Chapitre II
Théorie de l’emploi et des profits de Kalecki
Texte intégral
Et si…
1Et si Keynes n’avait pas existé ?
2Cette question hante le lecteur de Michal Kalecki tant l’absence de Keynes aurait pu contribuer à mieux apprécier sa contribution. Si l’imagination pouvait se donner libre cours, elle accorderait cependant à Kalecki plus d’audience qu’il n’en eut à ses débuts. Elle irait jusqu’à supposer que Kalecki aurait pu, dès le départ, exposer son approche à un public anglophone.
3À titre d’expérience de pensée, disons donc que c’est en anglais que ses premiers travaux furent rédigés, publiés et critiqués…
4Kalecki publie en 1933 sa théorie du cycle non pas sous le titre Proba teorii koniunktury mais sous le titre anglais Essay on The Business Cycle Theory. Centrée sur les aspects dynamiques, l’étude s’en tient à un exposé informel et relègue au second plan la théorie de l’emploi.
5Ce n’est qu’en 1934, avec la publication de l’article « Three systems » que son message théorique apparaît nettement, faisant alors de lui le chef de file d’une pensée que certains n’ont pas hésité à qualifier de révolutionnaire. S’affranchissant des difficultés associées à la construction d’un système dynamique, il expose les aspects novateurs de sa théorie de l’emploi et la confronte à la théorie classique.
6Selon la logique « classique » au sens de Kalecki, l’économie peut être résumée par le jeu simultané de quatre grands marchés principaux, chacun décrit par des fonctions d’offre et de demande : marché du travail, marché financier, marché des biens d’investissement et marché des biens de consommation. Ces marchés sont tous soumis à un processus de rencontre de l’offre et de la demande, aboutissant à un équilibre, et ils sont tous en interdépendance. En particulier, une entreprise, qui est offreuse sur le marché des biens de consommation, est demandeuse sur le marché du travail. Si cette entreprise souhaite investir, elle est aussi offreuse de titres sur le marché financier et demandeuse de biens sur le marché des biens d’investissement. En premier lieu, Kalecki considère un Système I fondé sur la loi de Say :
Dans le Système I, le principe de préservation du pouvoir d’achat est poussé à son extrême : tout le revenu doit être dépensé immédiatement en biens de consommation ou d’investissement. Ce modèle est, en fait, accepté par tous les économistes classiques. » (Kalecki 1990, p. 201).
7Dans ce modèle, l’épargne induit automatiquement un flux de demande d’investissement exactement équivalent.
8Qu’en est-il lorsque les revenus issus de la vente des produits ne sont pas immédiatement dépensés ? L’économie renferme-t-elle dans ce cas un mécanisme par lequel l’épargne induit un flux de demande équivalent ? C’est le cas lorsque la demande de monnaie dépend du taux d’intérêt. Le raisonnement de Kalecki est le suivant : admettons que le marché des biens se caractérise par un excès d’offre. En conséquence, les prix diminuent. Aussi les entreprises réduisent-elles leur production et licencient, entraînant du même coup sur le marché du travail l’apparition d’un excès d’offre et la baisse des salaires nominaux. Ce processus déflationniste cesse cependant au bout d’un certain temps. En raison de la baisse des prix, les entreprises disposent de liquidités excédentaires qu’elles placent sur le marché financier. En conséquence, un excès de demande de titre apparaît qui provoque une baisse du taux d’intérêt et une hausse de l’investissement. L’emploi s’élève donc dans le secteur des biens d’investissement, ce qui vient alimenter la demande des biens de consommation. Finalement, l’économie atteint une nouvelle position d’équilibre caractérisée par un taux d’intérêt plus faible et le plein-emploi de la main-d’œuvre.
La « création » et la « destruction » du pouvoir d’achat est seulement responsable d’un processus de perturbation différent de celui du Système I, alors que la position finale atteinte est la même que celle définie lorsque le principe de pouvoir d’achat s’applique, et ce même quand l’inflation par le crédit stricto sensu prend place dans le Système II. (Kalecki 1990, p. 201)1
9Ainsi, Kalecki développe une vision nouvelle de la loi des débouchés et du processus d’ajustement qui conduit à l’équilibre.
10Quand les salaires monétaires ne réagissent pas à l’existence du chômage en tant que tel, Kalecki montre enfin que la loi des débouchés n’est plus valide. L’économie ne renferme plus de mécanisme équilibrant susceptible de maintenir le plein-emploi :
En ce qui concerne ce système qui n’aboutit plus à un équilibre total, on définit le concept de quasi-équilibre. La création et la destruction de pouvoir d’achat (à la différence du Système II) n’influencent pas seulement le processus de perturbation de l’économie à l’équilibre mais aussi la position finale – provoquant le passage d’un quasi-équilibre à l’autre. (Kalecki 1990, p. 201)
11Ainsi l’économie peut-elle, en l’absence de variation de l’investissement ou de la consommation, se retrouver bloquée dans une position stable avec chômage.
12En conclusion de son article, Kalecki relie ce dernier système à sa théorie du cycle et met en avant l’idée que l’économie, quand il existe une période de gestation des investissements, passe continuellement d’une position de quasi-équilibre à une autre. Le cycle est alors décrit comme une succession d’équilibres temporaires.
13Kalecki, offrant ainsi une synthèse entre sa théorie et la théorie classique, Hicks suffisamment averti de la théorie de l’équilibre général, n’a évidemment pas tardé à s’interroger sur la pertinence et la portée de ce modèle macroéconomique capable d’évaluer les effets des politiques de soutien de la demande, d’offrir une forme opératoire à la théorie classique tout en proposant une explication aux cycles. Dans un article significativement intitulé « M. Kalecki et les classiques » paru en 1937, il reconsidère les divergences entre la théorie de Kalecki et celle des classiques2. À l’aide d’une analyse graphique, il montre que la divergence entre Kalecki et les classiques ne réside pas dans une conception particulière du marché du travail mais bien dans l’introduction du taux d’intérêt comme argument de la fonction de demande de monnaie.
14En 1944, effectuant une nouvelle lecture de l’article de Kalecki, Franco Modigliani s’oppose à cette thèse. Pour lui, l’argument central de Kalecki est de montrer que le « quasi-équilibre » est compatible avec la persistance du chômage. Or cette analyse ne résulte pas de l’introduction du taux d’intérêt comme argument de la fonction de demande de monnaie mais de la rigidité des salaires3. Parallèlement, s’appuyant sur le second système de Kalecki, Pigou fait valoir en 1943 que, dès lors que les salaires monétaires réagissent aux déséquilibres sur le marché du travail, outre le fait que leur baisse réduit le taux d’intérêt, elle élève encore les encaisses réelles et stimule la consommation, en sorte que le chômage est aussi résorbé par ce canal. Généralisant la « généralisation » de la théorie classique proposée par Kalecki dans son Système II, il démontre la capacité des économies à atteindre d’elles-mêmes un équilibre de plein-emploi4.
15Insatisfait de la tournure des discussions, Kalecki fait valoir à Hicks que c’est uniquement en réécrivant en termes nominaux les relations de comportement de ses Systèmes I et II qu’il peut montrer que la différence entre sa théorie et la tradition classique tient à l’introduction du taux d’intérêt comme argument de la fonction de demande de monnaie. Or admettre que dans un système classique les agents sont victimes d’illusions monétaires n’est pas acceptable. À Pigou et Modigliani, Kalecki (1944) fait remarquer qu’une baisse des salaires est susceptible d’engendrer des effets redistributifs déstabilisants bien plus importants que les effets stabilisants attendus d’un niveau de prix et de salaire plus faibles. De surcroît, il met l’accent sur la nécessité de considérer le problème du sous-emploi dans une perspective dynamique et non dans une perspective de statique comparative5. Le débat porte alors sur la stabilité de l’équilibre de plein-emploi. C’est dans cette lignée que James Tobin (1975) approfondira cette approche et cherchera à rendre compte du chômage dans un cadre dynamique6.
16À côté des discussions sur l’emploi, l’opportunité de recourir à l’hypothèse de concurrence imparfaite a fait l’objet de débats. John Dunlop (1938) et Lorie Tarshis (1939), par exemple, ont réalisé des études statistiques pour vérifier s’il existe véritablement une corrélation négative entre salaires réels et salaires monétaires comme l’analyse de Kalecki le laisse entendre. Face à l’infirmation statistique de cette corrélation, Kalecki fait valoir, comme ces deux économistes, la nécessité de considérer les implications du pouvoir de marché des entreprises sur le marché des produits7. Prenant, dans un premier temps, la concurrence monopolistique comme point de départ, il modifiera sa théorie de l’emploi. C’est au terme d’une double interrogation sur les déterminants de la répartition du revenu et sur les fondements microéconomiques de son modèle macroéconomique, qu’il relie, en 1939, sa théorie de la demande effective à la concurrence imparfaite, aboutissant en outre à une formulation nouvelle du multiplicateur dans une perspective de différenciation des agents. Contribuant ainsi à populariser les hypothèses de concurrence imparfaite, la macroéconomie s’est alors développée en référence à des modèles aux fondements microéconomiques solides. Et c’est dans cette perspective qu’Olivier Blanchard et Nobuhiro Kiyotaki (1987), en référence à un modèle de concurrence monopolistique du type de celui construit par Kalecki, ont à nouveau mis l’accent sur la pertinence macro-économique de la concurrence imparfaite8.
17Mais c’est dans le domaine de l’analyse des cycles que le rôle joué par Kalecki est apparu nettement9. En 1937, Kalecki relie son analyse de courte période à sa théorie du cycle. Mettant l’accent sur les contraintes de financement des agents et l’évolution des anticipations des entrepreneurs au cours du cycle, il développe une explication dynamique non linéaire. Soulignant l’originalité de cette contribution, c’est toutefois Kaldor, en 1940, qui a vu comment un tel système pouvait servir à rendre compte des fluctuations de manière endogène. Et c’est en se plaçant dans la continuité de ces travaux que les économistes sont parvenus à une modélisation des cycles capable de rivaliser avec l’explication contraire prônée par Frisch (1933) selon laquelle toute déviation observée par rapport à l’équilibre ne résulte que de l’adjonction de chocs aléatoires. Face à ce type d’arguments, il s’est agi par la suite de développer des modèles aux fondements microéconomiques solides visant à rendre compte des fluctuations endogènes. Ainsi, développant un modèle avec différenciation des agents et se référant au principe du risque croissant10 de Kalecki, Michael Woodford (1988, 1989) parvient à rendre compte du caractère endogène des fluctuations.
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18Bien sûr, ce qui précède est une fiction. Mais jusqu’à quel point cette histoire imaginaire se démarque-t-elle de la réalité ? Kalecki a bien développé un modèle macroéconomique d’équilibre général en 1934 à l’aide duquel il a confronté sa théorie de l’emploi à celle des classiques. C’est également en se fondant sur ce modèle qu’il propose avant l’heure une lecture « keynésienne » de la crise des années 1930, définit en économie ouverte des politiques de relance par la demande coordonnée à l’échelle européenne11, et expose les limites de la déflation salariale12.
19Par ailleurs, c’est bien parce que ses premières analyses mettent en évidence une relation inverse entre salaires monétaires et salaires réels, qu’il renouvelle à la fin des années 1930 son analyse macroéconomique à l’aide de l’hypothèse de concurrence imparfaite. Une caractéristique de ses analyses pré-keynésiennes est de faire apparaître une corrélation négative entre salaire réel et salaire monétaire. En 1937, dans sa théorie du cycle, mais aussi en 1933, dans l’Essay et en 1934 dans « Three systems », Kalecki admet que la demande de travail des entreprises est une fonction décroissante du salaire réel13, tandis que les salaires monétaires, et avec eux les prix, réagissent négativement à un accroissement du chômage. Il fait ainsi apparaître des variations des salaires réels et monétaires de sens opposé. Se fondant sur une argumentation du même type, mais en signalant qu’une baisse « spontanée » des salaires monétaires peut aggraver le chômage, Keynes conjecture, au début de la Théorie générale, une corrélation de ce type14. Il n’est donc pas surprenant que Kalecki se soit senti autant concerné que Keynes par l’infirmation statistique de cette conjecture par Dunlop (1938) et Tarshis (1939) et que celle-ci ait suscité de sa part la mise en place d’une argumentation alternative. C’est à la relation issue de la demande de travail que Kalecki s’attache en premier lieu ; l’enjeu étant de conserver la corrélation positive entre la variation des salaires monétaires et la variation de l’emploi. Pour avoir raisonné en concurrence imparfaite dès 1936, Kalecki ne tarde pas à comprendre les services qu’une telle hypothèse est susceptible de lui rendre pour surmonter cette difficulté. Il y voit surtout la possibilité de rompre avec l’idée que les entreprises opèrent nécessairement dans la partie croissante de leur courbe de coût marginal. Dès lors, en supposant qu’elles peuvent atteindre une position d’équilibre dans la partie horizontale de leur courbe de coût marginal, Kalecki explique l’indépendance entre variation des salaires réels et revenu.
20Au sein du Cambridge Scheme of the National Institue of Economic and Social Research into Prime Costs, Proceeds and Output, aux côtés d’Austin Robinson, Kahn, Sraffa et Keynes, deux objectifs sont poursuivis : à l’échelle macro, collecter et analyser des éléments susceptibles d’expliquer la stabilité de la part des salaires dans le revenu national et renouveler la théorie du multiplicateur ; à l’échelle micro, développer une théorie nouvelle des prix prenant en compte à la fois des facteurs monopolistiques et oligopolistiques.
21En revanche, les limites de la fiction tiennent à ce que la pensée de Kalecki ne s’est pas développée indépendamment de la réflexion de Keynes, mais s’en est, au contraire, nourrie. C’est à partir de 1936 que Kalecki renouvelle sa théorie des anticipations et insiste sur leur nature « conventionnelle » à partir de laquelle il élabore une théorie du cycle non linéaire. Ce qui ne signifie pas pour autant que Kalecki ait cherché, à l’instar de Keynes, à démontrer l’existence d’un équilibre stationnaire d’offre excédentaire. Contrairement à lui, il ne pensait pas que le concept d’équilibre et la statique comparative étaient un cadre adéquat à ses idées. Les phénomènes qu’il voulait analyser doivent être décrits dans un modèle dynamique. L’essentiel de son message est que l’équilibre stationnaire « classique » est globalement instable.
22Par ailleurs, Kalecki, principalement en raison de ses origines marxistes et de son orientation politique, occupe dans les années 1930 une position différente de celle de Keynes au sein de la communauté des économistes. Comme l’écrit à juste titre Mario Sebastiani :
Keynes faisait partie de la « famille », un économiste avec lequel cela valait la peine de débattre (étant donné le fond idéologique commun), et à qui manifestement il fallait se confronter. Ces conditions ne s’appliquent pas à Kalecki, dont les recherches étaient marquées par la critique du capitalisme en tant que tel. (Sebastiani 1994, p. 9-10)
23Cette position implique une plus grande difficulté à faire passer des innovations théoriques qui sont pourtant de même nature que celle de Keynes.
24Aussi, cette fiction aurait au moins le mérite de faire apparaître immédiatement des aspects quasiment ignorés ou mal perçus de la pensée de Kalecki au regard de sa contribution à l’analyse du sous-emploi, des implications macroéconomiques de la concurrence imparfaite et de la dynamique économique. Ses apports essentiels occultés par la présence imposante des travaux de Keynes ne font-ils pas de Kalecki – comme le note, non sans humour, Joan Robinson (1976), mais pour des raisons différentes de celles qui seront proposées dans cet ouvrage – non pas un précurseur mais un « prophète négligé » ?
Kalecki et les classiques
25Kalecki expose sa théorie de l’emploi pour la première fois dans son Essay on the Business Cycle Theory. Présenté sous forme abrégée à la troisième conférence de la Société d’économétrie de Leyde en 1933, cet ouvrage a été immédiatement perçu comme important et original. En 1935, dans un article d’Econométrica, Tinbergen écrit au sujet des modèles macrodynamiques sous forme mathématique :
La première publication de ce type était un ouvrage de Kalecki paru en polonais sous le titre Proba teorii koniunktury, Warszawa, 1933. Quelques mois plus tard apparaissait l’article de Frisch « Propagation problems and impulse problems ». (Tinbergen 1935, p. 268)
26En dehors cependant du cercle restreint des économistes mathématiciens, cette contribution est passée inaperçue. Kaldor, présent à la conférence de Leyde, indique ainsi : « J’avais entendu l’exposé de Kalecki à Leyde mais ce n’est que lorsque Keynes publia sa Théorie générale que je compris la notion de demande effective. » (1987, p. 141)
27C’est essentiellement de manière rétrospective, quand la question de l’anticipation de la Théorie générale s’est posée, que l’Essay a été véritablement examiné. Au départ et pendant longtemps, l’unique référence des auteurs intéressés par cette question était la version anglaise de sa théorie du cycle, parue en 1935 sous forme d’un article dans Econometrica. Ainsi, Lawrence Klein, admettant que Kalecki « n’a pas traité du problème de l’équilibre avec chômage et ne s’est pas confronté aux économistes classiques » (1951, p. 448), conclut qu’« après avoir réexaminé la théorie du cycle des affaires », Kalecki « a créé un système qui contient tous les éléments essentiels du système keynésien ». Certes, il n’aurait pas traité de la préférence pour la liquidité ni du taux d’intérêt, cependant, poursuit Klein :
Je crois qu’il a une théorie de l’emploi qui est équivalente à celle de Keynes. Si le caractère « révolutionnaire » des idées de Kalecki est passé « relativement inaperçu », c’est parce qu’il aurait manqué de la « réputation » et de la « capacité de Keynes à attirer sur lui une attention mondiale » (Klein 1951 dans Kalecki 1990, p. 464).
28Soulignant que l’anticipation de la Théorie générale par Kalecki est « un exemple classique de coïncidence » (Robinson 1952, p. 159) dans l’histoire de la pensée économique, Joan Robinson met également l’accent sur la spécificité de sa théorie de l’emploi :
Il ne s’est pas servi du multiplicateur pour fonder sa théorie de l’emploi, ce qui rend sa version, en un sens, moins riche que celle de Keynes, mais non moins pertinente. D’un autre côté, Kalecki est parvenu d’emblée à une théorie du cycle d’affaires, point sur lequel Keynes était attaquable. (Robinson 1965, p. 95)
29C’est encore en référence à sa théorie du cycle que George Feiwel (1975), dans son ouvrage The Intellectual Capital of Michal Kalecki, écrit :
En 1933, en dehors du courant de la théorie économique traditionnelle, un économiste polonais inconnu, sans contact avec Keynes, découvrait tous les éléments essentiels qui entrent aussi dans son système analytique. (Feiwel 1975, p. 27)
30Plus récemment, par exemple, Stanislaw Gomulka, Adam Ostaszewski et Roy Davies notent :
Les premiers travaux de Kalecki sur le chômage et les cycles d’affaires font de lui le co-fondateur de la théorie macroéconomique moderne. Comme dans la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), le modèle de Kalecki montre aussi (1933, 1935) que c’est la demande agrégée d’investissement plutôt que la flexibilité des prix qui joue un rôle clé dans la détermination du niveau agrégé de la production et de l’emploi. (Gomulka et al. 1990, p. 525)
31Et c’est précisément à partir de ce moment que ce point de vue a été critiqué. Ainsi, Robert Solow indique-t-il, dans la recension de l’ouvrage de Feiwel que, selon lui, essentiellement intéressé par les cycles d’investissement, Kalecki discute « seulement occasionnellement et brièvement le processus par lequel l’équilibre [entre l’épargne et l’investissement] se produit via les variations de la production, de l’emploi et des prix » (Solow 1975, p. 1334). En outre, d’après lui, c’est seulement à partir de 1938, au moment où Kalecki fonde son approche dynamique sur sa théorie de la répartition du revenu, qu’il développe une théorie formellement comparable à celle de Keynes. Et c’est encore cette idée que Paul Samuelson (1981, p. 368) reprend lorsqu’il indique que si Kalecki avait explicitement fait apparaître la relation qui relie le niveau des profits au niveau du revenu global, il aurait découvert la théorie de la demande effective.
32Reprenant à son compte une partie des arguments de Samuelson et Solow, Don Patinkin (1982) conclut que Kalecki n’a pas anticipé la Théorie générale. Selon lui, Klein, Joan Robinson et Feiwel auraient réalisé une lecture rétrospective des travaux de Kalecki. La caractéristique principale du message central de Keynes résiderait dans l’analyse des mécanismes par lesquels l’économie peut atteindre une position stable de sous-emploi. Or Kalecki n’aurait pas découvert ces mécanismes. De surcroît, il ne serait pas parvenu à se situer dans un cadre d’équilibre général, développant ainsi une théorie macroéconomique tout à fait différente de celle de Keynes. Faisant, à l’instar de tous les économistes avant lui, l’impasse sur l’article « Three systems » de Kalecki, Patinkin conclut dans son étude, qui continue encore à faire autorité, que Kalecki n’a pas anticipé la Théorie générale. Au terme d’un examen approfondi, il conclut qu’il n’existe pas une véritable théorie de l’emploi dans la théorie du cycle de Kalecki.
33Cette théorie, Kalecki l’expose pourtant dans un article paru en 1934. Ce système peu connu, dont cet ouvrage propose la traduction – exposé initialement dans la revue polonaise Ekonomista et qui a été publié en anglais seulement en 1990 – permet de reconsidérer la spécificité de l’approche macroéconomique kaleckienne. Se référant à cet article de 1934, Jerzy Osiatynski, l’éditeur des œuvres complètes de Kalecki, cherchera à remettre en cause cette thèse. Pour lui, le concept de quasi-équilibre développé par Kalecki est fortement similaire au concept keynésien d’équilibre avec chômage, un point de vue que reprendront et développeront Simon Chapple (1995) et Michaël Assous (2006). Force est donc de constater que la théorie de l’emploi originelle de Kalecki reste peu connue. Aussi, en référence à cet article, dont on proposera une analyse nouvelle, la contribution de Kalecki à l’analyse du sous-emploi sera-t-elle reconsidérée.
Examen de la loi de Say
34Reprendre la formulation des objectifs et de la démarche de Kalecki permet d’avoir une première idée du contenu et de la portée de cet article. Dans une perspective de court terme (le stock de capital est supposé constant), et dans un cadre statique (aucun retard n’est pris en compte), Kalecki s’interroge d’abord sur les conditions de validité de la loi de Say ou sur ce qu’il définit comme le principe de préservation du pouvoir d’achat. Ce principe est d’abord étudié dans une économie dans laquelle le niveau désiré d’encaisses par les agents est toujours égal à la quantité de monnaie disponible dans l’économie.
Supposons que tous les paiements prennent place à travers la participation de tous les agents économiques à un gigantesque centre de compensation des chèques. Tous les participants doivent conserver leur encaisse inchangée : si quelqu’un à un moment donné a reçu plus, il doit payer davantage sur un autre compte. [Dans un tel système tout revenu est] dépensé immédiatement en biens de consommation ou d’investissement. (Kalecki 1990, p. 201)
35Le Système I se comporte comme un système classique pur, même si certaines caractéristiques sont propres à Kalecki : le niveau d’épargne est indépendant du taux d’intérêt et l’offre de travail est indépendante du salaire réel. Le chômage est résorbé par les baisses de salaire monétaire qui entraînent des baisses de salaire réel. L’investissement est prédéterminé par le niveau d’épargne.
36L’analyse de Kalecki contient en filigrane la plupart des résultats mis en évidence par Oskar Lange (1942) dans sa critique de la loi de Say. Ce dernier montre tout d’abord que la loi de Say, qui postule une identité entre valeurs des biens offerts et valeurs des biens vendus, est équivalente à l’hypothèse selon laquelle la valeur des encaisses désirées par les agents est toujours identiquement égale à la quantité de monnaie disponible dans l’économie (ce qui n’est qu’une autre manière de dire que les agents ne cherchent jamais à faire varier leurs encaisses). Il montre également qu’une telle hypothèse ne permet pas de déterminer le niveau général des prix et conclut que la loi de Say « rend impossible toute théorie monétaire » (Lange 1970, p. 167). Les variables réelles sont déterminées indépendamment du secteur monétaire tandis que leur valeur nominale est indéterminée. Cette idée peut être illustrée par une reformulation du modèle de Kalecki conformément à ces hypothèses.
37L’offre de travail , la masse monétaire
et le volume de la consommation des capitalistes
sont donnés. Des fonctions de production relient les volumes produits de biens d’équipement I et de biens de consommation C aux effectifs employés Ni et Nc. Les productivités marginales dans les deux secteurs de production sont égales aux salaires réels respectifs. Les valeurs Ni et Nc d’emploi effectif s’ajoutent pour former le niveau d’emploi effectif global. L’investissement dépend de l’inverse des salaires réels d’équilibre de chaque secteur de production (servant de base aux anticipations de rentabilité) et du taux d’intérêt. Nous avons ajouté un paramètre γ représentant explicitement une propension à investir qui s’accroît quand de « nouvelles combinaisons productives » apparaissent. Le niveau de la demande de biens de consommation est égal à la demande des capitalistes et des travailleurs. La demande de monnaie est écrite, conformément à l’équation quantitative, comme une fonction du revenu nominal, une expression compatible avec le principe de préservation du pouvoir d’achat défini par Kalecki. Enfin, puisque le marché du travail est à l’équilibre, l’emploi est égal à l’offre de travail, indépendante des salaires réels.
38Les variables endogènes sont donc : Ni , Nc , N, C, I, pc , pI , r, W. Les variables exogènes sont : ,
, et
.

39On peut sur cette base déterminer les variables réelles. Par (1), (3) et (7), on détermine le salaire réel dans le secteur des biens de consommation comme une fonction implicite de l’emploi global et de la consommation des capitalistes :

40Connaissant W / pc par (3), on détermine l’emploi dans le secteur des biens de consommation. Puisque l’emploi dans les deux secteurs de production, d’après (5), est égal à l’offre de travail, on peut en déduire l’emploi dans le secteur des biens d’investissement. En découlent immédiatement les quantités de biens de consommation et de biens d’investissement par (1) et (2). À partir de (4), on détermine le salaire réel dans le secteur des biens de production W / pI, dont on déduit la valeur du taux d’intérêt. En effet, à l’équilibre, on a

ce qui implique que r est une fonction implicite de NI, pc / W, p1 / W. Ces variables étant déterminées, on peut donc en déduire la valeur du taux d’intérêt d’équilibre.
41En vertu du principe de préservation du pouvoir d’achat, l’équation du marché de la monnaie est une identité valable quel que soit le niveau du salaire monétaire et des prix. Il en résulte une indétermination des prix monétaires et de la vitesse de circulation de la monnaie (égale à 1 / k). Partant d’un certain niveau de prix, une variation de ce dernier se traduit par une hausse équivalente des dépenses et des recettes et laisse donc inchangé l’équilibre réel. Le retour au niveau des prix initial impliquerait une variation des encaisses des agents incompatible avec l’hypothèse de préservation du pouvoir d’achat. Comme l’écrit Lange en 1942 : « k ne peut être constant et doit être indéterminé pour s’ajuster à n’importe quel niveau de prix afin que l’identité soit maintenue. La loi de Say implique une indétermination de 1 / k et les prix monétaires sont indéterminés » (Lange 1970, p. 167).
42Kalecki envisage dans le Système II la possibilité de thésaurisation et considère le fonctionnement d’une économie dans laquelle la demande de monnaie dépend à la fois du revenu national et du taux d’intérêt monétaire. L’offre de monnaie est tenue pour exogène et donnée. Kalecki admet, en outre, que la monnaie est émise uniquement par la banque centrale qui la contrôle parfaitement, les banques de second rang étant négligées15. La théorie de la demande de monnaie développée par Kalecki souligne le besoin de liquidité des entreprises : « pour un chiffre d’affaires donné, une réserve de monnaie est nécessaire pour faire fonctionner une entreprise sans difficultés » (Kalecki 1990, p. 207). On peut penser qu’il s’agit d’une demande d’encaisse visant à faire face aux différents aléas de la production, aux décalages entre dépenses et recettes, etc. Ce besoin d’encaisses croît avec le niveau général des prix et la vitesse de circulation de la monnaie. Dans le modèle, les entrepreneurs détiennent les titres financiers. Plus les prix sont élevés, plus ils ont besoin de détenir des encaisses nominales, et plus le taux d’intérêt croît, plus le coût d’opportunité associé à leur détention augmente. Ils arbitrent ainsi entre la sécurité des liquidités et le rendement des titres16.
43La fonction de demande d’encaisses monétaires, décrite par Kalecki, peut s’écrire :

44On a supposé ici que l’élasticité de la demande d’encaisses nominales par rapport au revenu nominal était égale à 1 tandis que la fonction L était décroissante. Dès lors, la condition d’équilibre sur le marché de la monnaie est :

dont on déduit aisément l’expression de la vitesse de circulation de la monnaie :

45Naturellement, si le revenu nominal s’élève, elle augmente tandis que l’équilibre, sur le marché de la monnaie, est rétabli par un accroissement du taux d’intérêt.
46L’introduction d’une fonction de demande de monnaie ayant pour argument le taux d’intérêt et le revenu réel rend désormais possible un déséquilibre global sur le marché des biens et la mise en évidence de nouveaux mécanismes d’ajustement macroéconomiques.
47Kalecki commence par souligner que le taux d’intérêt
« dépendant de la vitesse de circulation, que nous appellerons par conséquent le taux d’intérêt monétaire, n’est, naturellement, pas identique au taux d’intérêt d’équilibre, i.e. le taux qui s’établirait si le principe de préservation du pouvoir d’achat s’appliquait dans ce système. » (Kalecki 1990, p. 207)
48Le premier, en effet, est déterminé par l’équilibre entre l’offre et la demande de monnaie tandis que le second est déterminé par l’équilibre entre l’offre et la demande de biens d’investissement. Il faut donc, pour que ces deux taux soient égaux, que les marchés de la monnaie et des biens d’investissement soient simultanément à l’équilibre. Aussi, Kalecki choisit d’analyser les propriétés de ce système en déterminant, lorsque l’économie est soumise à des chocs, « si et comment le taux monétaire dévie du taux d’équilibre, et si cette déviation est permanente » (ibid., p. 208).
49Considérons tout d’abord les effets d’une hausse de l’incitation à investir. À la différence du Système I, en raison de l’accélération de la vitesse de circulation de la monnaie, le taux d’intérêt monétaire n’augmente pas suffisamment pour évincer totalement la demande supplémentaire d’investissement, engendrant du même coup une hausse de la production de biens capitaux et, par voie de conséquence, des profits des capitalistes selon l’enchaînement suivant. À salaire constant, une hausse du prix des biens d’investissement se manifeste par une baisse des salaires réels rendant possible un accroissement de la production. Si on admet que l’accroissement de la demande de travail se manifeste par une hausse des salaires monétaires entraînant le passage d’une partie des travailleurs vers le secteur des biens d’investissement, l’accroissement de la production devient effectif (à condition bien sûr que les salaires monétaires n’augmentent pas au même rythme que les prix des biens d’investissement). Évidemment, le passage des travailleurs du secteur des biens de consommation vers le secteur des biens d’investissement se manifeste par une baisse de la production dans le secteur des biens de consommation. En effet, la consommation en volume des capitalistes est donnée et la masse salariale s’élève sous l’effet de l’accroissement des salaires monétaires tandis que l’offre de biens de consommation diminue. Aussi, la demande de biens excède l’offre. Les prix, pour ce niveau d’emploi, augmentent donc jusqu’à rétablir l’équilibre. Cependant, cette hausse des prix réduit le salaire réel et stimule la demande de travail des entreprises.
50Mais, si la demande d’investissement reste supérieure à son niveau d’avant le choc, l’économie ne se maintiendra pas en cette position. À nouveau, les travailleurs nouvellement embauchés dans le secteur des biens d’investissement, en raison de la hausse des prix et des salaires, retourneront dans leur secteur d’origine et ainsi de suite. Ce processus ne durera toutefois pas indéfiniment. En raison également des hausses successives des prix et des salaires, le taux d’intérêt augmentera, entraînant ainsi l’éviction totale de l’accroissement de l’investissement. Comme le note, en effet, Kalecki :
La vitesse de circulation de la monnaie augmente en raison de la hausse de la valeur monétaire des ventes, et, avec la vitesse de circulation de la monnaie, le taux d’intérêt augmente aussi, atteignant à terme le taux d’intérêt d’équilibre. (Kalecki 1990, p. 209)
51Ainsi, en définitive, l’investissement reste prédéterminé par le niveau d’épargne. Si ce montant s’élève, il s’ensuivra, de même que dans le premier système, une hausse de la production de biens capitaux.
52Contrairement à une hausse de l’investissement, un accroissement de l’épargne (baisse de la consommation des capitalistes) entraîne une destruction temporaire de pouvoir d’achat. Si les capitalistes, après avoir réduit leur consommation, n’investissent pas immédiatement, la demande restera constante dans le secteur des biens d’investissement, tandis qu’elle baissera dans le secteur des biens de consommation. Dans ce secteur, l’offre excède donc la demande, ce qui engendre une baisse des prix jusqu’à rétablir l’équilibre. Aussi, les capitalistes voient leurs recettes diminuer, ce qui entraîne la contraction de leurs réserves monétaires d’un montant égal à la baisse de leur consommation.
L’analyse détaillée de ce processus est le suivant : l’industrie des biens de consommation ne trouvant pas de clients pour des produits que consommaient auparavant les capitalistes, elle doit baisser ses prix à un niveau tel que les travailleurs peuvent, à leur tour, les acheter. Par voie de conséquence, les profits dans le secteur des biens de consommation baissent d’un montant égal à la baisse de la consommation des capitalistes. Par conséquent, les profits globaux des capitalistes vont diminuer d’un montant correspondant à leur épargne supplémentaire. Moins les capitalistes consomment, moins ils réalisent de profits. (Kalecki 1990, p. 210)
53Cependant, du fait de la baisse des prix des biens de consommation, les salaires réels dans ce secteur s’élèvent, réduisant la demande de travail des entreprises et la production. Une partie des travailleurs est ainsi licenciée. L’apparition d’un excès d’offre sur le marché du travail se manifeste par une baisse des salaires réels dans le secteur des biens d’investissement rendant alors possible l’embauche d’une partie des travailleurs licenciés. Cependant, pour un niveau de demande constant dans ce secteur, le marché se retrouve en situation d’excès d’offre, engendrant une baisse des prix, et
le licenciement des travailleurs de l’industrie des biens d’investissement, une nouvelle réduction des salaires, une baisse des prix des biens de consommation, une embauche accrue de travailleurs dans le secteur des biens d’investissement, une baisse des prix de ces produits, etc. (Kalecki 1990, p. 210)
54Ce processus cumulatif de baisse des prix et des salaires ne se poursuit cependant pas indéfiniment car, simultanément, la baisse du taux d’intérêt accompagne la baisse de la vitesse de circulation de la monnaie. À mesure que les prix baissent, la demande de monnaie diminue, ce qui entraîne une baisse du taux d’intérêt. En sorte qu’au bout d’un moment, les travailleurs licenciés initialement dans le secteur des biens de consommation se trouvent employés dans le secteur des biens d’investissement. Finalement, de même que dans le cas d’un accroissement de l’incitation à investir, l’économie atteint une position d’équilibre identique à celle qu’elle aurait atteinte immédiatement dans le Système I.
55Jusqu’à présent, on a supposé que la masse monétaire dans l’économie était constante. Pour décrire, par exemple, les effets d’une hausse de l’incitation à investir des entrepreneurs, Kalecki considérait que le pouvoir d’achat mis à la disposition des entreprises n’existait que du fait de l’accélération de la vitesse de circulation de la monnaie. Kalecki envisage également le cas où la demande de monnaie des entreprises est satisfaite, simultanément, par l’accélération de la vitesse de circulation de la monnaie et par un accroissement du montant de monnaie émise par la banque centrale. Il montre, cependant, que quel que soit le montant de monnaie ainsi créé, toute variation de l’investissement se manifestera seulement par des variations des salaires et des prix supplémentaires, laissant inchangé le niveau de l’emploi dans chaque secteur de production :
Il s’ensuit une hausse cumulative des prix et des salaires, et donc de la valeur des ventes, qui s’accompagne d’une expansion encore plus grande des crédits offerts par la banque centrale et de son taux d’intérêt. Par conséquent, celui-ci doit finir par atteindre le niveau du taux d’équilibre. (Kalecki 1990, p. 214)
56Bien sûr, si la banque centrale maintient constant son taux d’intérêt, aucune force ne mettra fin à ce processus cumulatif inflationniste :
Mais que va-t-il se passer si la banque centrale persiste à garder son taux d’intérêt inchangé ? Alors, la hausse cumulative des prix, des salaires et de la valeur monétaire des ventes va durer indéfiniment, et les crédits augmenteront, aussi, indéfiniment : l’inflation par le crédit va se transformer en hyper-inflation. (Kalecki 1990, p. 214)
57Ainsi, Kalecki retrouve le résultat de Wicksell mis en évidence dans le cas d’une économie de crédit pur où la seule forme de monnaie qui existe consiste en des dépôts adossés à des prêts. Si le taux d’intérêt créditeur de la banque tombe en deçà du taux d’intérêt naturel, taux pour lequel l’offre d’épargne est égale à la demande d’investissement, un processus cumulatif se met en place et se perpétue indéfiniment. Et Kalecki de conclure qu’en dehors de ce cas, « le taux d’intérêt r (qui coïncide naturellement avec le taux d’intérêt de la banque centrale) est égal au taux d’intérêt d’équilibre » (Kalecki 1990, p. 214).
58Cela apparaît clairement dès lors que l’on réécrit le Système I sous la forme de neuf équations en remplaçant la condition d’équilibre du marché de la monnaie par la relation
59.
Sa résolution révèle que ses solutions réelles sont identiques à celles du Système I17.
60L’endogénéisation de la vitesse de circulation permet ainsi de lever l’indétermination des prix monétaires. Kalecki ne manque pas d’insister sur ce point :
On doit noter que dans le Système II un niveau général des prix définis correspond à un montant donné de la monnaie en circulation dans la position finale. Ce niveau de prix est celui respectant la condition selon laquelle la vitesse de circulation de la monnaie doit atteindre un niveau pour lequel le taux monétaire est égal au taux d’intérêt d’équilibre. (Kalecki 1990, p. 210)

61Les deux premiers systèmes construits par Kalecki témoignent donc d’une réelle connaissance des propriétés de la théorie classique. Il parvient, en effet, à démontrer que la loi des débouchés n’est pas seulement valable dans un système fondé sur la loi de Say au sens de Lange (1942) mais aussi dans un système dans lequel le taux d’intérêt est introduit comme argument de la fonction de demande de monnaie. Tout en montrant que dans un tel système l’offre ne génère plus automatiquement un flux de demande équivalent, il met en évidence un nouveau mécanisme d’ajustement par le taux d’intérêt qui permet à la loi des débouchés de rester vérifiée (et au niveau général des prix d’être déterminé). Or, pour parvenir à ce résultat, Kalecki est obligé de supposer une parfaite flexibilité des prix et des salaires, point sur lequel il ne manque pas d’attirer l’attention du lecteur :
Tout excès d’offre de travail dans le Système II réduit les salaires monétaires et de fait enclenche un mécanisme qui élimine le chômage. Le principal canal de transmission est le taux d’intérêt monétaire qui diminue lorsque la valeur des ventes diminue. C’est exclusivement de cette façon que l’économie atteint un équilibre identique à celui qui serait réalisé dans le Système I. (Kalecki 1990, p. 214-215)
62En mettant si fortement l’accent sur le rôle de la flexibilité de tous les prix dans les mécanismes de résorption du chômage, pour réfuter la loi des débouchés et démontrer la persistance du chômage dans son Système III, Kalecki va-t-il axer son argumentation sur une hypothèse de rigidité des prix ? En outre, cette réfutation le conduit-elle au développement d’une théorie de l’équilibre de sous-emploi ou bien, plutôt, au développement d’une théorie dynamique du sous-emploi ?
Quasi-équilibre et chômage permanent
63La théorie kaleckienne du chômage repose sur deux arguments. Le premier est une explication des raisons pour lesquelles le taux de salaire nominal ne diminue pas alors que l’offre de travail est excédentaire. Le second, fondé sur une analyse en termes d’équilibre général de la détermination du niveau de revenu global par les interactions entre les marchés des biens (biens de consommation et d’investissement) et le marché de la monnaie, explique que les variations du revenu jouent un rôle équilibrant. L’argument n’est pas seulement que tout déséquilibre entre la demande agrégée et l’offre agrégée provoque un changement dans la production et non dans le prix, mais que le changement dans la production (et par conséquent du revenu) agit comme une force équilibrante.
64En ce qui concerne le premier point, Kalecki sépare deux problèmes : celui de la réaction des salaires monétaires aux variations de l’emploi, elles-mêmes résultantes des variations de la demande effective, et celui de la réaction des salaires au chômage18. Dans le Système III, seules les variations induites par les variations de la demande effective sont prises en compte :
Notamment, alors que le chômage existant n’exerce pas de pression sur le marché, nous posons comme principe que les variations du chômage provoquent une hausse ou une baisse définie des salaires monétaires, selon la direction et l’ampleur de ces changements. (Kalecki 1990, p. 215)
65Cette conception originale du marché du travail n’est malheureusement pas davantage développée, Kalecki préférant traiter seulement de ses implications19. Il est probable qu’il supposait le mécanisme d’ajustement suivant : une augmentation du chômage entraîne une détérioration du pouvoir de négociation des travailleurs et une baisse des salaires monétaires tandis qu’une baisse du chômage s’accompagne d’une amélioration du pouvoir de négociation des travailleurs et d’une hausse des salaires monétaires. Une telle interprétation présente l’avantage de comprendre la référence au concept « d’armée de réserve de travailleurs au chômage », à forte connotation marxiste, et dans laquelle les capitalistes peuvent puiser lorsqu’ils mettent en œuvre leurs projets20. Marx relie en effet la détermination des salaires monétaires à l’existence d’une « armée industrielle » de travailleurs. Plus cette « armée » est importante, moins le rapport de force est favorable aux salariés et moins ces derniers sont en mesure de négocier des salaires monétaires élevés quand l’emploi s’élève. À un taux de chômage plus faible correspond donc un salaire plus élevé : c’est la boucle de Phillips montrant sur le plan taux de chômage - taux d’inflation salariale que le niveau de la courbe de Phillips est une fonction décroissante du taux de variation du chômage. Ainsi, le premier point de Kalecki est davantage une façon d’insister sur de nouveaux mécanismes de détermination des salaires qu’un constat de leur absolue rigidité.
66Avant d’en arriver à l’analyse détaillée du second argument de Kalecki, il est utile d’en esquisser les lignes générales. À équipement, technologie et salaire monétaire donnés, les capitalistes en leur qualité de producteur décident du niveau d’emploi qui maximise leurs profits en fonction de l’état de la demande dans le secteur des biens d’investissement et dans le secteur des biens de consommation. À l’équilibre de courte période, ces anticipations sont correctes. Ainsi, l’emploi et la production dans chaque secteur sont finalement déterminés par la demande de biens d’investissement et de biens de consommation. Cette demande globale n’est cependant pas indépendante de l’échelle de production puisqu’elle est financée par les revenus qui en sont issus. Ce point est précisément mis en évidence dans les Systèmes I et II fondés sur la loi de Say. Mais il est excessif de supposer que la production engendre une demande équivalente. En réalité, l’offre n’induit que partiellement sa propre demande. En conséquence, l’économie peut atteindre une position d’équilibre à un niveau d’emploi qui peut être inférieur au plein-emploi.

67Les variables endogènes restent Nc , Ni , N, c, I, pi , pc , r et W. Les variables exogènes sont ,
, et
.
Le modèle comprend encore neuf équations. En revanche, il n’est plus, contrairement aux deux autres, décomposable21. Les variables réelles ne sont plus déterminées indépendamment du secteur monétaire.
68Les propriétés de stabilité de l’équilibre de courte période ou pour reprendre la terminologie de Kalecki, du « quasi-équilibre », sont étudiées à partir de deux chocs : une augmentation de l’incitation à investir et une baisse exogène de la consommation. L’étude du seul effet d’une variation de l’incitation à investir permet de préciser les propriétés du Système III. En particulier, ce choc permet de mieux comprendre le rôle des variations du revenu dans les ajustements de l’économie dans une position de sous-emploi et la dynamique d’ajustement des salaires et des prix envisagée par Kalecki.
69Dans le secteur des biens d’investissement, l’accroissement de la demande augmente les prix et réduit les coûts salariaux réels, ce qui entraîne l’embauche d’une partie des travailleurs au chômage. Du fait de cette hausse de l’emploi, la masse salariale s’élève. Dans le secteur des biens de consommation, la demande augmente donc aussi, ce qui élève les prix, réduit les coûts salariaux réels et autorise l’embauche d’une partie des travailleurs au chômage. En raison de la baisse du chômage, les salaires monétaires augmentent – une caractéristique du Système III étant de reposer sur une relation décroissante entre les variations du chômage et des salaires monétaires. Cependant, l’emploi n’est pas directement affecté par cette hausse des salaires. À ce niveau d’emploi – pour un niveau donné de la consommation des capitalistes – l’équilibre sur le marché des biens de consommation est rétabli par la seule hausse des prix sans que soit modifié le salaire réel.
70Ainsi se justifie la théorie des profits de Kalecki : les profits augmentent autant que les dépenses des capitalistes (Kalecki 1990, p. 216-217). Une hausse de l’investissement, en élevant tout d’abord le niveau de la production et de l’emploi dans le secteur des biens d’investissement, accroît les recettes des capitalistes. Ces derniers ayant embauché des travailleurs supplémentaires pour satisfaire la demande, reversent une partie de leurs recettes sous forme de salaires qui sont immédiatement dépensés par les travailleurs en achat de biens de consommation, ce qui provoque une hausse de la production de biens de consommation. Les capitalistes du secteur des biens de consommation voient donc leurs profits s’élever d’un montant égal à la valeur des salaires supplémentaires versés dans le secteur des biens de production – il est, en effet, nécessaire de retrancher de leurs recettes les salaires versés aux travailleurs nouvellement embauchés dans leur secteur. Ainsi, les profits des capitalistes s’élèvent autant que l’investissement.
71L’investissement est cependant négativement affecté par la hausse du taux d’intérêt. Du fait de la hausse des prix et de la production, la demande de monnaie des entreprises augmente, ce qui entraîne un accroissement du taux d’intérêt et restreint la hausse de l’investissement : « Avec la hausse des prix et du volume de la production totale, le taux d’intérêt monétaire s’accroît aussi, et cela empêche la réalisation de certains projets » (Kalecki 1990, p. 217). Mais, en dépit de cet effet dépressif, le nouveau quasi-équilibre s’établit à un niveau d’emploi plus élevé du fait de l’amélioration de la rentabilité des équipements incitant les entreprises à investir : « L’augmentation de la production et la hausse des prix par rapport aux salaires élèvent à leur tour la rentabilité, ce qui, en retour, stimule l’activité d’investissement » (Kalecki 1990, p. 217). L’économie atteint un -quasi-équilibre caractérisé par un niveau de chômage plus faible.
Kalecki et Keynes
Déflation et demande globale
72L’abandon de la loi de Say dans le Système II permet à Kalecki de neutraliser l’idée selon laquelle une variation des salaires aurait un effet direct sur l’emploi. Dans le Système I, en vertu du principe de préservation du pouvoir d’achat, un excès d’offre de travail se résorbe toujours de manière immédiate par une baisse des salaires. Cette baisse libère des profits qui sont immédiatement dépensés en biens d’investissement. Cette hausse de la dépense se traduit alors par une hausse des prix qui incite les entrepreneurs du secteur des biens d’investissement à accroître leur demande de travail et leur production. Cette hausse de l’emploi entraîne ensuite une hausse de la demande de biens de consommation, des prix et de l’emploi qui permet l’absorption de l’excès d’offre de travail. Une baisse des salaires induit ainsi mécaniquement une baisse du salaire réel car elle se traduit par un accroissement de la demande d’investissement.
73Dès lors que le principe de préservation du pouvoir d’achat est abandonné, le profit résultant de la baisse des salaires n’est pas immédiatement réinvesti. La hausse de la production d’investissement n’est pas vendue et les prix dans ce secteur baissent proportionnellement aux salaires, ramenant la demande de travail et l’emploi à leur niveau initial. La baisse des salaires ne permet donc plus de faire baisser directement le salaire réel et n’a donc plus d’effet direct sur la résorption de l’excès d’offre de travail. Kalecki reprend fréquemment cet argument dans plusieurs articles qu’il publie à la même époque pour contester les politiques de sortie de crise fondée sur la déflation salariale. Il oppose à cette conception l’idée que l’emploi est entièrement déterminé par la dépense d’investissement, dont les variations sont selon lui les seules à même de faire varier le salaire réel. Il le fait par exemple en 1935 dans son article « Istota poprawy koniunkturalnej » (traduit en anglais en 1971 sous le titre « The mechanism of business upswing » et par « The essence of business upswing » dans les œuvres complètes) dans lequel il défend l’idée que c’est la hausse de l’investissement et non la baisse des coûts de production qui est à l’origine de la reprise. Son argument est que la baisse des salaires ne favorise l’emploi que si la hausse des profits qui en résulte est immédiatement réinvestie :
Il est vrai qu’une rentabilité accrue stimule l’investissement mais ce stimulus n’opérera pas immédiatement, car les entrepreneurs vont temporiser jusqu’à être convaincus de la pérennité de ce surcroît de productivité. Dès lors l’accroissement des profits se manifestera dans l’immédiat par une accumulation de réserves de monnaie dans les mains des entrepreneurs et des banques. Ainsi, les biens qui sont l’équivalent de ce surcroît de profits ne seront pas vendus. L’effet d’une baisse du coût de production sera donc annulé. Finalement, seule une baisse des prix aura lieu, annulant l’effet bénéfique pour les entrepreneurs d’une baisse des coûts de production, pendant que le chômage, allant de pair avec une sous-utilisation des capacités de production réapparaîtra. » (Kalecki, 1990, p. 189) [Il entend ensuite montrer que si la baisse des salaires ne saurait être un moyen de lutter contre la dépression parce qu’elle ne stimule pas l’investissement] l’opposé est vrai : l’accroissement de l’investissement en soi, non accompagné d’une baisse des salaires, permet d’accroître la production. (p. 190)
74En 1934, son objectif est de préciser la manière dont l’économie atteint in fine un équilibre de plein-emploi grâce à la flexibilité des prix. Son argument est qu’en l’absence du principe de préservation du pouvoir d’achat, le retour à l’équilibre ne peut s’opérer que via les variations du taux d’intérêt. La baisse du niveau des prix s’accompagne en effet d’une baisse de la demande de monnaie qui abaisse le taux d’intérêt et stimule l’investissement. Ce n’est donc pas la baisse des coûts de production en tant que telle qui stimule l’emploi mais la hausse de la dépense d’investissement provoquée par la baisse du taux d’intérêt. À moins qu’une réduction du salaire nominal n’accroisse l’investissement, il n’existe aucun mécanisme par lequel l’économie peut atteindre un niveau d’emploi supérieur.
75Kalecki fait ainsi clairement la distinction entre les effets directs et indirects de la baisse des salaires. De surcroît, il utilise cette distinction en 1935 dans une étude statistique réalisée en collaboration avec Ludwick Landau pour montrer que les salaires réels sont déterminés par la demande globale. Après avoir présenté l’argument selon lequel une baisse des coûts de production conduit à une baisse proportionnelle des prix et laisse inchangée la rentabilité et l’emploi, ils écrivent :
Cela n’exclut évidemment pas des effets indirects de ce processus. Une réduction des coûts et des prix accroît la compétitivité sur les marchés étrangers. Cela réduit également la demande de monnaie, et contribue ainsi à une baisse du taux d’intérêt qui encourage l’investissement. […] Tous, cependant, sont des effets secondaires de la réduction des coûts qui, comme nous l’avons noté, n’a pas d’effet direct sur la rentabilité et donc sur le niveau de production. (Kalecki 1996, p. 485).
76Cet argument est crucial parce qu’il permet à Kalecki de montrer que le salaire réel et l’emploi ne sont pas déterminés sur le marché du travail mais sur celui des biens par la dépense d’investissement et la consommation des capitalistes.
77Sur ce point, la similitude avec Keynes est frappante. Dans le chapitre 2 de la Théorie générale, ce dernier réfute l’idée classique selon laquelle l’emploi est fixé directement sur le marché du travail suite à une négociation portant sur le salaire réel. Conformément à cette conception, une variation du salaire nominal a pour conséquence directe une variation moins que proportionnelle du salaire réel et induit donc une variation de la demande de travail et de l’emploi. Il précise à ce propos :
Les conclusions classiques, il ne faut pas l’oublier, sont destinées à s’appliquer à la main-d’œuvre dans son ensemble. Elles ne signifient pas simplement qu’un individu peut trouver du travail en acceptant un abaissement de salaire nominal que ses compagnons refusent. Elles sont censées être également applicables à un système fermé et à un système ouvert. Elles ne dépendent ni des caractéristiques propres d’un système ouvert ni des effets qu’une réduction des salaires nominaux dans un seul pays produit sur son commerce extérieur, lesquels n’interviennent évidemment pas dans le raisonnement. Elles ne se rattachent pas davantage aux conséquences indirectes de l’action qu’une baisse de la masse globale des salaires par rapport au volume de la monnaie exerce sur le système bancaire et l’état du crédit, conséquences qui seront examinées en détail au chapitre 19. Elles reposent uniquement sur l’idée que, dans un système fermé, une réduction du niveau général des salaires nominaux s’accompagne nécessairement, au moins dans la courte période, d’une certaine réduction des salaires réels laquelle n’est pas toujours proportionnelle. Or il n’est pas évident que le niveau général des salaires réels dépende du montant du salaire nominal stipulé par les employeurs et les ouvriers. (Keynes 2005, p. 42)
78Keynes fonde sa théorie de la demande effective sur la mise en évidence de l’absence d’effets directs de la variation du salaire nominal sur le salaire réel et l’idée que l’emploi ne peut augmenter qu’à condition que la dépense d’investissement ou la propension à consommer augmentent. Sont ainsi séparés les effets directs de la baisse des salaires de leurs effets indirects sur la demande effective. L’effet indirect le plus à même d’accroître l’emploi correspond à l’effet découvert par Kalecki de l’impact de la baisse des prix sur la demande de monnaie et le taux d’intérêt.
79Selon Keynes, cet effet apparaît « comme la seule base solide sur laquelle ceux qui prêtent au système économique la propriété de s’ajuster de lui-même peuvent fonder leur raisonnement ; encore qu’à notre connaissance ils ne l’aient jamais fait » (Keynes 2005, p. 271). Une baisse des salaires a donc le même effet qu’une augmentation de l’offre de monnaie. Si les autorités maintiennent constant le taux d’intérêt, la baisse des salaires ne réduit pas le chômage. Par ailleurs, pour qu’elle diminue les taux longs et, par ce biais, accroisse l’investissement, il faut qu’elle soit forte et suffisamment durable. Selon Keynes, cet argument restreint la portée pratique du plaidoyer classique en faveur de la baisse des salaires :
Connaissant la nature humaine et les institutions existantes, il faudrait être dépourvu de bon sens pour préférer une politique de salaire souple à une politique souple de la monnaie, si l’on ne peut invoquer en faveur de la première aucun avantage qui ne puisse être obtenu de la seconde. (Keynes 2005, p. 272)
80D’un point de vue théorique toutefois, ce n’est qu’en mettant en évidence les effets déstabilisants de la baisse des prix sur la demande effective que Kalecki, comme Keynes, poursuit son entreprise de réfutation de l’argumentation classique. Pour lui, il existe des circonstances théoriquement concevables et empiriquement significatives22 dans lesquelles la flexibilité du taux de salaire monétaire peut se révéler déstabilisante. Pour traiter cette question, il passe d’une analyse dynamique dans laquelle les réductions des salaires répondent aux variations du taux de chômage à une analyse dynamique explorant les propriétés d’instabilité de l’équilibre de plein-emploi.
81En 1944, dans une note sur « l’équilibre stationnaire classique » de Pigou, Kalecki décrit un mécanisme susceptible de neutraliser les effets indirects mais stabilisants de la baisse des salaires. Outre l’effet Keynes, il entend invalider l’effet Pigou selon lequel la variation du niveau général des prix, en augmentant le patrimoine net des consommateurs, induit directement un accroissement de la consommation. Lorsque la valeur réelle de ces actifs augmente, les plans de consommation futurs sont mieux réalisés. En conséquence, les individus augmentent leur consommation courante au détriment de l’épargne.
82Kalecki note que, pour l’essentiel, les encaisses monétaires privées – dont les dépôts bancaires comptabilisés comme de la monnaie – ont pour contrepartie directe ou indirecte de la dette privée. En conséquence, les effets d’une réévaluation des encaisses monétaires en termes réels ne concernent que la base monétaire ayant pour contrepartie l’or. Or le montant brut des actifs « internes » est d’un ordre de grandeur bien supérieur au volume net de la base monétaire ayant pour contrepartie l’or. Qu’en est-il des avoirs détenus sous forme d’obligations publiques productives d’intérêt ? La question de savoir si elles équivalent, en tout ou partie, à une richesse nette pose problème. Dans un échange épistolaire de 1944 avec Keynes, Kalecki expose sa position. Si la monnaie a pour contrepartie la dette du secteur public, une réévaluation de cette dette n’aura pas d’effet sur le revenu disponible des agents dans la mesure où les intérêts de cette dette impliquent, à déficit budgétaire constant, une charge fiscale plus élevée sur les profits. Les contribuables, anticipant donc des hausses d’impôts en vue du financement de la dette publique accrue, seront aussi appauvris que les obligataires seront enrichis23.
83Aussi, pour fonctionner, la déflation des salaires et des prix nominaux doit être de grande ampleur. La difficulté, souligne Kalecki – reprenant ici un argument développé par Irving Fisher dans sa théorie de la déflation par la dette – est que ces ajustements risquent d’entraîner d’importants effets de redistribution. L’agrégation ne poserait guère de problèmes si l’on pouvait s’assurer que la propension marginale à dépenser des créditeurs était systématiquement supérieure à celle des débiteurs, ne serait-ce que faiblement. Or, ce n’est pas le cas. La population n’est pas répartie au hasard entre débiteurs et créanciers. La majorité des entreprises se caractérisent par une forte propension à accumuler du capital physique et des moyens de production durables. Naturellement leur emprunt est rationné par les prêteurs, non seulement du fait des imperfections du marché du crédit mais parce que l’emprunteur est soumis au principe du risque croissant, un point mis en évidence par Kalecki dès 1937. Aussi, quand les prix et les salaires diminuent, le service de la dette absorbe une fraction supérieure du revenu des entreprises, et la réduction ou l’élimination de leurs fonds propres les disqualifie pour solliciter un nouveau crédit.
84Par ailleurs, les faillites et les défauts de paiement transmettent la détresse des débiteurs à leurs créanciers en menaçant la solvabilité et la liquidité des prêteurs individuels et des institutions financières. Devant la détérioration de leurs fonds propres, les entreprises donnent la priorité à la restauration de leur structure financière sur l’investissement réel. Le déclin de la valeur marchande réelle de leurs capitaux propres du fait de l’alourdissement du service de leur dette dépasse très largement les gains des créditeurs. En conséquence, les effets négatifs de la déflation sont susceptibles d’éclipser les effets positifs de la hausse de la valeur réelle des actifs nominaux des créanciers.
85Il est important de souligner ici que le raisonnement de Kalecki est indépendant du mode de révision des anticipations des entrepreneurs. Sur ce point, Kalecki se distingue nettement de Keynes pour qui la révision des anticipations des entrepreneurs, dans un contexte déflationniste, constitue le principal obstacle au retour au plein-emploi. Sa thèse est que les effets positifs attendus de la baisse des salaires nominaux risquent d’être plus que compensés par la baisse du taux d’inflation anticipé de sorte que, quand bien même le taux d’intérêt nominal baisserait, le taux d’intérêt réel pourrait augmenter. Selon Kalecki, la baisse du niveau général des prix agit avant tout sur les charges financières des entreprises. Quelle que soit, donc, l’évolution des anticipations de prix et de salaire, une baisse des salaires nominaux peut entraîner une contraction de la demande globale.
86Kalecki était également conscient que son analyse renvoyait à une analyse en termes de déséquilibre. Une séquence durant laquelle la baisse des prix et les salaires accroît les charges financières des débiteurs, parce qu’elle ne joue qu’à court terme, est incompatible avec la notion d’équilibre stationnaire. Dès lors que la période d’ajustement est suffisamment longue, les dettes contractées initialement parviennent à échéance et sont remboursées ou renouvelées. Kalecki reconnaît de surcroît l’impossibilité de démontrer l’existence d’un équilibre stationnaire de sous-emploi à l’aide de l’argument fondé sur la révision des anticipations : « Votre argument au sujet de la hausse du taux d’intérêt réel est valide seulement pendant la période d’ajustement. Une fois que le nouvel équilibre est atteint, les salaires et les prix cessent de baisser » (Kalecki 1990, p. 568). L’essentiel de son message est que l’équilibre de Pigou est globalement instable : les forces qui abaissent les salaires et les prix sont faibles et lentes et celles qui transforment la déflation en demande réelle accrue sont incertaines ou tout simplement absentes24. Le caractère dynamique de ce type d’argument explique certainement pourquoi Kalecki, à la différence de Keynes, préférait le terme de quasi-équilibre à celui d’équilibre avec chômage.
« Quasi-équilibre », « équilibre de sous-emploi » : deux concepts équivalents ?
87L’examen de l’article de 1934 révèle que Kalecki a considéré en détail les mécanismes par lesquels les marchés des biens et de la monnaie pouvaient interagir. L’originalité de son analyse tient précisément à l’introduction du taux d’intérêt dans la fonction de demande de monnaie des entreprises et à la mise en évidence de l’« effet Keynes ». C’est justement en mettant en évidence cet effet que Kalecki montre, dans son Système II, que tout excès d’offre de travail, à travers la chute des salaires et des prix, entraîne une baisse du taux d’intérêt qui élève l’investissement et conduit l’économie au plein-emploi. De surcroît, c’est encore en référence à cet effet, que, dans son Système III caractérisé par l’existence d’une « armée de réserve de travailleurs au chômage », Kalecki décrit l’influence des variations des salaires monétaires induites par les mouvements de l’emploi, sur la demande agrégée.
88Pour autant, les systèmes que définissent Keynes et Kalecki diffèrent en plusieurs points. Au chapitre 18 de la Théorie générale dans lequel Keynes résume sa théorie, il prend comme donnée, d’une part, les fondamentaux usuels de l’économie et, d’autre part, la quantité de monnaie en circulation déterminée par la banque centrale, l’unité de salaire monétaire déterminée à l’issue des négociations salariales et l’état des anticipations de long terme des entrepreneurs. Si une de ces catégories de variables n’est pas fixe, alors l’équilibre général, entendu au sens d’équilibre temporaire, est indéterminé.
89De même que l’équilibre défini par Keynes, le quasi-équilibre défini par Kalecki est un équilibre temporaire déterminé, d’une part, pour un volume donné et une structure donnée des équipements et, d’autre part, pour un comportement de consommation et d’investissement définis. Cependant, à la différence de Keynes, Kalecki ne lève pas l’indétermination de son système, dans la courte période, par la donnée temporaire du salaire monétaire pour une quantité de monnaie et un état des anticipations fixes. En effet, sous les hypothèses que le chômage n’exerce pas de pression à la baisse sur le salaire monétaire et que le niveau du salaire monétaire dépend du niveau du chômage, Kalecki fait apparaître une relation fonctionnelle N → W et construit ainsi un système déterminé sans supposer que les salaires monétaires sont fixes.
90Cependant, l’approche qu’il développe, fondée sur l’hypothèse d’agents hétérogènes, n’est pas identique à celle de Keynes. Considérons son Système III. Du côté de la consommation, les hypothèses de Kalecki sont :
la consommation des salariés est égale à leur revenu ;
la consommation des capitalistes est constante.
91Aussi, pour un niveau donné de l’investissement, tout accroissement de l’offre globale entraîne une variation moins que proportionnelle de la demande globale. Cependant, dès lors que les coûts des entreprises sont croissants, la propension marginale sociale à consommer, bien que toujours inférieure à l’unité, n’est pas fixe mais varie avec l’échelle de production. Toute augmentation de la production élevant la part des profits réduit nécessairement la propension sociale à consommer, tandis qu’une baisse du niveau de la production globale, en réduisant la part des profits dans le revenu global, l’augmentera. Aussi, en ne distinguant pas le comportement de consommation des travailleurs de celui des capitalistes, Keynes peut relier les dépenses de consommation globales au revenu national de manière plus simple. Et c’est précisément là que réside une différence importante entre son modèle et celui de Kalecki. En dépit de cette différence, le système de Kalecki permet de rendre compte de la convergence de l’économie vers une position stable de sous-emploi.
92En recourant à l’hypothèse de concurrence imparfaite, Kalecki modifie à la fin des années 1930 ce système et renouvelle son analyse des déterminants de la répartition et du niveau du revenu et du quasi-équilibre.
Concurrence imparfaite, répartition du revenu et théorie du multiplicateur
93L’idée fondamentalement nouvelle qu’il développe à la fin des années 1930 est que la répartition du revenu entre salaire et profit dépend de l’ampleur des imperfections de la concurrence. La stabilité de la part des salaires et des profits dans le revenu est alors expliquée à l’aide du concept de « degré de monopole » introduit par Lerner en 1934 pour caractériser l’écart entre un marché monopolistique et un marché concurrentiel.
94En couplant cette explication de la répartition du revenu à sa théorie des profits, Kalecki relie sa théorie de la demande effective à l’hypothèse de concurrence imparfaite et montre que toute variation du degré de monopole, en modifiant la répartition du revenu entre salaires et profits, se manifeste à un niveau macroéconomique par des variations de l’emploi. L’originalité de son approche est de démontrer que si la part des profits dans le revenu dépend du degré de monopole de l’économie, en revanche, le niveau des profits reste uniquement déterminé par le niveau des dépenses des capitalistes. Ce qui signifie donc, que pour tout niveau des dépenses des capitalistes, les variations du degré de monopole n’affectent le niveau de l’emploi global qu’à travers leurs effets sur les dépenses des travailleurs.
95Aussi, se fondant sur ces résultats permettant un passage élégant de la microéconomie à la macroéconomie, Kalecki parvient à décrire les ajustements de l’offre et de la demande globale en référence aux variations du revenu national, aboutissant ainsi à une expression originale du multiplicateur. Plus précisément, en admettant que les travailleurs consomment intégralement leurs salaires, il parvient à déduire de l’analyse micro-économique l’idée que la propension sociale à consommer est constante et inférieure à l’unité. Enfin, dans ce cadre de concurrence imparfaite, Kalecki est en mesure d’expliquer le démenti statistique de la corrélation négative entre salaires réels et salaires monétaires énoncée par Keynes dans la Théorie générale.
96Pour rendre compte de ces aspects, il est utile de partir de sa recension de la Théorie générale (Kalecki 1936a). Les principales conclusions de Keynes sont discutées dans une économie composée de deux classes sociales, les capitalistes titulaires des profits et les travailleurs salariés. Dans cette économie :
l’investissement est prédéterminé, le problème de l’interdépendance entre les marchés des biens et les marchés financiers est donc ici écarté ;
le salaire monétaire est fixe et le marché du travail, du fait de l’existence d’une « armée de réserve de travailleurs au chômage », est caractérisé par un excès d’offre.
97Kalecki se place d’emblée à un niveau microéconomique et représente l’équilibre de l’entreprise à l’intersection de la courbe de coût marginal et de revenu marginal. Dès lors, en déduisant de chacune de ces deux courbes les coûts en matières premières, obtenant ainsi une « courbe de valeur ajoutée marginale » (recette marginale) et une courbe de « coût marginal du travail », il relie l’équilibre de l’entreprise à l’équilibre macroéconomique et fait apparaître la répartition du revenu entre profits et salaires :
Figure 1 – L’équilibre de l’entreprise et la répartition du revenu

98Au point d’équilibre, la valeur ajoutée de l’entreprise représentative correspond à l’aire OABC dont la partie hachurée représente le revenu des capitalistes et la partie non hachurée, le revenu des travailleurs. Or, à l’équilibre, comme le revenu national est égal à la valeur des biens de consommation et d’investissement produits, sous l’hypothèse que les travailleurs n’épargnent pas, la partie hachurée correspond à la valeur des biens consommés et investis par les capitalistes, tandis que la valeur des biens consommés par les travailleurs correspond à l’aire non hachurée.
99Dès lors, Kalecki est, non seulement, en mesure de représenter les effets d’un accroissement des dépenses des capitalistes sur la répartition du revenu, mais encore de représenter graphiquement l’idée que les capitalistes gagnent ce qu’ils dépensent, tandis que les travailleurs dépensent ce qu’ils gagnent. Il écrit :
Supposons qu’ils [les capitalistes] élèvent leurs dépenses d’un certain montant à un moment donné. Alors les courbes de valeur ajoutée marginale [de toutes les entreprises] vont se déplacer jusqu’au point où la somme des parties hachurées égalise la valeur accrue des dépenses d’investissement et de consommation des capitalistes. Et puisque la somme des parties hachurées est en même temps le revenu total des capitalistes, leurs plus fortes dépenses engendrent forcément pour eux un niveau de revenu d’un même montant. (Kalecki 1990, p. 226)
100Dans cette perspective, Kalecki a la possibilité de décrire les ajustements de l’offre et de la demande agrégée en articulant l’équilibre microéconomique de l’entreprise à l’équilibre macroéconomique. C’est une représentation de cette articulation qu’on se propose ici de réaliser. Partons de l’équilibre de l’entreprise. Le processus de concurrence monopolistique supposé par Kalecki admet que la demande qui s’adresse à une entreprise individuelle est, d’une part, une fonction croissante de la demande globale et, d’autre part, une fonction décroissante du prix relatif qu’elle propose25. L’économie étant supposée comprendre un grand nombre d’offreurs, il est légitime d’admettre que chacune des entreprises est petite devant le marché. Le prix qu’elle fixe n’influence alors que très peu le niveau général des prix, et l’on peut considérer que tout producteur prend le niveau général des prix comme une donnée. Il est également légitime d’admettre que la quantité individuellement produite n’a que peu d’impact sur les revenus distribués et donc sur la demande globale, de sorte que la demande agrégée est également prise par chaque producteur comme donnée. À l’équilibre, chaque entreprise applique à son coût marginal un taux de marge déterminé par l’élasticité de la demande26. C’est, ainsi, l’élasticité de la demande propre à chaque entreprise qui détermine le taux de marge. Celui-ci est bien endogène et il reflète, à travers la notion de demande particulière adressée à chaque entreprise, la position réciproque des entreprises.
101Quand les coûts et l’élasticité de la demande sont constants, le prix pratiqué par chaque entreprise reste constant avec la demande perçue et donc la production envisagée, ce qui ne fait que refléter la constance des rendements du travail. Le prix croît avec le facteur de marge, et décroît donc avec l’élasticité de la demande adressée à chaque entreprise, ce qui ne fait que traduire l’accroissement du risque que prendrait chaque entreprise en s’écartant du prix pratiqué par ses concurrentes et, par conséquent, dans ce modèle imagé, du prix moyen.
102Au niveau macroéconomique, la part des salaires dans le revenu, α, dépend du degré de monopole, lui-même déterminé par l’élasticité de la demande

103Lorsque s’applique aux capitalistes une fonction keynésienne avec une propension à consommer λ faible

et que les travailleurs consomment l’intégralité de leur revenu

pour tout niveau prédéterminé de l’investissement, on obtient l’expression finale du revenu :

104Une manière simple, alors, d’expliquer le passage du plan micro au plan macroéconomique est de supposer, d’une part, que le nombre d’entreprises dans l’économie est fixe, ce qui est le cas à court terme, et d’autre part, que les variations de la demande globale se manifestent par des déplacements horizontaux des courbes de demande individuelles : un accroissement de la demande se répartissant uniformément entre les entreprises. Dès lors, à l’équilibre symétrique, c’est-à-dire en admettant que l’économie est composée d’entreprises dotées de la même technique et faisant face à la même fonction de demande, on montre que l’équilibre micro est déterminé à un niveau macro par la demande globale. Si la demande globale s’élève, les courbes de demande individuelles se déplaceront donc vers la droite sans modifier la répartition du revenu.
Figure 2 – Effet d’une hausse de l’investissement

105Cette correspondance entre l’équilibre de l’entreprise et l’équilibre global autorise une représentation nouvelle des ajustements de l’offre et de la demande globale. À l’aide d’un diagramme à 45°, l’équilibre macroéconomique est désormais déterminé à l’intersection de la courbe de demande globale, paramétrée par le taux d’intérêt, et la première bissectrice.
106Supposons, par exemple, que l’investissement s’élève : l’écart entre l’offre et la demande globale provoque un accroissement de la production – et donc du revenu – qui entraîne à son tour des déplacements iso--élastiques des courbes de demande individuelles. Ces déplacements cependant ne sont pas sans limites. Puisque la demande s’élève moins rapidement que le revenu, les courbes de demande individuelle se déplacent de moins en moins fortement à mesure que le déséquilibre entre l’offre et la demande globale se résorbe et que le nouvel équilibre macro est atteint.
107Puisque, en concurrence monopolistique, les entreprises disposent de capacités productives excédentaires, le système est ainsi caractérisé par une certaine élasticité lui permettant d’absorber les changements de la demande effective à prix constants : une augmentation de celle-ci, déclenchée par une variation des dépenses des capitalistes étant désormais satisfaite grâce à une augmentation de la production, c’est-à-dire, à la mise en œuvre d’une capacité productive jusqu’alors sous-utilisée. De surcroît, grâce à sa théorie de la répartition du revenu, Kalecki est en mesure de montrer que le multiplicateur dépend de la répartition du revenu entre salaires et profits et non d’une « loi psychologique fondamentale » comme chez Keynes.
Figure 3 – Effet d’une hausse du degré de monopole

108Mais si les variations du degré de monopole affectent la part des salaires et des profits dans le revenu, elles ne modifient pas, en revanche, le niveau des profits. Comme on peut, en effet, le montrer, la théorie des profits de Kalecki, fondée sur l’idée que les dépenses des capitalistes font leur revenu, tandis que les revenus des travailleurs font leurs dépenses, s’articule parfaitement avec sa théorie de la répartition du revenu.
109Si le degré de monopole dans l’économie s’élève, cela implique, en raison d’une répartition du revenu plus favorable aux capitalistes, une hausse du taux d’épargne. Or, si le niveau des profits reste constant tandis que la part des profits dans le revenu s’élève, il faut nécessairement que le produit réel ait baissé. La baisse du revenu et la hausse du degré de monopole se traduisent en conséquence par des déplacements vers la gauche et une rotation vers le haut des courbes de demande individuelles de sorte que le niveau des profits reste constant27.
Cycles et instabilité
110Les modèles de cycle construits par Kalecki visent à rendre compte du caractère instable et contradictoire des économies capitalistes mais écartent l’idée que ces économies puissent s’effondrer. L’économie, certes, est instable, mais cette instabilité est locale. Il existe toujours des facteurs « stabilisateurs » à l’origine des retournements de conjoncture28.
Un monde paradoxal
111Les mouvements cycliques résultent de deux « paradoxes ». Le premier révèle que les capitalistes, bien que collectivement « maîtres de leur destin », n’ont individuellement aucune prise sur la conjoncture globale. Ils gagnent en moyenne ce qu’ils dépensent mais chacun d’eux est tributaire des décisions prises par les autres capitalistes. C’est cette incapacité à se coordonner qui rend le cycle inévitable.
112L’article de 1934 est utile pour comprendre l’origine de ces « défauts de coordination ». Par le recours aux schémas de reproduction de Marx, Kalecki souligne un aspect clé des économies modernes, à savoir qu’aucun secteur de l’économie ne peut à lui seul absorber la totalité de sa production. Une partie de ses recettes est nécessairement réalisée auprès des entreprises appartenant à l’autre secteur de l’économie. En conséquence, la rentabilité et du même coup les décisions d’investissement des entreprises des deux secteurs sont étroitement dépendantes l’une de l’autre.
113Supposons par exemple que les entreprises du secteur des biens d’investissement décident, unilatéralement, d’investir. Aussi, les courbes de demande individuelles des entreprises de ce secteur se déplaceront vers la droite29. En présence d’un retard d’investissement, la production de biens d’investissement s’élèvera d’autant à la période suivante. Les profits du secteur des biens de consommation étant composés des salaires versés par le secteur des biens d’investissement, la rentabilité des entreprises du secteur des biens de consommation s’en trouvera donc accrue. Certes, une partie de la valeur des biens d’investissement reflue sous forme de profits vers le secteur des biens d’investissement, mais une partie seulement. Le reflux des profits est donc partiel si bien que les entreprises du secteur des biens d’investissement ne pourront maintenir le niveau de leurs dépenses qu’à la condition de s’endetter auprès des entreprises du secteur des biens de consommation. Les entreprises du secteur des biens de consommation se retrouveront ainsi créancières des entreprises du secteur des biens d’investissement. La structure d’endettement de l’économie sera donc modifiée. Pour que cela ne se produise pas, il faut que les entreprises des deux secteurs investissent simultanément. C’est seulement à cette condition que les capitalistes de chaque secteur gagneront en moyenne autant qu’ils dépensent.
114Individuellement, un capitaliste – ou encore tous les capitalistes d’un secteur – ne peut donc accroître ses profits en élevant unilatéralement ses dépenses d’investissement. Il doit encore anticiper les plans d’investissement des entreprises de l’autre secteur. Si les entreprises d’un secteur anticipent que les entreprises de l’autre secteur investiront, celles-ci auront intérêt à investir également. Inversement, si elles anticipent que les autres entreprises n’investissent pas, elles n’auront pas intérêt à investir. C’est cette interdépendance entre secteurs qui explique la possibilité d’équilibres multiples dans le modèle de 1934. Si les capitalistes sont globalement pessimistes, l’économie atteindra un équilibre bas, caractérisé par des niveaux de dépenses d’investissement faibles, et les anticipations se trouveront confirmées. Inversement, si les capitalistes sont globalement optimistes, l’économie atteindra un équilibre haut. À nouveau, leurs anticipations seront validées30.
115Le retournement de conjoncture s’opère en vertu du caractère dual de l’investissement. Toute décision d’investissement se manifeste à terme par un surcroît de capacités de production. Parce que les entreprises n’internalisent pas les effets de leur décision sur le stock global de capital de l’économie, tout équilibre, haut ou bas, sera finalement perturbé par les modifications du taux de profit moyen défini comme le rapport du volume des profits au stock de capital. À niveau de profits donné, toute hausse du stock de capital global signifie que chaque unité de production sera moins rentable. Aussi, les entreprises seront conduites à réviser leurs plans d’investissement à la baisse. Mais en s’engageant sur cette voie, la production de biens d’investissement diminuera ainsi que le niveau des profits. C’est ce comportement qui explique le retournement de la conjoncture, puisque la baisse de la dépense génère une baisse du niveau des profits qui incite les entrepreneurs à réduire davantage leur investissement. Le mécanisme s’inverse finalement lorsque la baisse du stock de capital restaure le profit par unité de production et incite les entrepreneurs à accroître leurs dépenses d’investissement. L’économie fluctue ainsi de manière cyclique au gré des modifications du taux de profit moyen de l’économie.
Le cycle vu comme une suite de quasi-équilibres
116En conclusion de son article de 1934, Kalecki esquisse l’idée que les fluctuations de l’économie puissent être décrites comme une « série » de quasi--équilibres (Kalecki 1990, p. 219), c’est-à-dire comme une suite de positions « d’équilibres de courtes périodes » caractérisées par des niveaux déterminés de l’investissement et du stock de capital. En présence d’un retard d’investissement, la valeur courante de l’investissement devient le « résultat de décisions passées ». Aussi, à tout instant, il est possible de déterminer sur la base de l’investissement courant et des équipements en capital, l’équilibre de courte période.
Cet état, qui peut être représenté par un ensemble de courbes de valeur ajoutée marginale et de coût marginal du travail de toutes les entreprises, conjointement avec certains autres facteurs (principalement le taux d’intérêt), définit le taux des décisions d’investissement de la période courante. Ces décisions déterminent en retour la production de biens d’investissement à la seconde période et un nouvel équilibre qui s’établit sur la base des équipements en capital, qui ont, aussi, globalement, varié du fait de la dépréciation et de l’usure des équipements de la période précédente. (Kalecki 1990, p. 537)
117À chaque période, le revenu réel d’équilibre est donné par

118Tandis que les décisions d’investissement D sont reliées aux dépenses courantes I par une fonction ϕ
D = ϕ(I)
où ϕ est une fonction croissante concave dont Kalecki examine les propriétés à l’issue d’une discussion sur les coûts et les anticipations.
119Son raisonnement exposé en 1937 est le suivant. Pour de faibles niveaux des dépenses d’investissement I une amélioration du climat des affaires exerce une forte influence sur les perspectives de profit des entreprises ainsi que sur la confiance des prêteurs. Aussi, dans ce cas :
En dépit de l’augmentation de la demande de cash, l’amélioration de la confiance des prêteurs réduit le taux d’intérêt.
Les déplacements des courbes de recette marginale s’effectuant (pour de faibles niveaux d’activité) dans la partie faiblement croissante des courbes de coût marginal, le taux de profit anticipé, en dépit de la hausse des prix des biens d’investissement, s’élève.
120Inversement, pour de forts niveaux des dépenses d’investissement, l’amélioration du climat des affaires exerce une faible influence sur les profits anticipés et sur la confiance des prêteurs. Aussi, dans ce cas :
La confiance des prêteurs s’améliore moins rapidement, tandis que la demande de cash s’élève : le taux d’intérêt augmente donc fortement.
Les déplacements des courbes de recette marginale s’effectuent, pour de forts niveaux d’activité, dans la partie fortement croissante des courbes de coût marginal. L’augmentation des prix des biens d’investissement implique alors une hausse plus faible du taux de profit anticipé et des décisions d’investissement.
121Dès lors, se fondant sur cette relation et après avoir explicitement écarté l’éventualité que l’équilibre puisse être instable, Kalecki décrit la dynamique de l’économie à l’aide du graphique suivant. L’analyse est menée sous l’hypothèse que le stock de capital reste constant (voir Figure 4).
Figure 4 – Détermination de l’investissement

122Comme la courbe ϕ coupe la première bissectrice OL par le haut, l’équilibre atteint par l’économie en A est stable.
123Supposons qu’à la période initiale 1, le niveau des dépenses d’investissement prenne la valeur I1 égale à l’abscisse du point P1 situé sur la courbe OL. En traçant la verticale passant par P1, on obtient le montant des décisions d’investissement D1 à l’intersection de ϕ. Ces décisions d’investissement déterminent, à leur tour, le montant des dépenses d’investissement I2 à la seconde période. Cependant, comme D1 > I1 on a :
I1 < D1 < I2
où D1−I1 représente l’accroissement réel de l’investissement entre la période 1 et 2 tandis que I2−D2 représente l’accroissement nominal engendré par la hausse des prix. Au point P2, on détermine alors le niveau des décisions d’investissement D2 dont on déduit le montant I3 des dépenses d’investissement à la troisième période et, ce, jusqu’à la période 5 où le niveau des dépenses d’investissement est exactement égal au niveau des décisions d’investissement. En ce point, l’économie se trouve donc à l’équilibre et Kalecki ne manque pas de souligner son caractère stable.
124Jusque-là, l’évolution du montant des décisions d’investissement a été envisagée en l’absence de variations du volume des équipements. Or, ce facteur exerce une influence déterminante sur les décisions d’investissement D à travers le taux de profit marginal anticipé et le taux d’intérêt. Pour analyser cette relation, le plus simple est d’admettre que le montant des dépenses d’investissement I est constant.
125En premier lieu, si l’équipement en capital s’élève, les perspectives de profit des entreprises se détériorent. En effet, le revenu des capitalistes à chaque période est déterminé par le niveau des dépenses d’investissement. Aussi, à revenu constant, un accroissement du volume des équipements se manifeste dans chaque entreprise par « le déplacement vertical vers le bas des courbes de valeur ajoutée marginale » (Kalecki 1990, p. 547) dont il résulte une baisse des profits par entreprise. L’état des affaires étant moins favorable, les perspectives de profit se détériorent. Donc, plus l’équipement en capital est élevé pour tout niveau donné des dépenses d’investissement, moins le montant des décisions d’investissement est important.
126En second lieu, l’accroissement du volume des équipements « s’accompagne d’une baisse de la part [des profits] des capitalistes dans la valeur ajoutée de chaque entreprise et par voie de conséquence, de la baisse de leur part dans le revenu national » (Kalecki 1990, p. 547). Or, pour un niveau donné des dépenses d’investissement, le niveau des profits est constant. En conséquence, la baisse de la part des profits est nécessairement associée à une hausse du revenu national, dont il résulte une hausse de la demande de cash et un accroissement du taux d’intérêt. Du fait de la baisse des profits des entreprises et de l’augmentation du taux d’intérêt, une hausse du volume des équipements réduit donc les décisions d’investir.
127Graphiquement, c’est désormais une famille de courbes D = ϕ(I), chacune de ces courbes étant associée à un niveau de capacité constant, qui permet de relier le niveau des décisions d’investissement au niveau des dépenses d’investissement et de l’équipement en capital. Quand celui-ci augmente, la courbe ϕ se déplace vers le bas. Au-dessus de la première bissectrice, ce déplacement engendre un processus d’expansion, et au-dessous, un processus de contraction. Désormais, cependant, à mesure que le volume des équipements à chaque période varie, chacun de ces processus ne s’effectue plus le long de la même courbe ϕ mais le long de plusieurs de ces courbes. La courbe EBG représente chacun des points des courbes ϕ pour lequel le niveau des dépenses d’investissement est juste égal au montant de la dépréciation des équipements et de leur entretien. Cette courbe est décroissante parce que, plus la courbe ϕ est proche de l’origine, plus le volume du capital est élevé et plus le montant de la dépréciation et de l’entretien des équipements est important.
128Dans le plan (D, I), l’évolution cyclique est représentée par les points EFGH (voir figure 5).
Figure 5 – Cycles auto-entretenus (1939)

129Aux points E et G, la trajectoire de l’économie est tangente aux courbes D = ϕ(I). En ces points débute donc la décélération des mouvements respectifs d’expansion et de contraction, tandis que le retournement de la conjoncture s’effectue aux points F et G. Le seul point pour lequel l’économie peut se stabiliser est le point B à l’intersection de EG et OL, c’est-à-dire la position pour laquelle le montant des décisions d’investissement est égal au montant des dépenses d’investissement, elles-mêmes égales au niveau requis pour maintenir constant le volume des équipements, et correspond à « l’équilibre de long terme ».
130Une résolution analytique de ce modèle dynamique est possible et permet de préciser les domaines des valeurs des paramètres pour lesquels peuvent être obtenues différentes trajectoires dynamiques.
Proposition de formalisation
131En présence d’un retard d’investissement, la dynamique de l’investissement peut être représentée de la manière suivante
132 (1)
133Ainsi, conformément à l’argument de Kalecki, l’évolution de la production des biens d’investissement au cours du temps dI / dt, dépend des écarts entre les décisions courantes d’investissement D et la production courante de l’investissement I.
134Parallèlement, la dynamique du stock de capital dépend de l’investissement courant I et de la dépréciation du stock de capital δK
135 (2)
où δ est le taux de dépréciation.
136Sous forme linéaire, la fonction des décisions d’investissement ϕ(.) peut s’écrire (Kalecki 1933)
137 (3)
où m et n sont des constantes positives et ∏ les profits réels.
138À l’équilibre du marché des biens, les profits réels résultent de l’application du multiplicateur aux seules dépenses autonomes des capitalistes et I.
139 (4)
140En substituant la valeur d’équilibre de ∏ dans la fonction des décisions d’investissement ϕ(.), on obtient un système de deux équations différentielles en I et K.


141À l’équilibre stationnaire (quand dI / dt = 0 et dK / dt = 0 ), on trouve :



où sc désigne la propension à épargner des capitalistes égale à (1-λ) et (1-α) la part des profits dans le PIB.
142La hausse de m et accroît le PIB stationnaire tandis que la hausse de n, δ et sc le réduit. Conformément à la théorie des profits et de la répartition du revenu de Kalecki, une hausse du taux de marge agissant sur α (part des salaires dans le PIB) joue uniquement sur le PIB stationnaire et laisse inchangées les valeurs de I et K.
143Le système linéarisé autour de la solution de long terme s’écrit

144La trace et le déterminant sont

145La stabilité du système dépend donc de la valeur des coefficients δ, m et sc et du retard d’investissement représenté par θ. Pour sC > m, T < 0 et D > 0, le système est stable et l’on retrouve les conclusions de Kalecki. L’économie converge de manière monotone ou cyclique vers sa position stationnaire (voir Assous et al., 2017).
146Il est utile de représenter la trajectoire de l’économie à l’aide d’un diagramme de phase dans le plan (K, I). Le lieu de stationnarité de K (dK / dt = 0) est une courbe croissante de pente δ. Au-dessus de cette courbe (si I augmente), K augmente (dK / dt > 0). Le lieu de stationnarité de I (dI / dt = 0) est une courbe de pente
147 .
Quand sc > m, la courbe est décroissante dans le plan (K, I).
Figure 6 – Cycles amortis (1933)

148Supposons que l’économie se trouve dans le cadran nord au-dessus de dK / dt = 0 et de dI / dt = 0. Pour ce niveau élevé de l’investissement I, le stock de capital s’accroît au cours du temps, ce qui exerce finalement un effet négatif sur les décisions d’investissement D. Aussi, s’enclenche un mouvement récessionniste. Quand l’économie passe à droite de dK / dt = 0, le stock de capital diminue. Mais du fait de la baisse de l’investissement et des profits, les décisions d’investissement poursuivent leur baisse et ce jusqu’au point d’intersection avec dI / dt = 0. La contraction du stock de capital est alors telle que le taux de profit courant s’accroît si bien que les décisions d’investissement commencent à croître. Ce mouvement se poursuit alors même que le stock de capital s’accroît dans le cadran ouest, lorsque l’économie passe au-dessus de dK / dt = 0. Ainsi, l’économie converge de manière cyclique vers sa position stationnaire au gré des ajustements de I et K. La tendance à l’amortissement du cycle dépend étroitement de la vitesse d’ajustement θ. Si θ est infiniment grand, l’ajustement vers l’équilibre stationnaire s’effectuera par des déplacements le long de dI / dt = 0. Aucun ajustement cyclique n’est, dans ce cas, possible.
149Il intéressant de noter que les trajectoires de I et K sont indépendantes du taux de marge des entreprises et donc de la répartition du revenu. Ce résultat tient au caractère complémentaire des théories de la répartition et du niveau des profits de Kalecki. Parce qu’une hausse du taux de marge n’a aucun effet sur le niveau des profits, déterminé par le niveau de l’investissement I, lui-même déterminé par les décisions d’investissement passées, celle-ci n’a aucun impact sur le taux de profit de l’économie et donc sur les décisions d’investissement courantes et par voie de conséquence sur la dynamique de l’économie.
150En 1939, Kalecki élabore une version non linéaire de son modèle de 1933 et admet que la fonction des décisions d’investissement, en raison du mode de révision des anticipations des entrepreneurs, présente un plancher et un plafond et une inflexion au niveau de production pour lequel l’investissement maintient le stock de capital constant. Formellement, une telle hypothèse signifie que la courbe ϕ(.) possède une forme de S tandis que la courbe dI / dt = 0 n’est plus monotone. Dans une telle configuration, si (i) il y a un ensemble compact de valeur (K, I) tel que le système dynamique pointe à l’intérieur sur la frontière et (ii) l’unique équilibre de long terme est instable, il est possible d’appliquer le théorème de Poincarré-Bendixon et de démontrer la possibilité de cycle limite. C’est le cas lorsque m > sC au voisinage de l’équilibre stationnaire et m > sC pour des valeurs extrêmes de I. Le diagramme de phase prend alors la forme suivante. L’économie fluctue désormais de manière perpétuelle autour du point stationnaire sans jamais l’atteindre :
Figure 7 – Cycle-limite (1939)

151Ainsi, les facteurs subjectifs, liés à l’état de confiance des entrepreneurs et à leur mode de révision des anticipations, passent au premier plan. C’est parce que les agents croient être conscients du cycle et révisent leurs anticipations dans les phases haute et basse que le cycle se déroule selon leurs prévisions. Quelle que soit désormais la valeur prise par le coefficient θ et l’importance de l’effet de capacité représenté par le coefficient n, l’économie connaîtra des fluctuations régulières en l’absence de tout choc.
Croissance, cycles et chocs
152Kalecki accorde une importance différente aux chocs dans les différentes versions de sa théorie des cycles. En 1933, il rend compte de fluctuations auto-entretenues en l’absence de toute « perturbation extérieure ». La solution qu’il propose alors reposait sur un choix particulier des paramètres de son équation des décisions d’investissement. Ragnar Frisch et Harald Holme reprocheront à Kalecki l’aspect arbitraire de ce choix. Il n’y a en effet aucune raison de postuler que des paramètres possèdent une valeur exacte. Comme le souligne Richard Goodwin :
Hélas, Frisch était là pour souligner que depuis les Grecs, il est communément admis que l’on ne peut jamais dire qu’une quantité empirique est exactement égale à un nombre précis. Étant donné son objectif, ceci a porté un coup fatal à Kalecki. (Goodwin 1986, p. 249-250)
153Toutefois, Kalecki ne pensait pas qu’une telle critique disqualifiait sa théorie. Rapidement il aura recours à l’argument de Frisch selon lequel ce sont des chocs aléatoires qui assurent la régularité des fluctuations lorsque le cycle est amorti. Curieusement, dans le même temps, Kalecki introduit des non-linéarités dans son équation fondamentale susceptibles de servir de base à une théorie des cycles endogènes.
154En 1936, il avance l’idée que les paramètres de la fonction des décisions d’investissement évoluent selon la conjoncture. Plus précisément, la sensibilité de l’investissement aux profits dépendrait de l’ampleur des variations du taux d’intérêt induites par les variations de la production. Lorsque le système monétaire est élastique, la hausse de la production et des prix des biens d’investissement s’accompagne d’une création monétaire qui limite la hausse du taux d’intérêt. La sensibilité des décisions d’investissement à la variation de la production et des profits serait ainsi plus forte car l’effet bénéfique de cette hausse ne serait que faiblement compensé par l’effet négatif de la hausse du taux d’intérêt. Si cette sensibilité prend une valeur telle que le cycle est amorti, l’atténuation des fluctuations aura tendance à accroître l’élasticité du système de crédit : « Le besoin de liquidité des banques et des entreprises deviendra moins pressant et la disparition des fluctuations aura l’effet d’une hausse des réserves » (Kalecki 1990, p. 360). Il en résulte une moindre variation du taux d’intérêt avec la production et donc un retour de la sensibilité aux profits de la décision d’investir vers son niveau pour lequel les fluctuations ont une amplitude constante. L’argument revient ainsi à introduire des non-linéarités dans la fonction de demande de monnaie.
155Les versions de 1937, 1939 et de 1943 ne reprennent pas cette idée et se concentrent plutôt sur une analyse des anticipations. Kalecki avance l’idée que les décisions d’investissement sont moins sensibles aux variations des profits dans les phases hautes et basses du cycle. L’effet cumulatif de l’investissement sur la demande est ainsi stoppé indépendamment des variations du stock de capital et de la nature du retard d’ajustement entre décisions d’investissement et production des biens d’investissement.
156En 1943, reconnaissant la pertinence de la conception endogène des cycles de Nicholas Kaldor (1940), Kalecki renoue avec la problématique de son modèle originel (1933). Abandonnant toute référence au « Swinging System » de Frisch, il développe alors une explication fondamentalement endogène des fluctuations à laquelle seul manque un traitement formel. Parallèlement, l’analyse est fondée sur une nouvelle fonction d’investissement. Mais si Kalecki suit bien ici, pendant un temps, l’approche préconisée par Kaldor, en 1954, il revient à l’explication de Frisch. À partir de ce moment, dans son ouvrage Theory of Economic Dynamics (1954), il admet le caractère amorti des cycles et explique la constance de l’amplitude des fluctuations par l’existence de chocs aléatoires. La solution qu’il retient consiste à considérer que la distribution des chocs suit une loi normale et non uniforme (ce qui revient à dire que les chocs de grande ampleur sont plus rares que ceux de moindre ampleur). Cette hypothèse permet à son modèle de générer des cycles réguliers quelle que soit la valeur des paramètres de son équation fondamentale, sans faire d’hypothèses spécifiques sur l’évolution des décisions d’investissement au cours du cycle. C’est cette solution qu’il retiendra dans les versions ultérieures de sa théorie.
157Lorsque les valeurs des paramètres sont telles que le cycle est amorti, ce sont des chocs aléatoires suivant une distribution de loi normale qui permettent d’expliquer la régularité des fluctuations. Kalecki n’a pas recours à des arguments sur la psychologie des entrepreneurs pour évacuer le cas des fluctuations explosives. Si l’effet cumulatif de l’investissement sur la demande est trop fort, l’économie oscille entre un plafond correspondant au plein-emploi et un plancher atteint lorsque l’investissement est nul. Au plein-emploi, les pressions sur les capacités ralentissent la hausse de la production et les profits, de sorte que l’économie atteint un stade où l’investissement n’augmente plus et où la hausse du stock de capital entraîne un retournement de la conjoncture.
158Le fait que les cycles soient impulsés par des chocs n’est pas problématique dans la mesure où dans la conception de Kalecki, l’économie n’a pas de tendance inhérente à croître et ne le fait que grâce aux impulsions externes que représentent les innovations. Il conclut par exemple son ouvrage de 1954 en écrivant :
Le développement économique de longue durée n’est pas inhérent à l’économie capitaliste. Ainsi, des « facteurs spécifiques de développement » sont nécessaires pour maintenir un mouvement tendanciel ascendant. Parmi ces facteurs, nous avons dégagé les innovations au sens le plus large comme le moteur le plus important du développement. (Kalecki 1991, p. 337)
159En l’absence de ces impulsions, l’économie reste bloquée autour d’un état stationnaire de sous-emploi, sans qu’il n’existe de facteurs internes à même de l’en sortir.
160En faisant augmenter le taux de profit anticipé, les innovations agissent sur la demande de la même manière qu’une hausse des profits où un accroissement de l’optimisme des entrepreneurs. Ce n’est que dans la mesure où elles font augmenter la dépense d’investissement au moment où elles apparaissent qu’elles génèrent de la croissance. Sans cet effet, il montre en 1941 dans un article intitulé « A theorem on technical progress » qu’elles se traduisent par une hausse du chômage liée à la hausse de la productivité du travail et à celle du degré de monopole (qui résulte de la concentration industrielle accrue qui accompagne les innovations) (Kalecki 1941).
161Ayant fait reposer la croissance sur des chocs, il lui suffit de montrer que la structure de l’économie est telle qu’elle s’ajuste à ces derniers par le cycle pour démontrer le caractère nécessaire des fluctuations dans le capitalisme. L’alternative se situe entre une stagnation autour d’un niveau de sous-emploi et une trajectoire nécessairement cyclique autour d’un trend de croissance toujours incertain parce que soutenu par des facteurs externes. Dans tous les cas, le capitalisme apparaît comme un système incapable d’ajuster de lui-même et de manière durable les ressources disponibles aux besoins.
Notes de bas de page
1 L’ensemble des citations de Kalecki présentes dans cet ouvrage ont été traduites en français par les auteurs. Les traductions en anglais des publications de Kalecki uniquement parues en polonais de son vivant ont été réalisées par Osziatinski, éditeur des œuvres complètes.
2 Hicks présente son célèbre article « Mr. Keynes and the Classics » pour la première fois à la conférence d’Oxford de 1936 organisée par la Société d’économétrie à laquelle Kalecki était présent. À cette époque, Hicks ne pensait pas que l’opposition entre Keynes et les classiques résidait dans l’opposition entre chômage et plein-emploi. Pour lui, l’apport fondamental de Keynes était d’avoir développé un système fondé sur la préférence pour la liquidité. Son mérite était d’avoir enrichi la théorie classique mais non de l’avoir réfutée.
3 Dans son célèbre article de 1944 paru dans Econometrica, Modigliani défend l’idée que l’opposition entre Keynes et les classiques ne tient pas à la préférence pour la liquidité mais à la rigidité des salaires monétaires.
4 Pigou expose son argument dans son article intitulé « The classical stationnary state » paru en 1943 dans l’Economic Journal, dans lequel il reproche à Keynes de négliger l’effet d’une variation du niveau général des prix sur la valeur réelle des encaisses monétaires, affirmant que si cet effet est correctement intégré dans l’analyse, la flexibilité des prix et des salaires conduit à l’élimination des offres et des demandes excédentaires.
5 Kalecki s’est réellement opposé à l’argument de Pigou dans sa courte note de l’Economic Journal parue en 1944 dans laquelle il souligne que la plupart des actifs ont pour contrepartie une dette, ce qui laisse à l’effet d’encaisse réelle une base réduite pour ramener l’économie au plein-emploi.
6 En 1975, Tobin accepte le verdict de l’histoire. Selon lui, Keynes « n’a pas prouvé l’existence d’un équilibre d’offre excédentaire, du moins pas au sens que prend le mot magique d’équilibre dans l’économie classique ou néo-classique qu’il critiquait. En ce sens l’équilibre est un état stationnaire, et un état dans lequel les anticipations sont vérifiées. » (Tobin 1983, p. 43). Aussi, c’est en démontrant le caractère instable de l’équilibre de plein-emploi, qu’il convient de retrouver une perspective keynésienne.
7 C’est à la suite de l’infirmation statistique de Dunlop (1938) et Tarshis (1939) de la conjecture de Keynes au sujet de l’existence d’une corrélation négative entre salaires réels et salaires monétaires que Kalecki s’engage véritablement sur la voie de la concurrence imparfaite et relie sa théorie de l’emploi à cette hypothèse. Dès 1936, date de l’arrivée de Kalecki à Cambridge, Robinson prend conscience des similitudes entre l’approche de Kalecki et celle de Keynes. À propos de ses premières entrevues avec Kalecki, elle indique qu’elle avait l’impression d’être dans une pièce de Pirandelo, « ne sachant pas si c’était lui ou [elle] qui parlait. » (Robinson 1964, p. 337)
8 Dans leur important article de 1987, Blanchard et Kiyotaki développent un modèle macroéconomique de concurrence monopolistique où prix et salaires sont fixés par des agents précis, entreprises et syndicats, disposant d’un pouvoir de monopole. Dans cette contribution, ces deux auteurs ne se réfèrent pourtant à aucun moment à Kalecki.
9 Ici, la fiction s’interrompt : à partir de 1937 Kalecki écrit en anglais et c’est sur ses travaux et intuitions que s’appuieront en particulier Kaldor (1940) et beaucoup plus tard Woodford (1988, 1989).
10 Le principe du risque croissant stipule que le risque d’un investissement augmente avec le montant du capital investi pour deux raisons : le risque de perte en capital est plus important en cas d’échec du projet et il y a un accroissement du risque de liquidité lié à la hausse du montant du capital investi par rapport aux fonds propres directement mobilisables. Il résulte de ce principe que seules les entreprises possédant déjà des fonds propres importants peuvent se permettre de réaliser de gros investissements. Aussi, la démocratie des affaires est un « mythe ».
11 Kalecki propose également une explication keynésienne de la reprise économique allemande sous le gouvernement national socialiste.
12 Ses explications susciteront à la fois l’hostilité des économistes marxistes et des économistes libéraux.
13 À cette époque, Kalecki admet deux hypothèses de la microéconomie marshallienne : le salaire réel est égal à la productivité marginale du travail et la productivité marginale décroît lorsque l’emploi augmente.
14 « Il serait intéressant de connaître les conclusions d’une enquête statistique sur le rapport qui existe dans la réalité entre les variations des salaires nominaux et celles des salaires réels. Dans le cas d’une variation n’affectant qu’une seule industrie, il est probable que les salaires réels varient dans le même sens que les salaires nominaux. Mais dans le cas de variations du niveau général des salaires on constaterait, croyons nous, que la variation des salaires réels qui accompagne une variation des salaires nominaux, loin d’être ordinairement du même sens que celle-ci, est presque toujours du sens opposé. Autrement dit, lorsque les salaires nominaux montent, on constaterait que les salaires réels baissent, et, lorsque les salaires nominaux baissent, que les salaires réels montent. La raison en est que, dans la courte période, la baisse des salaires nominaux et la hausse des salaires réels doivent toutes deux accompagner, pour des motifs différents, la diminution de l’emploi ; la main d’œuvre accepte plus volontiers des réductions de salaire lorsque l’emploi décline et dans les mêmes circonstances les salaires réels ont tendance à croître puisque, si l’équipement reste inchangé, la productivité marginale de la main d’œuvre augmente à mesure que l’emploi diminue. » (Keynes 2005, p. 39-40)
15 « Nous allons à présent examiner un système avec une circulation normale de la monnaie émise par la banque centrale. Par souci de simplicité, nous ne tiendrons pas compte de la monnaie créée par les autres banques (par exemple, leurs chèques et leurs endossements), ce qui ne réduit aucunement la généralité de notre propos. Nous considérons, initialement, un cas dans lequel la banque centrale maintient un volume constant de monnaie en circulation pendant le déroulement complet des processus examinés ici, afin de montrer que le comportement typique du Système II ne consiste absolument pas en inflation par le crédit stricto sensu. Ce n’est que dans la dernière section de ce chapitre que nous nous approchons davantage de la réalité, en supposant que la banque centrale augmente la monnaie en circulation quand la demande de monnaie s’élève et la réduit dans le cas contraire (tout ceci étant naturellement effectué par la manipulation de son taux d’intérêt par la banque). » (Kalecki 1990, p. 207)
16 « Plus le taux d’intérêt est élevé, plus les réserves d’encaisses détenues par une entreprise pour un turnover donné seront faibles. Par conséquent, si les ventes s’élèvent alors que le volume de la monnaie en circulation reste constant, c’est-à-dire si la vitesse de circulation de la monnaie s’élève, alors le taux d’intérêt va augmenter car il va y avoir une tendance à l’accroissement des réserves d’encaisses dans les mêmes proportions, ce qui doit être contrebalancé par la hausse du taux d’intérêt. Le taux d’intérêt du Système II est déterminé de cette façon par la vitesse de circulation de la monnaie » (ibid., p. 207). Dans ce raisonnement, il convient de remarquer que les agents sont supposés s’intéresser ici, non au montant nominal de leurs encaisses, mais à leur pouvoir d’achat.
17 En effet, le salaire réel dans le secteur des biens de consommation se définit toujours comme une fonction implicite de l’emploi global et de la consommation des capitalistes. On a donc :
Connaissant W / pc par (3) on détermine l’emploi dans le secteur des biens de consommation. Puisque l’emploi dans les deux secteurs de production, d’après (5), est égal à l’offre de travail, on peut en déduire l’emploi dans le secteur des biens d’investissement ainsi que les quantités de biens de consommation et de biens d’investissement par (1) et (2). À partir de (4) on détermine le salaire réel dans le secteur des biens de production, dont on déduit la valeur du taux d’intérêt. En effet, à l’équilibre, on a
,
ce qui implique que r est une fonction implicite de NI, W / pc, W / p1. Ces variables étant déjà déterminées, on peut donc en déduire la valeur du taux d’intérêt d’équilibre et des variables nominales. Puisque
et
,
en considérant la nouvelle relation d’équilibre sur le marché de la monnaie, on obtient désormais, en se souvenant que la fonction L est homogène de degré 1 dans les prix, la valeur du salaire nominal :
Enfin, en passant par (3) et (4), on détermine pc et pi .
18 Les variations induites des salaires nominaux sont décrites par la relation
où l’offre de travail exogène, N le taux d’emploi effectif et W le taux de salaire nominal, faisant apparaître que le niveau de l’emploi effectif détermine le salaire monétaire tandis que les variations spontanées des salaires sont décrites par la relation usuelle :
.
19 Il est intéressant de souligner que Kalecki reprend ici une hypothèse développée dans son Essay sans toutefois l’expliciter davantage. Rappelant que la rentabilité brute courante suit un développement procyclique, s’élevant en période d’expansion et diminuant en période de récession, Kalecki note : « En fait, les salaires monétaires fluctuent dans la même direction. » (Kalecki 1990, p. 101)
20 À la fin de sa vie, Kalecki insistera sur le rôle des syndicats dans la détermination du taux de marge des entreprises (Kalecki 1971).
21 En se souvenant que la fonction de demande d’encaisses monétaires est homogène de degré 1 dans les prix, il est commode de le réécrire sous la forme réduite suivante :
Ou encore :
où
Les variables endogènes sont Nc et Ni. Les variables exogènes sont ,
, et
.
Ainsi l’emploi, dans les deux secteurs, est une fonction implicite de la consommation des capitalistes, de la quantité de monnaie et du niveau de l’offre de travail.
22 En 1936, Kalecki se rend en France pour étudier les effets de la hausse des salaires monétaires sur l’emploi entraîné par les mesures prises par le gouvernement Blum, ce qu’il discute dans son article « The lesson of the Blum experiment » (Kalecki 1938).
23 « Si, dans la situation initiale, la dette nationale est de grande ampleur, cela facilite l’ajustement décrit par Pigou dans la mesure où la hausse de la valeur réelle de la dette nationale ne signifie pas un accroissement de la richesse réelle des entreprises et des agents. (Si l’intérêt sur la dette est financé par l’imposition, son existence n’affectera pas le revenu disponible). » (Kalecki 1990, p. 568)
24 Un recours au modèle IS-LM peut aider à se représenter l’argument de Kalecki. L’effet Keynes se manifeste par un déplacement de la courbe LM vers le bas le long de la courbe IS décroissante ; l’effet Pigou se manifeste par un déplacement vers la droite de la courbe IS tandis que l’effet de la baisse des prix sur l’endettement réel se traduit par un déplacement de IS vers la gauche. Graphiquement, si l’effet combiné des effets Keynes et Pigou est dominé par l’effet d’endettement réel, une baisse des prix entraînera une baisse de la demande globale en sorte que la demande globale dans le repère (revenu réel, niveau des prix) ne sera pas décroissante mais croissante. Dans une telle situation, l’équilibre de plein-emploi peut très bien être instable.
25 On peut, pour cela, retenir une fonction de demande à élasticité constante de type
,
où pi désigne le prix de l’entreprise i, P le niveau général des prix, Y la demande globale, ε l’élasticité de la demande et m, le nombre des entreprises.
26 La condition d’optimalité s’écrit alors pour toute entreprise , où W / PmL désigne le coût marginal réel, W le salaire monétaire et PmL le produit marginal du travail :
27 Comme le note Kalecki dans son ouvrage Studies in Economic Dynamics publié en 1943, si le degré de monopole varie : « Le pourcentage de marge brute s’élève, mais le produit national baisse exactement dans les mêmes proportions, en sorte que les profits réels totaux restent inchangés. Quel que soit le niveau des marges de profits sur une unité de production, les capitalistes ne peuvent réaliser plus de profit que ce qu’ils consomment et investissent. » (Kalecki 1991, p. 153-154)
28 La crise de 1929 n’est par exemple pas interprétée comme une crise structurelle mais comme un moment du cycle. Voir par exemple Kalecki (1954).
29 Le raisonnement est ici mené en concurrence monopolistique.
30 Cet exemple révèle que les problèmes de coordination étudiés par Kalecki concernent davantage des problèmes de coordination stratégiques que des problèmes de coordination intertemporels comme chez Keynes.
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