de Marbourg, depuis l’ouvrage fondateur de Natorp :
En réalité, ce n’est pas, comme un regard superficiel sur la disposition de la philosophia prima de Descartes l’indiquerait, l’ordre de l’être, des « choses telles qu’elles existent » qui est ici suivi, mais bien l’ordre de la connaissance, « l’ordre des raisons » qui conduit « des plus aisées aux plus difficiles », c’est-à-dire des concepts les plus simples aux plus complexes. Descartes ne part pas de Dieu, dont les autres substances dépendent bien selon leur être, mais du Je, de l’âme. Il répète assez souvent avec la plus grande insistance qu’il a dans les Méditations, conformément aux exigences de la méthode, présenté les choses telles qu’elles se suivent les unes les autres dans la connaissance.
Aussi une étude plus précise de cette métaphysique, une épreuve de sa construction à partir des tendances qui lui sont véritablement centrales, conduisent-elles nécessairement et assurément à reconnaître que, sous ce titre d’inspiration médiévale et dans le brassage des multiples motifs ontologiques qui s’y laissent si fortement percevoir, opère une tout autre position fondamentale du problème : précisément celle dont provenait déjà la théorie de la méthode [Methodenlehre]. Le « fondement » qui est posé dans la métaphysique pour les sciences singulières n’est pas en réalité une théorie de la substance, mais une théorie des principes du connaître.16
8Cette prévalence de la Methodenlehre chez Descartes est interprétée en termes très clairement kantiens, comme méthode transcendantale, c’est-à-dire comme déduction des conditions a priori du connaître, non comme description des structures de l’être ou de la conscience. Ainsi la « dérivation » du Cogito dans les Meditationes relève-t-elle précisément, selon Natorp, d’une telle méthode transcendantale, bien qu’elle ne soit pas poussée à son terme, comme elle l’a été chez Kant.
9Dans le Cogito, l’existence de l’être pensant n’est pas déduite, au moyen d’un syllogisme, du penser lui-même (et sur ce point la critique kantienne du Cogito cartésien est elle-même fautive). Le lien nécessaire, non analytique mais synthétique, entre existence et pensée n’est pas purement et simplement expérimenté mais reconnu par une intuition de l’esprit – l’intuitus mentis, cité non dans le cœur du texte mais dans les secondes Réponses, renvoie selon Natorp aux Regulae où il englobe, encore selon lui, tant les lois de l’intuition pure que celles de l’entendement pur17. Partant, il s’agit d’une synthèse a priori au sens de Kant. Toutefois, ce dernier, en distinguant l’aperception transcendantale de la perception interne, sépare ce qui chez Descartes restait dangereusement unifié : la définition d’un Je transcendantal comme condition du connaître et l’appréhension empirique d’un Je « psychologique » comme phénomène ou structure de la conscience. L’amorce cartésienne trouve ainsi sa résolution critique.
Kant n’a donc pas en vérité abandonné l’essentiel de l’idéalisme cartésien, mais il l’a, en harmonie complète avec lui, renforcé, ou mieux il l’a reconquis indépendamment, il en a approfondi et raffermi les fondations en distinguant de façon précise et tranchée le Je de l’aperception pure et le Je du sens interne, et en connaissant que ce dernier est pur phénomène au même titre que la matière. Par conséquent, le Je de l’aperception pure conserve un caractère d’effectivité [Wirklichkeit], qui le distingue et le rend indépendant de toute réalité [Realität] des purs phénomènes dans l’espace et dans le temps, sans pour autant que les limites qui sont fixées à notre connaissance soient franchies et que l’on se soit engagé dans la voie douteuse de l’invention de l’effectivité par les purs concepts.
Après cela, qu’on ne se méprenne pas sur mes intentions en pensant que j’aurais nié toute différence entre Descartes et Kant ou souhaité retrancher quoi que ce soit de l’apport propre de ce dernier. Je prétends seulement que la théorie de Descartes, prise rigoureusement, contient la pensée fondamentale qui, poussée jusqu’à son terme, conduit à la position kantienne. Descartes était sur la bonne voie lorsqu’il distinguait strictement entre la fondation du fait que je suis et la détermination de ce que je suis, et faisait reposer uniquement la première sur ceci que dans toute pensée, seule la relation à l’objet peut être soumise au doute, mais que le penser lui-même est si certain de son effectivité que toute possibilité de doute en est exclue. Dans la mesure où cette conséquence est tirée, de manière explicite, tout à fait indépendamment de la décision relative à ce que je suis (si bien que la question reste ouverte de savoir si je ne suis pas au bout du compte un corps), la conclusion ne repose sur rien d’autre que sur la relation à un Je comprise dans toute pensée, c’est-à-dire sur l’aperception pure de Kant.18
10Et Natorp de conclure un peu plus loin sur cette comparaison décisive entre Cogito cartésien et Cogito kantien :
Ce n’est donc qu’en apparence que la comparaison entre Descartes et Kant nous a détourné du chemin tracé. La recherche du fondement du Cogito, ergo sum, nous a conduit vers une synthèse a priori ; la réduction à l’« aperception pure » explique sur quoi se fonde cette synthèse originaire, à laquelle nous avions fait allusion. Elle ne se fonde sur rien d’autre, et n’a même besoin d’aucune autre fondation, parce qu’elle est la plus originaire de toutes les synthèses, celle qui précède toutes les autres et qui est déjà donnée dans toute connaissance, toute représentation qui soient posées comme miennes dans la conscience. Toute autre connaissance présuppose l’effectivité du Je, et il serait déraisonnable de prétendre la dériver de quelque connaissance que ce soit. Descartes dit cela lorsqu’il pose que le Cogito, ergo sum constitue la toute première et la plus certaine des propositions que se donne chacun qui philosophe selon l’ordre (Principia, I, 7. 10).19
11Le Cogito cartésien tiendra donc lieu de « point d’Archimède » ou d’axiome de base suivant l’exemple duquel devront se construire tous les autres principes synthétiques purs. Le prétendu « innéisme » cartésien qui se construit à partir de la troisième Méditation, à l’occasion de la première démonstration de l’existence de Dieu, et dont on sait qu’il a été réfuté par Locke dans la première partie des Essais, ne correspond au contraire, selon Natorp et ses disciples, qu’à la déduction transcendantale de ces principes synthétiques.
12Mais tout l’intérêt de la lecture néokantienne ne réside pas seulement dans cette interprétation, fort généreuse au demeurant, de la doctrine cartésienne des idées. Comme Éric Dufour l’a bien établi20, elle vaut surtout pour ce qu’elle réforme du transcendantal kantien lui-même, en unifiant sous un même principe logique, nommé intuitus depuis les Règles, les lois rigoureusement séparées chez Kant de l’intuition pure et de l’entendement pur. Aussi la référence à Descartes participe-t-elle d’un mouvement de destitution de l’Esthétique transcendantale au profit de la Logique qui constitue la caractéristique propre, la marque de fabrique du néokantisme marbourgeois et qui transparaît dans toutes ses études historiques, de Platon à Leibniz, et jusqu’aux contemporains.
13Pourquoi alors, s’il engage dans la voie d’une interprétation moderne, méthodologique, de l’a priori et d’un dépassement du kantisme, le « transcendantal » cartésien n’est-il pas tout simplement élu par les néokantiens ? En ce qu’il est limité par une conception non critique, encore métaphysique, des fondements de la physique. L’idéal de mathématisation complète de la physique conduit Descartes à substantialiser l’espace géométrique, dans un mouvement de pensée qui se révèle parfaitement contradictoire avec ses dispositions critiques de départ. Cassirer est sans doute le mieux à même de révéler ce qui pourrait s’identifier comme l’ultime hybris métaphysique de Descartes, suivant une démarche que le néokantien assimile à tort, comme ses contemporains du reste, à une reformulation possible du programme historique de la mathesis universalis21.
L’espace signifie pour Descartes – au début de sa démarche scientifique – un ensemble de relations de position qui, via leur relation commune à un système stable originaire, sont réunies en une unité de loi. C’était l’un des traits caractéristiques de la pensée de Descartes que de résoudre toute existence spatiale en relations spatiales – en ordre et mesure – et de faire connaître ainsi l’espace en elles. Dans le concept de substance étendue, ce motif est abandonné : l’espace devient une chose matérielle. Sa substantialité est celle d’une « chose », qui existe en ceci qu’elle ne nécessite aucune autre chose pour être. À nouveau, ce qui était à l’origine un pur principe de relations de pensée devient une réalité absolue, qui ne peut avoir de rapport avec la pensée qu’ultérieurement, par des médiations métaphysiques. L’influence de la métaphysique a ainsi déplacé le centre de gravité du débat scientifique sur le concept d’espace. L’« étendue » que Descartes place au fondement de sa physique n’est plus pensée comme une pure loi formelle d’ordre, mais déjà dans le genre de l’existence matérielle. La relation de substance et d’espace devait originairement fonder l’existence de l’espace dans l’idéalité du concept de coordonnées, à présent cette fondation est recherchée dans l’existence de l’espace comme matière.22
14Aussi, lorsqu’il lui revient de décliner les principes mêmes de sa physique, Descartes quitte-t-il, selon les néokantiens, son point de vue transcendantal pour retourner à une métaphysique qu’on pourrait bel et bien qualifier, en suivant Husserl, de « rationalisme objectiviste ». La physique métaphysique de Descartes trahit ainsi les avancées remarquables en direction du transcendantal qui avaient été faites à l’occasion du doute radical et de la première formulation du Cogito.
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15Que la figure de Descartes soit si intimement liée à celle de Kant dans les Méditations cartésiennes comme dans la Krisis témoigne sans doute possible de l’influence de la lecture néokantienne sur l’appréciation même du cartésianisme par Husserl, et surtout sur son évolution. En 1913, dans les Ideen, Husserl intègre plus volontiers Descartes à une histoire du scepticisme dont il constituerait à la fois la première voie de sortie et l’ultime écueil métaphysique. C’est le doute cartésien qui est à l’honneur, dans ce qu’il retient des hypothèses renaissantes de l’annihilatio mundi en les dépassant (en s’étendant aux vérités mathématiques) et dans ce qu’il préfigure de l’épokhè, de la réduction phénoménologique. Dans les conférences de 1929 puis dans les Méditations cartésiennes, c’est le Cogito cartésien qui est cette fois mis en avant et systématiquement comparé à sa version transcendantale, dans des termes très proches de ceux du néokantisme, particulièrement de l’ouvrage de Natorp. Enfin, dans la partie historique de la Krisis, Husserl lie plus fortement encore la démarche cartésienne au contexte général de la fondation la physique moderne, en adoptant une lecture qu’on pourrait dire plus cassirérienne. Cependant, comme on va le voir, chacune de ces étapes de l’intégration historique du cartésianisme introduit des écarts avec l’interprétation néokantienne, si bien que la critique de Descartes prend alors la forme d’un affrontement avec les thèses principales de l’école de Marbourg. Comme souvent du reste, l’enjeu véritable de cette lecture historique est donc surtout à chercher dans des prises de position et des oppositions dans le champ philosophique contemporain.
16Ainsi, pour Husserl, si le Cogito cartésien introduit au transcendantal, c’est sans y parvenir lui-même, puisqu’en convoquant d’emblée la notion de substantia cogitans, et en en faisant le point d’application d’une causalité qui s’appliquera plus tard à la substance étendue, Descartes retombe dans ce contresens, dénoncé par Kant, que constitue le « réalisme transcendantal » :
C’est là que Descartes a échoué : face à la plus grande des découvertes, l’ayant déjà faite en quelque manière, il n’en saisit cependant pas le sens véritable, c’est-à-dire le sens de la subjectivité transcendantale, et il ne franchit pas le seuil qui mène à l’authentique philosophie transcendantale.23
17Là où Natorp voyait une continuité du motif cartésien au motif kantien, Husserl discerne lui une rupture fondamentale, qu’il consomme en opposant dès le paragraphe suivant le Je psychologique du cartésianisme au Je transcendantal de la phénoménologie, utilisant donc une distinction kantienne entre aperception transcendantale et perception interne déjà présente dans La théorie cartésienne de la connaissance. Le texte des conférences de 1929, plus synthétique, est plus radical encore sur ce point :
L’expérience de soi, on le sait, n’est pas sans jouer un certain rôle chez Descartes, et jusque dans le fait qu’il la considère comme apodictique, mais il est bien loin d’établir l’ego dans toute la concrétion de sa vie et de son existence transcendantale, et de le considérer comme un champ de recherche qu’il faudrait poursuivre systématiquement dans ses virtualités illimitées. Pour le philosophe, il doit être posé comme central, à titre de vision fondamentale, qu’il soit en mesure, dans la suspension qu’est la réduction phénoménologique, de développer une réflexion cohérente sur ses cogitationes et sur leur contenu purement phénoménologique, et de dévoiler alors, sous ses multiples aspects, son existence transcendantale dans sa vie transcendantalo-temporelle et dans ses capacités propres. Il s’agit là visiblement, d’un parallèle avec ce que le psychologue appelle expérience intérieure ou expérience de soi au sein de la mondanité telle qu’il la présuppose.24
18Ce faisant, comme on peut aisément s’en apercevoir, l’opposition entre Je psychologique et Je transcendantal s’est très nettement déplacée chez Husserl. Ce déplacement tient bien entendu à une entente nouvelle du motif transcendantal lui-même, qui n’implique plus un élargissement du champ de la logique comme le voulaient les néokantiens, mais au contraire un approfondissement du concept d’expérience au fondement de la phénoménologie. D’où l’idée selon laquelle le Cogito ne saurait valoir à titre d’axiome parmi d’autres à obtenir sur son exemple, comme le pose précisément la théorie cartésienne de la connaissance, mais comme le déploiement d’une nouvelle sphère d’expérience qui est également une nouvelle sphère de connaissance :
En fait, au lieu d’exploiter l’ego cogito comme une simple proposition apodictique et comme une prémisse absolument fondatrice, tournons notre attention vers ceci : l’épochè phénoménologique nous a ouvert (ou à moi qui philosophe), grâce au je suis de toute façon apodictique, une sphère d’être infinie d’un type nouveau, précisément la sphère d’un type nouveau d’expérience, l’expérience transcendantale ; mais ainsi est offerte également la possibilité d’une connaissance transcendantale fondée sur l’expérience, donc d’une science transcendantale.25
19Dans les conférences de Paris comme dans les Méditations cartésiennes, Husserl propose ainsi le dépassement d’un motif épistémologique qui n’a rien de proprement, d’historiquement cartésien, mais dont seule la référence au néokantisme permet de restituer une certaine lisibilité.
20Il en va de même au fond dans la Krisis, qui approfondit la généalogie de l’erreur cartésienne (néokantienne) de départ. C’est précisément parce que sa métaphysique contient tous les principes de sa philosophie naturelle, parce qu’elle est vouée à s’achever et à se justifier dans une physique, que Descartes trahit le motif transcendantal qu’il a lui-même découvert. Sur ce point, Husserl retrouve Cassirer. Mais cette affirmation en renferme une autre aux yeux du phénoménologue : c’est aussi en lisant la métaphysique de Descartes d’un point de vue strictement épistémologique, comme méthode précisément, et non comme la base d’une égologie, qu’on se soustrait à ce qu’elle offre au fond de meilleur. Là encore, l’argumentation néokantienne est reprise et retournée contre elle-même :
Ainsi comprend-on pourquoi Descartes, dans sa hâte de fonder l’objectivisme et les sciences exactes de la nature comme garantissant une connaissance métaphysiquement absolue, ne s’est point prescrit la tâche d’interroger systématiquement l’ego pur – en restant de façon conséquente dans l’épochè – sur ce qu’il possède en propre en fait d’actes et de facultés et sur ce dont il est capable en tant qu’activité intentionnelle. C’est parce qu’il ne s’est pas attardé sur ce point qu’il n’a pas vu s’ouvrir pour lui l’importante problématique qui consiste, en partant du monde comme phénomène dans l’ego, à demander systématiquement en retour quelles sont les activités immanentes réellement démontrables de l’ego, auxquelles le monde doit son sens d’être.26
21L’égologie comme science primordiale : telle constitue aux yeux de Husserl la lacune fondamentale tant du cartésianisme que du néokantisme27. C’est dans l’ouverture à ce registre spécifique d’expérience que s’opère, pour le meilleur et pour le pire, le départ entre la version épistémologique tant du kantisme que du cartésianisme, et la phénoménologie. Si cette simple esquisse peut avoir ainsi offert la possibilité de déplacer le débat Husserl-Descartes sur ce théâtre d’opération plus contemporain, elle aura amplement rempli sa tâche.
Notes de bas de page
1 Edmund Husserl, Cartesianische Meditationen und Pariser Vorträge, Stephan Strasser éd., 2e édition, Dordrecht, Kluwer, 1991 (Husserliana. Gesammelte Werke ; 1). On se réfèrera par ailleurs aux deux traductions françaises disponibles, celle de Gabrielle Pfeiffer et Emmanuel Levinas, Méditations cartésiennes, Paris, Vrin, 1969, et celle de Marc de Launay, Méditations cartésiennes et Les conférences de Paris, Paris, PUF, 1994.
2 Depuis l’étude inaugurale d’Oskar Becker publiée du vivant de Husserl, « Husserl und Descartes, im Anschluss an Husserls Méditations cartésiennes » (Archiv für rechts- und Sozialphilosophie, vol. 30, 1936-1937, p. 616-621), plus d’une trentaine d’articles sont parus sur ce seul sujet jusqu’à la fin des années 1990, auxquels il faudrait ajouter une bonne quinzaine d’articles et deux livres (Paul S. Mac Donald, Descartes and Husserl : The Philosophical Project of Radical Beginnings, Albany, State University of New York Press, 2000 ; Jean-Bernard Safou, Husserl et la métaphysique de Descartes, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2002) pour les dix dernières années. Voir, pour le détail des années 1930-1990, Steven Spileers, Edmund Husserl Bibliography, Dordrecht, Kluwer (Husserliana. Dokumente ; 4), 1999. On nous excusera donc de ne pas en produire une liste exhaustive.
3 Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, Paul Ricœur trad., Paris, Gallimard, 1950, notamment IIe section, chap. i-ii, § 27-35.
4 E. Husserl, Cartesianische Meditationen, ouvr. cité, p. 43 (traduction G. Pfeiffer et E. Levinas, ouvr. cité, p. 1) : « Fast könnte man sie danach einen Neu-Cartesianismus nennen, wie sehr sie, und gerade durch die radikale Entfaltung Cartesianischer Motive, genötigt ist, fast den ganzen bekannten Lehrgehalt der Cartesianischen Philosophie abzulehnen. »
5 E. Husserl, Cartesianische Meditationen, ouvr. cité, § 10, p. 63 (traduction Pfeiffer et Lévinas, p. 20) : « Descartes hatte den ernsten Willen zur radikaler Vorurteilslosigkeit. Aber wir wissen durch neuere Forschungen, und insbesondere die schönen und tiefgründigen der Herren Gilson und Koyré, wieviel Scholastik im verborgenen und als ungeklärtes Vorurteil in Descartes’ Meditationen steckt. Aber nicht das allein; zunächst schon jenes oben bereits erwähnte, aus der Bewunderung der mathematischen Naturwissenschaft herstammende und uns selbst als alte Erbschaft bestimmende Vorurteil müssen wir uns vom Leibe halten, als ob es sic hunter dem Titel ego cogito um ein apodiktisches Axiom handle, das im Verein mit aufzuweisenden anderen und dazu ev. Induktiv erklärende Weltwissenschaft ordine geometrico, eben ähnlich wie die mathematische Naturwissenschaft. » Pour les études citées, Alexandre Koyré, Essai sur l’idée de Dieu et les preuves de son existence chez Descartes, Paris, Éditions Ernest Leroux, 1922 ; du même, L’idée de Dieu dans la philosophie de saint Anselme, Paris, Éditions Ernest Leroux, 1923 ; Étienne Gilson, Études sur le rôle de la pensée médiévale dans la formation du système cartésien, Paris, Vrin, 1930.
6 David Rabouin, Mathesis universalis : l’idée de « mathématique universelle » d’Aristote à Descartes, Paris, PUF, 2009.
7 Voir notamment, pour une formulation claire de cette opposition, Edmund Husserl, Die Krisis der europäischen Wissenschaften und die transzendentale Phänomenologie, Walter Biemel éd., La Haye, Martinus Nijhoff (Husserliana. Gesammelte Werke ; 6), 1976, partie II, § 16, p. 74-75, traduction française de Gérard Granel, La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, Paris, Gallimard, 1976, p. 85-86.
8 Sur la lecture marbourgeoise de Descartes, voir en particulier le remarquable article d’Éric Dufour, « Descartes à Marbourg », Descartes en Kant, Michel Fichant et Jean-Luc Marion éd., Paris, PUF, 2006, p. 471-493.
9 Pour les traductions de Buchenau : 1) René Descartes’ philosophische Werke, Abt. 2, Meditationen über die Grundlagen der Philosophie, Leipzig, Dürr, 1904 ; 2) René Descartes’ philosophische Werke, Erste Abteilung, I. Regeln zur Leitung des Geistes. II. Die Erforschung der Wahrheit durch das natürliche Licht, Leipzig, Dürr, 1906 ; 3) René Descartes’ philosophische Werke, Abt. 3, Die Prinzipien der Philosophie : mit einem Anhang enthaltend Bemerkungen René Descartes’ über ein gewisses in den Niederlanden gegen Ende 1647 gedrucktes Programm von Artur Buchenau, Leipzig, Meiner, 1908 ; 4) René Descartes’ philosophische Werke, Abt. 4, Über die Leidenschaften der Seele, Leipzig, Meiner, 1911.
10 Hermann Cohen, Kants Theorie der Erfahrung, 2e édition, Berlin, Dümmler, 1885 (traduction française par Éric Dufour et Julien Servois, La théorie kantienne de l’expérience, Paris, Cerf, 2001) ; Paul Natorp, Descartes’ Erkenntnistheorie, eine Studie zur Vorgeschichte des Kritizismus, Marbourg, Elwert, 1882 ; Ernst Cassirer, Descartes’ Kritik der mathematischen und naturwissenschaftlichen Erkenntnis, diss. Marbourg, Elvert, 1899, repris dans : Leibniz’ System in seinen wissenschaftlichen Grundlagen, Marbourg, Elwert, 1902 (réédité dans la Hamburger Ausgabe, Meiner, 1998).
11 « Husserl an Mahnke, 5. I. 1917 », Briefwechsel, Karl Schuhmann éd., Dordrecht, Kluwer (Husserliana ; 3), 1994, p. 408 (je traduis) : « Kennen Sie übrigens die schöne grosse Schrift von Heimsoeth über Descartes und Leibniz, in den Philosophischen Arbeiten, herausgegeben von Cohen und Natorp? » (Connaissez-vous d’ailleurs le bel et imposant écrit d’Heimsoeth sur Descartes et Leibniz, dans les Travaux philosophiques édités par Cohen et Natorp ?)
12 « Husserl an Natorp, 8. VI. 1917 », Karl Schuhmann éd., Dordrecht, Kluwer (Husserliana ; 5), 1994, p. 127 (je traduis) : « Heimsoeth, Ihren 2ten Privadocenten, haben Sie – er ist Ihnen wohl zu jung – nicht genannt. Auch er macht Ihrer Schule Ehre. Von seinem Descartes-Leibnizbuch habe ich besonders den 2ten Theil genauer gelesen und fand es vorzüglich. » (Vous n’avez pas mentionné votre second Privadocent, Heimsoeth – il est sans doute trop jeune à vos yeux. Pourtant il fait honneur à votre école. De son livre sur Descartes et Leibniz, j’ai en particulier lu avec plus d’attention la seconde partie, et l’ai trouvée remarquable.)
13 Heinz Heimsoeth, Die Methode der Erkenntnis bei Descartes und Leibniz, Giessen, Verlag von Alfred Töpelmann, 1912-1914. Premier cahier : Historische Einleitung. Descartes’ Methode der klaren und deutlichen Erkenntnis (1912).
14 On suivra sur ce point et les suivants l’article d’Éric Dufour, « Descartes à Marbourg », déjà cité.
15 Pour une comparaison plus directe entre Descartes et Kant, voir Michel Fichant, « Du Discours de la méthode à la Methodenlehre », Descartes en Kant, M. Fichant et J.-L. Marion éd., ouvr. cité, p. 19-37.
16 H. Heimsoeth, Die Methode der Erkenntnis, ouvr. cité, p. 84-85 (je traduis et je souligne) : « In der Tat ist es, wie schon ein oberflächlicher Blick auf die Disposition der Cartesischen „prima philosophia“ zeigt, nicht die Ordnung des Seins, der „Dinge wie sie existieren“, sondern die Ordnung der Erkenntnis, die hier verfolgt wird, die „Ordnung der Gründe“, die „von den leichteren zu den schwierigeren“, also von den einfachen zu den komplexeren Begriffen fortschreitet. Nicht von Gott geht Descartes aus, sondern vom Ich, von der Seele. Descartes spricht es häufig genug mit allem Nachdruck aus, dass er, gemäß den Forderungen der Methode, in den Meditationen die Dinge aufgeführt habe, wie sie in der Erkenntnis aufeinander folgen.
Und so führt denn auch eine nähere Betrachtung dieser „Metaphysik“, eine Prüfung ihres Aufbaus auf die eigentlich zentralen Tendenzen hin, mit aller Notwendigkeit und Sicherheit zu der Einsicht, dass unter jenem mittelalterlich anmutenden Titel und in aller vielfältigen Vermischung mit den nach außen hin so stark hervortretenden ontologischen Motiven eine ganz andere Grundeinstellung der Probleme ihr Wirken entfaltet – eben jene, der schon die Methodenlehre entstammte. Das „Fundament“, das in der Metaphysik für die Einzelwissenschaften gelegt wird, ist im Grunde nicht eine Lehre von der Substanz, sondern eine solche von den Prinzipien des Erkennens. »
17 P. Natorp, Descartes’ Erkenntnistheorie, ouvr. cité, p. 20 et p. 34. Sur ce point d’ailleurs, Buchenau suit Natorp dans son commentaire (Meditationen, ouvr. cité, p. 112-118).
18 P. Natorp, Descartes’ Erkenntnistheorie, ouvr. cité, p. 42-43 (je traduis et je souligne) : « Kant hat das Wesentliche des Descartes’schen Idealismus also in Wahrheit nicht aufgegeben, sondern in völliger Übereinstimmung festgehalten, oder vielmehr selbständig wiedergewonnen, und freilich weit tiefer und haltbarer begründet, grade auch durch die bestimmte und ausgesprochene Unterscheidung des Ich der reinen Apperception von dem Ich des inneren Sinnes, und die Erkenntnis, dass das letztere ebenso wohl bloße Erscheinung ist als die Materie. Grade damit erhält das Ich der reinen Apperception einen Charakter der Wirklichkeit, der es von aller Realität blosser Erscheinungen im Raum und der Zeit unterscheidet und unabhängig macht, ohne dass dennoch die Grenze, die unsrer Erkenntnis gezogen ist, überschritten und der bedenkliche Weg der Erdichtung von Wirklichkeit aus bloßen Begriffen betreten wäre.
Man wird hiernach meine Meinung wohl nicht so missverstehen, als ob jeder Unterschied zwischen Descartes und Kant geleugnet oder von dem eigentümlichen Verdienst des Letzteren irgendetwas abgestrichen werden sollte. Ich behaupte nur soviel, dass Descartes’ Lehre, scharf aufgefasst, den Grundgedanken enthält, welcher, consequent zu Ende gedacht, auf die kantische Position hinausführt. Descartes war auf dem richtigsten Wege, indem er zwischen der Begründung dafür, dass ich bin und der Bestimmung, was ich bin, streng unterschied, und die erstere allein darauf stützte, dass in allem Denken nur die Beziehung auf den Gegenstand bezweifelt werden kann, das Denken selbst aber sich seiner Wirklichkeit so gewiss ist, dass selbst jede Möglichkeit des Zweifels ausgeschlossen ist. Indem diese Folgerung ausdrücklich von der Entscheidung darüber, was ich bin, unabhängig gemacht wird, (so dass insoweit sogar offen bleibt, ob ich nicht zuletzt doch Körper bin,) so beruht der Schluss tatsächlich auf Nichts mehr als auf der in jedem Denken eingeschlossenen Beziehung auf ein Ich, d. h. auf der reinen Apperception Kants. »
19 Ibid., p. 44-45 (je traduis et je souligne) : « Nur scheinbar hat uns die Vergleichung zwischen Descartes und Kant vom eingeschlagenen Wege abgeführt. Die Untersuchung des Fundamentes des Cogito, ergo sum führte auf eine Synthesis a priori; die Reduction auf die „reine Apperception“ erklärt, worauf jene ursprüngliche Synthesis, auf die wir hingewiesen wurden, sich gründet. Sie gründet sich auf nichts Weiteres, und bedarf auch keiner weiteren Begründung, eben darum, weil sie die ursprünglichste aller Synthesen ist, die vor jeder andern vorhergeht und mit jeder Erkenntnis, jeder Vorstellung überhaupt, deren ich mir als mir zugehöriger bewusst bin, schon gegeben ist. Jede andre Erkenntnis setzt die Wirklichkeit des Ich voraus, und so wäre es unverständig, sie von irgendeiner andern Erkenntnis erst herzuleiten. Descartes drückt dies damit aus, dass das Cogito, ergo sum der allererste und gewisseste Satz sei, welcher Jedem, der der Ordnung gemäss philosophirt, sich darbiete (Princ. I, 7. 10. Vgl. IX, 442 f.). »
20 E. Dufour, « Descartes à Marbourg », art. cité, p. 489 et suiv.
21 Sur ce point, voir encore David Rabouin, Mathesis universalis, ouvr. cité.
22 E. Cassirer, « Descartes’ Kritik », repris dans E. Cassirer, Gesammelte Werke : Hamburger Ausgabe, Birgit Recki dir., vol. 1, Leibniz’ System in seinen wissenschaftlichen Grundlage, Hambourg, Meiner, 1998, p. 41 (je traduis et je souligne) : « Der Raum bedeutet für Descartes – in seinen wissenschaftlichen Ausgangspunkten – einen Inbegriff von Lagebeziehungen, die durch ihre gemeinsame Beziehung auf ein ursprüngliches, festes System zu einer gesetzlichen Einheit verbunden sind. Es war einer der Grundzüge Descartesschen Denkens, alles räumliche Sein in räumliche Relationen – in Ordnung und Maß – aufzulösen und in ihnen erkennbar zu machen. Im Begriff der ausgedehnten Substanz wird dieses Motiv verlassen: Der Raum wird zur Sache. Seine Substantialität ist die eines „Dinges“, das derart existiert, dass es keines anderen Dinges zu seiner Existenz bedarf. Wieder gelangt hier, was ursprünglich ein reines Prinzip von Denkrelationen war, zu einer absoluten Wirklichkeit, die nachträglich erst durch metaphysische Vermittlungen mit dem Denken wieder in Beziehung treten kann. Die Einwirkung der Metaphysik hat nun auch den Schwerpunkt der wissenschaftlichen Erörterung des Raumbegriffs verschoben. Die „Ausdehnung“, die Descartes seiner Physik zugrunde legt, ist nicht mehr als reines Formgesetz der Ordnung, sondern bereits in der Art stofflicher Existenz gedacht. Die Verbindung von Substanz und Raum sollte ursprünglich das Sein des Raumes in der Idealität des Koordinatenbegriffs begründen, nun wird diese Begründung in dem Dasein des Raumes als Materie gesucht. »
23 E. Husserl, Cartesianische Meditationen, ouvr. cité, § 10, p. 64 (traduction de Launay, p. 69) : « Darin hat Descartes gefehlt, und so kommt es, dass er vor der größten aller Entdeckungen steht, sie in gewisser Weise schon gemacht hat, und doch ihren eigentlichen Sinn nicht erfasst, also den Sinn der transzendentalen Subjektivität, und so das Eingangstor nicht überschreitet, das in die echte Transzendentalphilosophie hineinleitet. »
24 E. Husserl, Pariser Vorträge, ouvr. cité, p. 12 (traduction de Launay, p. 11, modifiée) : « Die Selbsterfahrung, und sogar in der Bewertung als apodiktische, spielt bekanntlich bei ihm [Descartes] selbst eine Rolle, aber das Ego in der ganzen Konkretion seines transzendentalen Daseins und Lebens zu erschließen du als ein systematisch in seine Unendlichkeiten zu verfolgendes Arbeitsfeld anzusehen, das lag ihm ferne. Für den Philosophen muss es als eine fundamentale Einsicht in den Mittelpunkt gestellt werden, dass er in der Einstellung transzendentaler Reduktion konsequent auf seine cogitationes und auf ihren rein phänomenologischen Gehalt reflektieren und dabei allseitig sein transzendentales Sein, in seinem transzendental-zeitlichen Leben und in seinen Vermögen enthüllen kann. Es handelt sich hier offenbar um Parallelen zu dem, was der Psychologe in seiner Weltlichkeit innere oder Selbsterfahrung nennt. »
25 Ibid., p. 11 (traduction de Launay p. 11, modifiée) : « In der Tat, anstatt das ego cogito als einen bloßen apodiktischen Satz zu verwerten und als absolut fundierende Prämisse, lenken wir unser Augenmerk darauf, dass die phänomenologische Epochè uns (oder mir, dem Philosophierenden) mit dem allerdings apodiktischen Ich bin eine neuartige unendliche Seinssphäre freigelegt hat, und zwar als eine Sphäre einer neuartigen, einer transzendentalen Erfahrung. Eben damit aber auch die Möglichkeit einer transzendentalen Erfahrungserkenntnis, ja einer transzendentalen Wissenschaft. »
26 E. Husserl, Die Krisis…, § 19, p. 84 (traduction G. Granel, p. 95, modifiée) : « So versteht es sich, warum Descartes in seiner Eiligkeit, den Objektivismus und die exakten Wissenschaften als metaphysisch-absolute Erkenntnis gewährende zu begründen, sich nicht die Aufgabe stellt, das reine Ego – in der Epochè konsequent verbleibend – systematisch zu befragen nach dem, was ihm an Akten, an Vermögen eignet und was es in ihnen als intentionale Leistung zustande bringt. Das er nicht verweilt, kann sich ihm nicht die gewaltige Problematik erschließen: von der Welt als „Phänomen“ im Ego systematisch zurückzufragen, in welchen wirklich aufweisbaren immanenten Leistungen des Ego die Welt ihren Seinssinn erhalten hat. »
27 Voir pour une démarcation entre Husserl et les néokantiens l’ouvrage d’Iso Kern, Husserl und Kant, La Haye, Martinus Nijhoff, 1964.
Auteur
Maître de conférences à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne
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