Chapitre 8
Un médecin juif dans le camp de Vapniarka et les ghettos de Transnistrie
p. 185-209
Note de l’éditeur
Cette contribution de Leo Spitzer, traduite par Sonia Combe, s’appuie sur les mémoires du docteur Kessler édités par Leo Spitzer sous le titre A Doctor’s Memoir of the Romanian Holocaust. Survival in Lager Vapniarka and the Ghettos of Transnistria (L. Spitzer éd., M. Robinson trad., Rochester, University of Rochester Press, 2024). Des extraits des mémoires du docteur Kessler ont été cités dans différents articles que l’on retrouvera entre autres sur la plateforme Cairn.
Texte intégral
1En septembre 1942, le docteur Arthur Kessler, médecin juif vivant et exerçant à Cernăuți (anciennement Czernowitz), en Grande Roumanie, a été déporté par les autorités roumaines fascistes vers le camp de concentration de Vapniarka. Ce camp est l’un des nombreux camps de concentration et ghettos établis en Transnistrie, une région située entre le Dniestr et le Bug et administrée par la Roumanie en coopération avec l’Allemagne nazie. Plus de 300 000 Juifs y ont été tués ou sont morts de faim et de maladie entre 1941 et 19441. Parmi les victimes figuraient des Juifs ukrainiens locaux et des Juifs expatriés du Regat roumain (région du vieux « Royaume de Roumanie » : Vechiul Regat), de la Transylvanie et de la Grande Roumanie2. Vapniarka, que les Roumains désignaient comme un camp pour prisonniers politiques, est devenu tristement célèbre parce que ses autorités nourrissaient régulièrement, et semble-t-il intentionnellement, les détenus d’une soupe quotidienne contenant des pois fourragers (Lathyrus sativus) qui provoquaient des paralysies, des insuffisances rénales et même souvent la mort.
2Le docteur Kessler, qui était officieusement considéré comme le médecin en chef du camp, a découvert la cause de l’« épidémie » de paralysies qui sévissait à Vapniarka. Aidé par ses codétenus, mais aussi bénéficiant des défaites militaires germano-roumaines en Union soviétique qui ont incité certains Roumains à relâcher quelque peu leur traitement des Juifs, Kessler a finalement réussi à convaincre les autorités de mettre fin à cette activité criminelle. Les notes quasi quotidiennes qu’il a prises pendant son emprisonnement dans ce camp de concentration et, par la suite, dans le ghetto de Transnistrie, Olgopol, où il a été transféré – des écrits en allemand qu’il a transcrits après sa libération sous forme de mémoires, Ein Artzt im Lager3 –, nous offrent la perspective unique d’un médecin qui, en tant que détenu et déporté, a été témoin de la mort ainsi que d’actes courageux de résistance et de survie dans cette région peu connue de l’Europe de l’Est, que l’on a fini par appeler « le cimetière oublié »4.
Biographie d’Arthur Kessler
3Arthur Kessler est né en 1903 à Gewitsch, un village morave (aujourd’hui Jevíčko, en République tchèque) qui faisait partie de l’Empire austro-hongrois gouverné par les Habsbourg. Après la Première Guerre mondiale, il s’installe avec ses parents, ses frères et ses sœurs à Czernowitz, une ville également gouvernée par les Habsbourg qui avait été la capitale de la province de Bucovine de l’Empire mais qui, en 1918, a été annexée par la Roumanie et rebaptisée Cernăuți. Son père, rabbin et enseignant titulaire d’un doctorat de l’université de Vienne, avait été nommé grand-rabbin adjoint de cette ville multiculturelle, foyer d’une population et d’une culture juives importantes et vivantes5.
4Après avoir également étudié à l’université de Vienne et y avoir obtenu un diplôme de médecine, Kessler a passé un an comme médecin de l’armée roumaine. Il a ensuite quitté la Grande Roumanie pour occuper un poste de médecin dans un hôpital public à Zwickau, en Allemagne, mais est revenu à Cernăuți en 1933 après l’arrivée au pouvoir des nazis et le licenciement des médecins juifs. Il y poursuit son activité médicale et acquiert la réputation d’un médecin et d’un diagnosticien de grand talent. En 1937, il épouse Judith Schulsinger et, en 1940, naît le premier enfant du couple, une fille qu’ils prénomment Vera. Comme beaucoup de Juifs vivant dans cette région, Kessler conserve sa langue maternelle, l’allemand, dans sa vie quotidienne et dans ses écrits.
5La montée de l’antisémitisme roumain dans les années 1930, le début de la Seconde Guerre mondiale et, en juin 1940, l’exigence non négociable des autorités soviétiques que Bucarest cède à l’Union soviétique les régions frontalières de Bessarabie et du Nord de la Bucovine, ont profondément affecté la vie des habitants de ces régions. Pendant l’année d’occupation soviétique de ces régions cédées contre leur gré, dont faisait partie Cernăuți, le docteur Kessler est devenu directeur d’un hôpital local. Mais peu après l’invasion allemande de l’Union soviétique et le retour au pouvoir des Roumains dans les régions qu’ils avaient été contraints d’abandonner, les autorités roumaines fascistes en quête de vengeance ont recherché les Juifs et d’autres personnes qui auraient selon elles collaboré avec les Soviétiques. Pendant l’année dite « russe », Kessler, alors directeur d’un centre médical à Cernăuți, a été arrêté en tant qu’agent communiste. À l’issue d’un semblant de procès, il a été condamné, emprisonné et menacé de déportation vers l’est, en Transnistrie. Il est cependant libéré après cinq semaines d’emprisonnement, Judith, sa femme, ayant réussi à convaincre un fonctionnaire en payant un pot-de-vin.
Figure 1. Arthur Kessler et Judith Kessler à Cernăuți, à la fin des années 1930

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6Les déportations massives de Juifs et d’autres « indésirables » vers la Transnistrie depuis les provinces roumaines de Bucovine, de Bessarabie et du district de Dorohoi ont commencé à l’automne 1941. Plus de 190 000 personnes ont été expulsées à cette époque, et beaucoup ont péri dans des ghettos aménagés à la hâte au cours de l’hiver 1941-1942, marqué par le typhus, la famine et le froid. Une deuxième vague de déportations, moins importante, suivit en juin 1942. Le docteur Kessler réussit à éviter ces deux vagues. Pourtant, le 6 septembre 1942, il est de nouveau arrêté lors d’une rafle de personnes supposées être, ou avoir été, des communistes ou des sympathisants soviétiques. Cette fois, après une brève incarcération, il est embarqué dans un train pour la Transnistrie à destination du camp de concentration de Vapniarka.
Vapniarka
7Vapniarka a été établi en tant que camp de détention dans le district de Zugastru en Transnistrie au début de l’automne 1941. Il était situé à trois kilomètres de la gare de Vapniarka, sur la ligne Lviv-Odessa, sur le terrain d’une ancienne base d’entraînement de cavalerie soviétique – un lieu dont les structures, le mobilier et l’équipement avaient été en grande partie démantelés et emportés, ou sabotés et détruits, lorsque l’Armée rouge s’est retirée à la suite de l’invasion germano-roumaine de l’Union soviétique, en juillet 1941. Malgré les ruines et le chaos régnant sur le site, environ 1 000 déportés y ont été amenés peu de temps après : il s’agissait de quelques petits bureaucrates qui avaient été des employés soviétiques à Odessa et Tiraspol, ainsi que des Juifs de Bessarabie et de Bucovine qui n’avaient pas réussi à fuir en Russie avant l’assaut germano-roumain. Quelques mois après leur arrivée, près de la moitié des détenus sont morts de faim, de froid en raison de l’hiver glacial ou d’une épidémie de typhus. Les prisonniers restants sont alors contraints d’abandonner le camp, de marcher jusqu’aux abords d’un village voisin, avant d’être fusillés par les gendarmes roumains6. Peu de temps après, Vapniarka est à nouveau utilisé pour emprisonner des personnes accusées de divers « crimes économiques » (tels que le marché noir) et pour remplir son objectif principal : détenir et punir les sympathisants communistes, les trotskistes, les socialistes et les dissidents politiques soupçonnés d’être des communistes. Officiellement, comme le proclame le décret de février 1942 signé par le gouverneur de Transnistrie, Gheorghe Alexianu, Vapniarka devait servir de « camp pour les communistes d’origine chrétienne » et être aménagé pour recevoir et héberger environ 5 000 détenus7. Dans les faits, la grande majorité des personnes déportées dans le camp étaient des Juifs. Environ 20 % des détenus étaient des femmes, dont quelques-unes étaient enfermées avec leurs enfants.
Figure 2. Vapniarka, selon une maquette du camp construite de mémoire par A. Salomovici, un détenu

© Art Collection of the Ghetto Fighters’ House, Israel
8En août et septembre 1942, environ 1 200 déportés juifs y sont amenés – de Bucarest et d’autres régions centrales du Regat, mais aussi des régions annexées à la Roumanie : la Bucovine et la Bessarabie8. Bien que nombre de ces nouveaux détenus aient été arrêtés arbitrairement, tous (comme Kessler) étaient considérés comme des « politiques », c’est-à-dire des personnes qui avaient été des communistes actifs ou qui étaient soupçonnées d’avoir des tendances communistes9.
9Voici un extrait des mémoires de Nathan Simon, survivant de Vapniarka :
En guise de discours de bienvenue, le colonel Murgescu nous martèle les règles du camp, truffées de menaces, nous avertissant par exemple que toute personne tentant de s’échapper sera exécutée par le peloton d’exécution. Il termine par ces mots : Vous êtes entrés au Lager [camp] sur deux jambes. Mais si vous êtes encore en vie, vous le quitterez à quatre pattes.10
10Le premier des trois immeubles d’habitation (Blocks, ou « pavillons », comme les détenus et les responsables du camp les appelaient) abritait les femmes et les enfants au deuxième étage, et l’infirmerie – dont le docteur Kessler était chargé – au rez-de-chaussée. La plupart des hommes nouvellement arrivés à l’automne 1942 vivent dans les petites chambres et le grand dortoir du bâtiment central, mais le troisième pavillon accueille quelque 300 Ukrainiens qui les ont précédés de quelques mois : des hommes et des femmes qui comptent parmi eux des partisans, des adventistes du septième jour et des criminels de droit commun. Les bâtiments sont fermés à clé le soir après l’alignement et l’appel, et des seaux sont placés près des escaliers de chacun d’entre eux pour les besoins nocturnes après le couvre-feu. Tout au long de la nuit, à intervalles réguliers et d’une tour à l’autre, les gardes s’interpellent en roumain : « Poooste numéro 1 : tououout va bien…, Poooste numéro 2 : tououout va bien… »11.
Figure 3. « Vapniarka, 1942-43 », dessin de Moshe Leibel et Ilie ; l’original mesure 13 x 9,5 pouces

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11Malgré les gages donnés, les conditions de vie au Lager Vapniarka (comme l’appelaient Kessler et d’autres détenus germanophones de Bucovine) furent, au début, atroces. « L’endroit avait l’air d’être passé par l’Enfer », se souvient Nathan Simon12. Les pavillons ne contenaient ni lits, ni chaises, ni tables, ni armoires. Peu de temps après l’arrivée des détenus à l’automne 1942, le froid et le vent faisaient rage à travers les fenêtres dépourvues de vitres. Par miracle, deux poêles en faïence étaient encore en état de marche sur les murs opposés des grandes pièces de chacun des bâtiments. Mais, au début, il n’y avait guère de combustibles pour les faire chauffer, si ce n’est ce que l’on pouvait récupérer à partir du bric-à-brac jeté dans les bâtiments eux-mêmes.
12Les détenus étaient soumis à des travaux physiques forcés extrêmement durs et à des privations. Leur approvisionnement en eau pouvait être coupé par le commandant quand bon lui semblait – un seul robinet contrôlait l’écoulement de l’eau dans les deux tuyaux du terrain. La soif était provoquée en guise de punition.
13Chaque jour, les détenus, munis des récipients et ustensiles qu’ils parvenaient à se procurer – bols, petits pots, boîtes de conserve vides, plats en verre partiellement brisés – allaient chercher dans l’ancien bâtiment des cuisines, situé près des bâtiments administratifs, une soupe épaisse jaune verdâtre à base de pois fourragers, environ 400 g par personne. Chacun recevait également une tranche de pain de 200 g faite d’un mélange d’orge et de paille humidifiée – au goût « savonneux », selon les souvenirs de Kessler, et difficile à digérer.
Lathyrisme : la maladie de Vapniarka
14Les pois fourragers utilisés dans la soupe provenaient d’un entrepôt ayant appartenu au contingent de l’école de cavalerie soviétique qui avait habité le site avant l’installation du camp de Vapniarka. Les Russes les avaient parfois utilisés comme complément alimentaire pour les chevaux, mélangés avec de l’avoine, de la paille et d’autres ingrédients fibreux, mais jamais seuls, sous forme pure, en raison de leur toxicité notoire. Lorsque les soldats de la cavalerie de l’Armée rouge avaient abandonné Vapniarka, ils auraient versé de l’essence près de l’entrepôt afin de rendre son contenu inutilisable pour les Allemands et les Roumains. Mais ces derniers récupérèrent une grande partie des aliments et commencèrent à utiliser les pois fourragers comme principal ingrédient de la soupe pour les détenus de Vapniarka13.
15Fin décembre 1942, près de cinq mois après que les prisonniers ukrainiens du pavillon III et environ trois mois et demi après que les autres eurent été initiés à ce régime de soupe aux pois, les premiers symptômes d’une étrange maladie apparurent : crampes sévères, paralysie des membres inférieurs et perte des fonctions rénales.
Figure 4. « Vapniarka Infirmerie ». Dessin de Moshe Leibel et Ilie

© Archives Kessler
16En l’espace d’une semaine, des centaines d’autres détenus dans le camp furent également paralysés. Fin janvier 1943, un millier de détenus de Vapniarka souffraient de cette maladie à un stade précoce ou intermédiaire : 120 étaient totalement paralysés et un certain nombre étaient décédés.
17C’était le docteur Kessler qui en avait déduit que l’épidémie était directement liée aux pois de la ration de soupe :
Il est clair que nous sommes en présence d’une mystérieuse épidémie. Mais elle ne se propage pas par contagion. Il y a des Ukrainiens et des Russes malades qui sont arrivés ici avant nous, ainsi que des Juifs de notre groupe, mais nous n’avons pas entendu parler d’un seul cas parmi les gardiens et le commandement du camp. Cela doit être dû à nos conditions de vie particulières en tant que détenus, car les bactéries ne font pas d’exception. Ce ne peut être l’eau, car tout le monde en boit, ni le pain. Nous n’avons jamais rencontré de maladie de carence comme celle-ci. Ce qui nous distingue, nous les détenus, des gardiens et du commandement, c’est notre alimentation en pois fourragers.14
18Par la suite, il a été révélé qu’un régime régulier de ce type particulier de pois fourragers (Lathyrus sativus) était connu pour avoir provoqué la paralysie chez les animaux et les humains dans de nombreuses régions du monde – et sa toxicité était largement répandue parmi les populations rurales des régions où il poussait. Comme l’a fait remarquer plus tard Arthur Kessler :
En Europe centrale, des rapports faisant état de jambes raides suite à la consommation de pain contenant de la farine de pois Lathyrus, et des lois interdisant une telle falsification, remontent au xviie siècle. En Inde, en Afrique du Nord (Alger) et dans le sud de la Russie, de grandes épidémies de lathyrisme ont été régulièrement observées parmi les pauvres en période de famine. […] La malnutrition et les basses températures favorisaient l’apparition de la maladie.15
19Il est important de souligner que ni les officiers roumains du camp de Vapniarka, ni les gardes militaires n’avaient mangé de pois toxiques – seulement les détenus. Pourtant, lorsque le docteur Kessler (en tant que médecin responsable de l’infirmerie) et d’autres leaders parmi les prisonniers demandèrent au commandement du camp de changer leur régime alimentaire et de recevoir des fournitures médicales pour traiter les malades, ils furent ignorés.
Le capitaine Buradescu [le nouveau commandant] écouta tranquillement, le visage pincé [écrit Kessler dans son récit] et, après que j’eus fini de plaider, il limita sèchement sa réponse à ces mots : « Qu’est-ce qui vous fait penser que nous souhaitons vous garder en vie ? » C’est ainsi que s’acheva notre audition.16
20La situation au camp continuait de se dégrader. Pendant les mois d’hiver, il se mit à faire extrêmement froid. Dans la grande salle de l’infirmerie, ceux qui pouvaient encore bouger s’asseyaient autour du petit poêle en fonte, tendant les mains vers la chaleur, les jambes agitées de tremblements incessants. Ils s’appuyaient sur des bâtons pour tenter de marcher, tombaient et essayaient à nouveau. Beaucoup présentaient de nouveaux symptômes : des cloques sombres sur les orteils, les talons, les côtés des pieds. Ils commencèrent à avoir de la fièvre et des douleurs extrêmes. Leurs jambes devenaient pâles et froides, avaient perdu toute sensibilité. La gangrène s’installait et certains durent être amputés d’un orteil ou d’une jambe.
C’est une scène infernale, inimaginable : des centaines de malades et de paralysés, des jambes gangrenées, des pertes d’urine avant qu’ils ne puissent atteindre les seaux, des postures déformées par des spasmes musculaires dans les bras, le dos, le ventre et les jambes. […] Traiter une jambe gangrenée et puante, maintenir au chaud une extrémité froide et exsangue, entretenir un paralytique et garder sa couchette exempte d’excréments sont des problèmes insolubles.17
21Pourtant, avec l’aide de détenus qui travaillaient à l’extérieur du camp, et grâce à des pots-de-vin et à la coopération discrète des gardiens/soldats et des civils avec lesquels ils pouvaient être occasionnellement en contact, les médecins et les détenus chargés de l’ordre dans le camp parvinrent à envoyer des appels au monde extérieur – certains atteignant même des Juifs dans leur ville d’origine, ainsi que des responsables de la communauté juive de Bucarest.
22Peu de temps après l’apparition en masse de la paralysie liée à la soupe aux pois, les détenus de Vapniarka ont entamé ce que le docteur Kessler a décrit comme « non pas une grève de la faim, mais au plus haut degré d’abstinence »18. Ils auraient sans doute été contraints de faire le « choix désespéré » (choiceless choice) entre la paralysie et l’empoisonnement ou la famine, si le camp n’avait pas reçu à la mi-janvier 1943 une inspection – de routine, semble-t-il – d’un médecin du gouvernement d’Odessa qui contrôlait les mesures de protection prises dans la région pour empêcher la réapparition d’une épidémie de typhoïde19.
23Cette visite fut suivie par celle d’un neurologue deux semaines plus tard, par une commission d’enquête médicale fin février 1943, par des visiteurs cléricaux, et même par celle de Gheorghe Alexianu, le gouverneur de Transnistrie. À chaque fois, ces fonctionnaires en visite rejetèrent avec arrogance le diagnostic reliant l’étrange paralysie de masse et le régime de soupe aux pois. Au lieu de cela, ils soutinrent que c’était le résultat d’une infection virale, voire qu’il s’agissait d’un type d’inflammation de la moelle osseuse ou de la colonne vertébrale (myélite) qui s’était propagé d’une personne à l’autre, ou encore (explication des plus bizarres) que c’était le résultat des fluides corporels des détenus schizophrènes – c’est un « fait scientifique », ont-ils soutenu, « que de tels fluides sont toxiques, et donc virulents lorsqu’ils sont transmis par le contact »20.
24Ils n’ont pas reconnu les objections des médecins détenus, à savoir qu’une maladie virale ou contagieuse n’aurait jamais pu épargner les gardiens, les officiers et les non-détenus avec lesquels la population du Lager était en contact quotidien. Il n’y eut aucune reconnaissance officielle du lien entre les pois fourragers donnés aux détenus et l’épidémie dans le camp21.
25Il semble aujourd’hui évident que la décision de nourrir les détenus de Vapniarka avec des pois toxiques avait été prise pour des raisons à la fois pratiques et idéologiques. À un moment où de grandes quantités de nourriture étaient détournées vers l’armée roumaine en campagne contre l’Armée rouge en Union soviétique, la disponibilité immédiate des pois fourragers pour l’alimentation des détenus avait paru être une aubaine et une utilisation logique des ressources.
26Mais comme certains fonctionnaires roumains semblaient également savoir que les pois étaient toxiques (d’où leur retrait de l’alimentation des gardiens et des officiers du camp), en nourrir les partisans ukrainiens emprisonnés, les membres de sectes religieuses, les Juifs, les communistes et d’autres « politiques » était en fait conforme aux directives officielles et officieuses émanant des plus hautes autorités de Bucarest. Celles-ci, dans la version roumaine de la « Solution finale », avaient prescrit l’élimination de ces « ennemis de l’État »22. L’épidémie de lathyrisme provoquée à Vapniarka est un autre volet de l’Holocauste roumain.
Figure 5. Dessins de Nathan Simon, « Lager Vapniarca 1942-43 »


© Art Collection of the Ghetto Fighters’ House, Israel
Résistance et survie
27Comme le montre le récit d’Arthur Kessler, l’efficacité de l’organisation interne des détenus a largement contribué à la survie d’un grand nombre de prisonniers de Vapniarka, à leur résistance à l’épidémie qui les menaçait de paralysie et de mort atroce. Il s’agit là d’une reconnaissance du rôle que joua le docteur Kessler, conforme au témoignage qu’il donne dans ses mémoires de son expérience et de ses activités à Vapniarka et, par la suite, dans les ghettos de Transnistrie. Les mémoires de prisonniers privilégiés – ce qu’étaient parfois les médecins des camps de concentration et des ghettos en raison de leur domaine de compétences – peuvent parfois tendre vers une sorte d’autosatisfaction lorsqu’ils ont réussi à aider ou à sauver leurs compagnons. Il n’y a rien de tel dans le récit de Kessler. Il garde à tout moment une certaine distance par rapport à ce qu’il parvint à faire, admettant souvent avec ironie et humour même les avantages et les privilèges qu’il reçut pour avoir diagnostiqué et traité diverses maladies – souvent vénériennes – chez les gendarmes et les fonctionnaires roumains.
28Dans les camps et les ghettos de Transnistrie, il n’y avait pas de Kapo (comme dans le système nazi allemand), ni d’autres figures d’autorité officiellement nommées et privilégiées parmi la population carcérale : les prisonniers s’autogéraient. À Vapniarka, les « porte-parole » reconnus des « divisions décimales » (ensembles de dix détenus) et des « sections de cent personnes », entre lesquelles les prisonniers étaient répartis par le commandement roumain, étaient officiellement responsables de leurs groupements. Mais un comité politique clandestin, composé d’anciens activistes et de responsables communistes, « dirigeait » en fait une partie importante du camp de manière souterraine, instituant des mesures pour distribuer équitablement la nourriture, lutter contre les poux et la réapparition du typhus, doter l’infirmerie de fortune de personnel et réparer les bâtiments en ruine où logeaient les détenus. En effet, il y avait parmi les détenus de nombreux prisonniers politiques – des communistes et d’autres personnes qui avaient autrefois participé à des activités clandestines et qui étaient politiquement et intellectuellement instruits – pour lesquels il fut sans doute plus facile d’organiser la vie à l’intérieur du camp et d’y maintenir la discipline parmi leurs codétenus.
29L’organisation interne bien rodée du camp de Vapniarka atteste du fait que, même dans un cas de brutalité physique et mentale et de danger extrême comme celui-ci, la résistance disciplinée des détenus a pu, à certaines occasions, surmonter le désespoir et la dépression par lesquels leurs geôliers tentaient de les anéantir. Mais les témoignages oraux et écrits sur Vapniarka, ainsi que les illustrations réalisées par les détenus, de même que les mémoires si riches d’Arthur Kessler, témoignent de bien plus que de la survie : pendant la période allant de 1942 à la fermeture du Lager fin décembre 1943, les détenus ont réussi à s’adonner en soirée à une variété d’activités culturelles, ce qui leur a permis de survivre psychiquement en créant de la solidarité au milieu de la souffrance23.
30Les artistes professionnels, les musiciens et les gens de théâtre qui étaient venus au Lager jouèrent un rôle particulièrement important dans ces activités. Régulièrement, un membre du groupe racontait une histoire, soit tirée d’un roman ou d’un livre de contes, soit inventée à partir d’une expérience vécue ou imaginaire. Un détenu, réfugié d’Allemagne, récitait de mémoire des fragments du Faust de Goethe.
31Parfois, telle ou telle histoire suscitait des discussions et des analyses de la part des auditeurs, parfois même des débats animés au cours desquels des divergences d’opinions apparaissaient. D’autres fois, l’un des détenus ayant reçu une formation universitaire, peut-être plus au fait de l’histoire et de la théorie politique, donnait une conférence informelle. Ainsi, Andrei Bernath, qui avait été membre du comité central du Parti communiste roumain, parla de la révolution de 1848 et de son histoire. Sur le marxisme, le fascisme ou les causes de la guerre, Bernath et d’autres donnaient des conférences et engageaient des débats. Le judaïsme et les thèmes juifs n’étaient nullement occultés : un détenu fit un jour un exposé sur la révolte des Maccabées, un autre sur la résistance juive contre les Romains, un autre encore sur les débuts de l’histoire juive. Le rabbin Wilner, le seul rabbin du camp, aménagea un petit coin au deuxième étage du deuxième pavillon pour les détenus qui souhaitaient pratiquer leur religion ensemble.
32La musique était une autre activité importante lors des soirées après le verrouillage des portes. Les détenus chantaient, sifflaient et fredonnaient des chansons en groupe ou entre eux. Ils se souvenaient des airs et des paroles de chansons de chez eux et les apprenaient à leurs compagnons. Ils composaient et inventaient des chansons en allemand ou en roumain, dont certaines, poignantes, évoquaient le lieu même de leur incarcération :
Dans la lointaine Vapniarka,
Où l’on trouve une misère si amère,
Je souffre, j’aspire à la liberté,
J’aspire au retour à la maison…24
33Au début du printemps 1943, alors que la guerre en Europe de l’Est tourne de plus en plus en défaveur de l’Allemagne et que l’armée roumaine subit des pertes massives dans la campagne soviétique, les autorités roumaines commencent à réévaluer leur soutien au IIIe Reich et à modérer certaines de leurs politiques à l’encontre des Juifs et des ennemis politiques de gauche. Alors que le général Ion Antonescu et ses principaux conseillers refusent toujours de rapatrier les Juifs et les autres personnes envoyées en Transnistrie, la décision de se retirer de l’alliance avec l’Allemagne semble avoir été prise relativement vite après les pertes dévastatrices subies par les Roumains à Stalingrad au cours de l’hiver 1942-1943.
34Cette attitude équivoque se manifeste à Vapniarka par un léger assouplissement dans les contrôles restreignant la possibilité pour les détenus du camp de communiquer avec l’extérieur, assouplissement qui permit aux membres du Conseil juif clandestin de Bucarest d’être informés de l’épidémie de lathyrisme. Ceux-ci, aidés par quelques fonctionnaires roumains compatissants, parvinrent alors à envoyer aux détenus de Vapniarka une cargaison de nourriture composée de fruits secs, de fourrage pour les porcs et de viande de cheval.
35Finalement, à la fin du mois de mars 1943, l’épidémie ayant été maîtrisée – ou, du moins, n’ayant pas fait de nouvelles victimes – et une commission à Bucarest ayant constaté que quelque 440 détenus de Vapniarka avaient été envoyés là sans « raison valable », les autorités roumaines décidèrent de fermer complètement le camp25.
36Le docteur Kessler et d’autres survivants commencèrent à être libérés de Vapniarka par groupes d’environ 100 à la fin du printemps de cette année-là. Mais même ceux qui avaient été officiellement identifiés et reconnus comme ayant été injustement arrêtés et emprisonnés n’ont pas été autorisés à retourner chez eux dans le centre de la Roumanie ou en Grande Roumanie. Au lieu de cela, ils ont été transportés par train, sous bonne garde, et transférés dans des ghettos ou des camps de substitution dans d’autres parties de la Transnistrie.
Figure 6. Le « Petit livre de Vapniarka ». Confectionné à la main par sept détenus artistes en l’honneur du docteur Arthur Kessler lors de son départ du camp de concentration en mai 1943

© Archives Kessler
Figure 7. Aperçu des dessins d’artistes du « Petit livre de Vapniarka » (The Little Vapniarka Book)

© Archives Kessler
Survivre dans les ghettos de Transnistrie
À Olgopol et dans les ghettos voisins
37C’est en mai 1943, neuf mois après une première déportation vers Vapniarka depuis son domicile de Cernăuți, qu’Arthur Kessler est de nouveau déporté, cette fois à Olgopol, une petite ville de Transnistrie située à environ 90 km au sud-est de Vapniarka et à 30 km au nord-ouest de la capitale du comté, Balta.
38À Olgopol, lui et les autres membres de son groupe furent relégués dans le ghetto, à la périphérie de la ville. Gardé par des gendarmes roumains et des auxiliaires ukrainiens, mais non délimité par une clôture de barbelés, ce ghetto était constitué de cabanes et de maisons détruites de Juifs et de Roms locaux qui avaient été assassinés ou qui avaient fui lorsque les Allemands et les Roumains avaient occupé cette région en août 1941.
39Mais, comme dans d’autres ghettos de Transnistrie qui n’étaient pas séparés des zones résidentielles ukrainiennes, les détenus du ghetto d’Olgopol parvenaient subrepticement à échanger et à troquer de la nourriture et d’autres biens avec les habitants de la ville. Quelques-uns ont même finalement réussi à louer des chambres à des habitants et à s’installer dans la ville. Et pourtant, malgré ces modestes possibilités, écrit le docteur Kessler, « l’émotion prédominante est la peur, le stimulant est l’espoir, et l’état d’esprit des malheureuses victimes oscille entre les deux »26.
Figure 8. Déportations depuis le cœur de la Roumanie et la Grande Roumanie, y compris la Bucovine et la Bessarabie, vers la Transnistrie, 1941-1942

Source : Basé sur des cartes du United States Holocaust Memorial Museum
40« Un médecin dans les ghettos de Transnistrie », la deuxième partie des mémoires d’Arthur Kessler, nous offre un point de vue unique sur la façon dont les changements militaires survenus au cours de la contre-offensive de l’Armée rouge en 1943-1944, après Stalingrad, ont influencé l’attitude des Roumains à l’égard des Juifs sous leur domination. Il s’agit d’un récit captivant et souvent plein de suspense sur des événements et des lieux qui sont largement restés en marge des études sur l’Holocauste. Il informe sur les arrangements et les ajustements, ainsi que sur les compromis et les sacrifices que les gens ont dû faire pendant cette phase de la guerre, et il envisage l’évolution des possibilités de survie et de libération.
41Mais cette partie des mémoires fournit également de nombreux exemples de la manière dont les talents médicaux de premier ordre de Kessler – son expertise, son expérience pratique, son ingéniosité et ses capacités d’improvisation – ont été reconnus par les autorités militaires roumaines et les autorités civiles ukrainiennes locales qui, à plusieurs reprises, lui ont accordé une mobilité et une possibilité de mouvement extraordinaire à l’intérieur et à l’extérieur d’Olgopol et de son ghetto. À cet égard, il est important de noter qu’Arthur Kessler était parfaitement conscient de la relative liberté de mouvement qui lui était accordée.
42Peu de temps après son arrivée dans le ghetto, Kessler observe que « les habitants [et] les Juifs du ghetto attendent de nous une action rapide »27. Conscient des dégradations humaines et des horreurs que les gendarmes roumains et leurs assistants corrompus avaient infligées aux Juifs du ghetto et à certains Ukrainiens, il réalise à quel point « la population locale attend notre aide pour améliorer leur existence pitoyablement pauvre et menacée »28.
43Néanmoins, au cours des premières semaines dans le ghetto, lui et plusieurs collègues qui avaient formé une petite équipe médicale à Vapniarka décidèrent de ne pas faire montre de leurs compétences en médecine. « Nous sommes prudents, disciplinés, et nous attendons de voir », décrit-il. Identifiant une pratique clé qui avait été efficacement employée par les dirigeants clandestins à Vapniarka, il donne l’explication suivante :
Nous observons tout d’abord ceux qui détiennent le pouvoir. […] Ils ont de nombreux défauts : brutalité, cupidité, grossièreté, manque d’éducation. Mais ils en ont deux qui sont bons pour nous : leur dépendance à l’argent et aux objets de valeur, et leur peur de la maladie. […] Notre savoir et nos connaissances de leurs faiblesses psychologiques nous permettent de les manipuler.29
44Au lieu de s’engager immédiatement dans la pratique médicale, Kessler raconte :
[Nous] pensons à produire du savon, de la saucisse, du glucose, des médicaments [des biens souhaités et nécessaires qui pourraient être échangés ou vendus aux Ukrainiens d’Olgopol et aux habitants du ghetto]. Il y a parmi nous des experts pour absolument tout, quelle que soit leur ancienne profession : […] l’avocat peut peindre, le vendeur de poulets peut monter des poêles ; si nous avions eu besoin d’un funambule, je pense que nous aurions pu en trouver un.30
45Il est certain que les multiples compétences de Kessler lui ont permis de s’adapter à la nouvelle situation d’Olgopol. À Vapniarka, il avait déjà fait preuve d’imagination et d’improvisation dans des situations urgentes et difficiles. À Olgopol, il se remémore la littérature scientifique qu’il a lue au cours de sa formation médicale et dans sa pratique d’avant-guerre. Il a utilisé son excellent souvenir de ces lectures – en particulier les écrits du médecin grec Galien – sur la manière d’extraire des substances curatives à partir d’herbes et de racines dans un environnement naturel, afin d’affiner son propre savoir-faire dans ce domaine31. Guidé par Galien, mais aussi par ses observations et ses relations avec les herboristes locaux, il a produit, avec d’autres membres de son groupe de nouveaux arrivants, des médicaments naturels – onguents, pommades, liniments et lotions – qu’ils ont régulièrement utilisés pour traiter ce mal, ce qui allait bientôt redevenir le rôle principal du docteur Kessler et de ses compagnons de Vapniarka dans cette région de Transnistrie : agir en tant que médecins et guérisseurs.
46Le sous-sol de la cabane du ghetto d’Olgopol, où Kessler et certains de ses compagnons de l’équipe médicale ont été affectés, a été transformé par le groupe en un petit hôpital qui est rapidement devenu un site central pour le traitement médical des habitants du ghetto, des locaux et des fonctionnaires roumains et ukrainiens. En l’espace de quelques semaines, cet espace est devenu trop petit et le groupe a déménagé l’hôpital dans une salle plus grande louée dans une ferme à la périphérie du ghetto.
47L’un des éléments clés de la réussite du docteur Kessler et de son équipe médicale a été leur capacité à communiquer avec les patients et les aides potentiels en roumain, en ukrainien, en russe, en allemand et en yiddish, soit dans chacune des langues alors parlées en Transnistrie.
48La maîtrise de l’allemand, langue parlée par les soldats et les officiers allemands qui battaient en retraite à travers ce territoire, a été particulièrement utile à Kessler et à ses compagnons juifs de Cernăuți à maintes reprises. Son récit de la manière dont une épidémie potentielle de méningite a été évitée parmi les enfants des Ukrainiens d’Olgopol et des villages environnants l’illustre bien. « Nous n’avons pas de sérum, pas de sulfamides »32, a déclaré Kessler lorsqu’il a diagnostiqué pour la première fois cette maladie et confirmé la menace qu’elle représentait. Pour obtenir des médicaments, Kessler a réussi à obtenir un permis de voyage pour aller chercher de l’aide à Balta, la capitale de la province et la plus grande ville voisine. Une fois sur place, il a osé s’adresser à un sergent allemand dans la rue, qui portait l’insigne des membres du corps médical. Les deux hommes ont rapidement découvert qu’ils parlaient non seulement la même langue, mais aussi qu’ils étaient dotés d’un bagage intellectuel similaire. Informé de l’épidémie de méningite et des besoins en médicaments de Kessler, le sergent lui a promis son aide. Il est retourné à l’hôpital de campagne de la Wehrmacht situé à proximité et, en l’espace d’une heure, a apporté à Kessler des centaines de tubes de comprimés de sulfate de quinine à rapporter à Olgopol.
49Grâce à ce médicament, l’épidémie menaçante disparaît en quelques jours. La réputation du docteur Kessler et de son équipe auprès de la population ukrainienne locale et des autorités roumaines et ukrainiennes s’est rapidement améliorée :
Un miracle s’est produit [écrit-il dans ses mémoires]. C’est ce qu’il semble aux villageois. Maintenant, ils viennent de toutes les directions, des aveugles dont les yeux ont été détruits par le pus dans leur enfance, mais aussi ceux dont les yeux peuvent encore être sauvés. [Notre] cuisine se remplit de lait et d’œufs, de beurre, de saucisses, de miel, de fruits, de farine, de poulets et de canards en grande quantité. Des miches rondes de pain blanc tressé […] nous sont présentées cérémonieusement.33
50Lorsque la réputation des compétences médicales du docteur Kessler et de son équipe se répandit dans la région, les villes voisines s’empressèrent de faire appel aux services du groupe. Le docteur Kessler note que ses traitements souvent réussis des maux qui affligèrent les fonctionnaires roumains et locaux, ainsi que leurs épouses et compagnes, lui valurent personnellement des privilèges et une mobilité exceptionnelle dans la région. Ainsi, il se rendit par exemple dans la ville de Berchad la fin de l’année 1943. Ironiquement, il s’y rendit parce que les autorités roumaines lui demandèrent de soigner un agronome roumain d’Olgopol, cruel et profondément détesté, qui avait échappé, à Berchad, à des partisans sur le point de l’exécuter.
51À cette occasion, le docteur Kessler est autorisé à visiter le célèbre ghetto juif de Berchad et son hôpital. Bien qu’il existe de nombreux mémoires et récits décrivant la mort et la survie dans ce grand ghetto de Transnistrie, le récit que fait Kessler de sa rencontre avec ses compatriotes de Cernăuți dans ce cadre médical est exceptionnellement émouvant. Ils l’ont salué mais, se souvient-il,
il est difficile de les reconnaître. Ils sont maintenant maigres, leurs visages sont plissés, desséchés, leurs traits sont nets. Leurs cheveux en bataille et leurs barbes grises les font paraître vieux. Leurs yeux interrogent et attendent une parole d’espoir. Ils entendent dans ma réponse ce qu’ils veulent demander : le pire est derrière nous. La fin est en vue. Nous devons survivre mentalement et physiquement et rester décents. Si nous y parvenons, nous aurons gagné. Tout peut être remplacé, mais pas ceux qui sont morts ou moralement perdus.34
La fuite
52Au début du printemps 1944, le vent de la guerre en Europe de l’Est a clairement tourné en défaveur des Allemands et de leurs alliés roumains. L’Armée rouge étant sur le point – puis en passe – d’envahir et d’occuper la Transnistrie, les fonctionnaires roumains renvoient leurs conjoints et leurs familles chez eux, puis s’empressent de trouver les meilleurs itinéraires pour s’échapper.
53Arthur Kessler se concentre sur cette période chaotique de retraite dans la dernière partie de ses mémoires. Il devient un témoin observateur et instructif de la fuite des fonctionnaires et des gendarmes roumains – ainsi que des militaires allemands – qui quittent la Transnistrie « de manière désordonnée et dans une seule direction »35. Kessler est également un chroniqueur de sa propre fuite, et un témoin rare et perspicace de ce que ce moment signifiait pour les survivants de Transnistrie : une fuite dangereuse, risquée, effrayante, folle, souvent fantasmagorique, en temps de guerre, avec une issue imprévisible.
54Avant de décider de son propre plan d’action, Kessler a évalué le sort qui lui était réservé. Rester à Olgopol pour attendre la libération par l’Armée rouge serait logique, compte tenu du mépris et de la haine qu’il éprouvait pour ses oppresseurs roumains. Mais il craignait que s’il survivait jusqu’à l’arrivée des Soviétiques, ceux-ci ne l’expédient « très loin, dans les montagnes de l’Oural ou à la frontière chinoise »36. Il était certain qu’ils le respecteraient en tant que médecin spécialiste, mais, d’après son expérience personnelle en tant que Juif avec les Russes à Cernăuți en 1940-1941, il pensait aussi qu’à long terme, ils ne le considéreraient pas comme quelqu’un de fiable. Partir avec les Roumains lui semblait cependant tout aussi risqué. « Alors, est-ce que je veux aller avec les oppresseurs qui m’ont expulsé ? »37
55Sa fuite a été spontanée ; il a agi, reconnaît-il, « sur un coup de tête ». Lorsqu’une petite charrette transportant un fonctionnaire roumain oublié – un vétérinaire – et deux soldats arrive tard le soir dans la ville de plus en plus déserte, il monte à bord pour les rejoindre.
56Le récit que fait Kessler de cette fuite de Transnistrie est un témoignage dramatique sans égal. Ce périple mouvementé parmi des flots de réfugiés l’a conduit au sud-ouest d’Olgopol, à travers des régions déchirées par la guerre, des attaques d’avions, des routes boueuses, d’immenses destructions, l’abandon et la mort, vers le centre de la Roumanie, puis à Bucarest.
57Il y retrouve Judith, sa femme, et Vera, sa petite fille. Bucarest n’est cependant qu’un bref répit dans la fuite. La guerre faisant toujours rage et la ville subissant presque quotidiennement les bombardements des Alliés, les Kessler ont pour priorité de quitter la Roumanie par tous les moyens possibles.
58La Palestine est un objectif imaginable, bien que dangereux et difficile à atteindre. Les autorités britanniques, mandatées par la Société des Nations en 1922 pour administrer la Palestine, ont sévèrement limité l’immigration juive pendant les années de l’Holocauste jusqu’à la création de l’État d’Israël en 194838. Ayant mis en place un blocus naval, les autorités britanniques arrêtaient en mer les navires transportant des immigrants non autorisés et internaient les passagers capturés dans des camps à Chypre. Pourtant, il ne semblait pas exister de moyen plus facile et plus sûr de s’échapper. Et l’immigration illégale – Aliyah Bet – bien que dangereuse et souvent entravée, réussit à de nombreuses occasions avec l’aide d’une organisation clandestine d’évasion juive en Europe, établie par des émissaires sionistes et une branche de la Haganah39. C’est grâce à cette organisation, et au lien que Judith et Arthur Kessler ont établi avec elle à Bucarest, qu’ils réussirent à embarquer sur un petit bateau en bois, le Milka, à destination de la Palestine40.
59Arthur Kessler termine ses mémoires de manière abrupte au moment du départ, dans la discrétion qui caractérise l’ensemble de son récit.
Nous montons à bord d’un petit bateau en bois illégal en emportant un coussin et un pot de chambre émaillé avec une croix rouge au fond, suspendu au cou de l’enfant [Vera]. Nous restons cachés au fond de l’embarcation pendant les premiers kilomètres d’eaux minées, puis nous nous dirigeons vers la liberté.41
60Mais les séquelles de ses deux années passées en Transnistrie allaient le suivre tout au long de sa vie. La famille s’installe à Tel-Aviv où, après la création de l’État d’Israël, le docteur Kessler devient un médecin allergologue de premier plan et dirige l’Association israélienne d’allergologie et d’immunologie clinique. Il a souvent donné des conférences et écrit des articles scientifiques sur le lathyrisme et, pendant des années, il a soigné dans sa clinique d’anciens prisonniers de Vapniarka qui avaient été paralysés par la maladie, sans aucune compensation. À la fin des années 1950, il a contribué aux efforts visant à obtenir des réparations pour les survivants de Vapniarka, témoignant à plusieurs reprises en Allemagne à cette fin.
61En 1972, trente ans après son arrestation et son transfert à Vapniarka, la Roumanie l’a officiellement élevé au rang de héros national de la lutte contre le fascisme.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1La vaste région située au nord-ouest de la ville portuaire d’Odessa, sur la mer Noire, et entre le Dniestr et le Bug, ne doit pas être confondue avec l’État sécessionniste actuel, la Transnistrie (officiellement la République moldave du Dniestr, RMD), qui est internationalement reconnue comme faisant partie de la Moldavie.
2Différentes estimations existent quant au nombre de personnes tuées, mais elles se situent entre 280 000 et 400 000. Il est certain que si les Gitans (en anglais : Roms) déportés en Transnistrie au cours de cette période depuis le Regat, la Transylvanie et la Grande Roumanie sont inclus dans les estimations, les chiffres les plus élevés seraient plus proches de la réalité. Pour deux estimations de ce genre, voir Jean Ancel, Transnistria 1941-1942, Tel-Aviv, Goldstein-Goren Diaspora Research Center, 2003, 3 vol. ; du même auteur, International Commission on the Holocaust in Romania. Final Report, Bucarest, Editura Polirom, 2005.
3Des copies de ces mémoires inédites en allemand se trouvent dans la collection Docteur Arthur Kessler au United States Holocaust Memorial Museum à Washington (DC) ainsi qu’aux archives du Beit Lohamei Haghetaot en Israël. Arthur Kessler, A Doctor’s Memoir of the Romanian Holocaust. Survival in Lager Vapniarka and the Ghettos of Transnistria, L. Spitzer éd., M. Robinson trad., Rochester, University of Rochester Press, 2024.
4Voir Julius S. Fisher, Transnistria. The Forgotten Cemetery, Cranbury, Thomas Yoseloff, 1969. Sur la Shoah en Roumanie, voir Matatias Carp, Cartea neagra. Le livre noir de la destruction des Juifs de Roumanie en 1940-1944, A. Laignel-Lavastine trad., Paris, Denoël, 2009 ; Radu Ioanid, La Roumanie et la Shoah. Destruction et survie des Juifs et des Roms sous le régime Antonescu, 1940-1944, D. Marian et N. Weill trad., Paris, CNRS Éditions, 2023.
5Marianne Hirsch et Leo Spitzer, Ghosts of Home. The Afterlife of Czernowitz in Jewish Memory, Berkeley, University of California Press, 2010, p. xiii-xv et passim ; du même ouvrage, voir le chapitre 2, « Vienna of the East », p. 20-52. Voir aussi Florence Heymann, Le crépuscule des lieux. Identités juives de Czernowitz, Paris, Stock, 2003.
6Matei Gall, Finsternis. Durch Gefängnisse, KZ Wapniarka, Massaker, und Kommunismus. Ein Lebenslauf Lebenlauf in Rumänien, 1920-1990, Constance, Hartung-Gorre Verlag, 1999, p. 119-120. Selon Nathan Simon, ils ont été abattus par des membres d’un Einsatzkommando nazi. Voir Nathan Simon, „…auf allen Vieren werden ihr hinauskriechen!“. Ein Zeugenbericht aus dem KZ Wapniarka, Berlin, Institut Kirche und Judentum, 1994, p. 64.
7Gheorghe Alexianu, Decree Nr. 0607, 13 Feb. 1942, cité dans : M. Gall, Finsternis, ouvr. cité, p. 121.
8Simon avance le nombre de 1 100, Kessler et Gall celui de 1 200, et Polya Dubbs, survivante du camp, que Marianne Hirsch et moi-même avons interviewée à Rehovot, en Israël, en 2000, se souvient du nombre de 1 400.
9Cette catégorie vague de « politique » englobe également les Témoins de Jéhovah et les membres d’autres « sectes religieuses dissidentes ».
10N. Simon, „…auf allen Vieren werden ihr hinauskriechen!“, ouvr. cité, p. 63-64.
11M. Gall, Finsternis, ouvr. cité, p. 112-114 ; N. Simon, „…auf allen Vieren werden ihr hinauskriechen!“, ouvr. cité, p. 65. Kessler et Dubbs mentionnent aussi cela.
12Ibid., p. 66.
13Ibid., p. 67.
14A. Kessler, A Doctor’s Memoir of the Romanian Holocaust, ouvr. cité, p. 89.
15Arthur Kessler, « Lathyrismus », Psychiatrie und Neurologie, vol. 112, no 6, 1947, p. 345-376.
16A. Kessler, A Doctor’s Memoir of the Romanian Holocaust, ouvr. cité, p. 90.
17Ibid.
18Ibid., p. 91.
19Le terme choiceless choices est de Lawrence Langer. Voir Lawrence L. Langer, Holocaust Testimonies. The Ruins of Memory, New Haven, Yale University Press, 1991 ; « The Dilemma of Choice in the Death-camps », Centerpoint. A Journal of Interdisciplinary Studies, vol. 4, no 1, 1980, p. 53-59.
20A. Kessler, A Doctor’s Memoir of the Romanian Holocaust, ouvr. cité, p. 92.
21Kessler, Dubbs, Simon et Gall présentent tous des versions similaires de ce récit. Simon a lui-même été atteint de lathyrisme.
22Voir M. Gall, Finsternis, ouvr. cité, p. 127-29 ; R. Ioanid, La Roumanie et la Shoah, ouvr. cité, p. 110-175 ; Felicia (Steigman) Carmelly éd., Shattered! 50 Years of Silence. History and Voices of the Tragedy in Romania and Transnistria, Scarborough, Abbeyfield Publishers, 1997, p. 138.
23Leo Spitzer, « “Solidarity and Suffering”: Lager Vapniarka among the Camps in Transnistria », Witnessing Unbound: Holocaust Representation and the Origins of Memory, Henri Lustiger-Thaler et Habbo Knoch éd., Détroit, Wayne State University Press, 2017, p. 123-124.
24« Im fernen Wapniarka, / Wo so bitter die Not, / Schmerzt mich Sehnsucht nach Freiheit, / Sehnsucht nach daheim... ». Polya Dubbs a chanté et nous avons enregistré la chanson lorsque nous l’avons interviewée en 2000. Voir aussi M. Gall, Finsternis, ouvr. cité, p. 151.
25Ibid., p. 153-155 ; N. Simon, „…auf allen Vieren werden ihr hinauskriechen!“, ouvr. cité, p. 90-92.
26A. Kessler, A Doctor’s Memoir of the Romanian Holocaust, ouvr. cité, p. 99.
27Ibid., p. 100.
28Ibid., p. 107.
29Ibid., p. 100.
30Ibid., p. 100-101.
31Galien de Pergame était un médecin, chirurgien et philosophe grec de l’Empire romain, dont les travaux médicaux, y compris les études sur les médicaments naturels à base de plantes, ont influencé la théorie et la pratique médicales en Europe pour les siècles à venir. Certains de ses ouvrages étaient encore lus dans les facultés de médecine au début du xxe siècle.
32Ibid., p. 116.
33Ibid., p. 110.
34Ibid., p. 139.
35Ibid., p. 154.
36Ibid. Les Juifs qui ont survécu aux ghettos et aux camps de Transnistrie ont été enrôlés dans l’Armée rouge, y compris les orphelins âgés de 13 ans et plus. Certains ont été emmenés dans des camps de travail soviétiques au fin fond de l’Union soviétique.
37Ibid.
38Au lendemain de la Première Guerre mondiale et de la défaite de l’Empire ottoman, la Société des Nations a officiellement donné à la Grande-Bretagne un mandat diplomatique et militaire sur la Palestine en septembre 1923. Il s’agit de l’un des nombreux mandats au Moyen-Orient destinés à répondre à l’objectif de la Société des Nations d’administrer les nations anciennement sous domination ottomane de la région, « jusqu’à ce qu’elles soient en mesure de se suffire à elles-mêmes ». La Grande-Bretagne se voit également confier la responsabilité de la création d’un foyer national juif dans la région. Voir Tom Segev, One Palestine, Complete. Jews and Arabs under the British Mandate, New York, Metropolitan Books, 2000.
39L’option de l’immigration légale ayant été sévèrement restreinte par les autorités britanniques au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Juifs désireux d’être admis en Palestine mandataire ont eu recours à ce que l’on appelle la Ha’apala, nom hébreu moderne donné à l’immigration clandestine. Connue également sous le nom d’Aliyah Bet (Aliyah = « retour de la diaspora » ; Bet = première lettre de bilti-legalit, qui signifie « illégal »), cette initiative était organisée par une branche de la Haganah, l’organisation militaire juive clandestine.
40Le Milka était le navire jumeau du Struma, une barge de 46 mètres en bois qui avait été utilisée à l’origine pour transporter du bétail. En février 1942, le Struma, surchargé d’environ 780 Juifs roumains qui tentaient de fuir vers la Palestine, a été coulé par une torpille. Tous les passagers et membres d’équipage, à l’exception d’un seul, se sont noyés. Voir « The Story of the Struma: A Refugee Ship Fleeing Romania, Sunk at Sea in 1942 ». En ligne : [https://www.yadvashem.org/exhibitions/struma/overview.html].
41A. Kessler, A Doctor’s Memoir of the Romanian Holocaust, ouvr. cité, p. 169.
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