Montesquieu, un « cartésien rigide » ?
Texte intégral
Être « cartésien », une revendication d’actualité
1Lorsque la littérature critique discute du « modèle » scientifique dont Montesquieu s’inspirerait pour écrire De l’esprit des lois, le débat entre « cartésiens » et « newtoniens » semble être réactualisé1. Débat vain que l’on ne cherchera donc pas à trancher dans ces termes, mais dont les présupposés vont permettre de poser notre problème : si certains lecteurs ont été tentés de rapprocher le projet de l’Esprit des lois de la référence cartésienne, c’est que celle-ci semble bien majeure dans les écrits où Montesquieu parle de « science ». On ne peut pas se poser la question de la culture scientifique effective de Montesquieu, ni de l’idée qu’il se fait de l’activité du savant, sans interroger ce qu’il emprunte à Descartes. Dans les Lettres persanes, c’est Descartes qui est la figure de celui qui a ouvert la voie aux Modernes. La place qu’il occupe dans la recherche engage donc une conception de la scientificité, de l’histoire des sciences et des savoirs. On pourrait alors replacer cette référence dans le cadre de la querelle des Anciens et des Modernes, et y voir la trace d’un topos que Montesquieu reprend : Descartes premier philosophe que les progrès des sciences relèguent dans un rôle d’initiateur. Ces propos seraient en accord avec la construction d’une certaine image de Descartes, que l’on trouve par exemple chez Fontenelle, qui définit en même temps un bon usage de cette référence. Mais, dans la seule œuvre de Montesquieu où il revendique un travail de « physicien », l’Essai d’observations sur l’histoire naturelle, et qui est contemporaine des Lettres persanes, Montesquieu affirme une actualité de Descartes. Il ne suffit pas de louer Descartes (comme le fera Voltaire, pour souligner l’abîme qui le sépare de Newton et l’impasse du cartésianisme), il faut être « cartésien » ; et comme ce terme peut être des plus confus, tant la nébuleuse « cartésienne » est vaste à l’époque où Montesquieu écrit2, celui-ci précise qu’il se considère comme un « cartésien rigide ». C’est d’abord le sens de cette expression que je voudrais éclairer : qu’est-ce que cela peut signifier de revendiquer l’appellation de « cartésien rigide » en 17213 ?
2Lorsqu’on examine les positions effectives de Montesquieu dans les domaines où il mobilise cette figure du génie en science, la physique des corps inertes et la physiologie, on a l’impression qu’il vide le « cartésianisme » de toute substance, tant ses thèses s’opposent en un sens à celles de Descartes. Cela pour ne rien dire des œuvres où Montesquieu ne parle pas de Descartes, comme l’Essai sur les causes qui peuvent affecter les esprits et les caractères, dans lesquelles le sensualisme qu’il déploie rompt définitivement avec la problématique de la métaphysique des substances. Si Montesquieu emprunte et détourne Malebranche dans cette dernière œuvre4, le cadre dans lequel il inscrit ses réflexions n’a que peu de choses à voir avec celui posé par Descartes. Il faut donc se demander ce que signifie cette « rigidité » louée par Montesquieu ? N’est-ce qu’une formule circonstancielle, dont la portée reste circonscrite à l’Essai d’observations ? Si la figure de Descartes n’apparaît pas dans la grande œuvre de Montesquieu, De l’esprit des lois, elle réapparaît bien dans la Défense de l’Esprit des lois. C’est pour contrer l’attaque lancée par les Nouvelles ecclésiastiques que Montesquieu utilise la référence à Descartes dans sa stratégie de réponse : accusé d’athéisme, il se trouverait dans la même position que Descartes, et il entend tenir ferme face aux critiques qui émanent de l’autorité religieuse. Il faudra aussi interroger ce maintien d’une position « cartésienne » pour éclairer ce que peut signifier cette « rigidité » qu’il revendique dans l’Essai d’observations.
La recherche scientifique : des Principes à l’Essai d’observations
3Dans les Lettres persanes, Usbek fait l’éloge de la « raison humaine »5 à un religieux persan et présente la figure du philosophe cherchant à débrouiller le chaos et à comprendre « l’ordre » de l’Univers. Montesquieu expose la vision mécaniste de la nature, le caractère universel et immuable de ses lois6, et il prend la peine d’énoncer les thèses sur le mouvement tirées des Principes de la philosophie7. Dans le même texte, pour illustrer la fécondité de la voie empruntée, Montesquieu énumère les découvertes scientifiques8 qui renvoient pourtant à une tradition scientifique non cartésienne, soit que les recherches ne s’accordent pas avec la démarche cartésienne (expérimentalistes anglais et hollandais), soit que les résultats contredisent les travaux de Descartes (par exemple sur la vitesse de la lumière). L’énoncé des « principes » cohabite avec des éléments d’observations qui semblent les remettre en cause.
4Il ne faut pas projeter l’image rétrospective de deux voies contradictoires (celle, déductive, qui part des principes, et l’autre empiriste). Si le texte de Montesquieu ne laisse percevoir aucune « tension », c’est d’abord que la voie ouverte par Descartes n’est pas fermée à l’expérimentation9 ; à sa suite, « l’école cartésienne » s’attache à accorder la physique de Descartes aux données de l’expérience qui en contestaient les résultats. Ainsi, parmi les professeurs cartésiens, l’attitude de Rohault10 est exemplaire : il condamne l’empirisme pur tout autant que l’usage exclusif de la raison, et il s’efforce de corriger les points de la physique cartésienne les plus contestés11. Ceux qui critiquent la dérive de « l’école » pour renouveler la physique dans un esprit cartésien (Malebranche, Huygens) font aussi part des découvertes rendues possibles par de nouvelles observations. Ce double aspect se retrouve au début du xviiie siècle dans le « triomphe de la physique cartésienne »12, qu’incarne Fontenelle. Il ne faut donc pas comprendre l’expression « cartésien rigide » comme le signe d’une simple reprise du système cartésien. Et dans la bouche des contemporains le recours nécessaire à l’expérience n’est absolument pas contradictoire avec un « esprit cartésien ».
5« Les observations sont l’histoire de la physique, et les systèmes en sont la fable »13. Par cette double comparaison, Montesquieu place le système du côté de la fable, c’est-à-dire de l’imagination. Les systèmes, constructions de l’esprit humain, s’opposent aux observations qui ancreraient la physique dans la réalité naturelle. Mais le fait qu’il dessine un Projet d’une histoire de la Terre ancienne et moderne (1719)14, qu’il rédige un Essai d’observations sur l’histoire naturelle (1721), autrement dit qu’il se frotte au travail d’observateur, ne signifie pas qu’il faille renoncer aux systèmes et à l’effort systématique, qui est toujours présenté comme une exigence. C’est dans l’Essai d’observations que Descartes est présenté comme un « génie », un esprit systématique, ainsi que Newton. La pluralité des « systèmes » n’invalide pas cet effort systématique ; les systèmes ont bien leur fonction interprétative, ils sont le cadre dans lequel les observations prennent un sens. Alors que chez Bacon l’opposition entre l’histoire et les fables recoupe celle des Anciens et des Modernes15, et désigne une rupture épistémologique, chez Montesquieu elle éclaire les deux faces d’un même projet de connaissance de la nature. Les systèmes restent des fables, comme la fable du Monde de Descartes. Les observations sont historia, description, examen de la nature ; elles sont le moteur de l’enquête physique, elles nourrissent la recherche ; à partir d’elles se dessine l’histoire même de la science et de ses découvertes. Aussi, la tâche laborieuse des savants est-elle de prendre le temps qu’il faut pour faire ces « expériences », car « c’est la seule voie qu’il y ait pour réussir dans un sujet comme celui-ci ; ce n’est point dans les méditations d’un cabinet qu’il faut chercher ses preuves mais dans le sein de la nature même »16. C’est cette voie d’observation que Montesquieu veut suivre, après avoir loué le « système de Descartes » et son « génie », après s’être qualifié lui-même de « cartésien rigide ».
Des corps en mouvement : critique de la physique de Descartes
6Pourtant on peut constater une prise de distance très nette de Montesquieu avec les thèses physiques de Descartes, et cela dès 1720 (l’expression « cartésien rigide » est de 1721). En 1720, dans sa recension sur les dissertations traitant de la pesanteur des corps, Montesquieu critique le travail d’un auteur présenté comme un piètre « géomètre »17. C’est le fait de « suivre absolument »18 Descartes qui est souligné comme un signe d’aveuglement. Le rejet de la dissertation porte autant sur la forme que sur le fond, et le système physique de Descartes est condamné sans ambiguïté : « Ce n’est que ce même système rendu moins probable qu’il ne l’étoit déjà. Il passe les grandes objections que M. Huygens a proposées »19. Avec la Dissertation sur le mouvement relatif de 1723, ce sont les principes mêmes de la physique cartésienne qui sont remis en cause. Cette dissertation de Montesquieu est perdue mais Sarrau de Boynet, qui en fait un résumé, est catégorique lorsqu’il affirme : « Vous sapez le fondement du système cartésien »20. Lorsqu’on sait que c’est justement à ces « fondements » que s’est attaché Descartes, on peut se demander comment interpréter la « rigidité » de celui qui entend déraciner ainsi l’arbre dont parlait la Lettre-Préface aux Principes de la philosophie. Car ce n’est pas une simple inflexion que propose Montesquieu : il sape les fondements, entendus comme ce qui assure absolument la possibilité d’un discours physicien (chez Montesquieu ce discours est complètement déconnecté du discours métaphysique), et comme premiers principes (les caractéristiques de la matière et du mouvement). Une lettre de Dodart21, qui commente le travail de Montesquieu, permet de préciser la nature de l’opposition. La thèse centrale est que le mouvement est essentiel à la matière. Il n’est plus conçu comme une translation dans l’espace, mais comme une activité interne des corps, une propriété essentielle22. Une conséquence importante de cette thèse est qu’il n’y a pas de repos absolu23. Cela ne signifie pas seulement que le mouvement est toujours relatif24, mais que toute matière tend au mouvement et ne peut rester au repos. En imaginant que Dieu anéantisse le mouvement, celui-ci reprendrait de lui-même25. Cela s’oppose à l’idée de création continuée et à l’idée de force telle que l’entend Descartes.
7Admettre, comme Montesquieu, que le mouvement puisse être « causé » par la matière elle-même, c’est remettre en cause le fondement métaphysique de la physique. C’est la raison pour laquelle les thèses développées dans ces textes de 1723 semblent se rapprocher de positions matérialistes26. Le système de Descartes est bien « renversé » ; mais comme tout « système » est voué à être dépassé dans le mouvement de la recherche27, il ne faut peut-être pas voir dans cet abandon de la physique de Descartes un renoncement à faire de la physique comme Descartes. Au contraire, si l’on constate que les thèses de Descartes sont très vite apparues intenables telles quelles, on peut penser que le renversement de Descartes est nécessaire ; c’est en s’écartant de sa physique (de son système), que l’on peut à la fois renouveler la physique et maintenir l’esprit du premier physicien.
8Ainsi, lorsqu’on examine la structure des discours académiques de Montesquieu, on voit bien que les recherches des savants s’inscrivent pour lui dans un cadre cartésien28. Ces discours ne présentent pas les thèses de Montesquieu, mais révèlent la fonction qu’il assigne à l’institution académique et l’état d’esprit qui doit caractériser le scientifique. À travers la recension des différentes dissertations proposées au concours de l’académie de Bordeaux, on peut découvrir les critères que Montesquieu met en œuvre pour retenir ou écarter la thèse d’un auteur, et donc, en creux, ce qu’il considère comme les caractéristiques d’un discours « physicien ». Or il est remarquable que dans le Discours sur la cause de la pesanteur des corps (1720) le questionnement qu’il met en œuvre s’organise autour de la référence à Descartes, là où on aurait pu s’attendre à trouver une référence à Newton. L’enjeu de l’examen des dissertations semble être : dans quelle mesure peut-on maintenir l’hypothèse des tourbillons ? Ce qui est en débat, c’est la modalité d’action de ces tourbillons (la thèse couronnée, celle de Bouillet, reprend ce qu’on appelle l’hypothèse de Malebranche-Fontenelle29). Le discours met en scène la référence à Descartes, pour signifier le point de départ d’une recherche authentique et l’élan que doivent poursuivre les savants dans la révision d’un système, la discussion des objections, le renouvèlement des observations. Cette attitude montre aussi comment Descartes est d’abord reçu, dans le champ de la recherche physicienne, comme l’auteur d’une doctrine en débat, naturellement ouverte aux objections. Tous les textes de Montesquieu, des Lettres persanes aux discours académiques30, s’accordent pour souligner l’importance d’un moment cartésien qui signale l’entrée dans l’ère de la modernité. Ainsi la figure de Descartes est-elle instrumentalisée pour justifier une périodisation de l’histoire des sciences et des arts31 : c’est Descartes qui ouvre la nouveauté de la recherche, en rompant ouvertement avec les Anciens. C’est dans ce cadre que Montesquieu estime qu’il est d’actualité de rappeler « la règle » de ce maître. Il faut donc croire qu’à ses yeux, certains chercheurs, tout en se réclamant de la modernité, dévient dangereusement : ce n’est pas seulement qu’ils s’égarent, c’est qu’avec eux la belle entreprise inaugurée par le premier philosophe est remise en cause. S’il hérite des termes des débats qui ont animé la « querelle », l’enjeu de cette mise en scène de la figure de Descartes semble s’être déplacé : ce n’est pas contre des défenseurs attardés de la scolastique que Montesquieu organise son propos, mais contre des « modernes »32 qui remettent en cause la possibilité même d’une recherche authentique.
Descartes et Newton : éloge de la poursuite de la recherche
9Dans l’Essai d’observations, après s’être défini comme « cartésien rigide », Montesquieu souligne la continuité qui existe entre les génies : « Newton sera toujours Newton, c’est-à-dire le successeur de Descartes »33. Cette expression est paradoxale et importante. Elle est paradoxale en ce sens qu’elle semble ne pas percevoir la différence entre les deux approches scientifiques, et qu’elle semble minimiser l’originalité de Newton. Mais elle est assurément importante pour éclairer la « rigidité » de Montesquieu. Pour bien comprendre le sens et la portée de la formule, il faut la situer dans le débat entre « cartésiens » et « newtoniens » qui, en 1721, est loin d’être clos en France. Dans son éloge de Newton34, Fontenelle, qui peut servir ici de repère, souligne un aspect que l’on retrouve chez les deux savants (sans pouvoir dire exactement qu’il est « commun ») : l’importance de la géométrie dans l’élaboration d’un système physique. Mais c’est aussitôt pour insister sur la supériorité de Newton dans sa démarche qui repose sur l’expérience ; pourtant le discours est tourné de telle sorte que rien ne puisse être retranché à la gloire de Descartes. Aussi faut-il confronter cet éloge à ceux que Fontenelle fait des « cartésiens » ou d’autres savants35, pour mesurer en quoi Descartes reste le « premier », et donc en quel sens Newton ne peut être qu’un « successeur ». Montesquieu semble encore plus radical que Fontenelle sur ce point, puisqu’il n’expose même pas la divergence d’approche des deux physiciens. Pour Fontenelle, l’attitude « modeste » de Newton et l’expérimentation fondée sur les phénomènes s’accorde mieux avec un certain scepticisme36 que la « présomption » de Descartes37. Mais ce sont les mêmes raisons qui le conduisent à se méfier de l’idée d’attraction38. En toute logique, Fontenelle mènera donc la « résistance cartésienne ». Les deux systèmes peuvent conduire à des excès. D’où l’effort pour limiter ces « systèmes » dans leur confrontation, pour régler les dérives de l’un par des réserves issues de l’autre. Ceci est manifeste dans l’attitude de l’Académie des sciences, qui s’efforce d’orienter dans le sens de la physique expérimentale le dogmatisme cartésien, mais qui va aussi marquer fermement les limites de la méthode inductive en refusant de reconnaître intégralement le newtonisme, et en rejetant la physique de l’attraction39. C’est sans doute ce qui conduit Fontenelle à être le plus rigide des cartésiens, si l’on entend par là celui qui maintient inflexiblement le système des tourbillons (présenté dans les Entretiens sur la pluralité des mondes, et maintenu dans la Théorie des tourbillons cartésiens40). L’Essai d’observations, en insistant davantage sur une filiation possible entre Descartes et Newton, semble préfigurer l’attitude conciliante des « résistants cartésiens » dans les années 1740, qui acceptent la victoire de fait des positions newtoniennes sans renoncer pour autant à « l’esprit cartésien »41. Ainsi, dans l’Essai d’observations, l’observation d’un insecte semble confirmer le « système des couleurs » de Newton, mais dans le Spicilège une note oppose les « découvertes » de Newton sur ce point et la « vraie philosophie »42 de Descartes.
10On peut encore comparer les « éloges » que fait Montesquieu avec la position de Voltaire telle qu’elle apparaît dans les Lettres philosophiques (1734). Celui-ci ne marque la rupture que Descartes introduit par rapport à l’Antiquité que pour le renvoyer aux errances des Anciens : la libération des esprits est incomplète lorsque dérive d’elle l’esprit de système43. Autrement dit, il y a un lien entre la nature de la doctrine, la méthode physicienne déployée et la vigueur d’une pensée authentique : Descartes, qui rompt avec la vieille physique, déploie des principes métaphysiques qui ne permettent pas vraiment de consommer la rupture. Il reste « prisonnier » de l’état d’esprit qu’il dénonce et qu’il renouvèle. C’est avec Locke et Newton, qui renversent respectivement l’innéisme et la physique, que l’entreprise philosophique peut véritablement commencer. En mimant le discours de Fontenelle, Voltaire insiste sur l’immensité du chemin ouvert par Descartes ; mais c’est pour souligner avec une ironie féroce que c’est une voie sans issue44. La mise en scène voltairienne vise à valider l’abîme qui existe entre Descartes et Newton ; Voltaire rejoue contre les cartésiens le geste qui avait entraîné l’instrumentalisation de la figure de Descartes dans la querelle. Dans cette nouvelle périodisation de l’histoire des sciences, Descartes est rejeté dans les limbes de la science moderne, à l’âge encore incertain où l’esprit humain reste en proie aux plus vives imaginations. On voit qu’en présentant Newton comme le « successeur » de Descartes, Montesquieu dessine une autre histoire des sciences et de l’esprit humain que Voltaire45.
11Si l’on poursuit chronologiquement46 l’examen de ces éloges comparés de Descartes et Newton, pour sentir rétrospectivement la particularité de la position de Montesquieu, on verra aussi comment elle se distingue de celle de d’Alembert dans le Discours préliminaire (1751). Descartes apparaît relégué dans un premier âge de la science ; il paye un tribut à l’erreur, qui est inévitablement première. Aussi le titre de « premier philosophe » lui est-il attribué sans difficulté, dès lors qu’il est vidé de toute prétention à valoir dans l’actualité de la recherche. D’Alembert conclut ainsi l’examen des tourbillons : « Reconnaissons donc que Descartes, forcé de créer une physique toute nouvelle, n’a pu la créer meilleure ; qu’il a fallu, pour ainsi dire, passer par les tourbillons pour arriver au vrai système du monde ; et que s’il s’est trompé sur les lois du mouvement, il a du moins deviné le premier qu’il devait y en avoir »47. Si, à la lettre, Montesquieu ne dit pas autre chose dans le Discours sur la cause de la pesanteur, il n’en reste pas moins que la physique que promeut d’Alembert ne saurait se réclamer de Descartes. Si d’Alembert semble mieux rendre justice à Descartes, c’est qu’il inscrit, au final, son propos dans la lignée du Fontenelle sceptique48 : on retient le doute pour abandonner la physique, on loue la liberté d’esprit pour n’avoir plus à soutenir le cartésianisme. « S’il a fini par croire tout expliquer, il a du moins commencé par douter de tout ; et les armes dont nous nous servons pour le combattre ne lui appartiennent pas moins parce que nous les tournons contre lui »49. Or en ce sens, la position de Montesquieu n’est pas « molle », ou consensuelle, car ce qu’il entend maintenir c’est bien l’idée d’une physique qui pourrait se réclamer du « maître »50.
Corriger Descartes : le libre examen
12Le fait est courant au xviiie siècle d’invoquer Descartes pour corriger Descartes51 : « Descartes a enseigné à ceux qui sont venus après lui, à découvrir ses erreurs mêmes. Je le compare à Timoléon52 qui disait : “Je suis ravi que, par mon moyen, vous ayez obtenu la liberté de vous opposer à mes désirs” »53. Montesquieu est ici très proche de Fontenelle, pour qui la méthode cartésienne est incompatible avec sa métaphysique. Aussi la méthode ouverte aux observations doit permettre de corriger les déviances de Descartes : « C’est lui, à ce qu’il me semble, qui a amené cette nouvelle méthode de raisonner, beaucoup plus estimable que sa philosophie même, dont une bonne partie se trouve fausse ou incertaine, selon les propres règles qu’il nous a apprises »54. Un autre tort de Descartes, aux yeux de Fontenelle, est « d’avoir cru la science achevée alors qu’elle était encore au berceau »55. Montesquieu qui conçoit la science comme « recherche » s’accorderait également avec une telle position. L’opposition aux thèses de Descartes n’est pas contradictoire avec la fidélité que Montesquieu revendique, car Descartes lui-même aurait engagé à ces corrections. Malebranche avait déjà relevé ce point, pour prévenir d’éventuelles objections sur son attachement pour une physique fausse. Il n’entend pas défendre Descartes envers et contre tous, mais tout examiner, comme il l’a enseigné. Malebranche insiste sur la libération permise par Descartes dans sa critique de l’autorité ; en la tournant contre Descartes même, il montre qu’il n’est pas un disciple aveugle, mais qu’il est fidèle à l’esprit de libre examen de son maître56. Montesquieu est ici très proche de Malebranche pour penser le rapport à Descartes, aussi c’est un enjeu véritable dans l’Essai d’observations de se distinguer des malebranchistes. Car si tout le monde peut se réclamer de Descartes, il faut bien à un moment faire un tri, et désigner les enfants légitimes.
13Ainsi le « cartésianisme critique »57 de Montesquieu peut s’entendre comme un « cartésianisme authentique », ou « rigide ». Poursuivre l’œuvre de Descartes, c’est continuer dans sa voie, suivre sa trace et tracer une voie nouvelle. Se détacher de lui, c’est manifester son attachement pour la liberté qu’il a permise : « Je disais : “Descartes est comme celui qui couperait les liens de ceux qui sont attachés : il courrait avec eux, il s’arrêterait en chemin ; il n’arriverait pas peut-être. Mais qui est-ce qui aurait donné au premier la faculté d’arriver ?” »58 Descartes n’apparaît pas comme le maître qui engendre une nouvelle « école ». Contre la pensée scolastique, pensée de « copistes »59, et contre la figure du maître qui révèle la vérité et la fixe dans des dogmes (Pythagore incarne pour Montesquieu cette tradition60), Descartes engage chacun à penser par soi-même. Il ne faut pas le croire infaillible, il faut s’opposer à ses thèses lorsqu’elles sont fausses61 : on fait preuve d’une véritable fidélité en l’éprouvant, car on montre ainsi comment il a formé les esprits.
14Mais justement, on attribue le qualificatif de « cartésiens rigides » à ceux qui sont incapables de penser par eux-mêmes, et qui reconduisent, sans s’en rendre compte, l’état d’aveuglement propre à la scolastique. Ainsi le père Castel précise-t-il : « J’appelle Cartésiens rigides, les premiers Cartésiens, ou même certains de nos jours, qui ne connoissant que Descartes, suivent son système avec une docilité pareille à celle qu’ils ne cessent de reprocher aux Sectateurs62 d’Aristote ; car on connoît bien les défauts dans la personne d’autrui, & Descartes méritoit bien aussi d’avoir ses Copistes, & ses Commentateurs »63. Ce type de commentaire est assez commun, on le retrouve sous la plume du père jésuite Daniel64. Il imagine un voyage qui conduit l’âme de l’auteur présumé jusqu’à l’esprit de Descartes, flottant dans un monde parallèle. À l’occasion de la rencontre avec un « vieillard cartésien » qui inaugure ses aventures, l’auteur remarque : « Dans le tems que vous leur faites ce reproche, vous tombez dans le même défaut, paroissant plus entêtez cent fois de Descartes qu’ils ne le sont d’Aristote. Pour moi je ne sçaurois blâmer en cela la conduite de ces Cartésiens un peu mitigez, contre lesquels vous vous chagrinez. Si leur raison leur montre un autre chemin que celui que M. Descartes a tenu, pourquoi ne voulez-vous pas qu’ils le suivent ? »65 S’il vaut la peine de citer ces textes, c’est qu’il faut bien relever que, en 1721, dans l’Essai d’observations, Montesquieu inverse volontairement le sens des dénominations communes : il revendique le titre de « cartésien rigide », alors que l’expression est connotée péjorativement, et il blâme les « cartésiens mitigés », qui sont ordinairement loués pour leur sens critique. Cela montre à quel point le discours est construit en un sens polémique : du coup, le sens précis de l’expression « cartésien rigide » n’apparaît que relativement à la thèse physiologique qu’il défend, et aux adversaires qu’il entend combattre.
Dans les tulipes
15Les thèses explicatives avancées dans l’Essai d’observations sur l’histoire naturelle ne reprennent pas strictement celles de Descartes. Montesquieu actualise dans un schéma fibrillaire qui trouve sa source dans l’iatromécanisme, dans des travaux de chercheurs postérieurs à Descartes. Mais dans le contexte de l’étude des végétaux, ce que Montesquieu affirme c’est qu’il faut se montrer strictement physicien, c’est-à-dire qu’il faut chercher à comprendre la production des plantes uniquement à partir d’un schéma mécaniste66. Ce qui est visé par cette remarque, c’est la thèse des « modernes », qui mettent des graines partout, autrement dit, des préformationistes qui, à la suite de Malebranche, imaginent qu’ils peuvent voir une tulipe en abrégé dans les oignons de tulipe67. L’Essai d’observations est une œuvre extrêmement composée ; la pars destruens invalide les thèses de ces savants en les confrontant à l’observation de faits polémiques, et s’articule dans un second temps à un essai d’épigenèse fibrillaire. Les critiques contre les travaux de Geoffroy et d’Andry68 visent aussi la philosophie de Malebranche dont ils s’inspirent. C’est donc le cartésianisme dévot qui est attaqué et le « grand système de Descartes » est loué parce qu’il engage le savant à s’interroger sur la nature en dehors de toute perspective théologique.
16Ce que le texte de l’Essai d’observations revendique, c’est la possibilité d’une science débarrassée de toute théologie. Ce qui s’entend de deux façons : les thèses théologiques n’ont pas de valeur en science et la valeur d’un discours scientifique ne peut être déterminée au regard de la théologie. Le regard droit du savant doit s’exercer librement ; le « cartésien rigide » est celui qui ne plie pas face au discours théologique. C’est contre le père Malebranche et ses épigones que Montesquieu utilise cette expression : les dogmes théologiques sont un obstacle à la recherche en science. En faisant de la production des plantes un domaine « à part », on sacrifie à l’unité de l’explication, on se met en contradiction avec les principes fondamentaux de la physique ; de plus, l’hypothèse d’une « providence particulière » permettrait de tout justifier sans rien expliquer véritablement, elle est bien contraire à la démarche scientifique. Elle est aussi contraire au principe d’économie de l’action divine que pose Malebranche lui-même. Montesquieu le relève avec ironie : c’est le cartésien rigide qui est conséquent, c’est le « système [de Descartes] qui soulage si fort la Providence, qui la fait agir avec tant de simplicité et de grandeur »69. Il faut arrêter de faire appel à des « providences particulières » pour soulager Dieu et le chercheur : soulager Dieu d’une explication qui ne fait que manifester l’ignorance humaine ; soulager le savant d’une explication qui le soumettrait à une autorité extérieure. Seuls des chercheurs « laissés à eux-mêmes »70 peuvent vraiment étudier la nature.
La Défense de l’Esprit des lois et les « sciences humaines »
17Si l’enjeu de cette référence à Descartes déborde la simple étude de la génération des végétaux et touche à la possibilité même de mener une recherche sans carcan théologique, il n’est pas étonnant de la retrouver dans la Défense de l’Esprit des lois. Ce qui importe, c’est donc moins le contenu de la doctrine cartésienne, qui n’est pas évoqué, que l’usage qui est fait d’une figure. Le rapport à Descartes qui définit le fait d’être cartésien n’engage pas un examen doctrinal, il se manifeste dans la fonction stratégique que Montesquieu lui assigne.
18La stratégie a deux versants, et Descartes en est le pivot central : il s’agit d’abord de renvoyer les théologiens à leurs études théologiques71, en réaffirmant la séparation que Descartes avait posée entre ce qui relève de la foi et ce qui relève de la connaissance, entre deux langages, dont le propos et le sens sont fondamentalement différents. La théologie « a ses formules »72 ; Montesquieu tient un autre discours au lecteur, qui verra alors par lui-même que ses pensées ne sont pas « mauvaises ». C’est le second versant de la stratégie, qui consiste à montrer que les recherches engagées ne conduisent pas à des positions condamnables73. Révéler l’aveuglement des critiques doit permettre de prévenir les lecteurs, en les formant au regard qu’il faut porter sur l’ouvrage. La différence des domaines entre théologie et étude des lois fait qu’on ne peut juger de l’un qu’en adoptant son point de vue ; ou alors, on s’attaque à l’attitude de recherche elle-même74. Montesquieu se place du côté de la « science ». Il s’agit de radicaliser les enjeux du débat en montrant que les attaques qu’il subit sont une remise en cause de la modernité75. C’est ici qu’intervient la figure de Descartes, qui est présenté à la fois comme l’initiateur des sciences et le défenseur de la religion : « Descartes est bien propre à rassurer ceux qui, avec un génie infiniment moindre que le sien, ont d’aussi bonnes intentions que lui : ce grand homme fut sans cesse accusé d’athéisme ; et l’on n’emploie pas aujourd’hui contre les athées de plus forts arguments que les siens »76. Montesquieu se place dans la même situation que ce maître, en cartésien rigide.
19Les « sciences humaines » supposent un espace de dialogue entre des « gens raisonnables qui aiment les raisons »77. La « science » ne désigne ici qu’un savoir « humain », qui s’oppose au savoir théologique, et il ne s’agit pas de prendre modèle sur une science constituée, dont Montesquieu ne parle nulle part. S’il veut bien corriger certaines formulations, il n’entend pas plier sous les critiques ; en cartésien rigide il continuera à parler « librement »78. Il semble bien qu’une même attitude soit maintenue des Lettres persanes à l’Esprit des lois. La rigidité invoquée dans l’Essai d’observations n’est donc pas de circonstance, et elle ne doit pas se comprendre seulement comme une rigueur scientifique que Montesquieu devrait à son maître.
Contre les préjugés : la préface de l’Esprit des lois
20Descartes libère les hommes des préjugés et des superstitions. Un texte fait de lui celui qui aurait pu empêcher la colonisation des Indiens : Descartes apparaît comme celui qui aurait pu donner des « armes »79… contre Cortez80. Montesquieu semble reprendre ici un texte célèbre de Descartes sur l’utilité de la « philosophie » et sur l’opposition entre nation sauvage et civilisée81, ce qui lui permet de manifester une filiation et d’opérer un déplacement (Descartes au Mexique !). La lutte contre les préjugés se retrouve mise en œuvre dans un contexte politique et historique. Il ne s’agit plus d’une voie personnelle qui vise l’élaboration d’une connaissance certaine comme chez Descartes ; mais la libération des préjugés d’un peuple engage une collectivité, son enjeu est politique (dans le texte il en va de l’existence même de la collectivité indienne). Corrélativement les préjugés ne sont pas seulement ceux d’un individu (élevé par une nourrice), mais ceux d’un peuple particulier. Cette dimension sociale des préjugés devient centrale dans l’interrogation de Montesquieu, qu’il s’agisse de voir ce qui peut affecter un esprit particulier ou l’esprit d’un peuple, comme dans l’Essai sur les causes qui peuvent affecter les esprits et les caractères. Ainsi la préface de l’Esprit des lois peut faire écho à Descartes82, mais son objet reste propre : il s’agit de libérer les hommes de préjugés qui se sont formés au cours de l’histoire de leur pays, et ceci dans un but politique.
21La physique de Descartes importe par l’essai qui s’y manifeste, et qu’il faut essayer de poursuivre. Descartes, par le regard qu’il porte sur le monde, nous conduit à voir autrement. Ce n’est pas seulement une vision du monde qu’il transmet, c’est une faculté qu’il donne à exercer lorsque l’on considère comment il l’a exercée lui-même83. Renouveler Descartes c’est nécessairement le dépasser, c’est user de cette faculté pour voir plus loin, pour continuer à voir le monde d’un regard neuf. Aussi l’exercice de cette faculté ne se limite pas aux sciences : « Les princes sont si fort environnés du cercle de leurs courtisans, qui leur dérobent tout et leur ôtent la vue de tout, que celui qui viendrait à voir clair serait comme Descartes, qui sortit des ténèbres de la vieille philosophie »84. L’analogie indique que l’essentiel n’est pas dans une physique qui pourrait servir de modèle (elle est périmée). Par contre, on pourrait trouver dans l’Esprit des lois un geste cartésien qui anime la préface, et qui donne sens au projet d’un « écrivain politique »85 : il s’agit d’éclairer ceux qui commandent et le peuple même86, il s’agit d’interroger les préjugés dans leur dimension sociale afin d’exercer la raison humaine dans son œuvre législatrice87. Éclairer, c’est donner les raisons des situations après les avoir examinées, c’est donner à voir. Le cartésien « rigide », qui acquiert sa liberté par un retour sur soi, s’oppose ainsi à l’homme « flexible », ignorant de sa condition, « se pliant dans la société aux pensées et aux impressions des autres »88.
Notes de bas de page
1 Alberto Postigliola, « Montesquieu entre Descartes et Newton », Montesquieu. Les années de formation (1689-1720), Catherine Volpilhac-Auger éd., Naples/Paris/Oxford, Liguori/Universitas/Voltaire Foundation, 1999, p. 91-108, ici p. 93.
2 Charles-Jacques Beyer, « Montesquieu et l’esprit cartésien », Actes du congrès Montesquieu, Bordeaux, Delmas, 1956, p. 159-173.
3 Le 20 novembre 1721 : il s’agit de la date où a été lu publiquement l’Essai d’observations sur l’histoire naturelle à l’académie de Bordeaux. Certains passages ont pu être rédigés antérieurement ; voir Montesquieu, Œuvres complètes, t. VIII, Œuvres et écrits divers, Pierre Rétat dir., Oxford, Voltaire Foundation, 2003, p. 189. Dans la suite, les références aux Œuvres complètes de Montesquieu éditées à la Voltaire Foundation seront abrégées OC et suivies du numéro de volume et du numéro de page.
4 Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à notre étude, Montesquieu. De l’étude des sciences à l’esprit des lois, Paris, Honoré Champion, 2008, p. 754-768 et p. 782-792.
5 Lettres persanes, 97 (94), p. 274. Nous indiquons entre parenthèses la numérotation de l’édition des lettres de 1721. Nous renvoyons à la numérotation et à la pagination de l’édition des Œuvres complètes dans la Pléiade (Roger Caillois éd., Paris, Gallimard, 1949-1951, 2 volumes). Sauf indication, les références aux œuvres de Montesquieu renvoient à cette édition.
6 Voir aussi Discours de réception à l’académie de Bordeaux [1717], p. 8 ; OC VIII, p. 112.
7 « La première est que tout corps tend à décrire une ligne droite [l’ensemble de la citation suit l’ordre d’exposition des Principes, II, § 39], à moins qu’il ne rencontre quelque obstacle qui l’en détourne [Principes, II, § 37 et III, § 65] ; et la seconde, qui n’en est qu’une suite, c’est que tout corps qui tourne autour d’un centre tend à s’en éloigner [Principes, III, § 54], parce que, plus il en est loin, plus la ligne qu’il décrit approche de la ligne droite [Principes, III, § 58 et suiv.] » (Lettres persanes, 97 [94], p. 275).
8 Pour les références détaillées auxquelles renvoie cette liste, voir OC I, p. 394-395.
9 Voir Discours de la méthode, VI, AT VI, p. 63-65.
10 Montesquieu possède son Traité de physique (Paris 1671 ; Catalogue, no 1542 : Paris 1705). Voir la thèse des « modernes » dans le Discours sur la transparence des corps, OC VIII, p. 239. Les références au Catalogue renvoient à Louis Desgraves et Catherine Volpilhac-Auger, Catalogue de la bibliothèque de Montesquieu à La Brède, Naples/Paris/Oxford, Liguori/Universitas/Voltaire Foundation, 1999.
11 Voir Claire Salomon-Bayet, L’institution de la science et l’expérience du vivant, Paris, Flammarion, 1978, p. 98-101.
12 Titre du chapitre consacré à Fontenelle dans l’ouvrage de Paul Mouy, Le développement de la physique cartésienne 1646-1712, Paris, Vrin, 1934.
13 Montesquieu, Pensées, no 163, p. 222. Pour Mes pensées et le Spicilège nous renvoyons à la numérotation et à la pagination de l’édition de Louis Desgraves, Paris, Robert Laffont, 1991.
14 Voir OC VIII, p. 177-184.
15 Voir Francis Bacon, Novum organum, livre I, aphorisme 72.
16 Montesquieu, Essai d’observations…, p. 39.
17 « L’auteur, qui affecte l’ordre d’un géomètre, ne l’est point » (Discours sur la cause de la pesanteur des corps, p. 24).
18 Ibid., p. 25. Nous soulignons.
19 Ibid., p. 25. Sur ces objections, voir OC VIII, p. 231.
20 Dans Montesquieu, Œuvres complètes, André Masson éd., 3 volumes, Paris, Nagel, 1950-1955, t. III, p. 125. Voir le compte rendu dans les Nouvelles littéraires du 15 janvier 1724, OC VIII, p. 266.
21 Lettre du 28 décembre 1723, OC XVIII, p. 73-79.
22 Ceci s’oppose directement aux Principes de la philosophie, II, § 25, AT IX-2, II, p. 76.
23 C’est le deuxième point relevé dans la lettre de Dodart. Voir aussi Pensées, ouvr. cité, no 136, p. 217-218 (ou le même texte, Spicilège, no 281, p. 741-742).
24 Cette relativité peut très bien s’accorder avec la conception du mouvement et du repos chez Descartes (elle est énoncée aux Principes, II, § 24). Sur ces points voir Vincent Carraud et Frédéric de Buzon, Descartes et les « Principia » II, Paris, puf, 1994, p. 79-111.
25 L’hypothèse que fait Dodart d’un anéantissement du mouvement de la matière par Dieu pour dire qu’elle « le reprendrait sur le champ tout entier » s’oppose explicitement à Descartes : « Je considère la matière laissée à elle-même, et ne recevant aucune impulsion d’ailleurs, comme parfaitement en repos » (Lettre à Morus, août 1649, FA III, p. 933).
26 Sans que l’on puisse dire qu’il s’agit de thèses matérialistes. Voir Jean Ehrard, L’idée de nature en France dans la première moitié du xvıııe siècle, Paris, Albin Michel, 1994 [1963], p. 102 ; Denis de Casabianca, « Des objections sans réponse ? À propos de la “tentation” matérialiste de Montesquieu dans les Pensées », Revue Montesquieu, no 7, 2003-2004, p. 135-156.
27 Voir Discours de réception à l’académie de Bordeaux [1717], p. 7 ; OC VIII, p. 111-112.
28 Alberto Postigliola établit cela clairement à propos du Discours sur la cause de l’écho (1718), voir « Montesquieu entre Descartes et Newton », art. cité, p. 97-99.
29 Voir le commentaire précis que fait Jean Ehrard de cette dissertation, L’idée de nature en France…, ouvr. cité, p. 66-67 ; A. Postigliola, « Montesquieu entre Descartes et Newton », art. cité, p. 107.
30 Prononcés de 1717 à 1725.
31 De même chez Fontenelle : « Tel fut l’état des Mathématiques, et surtout de la Philosophie, jusqu’à Descartes. Ce grand homme, poussé par son génie et par la supériorité qu’il se sentoit, quitta les Anciens pour ne suivre que cette même raison que les Anciens avoient suivie ; et cette heureuse hardiesse qui fut traitée de révolte, nous valut une infinité de vues nouvelles et utiles sur la Physique et la Géométrie. Alors, on ouvrit les yeux, et l’on s’avisa de penser » (Bernard de Fontenelle, « Préface de l’Analyse des infiniment petits de M. le marquis de l’Hopital », Œuvres complètes, Alain Niderst éd., t. III, Paris, Fayard, 1989, p. 239). Montesquieu souligne que la physique des Anciens est entièrement fausse (Pensées, ouvr. cité, no 211, p. 245-246). Voir Discours de réception l’académie de Bordeaux [1717], p. 8 ; OC VIII, p. 112.
32 Qualificatif utilisé pour désigner ceux qui ne sont pas des « cartésiens rigides » dans l’Essai d’observations, p. 33 et p. 35.
33 Essai d’observations, p. 43 ; OC VIII, p. 223.
34 B. de Fontenelle, Œuvres complètes, Alain Niderst éd., t. VII, Paris, Fayard, 1996, p. 111-136.
35 Dans l’éloge de Régis, il insiste sur la nouveauté de la physique de Descartes ; celle-ci est qualifiée de « vraie philosophie » dans l’éloge de Sauveur. Voir également les éloges de Malebranche, Varignon, Tournefort ; les exemples sont innombrables.
36 Ce que l’on peut retrouver chez Montesquieu, lorsqu’il dit que la vérité échappe toujours. Voir Discours de réception à l’académie de Bordeaux [1717], p. 8 ; OC VIII, p. 111.
37 Dans les Nouveaux dialogues des morts (1683), il ne semble rester du cartésianisme que le doute : les prétentions de Descartes sont rabattues dans sa confrontation avec l’imposteur Démétrius, et il ne reste plus que l’espérance partagée par tous de continuer à chercher. Mais cet amour de la vérité n’apparaît plus comme l’apanage des Modernes.
38 Voir J. Ehrard, L’idée de nature en France…, ouvr. cité, p. 152.
39 Sur tous ces points, que nous présentons d’une façon simplifiée, voir J. Ehrard, L’idée de nature en France…, ouvr. cité, p. 125-178.
40 Ce dernier ouvrage est publié dans l’anonymat en 1752, alors que Fontenelle a quatre-vingt-quinze ans. Même s’il ne prend pas la responsabilité de la publication de ce texte rédigé depuis des années, le simple fait qu’il laisse publier indique qu’il ne le considère pas comme un discours rétrograde. Chez Montesquieu, le Discours sur la cause de la pesanteur des corps suppose le cadre tourbillonnaire. Le passage de l’Esprit des lois (livre III, chap. vii) qui fait référence au « système de l’univers » aussi, signe qu’en 1748, rien n’indique que Montesquieu ait sur ce point une vision fondamentalement différente de celle qu’il développe en 1720.
41 Avec la volonté de maintenir le mécanisme, car c’est bien ainsi que Fontenelle (Descartes est « le premier qui eut la pensée d’expliquer mécaniquement la formation de la terre ») et que Montesquieu (les philosophes « ont débrouillé le Chaos et ont expliqué, par une mécanique simple ») entendent l’esprit cartésien. Voir la position, en 1742, de Dortous de Mairan, secrétaire de l’Académie des sciences : « Le mécanisme comme cause immédiate de tous les phénomènes de la nature, est devenu dans ces derniers temps le signe distinctif des cartésiens ; car à quoi les reconnaîtrait-on sans cela, lorsqu’ils font profession de recevoir toutes les découvertes des Modernes, et principalement celles de Newton ? C’est là l’esprit du cartésianisme ; les explications particulières que nous a laissées Descartes n’en sont, pour ainsi dire, que le marc » (cité par J. Ehrard, L’idée de nature en France…, ouvr. cité, p. 158).
42 Spicilège, ouvr. cité, no 591, p. 840. Nous soulignons. Le pasteur Saurin a défendu Descartes dans une Solution d’une difficulté proposée contre l’explication cartésienne de la pesanteur (Journal des savants, 1703) ; il est élu en 1707 à l’Académie des sciences.
43 Voltaire, Lettres philosophiques, treizième lettre.
44 Voltaire, Lettres philosophiques, quatorzième lettre.
45 Montesquieu épingle violemment Voltaire, qu’il compare à un charlatan qui cherche à répandre les « prodiges » de la physique newtonienne (Pensées, ouvr. cité, no 1380, p. 469).
46 De Fontenelle à d’Alembert, pour s’en tenir aux dates qui correspondent à la publication des œuvres de Montesquieu, des Lettres persanes à la Défense de l’Esprit des lois.
47 D’Alembert, Discours préliminaire de l’Encyclopédie, Paris, Vrin, 2000, p. 129. Sur les enjeux de ce « curieux hommage », voir André Charrak, Contingence et nécessité des lois de la nature au xvıııe siècle, Paris, Vrin, 2006, p. 8-17.
48 L’essentiel du cartésianisme de Fontenelle résiderait alors dans la leçon de libre-pensée, de doute et d’indépendance ; voir Simone Mazauric, Fontenelle et l’invention de l’histoire des sciences à l’aube des Lumières, Paris, Fayard, 2007, p. 225-244.
49 Même idée chez Voltaire : « Il a appris aux hommes de son temps à raisonner, et à se servir contre lui-même de ses armes » (Lettres philosophiques, quatorzième lettre).
50 Montesquieu, Essai d’observations…, p. 39.
51 La Mettrie affirme que Descartes a fourni les moyens d’éviter les errances métaphysiques ; on peut donc être plus cartésien que Descartes en corrigeant ses propres erreurs. Sur ce détournement matérialiste, nous nous permettons de renvoyer à notre article, « La Mettrie lecteur de Descartes », L’Enseignement philosophique, vol. 50, no 6, 2000, p. 3-17.
52 Timoléon conduisait « en Sicile un secours de corinthiens pour tirer de servitude les grecs qui habitoient cette isle » (Montesquieu, Spicilège, ouvr. cité, no 33 ; OC XIII, p. 97).
53 Montesquieu, Pensées, ouvr. cité, no 775, p. 348.
54 B. de Fontenelle, Digression des anciens et des modernes, dans Œuvres complètes, Alain Niderst éd., t. II, Paris, Fayard, 1991, p. 411 et suiv.
55 Voir J. Ehrard, L’idée de nature en France…, ouvr. cité, p. 68.
56 Chez Fontenelle, l’épisode de la lecture du traité de L’Homme par Malebranche devient un modèle pour les récits de conversion au cartésianisme, voir « Éloge du père Malebranche », Œuvres complètes, t. VI, Paris, Fayard, 1994, p. 338. L’admiration revendiquée n’est jamais aveugle ; voir Nicolas Malebranche, De la recherche de la vérité, livre VI, partie II, chap. iv, Œuvres, t. I, Geneviève Rodis-Lewis éd., Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1979, p. 669. Voir aussi, p. 727 et p. 770.
57 A. Postigliola, « Montesquieu entre Descartes et Newton », art. cité, p. 107.
58 Montesquieu, Pensées, ouvr. cité, no 1445, p. 477.
59 Spicilège, ouvr. cité, no 229, p. 726. Dans la Pensée (no 50) sur les « plagiaires », Montesquieu relève l’objection des petits esprits qui dénient l’originalité : « Il n’y a pas jusqu’à Descartes qui n’ait tiré toute sa philosophie des Anciens ». C’est exactement le type d’argument que détaille Baillet, pour s’opposer à ceux qui veulent « rendre M. Descartes le Plagiaire universel des grands philosophes » (Adrien Baillet, La vie de Monsieur Descartes, Paris, D. Horthemels, 1691, p. 539) ; voir aussi ibid., p. 531.
60 Montesquieu, Pensées, ouvr. cité, no 66, p. 202.
61 Par exemple, Montesquieu considère que le « pur mécanisme des bêtes » est une chose « incroyable », au même titre que « l’obéissance passive et l’infaillibilité du Pape » (Pensées, no 669, p. 332).
62 Rappelons l’anagramme souvent utilisée : « Cartesius » = « Sectarius ».
63 Louis-Bertrand Castel, Traité de physique sur la pesanteur universelle des corps (Paris, A. Cailleau, 1724 ; Catalogue, ouvr. cité, no 1422), t. II, p. 405. Nous soulignons.
64 Pour s’en tenir à deux ouvrages où l’on retrouve précisément les expressions utilisées dans l’Essai d’observations et qui se trouvent effectivement dans la bibliothèque de La Brède.
65 Gabriel Daniel, Voyage du monde de Descartes (Paris, Denis Mariette, 1703 ; Catalogue, ouvr. cité, no 1434 : Paris, N. Pépie, 1702), p. 8. Nous soulignons. L’édition originale est de 1690.
66 Essai d’observations, p. 36 ; voir aussi Pensées, ouvr. cité, no 76, p. 203.
67 Essai d’observations, p. 35.
68 Pour le détail, voir nos analyses, Montesquieu. De l’étude des sciences à l’esprit des lois, ouvr. cité, p. 393-444.
69 Essai d’observations, p. 39.
70 Lettres persanes, 97 (94), p. 274.
71 « Il en résulte encore qu’ils sont théologiens et que l’auteur est jurisconsulte ; qu’ils ne se croient pas en état de faire son métier, et que lui ne se sent pas propre à faire le leur » (Défense de l’Esprit des lois, partie III, p. 1160).
72 Ibid., p. 1165. Nous soulignons.
73 « Enfin il en résulte qu’au lieu de l’attaquer avec tant d’aigreur, ils auroient mieux fait de sentir eux-mêmes le prix des choses qu’il a dites en faveur de la religion, qu’il a également respectée et défendue » (ibid., p. 1160).
74 « Il ne faut point argumenter sur un ouvrage fait sur une science, par des raisons qui pourroient attaquer la science même » (p. 1161).
75 Voir Catherine Larrère, « La Défense de l’Esprit des lois et les “sciences humaines” », Montesquieu, œuvre ouverte ? (1748-1755). Actes du colloque de Bordeaux, Catherine Larrère éd., Naples/Oxford, Liguori/Voltaire Foundation (Cahiers Montesquieu ; 9), 2005, p. 115-130.
76 Défense de l’Esprit des lois, partie III, p. 1165. Cette référence en fin de troisième partie rappelle l’ouverture où Montesquieu s’était posé en défenseur de la religion. Il souligne ailleurs que les arguments cartésiens triomphent de l’athéisme (Pensées, ouvr. cité, no 1508, p. 487) ; les preuves que Descartes apporte pour démontrer l’immatérialité de l’âme sont jugées décisives (Pensées, no 1946, p. 593). L’accusation d’athéisme portée contre Descartes est surtout le fait des théologiens qui jugent mal des efforts des savants pour proposer un « système du monde » (Spicilège, ouvr. cité, no 565, p. 832). Montesquieu retourne la critique du père Castel : non seulement elle est désastreuse pour la science, mais elle manque son but en renforçant l’athéisme qu’elle prétend combattre.
77 Défense de l’Esprit des lois, partie I, p. 1129-1130.
78 Lettres persanes, 97 (94), p. 276.
79 C’est le terme utilisé par Voltaire et d’Alembert.
80 Montesquieu, Pensées, ouvr. cité, no 1265, p. 421 ; Discours sur les motifs qui doivent nous encourager aux sciences, p. 53 ; OC VIII p. 495.
81 Lettre-Préface à l’édition française des Principes de la philosophie.
82 « Je me croirois le plus heureux des mortels, si je pouvois faire que les hommes pussent se guérir de leurs préjugés » (De l’esprit des lois, préface, p. 230).
83 « Mais qui est-ce qui aurait donné au premier la faculté d’arriver ? » (Montesquieu, Pensées, ouvr. cité, no 1445, p. 477). Nous soulignons.
84 Montesquieu, Pensées, ouvr. cité, no 1626, p. 514.
85 Défense de l’Esprit des lois, partie II, p. 1139.
86 « Si je pouvois faire en sorte que ceux qui commandent augmentassent leurs connoissances sur ce qu’ils doivent prescrire. […] Il n’est pas indifférent que le peuple soit éclairé. Les préjugés des magistrats ont commencé par être les préjugés de la nation » (De l’esprit des lois, préface, p. 230).
87 De l’esprit des lois, livre I, chap. iii.
88 De l’esprit des lois, préface, p. 230. Nous soulignons.
Auteur
Professeur en classes préparatoires au lycée Saint-Charles à Marseille
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