3. Pour en finir avec la « chaîne secrète » des Lettres persanes
Texte intégral
1Tout lecteur des Lettres persanes sait d’emblée de quoi il s’agit, puisqu’il a commencé sa lecture par les « Quelques réflexions sur les Lettres persanes » : « […] l’auteur s’est donné l’avantage de pouvoir joindre de la philosophie, de la politique et de la morale à un roman, et de lier le tout par une chaîne secrète et en quelque façon inconnue », écrit Montesquieu. Cette chaîne mystérieuse avait tout pour séduire les critiques, qui se sont évertués à lever le voile, en un nombre remarquable de publications. La question est-elle devenue plus claire pour autant ? Force est de constater que non. Peut-être un jour faudra-t-il penser à employer une mesure radicale, telle que celle qui eut cours à l’Académie des sciences, où l’on interdit un temps d’examiner les solutions proposées au problème de la quadrature du cercle, ou à la Société de linguistique, qui en 1866 défendit qu’on l’entretînt de recherches sur l’origine des langues. En attendant, on se propose ici, à travers un panorama critique, de faire l’inventaire des interprétations proposées – pour mieux en exposer une nouvelle ? C’est à voir.
2Il faut donc commencer par la fin : en se situant après toute une théorie de critiques, peut-être arrivera-t-on à y voir plus clair dans ce qu’il faut bien appeler un foisonnement interprétatif. Cet objet lui-même est à chercher dans un commentaire dont il faut rappeler qu’il est postérieur aux Lettres persanes puisqu’il apparaît seulement dans l’édition posthume de 1758, dans ces « Quelques réflexions » que Montesquieu a toujours fait figurer dans ses manuscrits à la fin, et non en tête de l’ouvrage comme on le voit dans toutes les éditions de 1758 à 20041. Tout cela, qui est affaire de bon sens, ou plutôt qui devrait être remis dans le bon sens, mérite d’être regardé de plus près.
3Mais il faut reconnaître d’emblée que je ne suis pas la première à me situer ainsi en bout de chaîne : outre Corrado Rosso en 1976 avec « Montesquieu présent : études et travaux depuis 1960 »2, Theodor Braun s’y est intéressé en 1988 : « “La chaîne secrète” : A Decade of Interpretations »3. L’« état présent » de 1976 reste de par sa nature même très sommaire, puisqu’il présente une vingtaine de références dans les deux pages consacrées à cet aspect des Lettres persanes : sa fonction est de les articuler, de les mettre en perspective ; il replace d’ailleurs la critique dévolue à la chaîne secrète d’une part sous le chef des études structurales, de l’autre dans le contexte plus large de l’interprétation politique des Lettres persanes4. L’étude de 1988, à l’inverse, choisit cet angle spécifique : elle résume une quinzaine d’analyses différentes et les ordonne selon trois axes, selon qu’elles portent sur la structure, ou fonctionnent comme une clé de lecture (ce qui concerne un cas seulement), ou repose sur la forme épistolaire (ce qui porte sur deux cas). Theodor Braun conclut que le travail critique sur les Lettres persanes s’est considérablement approfondi et diversifié entre 1960 et le début des années 1970 grâce à ces travaux ; il semblerait même à le lire que le déchiffrement des Lettres persanes soit né durant cette décennie fantastique, avec la prise en compte de la chaîne secrète, manifestement ignorée ou sous-estimée jusque-là.
4On se doute déjà que pareille profusion, loin de susciter l’admiration, invite au doute : pourquoi tant d’hypothèses différentes, voire concurrentes ? Tous ces articles, présentés par Theodor Braun par ordre chronologique, s’ignorent parfois les uns les autres et présentent une lecture personnelle – ce qui n’est pas une raison de les disqualifier a priori, mais incite plutôt à en regarder de plus près les fondements et la démonstration.
5Levons une objection préalable : les découvertes exposées en 2004 sur la publication posthume (1758) de l’édition qui fait connaître les « Quelques réflexions », que l’on croyait jusque-là dater de 1754, donc avant la mort de Montesquieu5, vouent-elles aux oubliettes ce pan de la critique ? Nullement : les « Quelques réflexions » et les corrections des Lettres persanes datent bien des dernières années de Montesquieu, et la date de publication ne modifie en rien la perspective. C’est donc l’ensemble de ce corpus critique et des interprétations proposées qu’il faut envisager maintenant, en se restreignant toutefois à ceux qui se donnent explicitement comme objectif l’élucidation de la chaîne secrète, et en commençant cette fois par le commencement.
Lectures préhistoriques
6Je partirai comme Theodor Braun du commentaire de Paul Vernière qui, dans l’introduction de son édition des Lettres persanes (1960), signale brièvement « le lien romanesque, cette chaîne secrète qui, aux yeux de l’auteur, faisait le principal mérite de l’ouvrage6 ». Aurait-il fait preuve de myopie ? Son édition, constamment rééditée pendant plus de quarante ans, se fonde sur une érudition considérable, mais aussi sur une très grande connaissance du contexte philosophique de l’époque. Cela lui aurait-il caché les vertus de la chaîne ? Theodor Braun semble le penser ; pour lui cette affirmation n’éclaircit rien et ne fait peut-être que renforcer le problème, notamment parce qu’il estime l’expression « lien romanesque » peu claire. L’expression me paraît au contraire parfaitement limpide : tout indique qu’il s’agit simplement de l’intrigue orientale, et que Paul Vernière mêle en fait la phrase fatidique à un passage qui la précède : « les divers personnages sont placés dans une chaîne qui les lie ». Vernière, qui paraît récuser le jugement de Montesquieu (« aux yeux de l’auteur » a valeur restrictive), n’est pas un grand admirateur de la partie « romanesque » : son analyse relève d’une approche que l’on pourrait dire traditionnelle, pour ne pas dire positiviste parfois. Il présente les « sources » puis le « plan », étudiant successivement le voyage, le séjour européen, d’abord sous Louis XIV puis sous la Régence, et enfin la catastrophe finale, qui ne le retient guère.
7Même approche chez un autre grand connaisseur de Montesquieu, Robert Shackleton, dans sa biographie de Montesquieu, qui se passe de toute allusion à la chaîne7 – ce qui n’étonnera pas puisque le biographe doit traiter en une dizaine de pages de la tradition littéraire et des différents thèmes traités par les Lettres persanes. Mais il devient bientôt évident, si l’on continue à suivre Braun, que le commentaire, ou plutôt l’absence de commentaire de Vernière et de Shackleton apparaît comme une sorte de paléocritique, le résidu d’une époque révolue où l’on méconnaissait l’importance de la dimension romanesque de l’ouvrage, laquelle n’a été mise en valeur qu’à partir des années suivantes.
Les pionniers
8L’histoire semble en effet commencer véritablement en 1961, avec Roger Laufer : contre toute une tradition critique, celui-ci défend l’idée que les Lettres persanes sont bel et bien un roman, et un roman réussi8. Il met en valeur le mélange heureux et efficace du sérieux et de la supposée « frivolité », en insistant sur la confrontation de l’Orient et de l’Occident, de l’idéal philosophique et de la réalité humaine, de la société et de l’individu ; les Lettres persanes se fondent sur « la contradiction grandissante entre l’enquête philosophique et l’aveuglement », contradiction qui « constitue la “chaîne secrette” dont Montesquieu indiquait lui-même sommairement la nature ». « Montesquieu a réussi, par l’emploi de procédés indirects et variés, de rappels et d’oppositions […] à forger la “chaîne” de son roman et à la tenir “secrette”, incertaine même jusqu’à la dernière lettre du recueil », puisque la haine et le suicide de Roxane n’apparaissent pleinement que là.
9Cet article introduit un changement de paradigme : la composante romanesque n’est plus tenue pour une concession à l’esprit du temps, un moyen de séduire le lecteur amateur d’esprit Régence, ce n’est même plus à proprement parler une composante ; tout concerte et se compose en un roman multidimensionnel, auquel l’image de la chaîne donne consistance tout en apportant la caution de l’auteur. Cette révolution critique, peu soucieuse cependant d’une analyse approfondie des idées mêmes défendues par Montesquieu9, est renforcée dès l’année suivante par l’article publié en parallèle par Roger Mercier, « Le roman dans les Lettres persanes. Structure et signification »10. Toutes les histoires insérées (celle des Troglodytes, d’Anaïs, d’Aphéridon et Astarté) sont pour lui l’expression indirecte, ou l’illustration, de la pensée de Montesquieu : les éléments romanesques répondent à un certain nombre de préoccupations fondamentales, bonheur, vertu, liberté, autant de notions qui se trouvent pour ainsi dire incarnées et problématisées à travers personnages et situations. Ce « procédé de composition [est] délibéré » et « la diversité apparente […] se ramène à une unité artistique où les moyens propres au genre romanesque sont mis au service de la pensée […] », grâce à un jeu de correspondances ou d’échos. La structure est donc d’ordre dialectique, faisant jouer esthétique et philosophie. Selon Braun, sans faire référence à la « chaîne secrète », Mercier en défend l’idée ; mais on se gardera bien de confondre « chaîne » et structure (on reviendra plus loin sur le sens à donner à cette notion). De plus Mercier n’a nulle prétention à révéler un « secret » : il se contente de procéder à une analyse serrée, qui converge avec celle de Laufer mais se révèle plus approfondie sur le plan des idées, et récuse comme elle les interprétations traditionnelles selon lesquelles les Lettres persanes annoncent le grand traité politique : Mercier assoit la légitimité du roman en tant que tel.
La chaîne se développe
10En insistant sur leur caractère de roman épistolaire, Pierre Testud11 ajoute aux Lettres persanes une dimension nouvelle et apporte une pierre essentielle à l’édifice critique : disparition du narrateur omniscient, pluralité des voix et des expériences transmises par un je qui « ne sert ici ni le lyrisme, ni l’analyse psychologique, mais l’enquête philosophique », autant de procédés constitutifs d’un véritable roman : « l’œuvre se révéla être non une juxtaposition de lettres diverses (dont chacune se suffirait à elle-même), mais une totalité. À vrai dire, Montesquieu nous en avait avertis dès 1754, en signalant dans son livre la présence d’une “chaîne secrète” ». Le critique se place explicitement dans la continuité de Laufer et Mercier – de fait, il nous semble difficile de suivre Theodor Braun et de voir dans le recours à la notion de « roman épistolaire » l’occasion de définir une catégorie critique à part : Testud ne dit pas autre chose que la continuité de la démarche philosophique et de l’intrigue comme des divers procédés épistolaires, qui sont autant d’éléments structurels ; reprendre l’idée de la « chaîne secrète » est pour lui le moyen d’affirmer une unité ou une cohérence soigneusement élaborée par l’auteur.
11Testud se place également sous le patronage d’une étude antérieure, mais dont en fait il se démarque très fortement, celle de Pauline Kra12, où il reconnaît « une vue unitaire des Lettres persanes […] insistant sur la suite des idées13 » ; c’est un article qui mérite d’être regardé de près, car on y a parfois vu une étude matricielle : sur plus de cinquante pages se déploie un regroupement thématique des Lettres persanes en six points, qui sont autant de maillons de la chaîne : l’individu (1-40), l’homme et son milieu social (41-67), le citoyen et l’État (68-97), la nation (98-122), l’activité intellectuelle et l’administration (123-146), la crise du sérail (147-161) qui rejoint la démarche philosophique et politique puisque le sérail est la métaphore du despotisme ; les thèmes s’entrelacent et les éléments les plus disparates se trouvent ainsi replacés en continuité, dans des cadres assez souples pour regrouper des lettres diverses, et assez précis pour arriver à une définition satisfaisante, en combinant ordre et variété ; l’image de la chaîne est donc prise en son sens premier et littéral.
12L’analyse de Pauline Kra rejoint les études précédentes par son souci de présenter une vue globale et ordonnée, et en ce sens « unitaire », qui rende compte à la fois de la fiction orientale et de la démarche philosophique. Mais l’apport représenté par la lecture des Lettres persanes comme roman, par l’inclusion de la dimension esthétique dans la compréhension d’un ouvrage philosophique, est ignoré au profit d’une lecture « thématique » qui certes définit des points forts comme autant de chaînons parfois solidement unis (ainsi les cinquième et sixième points développent dans les faits les principes énoncés dans le quatrième), mais qui peut aussi apparaître comme une schématisation peu compatible avec le foisonnement d’idées et le renouvellement formel qui caractérisent l’ouvrage.
13Dernier aspect majeur de cet article, dont le principe même est la révélation du secret de la chaîne : celle-ci est obscure, ou « invisible », parce que beaucoup de relations ne seront vraiment développées que dans L’Esprit des lois et n’apparaissent que dans la succession des lettres et la distribution des sujets ; en effet, l’auteur n’ayant pas donné de titres aux lettres comme il l’a fait aux livres et aux chapitres de son grand ouvrage théorique, il restait à accomplir un travail herméneutique. Ainsi L’Esprit des lois serait en germe dans les Lettres persanes… Ce n’est pas le moindre des présupposés ; et surtout on se demandera pourquoi Montesquieu, ayant enfin découvert les principes en jeu dans les Lettres persanes, les a laissés si à couvert qu’il aura fallu attendre deux cent quarante ans pour qu’ils livrent leurs premiers secrets. Mais ce ne sont pas les derniers : bientôt se multiplient les publications qui prétendent apporter des révélations, ou des clés de lecture, ou des clés tout court, et qui en tout état de cause refusent de considérer le problème comme résolu.
Tout est permis ?
14C’est surtout dans les pays anglophones que l’influence de l’article de Pauline Kra joue pleinement, dans la mesure où il inspire plusieurs interprétations concurrentes de la sienne – signe que sa conception de la chaîne n’était peut-être pas absolument convaincante ; mais elle avait eu le mérite d’attirer l’attention sur un « mystère », autrement dit d’ouvrir la boîte de Pandore. Succombe à la tentation J.L. Carr qui, en 1967, reprend explicitement la question14 d’une manière originale : il fait de l’ouvrage un roman à clés, où les eunuques jouent un rôle essentiel. Les eunuques blancs représentent la noblesse d’épée, les noirs la noblesse de robe (ils sont d’ailleurs appelés esclaves), les femmes le peuple ; ainsi dans la Lettre 20, on voit Zachi, d’un ordre inférieur, fraterniser avec un eunuque blanc… Quant à Usbek et Rica, ce sont respectivement Louis XIV à Versailles et Louis XV qui s’intéresse peu à son métier de roi. Il est inutile d’en dire plus, sinon en signalant l’identification du Premier eunuque et du Régent, qui ne manque pas de piquant quand on sait ce que fut la vie amoureuse de Philippe d’Orléans. Qui pouvait être convaincu ? L’auteur de l’article lui-même se déclare conscient des résistances que rencontrera son interprétation : Montesquieu n’a-t-il pas eu soin de la dissimuler ? La « chaîne secrète », qui était devenue « invisible » chez Pauline Kra, est donc désormais « cachée » : grâce à ce glissement sémantique, libre cours est donné à l’inventivité des critiques, quelles que soient la vraisemblance et l’efficacité de leur démonstration15.
15Toujours en 1967 Richard L. Frautschi s’interroge néanmoins sur cette « prétendue » ou « supposée » chaîne secrète16 : récusant ouvertement les interprétations antérieures, mais sans se focaliser sur ce qui a fait le succès de la formule auprès des critiques, il attire aussi l’attention sur l’autre adjectif par lequel Montesquieu qualifie la chaîne, « en quelque façon inconnue », autrement dit « nouvelle ». L’originalité de cette analyse est de se livrer à une lecture rigoureuse des « Quelques réflexions » – alors que les autres études privilégiaient plutôt leur système interprétatif. C’est dans la notion de nouveauté, et donc d’étonnement, qu’il trouve le principe unifiant qui pour lui représente la vraie chaîne, en l’occurrence le ton employé par chacun des correspondants, celui de la surprise ou d’autres émotions. L’année suivante voit J. Robert Loy traiter rapidement le problème au fil d’un ouvrage général sur Montesquieu17 : la juxtaposition entre la réalité et la perception qu’en ont les Persans constitue la chaîne, le contraste entre les deux devant inciter le lecteur à reconsidérer sa propre manière de voir et ses propres croyances. Chez Loy comme chez Frautschi, la « chaîne secrète » est donc finalement moins une clé interprétative qu’un principe explicatif : elle définit un point de vue sans privilégier le caractère « secret », tout comme chez Patrick O’Reilly18, pour qui le maître-mot est celui de l’ironie, centrée sur le personnage d’Usbek. La chaîne semble donc avoir perdu de son brillant, au profit du souci plus modeste de proposer une lecture unifiante, tant les critiques sont sensibles à la diversité des sujets traités ; l’image de la chaîne a d’ailleurs disparu des titres, ou apparaît relativisée : elle a trouvé semble-t-il ses limites.
16Les années suivantes n’en montrent pas moins son retour, mais sur des bases entièrement différentes : l’analyse structurale des Lettres persanes est au cœur de plusieurs études qui ne doivent pas beaucoup à leurs grandes aînées, sauf le désir de les dépasser et surtout l’affichage de l’image dans leur titre. L’idée d’herméneutique revient donc en force, comme en 1973 chez Mary Crumpacker, « The Secret Chain of the Lettres persanes and the Mystery of the B Edition »19, qui propose un regroupement évidemment différent de celui de Pauline Kra dix ans plus tôt ; le « mystère » est celui de l’édition de l’automne 1721, « corrigée, augmentée et diminuée par l’auteur », qu’elle entend résoudre par le seul jeu des correspondances, réponses, échos entre les lettres. En 1972 Agnes D. Raymond livrait plus modestement « Encore quelques réflexions sur la “chaîne secrète” des Lettres persanes »20 et définissait la question, à l’inverse, par rapport à deux événements historiques capitaux, la bulle Unigenitus et le système de Law, auxquels peuvent être rapportés la plupart des épisodes et des thèmes ; la chaîne est celle des « causes infinies » ; elle est donc d’ordre philosophique. En 1974 Nick Roddick21 désigne sans hésitation l’intercalation d’exotica et d’erotica persans dans l’ouvrage comme constituant la « chaîne secrète » ; il fait émerger à son tour une structure, tout en constatant que Montesquieu ne l’a pas suivie jusqu’au bout – les Lettres persanes finissant par apparaître comme un puzzle.
17Est-ce la fin de la chaîne secrète ? Susan Strong revient une dizaine d’années plus tard à ce « mystère »22, mais c’est pour découvrir que vie privée et politique sont liées, ou que l’Orient permet de comprendre l’Occident ; Lucas A. Swaine pour sa part fait des notions complémentaires de justice et d’intérêt, qui déterminent les institutions sociales, les thèmes unificateurs permettant de comprendre les Lettres persanes23. Quant à Randolph Runyon, près de trente-cinq ans après les premiers articles il y consacre un ouvrage entier24, fondé sur des microlectures : des rapprochements précis de termes créent des effets d’échos, appariant ainsi certaines lettres ; voilà la « chaîne », bien cachée dans des répétitions imperceptibles à l’œil nu – et l’auteur, de fait, s’interroge peu sur l’intention de Montesquieu, bien qu’il déclare ne pas disqualifier les contenus ; ces « mots sous les mots », pour reprendre le titre de Saussure, sont ainsi chargés d’un sens qu’on peine à retrouver au fil du texte25, et que rien ne garantit, d’autant que la pensée de Montesquieu elle-même ne paraît pas au centre du débat. Il me retient seulement parce qu’il illustre parfaitement l’idée selon laquelle la chaîne secrète apparaît finalement comme une sorte de test de Rorschach du critique, sur qui on en apprend finalement plus que sur les Lettres persanes ; mais surtout il est avéré que si la notion de structure, sous ses diverses formes, a permis aux interprétations de proliférer, c’est l’adjectif secrète qui les a justifiées : le travail critique est tenu pour un révélateur dont Montesquieu lui-même aurait désigné la nécessité. Est-il une mission plus gratifiante pour un chercheur ?
Retour aux sources
18Néanmoins, c’est sur ces prémisses qu’il faudrait peut-être s’interroger. En effet, ces interprétations ont toutes le même défaut, dès lors qu’elles se désignent comme révélant un sens caché : une fois produit au jour, ce sens devrait s’imposer et recueillir sinon la reconnaissance unanime des lecteurs, du moins un certain consensus ; or depuis cinquante ans, il n’en est rien. Seules ont survécu les études qui proposent de prendre en compte l’ensemble des données romanesques et philosophiques, sans prétendre fournir une « révélation » ni une clé de lecture. De plus, le recours à la notion de structure, si commode dès lors que par ce mot on entend une forme de composition ou de construction plutôt que de fonctionnement (la différence est de taille), se heurte à un obstacle majeur, manifestement sous-estimé : les trois éditions des Lettres persanes (mai 1721, octobre 1721, 1758)26 présentent chacune une distribution différente des lettres ; certes, objectera-t-on, ces différences ne jouent que sur quelques lettres, mais la plupart des interprétations « structurales » prétendent à une rigueur parfaite. Fait-on appel à la chronologie, comme Nick Roddick, on bute sur le fait que si Montesquieu a respecté dans une certaine mesure le calendrier musulman, la chronologie même des lettres ne joue pas un rôle primordial à ses yeux, puisqu’il a laissé passer ce qui peut être tenu pour des erreurs27.
19Arguments sans doute plus décisifs encore : comment se fait-il que les contemporains de Montesquieu, si avides de déchiffrer des clés ou de déceler des « personnalités », n’aient jamais pensé à de telles interprétations ? Pourquoi a-t-il fallu attendre 1961 pour que quelqu’un relève une expression qui en 1758 et après ne suscitait aucune curiosité ? Encore Roger Laufer se contentait-il de considérer la chaîne comme secrète parce qu’elle ne se révélait qu’à la fin, avec la lettre de Roxane28. Pourquoi enfin Montesquieu aurait-il jeté en pâture ces deux mots pour refermer immédiatement la piste qu’il aurait ouverte ? C’est trop ou trop peu. L’idée même que le philosophe ait proposé une solution en forme d’énigme ne répond en rien à la conception qu’il a de son activité, voire de son rôle : il n’écrit pas pour des happy few, mais pour ceux qui veulent le lire. Si « pacte de lecture » il y a (on pourrait parler plutôt de protocole), c’est entre un auteur qui met un point d’honneur à ne pas céder sur le fond, même quand il est obligé de ménager les autorités, et un public qu’il veut rendre sensible à ses arguments. Telles sont les limites d’une exégèse straussienne de Montesquieu : avant de lire entre les lignes, mieux vaut lire les lignes elles-mêmes.
20Il faut donc en revenir au texte et replacer la trop fameuse expression dans l’ensemble des « Quelques réflexions », comme l’a fait Richard Frautschi, mais aussi voir comment celles-ci procèdent de la démarche même de Montesquieu. Car si la vertu de l’analyse structurale est de se débarrasser des préjugés de l’histoire littéraire et du déjà-dit, elle prend de grands risques : l’étude d’une œuvre où on reconnaît la présence d’une pensée et d’une intention, autrement dit un auteur auquel on suppose même la fonction de suggérer une piste à ses lecteurs, peut-elle se passer de tout contexte historique et philosophique ? Peut-elle tout ignorer de ce qui fait la cohérence de la pensée de Montesquieu ? Un demi-siècle après la prétendue décennie fantastique, le jugement de Theodor Braun selon lequel la connaissance des Lettres persanes serait alors véritablement née paraît très optimiste. En fait, la recherche de la supposée chaîne secrète apparaît comme un leurre, qui a autorisé les lectures les plus arbitraires, comme celle de Carr ou de Runyon, ou donné une solidité apparente à des constructions schématiques comme celles de Pauline Kra ou de Nick Roddick, ou approximatives comme celle de Laufer, quand elle n’a pas présenté comme une révélation ce qui procédait d’une lecture quelque peu approfondie du texte, telle qu’on peut l’attendre d’un cours ou d’une analyse traditionnelle.
21Suivons plutôt le fil des « Quelques réflexions » que Montesquieu proposait comme une sorte de postface, non comme un programme ou un pacte de lecture jeté en tête, en guise d’avertissement ou de préalable, mais comme un retour sur son œuvre – ce qui en modifie considérablement la portée :
Rien n’a plu davantage dans les Lettres persanes que d’y trouver sans y penser une espèce de roman. On en voit le commencement, le progrès, la fin ; les divers personnages sont placés dans une chaîne qui les lie. À mesure qu’ils font un plus long séjour en Europe, les mœurs de cette partie du monde prennent dans leur tête un air moins merveilleux et moins bizarre, et ils sont plus ou moins frappés de ce bizarre et de ce merveilleux suivant la différence de leurs caractères. D’un autre côté, le désordre croît dans le sérail d’Asie à proportion de la longueur de l’absence d’Usbek, c’est-à-dire à mesure que la fureur augmente et que l’amour diminue.
22La première chaîne qui apparaisse n’a rien de mystérieux : c’est celle qui constitue la fiction épistolaire et l’intrigue elle-même. La relation entre l’Orient et l’Occident, entre les personnages, leur étonnement, tout est dit ici, et rien ne surprend vraiment. Mais l’omniprésence de la notion de « roman » fait oublier qu’il est question du lecteur dès l’attaque, invisible cependant car escorté de négations, et impersonnel puisqu’il est signifié par des infinitifs et « on » : c’est en fait la lecture, plus que le lecteur, qui fait l’objet de « réflexions » ; c’est de l’activité de l’esprit découvrant le « roman » que l’auteur veut rendre compte ; mais c’est « sans y penser »… Cela implique que s’impose quelque chose qui ne se laisse pas définir, car en 1721 un roman se définit par une analyse psychologique ou des aventures héroïques, par des personnages bien identifiés saisis dans un moment de leur vie ou dans la continuité de leur destin. La lecture construit donc l’œuvre, en un moment d’abandon de l’âme ; or selon Mes pensées, c’est quand elle se laisse surprendre que l’âme est la plus active : « Les heures où notre âme emploie le plus de force sont celles qu’on destine à la lecture, parce qu’au lieu de s’abandonner à ses idées, souvent même sans s’en apercevoir elle est obligée de suivre celle des autres29. » Suivons l’âme en poursuivant la lecture :
D’ailleurs ces sortes de romans réussissent ordinairement parce que l’on rend compte soi-même de sa situation actuelle, ce qui fait plus sentir les passions que tous les récits qu’on en pourrait faire. Et c’est une des causes du succès de quelques ouvrages charmants qui ont paru depuis les Lettres persanes.
23La forme épistolaire permet de faire l’économie d’un narrateur interposé entre la subjectivité du personnage et la sympathie du lecteur : l’âme sort d’elle-même pour mieux se trouver ; le temps du « roman », elle s’oublie pour vivre à travers autrui, pour éprouver les passions comme celles sur lesquelles jouent des « ouvrages charmants », l’adjectif devant être pris aussi au sens fort30. Énumérant ailleurs les plaisirs, Montesquieu nomme ceux « de la lecture, lorsque l’âme s’identifie dans les objets, avec les objets auxquels elle s’intéresse. Il y a tel amour dont la peinture a fait plus de plaisirs à ceux qui l’ont lu qu’à ceux qui l’ont ressenti. L’âme est une ouvrière éternelle qui travaille sans cesse pour elle31. » Ce qui intéresse ici Montesquieu, ce n’est pas le « public » en tant que tel, mais cette « ouvrière éternelle » dans son rapport singulier à l’œuvre qu’elle découvre.
Enfin, dans les romans ordinaires les digressions ne peuvent être permises que lorsqu’elles forment elles-mêmes un nouveau roman. On n’y saurait mêler de raisonnements, parce qu’aucuns des personnages n’y ayant été assemblés pour raisonner, cela choquerait le dessein et la nature de l’ouvrage. Mais dans la forme de lettres, où les acteurs ne sont pas choisis, et où les sujets qu’on traite ne sont dépendants d’aucun dessein ou d’aucun plan déjà formé, l’auteur s’est donné l’avantage de pouvoir joindre de la philosophie, de la politique et de la morale à un roman, et de lier le tout par une chaîne secrète et en quelque façon inconnue.
24Dans les romans « ordinaires », autrement dit chimiquement ou plutôt génériquement purs, la composition « en tiroirs » est de règle ; l’auteur des Lettres persanes se donne donc la liberté de n’avoir ni plan qui définisse des épisodes (ceux-ci s’étoffent parfois d’une édition à l’autre), ni définition préalable des personnages (ou « acteurs », comme on le trouve en tête des pièces de théâtre), lesquels n’ont pas à correspondre non plus à des emplois. La « forme de lettres », qui ne relève pas alors du roman puisque Montesquieu inaugure le roman épistolaire polyphonique, permet raisonnements et digressions – ces dernières étant non pas, comme le veulent les dictionnaires, des « hors-sujet », mais des développements nécessaires à la compréhension d’épisodes ou de faits, comme le montrent par exemple les règles de l’écriture historique : il faut savoir remonter aux causes ou à des principes généraux pour expliquer un cas particulier32. L’auteur affirme donc la nouveauté d’une démarche qui se caractérise par le refus des règles de composition, non pas pour suivre son bon plaisir, mais parce que ce qui mérite d’être dit doit l’être, et que l’ouvrage, pour intéresser, doit rendre compte de la diversité et de la profondeur du réel. L’alliance de la philosophie, de la politique et de la morale s’impose pour ainsi dire d’elle-même au roman, parce que dans la nature des choses, rien n’est jamais disjoint, et que si l’âme est capable d’analyser, de distinguer, elle doit aussi être capable d’embrasser une totalité ou de saisir les causes et les effets.
25Unir le tout par une chaîne, loin d’apparaître comme un phénomène remarquable, se présente comme une conséquence naturelle de ce qui vient d’être dit. La chaîne n’est que la modalité par laquelle s’opère la conjonction, ou plutôt la fusion d’aspects qui n’ont rien d’étranger l’un à l’autre, puisque les « Quelques réflexions » en répètent l’idée : il s’agit de « mêler », « joindre », « lier ». Ce sont les conventions littéraires qui imposent une distinction entre la vie et la pensée, les réflexions et les aventures, la philosophie et les belles-lettres, et même entre la philosophie, la politique et la morale. Les Lettres persanes refusent ces conventions, parce que l’âme les ignore, comme le dira plus tard l’Essai sur le goût, dans la section « De la curiosité » :
Notre âme est faite pour penser, c’est-à-dire pour apercevoir ; or un tel être doit avoir de la curiosité, car comme toutes les choses sont dans une chaîne où chaque idée en précède une et en suit une autre, on ne peut aimer à voir une chose sans désirer d’en voir une autre ; et si nous n’avions pas ce désir pour celle-ci, nous n’aurions eu aucun plaisir à celle-là. […]
C’est donc le plaisir que nous donne un objet qui nous porte vers un autre ; c’est pour cela que l’âme cherche toujours des choses nouvelles, et ne se repose jamais33.
26L’« âme est une suite d’idées34 », « toutes les choses sont dans une chaîne35 » : loin de désigner un artifice, l’image de la chaîne illustre une relation nécessaire, présente dans l’activité de l’esprit comme dans « les choses » ; tout ce qui relève d’une dissociation présente un danger, ou une faiblesse. Mais alors pourquoi cette chaîne est-elle dite ici « secrète et en quelque façon inconnue » ? Ce qui est « inconnu », ainsi que l’avait remarqué Frautschi, est ce qui n’a pas encore été ressenti, ce qui est nouveau, inédit – et se trouve ainsi opposé à ce qu’on trouve dans les « romans ordinaires ». Secrète ? Dans l’idiolecte de Montesquieu, « secret » veut souvent dire « intime », « intérieur », c’est-à-dire « inexprimé » ou « indicible », comme dans ce passage des Pensées : « Je m’éveille le matin avec une joie secrète […] j’ai toujours senti une joie secrète lorsque l’on a fait quelque règlement qui allât au bien commun36 », ou encore : « on sent une secrète satisfaction d’entendre parler la vertu37 ». Peut-on appliquer à l’œuvre littéraire ce qui dans tous ces emplois ne s’applique qu’à des émotions, et même plus précisément à une émotion positive ? Mais comment penser que la chaîne, inscrite au cœur du dispositif énonciatif, serait cachée ou mystérieuse, puisque tout dit sa nécessité ? Comme la joie s’impose avec la force de l’évidence sans qu’il soit besoin du raisonnement, la chaîne se donne comme le fondement même de l’œuvre ; indiscernable puisqu’elle procède de la nature des choses, reflétant l’indistinction de ce qui constitue la vie et les institutions humaines, elle est le mouvement même de l’œuvre et de l’esprit du lecteur qui goûte au plaisir du texte et se laisse porter par sa curiosité pour mieux devenir actif, « sans y penser ».
27On pourrait encore continuer la lecture des « Quelques réflexions », au risque d’y trouver des idées très simples, à commencer par cette quasi-évidence : ne confondons pas l’auteur et les personnages, dont la « singularité » est rappelée comme pour servir d’excuse. « Bien loin qu’on pensât à intéresser quelque principe de notre religion, on ne se soupçonnait pas même d’imprudence » – la candeur trouve ici ses limites, celles d’une innocence bien retorse. Mais là encore le propos s’appuie sur l’idée d’une continuité, avec des traits « toujours liés avec le sentiment de surprise et d’étonnement » qui font voir « la génération et le progrès de leurs idées ». La singularité (la notion est martelée, sous la forme du substantif ou de l’adjectif) apparaît dès lors comme l’exception, ou plutôt comme une rupture ; elle est l’« ignorance des liaisons qu’il y a entre ces dogmes et nos autres vérités » – ce qui incite justement à s’interroger sur ces liaisons, qui pourraient bien entacher tout le système. « Tout est extrêmement lié38 » – nulle phrase de L’Esprit des lois n’a été plus souvent citée, car celle-ci procède d’une manière de penser que l’on retrouve à chaque page de son œuvre ou de ses réflexions. Ainsi, une version antérieure des « Quelques réflexions » insistait encore davantage sur cet aspect : « Comme [le Persan] trouve bizarres nos coutumes, il trouve quelquefois de la singularité dans de certaines choses de nos dogmes parce qu’il les ignore et il les explique mal parce qu’il ne connaît rien de ce qui les lie et de la chaîne où ils tiennent39 ». Encore la chaîne ? Toujours la chaîne, car l’image est consubstantielle de la démarche de Montesquieu, d’une démarche faite pour restituer à chaque élément sa place dans le tout, et donc sa justification ; ce n’est pas un procédé, un moyen, une forme, un artifice imposé par l’auteur en quête d’une efficacité qui puisse éluder la censure : c’est le miroir de la nature des choses et le reflet de l’activité de l’esprit qui s’efforce de les comprendre. Prétendre l’identifier ou l’isoler, c’est nier l’une et l’autre.
*
28Que reste-t-il de ces trois décennies passées à percer à jour un mystère qui n’existait pas ? Comme les enfants du laboureur de La Fontaine, les critiques ont retourné le champ ; « creusez, fouillez, bêchez », l’injonction qu’ils s’étaient donnée à eux-mêmes a-t-elle eu pour effet de rendre fertile une terre ingrate et méconnue ? C’est seulement dans les jardins de Versailles que le travail sans finalité ni objet est un trésor ; la plupart du temps, quand on se perd en vaines recherches, on piétine et on stérilise le champ que l’on parcourt. Contentons-nous de suivre le sillon que Montesquieu a tracé.
Notes de bas de page
1 Voir OC, t. I, 2004, p. 42-43.
2 Corrado Rosso, « Montesquieu présent : études et travaux depuis 1960 », Dix-huitième siècle, no 8, 1976, p. 373-404. La question de la « chaîne secrète » occupe les pages 380-381.
3 Theodor Braun, « “La chaîne secrète” : A Decade of Interpretations », French Studies, no 42, 1988, p. 279-291.
4 Que l’on rapportera essentiellement aux lectures de Jean Ehrard, notamment avec « La signification politique des Lettres persanes », Archives des lettres modernes, no 116, 1970, p. 33-50, repris sous le titre « Un roman politique : les Lettres persanes », L’invention littéraire au xviiie siècle : fictions, idées, société, Paris, Presses universitaires de France, 1997, p. 17-32 ; et de Jean Starobinski, « Une théorie du pouvoir », Nouvelle Revue française, 1973, p. 28-35. Mais la « chaîne secrète » n’y est guère mentionnée qu’au fil du développement, et ne joue pas un rôle moteur, comme dans les références ici étudiées.
5 OC, t. I, p. 26-44.
6 Lettres persanes, Paul Vernière éd., Paris, Garnier frères, « Classiques Garnier », 1960, puis 1990, puis Paris, Librairie générale française, « Le Livre de poche », 2005 et 2006 (dans ces deux éditions, seule l’annotation a été corrigée et actualisée).
7 Robert Shackleton, Montesquieu. A Critical Biography, Oxford, Clarendon Press, 1961, p. 44. Braun voit dans ce passage une allusion non explicite, et non exploitée, à la chaîne (« “La chaîne secrète” : A Decade of Interpretations », article cité à la note 3, p. 280) ; je me contenterai d’y voir l’idée d’un lien (« closely connected », écrit Shackleton) entre les différents aspects de l’ouvrage, ce qui est autre chose.
8 Roger Laufer, « La réussite romanesque et la signification des Lettres persanes de Montesquieu », Revue d’histoire littéraire de la France, no 61, 1961, p. 188-203.
9 Signalons quelques formules décisives et approximatives : Montesquieu tarde à trouver sa place dans la société (en abandonnant sa charge de président), il est « devenu vigneron et négociant en vins » (p. 203)… et quelques jugements hasardés : ainsi des critiques contre le célibat des prêtres et la révocation de l’édit de Nantes, qui relèveraient d’une « vieille tradition gauloise » ou d’une « dénonciation du régime précédent » (p. 197). Montesquieu apparaît comme un « conservateur éclairé », ou plutôt comme la « bonne conscience du philosophe des Lumières qui élude le problème d’une action révolutionnaire grâce au mythe d’une raison universelle et intemporelle » (p. 202). Le plan des idées et le contexte historique ne sont pas ce qui intéresse Laufer.
10 Roger Mercier, « Le roman dans les Lettres persanes. Structure et signification », Revue des sciences humaines, no 107, 1962, p. 345-356.
11 Pierre Testud, « Les Lettres persanes, roman épistolaire », Revue d’histoire littéraire de la France, no 66, 1966, p. 642-656.
12 Pauline Kra, « The Invisible Chain of the Lettres persanes », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, no 23, 1963, p. 7-60.
13 P. Testud, « Les Lettres persanes, roman épistolaire », article cité à la note 11, p. 642.
14 J. L. Carr, « The Secret Chain of the Lettres persanes », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, no 55, 1967, p. 333-344.
15 Dans le même ordre d’idées, on citera Clifton Cherpak, qui fait de Rica et Usbek un couple d’homosexuels obligé de s’exiler pour éviter le scandale (« Usbek, Paper Persian or Anti-hero ? », Kentucky Romance Quaterly, no 18, 1971, p. 101-110).
16 Richard L. Frautschi, « The Would-Be Invisible Chain in LesLettres persanes », French Review, no 40/5, avril 1967, p. 604-612.
17 J. Robert Loy, Montesquieu, New York, Twayne, 1968.
18 Patrick O’Reilly, « The Structure and Meaning of the Lettres persanes », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, no 67, 1969, p. 91-131.
19 Mary Crumpacker, « The Secret Chain of the Lettres persanes and the Mystery of the B Edition », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, no 102, 1973, p. 121-141.
20 Agnes D. Raymond, « Encore quelques réflexions sur la “chaîne secrète” des Lettres persanes », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, no 89, 1972, p. 1337-1347.
21 Nick Roddick, « The Structure of the Lettres persanes », French Studies, no 28, 1974, p. 396-407.
22 Susan Strong, « Why a Secret Chain ? Oriental Topoi and the Essential Mystery of the Lettres persanes », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, no 230, 1985, p. 167-180.
23 Lucas A. Swaine, « The Secret Chain : Justice and Self-Interest in Montesquieu’s Persian Letters », History of Political Thought, 22/1, 2001, p. 84-105.
24 Randolph Runyon, The Art of the « Persian Letters » : Unlocking Montesquieu’s « Secret Chain », Newark, University of Delaware Press, 2005.
25 Citons seulement un des premiers « chaînons » décelés par Runyon, l’écho créé par le retour du mot sortir dans : « Rica et moi sommes peut-être les premiers parmi les Persans que l’envie de savoir ait fait sortir de leur pays », et : « Si les femmes que tu gardes voulaient sortir de leur devoir, tu leur en ferais perdre l’espérance » (Lettre 1). Il n’est rien qu’on ne puisse démontrer en arguant du retour de mots aussi banals en français, et en ignorant le sens des textes.
26 Voir dans ce volume « Les Lettres persanes : une histoire de suicide et de twist ».
27 Sur la bulle Unigenitus ou la querelle d’Homère, par exemple.
28 Voir dans ce volume « Les Lettres persanes, une histoire de suicide et de twist ».
29 Pensées, no 1732 (souligné par moi).
30 Le texte de l’ébauche de ces Réflexions est plus explicite : « c’est une des causes du succès de Paméla et des Lettres péruviennes (ouvrages charmants qui ont paru depuis) » (Pensées, no 2033). Pamela, or Virtue Rewarded, de Samuel Richardson, avait paru en 1740, la traduction française en 1741 ; les Lettres d’une Péruvienne de Françoise de Graffigny, portant la date de 1747, ont paru à la fin de cette année ou au début de 1748.
31 Pensées, no 1675.
32 Voir Pensées, no 976 : « Je vois des gens qui s’effarouchent à la moindre digression ; et moi je crois que ceux qui savent en faire sont comme les hommes qui ont de grands bras et qui atteignent plus loin. »
33 OC, t. VIII, p. 491 (d’après la version parue dans l’Encyclopédie, t. VII, 1757).
34 Pensées, no 1675.
35 On peut encore citer Pensées, no 1694 : « Toutes les nations tiennent à une chaîne et se communiquent leurs maux, et leurs biens. […] Et comme dit Marc Antonin, ce qui n’est point utile à l’essaim n’est point utile à l’abeille » ; ou no 1879, à propos de la Chine : « Il n’y a donc aucune province qui puisse penser pouvoir se passer deux ans du secours de l’autre : le besoin est une chaîne qui les lie toutes et les maintient sous un empire. »
36 Pensées, no 213.
37 Ibid., no 1298. La « joie secrète » des eunuques (Lettres 9, 93, Lettre supplémentaire 11) est certes dissimulée aux autres, mais c’est du fait de leur solitude.
38 EL, XIX, 15.
39 Mes pensées, no 2032, « Apologie des Lettres persanes ».
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