Chapitre 2
L’écriture des choix extrêmes dans les témoignages concentrationnaires
p. 41-58
Texte intégral
« 30 hommes pour Dachau » ou : comment lire les témoignages ?
1L’une des « situations de “choix sous contrainte” » que cite Sonia Combe dans Une vie contre une autre1 est la sélection qu’opère un jeune médecin prisonnier parmi les malades du camp de Mauthausen pour envoyer trente hommes dans les camions de gazage, tout en épargnant un maximum de Français. Christian Bernadac, qui rapporte l’épisode dans Les médecins de l’impossible, une de ses anthologies plus ou moins romancées de témoignages, décrit le désespoir du jeune médecin une fois le choix effectué :
Trente condamnations à mort. Trente sentences en trois minutes. Trente meurtres… mais, maigre consolation, deux Français seulement sur la liste. Gilbert-Dreyfus s’effondre, une nausée le prend, il songe à se suicider… c’est ça, plonger dans les barbelés. Il sort du Bloc en courant… s’arrête devant le service d’oto-rhino-laryngologie où le docteur C…, un ancien, saura le conseiller.
– Voilà ce qui s’est passé. Voilà ce que j’ai fait. Qu’ils m’envoient crever à la carrière, je m’en fous. Je n’en peux plus. Je ne veux plus rester médecin.
– Calme-toi. Combien de Français dans le transport ?
– Deux.
– Deux sur combien ?
– Sur trente.
– C’est la première fois que la proportion des Français désignés est aussi faible à Mauthausen. Grâce à toi. Bravo. Comment as-tu fait ? Ça c’est du travail efficace. Fiche-nous la paix avec tes remords.
Toute la soirée, la colonie française défila pour féliciter Gilbert.2
2Sonia Combe se demande si l’épisode n’est pas le fruit de l’imagination du journaliste Bernadac, étant donné que « Gilbert-Dreyfus ne mentionne pas cet épisode, même s’il est tout à fait vraisemblable, dans son témoignage »3. En réalité, Gilbert Dreyfus, qui, pour cacher son origine juive, se faisait appeler Debrise dans la Résistance et dans le camp, en parle dans Cimetières sans tombeaux, publié en 1946.
3Promu médecin prisonnier, il n’a pas saisi, lors d’une sélection, la signification de l’euphémisme « 30 hommes pour Dachau », c’est-à-dire trente hommes pour les camions à gaz, qui étaient utilisés à Mauthausen avant la construction d’une chambre à gaz. Par conséquent, il n’intervient pas lorsque ses aides polonais et ukrainiens désignent un nombre disproportionné de Français pour protéger leurs compatriotes. Au moment de la deuxième sélection, dix jours plus tard, Debrise se décide à réagir différemment et à prendre la direction de la manœuvre :
À la stupéfaction de tous, je désignai en première ligne un de nos compatriotes que je savais rongé par un mal incurable. Puis trente-neuf autres malades choisis parmi les plus gravement touchés. Cette fournée-là ne compta en définitive que deux Français ; la précédente en avait compté sept, dont plusieurs jeunes et encore solides. Mon abstention eût fatalement entraîné une deuxième hécatombe de Français. Je suis donc persuadé en l’occurrence d’avoir agi pour le mieux. Dans les camps de concentration il faut savoir se montrer plus réaliste que sentimental. Ai-je besoin de souligner que cette « adaptation » est un calvaire ?4
4Ce n’est pas pour corriger Sonia Combe que je reviens au souvenir authentique, mais parce que la différence entre le texte de Bernadac et celui de Debrise me permet de poser d’emblée une question de méthode. Ce qui m’intéresse dans les témoignages des survivants des camps de concentration, ce ne sont pas tant les faits que leur écriture. Je suis littéraire et non pas historien. Le texte de Bernadac introduit un narrateur à la troisième personne (« Gilbert-Dreyfus s’effondre » ; « Il sort du Bloc »), qui reproduit, en focalisation zéro, les pensées confuses du médecin, en se servant de la technique du monologue intérieur (« Trente condamnations à mort »), et qui reproduit en discours direct la fin du dialogue avec le docteur C. Le début, la confession, est passé sous silence : une ellipse narrative. Le problème moral, la culpabilité ressentie par le médecin, est évacué par la réaction des autres. La dernière phrase du narrateur vire à un triomphalisme bon marché. Quel est l’effet de cette reconstruction d’une tranche de vie concentrationnaire ? Le lecteur est embarqué comme s’il se trouvait dans le camp, entouré de prisonniers qui, malgré les contraintes, agissent de manière moralement irréprochable. Alors que Bernadac, en habile journaliste, « littérarise » et dramatise l’épisode qu’il avait trouvé dans Cimetières sans tombeaux, Debrise renonce à tout effet littéraire. Dans son récit à la première personne, il y a peu de discours direct. L’auteur justifie son action par l’urgence de préserver ses camarades français et il souligne la nécessité d’adopter dans les camps une attitude « plus réaliste que sentimental[e] », même si « cette “adaptation” est un calvaire ». Après coup, il se dit convaincu « d’avoir agi pour le mieux », en évitant « une deuxième hécatombe de Français ». Ceci dit, le problème moral qu’il se pose est bien le sien et personne ne lui vient en aide. On peut se demander si l’expression « calvaire », dans la bouche d’un jeune communiste agnostique, et l’hyperbole « hécatombe », pour désigner les sept Français de la première sélection, ne trahissent pas un malaise. Toutefois, l’auteur ne met pas en question le bien-fondé d’un choix qui sauvait les uns et condamnait les autres. Les malades français avaient la chance de rencontrer un compatriote dans un moment crucial où il en allait de leur vie ou de leur mort. Mais n’oublions pas que les malades polonais et ukrainiens, qui lors de la première sélection pouvaient se sauver aux dépens des Français, avaient eux aussi la fortune de tomber sur des infirmiers de leur nationalité.
5Dans le témoignage de Debrise, on trouve non seulement le récit d’une sélection et une réflexion sur la nécessité de la faire, mais encore les traces d’un non-dit, à savoir le problème moral d’un choix qui contredit le serment d’Hippocrate. Ce problème moral que l’auteur ne peut ou ne veut pas approfondir provoque, au moment de l’écriture, un petit déséquilibre, de sorte que ses phrases boîtent légèrement. Pour aborder la question des choix extrêmes dans un camp de concentration, je me sers donc d’une lecture – que j’appelle symptomatologique5 – des témoignages qui vise à détecter (et à interpréter) les traces textuelles de la difficulté à dire l’expérience concentrationnaire.
« La zone grise » ou : comment délimiter le terrain des choix extrêmes ?
6Le choix sous contrainte s’articule dans une relation triangulaire, composée de l’émetteur, du récepteur et de l’objet de l’échange. Quelqu’un fait à un autre le don de quelque chose. Ou bien : quelqu’un refuse de le faire. Dans une situation concentrationnaire, le quelque chose que l’on peut donner ou refuser va de la cuillère ou de la gamelle de soupe ou d’eau, de la pomme de terre ou de l’oignon, à la vie ou à la mort lors d’une sélection, en passant par les soins médicaux accordés ou déniés, les planques ou les corvées, les bons ou les mauvais transports. Le donateur de l’objet (ou celui qui refuse) peut être un soldat ou un médecin des SS, un prisonnier privilégié, un camarade tout aussi misérable que le donataire, voire un moribond. Le donataire, celui qui reçoit le don ou qui se le voit refuser, peut être étranger au donateur, mais, en règle générale, il s’agit d’un compatriote ou d’un coreligionnaire (une catégorie dans laquelle je mets tous les fidèles inconditionnels d’une idéologie forte, qu’il s’agisse du communisme, du catholicisme ou des Témoins de Jéhovah), voire un familier ou un ami. Du point de vue axiologique, cette interaction obéit à une échelle de valeurs qui va du don utilitaire, c’est-à-dire du don qui procure au donateur ou au groupe qu’il représente un avantage, au don désintéressé, expression d’un geste empathique, sans calcul de retour. Cependant, nous savons, depuis l’Essai sur le don de Marcel Mauss6, que les choses sont plus compliquées, parce que l’échange est rarement purement utilitaire ou purement désintéressé. Nous savons que, dans une situation concentrationnaire, les ressources sont fortement limitées : il en résulte que le don, en privilégiant l’un, exclut tous les autres. Or, cette exclusion peut être équivalente à une condamnation à mort. Les problèmes moraux soulevés par les conséquences du don ou de son refus sont parfois objet de controverses dans le camp même, parfois objet de réflexion dans l’après-guerre, au moment où les survivants commencent à témoigner. Mon approche s’arrête sur les moments où un témoignage discute ou porte la trace d’un problème moral, issu d’un don ou d’un refus sous contrainte.
7En appliquant cette grille de lecture à l’extrait de Cimetières sans tombeaux, on peut constater que Gilbert Debrise, acculé à nommer trente personnes pour le gazage, s’active pour sauver un maximum de Français. Les donataires sont des compatriotes. La logique de la sélection est nationale, et non pas universelle comme le demanderait le serment d’Hippocrate. Le texte du témoignage justifie le choix opéré, mais une lecture attentive décèle les symptômes d’un malaise.
8Par la suite, je présenterai d’autres textes qui parlent de choix sous contraintes et qui, de façon explicite ou implicite, évoquent les sentiments qui en découlent, de culpabilité ou de honte, mais aussi de satisfaction et de fierté. Mes exemples7, qui cherchent à mieux éclairer cette zone d’ombre des camps, appelée par Primo Levi la « zone grise »8, s’articulent autour de trois thématiques : les soins médicaux, la solidarité, le souci de l’autre.
Les soins médicaux
9Restons pour un moment dans l’ambiance des infirmeries, c’est-à-dire des Reviere dans le jargon administratif nazi. Au Revier de Melk, l’un des camps annexes de Mauthausen où les détenus français occupaient dès le début des fonctions administratives plutôt importantes, Richard Thoumin a la chance de tomber sur un compatriote, le docteur Lemordant, qui lui diagnostique une pneumonie :
Un moment après, il vint me faire une piqûre de « Prontosil » et je compris bientôt qu’il avait fait par là tout ce qu’il pouvait de mieux pour me tirer d’affaire. C’était un médicament efficace, mais il n’en disposait qu’en faible quantité et son métier le conduisait souvent à choisir ceux qui en bénéficieraient, tandis que les autres se trouvaient condamnés. Quelqu’un était sans doute une nouvelle fois envoyé à la mort à ma place.9
10Il s’agit une fois de plus d’un choix qui obéit à une logique nationale, le choix le plus courant dans un camp de concentration, mais Thoumin, dans son texte rédigé à la fin des années 1970 et jamais publié, se rend compte de l’impact de cette décision : cette dose de « Prontosil » aurait tout aussi bien – et avec le même droit – pu sauver un autre malade.
11Un autre survivant, un Juif polonais, se souvient d’avoir été porté par ses camarades à l’infirmerie d’Ebensee, autre camp satellite de Mauthausen. À l’époque, il avait tellement intériorisé la logique de la sélection qu’il ne pouvait pas imaginer que trois docteurs s’affairent autour de lui pour soigner sa jambe cassée. Pour les Juifs, aucune médication n’était prévue :
En effet, ces docteurs n’auraient jamais dû me soigner. Ils s’occupent en général des communistes et autres prisonniers politiques. Le médecin russe me demande pourquoi je pleure. Je lui explique que, dans le camp, on raconte que les Américains et leurs alliés, ne sont pas loin d’Ebensée [sic], et que je souhaite de tout mon cœur assister à la défaite allemande.
– Je vais tout faire pour sauver ta jambe, me dit le Russe, qui, en l’occurrence, est le médecin chef.10
12Ici, le donataire est complètement inconnu des donateurs, et il est de plus un Juif, qui se trouve tout en bas de l’échelle sociale. Il a non seulement la chance de rencontrer des médecins qui prennent au sérieux leur serment d’Hippocrate et soignent quand il faut soigner sans égard à l’identité de la personne, mais encore celle d’intéresser le médecin russe à son cas, au point que celui-ci surveille sa guérison. Le motif de cet intérêt désintéressé est, peut-être, la petite phrase qui singularise le Juif anonyme et le transforme en résistant : « je souhaite de tout mon cœur assister à la défaite allemande ».
13L’un des trois docteurs de cette scène était (ou aurait pu être) François Wetterwald, qui, dans son témoignage paru en 1946, jette un regard nettement plus désabusé que son confrère Debrise sur l’exercice de son métier sous le contrôle d’un médecin SS imposant ses contraintes. Un chapitre de Les morts inutiles décrit un « Concilium », une des réunions des docteurs du Revier pour préparer les sélections :
Deux cas sont présentés : celui d’un Français atteint d’une tumeur inflammatoire de la face latérale gauche du cou, d’origine osseuse, entraînant une paralysie par compression du plexus brachial ; et celui d’un Russe, présentant une laryngite ulcéreuse non tuberculeuse.11
14C’est avec une ironie grinçante, sarcastique, que l’auteur évoque le débat savant qui fait suite aux exposés des confrères russes et polonais et s’appuie sur des radios circulant de main en main. Pourtant, il ne s’agit pas de trouver une thérapie pour sauver les deux malades ; il s’agit de trouver les bonnes raisons pour les condamner à mort. Cette décision dépend d’un rapport de force, le diagnostic médical n’est qu’un prétexte :
demain, notre compatriote à la tumor inflammatoria sera fort gentiment inscrit par nos chers collègues, au cours d’un choix effectué sous la surveillance d’un médecin SS., sur la liste des départs à Dachau. Car, tout le monde le sait bien, on ne « pique » plus à Mauthausen. Les incurables et les faibles sont expédiés à Dachau. Dachau, qui semble pour les ignares d’ici, une espèce de Mecque médicale, avec, en songe, des enfilades de lits blancs dans des chambres propres. Et notre camarade verra, après un court voyage en camion-chambre à gaz, son équipée prendre fin au four crématoire de Gusen.
Cruel destin pour un si beau cas !12
La solidarité
15Passons à un autre domaine des choix sous contraintes, à savoir la fameuse solidarité ! Paul Tillard, journaliste communiste, rescapé de Mauthausen, la décrit fin juillet 1945 comme suit :
Nous nous réunissions, entre Français, dans un coin du block ou dans la petite cour, et notre travail du dimanche après-midi consistait à régler la question de la solidarité pour la semaine. Le docteur n’était pas le seul à relever les poids. Nous surveillions ainsi le comportement de nos camarades français pendant la semaine écoulée. Si l’un d’eux avait flanché, s’il avait eu le « coup de pompe », s’il avait maigri trop vite, nous bloquions sur lui notre effort de solidarité pour la semaine à venir. Voici en quoi consistait cette solidarité.
Un camarade ayant été désigné pour être secouru, chacun de nous, après avoir touché sa soupe, lui en versait dans sa gamelle une ou deux cuillerées suivant qu’elle était épaisse ou liquide. Une trentaine de cuillerées faisaient un litre. Ce camarade voyait ainsi sa ration doublée. Au lieu de trois litres par jour, il en mangeait six. C’était un sérieux apport qui permit à beaucoup de camarades de franchir des moments difficiles.13
16Il s’agit donc d’un système d’entraide entre compatriotes, auquel pouvaient participer à l’occasion des étrangers et dont l’efficacité est assez limitée :
Nous avions beau faire notre possible. Nous disposions de trop peu de moyens, nous étions vraiment trop misérables pour que notre effort soit salutaire à nos camarades les plus faibles et les moins résistants. Quand l’hiver arriva, le féroce hiver qui se manifeste dès la fin septembre, nos rangs s’étaient bien éclaircis.14
17Jean Laffitte, l’un des dirigeants communistes les plus importants parmi les déportés français à Mauthausen, insiste en 1947, dans Ceux qui vivent, sur l’organisation systématique de l’entraide des prisonniers :
Nous recevons, chaque jour, par des moyens qu’il faut renouveler sans cesse, quelques petites tranches de pain à nous partager à deux ou à trois, selon les décisions prises à l’extérieur. Ce pain émane d’une contribution volontaire de nos camarades du camp qui ne travaillent pas et qui, chaque semaine, prélèvent une tranche sur leur propre part. Cela équivaut à donner un peu de son sang.
Comme cette aide du dehors ne peut pas être généralisée sans courir le risque de la rendre inopérante, nous avons décidé, pour l’intérieur du Block, la formation d’un organisme de solidarité. Chacun de nous donne tous les jours une ou deux cuillerées de soupe au profit de celui qui est considéré comme le plus affaibli. Cela permet au bénéficiaire d’obtenir une gamelle supplémentaire. La désignation se fait par un vote qui se renouvelle chaque semaine.15
18Le pluriel « nous » employé par l’auteur, tout en se référant au groupe des communistes, suggère la concordance entre les besoins des masses opprimées – ici, les Français – et l’action, pour le bien commun, d’une avant-garde politique, ce qui est bien dans la logique du Parti communiste. Ce qui fait la spécificité de cette action, par rapport à l’entraide fraternelle, n’est pas la décision de renoncer à quelques cuillerées de soupe pour venir en aide aux camarades les plus faibles, mais son application systématique qui passe par un « organisme » et un « vote ». En outre, on peut noter que l’aide à l’intérieur d’un Block se double d’un soutien extérieur, lui aussi décidé par une organisation et bloqué sur un nombre restreint de camarades. Avec le temps, cette solidarité extérieure, née, sans doute, comme le décrit Laffitte, de la générosité personnelle de camarades communistes ou autres, s’appuie de plus en plus sur un réseau d’« [h]ommes de confiance des communistes »16, planqués aux postes stratégiques de l’administration du camp. Il s’agit d’infiltrer les magasins et les cuisines (ce qui permettait d’« organiser », c’est-à-dire, dans le jargon du camp, de voler du matériel, des vêtements, de la nourriture), les secrétariats (ce qui permettait d’intervenir dans la formation des Kommandos) et les Reviere (ce qui permettait de soustraire des médicaments et de ménager des camarades épuisés ou malades). L’attribution des moyens de survie, obtenus à grands risques, aux bénéficiaires qui sont le plus souvent, mais pas nécessairement, des communistes, se fait sur décision d’un Comité international17.
19On ne saurait nier les bienfaits du système de la solidarité, tant pour la cohérence du groupe des communistes et des résistants adoptés par eux que, au niveau individuel, pour la survie d’un certain nombre de bénéficiaires. L’exclusion des autres, autrement dit le choix des bénéficiaires, pose cependant un problème moral dont les témoignages parlent peu. À moins qu’un déporté ne se plaigne parce qu’un fonctionnaire de la solidarité lui refuse l’assistance sous prétexte qu’il n’est pas du Parti18. Les auteurs, qui, en revanche, assument la logique du choix, n’hésitent pas à évoquer les problèmes de la solidarité. Au sein du Comité international, il y avait sans cesse des discussions pour savoir s’il fallait d’abord venir en aide aux communistes émérites qui s’étaient distingués dans la lutte contre les nazis, ou s’il fallait soutenir – c’était la position des dirigeants communistes français – les « meilleurs », c’est-à-dire « ceux qui peuvent être le plus utile à la collectivité »19, sans égard à leur appartenance idéologique. Comme il n’était pas possible de venir en aide à tous, il fallait choisir, ce qui équivalait, de fait, à une sélection à l’envers. C’est avec une rare franchise que Jean Laffitte parle de sa décision de lâcher un jour un « jeune croyant » qu’il avait soutenu jusqu’alors avec le pain de la solidarité, au profit d’un camarade communiste :
– […] Écoutez, il faut trancher. Se montrer humain dans la situation où nous sommes, c’est savoir adopter les décisions qui profitent le mieux à l’humanité. Je demande quand même à voir ce jeune gars avant de prendre une décision.
– Bien, nous te faisons confiance.
Je l’ai vu ce matin, au rassemblement. Misérable loque humaine qui partait au travail. Il est vraiment perdu. J’ai essayé de souffler sur cette flamme presque éteinte. Je l’ai pris à part. Je lui ai dit :
– Tu veux vivre ?
– Je vais mourir.
– Écoute, tu as une mère, une fiancée, peut-être veux-tu vivre pour elles ?
– Je ne m’en sens plus la force ni le courage. Elles ne me reconnaîtraient plus. Jusqu’ici, j’avais quelque chose qui me soutenait : la foi. J’ai perdu la foi. Je ne crois plus à rien.
Le soir, quand il est venu près de moi pour chercher son morceau de pain, j’ai menti. Je lui ai déclaré :
– Je n’ai rien pu avoir pour toi aujourd’hui.
Il est parti en pleurant.
Je suis allé trouver Maurice à son lit et je lui ai donné le morceau de pain.
– Tiens, voilà pour toi, nous te donnerons quelque chose tous les jours. Nous voulons que tu vives.
– Mais c’est peut-être ce que tu donnais à un autre ?
– Non, c’est ce qui te revient à toi parce que toi tu peux encore te battre.
L’autre est mort huit jours plus tard. Maurice a vécu.
Qu’on me juge.20
20La dernière phrase exprime moins un doute que le sentiment d’avoir agi pour le bien de « l’humanité » et d’être prêt à se présenter devant un tribunal qui ne pourra que rendre un jugement positif. En fait, Laffitte, avant de prendre sa décision, a tendu la perche à son protégé qui ne l’a pas saisie ; il peut donc en toute bonne conscience donner la ration de pain supplémentaire à un autre auquel elle profitera, bien que, en fin de compte, cet autre, Maurice Richard, meure six mois après la Libération. Quoi qu’il en soit, la logique strictement utilitaire, et non pas humanitaire, de la solidarité ne semble pas poser de problèmes à Laffitte.
21Le système de la solidarité implique un autre problème moral que Laffitte, dans Ceux qui vivent, ne soulève pas. À partir du moment où l’organisation clandestine de résistance, dominée par les communistes, réussit à s’infiltrer dans les réseaux de distribution alimentaire (cuisine, boulangerie, etc.), les suppléments matériels qu’elle organise sont prélevés sur les rations que les nazis avaient calculées au plus juste pour le maintien de la force de travail des détenus pendant un temps limité. Autrement dit, ces suppléments sont volés à l’ensemble des camarades. Dans Mauthausen città ermetica, l’une des premières analyses de l’univers concentrationnaire, publié en 1946, l’auteur, Aldo Bizzarri, passe sous silence qu’il a survécu grâce à sa planque dans l’Effektenkammer21 des SS : il se trouvait non seulement bien au chaud mais pouvait, de temps en temps, subtiliser une chemise et la troquer contre une miche de pain. Ce non-dit exprime un sentiment de honte que le survivant ne peut ou ne veut pas dire dans l’après-guerre immédiat. Son camarade Lamberti Sorrentino, journaliste, qui publie son témoignage en 1978, aborde en revanche le problème moral en confrontant son je concentrationnaire, complètement insouciant, à un rabbin qui le critique sévèrement :
Nous savons que la ration est calculée tout juste pour que le prisonnier vivote, en travaillant, pendant trois mois. Qui vit plus longtemps, le fait parce qu’il vole. Toi, tu voles aux SS, ce qui pourrait paraître du sabotage. Mais tu ne t’es jamais demandé si, pour vivoter, tu volerais aussi aux prisonniers ? Non ? Alors je te réponds : oui, tu […] leur voles. À qui, penses-tu, est cette miche ? Aux SS ? Non, elle vient de la ration des prisonniers du camp. Elle leur est dérobée.22
22Le temps joue un rôle important dans la prise de conscience du dilemme éthique d’un soutien qui, loin d’être altruiste ou fraternel, accepte la mort des plus faibles pour aider les plus forts. Paul Tillard, qui connaissait Jean Laffitte depuis ses premiers jours à Mauthausen et fut transféré avec lui au camp d’Ebensee, fut gravement blessé sur son chantier de travail en début d’année 1945. Grâce aux soins des médecins prisonniers Debrise et Wetterwald, il survécut les derniers mois dans le Revier, immobilisé et par moments aveugle. Dans l’état où il se trouvait, il ne pouvait pas avoir saisi grand-chose des événements qui accompagnaient la Libération. C’est de cette exclusion d’un événement qu’il aurait voulu vivre avec ses camarades que naît le roman à clé qu’il publiera en 1953. Les triomphants raconte les derniers mois d’un camp de concentration dans le Tyrol, du mois de janvier au 8 mai 1945, en alternant deux histoires : celle, à la première personne, d’un déporté anonyme, blessé, incapable d’agir et de voir, qui subira une intervention au crâne à quelques jours de la Libération, et celle, à la troisième personne, de Marcel Dumont qui, parallèlement, se transforme de privilégié égoïste (et d’agent secret des Américains) en résistant solidaire. Le roman transmet à ses premiers lecteurs l’idée que, dans les camps de concentration, une résistance héroïque était possible23. Les communistes, grâce à leur dévouement, leur courage, leur organisation et leur solidarité, y jouaient un rôle de premier plan. Or, ce même auteur qui avait mythifié le combat dans les camps procède, douze ans plus tard, dans Le pain des temps maudits, à la déconstruction de l’épopée glorieuse. Comment expliquer ce changement d’esprit ? Paul Tillard était parmi les membres fidèles du Parti communiste français qui, à la suite de protestations contre la répression soviétique de l’insurrection de Budapest en 1956, furent exclus de leur famille politique. Afin de se refaire une nouvelle identité, il réécrit son passé et publie, en 1965, une nouvelle version de son expérience concentrationnaire. Le pain des temps maudits reprend du roman antérieur le récit à la première personne du déporté anonyme et sacrifie l’intrigue autour de l’apprenti résistant Marcel Dumont. Dès lors, l’épopée du combat collectif se transforme en un récit rigoureusement subjectif. Alors que Tillard, en 1953, écrivait un roman sur des événements qu’il ne pouvait pas avoir vécus, il adopte, en 1965, le point de vue d’un je autobiographique qui raconte l’histoire de sa survie à Ebensee.
23Le pain des temps maudits s’ouvre sur une scène symbolique : lors d’un retour à Ebensee, vingt ans après la Libération, le narrateur assiste à l’exhumation d’un ancien camarade, un certain Bordier (sans traces dans les archives). Il se souvient du jour de Noël 1944, où il a dû dire à Bordier qu’il ne bénéficierait plus de la ration de pain supplémentaire distribuée par les soins du Comité clandestin aux camarades censés pouvoir et devoir survivre. Le même soir, avant de s’endormir, il entend le chuchotement d’un abbé qui cherche à empêcher Bordier de manger du charbon et l’invite à accepter la moitié de son propre pain pendant deux semaines. C’est la volonté de Dieu, ajoute l’abbé, puisque les prêtres seront envoyés dans un camp meilleur. L’argument d’autorité fait son effet et Bordier finit par accepter. Le je, qui écoute, se révolte contre cette confiance aveugle en Dieu mais se garde d’intervenir. Il s’endort, sans se douter que le chuchotement qu’il vient de surprendre deviendra le noyau du trauma qui le hantera.
24Le stratagème qui permet à l’auteur de développer la dimension subjective de l’histoire est la mise en récit du retour obsessionnel d’un trauma. Le souvenir de la soirée de Noël ne cesse de s’intercaler dans le récit du dépérissement progressif du protagoniste. Une de ces intrusions hallucinatoires advient le jour où le protagoniste apprend que Bordier, qu’il croyait mort, est lui aussi admis au Revier. Le je imagine alors que Bordier lui lance un défi : « Je ne suis pas mort grâce à l’abbé et tu ne peux pas me reprocher le pain qu’il m’a donné. Grâce à lui, nous sommes maintenant à égalité. Cela va être désormais entre nous une course à la vie ou à la mort ! »24. Les deux camarades sont à égalité parce que le je, en refusant le pain de la solidarité à Bordier, s’est accommodé de la mort d’un camarade et que Bordier, en acceptant la moitié de la ration de l’abbé, en a fait autant. L’antagonisme qui émerge du défi mène droit à l’enjeu moral du témoignage. Le je se rend compte que, si Bordier gagne la course à la vie ou à la mort, l’attitude égoïste qui lui a fait accepter le pain d’un camarade autant dans le besoin que lui triomphera sur le comportement altruiste de l’abbé. Celui-ci incarne, en effet, une morale de l’« affirmation de soi », alors que Bordier suit le simple instinct de la « conservation de soi »25. Le je considère cette affirmation du sujet dans un monde qui cherche à le supprimer comme « une affaire de dignité »26, mais avant d’accéder à la morale de l’abbé, il faut qu’il s’interroge sur le fondement éthique de la solidarité pratiquée au sein des groupes de résistance dans le camp.
25C’est au moment où le protagoniste, de plus en plus malade et frappé de cécité, reçoit lui-même le pain de la solidarité qu’il pense, de nouveau, à Bordier, qui se trouve seul dans sa lutte contre la mort. Aussitôt refoulée, cette pensée met à nu une analogie qui, dans le texte, reste implicite. Le je pourra, tout comme Bordier qui s’était remis à la volonté de Dieu, invoquer une autorité absolue qui le libérera de sa propre responsabilité. Bien que cette idée l’effleure – « Désigné par la solidarité, je ne devais pas chercher à en savoir plus »27 –, elle ne guide pas son comportement. À la différence de Bordier, il ne s’accommode pas d’une dispense facile et persévère à vouloir partager son pain supplémentaire avec son voisin de lit, un soldat russe, aveugle lui aussi. Par là, il enfreint l’un des principes de la solidarité, celui de ne pas diviser à l’infini les morceaux de pain péniblement subtilisés, mais de les donner en entier aux camarades qui, du point de vue du Comité clandestin, doivent survivre. Contre cette morale utilitaire, le je défend désormais une morale altruiste. Son prochain se révèle, à son tour, un homologue de l’abbé puisqu’il joue, pendant plusieurs semaines, la comédie de recevoir, lui aussi, des rations supplémentaires, afin d’engager le je à manger, en entier, les morceaux de pain qu’il reçoit par les soins de ses amis. Dans Les triomphants, l’attitude du camarade soviétique illustre la discipline de fer d’un communiste qui accepte sa propre mort pour rendre possible la survie d’un camarade désigné par le parti. Dans Le pain des temps maudits, l’épisode change de signification parce que le souvenir obsédant de la nuit de Noël remet en question l’autorité d’une dernière instance qui serait légitimée à décider de la vie et de la mort d’un individu. Par conséquent, le « frère soviétique »28 donne l’exemple d’une autre morale, celle de l’amour altruiste du prochain. Avoir été incapable, dans la nuit de Noël, de faire exception aux règles établies de solidarité et de venir en aide à son prochain constitue le trauma que Paul Tillard, vingt ans après les événements, arrive enfin à articuler dans un témoignage littéraire très élaboré. Il dut vivre l’exclusion du Parti communiste français et l’effondrement de son identité collective, avant d’être capable d’un regard fraternel qui lie la survie de l’un à la mort de l’autre. La qualité extraordinaire du Pain des temps maudits tient, certes, à cette éthique du témoignage fraternel, mais plus encore à une écriture qui la développe peu à peu, en mettant le lecteur sur les traces d’un narrateur qui retrouve, dans un travail de mémoire douloureux, le corps et le trauma du je enfoui des camps.
Le souci de l’autre
26L’épisode du frère soviétique dans Le pain des temps maudits me donne l’occasion d’aborder mon dernier point, à savoir les contraintes qui impliquent un sacrifice de soi au nom du souci de l’autre.
27La meilleure amie de Léa Douhéret, avec laquelle elle partage « la moindre miette de pain, une soupe glanée par-ci par-là »29, est sa compagne de lit Dédée, Odette Améry, qui, dans son propre « témoignage rigoureusement objectif »30 et peu porté sur les effusions sentimentales, mentionne, elle aussi, cette amitié. Cependant, la jeune Léa se sent de plus en plus responsable d’une compagne plus âgée, Marie Cauzanet, surnommée « Mémère », qu’elle connaît depuis la prison en France et qu’elle retrouve à Ravensbrück. Après le transfert à Mauthausen qui n’a fait qu’aggraver l’état de santé de son amie, Léa évite de justesse que « Mémère » soit immédiatement gazée : « Tout à coup, j’aperçois sur le dos de Mémère une croix marquée à l’anyline, après un bon moment je suis arrivée à l’effacer en crachant dans ma main. Cette croix était la marque de celles qui devaient être gazées »31. Pourtant, sa présence d’esprit n’apporte qu’un sursis. Léa ne peut pas empêcher que deux jours après, à la sélection suivante, « Mémère » ne soit choisie pour un transport sans retour :
J’aperçois Mémère qui part dans une colonne, aussitôt je me place derrière elle, c’en est fait, je suis incorporée dans la colonne. Pitoyable colonne de personnes âgées, malades. Mais j’avais promis à Mémère que je ne la quitterai plus.
De nouveau nous avons été parquées dans une partie d’un Block où il n’y avait ni lits ni couvertures. […] Mag étant « carte rose », c’est-à-dire malade, était avec moi. Mademoiselle François qui venait de perdre sa maman aussi. Un peu plus valides que toutes ces pauvres femmes qui étaient avec nous, nous avions la charge de distribuer le pain et la soupe. […] Par deux fois Dédée est venue pour me sortir de ce Block, m’offrant la liberté et de retourner avec elle. Elle me fait comprendre que nous devions partir pour un convoi noir, dont personne ne reviendrait. Tant pis, je ne renierai pas la promesse faite à Mémère.32
28Mademoiselle François, mentionnée dans le texte, se chargea pendant tout le temps de sa déportation non pas d’une mère adoptive mais de sa mère naturelle, Victorine, âgée de plus de 60 ans. Transférée à Mauthausen, avec un transport d’évacuation, elle se fait inscrire, comme Léa Douhéret, pour le transport de la mort à Bergen-Belsen afin de veiller sur la personne aimée :
Un jour, appel individuel devant les S.S. médecins et autres. Sélection : les vieillards et infirmes iront, dit-on, dans un autre camp plus doux. Ma mère, marquée à l’arrivée, ne peut y échapper. Pour ne pas la quitter, je me fais inscrire en fraude par le détenu slave préposé aux écritures. Celui-ci m’en dissuade et me souffle : « Schlecht Transport… Schwarz Transport » (mauvais transport… transport noir). J’insiste : « Je ne veux pas quitter ma mère… » C’est fait, et nous sommes transférées au block 16.33
29Sa mère, toutefois, meurt avant le départ du convoi. Ses camarades lui conseillent d’ôter son numéro et de se cacher :
Indécise d’abord, car je craignais pour elles des ennuis, j’étais prête à accepter, quand j’entendis quelques vieilles malades dire :
« Maintenant que sa mère est morte, si Mlle François nous quitte, ce sera mauvais signe. »
Que faire ? Leur enlever le pauvre petit espoir ou risquer ma peau ? Mais où était la vie ? La mort ne rôdait-elle pas partout. Je décidai de les suivre. C’est ainsi que je partis à Bergen-Belsen.34
30Avec Léa, qui elle aussi perdra sa « Mémère » en cours de route, morte d’épuisement, elle partira pour Bergen-Belsen.
31Dans les deux cas (et on pourrait en ajouter un troisième, celui de Maisie Renault, la sœur du colonel Rémy35), les déportées vainquent leur égoïsme et risquent leur vie pour honorer une promesse. Le souci de l’autre, loin de les affaiblir, les rend encore plus fortes, parce qu’il les distrait de leur propre souffrance. Une phrase de Léa Douhéret en porte la trace : « Pauvre Mémère, femme de laquelle je n’avais jamais entendu une plainte, me suppliait de lui donner à boire, elle brûlait de fièvre, quelle torture c’était pour moi »36. L’empathie pour sa mère adoptive, la douleur qu’elle éprouve à la voir souffrir, lui fait complètement oublier sa propre douleur, sa soif et sa faim, dans le wagon à bestiaux à destination de Bergen-Belsen. On ne s’étonne plus alors que Mademoiselle François, à peine sa mère morte, lui cherche des substituts à qui prodiguer ses soins. La résilience, dans une situation extrême, peut paradoxalement venir d’un souci de l’autre qui va jusqu’au sacrifice de soi.
32Dans Les origines du totalitarisme paru en 1951, Hannah Arendt décrit les camps de concentration comme des « laboratoires »37, dans lesquels le pouvoir totalitaire s’applique à produire le sujet qu’il lui faut, à savoir un être « réduit à une identité immuable de réactions »38. Cette fabrication d’une nouvelle espèce animale passe par une déshumanisation méthodique qui implique, entre autres, la destruction de la personne morale, en privant les prisonniers de la possibilité de faire des choix irréprochables et, par conséquent, de survivre sans se sentir coupables d’une façon ou d’une autre. Les médecins prisonniers, les résistants déportés, les proches et amis, obligés de prendre des décisions, sont tiraillés entre la fidélité au serment d’Hippocrate et l’inévitable priorisation, l’aide aux plus faibles et la solidarité avec le propre groupe, la lutte pour la survie et le souci de l’autre. La difficulté, voire l’impossibilité de faire des choix défendables – à l’aune de l’axiologie en vigueur à l’extérieur du camp – hante les témoignages des survivants et laisse ses traces dans une écriture qui, bien souvent, trahit le malaise des auteurs. Dans Si c’est un homme, Primo Levi invite son lecteur à réfléchir sur la signification « des mots comme “bien” et “mal”, “juste” et “injuste” » dans un camp de concentration : « À chacun de se prononcer d’après le tableau que nous avons tracé et les exemples fournis ; à chacun de nous dire ce qui pouvait bien subsister de notre monde moral en deçà des barbelés »39. En guise de conclusion, je me permets d’adresser la même invitation à mes lectrices et lecteurs.
Bibliographie
Améry Odette et Martin-Champier Georges, Nuit et Brouillard (« Nacht und Nebel »), Paris, Éditions Berger-Levrault, 1945.
Arendt Hannah, Les origines du totalitarisme. Eichmann à Jérusalem, P. Bouretz éd., J.-L. Bourget et al. trad., Paris, Gallimard, 2002.
Aschenberg Reinhold, Ent-Subjektivierung des Menschen. Lager und Shoah in philosophischer Reflexion, Würzburg, Königshausen und Neumann, 2003.
Bernadac Christian, Déportation. 1933/1945, vol. 1, Les médecins de l’impossible [1968], Paris, France-Empire, 1992.
Bizzarri Aldo, Mauthausen città ermetica, Roma, OET, 1946.
Combe Sonia, Une vie contre une autre. Échange de victime et modalités de survie dans le camp de Buchenwald, Paris, Fayard, 2014.
Debrise Gilbert, Cimetières sans tombeaux, préface d’Aragon, Paris, La Bibliothèque française, 1945.
Douhéret Léa, Témoignage, Cavaillon, Imprimerie Mistral, 1993.
François Andrée, « Nos prisons… nos camps. Souvenirs… Poèmes et Chansons », Passeurs et déportés (N. N.). Un groupe de la Vallée de l’Orne (Lorraine) (1940-1945), P. François éd., préface de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pont-à-Mousson, Pierre François-Amicale de Mauthausen, 1990, p. 25-95.
Jacoubot Maurice, De Jakubowicz à Jacoubot. Mémoires d’un rescapé des camps de la mort, Compiègne, Imprimerie de Compiègne, 1994.
James-Raoul Danièle, Forero-Mendoza Sabine, Kuon Peter et Magne Élisabeth dir., La parole empêchée, Tübingen, Narr Francke Attempto, 2017.
Kuon Peter, « Parole empêchée et volonté parrèsiastique dans la littérature des camps nazis », La parole empêchée, D. James-Raoul, S. Forero-Mendoza, P. Kuon et E. Magne dir., Tübingen, Narr Francke Attempto, 2017, p. 227-239.
Kuon Peter, L’Écriture des revenants. Lectures de témoignages de la déportation politique, Paris, Éditions Kimé, 2013.
Laffitte Jean, Ceux qui vivent, Paris, Éditions hier et aujourd’hui, 1947.
Levi Primo, Si c’est un homme [1958], M. Schruoffeneger trad., Paris, Julliard, 2010.
Levi Primo, Les naufragés et les rescapés. Quarante ans après Auschwitz [1986], A. Maugé trad., Paris, Gallimard, 1989.
Mauss Marcel, Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques [1924], introduction de Florence Weber, Paris, PUF, 2012.
Renault Maisie, La grande misère, préface de Louis François, avant-propos de Rémy [Gilbert Renault], Paris, Chavane, 1948.
Saint Macary Pierre, Mauthausen : percer l’oubli, Paris, L’Harmattan, 2004.
Sorrentino Lamberti, Sognare a Mauthausen, Milan, Bompiani, 1978.
Tillard Paul, Le pain des temps maudits, Paris, Julliard, 1965.
Tillard Paul, Mauthausen, Paris, Éditions sociales, 1945.
Thoumin Richard, Un pou, ta mort ! Souvenirs des années 1942-1947, Paris, 1980 (manuscrit inédit, université de Salzbourg).
Wetterwald François, Les morts inutiles, Paris, Éditions de Minuit, 1946.
Notes de bas de page
1Sonia Combe, Une vie contre une autre. Échange de victime et modalités de survie dans le camp de Buchenwald, Paris, Fayard, 2014, p. 150-151.
2Christian Bernadac, Déportation. 1933/1945, vol. 1, Les médecins de l’impossible [1968], Paris, France-Empire, 1992.
3S. Combe, Une vie contre une autre, ouvr. cité, p. 151.
4Gilbert Debrise, Cimetières sans tombeaux, préface d’Aragon, Paris, La Bibliothèque française, 1945, p. 97. Dans toutes les citations tirées des récits de survivants, je conserve l’orthographe et la ponctuation originales, même quand elles sont fautives.
5Pour plus de détails, voir Peter Kuon, « Parole empêchée et volonté parrèsiastique dans la littérature des camps nazis », La parole empêchée, D. James-Raoul, S. Forero-Mendoza, P. Kuon et E. Magne dir., Tübingen, Narr Francke Attempto, 2017, p. 227-239.
6Voir Marcel Mauss, Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques [1924], introduction de Florence Weber, Paris, PUF, 2012.
7Ils proviennent du corpus des témoignages écrits (et le plus souvent publiés) des survivants du complexe concentrationnaire de Mauthausen, analysés dans Peter Kuon, L’écriture des revenants. Lectures de témoignages de la déportation politique, Paris, Éditions Kimé, 2013.
8Voir Primo Levi, Les naufragés et les rescapés. Quarante ans après Auschwitz [1986], A. Maugé trad., Paris, Gallimard, 1989, p. 42-49.
9Richard Thoumin, Un pou, ta mort ! Souvenirs des années 1942-1947, Paris, 1980 (manuscrit inédit), p. 108 (archives du groupe de recherche interdisciplinaire KZ-memoria scripta à l’université de Salzbourg).
10Maurice Jacoubot, De Jakubowicz à Jacoubot. Mémoires d’un rescapé des camps de la mort, Compiègne, Imprimerie de Compiègne, 1994, p. 79.
11François Wetterwald, Les morts inutiles, Paris, Éditions de Minuit, 1946, p. 61.
12Ibid., p. 62-63.
13Paul Tillard, Mauthausen, Paris, Éditions sociales, 1945, p. 54.
14Ibid.
15Jean Laffitte, Ceux qui vivent, Paris, Éditions hier et aujourd’hui, 1947, p. 167.
16Pierre Saint Macary, Mauthausen : percer l’oubli, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 56.
17Au sujet de Buchenwald, voir le chapitre suivant : S. Combe, « Les acteurs et les lieux de l’échange », Une vie contre une autre, ouvr. cité, p. 55-92.
18Voir Léa Douhéret, Témoignage, Cavaillon, Imprimerie Mistral, 1993, p. 44 : « Je dois dire que j’ai subi quand même une grande désillusion dans cette solidarité auprès d’une camarade. Ce n’était un secret pour personne que mon cœur était faible ! Marie-Claude Vaillant-Couturier était au Revier pour s’occuper des malades. Dédée [Odette Améry] est allée lui demander si elle ne pouvait lui donner quelques comprimés pour moi. “Elle est du Parti ?” lui demanda-t-elle. Évidemment Dédée lui répondit que non. “Et bien je n’en ai pas” lui répondit-elle. Je fus horrifiée d’un tel comportement ».
19J. Laffitte, Ceux qui vivent, ouvr. cité, p. 327.
20Ibid., p. 356-357.
21Voir Aldo Bizzarri, Mauthausen città ermetica, Roma, OET, 1946, p. 19, où l’auteur mentionne son travail dans le camp, sans préciser les privilèges qu’il comportait. Effektenkammer était une sorte de dépôt des vêtements et objets des nouveaux déportés qui en étaient dépouillés à leur arrivée au camp.
22Lamberti Sorrentino, Sognare a Mauthausen, Milan, Bompiani, 1978, p. 56. Nous traduisons.
23Pour une analyse détaillée, voir P. Kuon, L’écriture des revenants, ouvr. cité, p. 236-241.
24Ibid., p. 147-148.
25Voir Reinhold Aschenberg, Ent-Subjektivierung des Menschen. Lager und Shoah in philosophischer Reflexion, Würzburg, Königshausen und Neumann, 2003, p. 297-312.
26Paul Tillard, Le pain des temps maudits, Paris, Julliard, 1965, p. 156.
27Ibid., p. 167.
28Ibid.
29L. Douhéret, Témoignage, ouvr. cité, p. 43.
30Odette Améry et Georges Martin-Champier, Nuit et Brouillard (« Nacht und Nebel »), Paris, Éditions Berger-Levrault, 1945, p. 48.
31L. Douhéret, Témoignage, ouvr. cité, p. 48.
32Ibid., p. 49.
33Andrée François, « Nos prisons… nos camps. Souvenirs… Poèmes et Chansons », Passeurs et déportés (N. N.). Un groupe de la Vallée de l’Orne (Lorraine) (1940-1945), P. François éd., préface de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pont-à-Mousson, Pierre François-Amicale de Mauthausen, 1990, p. 79.
34Ibid., p. 82.
35Maisie Renault, La grande misère, préface de Louis François, avant-propos de Rémy [Gilbert Renault], Paris, Chavane, 1948, p. 61-62 : « Le transport annoncé prend forme. Les Blockowa rassemblent les prisonnières devant les blocs. Isabelle et moi, toujours méfiantes, restons aux alentours en surveillant, de loin, les autorités. […] Pendant quelques minutes nous sommes fort tentées toutes les deux de prendre place dans les rangs ; ainsi nous pourrions accompagner nos amies ; mais, dans ce cas, il nous faudrait abandonner Denise. Que dirait-elle en ne nous retrouvant pas à sa sortie du Revier ? Et puis sa maman nous l’a confiée. Nous décidons donc de rester où nous sommes. Comme nous l’avions prévu, toutes nos amies sont désignées et la plupart des Françaises de notre bloc partent également. Toutes sont ravies. D’après les bruits qui circulent dans le camp, il s’agit d’un très bon transport : elles seront mieux nourries, plus propres et le travail ne sera pas fatigant ! La vérité est tout autre, mais nous ne l’apprendrons qu’à leur retour ».
36L. Douhéret, Témoignage, ouvr. cité, p. 49.
37Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme. Eichmann à Jérusalem, P. Bouretz éd., J.-L. Bourget et al. trad., Paris, Gallimard, 2002, p. 782.
38Ibid., p. 783.
39Primo Levi, Si c’est un homme [1958], M. Schruoffeneger trad., Paris, Julliard, 2010, p. 132.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Acteurs et territoires du Sahel
Rôle des mises en relation dans la recomposition des territoires
Abdoul Hameth Ba
2007
Les arabisants et la France coloniale. 1780-1930
Savants, conseillers, médiateurs
Alain Messaoudi
2015
L'école républicaine et l'étranger
Une histoire internationale des réformes scolaires en France. 1870-1914
Damiano Matasci
2015
Le sexe de l'enquête
Approches sociologiques et anthropologiques
Anne Monjaret et Catherine Pugeault (dir.)
2014
Réinventer les campagnes en Allemagne
Paysage, patrimoine et développement rural
Guillaume Lacquement, Karl Martin Born et Béatrice von Hirschhausen (dir.)
2013