Chapitre 6
Peregrinatio academica rediviva
p. 229-276
Texte intégral
1Les profondes reconfigurations internes du régime de production des élites scientifiques s’articulent avec une ouverture de celui-ci à la circulation internationale. Bien sûr, les sciences sont peut-être l’un des secteurs de l’activité humaine les plus précocement internationalisés : en 1945, cela fait déjà plusieurs siècles que les productions scientifiques, pour ne pas parler de leurs praticiens, circulent à l’échelle mondiale. Cette internationalité, qui a pu constituer un élément important de la formation des élites intellectuelles européennes aux xve et xvie siècles, exaltée par les grands congrès internationaux de la fin du xixe siècle1, a pourtant connu un fort reflux après la Première Guerre mondiale : l’entre-deux-guerres marque sur ce point ce que Robert Fox interprète comme un tournant national2 du monde scientifique ; le séjour professionnel à l’étranger est alors réduit à être une caractéristique, tardive, de certaines trajectoires académiques seulement. Mais la réouverture des frontières en 1945, et la prise de conscience du retard scientifique accumulé pendant les années de guerre, pousse à l’envoi des jeunes chercheurs en stage à l’étranger, provoquant à terme une transformation de la place de l’internationalité dans les carrières scientifiques. Se pose alors rapidement la question des institutions permettant de soutenir les dispositions des jeunes chercheurs à cette internationalité.
L’étranger, de prérogative de la célébrité à marque de distinction
2« N’a rien fait, propage des théories étrangères » : telle est ainsi l’appréciation que Paul Rumpf, jeune chimiste s’intéressant à la mécanique quantique, aux travaux de Linus Pauling et Christopher K. Ingold, peut, en 1946, recevoir de la part du professeur chargé d’évaluer son activité annuelle pour le Comité national de la recherche scientifique3. Le repli sur soi dont cette remarque est le symptôme est une caractéristique forte du champ des sciences physiques au cours des années 1930 et 1940, après l’ouverture des années 1920 : les travaux de Dominique Pestre l’ont montré pour la physique4, comme ceux de Mary Jo Nye pour la chimie5. Cela ne veut pas dire, pour autant, que ces scientifiques soient xénophobes : certains laboratoires, comme l’Institut du radium, dirigé par Marie Curie, ou celui de Paul Langevin au Collège de France, appuient leur développement sur des chercheurs étrangers, en majorité issus d’Europe de l’Est6 ; Martine Sonnet a ainsi pu montrer que les étrangers représentent 15 % des boursiers de la Caisse nationale des sciences entre 1933 et 19397, et le chiffre croît après la guerre pour atteindre le quart en 19498. D’autre part, comme l’a montré Christophe Charle, les professeurs de faculté de la IIIe République voyagent assez fréquemment ; à ces occasions toutefois, ils jouent surtout un rôle d’ambassadeurs, de représentants de la culture et de la science françaises9. Ce type d’internationalité ne concerne donc qu’un nombre réduit de personnalités, les professeurs les plus reconnus comme les prix Nobel Marie Curie et Jean Perrin, chargés d’exposer leurs travaux lors de grandes conférences officielles. En ce sens, comme l’a souligné récemment, après d’autres, Denis Colombi, les enjeux de la mobilité internationale sont avant tout des enjeux nationaux10.
3Le voyage professionnel est ainsi, fondamentalement, une prérogative de la célébrité, au sens précisé par Antoine Lilti : « une personne célèbre est connue par des gens qui n’ont aucune raison d’avoir un avis sur elle, qui ne sont pas directement intéressés à porter un jugement sur sa personnalité ou sur ses compétences »11. Dans ce cadre, physiciens et chimistes français ne voyagent en effet que rarement pour des raisons proprement liées à la physique et à la chimie, auprès de et pour leurs pairs, en vue d’acquérir un nouveau savoir et une nouvelle technique. De fait, sur les 53 physiciens que Dominique Pestre place dans le groupe central de la physique française entre 1920 et 1955, cinq seulement ont séjourné à l’étranger pendant leurs années de formation12, fréquentant un laboratoire quotidiennement, et suffisamment longtemps pour s’imprégner des modes de fonctionnement des équipes de recherche, acquérir des techniques expérimentales, incorporer les tours de main et les coups d’œil nécessaires13, s’approprier des appareillages conceptuels et des formes de pensées spécialisées14. En l’occurrence, il s’agit de Paul Langevin, qui a passé un an au Laboratoire Cavendish de Cambridge en 1897, d’Edmond Bauer, qui est allé à Göttingen et Berlin en 1905, de Léon Brillouin, qui séjourne à Munich en 1913, de Maurice Ponte, qui travaille à Manchester en 1925, et enfin d’Alexandre Proca, présent à Berlin en 1933. Hormis la Fondation Rockefeller15, dont l’action s’oriente préférentiellement vers les sciences de la vie, y compris dans leurs aspects physico-chimiques, les financements accessibles aux scientifiques et destinés à promouvoir ce type de mobilités restent de toute façon particulièrement rares. Dans l’entre-deux-guerres, si les résultats circulent bien à l’échelle internationale, classiquement par les revues scientifiques, parfois au travers de la correspondance ou de colloques, il n’en est donc pas de même des pratiques expérimentales, des habitudes concrètes de travail et de pensée qui légitiment l’usage de telle ou telle théorie ou système conceptuel, et qui nécessitent un temps d’apprentissage nécessairement long. L’expérience de l’étranger relève alors, du point de vue des normes professionnelles, du cas exceptionnel : elle n’est pas une étape de trajectoire professionnelle, le signe, le levier et la récompense d’une compétence reconnue par les pairs, mais relève plutôt de la consécration, de la cerise sur le gâteau, une fois la carrière à son acmé. Pour le dire en un mot, l’internationalité est alors pensée comme une conséquence du talent scientifique exceptionnel, et non comme un moyen de révéler et de construire un tel talent.
4Cette fonction de l’internationalité change radicalement après la Libération, qui se traduit par une réouverture brutale. D’une part, dès le mois d’août 1945 et jusqu’au début de l’année 1946, 68 scientifiques français, couvrant un large spectre de disciplines, partent en Grande-Bretagne dans le cadre de la Mission scientifique française en Grande-Bretagne dirigée par Louis Rapkine16. D’autre part, en Allemagne, à la fin des années 1940, les scientifiques français se livrent au pillage du matériel des laboratoires, par le biais d’une mission ad hoc du CNRS, imaginée par Frédéric Joliot et dirigée par André Lwoff, assisté d’André Berthelot, puis Louis Cagniard et Jean Decombe ; cette campagne se solde par l’appropriation d’appareils et de matériel scientifique, de machines-outils et de matières premières destinés au rééquipement des laboratoires français, pour une valeur totale alors estimée à 800 000 $, saisies qui jouent elles aussi un rôle dans cette réouverture puisque la mission a aussi pour objectif de faire le point sur les résultats acquis par les Allemands pendant la guerre17. Enfin, une fraction importante des notables de la science française traverse l’Atlantique pour des voyages d’information. C’est le cas par exemple de Pierre Donzelot, alors directeur de l’enseignement supérieur, qui visite une série d’universités états-uniennes à l’été 1950, grâce à un financement conjoint de la Fondation Rockefeller et du programme fédéral Smith-Mundt. Cette tournée, qui l’amène aux universités Harvard, Johns Hopkins, Northwestern, Purdue, du Maryland, de Chicago, de l’Illinois, de Philadelphie et du Wisconsin, l’a beaucoup marqué, en particulier cette dernière institution, comme il le confie à Gerard R. Pomerat : « [il] pense que s’il avait l’opportunité de recommencer sa vie, il choisirait de vivre et de mourir à Madison »18.
5Plus structurellement, pour rattraper ce qui est ressenti comme un retard accumulé de la science française, la génération de chercheurs née entre 1920 et 1925 est beaucoup plus fréquemment que ses aînés envoyée à l’étranger, de préférence aux États-Unis, en Grande-Bretagne, plus globalement en Europe de l’ouest, dès ses années de formations19. Ce passage par un pays étranger devient dès lors une forme de capital international, pour reprendre le concept d’Anne-Catherine Wagner20, une étape valorisée dans les rapports de thèse comme dans les carrières, caractérisant non plus une trajectoire exceptionnelle, mais s’intégrant dans les parcours de « ceux qui ont un avenir », aux yeux des gatekeepers de la profession. L’estampille « BTA » (« been to America »), en particulier, devient très courue, ne serait-ce que par l’aura acquise par les succès scientifiques des États-Unis pendant la guerre21 : en 1950-1951, 40 jeunes Français étudient les sciences physiques dans une université américaine, 75 en 1958-1959, 116 en 1967-196822. Ces disciplines sont ici partie prenante d’un phénomène plus global qui, en suivant Emmanuelle Loyer, permet de souligner que dans l’après-guerre « le périple américain devi[e]nt une sorte de “Grand Tour”, un rituel de sortie de guerre qui [prend] acte de la nouvelle hégémonie, cette fois explicite, du monde américain vis-à-vis d’une Europe dévastée »23. Comme le remarque avec une ironie douce-amère l’éditorialiste d’Atomes en août 1948 : « Il fut un temps où certains ne voulaient entendre parler de tailleurs que s’ils étaient anglais. Aujourd’hui, pour beaucoup, il n’est de bons savants qu’en Amérique »24. Cette force d’attraction est telle que certains prennent le risque, majeur, d’essayer de contourner leurs supérieurs hiérarchiques. C’est le cas par exemple du physicien Francis Suzor, polytechnicien, attaché de recherche au CNRS rattaché au laboratoire de Frédéric Joliot, qui tente sa chance auprès de Gerard Pomerat le 16 mai 1949 :
Il souhaiterait passer une année aux États-Unis, mais ne sait pas exactement où. Il donne comme références M. [Louis] Leprince-Ringuet à Polytechnique et M. [Pierre] Jolibois à l’École des mines. [Gerard Pomerat] lui demande pourquoi il n’inclut pas [Joliot] et [Suzor] explique qu’il n’a pas encore abordé la question avec lui. Très délicatement et avec beaucoup de prévenance il essaie d’expliquer à [Gerard Pomerat] qu’il pense que [Joliot] n’approuverait probablement pas qu’il approche la [Fondation Rockefeller], et qu’il espère ne pas avoir à le lui mentionner avant d’être assez sûr d’obtenir une bourse. Il pense que [Joliot] donnerait alors son approbation, devant le fait accompli.25
6Ces représentations, très puissantes, font un très bon marché de la très forte variabilité des conditions de travail aux États-Unis, y compris à l’intérieur de la Ivy League : si certains étudiants français reviennent bien émerveillés, d’autres sont beaucoup plus critiques. C’est ce dont témoigne par exemple Edmond Toromanoff, ancien élève de l’ESPCI (promotion 1954), qui a réalisé une thèse d’ingénieur-docteur, soutenue en 1953, au laboratoire de Charles Dufraisse au Collège de France, laboratoire de taille restreinte mais très lié à l’industrie pharmaceutique, avant de partir un an aux États-Unis, à Harvard :
Il y avait des copains qui étaient partis aux États-Unis, et moi ça me plaisait comme idée, de partir aux États-Unis. Alors Dufraisse me dit : « Est-ce que vous voulez partir à Yale ? » Je dis : « Pourquoi pas ! » Finalement, je ne suis pas parti à Yale, mais à Harvard, parce qu’il y avait un type du labo, qui était parti avant, qui avait fait des étincelles, et donc… [Louis F.] Fieser, qui était le patron de l’époque, à Harvard, en chimie, voulait quelqu’un de chez Dufraisse. Donc j’ai eu une bourse Fulbright, et c’est l’armée américaine qui me payait pendant mon séjour26. Très bien d’ailleurs ! […] Je suis resté un an. […] Je faisais des choses intéressantes. […] Mais Dufraisse avait d’excellents labos, des labos qui étaient très bien, c’était mieux qu’à Harvard ! À Harvard il y avait des labos… qui étaient… sans plus.27
Figure 9. Le degré d’internationalité des thèses de doctorat ès sciences physiques de la faculté des sciences de Paris (1944-1967)

Source : Remerciements des thèses de doctorat ès sciences physiques soutenues devant la faculté des sciences de Paris (1944-1967).
Note : « Remerciement » indique qu’un chercheur étranger au moins est remercié, sans indication de voyage de la part du docteur ; « Séjour » indique que le docteur évoque explicitement son séjour à l’étranger ; « Étranger » indique que le chercheur évoque un autre pays que la France comme son pays d’origine ; « NA » indique soit que la thèse n’a pu être retrouvée physiquement, soit qu’elle ne contient pas de remerciements.
7Comment, au-delà de cette variabilité, saisir cette place nouvelle de l’internationalité statistiquement, de manière globale ? C’est possible par le biais des remerciements des thèses de doctorat ès sciences physiques (figure 9), en posant l’hypothèse que le contact avec l’étranger est suffisamment rare, et valorisant, pour qu’un thésitif le signale dans son texte, pour peu que ce contact ait joué un rôle important dans les résultats obtenus – placer un chercheur ou une équipe dans les remerciements étant sans doute un indice de lien beaucoup plus fort qu’une citation d’article. Le codage de ces remerciements révèle ainsi une place grandissante, à partir des thèses soutenues en 1948, des chercheurs étrangers comme ressources – que l’on remercie ainsi pour un produit, une analyse, des tirés à part, des discussions, ou une critique constructive –, comme membres d’une équipe ayant accueilli un jeune physicien ou chimiste français revenant ensuite défendre devant un jury de faculté le fruit de son travail réalisé dans un autre pays, ou encore comme docteurs eux-mêmes. Certaines années constituent des pics : de 1950 à 1952, de 1957 à 1958, puis constamment à partir de 1963, une dizaine de docteurs ès sciences physiques de la faculté des sciences de Paris ont ainsi réalisé le travail qui leur vaut ce titre à l’étranger. Ces jeunes chercheurs, envoyés à l’étranger par leur patron français pour acquérir une nouvelle technique, ou s’initier à de nouvelles perspectives de recherche, peuvent en effet développer ces domaines à leur retour : la nécessité pour leurs successeurs d’entreprendre un tel voyage se fait moins vivement ressentir, puisque des équipes existent désormais localement. C’est, par exemple, le cas du Laboratoire de spectroscopie hertzienne construit par Alfred Kastler grâce au voyage de son élève Jean Brossel, qui travaille à l’université de Manchester dans le groupe de Samuel Tolansky de 1945 à 1948, puis au Massachusetts Institute of Technology de 1948 à 1951 sous la direction de Francis Bitter, avant de revenir soutenir sa thèse en France en 1951 : il se passe alors quelques années avant que l’envoi de jeunes chercheurs à l’étranger ne redevienne prioritaire dans ce secteur de la physique, le temps que la moisson soit assimilée.
8Après ces premières vagues des années 1950, l’internationalité se normalise au début des années 1960, conséquence de quatre facteurs : les débuts de la production intensive de docteurs par les laboratoires fondés par les anciens « jeunes », partis dans les années 1950, qui conservent des liens importants avec les équipes où ils ont pu travailler – les remerciements pouvant, dans ce cadre, servir à préparer un stage postdoctoral, dont l’usage, difficilement quantifiable, se répand néanmoins progressivement à partir de ces années-là, à en croire les témoignages oraux ; la forte hausse des budgets disponibles, qui permet aux laboratoires les mieux dotés de financer eux-mêmes des stages de quelques mois pour leurs chercheurs dans des laboratoires étrangers, alors que les difficultés des années 1950 appelaient le recours à des dispositifs plus lourds, organisant des séjours annuels ou pluriannuels ; la mise en marche du CERN, à partir de 1957, qui implique de nombreux chercheurs français, et les amène à séjourner dans le canton de Genève ; enfin, la création du doctorat de troisième cycle, en 1954, permet non seulement l’organisation de la formation à la recherche, mais aussi une certification plus précoce des dispositions à la recherche, ce qui abaisse donc le risque pris lors de l’envoi dans un laboratoire étranger d’un attaché de recherche ou d’un assistant, puisque celui-ci a déjà eu l’occasion de faire ses preuves et d’affirmer sa personnalité scientifique.
À la conquête de l’Ouest
9Dans le cas des sciences physiques, ce changement structurel est le fruit de l’action de multiples entrepreneurs institutionnels, suscitée par la tension née pendant la Seconde Guerre mondiale, entre d’une part l’isolement forcé d’une majorité de la communauté scientifique, et d’autre part l’intégration d’une minorité au dispositif de recherche allié, caractérisé par l’équipement expérimental lourd et les forts liens entre universités, industries et armées : la reprise de contact entre ces deux fractions, à la Libération, provoque la formation d’un groupe structuré de physiciens, mais aussi de chimistes, militant pour une transformation des pratiques d’internationalité de leurs disciplines. La science française, si elle a réussi tant bien que mal à maintenir une activité honorable pendant l’Occupation28, s’est en effet trouvée plus isolée encore qu’elle ne l’était dans l’entre-deux-guerres : concrètement, la grande majorité des laboratoires ne reçoivent plus, par exemple, les revues scientifiques états-uniennes et britanniques ; dans l’autre sens, les revues françaises, lorsqu’elles parviennent à trouver le papier nécessaire pour être imprimées, sortent rarement des frontières ; l’achat d’appareils ou de matériel à l’étranger est presque impossible.
10À la Libération, une grande partie des directeurs de laboratoires considèrent qu’un surcroît d’internationalisation est nécessaire pour renouer les liens rompus et rattraper le retard occasionné. Yves Rocard, membre du réseau de résistance intérieure Cohors pendant la guerre, exfiltré en Grande-Bretagne, cherche ainsi dès 1945 à attirer dans le Laboratoire de physique de l’ENS des physiciens ayant une expérience internationale, favorisant cette qualité sur celle d’ancien normalien. Il installe ainsi successivement à la tête d’un groupe de recherche des hommes de la génération de 1910-1920 qui ont tous passé plusieurs années à l’étranger : Pierre Aigrain pour la physique des solides, né en 1924, ancien élève de l’École navale devenu docteur en électrotechnique au Carnegie Institute of Technology ; Maurice Lévy pour la physique théorique, né en 1922, purement universitaire de formation, mais ayant travaillé dans les universités de Leyde, Manchester et Stanford, ainsi qu’à l’Institute for Advanced Study de Princeton, de 1947 à 195229 ; Hans Halban pour la physique nucléaire, autrichien né en 1908, devenu docteur à Zurich en 1935, qui travailla un temps dans l’orbite de Frédéric Joliot après un an à Copenhague, directeur de Tube Alloys pendant la guerre après deux ans au Cavendish Laboratory de Cambridge, puis huit ans au Clarendon Laboratory d’Oxford30. Parallèlement, Yves Rocard organise un séminaire, destiné aux élèves, qui accueille presque prioritairement des étrangers – de 1947 à la fin des années 1950, on compte ainsi annuellement entre six et neufs visiteurs étrangers rue Lhomond31 –, tout en encourageant quelques élèves à profiter de la souplesse des règlements pour aller réaliser à l’étranger soit leur diplôme d’études supérieures, soit même leur doctorat ès sciences. Les liens sont en particulier forts avec l’université de Princeton, une bourse spécifique permettant d’y envoyer un normalien physicien presque une année sur deux, dispositif dont bénéficie par exemple Philippe Nozières, mais aussi Bernard Jancovici.
11D’autre part, comme l’a montré le cas de Pierre Auger, cette même Occupation est l’occasion de ce que Diane Dosso a appelé « le plan de sauvetage des scientifiques français »32, organisé depuis New York par les deux biologistes Henri Laugier et Louis Rapkine, avec l’aide financière et logistique de la Fondation Rockefeller, qui permet le départ vers les pays alliés de scientifiques reconnus menacés par les nazis ; ces scientifiques vont, en un certain sens, amorcer la pompe d’une nouvelle peregrinatio academica. Parmi les quarante-cinq universitaires réfugiés par cette voie, passent ainsi la guerre outre-Atlantique, entre autres, Pierre Auger donc, mais aussi Léon Brillouin, Francis Perrin, Lew Kowarski, Michel Magat et Hans Halban ; d’autres, comme Edmond Bauer, Frédéric Joliot ou Paul Langevin, ont refusé de partir. Obtenant des positions de pouvoir à la Libération, ceux qui sont partis encouragent la circulation internationale des scientifiques, et font monter la valeur du capital international au sein du champ universitaire et scientifique : c’est le cas, outre Auger, de Francis Perrin, élu en 1946 au Collège de France, à la chaire de physique atomique et moléculaire, mais surtout choisi comme haut-commissaire du CEA en 1950, poste qu’il conserve jusqu’en 1970 ; de fait, la majorité des chefs de service recrutés par Perrin et son adjoint Kowarski, au sein de la génération suivante, dispose d’une expérience internationale dès le début de sa carrière, à l’instar d’Anatole Abragam, DPhil de l’université d’Oxford en 1950 et chercheur à Harvard en 1952-1953, et les polytechniciens Jules Horowitz, Albert Messiah et Claude Bloch : le premier passe un an à l’Institut de physique théorique de Copenhague en 1947 ; le deuxième est parti à l’Institute for Advanced Study de Princeton de 1949 à 1950, puis de 1950 à 1952 à l’université de Rochester (New York) ; le troisième travaille lui aussi à Copenhague de 1948 à 1951, avant de séjourner un an au California Institute of Technology de 1952 à 1953.
12Ces départs sont avant tout le fruit d’une multiplication d’initiatives plus ou moins ponctuelles, mobilisant des réseaux divers, ce qui fait de chaque trajectoire une aventure particulière, soumise à diverses contingences. On peut prendre comme exemple le séjour d’Évry Schatzman au Danemark (1947-1948) puis à Princeton (1948-1949), qu’il raconte dans un entretien avec Spencer Weart :
Schatzman : À l’époque, j’étais en contact avec l’un des professeurs de physique de la Sorbonne qui a le plus poussé pour l’introduction de la physique moderne. C’était Edmond Bauer33. Edmond Bauer a insisté pour que je parte à l’étranger, en me disant que c’était le meilleur moyen d’apprendre de nouvelles façons de travailler, différentes des méthodes françaises. Il savait ce qui se passait, où aller et quelles étaient les possibilités, et il m’a suggéré d’essayer de partir à Dublin, où [Walter] Heitler était à ce moment-là. […] Cécile Morette […] était déjà à Dublin, et je lui ai écrit pour m’enquérir des possibilités, du montant des bourses, etc.
Weart : Cela suppose une orientation vers la mécanique quantique théorique.
Schatzman : Oui. Exactement. C’était la direction vers laquelle Bauer me poussait. J’ai alors eu l’occasion d’en parler à Daniel Barbier34, qui travaillait à l’Institut d’astrophysique. Or Daniel Barbier, sans que je ne le sache, s’est renseigné sur les possibilités me permettant de travailler à Copenhague avec Bengt Strömgren. Et le temps que j’en sache assez sur les opportunités ouvertes à Dublin, Barbier avait organisé un échange avec un astronome danois […].35
13Schatzman accepte, et devient astrophysicien, presque par accident. Le cas n’est pas isolé, puisque c’est aussi, par exemple, celui de Philippe Nozières, lui aussi élève de l’ENS, mais de la génération suivante (il est de la promotion 1951) :
J’ai passé quatre ans de vie expérimentale36, avec du trichloréthylène37 jusqu’au coude, c’était tout à fait concret. J’étais heureux comme un roi, je n’ai jamais eu le moindre problème avec la physique expérimentale. La raison de la théorie, c’est… Je finis à l’École normale, et la secrétaire de l’école me dit : « Il y a une bourse pour Princeton, ça vous intéresse ? » Alors, aller à Princeton en 1955, c’était comme la ruée vers l’or en Alaska, c’était l’aventure totale ! Je dis : « Bien sûr ça m’intéresse ! » Alors, je suis pris à Princeton, et je vais voir mon patron Aigrain en disant : « Écoute, en un an, en expériences, je ne vais rien faire de bon, parce qu’il faut que je m’habitue au matériel, et quand je serai habitué il faudra repartir, donc je ferais aussi bien d’apprendre un peu de théorie. – Oui, c’est une bonne idée. J’ai rencontré à un congrès Solvay un jeune américain qui a à peu près mon âge, et qui me paraît très dégourdi, pourquoi tu ne vas pas chez lui ? – D’accord, qu’est-ce qu’il fait ? – Il fait du problème à N corps. – Bon, ben faisons du problème à N corps ! » Je ne suis pas contrariant. Donc je me suis retrouvé à Princeton avec ce physicien, David Pines, qui avait effectivement créé ce domaine nouveau de la physique statistique des systèmes en interaction. Et je suis devenu théoricien, mais c’est tout à fait par hasard.38
14Face à un champ d’opportunités difficilement lisible, les programmes de recherche possibles sont ainsi moins importants que la possibilité même de partir, ne serait-ce que parce qu’un premier départ en augure d’autres, et permet d’« amorcer la pompe » : Schatzman est par exemple invité par Lyman Spitzer à Princeton après sept mois de séjour à Copenhague (il y reste de septembre 1948 à juin 1949), Nozières obtient une prolongation d’un an de sa bourse pour soutenir un PhD, et fait un stage aux Bell Laboratories.
15Cela se passe parfois plus difficilement encore, ne serait-ce que pour des raisons de compétences linguistiques, qu’évoque Philippe Nozières : « quand je suis arrivé aux États-Unis, je lisais l’anglais couramment, mais je parlais zéro, je n’ai pas dit un mot pendant trois ou quatre mois ». Son cas est très loin d’être exceptionnel, comme le montre l’enquête réalisée par Vladimir Kourganoff pour le MNDS en 1958, qui révèle que seulement 26 % des 744 scientifiques ayant répondu parlent anglais, 59 % ne pouvent que le lire, 12 % parviennent seulement à le déchiffrer39. Au-delà de cette dimension, l’aventure peut être difficile, comme le montre le cas du chimiste Jacques Livage, ancien élève de l’École nationale supérieure de chimie de Paris (promotion 1957) : bénéficiant d’un poste d’assistant, mais rattaché à un laboratoire d’enseignement de l’ENSCP, sans patron réel et largement « laissé à lui-même », il entend partir en séjour postdoctoral pour « mettre un pied dans la recherche » après sa soutenance de doctorat ès sciences en 1966 ; étant déjà père de famille, il choisit d’aller apprendre une nouvelle technique au Laboratoire Clarendon, à Oxford, afin de pouvoir rentrer en France assez facilement ; pour ce faire, il doit prendre un congé sans solde vis-à-vis de l’enseignement supérieur, alors même que le laboratoire d’Oxford n’a pas de fonds à lui consacrer ; son séjour est ainsi avant tout financé par son activité de journaliste, qu’il pratique « au moins à mi-temps » depuis sa thèse (pour L’Usine nouvelle), et qui l’amène à faire des reportages toutes les semaines à Londres40, avant qu’une rencontre avec Jean Cantacuzène, alors adjoint d’Hubert Curien à la direction du CNRS, ne lui permette d’obtenir une bourse de cet organisme. Par comparaison, Michel Fontanille, devenu assistant la même année que Livage, ne peut partir une fois sa thèse soutenue, car contrairement à son collègue il est responsable de la gestion d’un laboratoire de recherche : « Je ne suis pas parti à l’étranger parce qu’à l’époque, on n’avait pas l’autorisation de partir. On ne pouvait pas s’absenter plus de quelques mois. J’étais responsable du labo, et donc je n’avais pas l’autorisation de partir »41.
16Ces deux cas contrastent avec un troisième exemple, pourtant lui aussi chimiste et assistant de faculté, recruté en 1961 : Patrick Geneste, qui travaille à l’École nationale supérieure de chimie de Montpellier dont il est ancien élève, part comme research associate à l’Université Northwestern en 1968, après sa thèse de doctorat obtenue en 1967 et avec une bourse Fulbright et une bourse de l’OTAN, ainsi qu’une recommandation du Lions Club et du Rotary Club, qui lui ouvrent les portes de la bonne société de Chicago42 ; ce succès comparatif s’explique sans doute en grande partie par la personnalité du directeur de thèse de Geneste, Gérard Lamaty, docteur en 1959, jeune maître de conférences lui-même passé par les États-Unis, et qui encourage fermement son départ. En cela, il contraste avec les exigences du grand patron parisien qu’est Georges Champetier, et avec l’isolement subi par Jacques Livage. Mais même lorsque le départ s’avère possible, rien ne garantit que le séjour soit enchanté, comme le montre le témoignage de Françoise Plénat, chimiste du même institut que Patrick Geneste, mais chercheuse au CNRS et docteur ès sciences en 1961, partie après sa thèse en stage dans le laboratoire d’Arne Fredga, au Kemikum de l’université d’Uppsala, en Suède, et qui s’y trouve assez isolée malgré des conditions de travail plutôt confortables :
Par manque de place, on m’avait attribué une paillasse dans un laboratoire de [travaux pratiques], je n’ai donc pas trouvé au quotidien l’atmosphère d’un laboratoire de recherche ; bien sûr, je pouvais sans problème me déplacer à l’autre bout du bâtiment pour trouver les chercheurs, mais, comme il fallait que je surveille les réactions que je faisais…
La bibliothèque scientifique m’a paru bien « achalandée ». Ce qui m’avait frappée, c’est que les chercheurs travaillaient dans des petites pièces : 2-3 personnes maximum (à Montpellier, mon laboratoire de recherche abritait entre 15 et 20 personnes dans une immense pièce). À mon grand étonnement, les paillasses étaient en bois noir ! ignifugé, je suppose… […] Le nombre de hottes me paraissait paradisiaque ! En gros, une par chercheur ! (chez nous, beaucoup moins). […] Bref, un certain confort à la suédoise. […] Quant au fonctionnement pratique du laboratoire, je le qualifierai de « à l’allemande » : le circuit pour obtenir matériel et produit était très hiérarchisé et codifié ; quand le matériel n’était pas en réserve, il fallait tout simplement attendre qu’il soit commandé et qu’il prenne le temps d’arriver : la débrouille française que je pratiquais (bricoler un bidule pour que cela marche, afin de ne pas perdre de temps) était un fort sujet d’étonnement : on disait « tiens, c’est bien ça ! », mais on n’imitait surtout pas !43
17Ces difficultés d’ajustement peuvent être provoquées non seulement par des organisations pratiques différentes, qui perturbent la pratique du métier dans sa dimension d’habitude incorporée44, mais aussi par des façons d’être au laboratoire différentes, des habitus au travail distincts. Cette difficulté peut jouer dans plusieurs sens : Françoise Plénat, habituée à un travail de laboratoire relativement collectif, est étonnée par un mode de travail plus individuel ; en revanche, le biochimiste Pierre Desnuelle, formé dans un dispositif individualiste au sein du laboratoire de Claude Fromageot, suscite des inimitiés à Cambridge, Birmingham et Liverpool par son comportement inadapté aux normes sociales de ces laboratoires, ce que confie Jean Roche à Gerard Pomerat :
[Jean Roche] explique que [Pierre Desnuelle] est en Angleterre, financé par le CNRS. Il ajoute que Desnuelle a contrarié un certain nombre de travailleurs anglais par son comportement brusque et par son manque de petites courtoisies.45
18Malgré ces difficultés, ces incertitudes et ces inégalités, les conséquences de ces circulations sont importantes, et plus larges que les trajectoires individuelles : Évry Schatzman par exemple revient en France avec de nouvelles pratiques, en l’occurrence celle du séminaire hebdomadaire46, qu’il rencontre à Princeton et qu’il acclimate à l’astronomie française, à l’Institut d’astrophysique en particulier, à partir de 1949 ; Jacques Livage réussit son pari, intègre le laboratoire de recherche de Robert Collongues et y implante la résonance paramagnétique électronique, technique proche de la résonance magnétique nucléaire, mais jusque-là non développée en France ; Patrick Geneste, de même, installe la catalyse hétérogène apprise à Chicago dans les laboratoires de Montpellier. Ce caractère aléatoire, tâtonnant, mais source de novations pratiques, et de profits symboliques importants en cas de succès, caractéristique d’une ère de pionniers que l’on peut dater en physique de 1945 à 1951, autorisée par le consensus des physiciens de la génération de 1900 – les chimistes étant concernés avec un temps de retard certain, et surtout avec des variations territoriales importantes –, pose rapidement la question de la normalisation, et de la routinisation : quels types de dispositifs mettre en place pour assurer efficacement la réinsertion des laboratoires et des scientifiques français dans le champ scientifique mondial ?
19A priori, le constat de la nécessité d’un rattrapage de la science française et l’idée que ce rattrapage ne peut que passer par le renforcement du dialogue avec les scientifiques étrangers sont donc largement partagés. Mais les coûts des échanges internationaux sont élevés, en particulier dans un contexte de contrôle des changes renforcé : entre 1939 et 1967, les opérations de change sont limitées aux seuls opérateurs agréés par le ministère des Finances, et celui-ci s’avère systématiquement réticent aux dépenses d’ordre scientifique, perçues comme des pertes sèches de devises. Cela rend par exemple durablement difficile l’achat de revues scientifiques, spécialement en dollars, monnaie très demandée : en mai 1948, l’éditorial d’Atomes dénonce le refus du ministère des Finances de considérer les publications scientifiques comme « produits d’importation essentiels », c’est-à-dire achetables au cours officiel du dollar, bien plus favorable que le cours du marché47 ; les variations subites de la valeur du franc, comme la dévaluation de 1950, par exemple, posent dans ce contexte beaucoup de difficultés aux services de documentation. Il est en outre exceptionnel que l’administration accepte qu’une rémunération soit versée à un agent, qu’il soit fonctionnaire de faculté ou allocataire du CNRS, engagé dans un séjour long à l’étranger.
20Conjonction de cette bonne volonté et de ces contraintes gestionnaires, les institutions cherchant à soutenir l’internationalisation des sciences se multiplient, mais leur engagement s’avère souvent éphémère, et ce d’autant plus que les efforts sont dispersés, et parfois contradictoires. Dans un inventaire à la Prévert, on peut citer : les facultés des sciences, au travers de quelques bourses liées à des legs comme les bourses Hélène Nathan ou Walter Zellidja pour la Sorbonne48, la direction des affaires culturelles du ministère des Affaires étrangères, les institutions de recherche comme le CNRS ou le CEA, les fondations privées états-uniennes comme la Fondation Rockefeller, à partir de 1958 des structures comme la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST), mais aussi l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), diverses entreprises qui peuvent trouver là un moyen de soutenir un laboratoire à qui elles sont liées, ou bien encore des associations comme l’Association française des femmes diplômées des universités, et même le Rotary Club.
21L’un des meilleurs exemples de ces contradictions et de ces difficultés est sans doute l’action du CNRS, qui met dès 1946 en place une série de dispositifs visant à (re)lancer l’insertion des scientifiques français dans les réseaux de la science internationale. Le mieux connu de ces dispositifs est celui, étudié en particulier par Doris Zallen et John Krige49, mis en place par le CNRS à partir de 1946, grâce à l’aide d’un grant de 100 000 $ de la Fondation Rockefeller : ces fonds permettent d’organiser une série de colloques, internationaux, sur des sujets précis et en comité restreint, visant à mettre efficacement au courant les principaux scientifiques français des avancées scientifiques réalisées pendant la guerre ; ils s’adjoignent aux 250 000 $ d’equipment grant, destinés à contribuer au rééquipement des laboratoires en matériel de pointe, versés à une vingtaine de laboratoires parmi les plus centraux, comme ceux des Joliot-Curie et de l’École normale supérieure, le Laboratoire des recherches physiques de la Sorbonne, ou les laboratoires de Bellevue. Ces deux grants s’intègrent dans le programme global de 6 millions de dollars consacré par la Fondation Rockefeller à la reconstruction de la recherche européenne après 194550.
22Le centre dispose de ce fonds en dollars pendant dix ans, et il est principalement capté par les sciences physiques : sur 55 colloques organisés, 27 le sont par des physiciens ou des chimistes. Reprenant le modèle antérieur des congrès mondiaux, né dans le dernier tiers du xixe siècle, et plus précisément les pratiques élitistes des réunions internationales au sommet, du type des conseils Solvay51, ces colloques sont à l’origine pensés comme devant être en petit comité, et donc sélectifs : les textes d’organisation prévoient par exemple de distinguer les « assistants », ayant reçu de l’organisateur une carte d’invitation individuelle, et qui peuvent demander la parole au président pendant la séance, des « auditeurs », « jeunes chercheurs et étudiants déjà spécialisés [qui] peuvent être engagés à entendre les conférences ; mais, au cas où ils souhaiteraient demander la parole, ils devraient en parler au président avant la conférence, ce dernier se réservant de la donner suivant les possibilités »52. Un affichage public annonçant la conférence est ainsi déconseillé : on considère qu’elles sont « avantageusement remplacées » par des cartons d’invitation personnels. Mais face à la multiplication des demandes, les jeunes scientifiques sont autorisés à assister au débat assez systématiquement. Le succès est en effet impressionnant, et ce dès la première conférence, sur l’optique, en octobre 1946 : alors que les organisateurs avaient invité neuf Français et six étrangers, pour vingt communications, la salle accueille jusqu’à 360 physiciens, de 27 pays différents – à l’exclusion manifeste de l’Autriche, de l’Allemagne et du Japon.
23Le CNRS est toutefois conscient de l’insuffisance de ce système de conférences, qui permet certes de combler le retard accumulé en matière de connaissances faites, stabilisées, mais est beaucoup moins efficace dès lors qu’il s’agit de faire circuler de nouvelles pratiques, de nouveaux moyens de produire ces connaissances. Le centre se dote dès lors avril 1946 d’une « commission des relations à l’étranger », présidée par le biologiste Émile Terroine, afin de gérer et de distribuer les fonds des grants de la Fondation Rockefeller, mais surtout d’établir une politique générale de l’organisme sur ce sujet. Ses premiers membres sont tous d’anciens fellows de la Fondation Rockefeller, et reflètent donc le tropisme de celle-ci vers les sciences de la vie : outre Terroine, on y trouve Louis Rapkine, René Wurmser, Jean Roche et Maurice Lemoigne. En décembre 1946, la commission s’adjoint des représentants des autres disciplines, pour constituer un comité permanent, centralisant les travaux de sous-commissions disciplinaires : pour les sciences physiques sont cooptés les physiciens Alfred Kastler et Jean Coulomb, le physico-chimiste Edmond Bauer, les chimistes René Audubert et Paul Laffitte. La première réunion, entre anciens fellows, pose l’idée d’une sélection sévère du soutien accordé pour un séjour à l’étranger :
M. Wurmser insiste sur le fait qu’il ne faut envoyer à l’étranger que des gens déjà formés, il est hostile à l’idée d’envoyer de trop jeunes travailleurs. L’expérience montre que les jeunes n’apprennent que des techniques et sont ensuite très longs à apprendre une individualité, et de plus, la France qui a déjà assez peu de travailleurs ne doit pas se séparer des jeunes éléments. En conclusion, il propose d’envoyer à l’étranger des gens ayant déjà un passé scientifique bien établi.
M. Rapkine est d’accord sur le fait qu’il ne faut pas envoyer de tout jeunes, mais il faudrait cependant que l’on envisage des catégories intermédiaires entre les jeunes et les patrons des laboratoires. Il pense qu’il serait profitable à certains travailleurs déjà orientés vers une question d’aller compléter son éducation dans un laboratoire étranger travaillant sur les mêmes questions. […]
Il ressort de cette discussion que si l’on envoie des jeunes pour des disciplines à développer en France, il leur serait assez difficile, à leur retour en France, de pouvoir travailler profitablement, faute de direction. Cependant, s’il existe quelques chercheurs susceptibles de devenir de futurs chefs de laboratoire et de pouvoir créer ainsi en France de nouvelles disciplines, il faudrait alors encourager pleinement leur effort.53
24Le CNRS reprend donc, et généralise, la politique qui était celle de la Fondation Rockefeller dans l’entre-deux-guerres : d’une part, il faut que les bénéficiaires soient déjà détectés et recommandés comme étant de futurs patrons probables ; mais d’autre part il est préférable d’envoyer des scientifiques qui ne soient pas encore docteurs, puisque l’obtention d’un poste autorisant le travail autonome nécessite de pratiquer de véritables campagnes électorales, ce qui impose quasiment la présence sur place, ou le soutien indéfectible d’un patron très influent. Puisqu’il est donc préférable que la mobilité ait lieu avant la soutenance, il n’existe aucun dispositif uniforme sur lequel s’appuyer comme mécanisme de tri et de hiérarchisation des candidats à l’internationalité. Aucune solution de continuité entre la licence et le doctorat n’existe qui permette d’assurer une comparabilité minimale des candidatures. En conséquence, la sélection opérée par la commission se fait moins sur des critères que l’on pourrait qualifier de purement scientifiques que sur l’efficacité de l’insertion des prétendants dans les réseaux qui font et défont la vie académique – qui, il est vrai, laissent sans doute plus efficacement présager du futur patron que les mentions obtenues aux certificats de licence.
25J’en prendrai un seul exemple. Lorsqu’en 1948, il s’agit d’envoyer deux jeunes chercheurs au Royaume-Uni, quatre candidats sont présélectionnés par la commission, parmi onze, avant envoi de leurs dossiers au British Council : Anatole Abragam, physicien théoricien de 34 ans, ingénieur au CEA, qui souhaite partir à Oxford, avec la bénédiction de Francis Perrin et Lew Kowarski ; Claude Marty, physicien nucléaire de 26 ans, attaché de recherche CNRS travaillant au Laboratoire de chimie nucléaire du Collège de France dirigé par Frédéric Joliot, qui espère aller à Manchester ; Guy Ourisson, 22 ans, élève chimiste de l’ENS qui candidate pour un séjour à Cambridge, soutenu par Georges Dupont ; Bernard d’Espagnat, polytechnicien d’alors 27 ans, devenu attaché de recherche au CNRS où il fait de la physique théorique dans l’orbite de Louis de Broglie, et qui désire lui aussi partir pour Manchester54. Tous parlent anglais, tous ont déjà publié quelques notes aux Comptes rendus de l’Académie des sciences, mais aucun n’a encore soutenu de thèse ; deux d’entre eux sont issus d’institutions dominant le champ des grandes écoles, l’École polytechnique et l’École normale supérieure, les deux autres ont avant tout fréquenté la faculté des sciences. Or ces candidatures sont envoyées par la commission déjà classées, classement qui met en valeur Anatole Abragam et Claude Marty : indépendamment de ce que l’on peut savoir des carrières ultérieures de ces quatre hommes, ce qui, en dernière instance, a tranché entre les candidatures, ce n’est pas l’appartenance à telle ou telle école, ou même l’obtention des meilleures notes en licence, mais l’âge d’une part, et surtout la recommandation par les scientifiques les plus influents – résistants manifestes et amis personnels de Terroine. De fait, en réponse à la lettre de recommandation écrite par Frédéric Joliot pour Claude Marty, Terroine répond :
Mon cher ami,
Au moment où je reçois votre lettre au sujet de M. Marty, il se trouve que la question de l’intéressé est déjà réglée, la commission compétente s’étant réunie dans la matinée du 6 juin. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’il suffisait des quelques mots que vous aviez ajoutés à sa demande pour que cette commission soit suffisamment éclairée.
M. Marty a donc été parmi les candidats à une bourse d’échange du British Council un de ceux que la commission a retenus. J’ajoute, à titre confidentiel, qu’elle l’a classé avec le numéro 2. […]
Je puis vous dire qu’en transmettant les dossiers au British Council j’ai insisté sur le fait que les deux premiers du classement présentaient une supériorité marquée sur les deux suivants.55
26Ce poids des fidélités personnelles est ainsi renforcé par les liens d’interconnaissance, dans un milieu scientifique de taille restreinte, mais aussi par les contraintes financières : sur ses fonds propres, le CNRS ne parvient guère à envoyer plus d’une quinzaine de chercheurs par an à l’étranger – dont le tiers en sciences physiques –, pour le double de demandes, favorisant la plupart du temps les séjours courts, d’un à deux mois. La commission se voit ainsi obligée de refuser, en avril 1947, un séjour de neuf mois aux États-Unis demandé par Moïse Haïssinsky56, maître de recherche à l’Institut du radium – il n’y a que 21 chimistes de ce grade au CNRS à cette date, et aucun directeur de recherche. De même, elle doit avouer son impuissance à aider le physicien Jean Brossel, pourtant le bras droit d’Alfred Kastler57, invité en 1947 par Francis Bitter au Massachusetts Institute of Technology après avoir passé deux ans à Manchester ; la Fondation Rockefeller refusant elle aussi son aide, Brossel est sauvé par un poste de research associate créé in extremis par le MIT.
27Pour limiter les coûts, le CNRS tend à partir de 1947 à se rabattre sur un système d’échanges bilatéral de « mois-chercheurs », avec d’autres pays disposant d’institutions comparables, ce qui a l’immense avantage de ne pas impliquer de sorties de devises : un accord est rapidement passé avec la Belgique, le Royaume-Uni, puis l’Italie. Mais un tel contrat est difficile à passer avec le pays qui attire la majorité des candidats, les États-Unis, comme le souligne Alfred Kastler :
À l’heure où le CNRS est en train de conclure des accords avec la Belgique et l’Angleterre pour faciliter l’échange de jeunes chercheurs en évitant des dépenses en devises étrangères, je me permets d’attirer votre attention sur l’intérêt qu’il y aurait à amorcer une politique d’échange avec les universités américaines.
En ce qui concerne les sciences expérimentales en particulier, c’est des États-Unis que nous avons le plus à apprendre pour acquérir des techniques nouvelles, mais les missions accordées pour séjour aux États-Unis pèsent lourdement sur notre budget et il est à prévoir qu’elles seront bientôt complètement bloquées par notre pénurie en dollars. […]
Le problème est délicat, car étant donné l’autonomie des universités américaines il est nécessaire de mener des négociations avec chacune des universités américaines.58
28La solution ne vient finalement pas du CNRS, mais des États-Unis : ceux-ci s’avèrent très enclins à intervenir dans le monde scientifique européen, cette intervention étant conçue, selon John Krige, comme un moyen d’établir une hégémonie et, dans une logique de guerre froide, d’assurer l’« américanisation » des élites scientifiques européennes59. C’est ce projet que matérialise en particulier le programme Fulbright, qui permet de banaliser le stage aux États-Unis. Quant à elle, la commission des relations avec l’étranger du CNRS disparaît en 1950, lors de la réorganisation interne supprimant presque toutes les commissions internes : la question des relations internationales de l’institution est désormais gérée par un bureau administratif, et les demandes évaluées par les commissions du Comité national de la recherche scientifique, en même temps que les recrutements et les promotions, avant que la direction générale ne tranche60. Le CNRS, comme beaucoup d’autres acteurs, fait ainsi le choix d’une bureaucratisation, d’une routinisation, et d’une normalisation de ses relations internationales : celles-ci ne sont plus dépendantes d’un dictateur débonnaire comme Émile Terroine, mais intégrées au fonctionnement normal de l’institution. Tout laisse à penser que l’effet de distinction, de marqueur de qualité, du séjour à l’étranger est dès lors d’autant plus efficace, puisque l’accès à une telle ressource est ainsi rationalisé.
Swords to plowshares
29Puisque l’internationalité devient une marque de distinction, un label de compétence scientifique, il s’avère nécessaire d’en organiser la banalisation, la routinisation, par le biais d’institutions spécifiques. À partir de la suppression de la commission des relations avec l’étranger du CNRS, la circulation physique des chercheurs scientifiques se fait majoritairement par le biais de programmes d’échanges bilatéraux dont le plus important, quantitativement au moins, est le programme Fulbright : Haynes B. Johnson et Bernard Gwertzman, dans leur ouvrage de 1968, Fulbright: the Dissenter, en parlent comme de la « plus grande et de la plus significative circulation de savants depuis la chute de Constantinople en 1453 »61. Son développement est de fait explosif, puisque si le programme compte 84 participants en 1948, première année de fonctionnement, il dépasse les 4 000 en 1951, pour se stabiliser autour des 6 000 dans les années 1950 et 196062 ; globalement, le nombre de bénéficiaires de ce programme relevant des sciences et technologies passe de 18 à 27 % de 1952 à 1960 (soit de 1 235 sur 6 701 à 1 836 sur 6 917)63 ; un tel succès l’institue comme modèle, par exemple lorsque l’OTAN établit en juillet 1955 son propre programme de circulation d’étudiants, chercheurs et professeurs64. Ce cas permet de mettre en valeur les difficultés pratiques fortes qui façonnent l’internationalisation du savoir, et les spécificités des dispositifs de tri et de hiérarchisation mis en œuvre pour assurer une internationalisation de la vie et de la pratique scientifique65, la France étant l’un des tout premiers pays impliqués – l’accord bilatéral est signé le 22 octobre 1948, un mois après le Royaume-Uni, quatre ans avant l’Allemagne. La somme plafond prévue lui est allouée, ce qui signifie que pendant les vingt années qui suivent, l’équivalent en francs d’un million de dollars est ainsi consacré, tous les ans, par les États-Unis, à leurs échanges avec la France66.
30Le Fulbright Act est signé dès le 1er août 1946, à l’initiative du sénateur de l’Arkansas William J. Fulbright, ancien Rhodes scholar à l’université d’Oxford et président de l’université de l’Arkansas67. Proposé comme un amendement du Surplus Property Act de 1944, son but premier est d’autoriser l’usage par le département d’État des devises étrangères acquises par les États-Unis par la vente à l’étranger de leur surplus militaire, pour financer des échanges culturels et éducatifs, organisés par le biais d’accords bilatéraux68. Face au Congrès, l’objectif affiché par Fulbright est avant tout diplomatique : l’idée est qu’une meilleure connaissance mutuelle entre les peuples est un facteur indispensable à la paix mondiale et au commerce, et que le fait de voir des « real Americans » amènera naturellement les populations des autres pays, et leurs élites en particulier, vers l’américanophilie ; la question du progrès scientifique n’est pas même évoquée par le sénateur dans le discours de présentation de son bill, encore moins l’idée d’un brain drain, qui affaiblirait précisément l’objectif diplomatique du programme69. Ce n’est pas un oubli, et Fulbright avance même que si « des standards académiques élevés sont importants […], le but du programme n’est pas l’avancement des sciences ou le progrès de la connaissance. Il s’agit de sous-produits d’un programme dont le but principal est la compréhension internationale »70. Le succès du bill, et sa transformation en act, est lié d’une part à cette stratégie rhétorique, mais aussi au fait qu’il n’implique aucun financement en dollars, et ne coûte donc directement rien au taxpayer, jusqu’au Fulbright-Hays Act de 196171 : le programme fédéral ainsi créé ne peut accorder de bourses et de financements qu’en devises étrangères, les possibilités offertes par la vente de surplus militaire étant complétées à partir de 1952 par les devises issues de la coopération économique ou de la sécurité mutuelle72 ; en conséquence, le programme ne peut accorder que des travel grants à ses bénéficiaires étrangers, leurs moyens de subsistance devant venir d’ailleurs – en revanche, les boursiers états-uniens sont financés intégralement.
31Pour utiliser ces fonds, le Council for International Exchange of Scholars (CIES), nom officiel du programme Fulbright, se trouve à la tête d’une organisation complexe, contrôlée de loin par le département d’État. Tout d’abord, en fonction des fonds disponibles, le nombre de bourses, et leur répartition en catégories – étudiants, research scholars, visiting lecturers –, est fixé unilatéralement, par pays, par le Board of Foreign Scholarship (BFS), composé de dix personnes nommées par le président des États-Unis. Ce comité cherche officiellement l’équilibre et la représentativité, mais le nombre de bourses peut varier en fonction de la température des relations entretenues entre les pays, ou des turbulences politiques internes aux États-Unis : en 1965 par exemple, Lyndon B. Johnson fait payer à Fulbright son opposition à la guerre au Vietnam en comprimant le budget du programme qui porte son nom, subitement forcé de passer de 6 000 à 2 000 grants par an73. La sélection des candidats se fait ensuite par un système de filtres successifs : le candidat étranger remplit un dossier, qui est évalué par des commissions bilatérales locales, autonomes74, comprenant des diplomates états-uniens, des représentants du ministère local des Affaires étrangères, et des experts nommés par les deux gouvernements, le plus souvent universitaires. Ces commissions opèrent une première sélection et organisent des auditions, classant les candidats en fonction de leur dossier scolaire, compétences en anglais, sérieux du projet, caractère et personnalité, et connaissance de la culture française75. Les candidatures retenues sont ensuite envoyées à l’ambassade des États-Unis, qui les transmet à l’Institute of International Education (IIE), pour les étudiants, ou au Conference Board of Associated Research Council (CBARC)76, pour les scholars, institutions chargées du placement des candidats auprès des collèges et universités.
32C’est donc le programme lui-même, par le truchement d’un impressionnant système bureaucratique, qui répartit les candidatures entre les différents fellowships et grants possibles aux États-Unis : au moment de soumettre leur dossier, les impétrants ne savent fréquemment pas à quoi ils candidatent précisément, en particulier s’ils sont étudiants. Pour être « fulbrighter », il faut donc franchir quatre étapes : être présenté par l’institution à laquelle on est rattaché, les commissions binationales demandant fréquemment à ce qu’une sélection soit opérée en amont parmi les candidatures qui leur sont soumises ; être sélectionné par les commissions du programme lui-même ; être accepté par la ou les institutions vers laquelle ou lesquelles on a été aiguillé, d’une part par l’institution universitaire d’accueil, et d’autre part par l’institution de financement, qui peut être le même organisme, mais aussi une fondation, ou même l’État d’origine – en particulier, en France, la direction des relations culturelles ; puis, enfin, être validé en dernière instance par le BFS. La sélectivité est donc très élevée, dès l’origine : en 1949, à la suite d’une tournée des 17 universités françaises77 faite par Leslie S. Brady, attaché culturel et président de la commission franco-américaine, et Gaston Berger, qui est alors son secrétaire général78, la commission reçoit plus de 1 000 candidatures préliminaires ; 452 candidats sont invités à soumettre une candidature complète, 342 sont auditionnés, et finalement 116 traversent l’Atlantique. Le nombre de candidatures diminue quelque peu dans les années qui suivent, se stabilisant autour de 800 par an dans les années 1950 ; en termes d’admissions, le BFS institue un quota de 220 bénéficiaires étudiants et 40 universitaires pour la France, qui est atteint dès 1951. Les étudiants retenus sont en grande majorité engagés dans des études littéraires, et spécifiquement anglicistes, mais les sciences expérimentales restent de manière générale bien représentées, grâce à la présence continue au sein de la commission d’Émile Terroine, puis de l’influent chimiste Georges Champetier et du physicien Maurice Bayen, longtemps directeur de l’Office national des universités et écoles françaises : en 1952-1953, 42 étudiants sur 216 relèvent de ces disciplines, et 83 sur 203 en 1958-1959 ; au niveau des research scholars, cette proportion atteint 12 sur 32 en 1952-1953, 11 sur 47 en 1958-195979. Il n’est dès lors guère étonnant que, par cette sélection même, indépendamment de tout profit tiré du séjour lui-même, l’obtention d’une bourse Fulbright puisse constituer un élément de distinction dans la compétition académique.
33Les précisions manquent pour les étudiants, mais à partir de 1950, le programme diffuse annuellement, dans les universités états-uniennes, une liste des research scholars accueillis par son intermédiaire80, afin de favoriser la circulation de ces scientifiques à l’intérieur du pays. Chacun d’entre eux est classé selon qu’il est aux États-Unis pour faire de la recherche, pour prononcer des conférences, ou les deux. À partir de ces documents, on peut étudier la population des 125 research scholars classés en physics, chemistry, engineering et astronomy partis entre 1950 et 1966, ce qui représente 6,1 % du total des research scholars de ces disciplines. La France se trouve donc au cinquième rang, derrière le Royaume-Uni (511), le Japon (406), l’Allemagne (182), l’Italie (159), ce qui apparaît plus qu’honorable : ces trois derniers pays disposent mécaniquement d’un nombre plus important de bourses, en cohérence avec les objectifs diplomatiques du programme – et parce que, de fait, les forces armées des États-Unis y sont plus présentes, donc que les surplus vendables pour financer le programme y sont plus importants. Les sciences physiques se trouvent ainsi sans doute surreprésentées dans les échanges franco-états-uniens, par comparaison aux autres disciplines, puisque la France est au septième rang des research scholars, tous secteurs confondus, sur la période 1954-196281.
34Au-delà des variations multiples, liées aux aléas de la diplomatie, des finances, et des rapports de force entre disciplines au sein de la commission bilatérale, on remarque une prédominance assez constante des chercheurs les plus jeunes en train de préparer leur thèse ou venant tout juste de la soutenir, comme assistants ou, plus souvent, dans les trois quarts des cas, comme attachés de recherche au CNRS, et pour qui le programme Fulbright tient, en quelque sorte, lieu de stage postdoctoral : 81 research scholars sur 125 relèvent de ces catégories. Dans cette optique, leurs séjours sont entièrement dédiés à la recherche, et d’une durée moyenne de douze mois, moyenne en augmentation constante au long de la période. On retrouve ici, globalement, la politique des futurs patrons adoptée par le CNRS : on peut prendre l’exemple de Michel Soutif, chef de travaux à l’ENS, docteur ès sciences en décembre 1950, qui passe six mois à Stanford et Harvard en 1951-1952, en sachant qu’à son retour Louis Néel, une maîtrise de conférences, et la direction d’un groupe de recherche, l’attendent à Grenoble pour développer l’étude des résonances magnétiques82 ; c’est aussi le cas de la Grenobloise Geneviève Comte-Bellot, spécialiste de mécanique des fluides, docteure en 1963, qui passe deux ans à l’université Johns Hopkins en 1963-196583, nommée à la tête d’un laboratoire à l’École centrale de Lyon à peine revenue.
35Parallèlement à la structure des emplois, les scientifiques de rang professoral engagés dans le programme Fulbright sont moins nombreux, nettement plus souvent universitaires – les professeurs sont ainsi huit fois plus nombreux que les directeurs de recherche – et, dans la lignée des pratiques héritées, beaucoup plus souvent présents pour prononcer des conférences : 18 professeurs, maîtres de conférences, ou assimilé, sur 44, ne déclarent pas vouloir faire de recherche à l’occasion de leur séjour ; en conséquence, ils restent moins longtemps, neuf mois en moyenne pour les maîtres de conférences, six mois pour les professeurs. Il ne s’agit cependant pas de célébrités, tout du moins pas au moment de leur voyage financé par le programme Fulbright, mais bien plutôt de directeurs de laboratoires encore en voie d’installation ou de réorganisation, surtout physiciens, qui cherchent à faire connaître leurs travaux à l’échelle internationale : c’est le cas, par exemple, de Pierre Jacquinot, devenu professeur à la faculté des sciences de Paris et directeur du Laboratoire du grand électro-aimant de Bellevue en 1951, qui en 1953, après un mois au MIT consacré à un travail expérimental – et à l’amélioration de son anglais –, visite pas moins de quatorze universités en trois mois84.
36Enfin, cette circulation de chercheurs français vers les États-Unis, si elle concerne seulement une fraction d’entre eux, sursélectionnée, n’implique pas non plus de manière égale tous les établissements universitaires états-uniens. Quelle que soit la discipline, seule une fraction très restreinte d’entre eux reçoit en effet des étrangers : sur les 2 400 collèges et universités que comptent les États-Unis en 1951-1952, 25 institutions accueillent à elles seules 39,5 % des étudiants étrangers, et 1 354 signalent en accueillir au moins un85. Cette distribution parétienne, qui se retrouve à l’échelle des physiciens et chimistes français, amène à relativiser les discours enchantés, confinant à la légende dorée, développés par ces derniers à leur retour : la population des 125 research scholars, qui correspond à un total de 130 visites, se répartit entre 43 établissements, et en particulier sur l’université de Californie à Berkeley (13 visites), le Massachusetts Institute of Technology (12), le California Institute of Technology (9), l’université Harvard (8), le National Bureau of Standards (6), l’université d’État de Pennsylvanie, l’université de l’Illinois et Johns Hopkins, et l’Institute for Advanded Study de Princeton (5 chacun), enfin les universités Yale, de Rochester, et Chicago (4 chacun). 80 visiteurs sur 125 se concentrent ainsi sur onze institutions, au sommet de la pyramide, parmi les plus puissantes et les plus fortement investies dans la recherche.
37Qu’en est-il de la circulation en sens inverse, des États-Unis vers la France ? De manière générale, toutes disciplines confondues, les échanges sont équilibrés, compte tenu de la taille respective des populations, comme le souligne Whitney Walton : entre 1956 et 1970, le nombre de citoyens des États-Unis étudiant en France passe de 1 252 à 6 219, alors que le nombre de Français voyageant en sens inverse passe de 615 à 1 994, la population états-unienne étant grosso modo quatre fois supérieure à celle de l’Hexagone86. Cet équilibre est le fruit d’une volonté stratégique claire, ne se justifiant pas par le financement : concrètement, l’envoi d’un research scholar en France coûte au programme, au début des années 1950, entre 7 750 $, alors que son homologue en partance pour les États-Unis lui coûte 700 $ environ, la rémunération n’étant pas de sa responsabilité87. Si, parmi les fulbrighters états-uniens étudiants, les littéraires restent absolument hégémoniques, au regret des instances du programme88, ce n’est pas le cas au niveau des research scholars et visiting lecturers : la seule discipline pour laquelle des chiffres précis sont disponibles, la chimie, montre que la France est un pays attractif pour cette discipline, avec 22 fulbrighters entre 1949 et 1955, au deuxième rang derrière le Royaume-Uni (48) et devant les Pays-Bas (20), avant que l’accord bilatéral avec l’Allemagne, très haut lieu de la chimie mondiale, ne soit passé89 ; entre 1951 et 1966, 111 praticiens des sciences physiques en poste aux États-Unis viennent travailler en France temporairement, en majorité à Paris (61), Grenoble (24)90 et Nancy (9). Leur sélection est opérée par le BFS et, de manière générale, en réponse à des demandes, nominatives ou non, exprimées par les institutions françaises. Alors que le programme estime dès 1952 que « pratiquement tous les types de travail de recherche peuvent être réalisés à Paris, dans de très bonnes conditions »91, les difficultés sont nombreuses, pas tant pour les research scholars que pour les visiting lecturers, parce que la structure même des facultés pose des questions d’insertion des professeurs étrangers, beaucoup plus faciles à résoudre à l’échelle du laboratoire : Walter Adams, envoyé un mois en France en 1962 pour évaluer le développement des American studies, explique ainsi que « comme l’a observé un fulbrighter – ne plaisantant qu’à moitié –, “il est plus difficile d’intégrer un professeur américain dans une université française que de faire entrer un nègre à l’université d’Alabama” »92. Le choc culturel est en effet important, et sans doute plus difficile à supporter que dans l’autre sens : en l’absence de vie de campus, le professeur états-unien se sent souvent exclu des aspects communautaires de l’université. Comme le décrit Adams, « il s’attend à être accueilli par une communauté qui n’existe pas »93. Il est en outre difficile, voire impossible, de l’intégrer dans les curricula des certificats de licence, ce qui diminue directement l’affluence des étudiants à ses cours94. La grille de salaires proposée par le programme est enfin considérée comme peu attractive, alors même que les senior lecturers perçoivent une rémunération de 25 % supérieure à celle des professeurs de la Sorbonne.
38Malgré ces difficultés, la venue de professeurs états-uniens est capable de constituer un levier important de développement scientifique en France, pour peu qu’elle soit intégrée dans un programme à moyen terme, en particulier parce que les organisateurs du programme se rendent compte que la vie de laboratoire et ses sociabilités permettent de contrebalancer l’absence de vie de campus. Ils insistent en conséquence à loisir sur la nécessité du soutien aux sciences expérimentales, pour le succès des objectifs de diplomatie culturelle du programme :
L’expérience a montré que les contacts personnels entre les bénéficiaires des disciplines scientifiques et leurs collègues se sont développés plus vite et se sont peut-être montrés plus fructueux que ceux de leurs compagnons relevant des disciplines littéraires et de l’histoire. Dans tous les cas, il semble que les scientifiques ont été capables d’établir des relations avec leurs étudiants et parfois, à travers eux, avec des segments extra-universitaires de la population. Pour cette raison, la commission recommande une augmentation du nombre de professeurs et d’étudiants dans les disciplines scientifiques.95
39Le meilleur exemple en est le développement du génie chimique (chemical engineering), branche de la chimie qui étudie les procédures d’adaptation des découvertes en laboratoire à la production industrielle, constituée en discipline propre aux États-Unis, mais qui reste longtemps éparpillée entre les différentes parties de la chimie dans les curricula français96. À la toute fin des années 1940, sous l’impulsion de Pierre Donzelot, le développement de ce secteur est confié à Joseph Cathala, à Toulouse, avec l’Institut de génie chimique créé pour l’occasion en 1949, et à Maurice Letort, à Nancy, au sein de l’École nationale supérieure des industries chimiques (ENSIC). Dès l’année universitaire 1950-1951, deux professeurs sont invités, Barnett F. Dodge du MIT et Edgar L. Piret de l’université du Minnesota97, pour lancer l’activité de ces centres, à la satisfaction de tous :
En tout point de vue, leur visite a été un succès complet, à un degré tel que le ministre de l’Éducation nationale a personnellement soutenu la demande faite par le professeur Piret d’une prolongation de sa bourse […]. Il est très important de développer cette discipline, qui est d’ordre essentiellement pratique, et est directement et immédiatement utilisable. Son influence sur la hausse de la productivité en France est grande.98
40L’effet boule de neige est remarquable : en septembre 1952, quatre étudiants français recommandés par Cathala et Letort sont envoyés aux États-Unis, chez Piret, tandis que Carroll O. Bennett, de l’Université Purdue, vient enseigner à Nancy, passant quelques semaines à Toulouse et Paris – Georges Chaudron s’étant joint à ses deux collègues pour développer ce secteur –, et que Donald Mason, des Bell Laboratories, travaille sous la direction de Maurice Letort au laboratoire. En 1953-1954, l’un des quatre jeunes chimistes reste chez Piret une année supplémentaire, tout en étant rejoint par deux nouveaux camarades, tandis qu’Aaron Rose, de Washington University de Saint-Louis, vient enseigner à Nancy99 ; en 1954-1955, c’est Edgar Piret lui-même qui revient enseigner à Nancy. Le génie chimique est alors lancé, en particulier à Nancy, puisqu’une chaire spécifique y est créée en 1955, occupée par René Gibert, puis Pierre Le Goff. L’appui états-unien devient alors moins important, les visites se distendent, mais se maintiennent : en 1958-1959, Morton M. David, de l’université de Washington, vient comme visiting lecturer, suivi en 1960-1961 de Douglass J. Wilde (université de Californie) et en 1961-1962 de Thomas H. Chilton (ancien directeur de la recherche chimique chez DuPont). L’efficacité du procédé est tôt remarquée par certains collègues : à Nancy, dès 1952, Georges Goudet, directeur de l’École nationale d’électricité et de mécanique, réclame un professeur spécialiste de servomécanisme, et les mathématiciens de la faculté, repaire de bourbakistes, manifestent « leur faim de jeunes disciples américains »100 ; à Grenoble, l’École nationale supérieure d’électrochimie et d’électrométallurgie de Grenoble adopte la même stratégie l’année suivante101. De manière générale, si les physiciens tendent à favoriser l’envoi de leurs jeunes chercheurs à l’étranger, leurs invitations restant ponctuelles, les chimistes favorisent le recours aux visiting lecturers pour lancer de nouveaux programmes de recherche : l’Institut français du pétrole adopte ainsi le même type de programme que les promoteurs du génie chimique, de même que, dans une moindre mesure, Max Mousseron à Montpellier et Pierre Desnuelle à Marseille.
Les Houches, ou la physique au pied du Mont-Blanc
41Suivant les mêmes logiques de contournement que le programme Fulbright, et ayant pour vocation de mettre en contact direct scientifiques étrangers et jeunes chercheurs, l’École d’été de physique théorique des Houches102, en Haute-Savoie, est sans doute plus importante encore sur le long terme, car elle laisse une empreinte plus profonde sur ses participants. Cette institution est le fruit de l’action de Cécile Morette, physicienne théoricienne française au parcours particulièrement internationalisé : après une licence ès sciences obtenue à Caen en 1943103, puis un diplôme d’études supérieures réalisé à Paris sous la direction de Louis de Broglie en 1944, elle est recrutée par Frédéric Joliot, pour son Laboratoire de chimie nucléaire du Collège de France, en tant qu’attachée de recherche au CNRS, avec pour mission d’être la « théoricienne de service » (« house theorist »104) ; mais ses difficultés à comprendre les avancées récentes de la physique théorique, plus précisément les travaux de Niels Bohr et John A. Wheeler sur le mécanisme de la fission nucléaire, l’amènent à travailler de 1946 à 1947 avec Walter Heitler105, à l’Institut d’études avancées de Dublin, y réunissant la matière d’une thèse de doctorat ès sciences qu’elle revient soutenir à Paris en mars 1947, sous le patronage de Louis de Broglie. La même année, elle rejoint l’Institut de physique théorique de Copenhague, comme boursière de la Fondation Rask-Ørsted, auprès de Niels Bohr et Christian Møller, puis prend en 1948 un poste à l’Institute for Advanced Study de Princeton, invitée par Robert Oppenheimer. Au printemps 1950, la direction de l’enseignement supérieur entend tirer parti de ces expériences et propose de la nommer, à son retour, sur un poste de maître de conférences à la faculté des sciences de Nancy.
42Dans les semaines qui suivent cette proposition toutefois, à Princeton, de retour d’une excursion en canoë, le physicien états-unien Bryce DeWitt la demande en mariage. Elle accepte ce faisant : contrairement à la quasi-totalité de ses camarades, physiciens et chimistes français ayant une expérience précoce de l’étranger, Cécile Morette choisit de rester aux États-Unis. Le couple obtient un poste à Berkeley, après un an, financé par le programme Fulbright, passé au Tata Institute of Fundamental Research de Bombay106. Pour participer malgré tout à la reconstruction de la recherche en France, Cécile Morette conçoit un projet de cours d’été : l’idée est de sélectionner un petit nombre de professeurs et d’élèves français et étrangers et de les regrouper dans un endroit isolé, afin de maximiser les interactions personnelles. Ce projet est peut-être inspiré du stage d’été auquel elle a participé à Ann Arbor pendant l’été 1949, organisé par le département de physique de l’université du Michigan ; mais ces stages sont organisés autour d’un unique professeur par session, en l’occurrence Richard Feynman, et se déroulent dans les locaux d’une université, ce qui laisse à penser que le modèle principal a sans doute plutôt été l’intense activité de Guide de France développée par la jeune physicienne jusqu’à son départ en Irlande.
43S’engageant dans une campagne active au sein des bureaux parisiens pendant l’hiver 1950-1951, Cécile Morette obtient très rapidement le soutien de Pierre Auger, alors directeur de la division scientifique de l’Unesco, celui du directeur du CNRS Gaston Dupouy, du doyen de la faculté des sciences de Paris Albert Châtelet, du Fonds national de la recherche scientifique belge, mais surtout celui du successeur d’Auger à la direction de l’enseignement supérieur, Pierre Donzelot, pour organiser une école d’été de huit semaines – soutien le plus concret financièrement, avec un apport de 3,5 millions de francs en 1951, puis 4 millions annuels de 1952 à 1957107. Le programme rédigé par Cécile Morette au début de l’automne 1950 en fixe les objectifs :
L’enseignement de la physique théorique est, en général, insuffisant. Dans ces conditions, il serait bon de mettre, pendant d’été, à la disposition des étudiants et des jeunes chercheurs français et étrangers un enseignement de base leur permettant d’aborder les problèmes de la physique théorique moderne. Les cours, d’une durée de deux mois environ, seraient à la fois simples, modernes et intenses, avec un programme établi de manière à ce que les moins expérimentés puissent utilement suivre les cours et que les plus expérimentés s’intéressent à une présentation très nouvelle des problèmes qu’ils ne connaissent que partiellement. […]
La période d’été permet de profiter de la venue en France de professeurs étrangers qui accepteront d’apporter leur contribution à l’école, tout en bénéficiant d’un séjour dans une région pittoresque. D’autre part, elle permet de grouper des élèves disséminés et encore trop peu nombreux pour justifier la création de divers centres d’études.
L’expérience des écoles de ce genre aux États-Unis a montré tout leur intérêt et les services qu’elles rendent à la recherche. Une telle école en Europe contribuerait, en outre, sur le plan scientifique, à la coopération internationale et au prestige français.108
44Pour ce crash course d’un genre nouveau, Cécile Morette précise qu’elle a d’ores et déjà obtenu le soutien d’Enrico Fermi, prix Nobel de physique 1938, professeur à l’université de Chicago, de Robert Oppenheimer, directeur de l’Institute for Advanced Study de Princeton, de Julian Schwinger, professeur à Harvard, et de Victor Weisskopf, professeur au MIT.
45Reste à trouver un lieu. Dans un premier temps, Cécile Morette prospecte auprès des hôteliers ; elle cherche un temps à établir son école près de l’un des laboratoires de haute montagne, comme ceux consacrés aux rayons cosmiques à L’Argentière, à l’aiguille du Midi et au pic du Midi109. Les deux premiers de ces laboratoires sont en effet propriétés de l’École polytechnique : elle espère alors s’appuyer sur les équipes de Louis Leprince-Ringuet, auquel elle est liée. Toutefois, non seulement les coûts s’avèrent trop élevés, mais elle craint qu’un tel lieu n’assure pas toutes les opportunités de sociabilités souhaitées entre participants, tout en offrant trop de distractions et de sollicitations extérieures. Elle se voit proposer l’usage du lycée de Briançon110, mais finalement opte pour les chalets dont est propriétaire l’architecte Albert Laprade, le père d’Arlette, l’une de ses proches amies, connue aux Guides de France, qui accepte de les louer à bas prix. Le projet s’installe donc dans une vieille ferme isolée et rustique, entourée de « mazots », au sein d’une propriété de quarante hectares, à la Côte des Chavants – immédiatement surnommée Côte des Savants111 –, face à la chaîne du Mont-Blanc, à quatre kilomètres du village alpin des Houches (figure 10).
Figure 10. Discussions entre élèves lors de la première session de l’école des Houches

Source : AEPTH.
46L’opération est un succès, permettant une première session de la nouvelle École d’été de physique théorique des Houches dès l’été 1951, succès qui s’explique très largement par les dispositions et la position de Cécile Morette. Issue de la très haute bourgeoisie catholique, elle est en quelque sorte la fille adoptive du corps des mines, cumulant proximité à la science et appartenance aux classes dominantes de la haute fonction publique et de l’industrie, marquées par un fort élitisme, un patriotisme affirmé, et l’adhésion à des idéaux saint-simoniens : née le 21 décembre 1922 à Paris, dans les murs mêmes de l’École des mines où son père enseigne alors temporairement, Cécile est la fille d’André Morette, polytechnicien (de la promotion 1898), lui-même fils de polytechnicien, ingénieur en chef au corps des mines, spécialiste de métallurgie112, et de Marie-Louise Morette, née Ravaudet, licenciée ès sciences mathématiques (mais sans activité professionnelle), dont le père est ingénieur des travaux publics de l’État, et secrétaire de l’École des mines de Paris. Après le décès de son mari en 1931, la mère de la jeune Cécile épouse Maurice Payen, ingénieur civil des mines, qui succède à André à la direction de la Société métallurgique de Normandie ; restant dans le même milieu, ses deux fils, Jacques et François, deviendront inspecteurs des finances. L’épisode de la traversée de l’Atlantique de 1948, tel que raconté par Cécile Morette, permet de donner une idée de l’ambiance familiale et de la puissance du réseau du corps des mines :
Je suis venue en bateau, voyageant en première classe, mon beau-père ayant complété l’indemnité du CNRS. Il voulait être sûr de pouvoir choisir mes compagnons de voyage ; il est venu à bord pour choisir ma table. Il s’est avéré que c’était une table de pères dominicains, mais j’ai été malade la plupart du temps, et je les ai à peine rencontrés. Pour ce qui est de rencontrer de jeunes gens acceptables, il s’est arrangé pour que Bernard Grégory113, alors étudiant au MIT, destiné à devenir directeur général du CERN, s’occupe de moi. Ce qu’il a fait. Il est venu à Princeton pour être mon cavalier au bal de printemps de l’Institut, en 1949.114
47Cette éducation bourgeoise connaît une dramatique rupture, avec le bombardement de Caen par les forces alliées, le 6 juin 1944 : à 22 ans, alors qu’elle a soutenu son diplôme d’études supérieures le 28 avril, Cécile Morette perd brutalement sa mère, sa grand-mère, l’une de ses sœurs, et la bonne de la maison. Le choc l’amène d’une part à choisir une carrière : alors que ses études supérieures avaient à l’origine avant tout, selon ses propres mots, un « but culturel », en conformité avec les normes de genre en vigueur dans son milieu social, elles deviennent subitement le premier pas d’une carrière scientifique115 ; le mathématicien Maurice Janet, qui a été son professeur à Caen et vient alors d’être nommé à la Sorbonne, lui recommande de se présenter à Joliot. Or l’habitus féminin grand-bourgeois, fait de contrôle de soi, d’assurance discrète, de maîtrise des codes sociaux, de simplicité – y compris dans la toilette et l’habillement –, de tact et de diplomatie116, combiné au capital social impressionnant que confèrent les liens avec le corps des mines et les réseaux catholiques, scientifiques117 ou non, ainsi que le patronage, même lointain, de Louis de Broglie et Frédéric Joliot – très éloignés sur le plan politique et social –, s’avère particulièrement efficace pour mobiliser et fédérer l’action des barons du monde académique, en France et dans le reste du monde. Ajoutons que les nurses anglaises sont de rigueur dans ce milieu au cours de l’entre-deux-guerres, ce qui explique sa maîtrise parfaite de la langue anglaise, et que cet entregent dépasse largement le monde de la science, les prospections pour trouver un lieu s’appuyant par exemple largement sur son réseau amical : on y trouve Jean Gommy, président du conseil d’administration de la Société des hôtels de montagne, le diplomate François de Rose, qui la conseille sur les institutions à solliciter118, ou encore l’industriel passionné de sciences Léon Motchane. De ces dispositions et de cette position, elle fait un art martial universitaire, comme elle le décrit elle-même dans un entretien :
Pour gagner l’appui de ses collègues masculins, DeWitt-Morette les laissait croire que la suggestion venait d’eux. Elle leur décrivait le projet, puis téléphonait la semaine suivante pour leur dire « Oh, l’idée dont vous m’avez parlé est formidable ! » Se remémorant cette période aujourd’hui, elle dit en riant, « J’étais une geisha intellectuelle ! »119
48Mais cet entregent, ce leadership discret, ne serait rien sans l’opiniâtreté de Cécile Morette, sa capacité à mettre un pied dans la porte avec le sourire : Auger, impressionné, laisse échapper qu’« elle emmerdera la terre entière, mais elle l’aura [son école] ! »120 De son éducation, elle hérite en effet d’un sens du devoir patriotique particulièrement aigu :
Bryce DeWitt la demande en mariage. Sa première réaction ? Le soir même, elle refuse. Il n’est pas question de s’installer aux États-Unis pour celle qui se sent porteuse d’une dette envers son pays. « Je voulais aider la France et les autres pays européens à redémarrer en physique en apportant une solide introduction au monde de la recherche à ces étudiants qui n’avaient pas eu la chance comme moi de partir à l’étranger. » Pourtant, elle aimerait épouser Bryce. Le lendemain matin, elle trouve la solution en quelques minutes, en se brossant les dents. La solution, c’est l’école des Houches. « Je l’ai rappelé – et ce n’est pas la meilleure des choses de rappeler si tôt un garçon que l’on a éconduit la veille – et je lui ai dit, je veux bien vous épouser si vous me laissez ouvrir une école de physique, l’été, en France. Il n’a rien compris. »121
49Par patriotisme, Cécile Morette ne s’autorise ainsi à se lier aux États-Unis qu’une fois l’école des Houches assurée d’exister : l’école est créée le 18 avril 1951 et le couple se marie le 26.
50Grâce à sa trajectoire exceptionnelle et ses dispositions uniques, Cécile Morette parvient ainsi non seulement à obtenir des fonds et des locaux, mais aussi, comme le dit Pierre-Gilles de Gennes, à « convaincre les divas de chanter sous la pluie »122, attirant dès la première session, en juillet-août 1951, une impressionnante concentration de capital scientifique, avec la participation de jeunes professeurs déjà reconnus (le doyen a alors 50 ans), français avec Pierre Grivet, Alfred Kastler et Théo Kahan, mais aussi étrangers, avec Walter Heitler, de Dublin, Léon Van Hove, de l’Université libre de Bruxelles, Emilio Segrè, de Berkeley, Walter Kohn, du Carnegie Institute of Technology, ou encore Wolfgang Pauli, de Zurich, et, ponctuellement, Enrico Fermi. Dans le champ académique universitaire, Yves Rocard, à l’ENS, se fait un propagandiste actif du projet123, et envoie ses meilleurs élèves, de même que Louis Leprince-Ringuet à l’École polytechnique, Francis Perrin au Collège de France et au CEA124, Louis de Broglie et Alexandre Proca à l’Institut Henri Poincaré ; Louis Néel125 lui obtient le patronage de la faculté des sciences de Grenoble, permettant de faire de l’école, juridiquement, un institut de l’université de Grenoble126.
51La conjonction de ces soutiens, venus de points très divers du champ académique – et souvent en rivalité –, permet un démarrage sur les chapeaux de roue : la première session attire 200 candidats, pour 35 places d’étudiants127. Cécile Morette doit dès lors recruter des adjoints : Jean-François Detœuf d’abord, puis Philippe Nozières, avant que Roger Balian ne lui succède à la direction de l’école en 1972. De nouveaux financeurs rejoignent les premiers128, permettant de maintenir la gratuité tout en développant l’école : le CEA à partir de 1952, le programme Fulbright en 1953129 – qui réserve deux bourses par an pour financer la venue de professeurs états-uniens –, la Fondation Ford à partir de 1956130, et surtout l’OTAN à partir de 1959, mais aussi des organismes comme le belge Institut interuniversitaire des sciences nucléaires, le suédois Statens råd för atomforskning, le norvégien Norges almenvitenskapelige forskningsråd. L’école peut ainsi procéder à son agrandissement, par extension progressive de son pré carré, et rénovation puis construction : elle commence par acheter le chalet dit « Le Chardonnet », utilisé comme logement, en avril 1955, puis en octobre 1960 le chalet principal dit « Les Balmes » (restaurant), le chalet secondaire dit « La Chavanne » (logement, garage, entrepôt), et les greniers dits « du Rocher » et « Babette » ; en 1961 et 1964, elle achète une série de terrains comblant les interstices ; les constructions commencent en 1961, avec le chalet dit « La Jacassière », disposant d’une salle de cours, de salles d’études, d’une bibliothèque, et abritant le secrétariat, construit par l’Office national des universités et donné à l’école en mars 1965131.
Tableau 2. Sujets des sessions de l’École des Houches (1951-1967)
Année | Sujet |
1951 | Mécanique quantique, théorie quantique des champs |
1952 | Mécanique quantique, physique statistique, physique nucléaire |
1953 | Mécanique quantique, physique du solide, physique statistique, particules élémentaires |
1954 | Mécanique quantique, théorie des collisions : interaction entre deux nucléons, électrodynamique quantique |
1955 | Mécanique quantique, phénomènes hors équilibre, réaction nucléaire, interaction du noyau avec les champs atomiques et moléculaires |
1956 | Théorie de la perturbation, cryogénie, théorie des solides quantiques, dislocation et propriétés plastiques, magnétisme, ferromagnétisme |
1957 | Théorie de la diffusion, développements récents dans la théorie des champs, force nucléaire, interaction forte, électron à haute énergie, expériences dans la physique nucléaire à hautes énergies |
1958 | Physique à N corps |
1959 | Théorie des gaz neutres et ionisés |
1960 | Relation de dispersion et particules élémentaires |
1961 | La physique à basse température |
1962 | Géophysique externe |
1963 | Relativité, groupes et topologie |
1964 | Optique et électronique quantiques |
1965 | Physique des hautes énergies |
1966 | Astrophysique des hautes énergies |
1967 | Physique à N corps |
Source : AEPTH.
Tableau 3. Pays d’origine des participants de l’École des Houches (1951-1967)
Pays | Enseignants | Élèves | ||
Nbr. | % | Nbr | % | |
France | 53 | 26,5 | 250 | 44,2 |
États-Unis | 89 | 44,5 | 41 | 7,2 |
Royaume-Uni | 14 | 7,0 | 27 | 4,8 |
Suisse | 12 | 6,0 | 5 | 0,9 |
Danemark | 6 | 3,0 | 2 | 0,4 |
Pays-Bas | 6 | 3,0 | 15 | 2,7 |
Italie | 4 | 2,0 | 38 | 6,7 |
Belgique | 2 | 1,0 | 28 | 4,9 |
Suède | 2 | 1,0 | 19 | 3,4 |
Allemagne | 1 | 0,5 | 18 | 3,2 |
Pologne | - | - | 19 | 3,4 |
Autre | 11 | 5,5 | 104 | 18,4 |
Total | 200 | 100 | 566 | 100 |
Source : AEPTH.
52Chaque session cherche dans ce cadre à passer en revue l’état du savoir mondial, sur un point précis (tableau 2), grâce à un corps enseignant et étudiant très fortement internationalisé (tableau 3) ; les cours, nécessairement rédigés avant même le début de la session, sont ensuite publiés sous forme de proceedings, édités en offset à plusieurs milliers d’exemplaires132. Ce qui fait surtout l’efficacité du dispositif, c’est sa dimension d’institution enveloppante, au sens de Muriel Darmon133, et l’intensité des sociabilités qu’il génère, comparable aux hot spots de collaboration scientifique étudiés par John N. Parker et Edward J. Hackett134 : les participants sont coupés du monde extérieur, dans un confort sommaire ; les cours, pour la plupart en anglais, se déroulent le matin, à raison de deux cours par jour, six jours par semaine ; l’après-midi est libre, en pratique consacré à des discussions pour essayer de comprendre ce qui a pu se dire le matin, parfois lors d’excursions alpinistes. Claude Cohen-Tannoudji, élève en 1955, témoigne :
C’était extrêmement spartiate, le confort était très sommaire. On logeait dans des petits chalets en bois, à peine aménagés. La salle de cours était dans un vieux chalet un peu plus en dessous. On était assis sur des chaises en toile, le tableau était très sommaire, les discussions se faisaient à l’extérieur, sur les pelouses. Non, c’était sommaire, mais en même temps, très sympathique, très bonne franquette, une ambiance extrêmement agréable.135
53Cette ambiance de camaraderie scientifique et d’émulation est particulièrement efficace pour assurer la transmission des savoirs tacites136, des façons de voir et de penser qui structurent les pratiques de la physique théorique internationale, et ce d’autant plus qu’elle produit un sentiment d’adhésion très fort137 : pour Philippe Nozières, qui participe en 1953 comme élève, et qui a l’expérience du doctorat à Princeton, « on a appris en deux mois ce qu’on aurait appris en deux ans d’université aux États-Unis » ; pour Pierre-Gilles de Gennes, présent la même année, enfin, « notre génération a été sauvée par cette école »138. Le certificat décerné par l’école à ceux qui en font la demande est marqué par cette convivialité exigeante : à l’écrit, l’élève choisit une question parmi quatre posées par l’ensemble des professeurs ; il dispose de deux jours pour la traiter, en s’appuyant sur la petite bibliothèque et tous les documents qu’il peut se procurer ; à l’oral, l’examen se limite à une discussion d’une heure ou deux, avec l’un des enseignants139. Or Pierre Donzelot s’est moralement engagé à valoriser son obtention dans les carrières, écrivant ainsi à Cécile Morette :
Soyez assurée que je ne perds pas de vue l’avenir de ces jeunes gens et particulièrement du groupe que vous avez bien voulu signaler à mon attention. En ce qui concerne l’examen que vous avez l’intention d’organiser, il me semble excellent à tous points de vue et il est certain que bien qu’il n’ait qu’un caractère officieux, il pourra en être tenu compte par la suite dans la carrière des intéressés.140
54L’internationalité qui se développe au sein de ce dispositif se nourrit dès lors d’elle-même, en mettant le pied à l’étrier de jeunes chercheurs remarqués par leurs enseignants : Cyrano de Dominicis, par exemple, entré à l’École polytechnique en 1948, participe à l’école des Houches en 1953 ; il y rencontre Rudolf Peierls, qui le convainc de partir à Birmingham faire un PhD sous sa direction, de 1954 à 1957.
55Conséquence de cette efficacité, et surtout des conditions de celle-ci, l’accès à cette thébaïde temporaire est hautement sélectif : typiquement, le nombre de candidatures reste trois fois supérieur au nombre de places disponibles. Le choix est dès lors opéré par un comité restreint – et, de facto, surtout par Cécile Morette –, se fondant, comme le laissent à penser les formulaires de candidature, sur les recommandations, les cours suivis, les connaissances détenues, les travaux personnels réalisés, les diplômes n’étant qu’un élément parmi d’autres. Reste qu’entre 1951 et 1967, on trouve parmi les élèves 73 normaliens pour 250 élèves français, soit près de 30 % ; l’École normale supérieure doit souvent organiser elle-même un examen, pour départager les candidats. Parmi les élèves non normaliens et non polytechniciens, on trouve une majorité de chargés de recherche au CNRS et de maîtres de conférences, déjà docteurs, voir des physiciens plus avancés encore. Anatole Abragam, par exemple, qui a enseigné aux Houches en 1955, 1961 et 1964, décide de revenir en 1965 comme élève, à l’occasion d’une session spéciale consacrée à la théorie des particules élémentaires à l’usage des expérimentateurs ; chargé de prendre la direction de la physique au Centre d’études nucléaires de Saclay, mais ne connaissant pas la physique des particules, il considère alors en effet que ces deux mois d’été sont le meilleur moyen pour lui de comprendre rapidement ce que font certains services qu’il doit diriger141. Cette sélectivité ne touche pas en outre que les Français : parmi les 22 étudiants britanniques, 9 viennent de Cambridge ; parmi les 41 étudiants états-uniens, 15 au moins sont issus de la Ivy League. Enfin, elle assure l’attractivité de l’école pour les enseignants eux-mêmes, leur rémunération restant des plus modestes. Comme le décrit Léon Rosenfeld, physicien belge professeur à Manchester, de retour de la deuxième session, dans une lettre souvent citée par Cécile Morette :
Hier après-midi, quelques étudiants m’ont soumis à un examen tellement serré sur mon cours que mon départ en a été quelque peu précipité, le temps s’étant écoulé beaucoup plus vite que je ne pensais. […] J’ai rarement travaillé dans une atmosphère aussi sympathique et j’ai d’ailleurs rarement fourni un travail aussi soutenu sans en ressentir aucune fatigue ; au contraire, j’ai trouvé aux Houches à la fois la stimulation d’un auditoire d’élite et la tranquillité nécessaire à la concentration sur un sujet donné.142
56Conséquence de ce dispositif, la corrélation entre assistance aux Houches et carrière réussie se révèle assez impressionnante, en particulier dans ce que Morette appelle a posteriori la « période héroïque » – dont on peut dater la fin à la construction en 1961 du chalet dit « La Jacassière », symbole d’une école disposant d’un certain confort et de locaux spécifiquement dédiés. En se limitant à une métrique très restrictive, parmi les 147 élèves français de la période 1951-1961, 15 terminent leur carrière à l’Académie des sciences. Mais l’influence des Houches ne concerne pas que le sommet : sur les 93 étudiants français des sessions 1951-1957, 22 sont déjà maîtres de conférences en 1963, et 9 sont professeurs ; à cette date, 15 des 18 universités françaises accueillent un enseignant passé par l’école d’été (les exceptions étant Dijon, Nancy et Poitiers). De fait, Cécile Morette n’hésite pas à intervenir directement auprès de Pierre Donzelot, puis de son successeur Gaston Berger, pour défendre la carrière des élèves143. À mesure que les manques de l’enseignement universitaires qui ont justifié sa création sont ainsi comblés, l’école se diversifie : si les premières sessions restent concentrées sur la mécanique quantique, la théorie quantique des champs, et la physique statistique, des sessions spécialisées sont mises en place à partir de 1958. Cela a pour conséquence une élévation de l’âge moyen des participants, désormais de plus en plus souvent chargés de famille, et rend nécessaire une amélioration du confort144.
57L’efficacité pédagogique des Houches est tôt reconnue. En 1953, la Scuola internazionale di fisica de Varenne, en Italie, est créée, par Giovanni Polvani, appuyé par Giampietro Puppi et Enrico Fermi, sur le même modèle, mais se concentre préférentiellement sur la physique expérimentale145. Une autre école de physique théorique est ensuite fondée, à Cargèse, en Corse, lancée en juillet 1958 par Maurice Lévy et Yves Rocard ; il s’agit véritablement des Houches « à la plage » dans les premières années, y compris du point de vue de la rusticité et de l’isolement146. L’OTAN va jusqu’à généraliser la pratique en Europe, avec la création de ses advanced study institutes en 1958, initiée par l’ancien professeur des Houches Norman F. Ramsey. La meilleure preuve du statut de modèle acquis par l’école d’été alpine est cependant ailleurs, dans son appropriation par ses adversaires. De fait, malgré les liens académiques entre Cécile Morette et les Joliot-Curie, son projet fait les frais d’une vive campagne communiste, en 1953, avec la publication d’un pamphlet largement diffusé, Un plan USA de mainmise sur la science, postfacé par Georges Cogniot, qui dénonce la volonté des États-Unis d’« utiliser et organiser, avec le maximum de rendement, la science internationale, au profit de la politique américaine »147. Si ce texte reconnaît que « la qualité scientifique de l’école d’été est indéniable », qu’« en général, son enseignement, moderne et vivant, est intéressant », le soupçon d’espionnage pèse, alors que le Département d’État vient de nommer une dizaine d’attachés scientifiques dans les ambassades des États-Unis en Europe148 :
Les liens qui existent entre cette école et le Pool atomique européen (CERN), la participation de l’attaché scientifique américain149 et d’autres signes de ce genre font apparaître cette institution comme s’intégrant dans une tentative de créer, parallèlement à l’enseignement national […], un enseignement sous influence américaine. Ceci sans oublier la possibilité, due à la présence de l’attaché scientifique américain, d’enrichissement des fichiers du Département d’État concernant l’état des recherches et la personnalité même des chercheurs.150
58La réaction des scientifiques communistes et de leurs alliés dépasse cependant la rhétorique, et prend la forme d’un projet de « contre-école », lancé par Moïse Haïssinsky à partir de septembre 1953, le Centre international de chimie physique et de ses applications, à Nice151. Le radiochimiste de l’Institut du radium explique lui-même la naissance de l’idée dans une lettre à son collègue Marcel Prettre, professeur à la faculté des sciences de Lyon :
Au cours du séjour que j’ai fait pendant les vacances à Nice, j’ai rencontré un chercheur du CNRS, M. [Marcel] Devienne (élève de [Gustave] Ribaud)152, homme très énergique, qui subventionne lui-même ses recherches et ses collaborateurs, grâce à ses moyens personnels (je crois qu’il est propriétaire d’un lycée libre, etc.). Au cours de discussions avec lui, j’ai eu l’idée qu’il serait utile d’organiser à Nice, pendant les vacances, un cours de perfectionnement en chimie physique, analogue à celui qui existe aux Ouches [sic] pour la physique nucléaire [sic] ; ce dernier est cependant très américanisé, celui de Nice, j’espère, sera très français, mais avec la participation de physico-chimistes et éventuellement d’auditeurs étrangers. Dans mon esprit il doit être indépendant du CNRS, mais il fonctionnera avec sa bénédiction tacite. J’en ai parlé à [Georges] Champetier et à [René] Wurmser : ils sont d’accord, et d’accord aussi pour que l’organisation de l’enseignement soit faite par des physico-chimistes « sans barbe ». Comme vous n’en avez pas, je serais très heureux d’avoir votre opinion sur la question […], et bien entendu, je désirerais vivement que vous fassiez partie du comité d’organisation […]. Je pense qu’il faut aussi prévoir un comité de patronage où l’on pourrait mettre des gens « avec barbes », à condition qu’elles ne soient pas trop longues. J’oublie de vous dire que Mr. Devienne se charge de procurer les moyens financiers sur place.153
59Marcel Prettre est enthousiaste ; les détails sont réglés entre Haïssinsky, Prettre, Wurmser et Champetier, à la sortie d’une réunion du conseil de la Société de chimie physique, le 27 octobre 1953 :
Tous sont d’accord sur la nécessité d’assurer la direction du centre de Nice par quelqu’un et que ce quelqu’un soit moi. Cependant, moi-même, je n’aime pas beaucoup le titre de président et je préfère le qualificatif de secrétaire général. Par conséquent, le bureau sera constitué de la façon suivante : secrétaire général M. Haïssinsky, secrétaire scientifique M. [Bernard] Pullman, secrétaire administratif M. Devienne, puisque vous ne voulez pas du titre d’administrateur.154
60Au cours du mois de novembre, Haïssinsky recrute, dans le comité d’organisation, outre Devienne, Prettre, Pullman et lui-même, Yvette Cauchois, René Audubert, Georges Champetier, Gustave Ribaud et René Wurmser (professeurs à la faculté des sciences de Paris), Jean Chedin (directeur du Laboratoire central des services chimiques de l’État), et Édouard Calvet (professeur à la faculté des sciences de Marseille), et dans le comité de patronage155 Louis de Broglie, Irène Joliot-Curie, Edmond Bauer, Gustave Ribaud, ainsi que Charles Ingold, professeur à University College London, George de Hevesy, de l’Institutet för Organo-Kemisk Forskning de Stockholm, Francesco Giordani, de l’université de Naples, et Karl Friedrich Bonhoeffer, directeur du Max-Planck-Institut für physikalische Chemie de Göttingen.
61Devienne, de son côté, se fait fort de réunir localement les financements nécessaires, et démarche activement les notables locaux, qui entrent ensuite en contact avec Haïssinsky : le conseil général des Alpes-Maritimes et le maire de Nice Jean Médecin – Nice est la plus grande ville de France à ne posséder alors aucune faculté –, la principauté de Monaco, les parfumeurs de Grasse156. Mais le premier projet de session, de trois semaines, pour l’été 1954, portant sur la cinétique chimique et la chimie théorique, avec comme enseignants Marcel Prettre, Maurice Letort, Bernard Pullman, Michael J. S. Dewar (professeur à l’université de Londres) et Giovanni Semerano (professeur à l’université de Padoue)157, échoue : suivant les recommandations de Devienne, personnalité du parti radical des Alpes-Maritimes et qui cherche sans doute ainsi à développer son statut de notable, seuls des financements locaux ont été recherchés, rien n’étant demandé par exemple au CNRS ou à la direction de l’enseignement supérieur ; or les belles paroles de Médecin, et celles un peu moins enjôleuses de la principauté de Monaco, ne se traduisent finalement pas en financements158. L’échec final du projet de Centre international de chimie physique est ainsi lié non pas à une faiblesse de l’activisme ou à un déficit d’insertion dans le champ académique, national comme international, de ses promoteurs, mais à une erreur stratégique, qui les a menés à accepter de mettre tous leurs œufs dans le même panier. Par contraste, il met en valeur le rôle crucial de la capacité de Cécile Morette à diversifier ses appuis, financiers comme humains, à jouer des échelles locales, nationales et internationales – quitte à passer, avec l’OTAN, ce qui apparaît à certains de ses collègues comme un pacte avec le diable. En chimie, le meilleur équivalent de l’école des Houches est ainsi à chercher dans le Groupe d’étude de chimie organique (GECO), créé par Guy Ourisson en 1959, revenu d’Harvard159, et qui entend contourner la Société chimique de France160 : inspiré des Gordon Research Conferences, ce groupe se réunit une fois l’an, en présence d’un ou plusieurs chimistes étrangers reconnus, pour la première fois à Sarlat, en Dordogne, puis en d’autres lieux161 ; les participants doivent avoir moins de 40 ans, et l’accès s’avère très sélectif.
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62Au cours des années 1950 et 1960, dans le domaine des sciences physiques, l’internationalité est donc bien en voie de normalisation et de rationalisation, grâce à la création d’une série de dispositifs institutionnels variés, et ce malgré l’échec de certains d’entre eux. L’expérience des laboratoires étrangers n’est pas pour autant banalisée, tant l’accès y reste compétitif. Non seulement une telle opportunité n’est pas offerte à tous, mais l’enquête orale laisse à penser que parmi ceux, et en particulier celles, qui pourraient y avoir accès, nombreux et nombreuses sont ceux et celles qui renoncent, pour des raisons familiales en premier lieu, parfois par manque de maîtrise linguistique, crainte de difficultés financières, ou encore nécessités locales du fonctionnement des institutions. L’internationalité s’affirme ainsi comme une nouvelle dimension, une nouvelle composante, de ce qui fait le scientifique talentueux et prometteur, alors même que l’enjeu du rattrapage de la science française, qui a provoqué cette transformation, disparaît progressivement.
Notes de bas de page
1Sur la conquête, par les milieux scientifiques, de la notion d’internationalisme, et sur les congrès comme lieux emblématiques de ce projet de science internationale, voir Anne Rasmussen, « L’internationale scientifique 1890-1914 », thèse de doctorat, EHESS, 1995.
2Robert Fox, Science Without Frontiers. Cosmopolitanism and National Interests in the World of Learning, 1870-1940, Corvallis, Oregon State University, 2016, en particulier p. 81-92.
3Cité par Micheline Charpentier-Morize, « Le cercle “officieux” des chimistes communistes (1950-1960) », Cahiers du mouvement ouvrier, no 48, 2010, p. 57.
4Dominique Pestre, Physique et physiciens en France, 1918-1940, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 1992 [1984].
5Mary Jo Nye, From Chemical Philosophy to Theoretical Chemistry. Dynamics of Matter and Dynamics of Disciplines, 1800-1950, Berkeley, University of California Press, 1994.
6Soraya Boudia, Marie Curie et son laboratoire. Sciences et industrie de la radioactivité en France, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 2001 ; Natalie Pigeard-Micault, Les femmes du laboratoire de Marie Curie, Paris, Éditions Glyphe, 2013.
7Intervention non publiée sur les chercheuses et chercheurs de la Caisse nationale des sciences au séminaire « Les figures de l’intellectuel en France et en Europe » (Christophe Charle, IHMC, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 7 mars 2017).
8RFR, RG 12, box 384, 11 mai 1949.
9Christophe Charle, La république des universitaires, 1870-1940, Paris, Le Seuil, 1994 ; Christophe Charle, « Ambassadeurs ou chercheurs ? Les relations internationales des professeurs de la Sorbonne sous la IIIe République », Genèses, no 14, 1994, p. 42-62.
10Denis Colombi, « Les usages de la mondialisation : mobilité internationale et marchés du travail en France », thèse de doctorat, Institut d’études politiques de Paris, 2016.
11Antoine Lilti, Figures publiques. L’invention de la célébrité (1750-1850), Paris, Fayard, 2014.
12Dominique Pestre, Physique et physiciens en France, 1918-1940, ouvr. cité, p. 149-168.
13Voir en particulier Lorraine Daston et Peter Galison, Objectivité, Paris, Les Presses du réel, 2012, et Simon Schaffer, La fabrique des sciences modernes, Paris, Le Seuil, 2014.
14Harry M. Collins, Changing Order. Replication and Induction in Scientific Practice, Londres, Sage, 1985.
15Voir en particulier Ludovic Tournès, Sciences de l’homme et politique. Les fondations philanthropiques américaines en France au xxe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2011.
16Doris T. Zallen, « Louis Rapkine and the restoration of French science after the Second World War », French Historical Studies, vol. 17, no 1, 1991, p. 6-37 ; Diane Dosso, « Louis Rapkine (1904-1948) et la mobilisation scientifique de la France libre », thèse de doctorat, université Paris 7 – Denis Diderot, 1998.
17L’Enseignement technique et l’armée française mettent en place des groupes aux objectifs semblables. Voir Corine Defrance et Anne Kwaschik éd., La guerre froide et l’internationalisation des sciences. Acteurs, réseaux et institutions, Paris, CNRS Éditions, 2016 ; Corine Defrance, Les Alliés occidentaux et les universités allemandes, 1945-1949, Paris, CNRS Éditions, 2000 ; Corine Defrance, « La mission du CNRS en Allemagne (1945-1950) : entre exploitation et contrôle du potentiel scientifique allemand », Revue pour l’histoire du CNRS, no 5, 2001, p. 54-65 ; Marie-France Ludmann-Obier, « La mission du CNRS en Allemagne (1945-1950) », Cahiers pour l’Histoire du CNRS, no 3, 1989, p. 73-84.
18RFR, RG 12, box 384, 20 septembre 1950.
19Dominique Pestre, « La reconstruction des sciences physiques en France après la Seconde Guerre mondiale. Des réponses multiples à une crise d’identité », Réseaux, hors-série 14, 1996, p. 21-42.
20Anne-Catherine Wagner, Les nouvelles élites de la mondialisation. Une immigration dorée en France, Paris, PUF, 1998 ; Anne-Catherine Wagner, Les classes sociales dans la mondialisation, Paris, La Découverte, 2007.
21Sur les espérances en termes de carrière qui sous-tendent les études aux États-Unis, voir par exemple Jeanne Mars, « Les étudiants français aux États-Unis », Informations et documents, no 204, 1964, p. 24-31, ainsi que l’enquête réalisée par l’Association amicale universitaire France-Amérique en 1962, dont les résultats sont résumés dans Rives, no 19, 1962, p. 1-12 ; Rives, no 20, 1962, p. 1-12 et Rives, no 21, 1963, p. 1-7.
22Institute of International Education, Open Doors CD-ROM: 1948-2008, New York, IIE, 2009. Les données séparent les étudiants en physical sciences et en engineering, distinction qui n’a pas le même sens des deux côtés de l’Atlantique ; mais dans tous les cas, la courbe des étudiants français en engineering suit une trajectoire parallèle.
23Emmanuelle Loyer, Paris à New York. Intellectuels et artistes français en exil, 1940-1947, Paris, Grasset, 2005, p. 340.
24« Solde de notre crédit », Atomes, no 29, août 1948, p. 1.
25RFR, RG 12, box 384, 16 mai 1949.
26Louis F. Fieser est le créateur d’un napalm utilisable militairement, mis au point à Harvard en 1943. Voir Marshall Gates, « Louis Frederick Fieser. April 7, 1899 – July 25, 1977 », Biographical Memoirs of the National Academy of Science, no 65, 1994, p. 161-175.
27Entretien avec Edmond Toromanoff, 10 avril 2015.
28Nicolas Chevassus-au-Louis, Savants sous l’Occupation. Enquête sur la vie scientifique française entre 1940 et 1944, Paris, Perrin, 2008 [2004] ; André Gueslin éd., Les facs sous Vichy. Étudiants, universitaires et universités de France pendant la Seconde Guerre mondiale, Clermont-Ferrand, Institut d’études du Massif central, 1994.
29« Maurice Lévy, physicien et universitaire. Témoignage pour son quatre-vingt-dixième anniversaire en septembre 2012 », s.l., s.n., 2012. En ligne : [https://maurice-levy-physicien.fr/].
30Hans Halban a été naturalisé français en 1939. On trouvera une notice de titres et travaux de 1955 dans AMC, AIR, LC.DP, art. HH.
31Recensement tiré de la feuille du laboratoire, E.N.S. Physique.
32Diane Dosso, « Le plan de sauvetage des scientifiques français. New York, 1940-1942 », Revue de synthèse, 5e série, vol. 127, no 2, 2006, p. 429-451.
33La rencontre s’est faite dans le cadre de la préparation à l’agrégation, Edmond Bauer « collant » la promotion de Schatzman à l’École normale supérieure. Schatzman est de la promotion 1939.
34Voir Ernest Vigroux, « Daniel Barbier », Ciel et Terre, no 81, 1999, p. 137-140.
35« Interview of Évry Schatzman by Spencer Weart on 1979 August 21 », Niels Bohr Library & Archives, American Institute of Physics. En ligne : [http://www.aip.org/history-programs/niels-bohr-library/oral-histories/4858].
36Il s’agit de ses quatre années d’études à l’ENS, où il passe un DES dans le laboratoire de Pierre Aigrain, sur un sujet très concret : « mon boulot a été de construire le premier gros banc d’évaporation sous vide de l’École normale, qui était un monstre ».
37Le trichloréthylène est un solvant, très utilisé pour le dégraissage de pièces métalliques.
38Entretien avec Philippe Nozières filmé par le Collège de France, 2006, confié par Philippe Nozières.
39Pour ce qui est de l’allemand, 17 % des répondants sont capables de le parler, 25 % ne peuvent que le lire, 36 % le déchiffrent, 22 % l’ignorent complètement. Le différentiel est en outre important selon le grade : 33 % des professeurs et maîtres de conférences déclarent savoir parler l’anglais, contre 11 % des chefs de travaux et assistants. Voir Vladimir Kourganoff, « Les barrières linguistiques et la création d’instituts de linguistes scientifiques », avril 1958, AN, F/17/17582.
40Entretien avec Jacques Livage, 5 mai 2015.
41Entretien avec Michel Fontanille, 13 avril 2015.
42Entretien avec Patrick Geneste, 5 août 2015.
43Lettre de Françoise Plénat, 2016.
44François Jarrige, « Le travail de la routine : autour d’une controverse sociotechnique dans la boulangerie française du xixe siècle », Annales. Histoire, sciences sociales, vol. 65, no 3, 2010, p. 645-677.
45RFR, RG 12, box 383, 5 juin 1947. Pierre Desnuelle n’est pourtant pas un nouveau pratiquant de l’internationalité : en 1936-1937, la Fondation Rockefeller lui a attribué une bourse pour un séjour de recherche en Allemagne, à Heidelberg, chez Richard Kuhn. Il est alors maître de conférences à la faculté des sciences de Marseille ; son séjour s’intègre dans la préparation de son accession à une chaire dans la même faculté. Jean Roche force peut-être la réalité, au sujet d’un jeune confrère ambitieux : dans l’immédiat après-guerre, il a recommandé à la Fondation de ne pas aider trop vite Desnuelle, « parce qu’il existe des soupçons au sujet de sa libération, lorsqu’il était prisonnier de guerre » (Desnuelle a été prisonnier deux ans en Allemagne).
46C’est-à-dire de l’organisation régulière d’un temps de présentation et de discussion en petit comité, à l’échelle de l’équipe de chercheurs, de travaux en train d’être réalisés, non publiés – par distinction avec le colloque ou la conférence, où le public est plus ouvert et les résultats plus cristallisés, voire publiés.
47« La liberté des changes et les contraintes de la recherche », Atomes, no 26, mai 1948, p. 1.
48Sur l’éventail de l’aide des fondations privées aux facultés : Antonin Durand, « L’odeur de l’argent. Dons et legs dans le financement de l’université de Paris (1885-années 1930) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 63, no 3, 2016, p. 64-87. Voir aussi les travaux du projet FondaScience, financé par l’Agence nationale de la recherche : [https://fondascience.hypotheses.org/].
49Doris T. Zallen, « The Rockefeller Foundation and French research », Cahiers pour l’histoire du CNRS, no 5, 1989, p. 35-58 ; John Krige, American Hegemony and the Postwar Reconstruction of Science in Europe, Cambridge (Mass.), The MIT Press, 2008, p. 75-113.
50Raymond B. Fosdick, The Story of the Rockefeller Foundation, 1913-1950, New York, Harper & Bros, 1952.
51Le premier de cette série de congrès financée par l’industriel belge Ernest Solvay a lieu en 1911 ; le cinquième, en 1927, consacré aux électrons et photons, est un lieu de mémoire majeur de la physique moderne ; le nombre de participants est alors fixé à 25. Sur cette série de congrès, voir Franklin J. Lambert, « Internationalisme scientifique et révolution quantique : les premiers Conseils Solvay », Revue germanique internationale, no 12, 2010, p. 159-173 ; Peter Galison, « Solvay Redivivus », The Quantum Structure of Space and Time. Proceedings of the 23rd Solvay Conference on Physics, D. Gross, M. Henneaux et A. Sevrin éd., Singapour, World Scientific Publishing, 2007, p. 1-18 ; Pierre Marage et Grégoire Wallenborn éd., The Solvay Councils and the Birth of Modern Physics, Bâle, Birkhauser Verlag, 1999. De manière générale, sur les congrès internationaux avant 1945, voir le dossier Pascale Rabault-Feuerhahn et Wolf Feuerhahn éd., « La fabrique internationale de la science », Revue germanique internationale, no 12, 2010.
52« Renseignements pratiques pour la préparation et le règlement du colloque prévu à Alger », février 1950, AN, 19800284/141.
53« Procès-verbal de la réunion de la sous-commission des relations avec l’étranger », 17 octobre 1946, AN, 19780283/25.
54AN, 19780283/27.
55Lettre d’Émile Terroine à Frédéric Joliot, 8 juillet 1948, AN, 19780283/27.
56Lettre d’Émile Terroine à Moïse Haïssinsky, 1er avril 1947, AN, 19780283/26.
57Circulaire d’Émile Terroine, 9 août 1947, AN, 19780283/26.
58Lettre d’Alfred Kastler à Émile Terroine, 8 octobre 1947, AN, 19780283/27.
59John Krige, American Hegemony and the Postwar Reconstruction of Science in Europe, ouvr. cité.
60À ce jour, je n’ai pu retrouver dans les archives que quelques dossiers isolés de la fin des années 1950 concernant cette période.
61Haynes B. Johnson et Bernard M. Gwertzman, Fulbright: the Dissenter, New York, Doubleday, 1968, p. 128.
62Board of Foreign Scholarships, International Educational Exchange: 1946-1966, s.l., s.n., 1967, p. 5 et 9.
63« Exchanges in science and technology », 1961, University of Arkansas Libraries [désormais UAL], Bureau of Educational and Cultural Affairs Historical Collection [désormais BECAHC], art. 106.
64UAL, BECAHC, art. 170.
65Ses archives sont consultables à la bibliothèque de l’université de l’Arkansas, à Fayetteville : j’ai pu les consulter grâce à un financement du programme Alliance, de l’université Columbia, et du collège des écoles doctorales de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, que je remercie.
66Department of State, « Educational exchange under the Fulbright Act », 1948, UAL, BECAHC, art. 108 ; voir aussi UAL, BECAHC, art. 127.
67Randall B. Woods, Fulbright. A Biography, Cambridge, Cambridge University Press, 1995.
68La bibliographie concernant la circulation internationale d’étudiants et de scientifiques, centrée sur les États-Unis, est impressionnante : en 1985, un répertoire spécialisé recense déjà 2 811 références (Philip G. Altbach, Research on Foreign Students and International Study. An Overview and Bibliography, New York, Praeger, 1985). Mais sur le programme Fulbright, la seule synthèse reste Walter Johnson et Francis J. Colligan, The Fulbright Program. A History, Chicago, Chicago University Press, 1965. Sur la politique globale dans laquelle il s’insère, voir Richard T. Arndt, The First Resort of Kings. American Cultural Diplomacy in the Twentieth Century, Virginia, Potomac Books, 2005. Sur le cas précis des fulbrighters états-uniens venant en France, sous un angle d’histoire culturelle de la diplomatie : Whitney Walton, « National interests and cultural exchange in French and American educational travel, 1914-1970 », Journal of Transatlantic Studies, vol. 13, no 4, 2015, p. 344-357 et Whitney Walton, Internationalism, National Identities, and Study Abroad. France and the United States, 1890-1970, Stanford, Stanford University Press, 2010.
69William J. Fulbright, « PL 584 Statement », US Congressional Record, 92, 1946, A4766.
70Cité par Steven E. Deutsch, International Education and Exchange. A Sociological Analysis, Cleveland, Press of Case Western Reserve University, 1970, p. 17.
71Ce Mutual Educational and Cultural Exchange Act crée une ligne de crédit spécifique dans le budget fédéral, après l’épuisement des fonds tirés des surplus militaires. Le Smith-Mundt Act de 1948 autorise l’usage de fonds en dollars, par le biais de bourses accordées par le Département d’État ; celles-ci restent réservées à un nombre réduit de research scholars et de visiting lecturers.
72Public Law n400, 82 Congress, Mutual Security Act of 1952 ; J. Manuel Espinosa, « Landmarks in the history of the cultural relations program of the Department of State. 1938 to 1976 », 1976, UAL, BECAHC, art. 2.
73Leonard R. Sussman, The Culture of Freedom. The Small World of Fulbright Scholars, Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, 1992, p. 56.
74Leur financement est cependant purement issu des ambassades des États-Unis avant les années 1960 : en France, le financement devient binational en 1965.
75« Annual report of the United States educational commission for France for the year 1949 », UAL, BECAHC, série 3, art. 125 A.
76Cette structure regroupe l’American Council of Learned Societies for the Humanities, l’American Council on Education, le National Research Council for the Physical Sciences, et le Social Science Research Council.
77« Country program proposal. 1951. Third Year. France », 1950, UAL, BECAHC, série 3, art. 118.
78Gaston Berger occupe ce poste de 1949 à 1952. Le philosophe connaît bien les États-Unis : il y a fait une tournée de conférences en 1947-1948, avant d’occuper un poste de visiting professor à l’université de Buffalo en 1948-1949. L’installation de la commission lui doit dès lors beaucoup : il est considéré comme « exceedingly helpful » selon les premiers rapports. Lui succèdent à la tête des opérations, du côté français, Édouard Morot-Sir et Robert Davril.
79« Annual report of the United States educational commission for France. Program year 1952 », UAL, BECAHC, série 3, art. 125B. En outre, encore une fois, une partie des étudiants considérés comme physiciens et chimistes en France sont peut-être considérés comme relevant de l’engineering aux États-Unis : ces chiffres sont donc sous-évalués.
80UAL, Council for International Exchange of Scholars Records [désormais CIESR], art. 44-46. Les débats et la décision menant à l’établissement de cette liste sont conservés dans « Conference board of associated research councils. Twentieth meeting. Wednesday, december 22, 1948 », UAL, CIESR, art. 4.
81Foreign Professors and Research Scholars at US Colleges and Universities, New York, Institute of International Education, 1963, p. 22
82Entretien avec Michel Soutif, 16 avril 2015. Voir aussi Dominique Pestre, Louis Néel, le magnétisme et Grenoble. Récit de la création d’un empire physicien dans la province française, 1940-1965, Paris, Cahiers pour l’histoire du CNRS, 1990, p. 70-75.
83Entretien avec Geneviève Comte-Bellot, 15 mai 2015.
84Jean Jacquinot, « Pierre Jacquinot: a scientist, a professor and a father », Physica Scripta, vol. 76, no 4, 2007, p. C157-C162.
85Cora A. Du Bois, Foreign Students and Higher Education in the United States, Washington D.C., American Council on Education, 1956.
86Whitney Walton, Internationalism, National Identities, and Study Abroad, ouvr. cité, p. 9.
87« Annual program proposal. United States educational commission for France. Program year 1953 », avril 1952, UAL, BECAHC, art. 118.
88Par exemple dans « Annual program proposal. United States educational commission for France. Program year 1952 », juin 1951, UAL, BECAHC, art. 118.
89W. A. Southern, « Chemists and the Fulbright Program », août 1955, UAL, CIESR, art. 1.
90La participation du programme Fulbright au financement de l’École d’été de physique théorique des Houches (cf. infra) provoque une surreprésentation de la faculté des sciences de Grenoble.
91« Annual program proposal. United States educational commission for France. Program year 1953 », avril 1952, UAL, BECAHC, art. 118.
92Walter Adams, « A report on the Fulbright program in French universities », octobre 1962, UAL, BECAHC, art. 103.
93Ibid.
94Comme l’indique Southern : « Plusieurs conférenciers envoyés en France ont eu le sentiment que leurs talents n’étaient pas suffisamment utilisés, et qu’ils étaient plus ou moins ignorés par les enseignants de l’université accueillait » (W. A. Southern, « Chemists and the Fulbright program », août 1955, UAL, CIESR, art. 1).
95« Annual program proposal. United States educational commission for France. Program year 1956 », février 1955, UAL, BECAHC, art. 118.
96Sur l’histoire du génie chimique en France, en particulier à Toulouse et Nancy : Jacques Breysse, « Du “Chemical Engineering” au “génie des procédés” (1888-1990). Émergence en France d’une science pour l’ingénieur en chimie », Cahiers d’histoire du Cnam, vol. 2, no 2, 2014, p. 21-57 ; Michel Grossetti et Claude Detrez, « Science d’ingénieurs et sciences pour l’ingénieur : l’exemple du génie chimique », Sciences de la société, no 49, 2000, p. 63-85 ; Claude Detrez, « L’évolution de l’École nationale supérieure des industries chimiques de Nancy », Des ingénieurs pour la Lorraine, xixe-xxe siècles, A. Grelon et F. Birck éd., Metz, Éditions Serpenoise, 1998, p. 237-250 ; Laurent Rollet, « L’École nationale supérieure des industries chimiques de Nancy et ses partenaires industriels (1920-1960) », Aux origines d’un pôle scientifique. Faculté des sciences et écoles d’ingénieurs à Nancy du Second Empire aux années 1960, L. Rollet et M.-J. Choffel-Mailfert éd., Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2007, p. 205-281.
97Edgar Piret a des liens anciens avec la France : il a obtenu en 1936 un doctorat d’université à la faculté des sciences de Lyon ; en 1959, il est nommé attaché scientifique et technique de l’ambassade des États-Unis à Paris, poste qu’il conserve huit ans. Voir « Edgar Lambert Piret, 77, scientist and inventor », The New York Times, 4 octobre 1987.
98« Annual program proposal. United States educational commission for France. Program year 1952 », juin 1951, UAL, BECAHC, art. 118.
99« Annual program proposal. United States educational commission for France. Program year 1954 », mai 1953, UAL, BECAHC, art. 118.
100« Annual program proposal. United States educational commission for France. Program year 1952 », juin 1951, UAL, BECAHC, art. 118.
101« Annual program proposal. United States educational commission for France. Program year 1954 », mai 1953, UAL, BECAHC, art. 118.
102Je tiens à remercier Leticia Cugliandolo de m’avoir permis d’accéder aux archives conservées dans le bureau directorial et dans la bibliothèque de l’école des Houches, ainsi que Nicolas Constans. On trouvera une version approfondie de cette étude dans Pierre Verschueren, « Cécile Morette and the Les Houches summer school for theoretical physics; or, how girl scouts, the 1944 Caen bombing and a marriage proposal helped rebuild French physics (1951-1972) », British Journal for the History of Science, vol. 52, no 4, 2019, p. 595-616.
103Cette licence est composée des certificats de physique générale, chimie générale et calcul différentiel et intégral ; Cécile Morette obtient en 1944 le certificat de calcul des probabilités, à Paris (AN, AJ/16/5522).
104« Interview of Bryce DeWitt and Cecile DeWitt-Morette by Kenneth W. Ford on 1995 February 28 », Niels Bohr Library & Archives, American Institute of Physics, College Park, MD. En ligne : [http://www.aip.org/history-programs/niels-bohr-library/oral-histories/23199].
105Le projet initial était qu’elle travaille avec Erwin Schrödinger ; mais à son arrivée, celui-ci a déjà démissionné.
106En parallèle de son parcours universitaire outre-Atlantique, qui après Berkeley l’emmène à l’université de Caroline du Nord à Chapel Hill, puis à l’université du Texas à Austin, Cécile Morette conserve un ancrage académique en France, menant ainsi deux carrières de front : elle reste membre du CNRS jusqu’en 1965, atteignant le grade de maîtresse de recherche (mais ne percevant un traitement que deux mois par an), et obtient à cette date un poste de maîtresse de conférences à la faculté des sciences de Grenoble, où elle devient ultérieurement professeure, y restant jusqu’à sa retraite en 1988. Elle dirige l’école des Houches jusqu’en 1972. Cécile Morette n’a pris la nationalité états-unienne qu’en 1999.
107« Rapport concernant la subvention de fonctionnement nécessaire à l’École d’été de physique théorique », août 1961, Dolph Briscoe Center for American History (University of Texas at Austin), Archives of American Mathematics, Cécile DeWitt-Morette Papers, art. 2015-248/1.
108Cécile Morette, « Physique théorique. Projet de création d’une école d’été », novembre 1950, AN, 19800284/101.
109Lettre de Cécile Morette à la Société des hôtels de montagne, 26 juin 1950, Archives de l’école de physique théorique des Houches [désormais AEPTH].
110Lettre de Cécile Morette au proviseur du lycée de Briançon, 13 février 1951, AEPTH.
111« École d’été de physique théorique », Atomes, no 68, novembre 1951, p. 391-392.
112André Morette est professeur à l’École des mines de Saint-Étienne, avant de devenir en 1923 directeur général de la Société métallurgique de Normandie. Voir « André Pierre Ernest Morette (1879-1931) », en ligne : [http://www.annales.org/archives/x/Morette.html]. Durant les années 1970, Cécile Morette apprend que son père biologique est en réalité Raphaël Pecker, le docteur de la SMN, tué à Auschwitz parce que juif (Toni Feder, « Path integrals, Les Houches, and other adventures of Cécile DeWitt-Morette », Physics Today, vol. 61, no 8, 2008, p. 28-30).
113Bernard Grégory est alors la fine fleur du corps des mines : polytechnicien (X 1938), major d’entrée et de sortie, il est affecté à la recherche scientifique à sa sortie des Mines de Paris, dans le cadre du décret Suquet ; il poursuit ses études au Massachusetts Institute of Technology entre 1948 et 1958, sous la direction de Bruno Rossi, avant de revenir en France occuper le poste de sous-directeur du laboratoire de Louis Leprince-Ringuet. Voir Louis Leprince-Ringuet, « Biographie de Bernard Grégory (X 1938) », La Jaune et la Rouge, no 330, mai 1978, p. 24-25.
114Cécile Morette, « 1948-1950: Snapshots », IAS. The Institute Letter, printemps 2011, p. 10. Cécile Morette revient sur cette plus ou moins subtile tentative pour la fiancer dans son entretien avec Nicolas Constans, 20 mai 2009.
115Emily Mitchell, « Senior women web interviews: Cécile DeWitt-Morette », en ligne : [http://www.seniorwomen.com/articles/articlesIntCecile.html].
116Voir sur ce sujet Béatrix Le Wita, Ni vue ni connue. Approche ethnographique de la culture bourgeoise, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’Homme, 1988 (si l’enquête a lieu pendant les années 1980, les enquêtés évoquent souvent l’entre-deux-guerres) ; Éric Mension-Rigau, Aristocrates et grands bourgeois, Paris, Perrin, 2007 [1994].
117Témoignage de cette insertion : Cécile Morette publie des articles de vulgarisation dans des revues intellectuelles catholiques, par exemple Cécile Morette, « Fission des noyaux d’atome – une nouvelle source d’énergie », La vie intellectuelle, vol. 13, no 7, juillet 1945, p. 156-160.
118Lettre de Cécile Morette à François de Rose, 27 juin 1950, AEPTH. François de Rose est impliqué dans les questions scientifiques au sortir de la guerre ; il participe à partir de 1952 à la fondation du CERN, dont il préside le conseil d’administration de 1956 à 1958. Voir son livre de souvenirs, François de Rose, Un diplomate dans le siècle. Souvenirs et anecdotes, Paris, Éditions de Fallois, 2014.
119Emily Mitchell, « Senior women web interviews: Cécile DeWitt-Morette », art. cité (ma traduction).
120Cité dans Cécile Morette, « 1948-1950: Snapshots », art. cité, p. 10-11.
121Marie-Laure Théodule, « Cécile Morette-DeWitt, militante de la physique », La Recherche, septembre 2001, p. 24-25. Ce patriotisme n’est pas une reconstruction a posteriori : c’est lui qui pousse Cécile Morette à refuser une première demande en mariage, par un jeune chimiste américain, en 1947. Elle lui explique ainsi : « J’ai le devoir de travailler en France. Quand un navire coule il ne faut pas le quitter. J’ai beaucoup reçu de la France. Je m’attends à ce que ma vie soit difficile ici mais je ne veux pas reculer devant l’obstacle. Il n’y a pas de physique théorique en France et je pense que je peux y faire quelque chose. Si je vivais une vie tranquille et heureuse en Californie, j’échouerais à ma mission » (Lettre de Cécile Morette à David P. Shoemaker, 25 décembre 1947, collection privée, ma traduction).
122Pierre-Gilles de Gennes, « Le regard de Cécile », Pour Cécile. Livre d’or. École des Houches. Cinquantième anniversaire (1951-2001), F. David éd., s.l., s.n., 2001, p. 36.
123La newsletter des Houches est ainsi longtemps diffusée dans les laboratoires français par le biais de la feuille ronéotypée du Laboratoire de physique de l’ENS, E.N.S. Physique.
124Le secrétariat de l’école d’été est abrité dans son Laboratoire de physique atomique et moléculaire, au Collège de France, les premières années.
125Louis Néel, Un siècle de physique, Paris, Odile Jacob, 1991, p. 225 et 271-272.
126Le projet est évoqué pour la première fois par l’assemblée de la faculté des sciences de Grenoble lors de sa séance du 8 mars 1951 ; il est accepté par l’université le 18 avril. Voir Archives départementales de l’Isère, 20/T/511.
127Lettre de Cécile Morette à Pierre Donzelot, 24 mars 1951.
128On trouvera leur liste complète dans la brochure Université de Grenoble, École d’été de physique théorique. Les Houches. Rapport d’activités 1951-1966, s.l., s.n., 1967.
129Cécile Morette, « Les problèmes d’un professeur de physique », Rives, no 10, juillet 1959, p. 3-6.
130« Proposal to the Ford Foundation. Assistance to the French summer school of physics of the university of Grenoble at les Houches, for the summer 1958 », AN, F/17/17583.
131« Université de Grenoble. École d’été de physique théorique. Patrimoine de l’Université de Grenoble, pour le compte et à l’usage de l’École d’été de physique théorique », 1978, AEPTH.
132Cécile Morette et Marie-Simone Detœuf, « L’école des Houches », Revue de l’enseignement supérieur, vol. 5, no 2, 1960, p. 175-178.
133Muriel Darmon, Classes préparatoires. La fabrique d’une jeunesse dominante, Paris, La Découverte, 2013.
134John N. Parker et Edward J. Hackett, « Hot spots and hot moments in scientific collaborations and social movements », American Sociological Review, vol. 77, no 1, 2012, p. 21-44.
135Émission Archimède sur la chaîne Arte, 30 octobre 2001.
136Sur la façon dont les savoirs tacites jouent en physique théorique, voir Luis Reyes-Galindo, « The sociology of theoretical physics », thèse de doctorat, Cardiff University, 2011, p. 159-205.
137On trouvera de multiples témoignages de cette adhésion dans le fascicule Pour Cécile. Livre d’or. École des Houches. Cinquantième anniversaire (1951-2001), F. David éd., s.l., s.n., 2001.
138Émission Archimède sur la chaîne Arte, 30 octobre 2001.
139Université de Grenoble, École d’été de physique théorique. Les Houches, s.l., s.n., 1954, annexe B.
140Lettre de Pierre Donzelot à Cécile Morette du 2 septembre 1952, AEPTH.
141Anatole Abragam, De la physique avant toutes choses, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 259.
142Lettre de Léon Rosenfeld à Cécile Morette, 3 septembre 1952, AEPTH.
143Voir par exemple la lettre de Cécile Morette à Pierre Donzelot du 18 août 1952, AEPTH.
144« Projet d’améliorations à apporter aux installations de l’École d’été de physique théorique en 1957 », 1956, Dolph Briscoe Center for American History (University of Texas at Austin), Archives of American Mathematics, Cécile DeWitt-Morette Papers, art. 2015-248/1
145Polvani, professeur à l’université de Milan, est président de la Società italiana di fisica de 1947 à 1961. Voir Edoardo Amaldi, 20th Century Physics: Essays and Recollections. A Selection of Historical Writings, Singapour, World Scientific Publishing Co. Pte. Ltd., 1998, p. 443 ; Luisa Cifarelli, « Lectures on pions and nucleons », Rivista del Nuovo Cimento, vol. 31, no 1, 2008, p. 1-7.
146Maurice Lévy, un temps président du conseil scientifique des Houches, y a enseigné en 1957 ; il semble y avoir trouvé « trop pressantes les tentations d’évasions vers Chamonix »... Après quelques tâtonnements, les sessions de l’Institut d’études scientifiques de Cargèse, créé en 1960 et financé principalement par l’OTAN, s’organisent sur un format intermédiaire entre une école d’été et un séminaire de recherche sur les sujets de recherche d’actualité : 3 à 4 professeurs par semaine pour 30 à 40 étudiants pour une durée de trois semaines. Voir les textes d’André Martin, Tran Thanh Van et surtout Marie-France Hanseler dans « Maurice Lévy, physicien et universitaire », en ligne : [https://maurice-levy-physicien.fr/].
147Un plan USA de mainmise sur la science, Paris, Les Éditions de la Nouvelle Critique, 1953, p. 21.
148Ronald E. Doel et Allan A. Needell, « Science, scientists, and the CIA: balancing international ideals, national needs, and professional opportunities », Eternal Vigilance? 50 Years of the CIA, R. Jeffreys-Jones et C. Andrew éd., Londres et Portland (OR), Frank Cass & Co., 1977, p. 59-81 ; Ronald E. Doel, « Scientists, secrecy, and scientific intelligence: the challenges of international science in Cold War America », Cold War Science and the Transatlantic Circulation of Knowledge, J. van Dongen éd., Leyde, Brill, 2015, p. 11-35. Voir aussi Ludovic Tournès, Sciences de l’homme et politique. Les fondations philanthropiques américaines en France au xxe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 181-183.
149Il s’agit du premier attaché scientifique nommé auprès de l’ambassade des États-Unis à Paris, le biophysicien Jeffries Wyman, nommé en 1952, et qui occupe ce poste jusqu’en 1955.
150Un plan USA de mainmise sur la science, ouvr. cité, p. 53-54.
151On trouvera la correspondance concernant ce projet dans AMC, AIR, LC.DP, MH, art. D3.
152Fernand Marcel Devienne, docteur ès sciences physiques (1948), est le directeur du Laboratoire méditerranéen de recherches thermodynamiques, fondé en 1949.
153Lettre de Moïse Haïssinsky à Marcel Prettre, 28 septembre 1953, AMC, AIR, LC.DP, MH, art. D3.
154Lettre de Moïse Haïssinsky à Marcel Devienne, 29 octobre 1953, AMC, AIR, LC.DP, MH, art. D3.
155La liste est fixée dans « Centre international de chimie physique et de ses applications à Nice. Procès-verbal de la séance du comité d’organisation », 27 octobre 1953, AMC, AIR, LC.DP, MH, art. D3.
156Lettre de Marcel Devienne à Moïse Haïssinsky, 23 novembre 1953, AMC, AIR, LC.DP, MH, art. D3.
157« Centre international de chimie physique. Programme des cours projetés pour l’été 1954 », AMC, AIR, LC.DP, MH, art. D3.
158Lettre de Moïse Haïssinsky à Jean Lépine (premier adjoint de Nice), 13 février 1954, AMC, AIR, LC.DP, MH, art. D3.
159Guy Ourisson a obtenu un doctorat à Harvard en 1952, pour des travaux réalisés dans le laboratoire de Louis F. Fieser, et un doctorat ès sciences physiques en 1954, à Paris. En 1955, il est nommé maître de conférences à la faculté des sciences de Strasbourg, à 29 ans ; il est élu professeur dans la même faculté en 1958. Voir Pierre Laszlo, « Guy Ourisson (1926-2006) », Encyclopædia universalis, en ligne : [https://www.universalis.fr/encyclopedie/guy-ourisson/].
160Entretien avec Bernard Waegell, 4 avril 2015 ; entretien avec Henri Bouas-Laurent, 8 mai 2015.
161Pierre Laszlo, A Life and Career in Chemistry: Autobiography from the 1960s to the 1990s, Cham, Springer, 2021, p. 78.
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