Chapitre 4
La question du choix dans un camp de la mort : l’exemple des plans de révolte du Sonderkommando juif d’Auschwitz-Birkenau
p. 81-111
Remerciements
L’auteure tient à remercier Sonia Combe, Emmanuel Delille ainsi que tous les participants du séminaire « Choix sous contraintes » au Centre Marc Bloch à Berlin pour leurs remarques et critiques constructives concernant la version initiale de son travail. De même, elle exprime sa reconnaissance à l’équipe d’ENS Éditions pour la relecture minutieuse de son texte. Les citations tirées des sources en allemand et en yiddish sont traduites par l’auteure.
Texte intégral
1Selon les calculs des nazis, la politique génocidaire ne devait laisser aucun témoin en vie. Grâce à une poignée de survivants du Sonderkommando juif, seuls témoins oculaires du génocide, il en fut cependant autrement. Grâce à ces témoignages, nous pouvons poser la question du choix qui se serait posée dans le Sonderkommando.
2Le Sonderkommando désigne un groupe composé, sauf cas exceptionnels, de détenus juifs. Leur tâche principale consistait à faire disparaître les corps des victimes assassinées dans les structures de mise à mort construites dans le cadre de la politique génocidaire nazie. Le nom du groupe est né de la composition de deux termes. Le Kommando désigne dans le jargon du camp l’équipe de travail, tandis que l’adjectif sonder signifie « spécial » en allemand. Nous retrouvons ce même adjectif dans la notion de Sonderbehandlung (« traitement spécial »), sinistre euphémisme utilisé dans la correspondance bureaucratique à la place du terme d’extermination.
3Les membres du Sonderkommando juif, en leur qualité de témoins directs du génocide, étaient régulièrement soumis à des sélections les envoyant à la mort pour être remplacés par de nouveaux détenus. Malgré cela, une centaine d’entre eux ont profité du chaos qui régnait au camp d’Auschwitz-Birkenau à la veille de son évacuation en janvier 1945. Ils ont réussi à quitter le Sonderkommando qui était condamné à vivre isolé du reste du camp. Ceux qui sont ainsi parvenus à se mêler à la masse de détenus qui se préparaient à être évacués par les SS ont eu une chance infime de survivre.
4Les témoignages des survivants du Sonderkommando sont apparus avec beaucoup de retard dans l’historiographie de la Shoah en raison de la méfiance qu’ils inspiraient ainsi que des reproches auxquels ils durent faire face dans leur entourage. Pendant les années de guerre, le Sonderkommando fut le groupe pour lequel il n’y avait aucun espoir. Primo Levi, survivant de la Buna (Auschwitz III) et écrivain italien, a surnommé ses membres les corbeaux noirs, ce qui marque bien la connotation négative attribuée à ce groupe1. Paul Bendel, l’un des médecins affectés aux crématoires de Birkenau, soutint l’idée selon laquelle les tâches imposées au Sonderkommando auraient déshumanisé ses membres2. Même l’apparence physique de ces détenus portait, d’après ces témoignages, les traces de la mort. Il était parfois admis que les membres du Sonderkommando agissaient avec violence, non seulement à l’égard des victimes, mais aussi entre eux-mêmes. Les témoignages des survivants du Sonderkommando parlent effectivement de détenus qui ont maltraité des victimes. Mais dans l’ensemble, le Sonderkommando était un groupe traumatisé qui a dû, sous la menace permanente de la mort, accomplir la tâche la plus difficile qui puisse exister. La conscience de la mort chez les détenus du Sonderkommando ne concernait pas uniquement leur propre fin : ils ont également bien compris qu’il était question de l’annihilation préméditée et systématique de tout un peuple.
5Par conséquent, il ne faut pas s’étonner du fait que les Sonderkommandos aient longtemps été exclus de la recherche historique universitaire et de la mémoire collective de la Shoah3. Ce thème a été plutôt étudié par des chercheurs indépendants ayant une bonne connaissance à la fois de l’historiographie, des archives et des lieux de mémoire relatifs à l’espace de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. Nous pouvons notamment citer l’exemple de Véronique Chevillon, auteure d’un site internet très détaillé sur le Sonderkommando juif d’Auschwitz qui réunit des sources et une étude minutieuse sur ce groupe4. C’est ensuite par l’intermédiaire de films documentaires et de publications de témoignages que les historiens ont progressivement commencé à se détacher de cette perception négative réductrice du Sonderkommando5. En France, cela a pris aussi de longues années, malgré un film comme Shoah6 qui, dès 1985, avait fait connaître au grand public le témoignage des survivants du Sonderkommando et des Arbeitsjuden. Il a fallu, en effet, attendre les travaux pionniers de Georges Bensoussan et de Philippe Mesnard sur le sujet pour que l’histoire du Sonderkommando soit reconnue comme un thème de recherche à part entière dans le domaine des études sur la Shoah7.
6Aujourd’hui, il est désormais possible de parler d’une littérature sur le Sonderkommando juif d’Auschwitz, qui inclut des études historiques, la publication de témoignages et d’œuvres littéraires ou cinématographiques. L’encadrement éditorial du manuscrit de Zalmen Gradowski8, un membre du Sonderkommando, ainsi que des analyses du film Le fils de Saul9, représentent, toutefois, la plus grande partie des textes10. Cela dit, l’article d’Andreas Kilian, un autre chercheur indépendant travaillant depuis de longues années sur le Sonderkommando d’Auschwitz-Birkenau, montre que de nouvelles études dans les archives sont toujours susceptibles de rectifier les erreurs de l’historiographie actuelle et de nous faire découvrir de nouvelles informations sur le sujet11.
7En ce qui concerne les archives du camp d’Auschwitz-Birkenau, elles ont fait l’objet d’une destruction partielle dans le cadre de l’Aktion 1005 : un programme minutieusement préparé et mis en application dès l’année 1942 par le IIIe Reich12. Ce programme ne consistait pas uniquement à faire disparaître les traces de la politique génocidaire nazie, c’est-à-dire les corps et les cendres des millions de victimes assassinées au cours de fusillades et d’opérations de gazage ; il s’est étendu, dès novembre 1944, à la destruction des archives concernant le personnel du camp et les détenus. Cependant, la nature bureaucratique et l’ampleur du crime ont empêché la disparition totale de la documentation relative à la politique génocidaire nazie. Les archives ne présentent, toutefois, que des fragments d’informations, sans pour autant tracer une continuité historique. Les témoignages, notamment ceux du Sonderkommando, sont venus compléter, plusieurs décennies après la fin de la guerre, l’apport lacunaire de cette documentation, ce qui a enfin permis la reconstitution d’une partie des faits.
8Les chroniqueurs de Birkenau ont aussi voulu transmettre les actes de résistance de victimes dans la salle de déshabillage des crématoires, juste avant leur entrée dans la chambre à gaz. L’exemple le plus connu est celui d’une jeune femme qui arracha au SS Schillinger son révolver, en le blessant grièvement13. Un autre acte a été réalisé par les Juifs tchèques qui, déportés du ghetto de Theresienstadt, ont été installés, sans passer par la sélection habituelle, dans une partie spéciale du camp appelé le « camp des familles ». Ils ont protesté avant d’entrer dans la chambre à gaz, en chantant l’hymne national tchèque et l’hymne du mouvement sioniste, Hatikva. Cette réaction inattendue du « camp des familles » constitue un moment fort de l’histoire d’Auschwitz-Birkenau. Elle est évoquée non seulement dans les témoignages des membres du Sonderkommando, mais aussi dans les mémoires de plusieurs femmes ayant survécu à Birkenau14.
Des tentatives de fuite vers l’idée d’une révolte
9Différents plans ont été élaborés depuis la fin de l’année 1943 au sein du Sonderkommando juif d’Auschwitz pour un éventuel soulèvement. C’est du moins la date à partir de laquelle nous arrivons à trouver des informations qui se recoupent sur le thème de la révolte. Contrairement à ce qu’écrivent Eric Friedler, Barbara Siebert et Andreas Kilian dans une des premières monographies consacrées au Sonderkommando d’Auschwitz, les membres de cette équipe n’ont pas attendu la diminution du nombre de convois de déportés pour penser à la révolte15. Il n’est pas possible d’exclure l’existence de projets de révolte et de fuite pour les périodes sur lesquelles nous disposons de moins de données.
10Les projets de soulèvement puisent leurs origines dans les tentatives de fuite individuelles qui avaient été activement soutenues par le Sonderkommando.
11L’exemple le plus connu a été la tentative réussie d’Alfred Wetzler et de Rudolf Vrba, le 7 avril 1944. Ces deux détenus se sont cachés dans un réduit souterrain dans le secteur du camp appelé Mexico où un Kommando était affecté à la construction de baraquements. La cachette pour les deux détenus, bien qu’elle soit restée à l’intérieur du secteur des patrouilles, se situait en dehors des fils barbelés. Les détenus travaillant dans le Kommando de construction avaient, en plus, déversé du pétrole et du tabac aux alentours de la cachette, afin que les fugitifs ne soient pas découverts par les chiens des SS16. Cette astuce a favorisé la réussite : les SS suspendaient, en effet, les recherches des évadés dans les soixante-douze heures qui suivaient la sirène annonçant une tentative de fuite.
12Les contacts nécessaires pour préparer cette tentative de fuite ont probablement été établis grâce à la fonction d’Alfred Wetzler, secrétaire du Block 9. Celui-ci avait demandé au Sonderkommando de lui faire parvenir des preuves concernant la mise à mort systématique des Juifs. Filip Müller, membre du Sonderkommando, qui connaissait ces deux détenus de sa ville natale Sered an der Waag, leur a fourni, au risque de sa propre vie, une étiquette de la boîte de Zyklon B sur laquelle figurait le nom du producteur, un plan de crématoire et la liste des nazis affectés aux structures de mise à mort17. Rudolf Vrba et Alfred Wetzler ont ainsi pu préparer un rapport sur les atrocités commises à Auschwitz, après leur fuite du camp18.
13Le Sonderkommando a apporté son soutien à d’autres tentatives de fuite qui se sont multipliées au cours de l’année 1944. Elles avaient toutes le même objectif : informer le monde extérieur et obtenir son intervention active pour mettre fin à la politique génocidaire nazie.
14L’idée d’une révolte aux crématoires semble, cependant, avoir prédominé à partir du printemps 1944 au sein du Sonderkommando. Cette révolte, qui devait aboutir à un soulèvement général au camp, devait permettre, selon le plan des membres du Sonderkommando, une fuite en masse des détenus. Ils étaient pourtant parfaitement conscients du fait que seule une minorité pourrait effectivement parvenir à s’échapper. Ceux qui réussiraient envisageraient alors d’organiser des sabotages, afin d’empêcher l’arrivée d’autres convois à Birkenau.
15En ce qui concerne le plan de révolte, il est possible de repérer quelques divergences dans le récit des membres du Sonderkommando. Une divergence apparaît essentiellement entre les témoignages des détenus ayant été affectés aux crématoires II-III et ceux qui se sont trouvés dans les crématoires IV-V. Nous pouvons l’expliquer de deux façons. Premièrement, il faut considérer le fait que les détenus du crématoire II étaient proches de ceux du crématoire III, tout comme les équipes des crématoires IV-V qui pouvaient établir des contacts permanents entre eux. La divergence existante entre le récit des témoins peut encore s’expliquer par le fait que l’organisation de la révolte était assurée par un nombre restreint de détenus possédant une expérience dans le domaine de la résistance ou des préparatifs d’actes de sabotage. Ce groupe restreint était formé d’officiers, de combattants volontaires de la guerre d’Espagne et de membres de différentes organisations de résistance. D’autres détenus ont été initiés à ce cercle par les membres principaux de ce groupe, en recevant uniquement des tâches précises. Les nouveaux membres de l’organisation n’ont donc pas été mis au courant des détails du plan de révolte. Ils en ont également ignoré la date et l’heure. Mais ils savaient quelle tâche ils devraient accomplir lors de son déclenchement. Daniel Bennahmias, l’un des survivants du Sonderkommando d’Auschwitz d’origine grecque, explique ce fait dans son témoignage19. Shlomo Dragon, qui a survécu au Sonderkommando avec son frère, confirme le témoignage de Daniel Bennahmias20.
16La première tentative de révolte que nous parvenons à repérer dans les témoignages est née à la veille de la liquidation du « camp des familles » qui avait été formé à partir des convois en provenance de Theresienstadt. Le 8 septembre 1943 est arrivé le premier convoi, amenant 5 006 Juifs de ce camp-ghetto. Ce convoi a été inscrit comme « SB-Transport tschechischer Juden mit sechs monatiger Quarantäne »21. Pour la première fois dans l’histoire d’Auschwitz et de tous les autres centres de mise à mort nazis, les SS n’ont pas fait de sélection au sein d’un convoi. D’une manière encore plus exceptionnelle, les nouveaux arrivants de Theresienstadt n’ont pas été tondus ; ils ont pu garder leurs affaires personnelles et ils n’ont pas été obligés de porter l’uniforme rayé. À part la construction de leur camp dans le secteur BIIb, les Juifs de Theresienstadt n’ont pas été soumis au travail forcé. Le secteur du camp dans lequel ils ont habité a été nommé « camp des familles » parce que les détenus ont pu y vivre sans être séparés de leur famille. Les habitants de cette section « privilégiée » ont, de plus, été autorisés à envoyer des cartes postales à leurs proches et même à recevoir un colis par mois.
17Pourquoi la direction du camp a-t-elle accordé ces « privilèges » aux Juifs tchèques formant le « camp des familles », un cas resté unique dans l’histoire d’Auschwitz ? L’envoi de cartes postales par ces détenus à leurs proches laisse à penser que les nazis ont voulu répandre, contre les rumeurs de mise à mort, l’information selon laquelle les Juifs déportés en wagons à bestiaux étaient bien « réinstallés à l’Est » pour y travailler. Il est aussi possible d’émettre l’hypothèse, comme le font la plupart des historiens, que le « camp des familles » a été conçu pour servir de vitrine aux visites de la Croix-Rouge internationale à Auschwitz. Quelle qu’ait pu être la raison d’épargner dans un premier temps les Juifs de Theresienstadt, leur camp a été liquidé, le 8 mars 1944, à la fin des six mois de quarantaine.
18L’ordre de liquidation du « camp des familles » a été transmis par l’Oberscharführer Houstek à l’Oberscharführer Voss, chargé de la direction des crématoires, en présence d’un membre du Sonderkommando, Filip Müller, qui nettoyait les bottes de celui-ci22. Filip Müller a informé ses camarades du Sonderkommando de ce qu’il venait d’apprendre dans le bureau de Voss. Une fois réunis, ils ont décidé d’avertir le « camp des familles ». Le contact avec ce camp a été établi par l’intermédiaire de l’atelier de serrurerie dont les membres, munis d’un laissez-passer grâce au travail qu’ils accomplissaient, pouvaient se déplacer librement à l’intérieur des différents secteurs du camp. Parmi les détenus travaillant à l’atelier de serrurerie figuraient Ota Kraus, Laco Langfelder et Erich Schön-Kulka23. Le message du Sonderkommando qui a été transmis par les détenus de l’atelier de serrurerie assurait le « camp des familles » de son soutien actif.
19Le Sonderkommando a élaboré dans ces conditions un premier plan de révolte selon lequel les détenus du « camp des familles » devraient incendier leurs baraquements, sectionner les réseaux de barbelés et passer dans d’autres secteurs du camp. Les membres du Sonderkommando espéraient à ce stade que l’insurrection se répandrait à l’ensemble du camp, tandis qu’eux-mêmes feraient sauter les crématoires et tueraient les SS affectés à la garde des usines de la mort.
20Cependant, les détenus du « camp des familles » n’ont pas cru à l’avertissement du Sonderkommando. Leur vie relativement aisée au camp les a empêchés de se rendre compte de la réalité. Ils se sont également méfiés du Sonderkommando, en estimant que celui-ci avait pour objectif d’utiliser le « camp des familles » comme une cible dans le déclenchement d’une révolte. La liquidation du « camp des familles » ne s’étant pas, non plus, réalisée au lendemain de l’arrivée de l’ordre, la crédibilité du Sonderkommando a davantage diminué aux yeux des détenus tchèques.
21Face à cette situation, le Sonderkommando a décidé de trouver un chef spirituel auquel les détenus du « camp des familles » feraient confiance. Il a été décidé au sein du groupe préparant le plan de la révolte que ce chef serait Fredy Hirsch, un jeune Allemand qui s’occupait de l’enseignement aux enfants du « camp des familles ». Il était aimé et respecté de tous les détenus de cette section du camp24. La description de Fredy Hirsch dans le témoignage de Ruth Elias n’en constitue qu’un exemple parmi plusieurs autres :
Pour les enfants, un block d’enfants construit et placé sous la direction du meilleur leader de jeunesse au monde que j’aie jamais rencontré. Fredy Hirsch. Fredy était un Juif allemand qui travaillait en Tchécoslovaquie, il a été par la suite déporté à Theresienstadt et plus tard à Auschwitz. C’était un beau jeune homme, de corpulence athlétique, un excellent sportif qui prenait soin de la jeunesse d’une manière unique. Sans le moindre matériel d’écriture, sans livres scolaires, sans jouets, Fredy a établi avec l’aide d’autres éducateurs un système d’enseignement et a inventé des jeux éducatifs qui convenaient à la situation. Comment Fredy a-t-il réussi à rendre possible l’impossible avec ses éducateurs, cela est resté une énigme pour nous tous, qui ne travaillions pas au block d’enfants. Tous, adultes ou enfants aimaient Fredy, et lui, il aimait tous ses enfants.25
22Fredy Hirsch n’a pas accepté d’entraîner le « camp des familles » dans une insurrection parce qu’il ne voulait pas mettre en danger les enfants. Il s’est suicidé après avoir appris la proposition du plan de révolte de l’homme de contact de l’atelier de serrurerie26. Le lendemain de son suicide, le 8 mars 1944, les détenus du « camp des familles » ont été emmenés par des camions au crématoire pour « prendre une douche afin de pouvoir changer de camp : ils seraient transférés à Heydebreck, un autre camp où ils pourraient réorganiser leur vie ». Le soi-disant changement de camp est apparu dans le rapport officiel de la bureaucratie nazie, soussigné par Josef Mengele, comme une liquidation survenue à la suite de l’apparition de nombreux cas de typhus27.
23Ainsi la première tentative de révolte élaborée par le Sonderkommando n’a-t-elle pas pu se réaliser. Il est difficile de dire si elle aurait réussi ; il aurait été sans doute impossible d’organiser une fuite massive des détenus ou de détruire complètement le camp. Mais l’effet de surprise – car les nazis ne se seraient pas attendus à un soulèvement des Juifs – aurait pu retarder la déclaration de situation d’alerte et l’intervention des SS. Cela aurait pu signifier au moins la destruction partielle des structures de mise à mort et l’arrêt des opérations de gazage.
24À la suite de la liquidation du « camp des familles », le Sonderkommando a exclu la possibilité de déclencher une révolte avec l’aide de détenus ou de convois condamnés à la chambre à gaz.
Le plan de révolte de juin 1944
25Une seconde tentative de révolte a vu le jour au début de l’été 1944, une période qui correspond à des aménagements techniques pour l’annihilation des Juifs hongrois sous les directives du SS-Oberscharführer Otto Moll28. Les détails du plan de révolte ont été repérés dans les différents témoignages des membres du Sonderkommando que nous avons pu étudier. Le plus important d’entre eux est celui de Filip Müller, qui a survécu à la répression sanglante en se cachant à l’intérieur du crématoire IV, dans les carneaux reliant les fours à la cheminée. Le témoignage de Zalmen Lewental, l’un des chroniqueurs de Birkenau, apporte également des informations précieuses sur la révolte. Bien qu’il n’ait pas été un témoin direct de son déclenchement, il a fait partie du groupe organisateur de cette révolte. Le manuscrit dans lequel il a écrit les étapes de ce projet nous livre par conséquent une version qui corrobore celle de Filip Müller29.
26Il faut noter qu’il existe deux traits communs aux détenus du Sonderkommando ayant participé à l’élaboration des plans de révolte : le pays d’origine et la durée passée au Sonderkommando. Nous remarquons que les détenus d’origine polonaise qui sont depuis longtemps au Sonderkommando – c’est-à-dire depuis 1942 – ont participé à l’élaboration du plan de révolte avec quelques officiers de l’armée soviétique et de l’armée grecque. Le témoignage de Dov Paisikovic, par exemple, qui arrive au Sonderkommando durant la dernière étape de la politique génocidaire, présente plutôt des informations relatives au quotidien du Sonderkommando. Ses connaissances sur les préparatifs de la révolte sont moins précises que celles des détenus d’origine polonaise ou que de ceux qui ont été initiés au Sonderkommando au cours de l’année 1942.
27Le plan de révolte de juin 1944, élaboré par le Sonderkommando, se compose de diverses étapes successives qui devaient se réaliser sans éveiller les soupçons et surtout sans déclencher l’état d’alerte. Le plan de juin 1944, qui a été soumis à quelques modifications, constitue la base du plan conçu pour l’automne 1944.
28Les membres du Sonderkommando chargés de l’organisation de la révolte ont cependant été confrontés à deux obstacles majeurs. En premier lieu, le Sonderkommando a été transféré du Block 13 du camp BIId aux greniers des crématoires II, III et IV. Ce transfert, ayant accentué l’isolement de ce groupe, a aussi rendu plus difficile le contact avec le monde concentrationnaire. Ce contact se réalisait au Block 13, d’une part par l’intermédiaire de détenus politiques qui avaient une plus grande liberté de se déplacer à l’intérieur du camp BII, et d’autre part grâce à certains Kommandos « mobiles », comme celui des électriciens qui pouvaient entrer dans la zone des crématoires pour effectuer des travaux de réparation. Le contact avec le monde concentrationnaire a essentiellement été établi à la suite du transfert du Sonderkommando aux greniers des crématoires, grâce au Kommando de ravitaillement. Ce Kommando allait chercher la soupe et les rations quotidiennes au secteur d du camp et la distribuait aux crématoires. Le Sonderkommando n’avait pas besoin de cette soupe, distribuée trois fois par jour aux détenus du camp, puisqu’il pouvait s’emparer de la nourriture laissée par les victimes dans les salles de déshabillage. La distribution de la soupe au secteur d du camp signifiait donc, avant tout, le maintien du contact avec le monde concentrationnaire. Elle servait aussi à faire passer le matériel explosif, comme la poudre ou l’essence, aux différents crématoires. Le témoignage de Dov Paisikovic, un Juif hongrois arrivé à Auschwitz en août 1944, souligne encore que le Sonderkommando aidait les détenus du monde concentrationnaire qui souffraient bien plus de la faim. Son témoignage ne constitue qu’un exemple parmi plusieurs autres cas évoqués sur ce point précis par les survivants de la partie concentrationnaire du camp :
Tous les jours, nous allions tout de même chercher la soupe et les rations du secteur d du camp afin que le contact avec le camp de Birkenau ne soit pas interrompu. J’étais souvent dans ce groupe qui prenait la soupe de la cuisine du camp dans ce secteur. Nous étions fréquemment accompagnés sur ce chemin par un vieux SS qui n’entendait pas très bien, qui était le seul à ne nous avoir jamais battus et qui regardait toujours ailleurs lorsqu’il se passait quelque chose qu’il n’aurait pas dû voir. Ainsi, pouvions-nous jeter le pain que l’on avait pris – et dont nous n’avions de toute façon pas besoin – aux détenus des autres secteurs du camp qui l’attendaient déjà.30
29Le Sonderkommando a, en second lieu, perdu le Kapo Kaminski du crématoire II, un personnage fondamental de son histoire et de l’organisation de la révolte. Ya’acov ou (Shimon) Kaminski était originaire de Ciechanów. Il figure dans les témoignages des membres du Sonderkommando comme une personne courageuse et estimée qui a même été reconnue par les SS, auprès desquels il n’a pas hésité à intervenir à plusieurs reprises en faveur de ses camarades. Le Kapo Kaminski, dont nous ne connaissons pas la date d’arrivée, ni celle de son initiation au Sonderkommando, a joué un rôle unificateur au sein de ce groupe où il a su régler les conflits et les tensions entre les détenus vivant sous la menace permanente de la mort. Il a été fusillé au cours de la liquidation du « camp des Tsiganes »31, le 2 août 1944. Lors de son assassinat, le Sonderkommando a été enfermé au local se situant entre la chambre à gaz et le vestiaire, sous prétexte d’une attaque aérienne. Cette décision des SS atteste leur crainte concernant une éventuelle protestation du Sonderkommando, étant donné l’importance du Kapo Kaminski pour le groupe.
30La mort du Kapo Kaminski a été annoncée aux détenus par Otto Moll, qui a expliqué l’exécution de celui-ci comme la punition d’une agression qu’il aurait préparée contre Erich Muhsfeldt, l’un des responsables des crématoires. Certains membres du Sonderkommando émettent l’hypothèse que le Kapo Kaminski avait été dénoncé pour ses activités concernant les préparatifs de la révolte par Mietek Morawa, l’un des détenus polonais qui était affecté au Sonderkommando depuis 1943. Notons cependant qu’une dénonciation concernant un éventuel plan de révolte aurait certainement suscité une inspection minutieuse de la part des SS. Nous connaissons un seul cas de contrôle où les SS ont exigé des détenus des crématoires II et III de leur faire sortir la dynamite. Ce cas correspond probablement à une dénonciation qui, finalement, n’a pas abouti à ses fins, grâce à Shlomo Dragon qui avait changé la place de la dynamite quelques jours auparavant32. Malgré ce contrôle, il est difficile d’admettre que les SS aient pu soupçonner une tentative de révolte. Selon leur raisonnement, les Juifs auraient été incapables de réaliser un tel acte parce que les SS n’arrivaient pas à les considérer comme des combattants, conformément à leur préjugé antisémite. Deuxièmement, un véritable soupçon de révolte aurait été, soulignons-le encore une fois, puni sévèrement, ce qui aurait même pu aboutir à une liquidation totale33 ou du moins au remplacement d’une partie importante du Sonderkommando.
31Malgré ces obstacles, le Sonderkommando a élaboré un plan de révolte qui devait se concrétiser vers le milieu du mois de juin 1944. Selon ce plan, la révolte devait commencer en même temps aux crématoires II, III, IV et au Bunker V dans l’après-midi, avant le retour des équipes de jour pour l’appel. Les chefs SS et les gardes SS seraient liquidés par les membres du Sonderkommando qui s’empareraient de leurs uniformes et de leurs armes. Cet acte serait facilement réalisable, le nombre des détenus étant bien plus important que celui des SS : le nombre de détenus affectés à chaque crématoire était compris entre 100 et 200, tandis que celui des SS ne dépassait pas la dizaine.
32Le plan de révolte attribuait d’autres tâches à différents groupes : l’un d’entre eux se chargerait de couper les lignes téléphoniques et l’électricité du camp, tandis qu’un autre groupe commencerait à sectionner les fils barbelés sous haute tension à l’aide de pinces en tôle d’acier isolantes, en vue d’ouvrir une brèche qui permettrait aux détenus de s’échapper en masse. Un dernier groupe resterait dans les crématoires dans le but de les faire sauter avec des munitions en provenance d’Auschwitz III. Encore une fois, le Sonderkommando espérait qu’il y aurait, à ce stade, un effet de contagion de la révolte comme cela avait été prévu lors de la première tentative de révolte en mars 1944 pendant la liquidation du « camp des familles ».
33L’application de ce plan a, cependant, été reportée à une date ultérieure le jour même de la révolte. Plusieurs raisons apparaissent dans les témoignages des membres du Sonderkommando pour justifier cette annulation de dernière minute. Selon certains d’entre eux, ce serait à cause de la réticence du Kommando du Canada, tandis que d’autres estiment que l’ajournement de dernière minute aurait trouvé son origine dans une grande rafle de la Gestapo à Kattowitz, à la suite de laquelle plusieurs résistants auraient été emprisonnés.
Des acteurs inégaux : le Sonderkommando et le mouvement Conspiration
34La réussite de la révolte exigeait la coopération entre le Sonderkommando et des détenus du monde concentrationnaire. Ces derniers préparaient eux-mêmes un soulèvement général au sein d’un mouvement de résistance à Auschwitz, appelé Conspiration.
35Conspiration a vu le jour dans la seconde moitié de l’année 1940 parmi les premiers déportés polonais catholiques à Auschwitz, qui venait d’être édifié en tant que camp de quarantaine sur l’ordre du Reichsführer-SS Himmler, le 4 mai 1940. Dans la plupart des cas, ces premiers détenus polonais faisaient partie des organisations clandestines, parmi lesquelles certaines suivaient une orientation politique de gauche (socialiste ou communiste), tandis que d’autres, de tendance plutôt nationale, soutenaient le Gouvernement polonais en exil à Londres, tout en entretenant des relations étroites avec l’Armia Krajowa (« Armée de la patrie »). Il est important de noter que ces diverses organisations considéraient la présence du camp d’Auschwitz, de manière unanime, comme une agression perpétrée contre la Pologne, comme l’indique aussi Henryk Świebocki, historien spécialiste de la résistance du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau à Oświęcim : « Les initiateurs de Conspiration étaient des Polonais, parce que ce camp de concentration a été érigé pour les Polonais, et, au début, presque tous les détenus à Auschwitz étaient des Polonais »34.
36À partir de 1941, lorsque le camp a commencé à interner des détenus d’autres nationalités, de nouveaux groupes se sont formés au sein du mouvement Conspiration. À la fin de l’année 1942, des noyaux français, juif, yougoslave, autrichien, russe et tchèque, ainsi qu’une unité d’anciens combattants de la Brigade internationale de la guerre d’Espagne et un groupe d’anciens détenus politiques de camps de concentration allemands et autrichiens, se distinguaient par rapport aux initiateurs polonais35. Deux problèmes majeurs ont alors surgi dans cette nouvelle situation. Il fallait, en premier lieu, assurer la coordination de ces divers groupes pour les diriger vers un projet unique de soulèvement général. Il était également important d’étendre l’action du mouvement Conspiration, dont le centre se situait au camp principal d’Auschwitz I, aux autres secteurs du camp qui avaient été récemment construits ou qui étaient toujours en cours de construction.
37Quel était le rôle des Juifs qui commençaient à être déportés à partir de 1942 à Auschwitz dans le mouvement Conspiration ? Bien que le groupe responsable de l’organisation de la révolte au sein du Sonderkommando soit entré en contact avec les principaux dirigeants de Conspiration à partir de la fin de l’année 1943, il est difficile d’affirmer que le Sonderkommando ait réellement fait partie de ce mouvement de résistance. On note alors un changement considérable dans la répartition nationale des détenus internés à Auschwitz, parce que la majeure partie des détenus non juifs ont été transférés d’Auschwitz vers les autres camps de concentration. La conséquence immédiate de ce changement s’est répercutée sur la distribution aux détenus juifs de fonctions clés, comme chef d’équipe ou secrétaire de Block.
38Ceux-ci ont participé à l’élaboration du plan de révolte au sein du mouvement Conspiration, en utilisant les avantages liés à leur fonction. Quant au Sonderkommando, il a soutenu, dans un premier temps, Conspiration en communiquant à ses dirigeants des preuves concrètes relatives à la politique génocidaire. Il a dérobé, par la suite, des objets de valeur au péril de sa propre existence, permettant ainsi à Conspiration de financer le projet de soulèvement général. Malgré l’apport fondamental du Sonderkommando au mouvement Conspiration, sa relation avec cette organisation reposait sur un rapport de force inégal, favorable aux dirigeants de cette organisation. Ceux-ci pouvaient espérer compter sur le soutien du monde extérieur : la Grande-Bretagne, l’Union soviétique, les États-Unis, mais aussi le Vatican et la résistance polonaise. La relation entre Conspiration et le monde extérieur était assurée par l’intermédiaire de la résistance polonaise qui, à son tour, bénéficiait du soutien moral du Saint-Siège qui est cependant resté silencieux sur le sort des Juifs assassinés. Le gouvernement polonais en exil à Londres a travaillé de son côté à la formation d’une opinion publique dans les pays alliés et neutres, tout en attirant son attention sur les atrocités nazies commises dans la Pologne occupée.
39Le monde extérieur présentait une importance capitale pour le Sonderkommando et les autres détenus à Auschwitz. Persuadés que celui-ci ignorait l’existence de l’extermination de centaines de milliers d’êtres humains, ils essayaient de lui communiquer cette information dans l’espoir d’une intervention rapide de sa part en vue de mettre un terme au processus de mise à mort. Pourtant, le monde extérieur a non seulement été inefficace malgré sa connaissance des crimes commis à Auschwitz, mais il a en plus constitué un avantage pour Conspiration : en s’appuyant sur l’avancée de l’armée soviétique, les dirigeants de Conspiration ont sans cesse retardé le projet de soulèvement général. Convaincus de l’approche de la fin de la guerre, ils n’auraient pas voulu risquer leur vie36.
40Un rapport sur Auschwitz, préparé le 22 août 1944, par le lieutenant Stefan Jasieński37 dont le pseudonyme est Urban, révèle aussi que Conspiration et la résistance polonaise envisageaient de déclencher le soulèvement général lors d’une éventuelle évacuation du camp d’Auschwitz38. Ce plan, citant l’exemple de l’évacuation de Majdanek, reposait sur l’aide des Alliés, notamment de l’armée soviétique. Cette attente jusqu’à la dernière minute ne convenait pourtant pas au Sonderkommando, qui se trouvait face à la menace d’une liquidation totale, étant donné précisément l’avancée de l’armée soviétique.
41Les messages ont continué à circuler entre le Sonderkommando et Conspiration, sans pourtant aboutir à un projet concret. La réponse du 21 août 1944 adressée à l’Armia Krajowa par Conspiration a indiqué que le mouvement de résistance à Auschwitz était en mesure de faire exploser les crématoires si on lui procurait de la poudre39. Ce faisant, Conspiration ne mentionnait pas dans sa lettre le Sonderkommando qui réaliserait cet acte lors d’un éventuel soulèvement.
42La question de l’obtention de la poudre s’est résolue entre détenus juifs, grâce à l’aide de trois jeunes femmes affectées à l’usine de l’Union-Werke dont les noms sont Ella Gartner, Regina Safirstein et Estera Wajcblum. Deux autres détenus travaillant dans cette même usine, Yehuda Laufer et Israel Gutman, ont été chargés du transfert de la poudre. Nous apprenons les détails de ce transfert de l’article rédigé par Israel Gutman : un groupe restreint de femmes juives avait accès à la poudre pendant leur travail40. Leur Kommando était placé sous un contrôle strict. Il était interdit aux détenues de ce groupe de se parler ou de contacter d’autres détenus, surtout des hommes, pendant leur travail.
43Yehuda Laufer et Israel Gutman ont envoyé à Birkenau leur camarade Noah Zabladowicz, un Juif polonais connaissant Roza Robota de Ciechanów. Roza Robota, une jeune femme de 23 ans, faisait partie de l’organisation Haschomer Hazair. Elle était arrivée à Auschwitz en novembre 1942 avec sa famille, qui a été assassinée dans les chambres à gaz. Affectée au Kommando du Canada, elle était bien placée pour établir un contact entre le Kommando de femmes à Birkenau et le Sonderkommando. Et elle a accepté de participer aux préparatifs de la révolte.
44La poudre était transmise à Yehuda Laufer ou à Israel Gutman par une détenue qui la prenait de sa première cachette à l’Union-Werke. Elle était par la suite placée en petite quantité dans un de ces bols que chaque détenu possédait pour y garder du thé ou un restant de soupe pour le soir. Le bol, servant de cachette, était transformé de telle sorte qu’il puisse contenir deux fonds. La poudre, enroulée dans du papier, était conservée dans le deuxième fond. Israel Gutman et Yehuda Laufer ont transmis à leur tour la poudre à un responsable qui l’a emportée au crématoire II où des détenus techniciens ont construit des grenades artisanales, à l’aide de boîtes de conserve et de matières chimiques. Ces grenades ont ensuite été transmises au camp principal d’Auschwitz I, à Birkenau et au Sonderkommando41.
45Bien que cette tâche difficile ait été accomplie avec succès par des détenus juifs, Conspiration a continué à refuser de mettre en application le plan de la révolte, et ce malgré la pression insistante venant du Sonderkommando. Entre-temps, au début de l’automne 1944, une rumeur inquiétante a commencé à circuler dans le camp. Selon cette rumeur, Otto Moll aurait été chargé d’élaborer un plan de liquidation générale du camp, en réponse aux derniers déroulements de la guerre. Ceci a modifié pendant un certain temps la décision de Conspiration qui a remis la révolte à plus tard, sans pour autant en préciser la date. Danuta Czech cite un document du 6 septembre 1944, émanant de Conspiration et adressé à Teresa Lasocka, membre du Comité d’aide aux détenus des camps de concentration à Cracovie, pour que ce comité informe le gouvernement polonais en exil de la mission confiée à Otto Moll42. Un tel plan n’a pourtant jamais vu le jour.
46Les acteurs de la « Solution finale » ont commencé à liquider uniquement le Sonderkommando. Le 23 septembre 1944, 200 détenus affectés aux fosses situées près du Bunker V ont dû fermer celles-ci avant d’être asphyxiés dans des wagons qui se trouvaient sur la rampe. Ces détenus n’ont pas pu protester contre ce gazage : au préalable, ils avaient été rendus ivres par les SS. Les autres membres du Sonderkommando ont eu vent de cette sélection particulière, et une partie d’entre eux ont décidé de se révolter lors d’une future sélection.
Le déclenchement prématuré de la révolte
47Le processus inévitable vers la révolte a démarré quelques jours avant le 7 octobre 1944 à la suite de la liquidation progressive du Sonderkommando.
48L’engrenage s’est plus précisément mis en route avec une convocation des Kapos du crématoire IV et V par le Scharführer Busch. Celui-ci leur a demandé de préparer une liste de 300 détenus. Il leur a expliqué que ce Kommando serait affecté à l’enlèvement des décombres dans une ville victime d’une attaque aérienne en Haute-Silésie. Cet ordre souligne une nouvelle fois qu’il devenait de plus en plus difficile pour les SS de faire une sélection parmi les membres du Sonderkommando, dont ils redoutaient à juste titre une résistance. Après avoir eu recours à l’alcool pour faciliter l’assassinat de 200 détenus, ils ont demandé aux Kapos de choisir les noms, ou plutôt les numéros, à mettre sur la liste de la mort, pour transférer la responsabilité de cet assassinat aux Juifs, mais aussi afin de provoquer des conflits parmi les détenus du Sonderkommando.
49La signification de cet ordre a tout de suite été comprise par les Kapos qui ont informé le groupe responsable de l’organisation de la révolte au Sonderkommando. Connaissant la mise en scène et le discours auxquels les SS avaient recours lors des opérations de mise à mort, et sachant que l’administration du camp n’enverrait en aucun cas un groupe du Sonderkommando à l’extérieur de l’espace des crématoires, le groupe organisateur de la révolte a pris la décision d’épargner les détenus engagés dans les préparatifs de ce projet. La liste qui a été établie à la suite de longues discussions a donc exclu les anciens numéros. Elle a essentiellement été formée par les détenus hongrois et grecs.
50Les détenus dont le numéro figurait sur la liste ont refusé de se livrer sans combat aux SS. Ils ont insisté sur la nécessité d’appliquer le plan de révolte qui, à plusieurs reprises, a été ajourné à cause de la réticence du mouvement Conspiration. Dans ce cas encore, Conspiration a estimé qu’il était trop tôt pour lancer la révolte. Les détenus du crématoire III, informés de la décision des 300 sélectionnés, se sont aussi joints à la décision, choisissant d’attendre le « bon moment » :
Ainsi, on nous demanda, au nom du succès de l’opération, de faire preuve d’une totale indifférence face au départ de ces 300 personnes. […] Nous ne leur avons rien dit, bien au contraire : qu’ils opposent la résistance qu’ils jugent nécessaire, qu’ils fassent tout ce qui est en leur pouvoir, mais nous, nous resterons à l’écart, afin de ne pas gâcher notre chance, qui devait se concrétiser d’ici quelques jours.43
51Le choix d’attendre le bon moment s’avéra une grave erreur de la part des membres du Sonderkommando, restés sous l’influence de Conspiration. Zalmen Lewental explique cette raison d’attendre et de ne pas participer à la résistance des détenus sélectionnés par l’espoir que le Sonderkommando plaçait dans la réussite du soulèvement général.
52Le 7 octobre 1944, au début de l’après-midi, les SS Busch, Gorges, Schuss, accompagnés de quelques gardes SS, ont réuni les détenus du crématoire IV dans la cour de ce complexe de mise à mort. Les détenus du Kommando de ravitaillement et les huit chauffeurs, chargés de maintenir le feu des fours d’incinération, ont été exclus de cet appel. Ils étaient d’ailleurs moins soumis à la menace des sélections, les chauffeurs étant considérés comme des techniciens. Ils bénéficiaient donc d’une certaine immunité, étant donné la difficulté à les remplacer44.
53Après l’arrivée des détenus dans la cour du crématoire IV, l’un des SS commença à lire les numéros sur la liste de la mort. Le détenu dont le numéro venait d’être annoncé devait se présenter et se tenir à l’écart de l’ensemble du groupe. Au fur et à mesure que le SS avançait dans la liste, un petit groupe se formait en face des détenus du Sonderkommando. Cela dit, certains détenus dont le numéro avait été prononcé ne s’étaient pas présentés à l’appel. Le SS qui effectuait la sélection envoya quelques gardes au crématoire pour débusquer d’éventuels fugitifs. Eliezer Eisenschmidt, un membre du Sonderkommando d’origine biélorusse, a fait partie des détenus qui ne se sont pas présentés à l’appel du SS :
J’étais décidé à ne pas entendre l’ordre. Il [le SS] m’a cherché parmi les rangs et m’a trouvé, il m’a mis dans un groupe qui comptait avec moi 30 personnes. Quand l’Allemand s’est retourné, je suis revenu dans le rang. Il a remarqué que je n’étais plus dans le groupe, il m’a cherché et m’a trouvé dans le groupe où je m’étais tenu avant l’appel.45
54La révolte a commencé par le lancement de pierres par les détenus qui refusaient de quitter le camp. Quelques SS ont été blessés par les jets de pierres. Certains ont essayé d’attraper leur bicyclette pour quitter la cour du crématoire IV ; d’autres ont ouvert le feu sur les détenus. Le crématoire IV a été incendié, ce qui a déclenché l’état d’alerte, annoncé par la sirène et par l’arrivée de SS armés de mitraillettes. Zalmen Lewental décrit cet événement unique dans l’histoire d’Auschwitz de la manière suivante :
Lorsque l’heure a sonné à 1 h 25, et alors qu’ils [les SS] sont entrés pour chercher ces 300 détenus, ils [les détenus] ont témoigné d’un grand courage dans la mesure où ils n’ont pas voulu bouger de leur [place]. Ils ont poussé un grand cri, ils se sont lancés sur les gardes avec des marteaux et des haches, ils en ont blessé quelques-uns et ont frappé les autres avec ce qu’ils ont pu et leur ont simplement jeté des pierres. On peut facilement se représenter ce qu’a été la conséquence de ceci. À peine quelques minutes [passées], et déjà était arrivée toute une section de SS, armés de mitraillettes et de grenades.46
55Trois personnes, dont Jankiel Handelsman, l’un des dirigeants de la révolte, sont restées près du crématoire IV pour tenter de faire exploser l’ensemble du terrain. Ils n’y sont pas parvenus à cause de l’intervention des SS.
56Les détenus du crématoire II, après avoir entendu les coups de fusil et vu au loin la fumée, ont cru que le signal de la révolte, planifiée et reportée depuis si longtemps, avait enfin été donné. N’ayant pas été informée de la tentative solitaire des 300 détenus, l’équipe du crématoire II s’est lancée sur leur Kapo allemand Karl Konvoent qui la menaçait de révéler son projet de soulèvement. Les détenus l’ont jeté vivant dans le four. D’autres ont sorti de leur cachette les quelques grenades qu’ils avaient eux-mêmes confectionnées.
57En revanche, les détenus du crématoire III ont préféré agir avec précaution. Ils ont décidé d’attendre pour mieux évaluer la situation. Les SS ont, par conséquent, facilement repris le contrôle du crématoire III avant même qu’une action ne s’y soit déclenchée. Après avoir compté le nombre de détenus et s’être assurés qu’aucun d’eux n’avait participé au soulèvement ou ne manquait, ils les ont enfermés dans un Block.
58Quant aux détenus du crématoire IV, ils ont participé à la révolte avec les 300 détenus qui avaient commencé ce soulèvement. Certains d’entre eux ont pu s’échapper dans la petite forêt se situant près du crématoire V, après avoir sectionné une partie des barbelés entourant l’espace du crématoire IV.
Riposte des SS : répression, enquête et punition
59Après avoir surmonté l’effet de surprise, les unités de SS, rassemblées en état d’alerte près des crématoires et ayant arbitrairement ouvert le feu, ont envahi l’ensemble de l’espace de mise à mort ainsi que la petite forêt où certains détenus du crématoire IV avaient trouvé refuge. Les membres du crématoire II et IV qui avaient participé au soulèvement ont été liquidés. Seuls quelques détenus du Sonderkommando qui avaient pu se cacher ont échappé à ce massacre. Shlomo Dragon fut l’un d’entre eux :
Après être arrivé à la cour du crématoire IV, je me suis caché pendant un certain temps derrière un tas de bois. Mon ami Tauber47 s’est caché dans la cheminée du crématoire. Les Allemands étaient encore en train de fusiller les survivants parmi les insurgés.48
60Le Feuerkommando49 (« Kommando du feu », soit les pompiers) du camp principal d’Auschwitz I a été emmené au crématoire IV pour éteindre l’incendie. Les détenus de ce Kommando qui, par une ironie du sort, comptaient en leur sein d’éminents membres de Conspiration50, ont dû éteindre l’étincelle de la révolte. Ils ont été les témoins directs des massacres des membres du Sonderkommando.
61La répression a connu un arrêt avec l’alerte d’une attaque aérienne. Elle a repris le soir du 7 octobre 1944. Les corps des détenus du Sonderkommando ont été rassemblés dans la cour du crématoire IV où la révolte avait commencé. Les détenus restés en vie ont également été emmenés dans la cour où ils ont entendu le discours du représentant du commandant du camp. Celui-ci les a menacés d’une liquidation totale du camp s’ils osaient renouveler leur tentative de révolte. Après ce discours, le représentant du commandant du camp a ordonné aux détenus de s’allonger par terre. Les SS présents ont commencé à fusiller un détenu sur trois. Henryk Mandelbaum évoque le discours du représentant du commandant et la fusillade dans son témoignage :
Après l’étouffement de la révolte, les SS firent la preuve de toute leur haine envers les survivants. Je me souviens que nous fûmes réunis sur la place devant le crématoire ; le commandant du camp prit alors la parole. Il nous demanda si nous étions conscients de la gravité de ce qui s’était passé, nous menaça en nous informant que nous devions prendre les responsabilités de ce que nous avions fait. Puis, il nous ordonna de nous coucher au sol, face contre terre. Ils tirèrent alors dans la nuque d’un détenu sur trois.51
62Les détenus du crématoire III qui n’avaient pas participé à la révolte, et qui étaient enfermés dans un Block situé sur le terrain de leur crématoire, ont été affectés à l’incinération des corps des détenus. Après la révolte, les crématoires II, III et V ont continué à fonctionner. Mais ils ont davantage été utilisés pour le gazage des détenus sélectionnés dans les divers secteurs du camp, ou pour les détenus morts dans le camp d’épuisement, de famine ou de mauvaises conditions sanitaires.
63En sus des mesures répressives exercées à l’égard des détenus du Sonderkommando, une enquête minutieuse fut menée par le Bureau politique du camp. Les trois détenus qui étaient restés près du crématoire IV afin de faire exploser l’ensemble du terrain furent interrogés et torturés dans le Bunker 11. Jankiel Handelsman, considéré par plusieurs membres du Sonderkommando dont nous connaissons aujourd’hui le témoignage comme l’un des auteurs de la révolte, figurait parmi eux. Le fait qu’ils aient été pris au crématoire IV avec des explosifs, plus précisément avec des grenades confectionnées par les détenus à l’aide de la poudre en provenance de l’usine de l’Union-Werke, explique cet interrogatoire au lieu d’une exécution immédiate. Une dizaine de détenus du Sonderkommando, suspectés de faire partie du groupe organisateur de la révolte, ont également été interrogés au Bunker 11. Nous ne disposons pas d’autres informations sur leur sort. Nous pouvons seulement affirmer que les SS du Bureau politique ont également découvert l’implication des femmes dans les préparatifs de la révolte. L’enquête s’est, par conséquent, dirigée vers le camp des femmes, afin de mettre au grand jour cette coopération entre les détenues et le Sonderkommando. Selon certains historiens, cette coopération a été découverte à cause d’un espion engagé par le Bureau politique et qui travaillait à l’usine de l’Union-Werke comme Vorarbeiter.
64À la suite de cette découverte, les SS ont emprisonné, le 10 octobre 1944, trois femmes – Ella Gartner, Estera Wajcblum et Regina Safirstein – au motif qu’elles avaient volé et transmis de la poudre au Sonderkommando. Quelques jours plus tard, le Bureau politique a décidé d’emprisonner aussi Roza Robota. Les quatre femmes ont été torturées au Bureau politique et sont restées au Bunker 11 jusqu’au jour de leur pendaison publique. Dans son article qu’il a rédigé en tant que témoin de la Shoah, Israel Gutman décrit l’état de Roza Robota :
Chaque matin on amenait Roza du Bunker au Bureau politique et on la ramenait le soir. Ses habits étaient déchirés, elle saignait, son visage était à peine reconnaissable. Nous nous tenions dans la rue du camp et nous nous efforcions d’attirer son regard sur nous. Nous voulions lui montrer de cette manière notre souci et notre compassion. Mais elle ne reconnaissait plus personne. Elle se laissait traîner entre deux gardes qui la soutenaient. Ses forces disparaissaient visiblement.52
65Israel Gutman termine son article en parlant de la rencontre au Bunker 11 d’un détenu avec Roza Robota. Ce détenu, Noah Zabladowicz, était l’ami d’enfance de Roza Robota. C’est lui qui avait établi le contact entre cette jeune femme, Israel Gutman et Yehuda Laufer en vue de fournir la faible quantité de poudre nécessaire aux préparatifs de la révolte du Sonderkommando. L’improbable rencontre des deux amis a été rendue possible grâce au Kapo du Bunker II, dont le prénom était Ya’acov. Celui-ci avait enivré le garde SS du Bunker et laissé entrer Noah Zabladowicz. Roza Robota s’était évanouie dans le Bunker. Elle a cependant repris conscience au bout d’un certain temps et a reconnu son ami à qui elle a confié qu’elle n’avait révélé aucun nom au Bureau politique, mais qu’elle avait inculpé un détenu qu’elle savait déjà mort. Il s’agissait de Wrobel qui avait contribué aux préparatifs de la révolte en assurant le contact entre Roza Robota du Kommando du Canada et le Sonderkommando. Lui-même se trouvait soumis à l’interrogatoire au Bunker avec la dizaine de détenus du Sonderkommando.
66Le 6 janvier 1945, Roza Robota, Estera Wajcblum, Regina Safirstein et Ella Gartner ont été pendues au camp des femmes. Raya Kagan fait partie des détenues ayant dû assister à la pendaison :
Nous, les détenues, nous devions nous rassembler au rez-de-chaussée du Block 3. Sur un signe, on nous a emmenées de là, aux baraques du Kommando Union entre lesquelles se trouvait le lieu de pendaison. Les Kapos de ce Kommando ordonnaient les rangs qui devaient se tenir plus près du lieu de pendaison, sous des insultes et des coups de poing. On a alors entendu la voix de Hößler. La foule m’empêchait la vue du lieu de pendaison et de l’orateur, j’ai seulement pu entendre des mots isolés. « Tous les traîtres seront exterminés de cette manière ! », a hurlé Hößler qui s’est plaint du fait qu’il existait de « tels éléments » dans son camp. « Le Kommando des munitions, en avant ! » – cet ordre a été exécuté lentement dans le silence du camp. Ce Kommando, dont les filles héroïques faisaient partie, devait assister au premier rang à l’exécution.53
67Nous apprenons encore du témoignage d’Israel Gutman que l’ami d’enfance de Roza Robota a ramené au camp un dernier message d’elle : son souhait demandant aux survivants – s’il y en avait – de venger les crimes nazis. On pouvait lire sur ce dernier message, qu’elle a pu consigner sur un bout de papier, la salutation du mouvement Haschomer Hazair : Chasakwe’emaz ! (Forts et courageux)54.
68Les survivants de la révolte estiment que le Sonderkommando comptait environ 200 hommes au lendemain du 7 octobre. Danuta Czech, historienne du musée d’Auschwitz-Birkenau, confirme ce nombre dans son calendrier relatif à l’histoire d’Auschwitz où elle présente d’une part la chronologie du camp, d’autre part une liste de documents concernant cette période. Selon un de ces documents provenant de la Section de l’emploi (Arbeitseinsatz) en date du 9 octobre 194455, le Sonderkommando comptait ce jour-là 212 détenus. Tous les crématoires avaient une équipe de 53 détenus, dont environ la moitié travaillait le jour, et l’autre la nuit. Le 26 novembre, les SS procédèrent à une nouvelle sélection qui diminua l’effectif du Sonderkommando de 50 % : 30 détenus furent emmenés au crématoire V où ils continuèrent à brûler les cadavres des victimes décédées dans la partie concentrationnaire d’Auschwitz. Le reste des détenus fut envoyé à la Sauna. Une centaine de détenus a échappé à la dernière minute à la fusillade. Ils ont été affectés au Kommando de démolition (Abbruchkommando) chargé de démanteler les structures de mise à mort et d’effacer les dernières traces56 du génocide. Les 30 détenus du crématoire V et ceux du Kommando de démolition ont réussi à se mêler à Birkenau aux détenus de la partie concentrationnaire du camp. Ainsi purent-ils obtenir une chance de survivre.
69Cependant, avant de quitter le Block, les détenus du Sonderkommando ont dû changer leur chemise qui portait le signe d’une croix rouge peinte au dos de leur vêtement. On retrouve cette croix rouge sur la voiture sanitaire – Sanka – qui transportait les boîtes de Zyklon B aux crématoires. Cette croix était à Auschwitz le symbole du processus de mise à mort. Il faut noter que les détenus du Sonderkommando ne portaient pas d’uniforme rayé. Ils pouvaient porter des habits civils et choisir des vêtements parmi les tas d’affaires retirées aux victimes assassinées. On ne reconnaissait donc un membre du Sonderkommando qu’au symbole de la croix rouge.
70Les SS essayèrent, à plusieurs reprises, de repérer les détenus qui avaient fait partie du Sonderkommando pendant l’évacuation du camp. Leurs tentatives ont commencé au camp principal d’Auschwitz I et elles ont continué durant tout le trajet des membres du Sonderkommando que les historiens appelleront les « marches de la mort ». Il ne s’agissait plus d’une véritable sélection : un SS passant par les rangées des détenus donnait l’ordre aux éventuels membres du Sonderkommando qui se trouvaient là de se présenter et de sortir des rangs. Ces ordres ne recevaient évidemment aucune réponse de la part des membres du Sonderkommando qui s’étaient dispersés parmi les détenus du monde concentrationnaire. Or, il n’était pas possible de les distinguer des autres détenus, qui étaient désormais eux aussi habillés de manière disparate car il n’y avait plus d’uniforme rayé à leur distribuer. Ces derniers portaient, cousue sur leur habit, une pièce de l’étoffe de l’uniforme rayé57. Cette façon d’agir prouve que l’administration du camp avait déjà détruit les documents concernant le Sonderkommando58.
La perception de la révolte par les témoins indirects dans le camp
71La correspondance de la bureaucratie génocidaire n’évoque jamais la révolte du Sonderkommando. Le seul document faisant d’une manière allusive référence au 7 octobre rend hommage, dans un Sonderbefehl (« ordre spécial ») du 12 octobre, à trois SS « tombés de la main de l’ennemi »59. Pery Broad, un SS-Unterscharführer issu des jeunesses hitlériennes et travaillant au Bureau politique du camp, mentionne aussi la tentative de révolte du Sonderkommando dans ses notes personnelles. Il souligne qu’à la suite de cette révolte, quelques SS ont commencé à se promener avec des croix de fer, une décoration décernée aux fonctionnaires pour les « services importants » qu’ils avaient rendus60.
72Comme nous l’apprenons par ces notes, la direction du camp a présenté la révolte du Sonderkommando comme une évasion en masse. Les nazis refusaient, en effet, d’utiliser les termes de résistance ou de révolte pour les détenus juifs, non seulement dans la correspondance bureaucratique mais aussi dans leur quotidien. Cependant, ils n’ont pas pu cacher aux Kommandos, situés près des structures de mise à mort, la fumée sortant du crématoire IV qui a été incendié pendant le soulèvement, ou le bruit de l’explosion des grenades. De même, plusieurs détenus du monde concentrationnaire ont été les témoins indirects de la révolte du Sonderkommando. Ils se sont rendu compte qu’il s’était passé quelque chose d’inhabituel au crématoire IV61.
73Ce que ces témoins indirects ont vécu ce jour-là a été transmis sous forme d’une rumeur aux détenus des autres secteurs du camp, situés plus loin des structures de mise à mort et qui n’avaient pas eu la possibilité d’apercevoir la révolte. Les détenus du monde concentrationnaire parlaient de la révolte du Sonderkommando comme d’une riposte aux atrocités nazies. Cet événement, bien qu’il n’ait pas atteint son objectif consistant à permettre la fuite en masse des détenus, leur a redonné un espoir de survie, d’autant plus que les nouvelles venant des fronts militaires permettaient d’espérer.
74Les sentiments d’Ana Novac relatifs à la révolte du Sonderkommando illustrent ce constat : « Nous avons eu l’impression que l’angoisse reculait, que nous avions grandi d’une tête »62.
75La perception positive des détenus du monde concentrationnaire quant à la révolte du Sonderkommando, accompagnée toutefois de l’image négative qu’ils ont gardée de ce groupe, forme la base de la représentation historique du Sonderkommando juif d’Auschwitz qui naît au lendemain de la Shoah.
76Comment les historiens devraient-ils qualifier la révolte du Sonderkommando d’Auschwitz ? S’agit-il d’une tentative avortée, puisqu’il n’y a pas eu de fuite en masse et que les structures d’extermination ont, en partie, continué à fonctionner ? Pourquoi les membres du Sonderkommando se sont-ils révoltés vers la fin de la politique génocidaire, alors que déjà des centaines de milliers de victimes avaient disparu ? Cette dernière question contiendrait un reproche adressé aux détenus du Sonderkommando d’avoir organisé une révolte pour sauver leur propre vie, en tentant d’échapper aux sélections visant la liquidation de l’ensemble des détenus de ce groupe. Ce reproche prendrait la forme d’un « pourquoi n’avez-vous pas refusé de faire ce que les nazis vous ont demandé ? » pendant la période antérieure à la révolte. Krystyna Żywulska, qui travaillait en tant que détenue à Birkenau dans un bureau où elle enregistrait les nouveaux arrivés au camp, avait posé cette question à un membre du Sonderkommando qu’elle avait vu par la fenêtre de son bureau. Elle transmet la réponse du détenu du Sonderkommando dans son témoignage de la manière suivante :
Et toi, pourquoi tu ne te révoltes pas ? Juste parce que tu fais maintenant partie de ceux qui sont assis au bureau ? Vous êtes en tout soixante. Et les milliers [de détenus] qui pourrissent au camp, pourquoi ne se révoltent-ils pas ? Tu sais bien que la moindre résistance serait réprimée par des tirs de mitraillettes ! Et si vous leur cachez quelque chose, il y aura toujours un salaud pour vous dénoncer pour un morceau de pain, par zèle ou pour je ne sais quoi d’autre encore… Et as-tu une idée du nombre [de détenus] qui se sont déjà rebellés et sont partis là-bas ?63
77Filip Müller approfondit la réponse donnée par ce détenu du Sonderkommando à Krystyna Żywulska. Il souligne le fait que tous les Kommandos au camp ont dû travailler directement ou indirectement pour l’usine de la mort64.
78La réponse à toutes ces questions reviendrait à évaluer le choix de vivre – ou plutôt, dans le contexte d’Auschwitz, de survivre – qu’ont effectué les détenus. Il n’est de fait pas légitime de juger ces acteurs, qu’ils aient vécu dans le monde concentrationnaire ou au seuil des chambres à gaz.
79La conclusion principale qu’il faudrait tirer de la révolte est le fait incontestable que les membres du Sonderkommando se sont retrouvés seuls dans leur tentative65. Dans cette perspective, il est possible de faire un rapprochement avec l’insurrection du Ghetto de Varsovie, où le même rapport de force inégal, un déclenchement prématuré de la révolte, et surtout la même signification qu’a revêtue la tentative incertaine entrent en jeu. Nous pouvons donc conclure que la révolte du Sonderkommando n’a pas été un échec : les nazis n’avaient donné que deux choix aux membres du Sonderkommando – la mort immédiate, ou un bref sursis qui les a transformés en témoins oculaires du génocide. Le projet de révolte du Sonderkommando a pourtant esquissé un troisième choix dans les frontières d’un camp de la mort. Ce troisième choix devait se traduire en une action collective des détenus de l’ensemble du camp d’Auschwitz-Birkenau pour arrêter le génocide, détruire les structures de mise à mort et favoriser la fuite des détenus. Si ces objectifs n’ont été atteints que très partiellement, le témoignage des dizaines de survivants du Sonderkommando juif d’Auschwitz a rectifié la version des faits que l’on peut trouver dans les archives fragmentaires de la bureaucratie nazie ou les écrits des SS. Le 7 octobre est bien une révolte et non pas une tentative d’évasion de quelques détenus. Les membres du Sonderkommando ont ainsi laissé une trace et ont contribué à l’écriture de l’histoire de la Shoah.
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Notes de bas de page
1Primo Levi, Les naufragés et les rescapés. Quarante ans après Auschwitz [1986], A. Maugé trad., Paris, Gallimard, 1989, p. 60.
2Paul Bendel, « Le Sonderkommando », Témoignages sur Auschwitz, Paris, Édition de l’Amicale des déportés d’Auschwitz, 1946, p. 163.
3Voir Philippe Mesnard, « Parias de la mémoire. La réception des témoignages écrits des Sonderkommandos », Sonderkommando et Arbeitsjuden. Les travailleurs forcés de la mort, P. Mesnard dir., Paris, Éditions Kimé, 2015, p. 89.
4En ligne : [www.sonderkommando.info]. Voir aussi son article sur David Oler, le seul rescapé du Sonderkommando qui choisit la peinture comme moyen de transmission de son témoignage. Véronique Chevillon, « Quand entendra-t-on “Le Cri” de David Olère ? », Sonderkommando et Arbeitsjuden, ouvr. cité, p. 165-182.
5Au niveau international, c’est l’ouvrage de Gideon Greif qui est le travail pionnier dans le domaine des études sur le Sonderkommando juif d’Auschwitz-Birkenau. Greif a à la fois montré qu’il y avait des survivants du Sonderkommando et que leurs témoignages revêtaient une importance capitale pour l’histoire de la Shoah. Gideon Greif, „Wir weinten tränenlos...“. Augenzeugenberichte des jüdischen „Sonderkommandos“ in Auschwitz, Vienne/Cologne/Weimar, Böhlau, 1995. L’ouvrage est aussi paru en anglais : Gideon Greif, We Wept Without Tears. Testimonies of the Jewish Sonderkommando from Auschwitz, New Haven, Yale University Press, 2003. Voir aussi Michael Berenbaum, « Weeping without Tears. Gideon Greif, We Wept without Tears: Testimonies of the Jewish Sonderkommando from Auschwitz », Yad Vashem Studies, vol. 29, 2001, p. 433-446.
6Claude Lanzmann, Shoah, documentaire, France, 1985.
7Centre de documentation juive contemporaine, Des voix sous la cendre. Manuscrits des Sonderkommandos d’Auschwitz-Birkenau, no 171 de Revue d’histoire de la Shoah, 2001.
8La plus récente publication est Zalmen Gradowski, The Last Consolation Vanished. The Testimony of a Sonderkommando in Auschwitz, A. I. Davidson et P. Mesnard éd., R. Monet trad., Chicago, The University of Chicago Press, 2022. Voir p. vii-xxxiii pour une préface détaillée de Philippe Mesnard sur l’histoire du Sonderkommando et de ses chroniqueurs.
9László Nemes, Le fils de Saul, film de fiction, Hongrie, 2015.
10Voir, parmi plusieurs autres textes, Georges Didi-Huberman, Sortir du noir, Paris, Éditions de Minuit, 2015.
11La recherche d’Andreas Kilian, en collaboration avec Karen Taïeb, a rectifié le nom d’un membre du Sonderkommando qui avait écrit, en guise de testament, une longue lettre à son épouse et à sa fille en France. Andreas Kilian, « Farewell Letter from the Crematorium. On the Authorship of the First Recorded “Sonderkommando-Manuscript” and the Discovery of the Original Letter », Testimonies of Resistance. Representations of the Auschwitz-Birkenau Sonderkommando, N. Chare et D. Williams dir., New York/Oxford, Berghahn Books, 2019, p. 95.
12Pour l’ouvrage le plus détaillé sur le sujet, voir Andrej Angrick, „Aktion 1005“. Spurenbeseitigung von NS-Massenverbrechen 1942-1945, Göttingen, Wallstein Verlag, 2018.
13Abraham et Shlomo Dragon, les deux frères ayant survécu au Sonderkommando d’Auschwitz, évoquent cet événement dans leur témoignage publié : G. Greif, „Wir weinten tränenlos...“, ouvr. cité, p. 49-124. Pour l’édition anglaise, voir Abraham Dragon et Shlomo Dragon, « Together – in Despair and in Hope », We Wept without Tears. Testimonies of the Jewish Sonderkommando from Auschwitz, Greif Gideon, New Haven, Yale University Press, 2003, p. 122-180. Schillinger est décédé des suites de cette attaque qui a eu lieu en automne 1943.
14Voir le témoignage de Ruth Elias qui a entendu le chant des Juifs de Theresienstadt : Ruth Elias, Die Hoffnung erhielt mich am Leben. Mein Weg von Theresienstadt und Auschwitz nach Israel, Munich/Zurich, Piper Verlag, 2000, p. 143.
15Eric Friedler, Barbara Siebert et Andreas Kilian, Zeugen aus der Todeszone. Das jüdische Sonderkommando in Auschwitz, Lunebourg, zu Klampen Verlag, 2002, p. 258.
16Filip Müller, Trois ans dans une chambre à gaz d’Auschwitz [1980], P. Desolneux trad., Paris, Pygmalion, 2008, p. 163.
17Rudolf Vrba, Je me suis évadé d’Auschwitz, J. Pocki et L. Slyper trad., Paris, J’ai lu, 2004, p. 165.
18Voir Henryk Świebocki dir., London Has Been Informed… Reports by Auschwitz Escapees, Oświęcim, The Auschwitz-Birkenau State Museum, 1997, p. 169-255 ; R. Vrba, Je me suis évadé d’Auschwitz, ouvr. cité.
19Rebecca Fromer, The Holocaust Odyssey of Daniel Bennahmias, Sonderkommando, Tuscaloosa-Alabama, The University of Alabama Press, 1993, p. 63 ; Marco Nahon, Birkenau. The Camp of Death, J. Havaux Bowers trad., Tuscaloosa/Londres, University of Alabama Press, 1989.
20Pour leur témoignage, voir G. Greif, „Wir weinten tränenlos…“, ouvr. cité, p. 110-111.
21« SB-Convoi des Juifs tchèques avec six mois de quarantaine ». Les lettres SB désignent très probablement le terme de Sonderbehandlung (« traitement spécial »), le synonyme bureaucratique de la mise à mort systématique.
22Filip Müller, Trois ans dans une chambre à gaz d’Auschwitz, ouvr. cité, p. 137.
23Ota Kraus et Erich Kulka ont publié un ouvrage d’importance capitale sur l’histoire d’Auschwitz. Ota Kraus et Erich Kulka, Die Todesfabrik Auschwitz-Birkenau, Berlin, Kongress-Verlag, 1957.
24R. Vrba, Je me suis évadé d’Auschwitz, ouvr. cité, p. 257.
25R. Elias, Die Hoffnung erhielt mich am Leben, ouvr. cité, p. 142.
26L’hypothèse selon laquelle le Sonderkommando n’avait pas de plan de révolte et qu’il comptait plutôt sur l’initiative du « camp des familles » n’est pas étayée par les sources que nous connaissons. Katerina Capkova, « Das Zeugnis von Salmen Gradowski », Theresienstädter Studien und Dokumente, no 6, 1999, p. 109. De même, l’assassinat de Fredy Hirsch par empoisonnement contredit les témoignages existants qui parlent d’un suicide et du refus de Hirsch de mettre en danger les enfants en cas de révolte. Miroslav Kárný, « Fragen zum 8. März 1944 », Theresienstädter Studien und Dokumente, 1999, p. 30-31.
27Miklós Nyiszli, Im Jenseits der Menschlichkeit. Ein Gerichtsmediziner in Auschwitz, Berlin, Dietz Verlag, 1992, p. 66.
28Otto Moll (1915-1946) a été le chef des crématoires pendant la seconde période de la politique génocidaire à Auschwitz-Birkenau. Les survivants le décrivent dans leurs témoignages, de façon unanime, comme une personne sadique et violente. Moll a été jugé par un tribunal militaire américain à Dachau et exécuté en 1946.
29Nous avons étudié la traduction allemande du manuscrit de Zalmen Lewental qui a été publiée par le Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau. En ce qui concerne l’épisode sur les préparatifs de la révolte, voir Jadwiga Bezwinska et Danuta Czech éd., Inmitten des grauenvollen Verbrechens. Handschriften von Mitgliedern des Sonderkommandos, Oświęcim, Verlag des Staatlichen Auschwitz-Birkenau Museums, 1996, p. 232-234.
30Témoignage de Dow [sic] Paisikovic, survivant du Sonderkommando d’Auschwitz. Témoignage déposé à Vienne, le 17 octobre 1963, dans le cadre du Procès d’Auschwitz. Archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau à Oświęcim, Oswiadczenia, t. 43, p. 87-92. Osw/Paisikovic/891, Numéro : 197612. Selon d’autres témoignages venant des survivants du monde concentrationnaire, le Sonderkommando a transmis les derniers messages des victimes juives destinées à la chambre à gaz à leurs proches dont ils savaient qu’ils étaient à Auschwitz. Ils ont aussi envoyé au camp des femmes à Birkenau des médicaments abandonnés dans la salle de déshabillage des crématoires.
31Le « camp des Tsiganes » était situé à Birkenau entre le camp des hommes et l’hôpital des détenus. Les Roms et Sintis étaient aussi considérés par les nazis comme une « race inférieure ». Ils n’ont pas été affectés au travail forcé qui épuisait les détenus d’Auschwitz. Ils étaient aussi autorisés à porter leurs habits civils. Mais ils ont souffert de la faim et ont vécu dans de mauvaises conditions sanitaires. Le fait qu’ils n’aient pas été répartis au sein des différents Kommandos a, en effet, renforcé leur misère parce que, de ce fait, ils n’ont pas pu participer au troc et à l’organisation (Organisieren – s’emparer d’un bien échangeable, une activité assurant au détenu sa survie au camp).
32Ceci est évoqué par Daniel Bennahmias avec une confusion de nom. Voir R. Fromer, The Holocaust Odyssey of Daniel Bennahmias, Sonderkommando, ouvr. cité, p. 68. Le témoignage de Shlomo Dragon précise que c’était lui qui gardait les munitions. G. Greif, „Wir weinten tränenlos…“, ouvr. cité, p. 113.
33Igor Bartosik affirme, notamment, qu’il existe un seul cas connu dans l’histoire d’Auschwitz, où toute l’équipe du Sonderkommando avait été remplacée, en décembre 1942, par un nouveau groupe de détenus. Ce qui suggère, selon lui, la découverte possible par les SS d’une tentative de révolte des membres du Sonderkommando. Igor Bartosik, La révolte du Sonderkommando. 7 octobre 1944, Oświęcim, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 2014, p. 5.
34Henryk Świebocki, Auschwitz 1940-1945. Studien zur Geschichte des Konzentrations- und Vernichtungslagers Auschwitz, vol. 4, Wiederstand, Oświęcim, Verlag des Staatlichen Museums Auschwitz-Birkenau, 1999, p. 71.
35Filip Fridman, Oshvientchim, Buenos Aires, Édition Tsentral-Farband Fun Poylishe Yidn in Argentine, 1950, p. 186. Il s’agit de la première monographie sur Auschwitz qui a été rédigée par Filip Fridman (plus tard Philip Friedman), en yiddish.
36Tzipora Hager-Halivni, « The Birkenau Revolt: Poles Prevent a Timely Insurrection », Jewish Social Studies, vol. 41, no 2, 1979, p. 130.
37Stefan Jasieński se trouvait à Auschwitz en tant que détenu. Il a communiqué son rapport à l’administration de Haute-Silésie de l’Armia Krajowa.
38Rapport de Stefan Jasieński, membre de l’Armia Krajowa, concernant les préparatifs de la révolte au camp d’Auschwitz, le 22 août 1944, Archives d’État d’Auschwitz-Birkenau à Oświęcim, Materialy Ruchu Opow. t. II, p. 93-93, 104 et 106.
39Danuta Czech, Kalendarium der Ereignisse im Konzentrationslager Auschwitz-Birkenau, 1939-1945, J. August, N. Kozlowski et S. Lent trad., Hambourg, Rowohlt, 1989, p. 856.
40Israel Gutman, « Der Aufstand des Sonderkommandos », Auschwitz-Zeugnisse und Berichte, H. G. Adler, H. Langbein, E. Lingens-Reiner éd., Francfort, Europäische Verlagsanstalt, 1962, p. 213-219.
41Voir le témoignage d’Eliezer Eisenschmidt : G. Greif éd., „Wir weinten tränenlos...“, ouvr. cité, p. 214.
42D. Czech, Kalendarium der Ereignisse im KonzentrationslagerAuschwitz-Birkenau, ouvr. cité, p. 869.
43Voir le manuscrit de Salmen [sic] Lewental : J. Bezwinska et C. Czech éd., Inmitten des grauenvollen Verbrechens, ouvr. cité, p. 239-240. Cet extrait a été rédigé par Zalmen Lewental, l’un des chroniqueurs du Sonderkommando à Birkenau, après la révolte du 7 octobre.
44Voir D. Czech, Kalendarium der Ereignisse im KonzentrationslagerAuschwitz-Birkenau, ouvr. cité, p. 899 ; et le manuscrit de Salmen [sic] Lewental : J. Bezwinska et D. Czech, Inmitten des grauenvollen Verbrechens, ouvr. cité, p. 241.
45Voir le témoignage d’Eliezer Eisenschmidt : G. Greif éd., „Wir weinten tränenlos...“, ouvr. cité, p. 213.
46Manuscrit de Zalmen Lewental publié : J. Bezwinska et D. Czech, Inmitten des grauenvollen Verbrechens, ouvr. cité, p. 241.
47Il s’agit de Henryk Tauber, un autre survivant du Sonderkommando qui apparaît dans certains témoignages sous son pseudonyme Fuchsbrunner. Tauber Henryk, « Déposition d’Henryk Tauber le 24 mai 1945 à Cracovie ». Disponible en français, en ligne : [http://www.sonderkommando.info/index.php/lesproces/cracovie-47/temoins/henryk-tauber] ; disponible en anglais et polonais, en ligne : [https://www.zapisyterroru.pl/dlibra/publication/3783/edition/3764/content?].
48G. Greif éd., „Wir weinten tränenlos...“, ouvr. cité, p. 115-116.
49Citons, cependant, Igor Bartosik qui parle d’un membre polonais du Feuerkommando qui, en prétendant la survenue d’un problème technique, a essayé de retarder au maximum le travail des pompiers pour éteindre l’incendie au crématoire IV. Igor Bartosik, La révolte du Sonderkommando, ouvr. cité, p. 21.
50Tzipora Hager-Halivni, « The Birkenau Revolt. Poles Prevent a Timely Insurrection », art. cité, p. 143.
51Henryk Mandelbaum, « Et je fus affecté au Sonderkommando », Témoins d’Auschwitz, J. Mateja et T. Świebocka éd., A. Dayet et O. Hedemann trad., Oświęcim, Le Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1998, p. 347.
52I. Gutman, « Der Aufstand des Sonderkommandos », chap. cité, p. 218.
53Raya Kagan, « Die letzten Opfer des Widerstandes », Auschwitz-Zeugnisse und Berichte, H. G. Adler, H. Langbein, E. Lingens-Reiner éd., Francfort, Europäische Verlagsanstalt, 1962, p. 222.
54I. Gutman, « Der Aufstand des Sonderkommandos », chap. cité, p. 219.
55Archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau à Oświęcim, APMO, D-AuII-3a/2, no 29722, document cité par D. Czech, Kalendarium der Ereignisse im KonzentrationslagerAuschwitz-Birkenau, ouvr. cité, p. 901-902.
56Andrzej Strzelecki, « Die Verwertung der Leichen », Hefte von Auschwitz, no 21, 2000, p. 101-164.
57Voir l’interview de Shlomo Venezia, survivant du Sonderkommando, réalisée à Parme, le 21 janvier 2001.
58Voir l’interview de Marcello Pezzetti, spécialiste italien de l’histoire d’Auschwitz, réalisée au site mémoriel de Birkenau et à la ville d’Oświęcim, le 26 janvier 2001.
59Standortbefehl Nr 26/44 du 12 octobre 1944. Archives du Procès contre le personnel du camp de concentration d’Auschwitz, 1947 [United States Holocaust Memorial Museum, 1998. A.0247].
60Jadwiga Bezwinska et Danuta Czech éd., KL Auschwitz in den Augen der SS Rudolf Höß, Pery Broad, Johann Paul Kremer, Oświęcim, Staatliches Museum Auschwitz-Birkenau, 1998, p. 131.
61Parmi plusieurs autres exemples voir Krystyna Żywulska, Wo vorher Birken waren. Überlebensbericht einer jungen Frau aus Auschwitz-Birkenau, Darmstadt, Verlag Darmstädter Blätter, 1980, p. 258-259.
62Ana Novac, rescapée d’Auschwitz, dont le témoignage est cité par Hermann Langbein, Hommes et femmes à Auschwitz [1975], D. Meunier trad., Paris, Fayard, 1998, p. 201. Voir, également, le témoignage de Halina Birenbaum, rescapée d’Auschwitz-Birkenau. Halina Birenbaum, Hope is the Last to Die, D. Welsh trad., Oświęcim, Publishing House of the State Museum in Oświęcim, 1994, p. 179.
63K. Żywulska, Wo vorher Birken waren, ouvr. cité, p. 205.
64F. Müller, Trois ans dans une chambre à gaz d’Auschwitz, ouvr. cité, p. 75-76.
65Gideon Greif et Itamar Levin, Aufstand in Auschwitz. Die Revolte des jüdischen « Sonderkommandos » am 7. Oktober 1944 [Révolte à Auschwitz. L’insurrection du « Sonderkommando » juif le 7 octobre 1944], Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, 2015, p. 238.
Auteur
Université de Marmara (Istanbul, Turquie), Programme francophone de science politique et administration publique
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