Chapitre 3
Les chercheurs et leur corporation
p. 151-183
Texte intégral
1Extra Ecclesiam nulla salus : depuis la fin du xixe siècle au plus tard, les facultés et leur système de certification et de carrières constituent l’ossature de la communauté professionnelle des scientifiques. En sciences expérimentales, seule la constellation constituée par le Collège de France, les observatoires astronomiques, le Muséum d’histoire naturelle, l’Institut Pasteur et, dans une moindre mesure, certaines grandes écoles comme l’École polytechnique, permet une pratique de la recherche qui leur échappe quelque peu. Alors que le terme de « chercheur » est employé au plus tard depuis la Première Guerre mondiale1, il ne recouvre toujours pas une carrière à proprement parler au sortir de la Seconde Guerre mondiale, au sens de système de trajectoires professionnelles prévisibles et juridiquement instituées, qui soit justifié uniquement par la pratique de la recherche. Dans l’entre-deux-guerres, celles et ceux qui peuplent les laboratoires les plus actifs, comme ceux de l’Institut du radium, n’ont ainsi le plus souvent aucun statut professionnel, parfois aucune ressource assurée, vivent d’expédients et de mécénats ; beaucoup sont des étrangers venus étudier en France2. Considérer le CNRS comme le cadre d’un système complet de carrières vouées uniquement à la recherche s’avère dès lors anachronique avant la fin des années 1950 au mieux. Ce n’est que progressivement, et difficilement, que se construit un espace des carrières spécifiquement consacré à la recherche, en lien symbiotique – ou parasitique, selon le point de vue – avec les structures universitaires. De fait le CNRS, très largement entre les mains des universitaires, se trouve dès l’origine écartelé entre rôle d’agence fournissant des moyens aux laboratoires et organisme offrant des emplois, initialement subalternes, aux chercheurs ; le développement de cette seconde fonction, l’intégration de ces emplois dans un espace de carrières professionnelles parallèle aux universités, et autonome vis-à-vis des universitaires, in fine l’adoption par le CNRS d’une politique d’emploi et de carrières propres, est le résultat de vives confrontations, et des choix politiques finalement contingents opérés au tout début des années 1960.
Les allocataires du CNRS
2Si la Caisse nationale des sciences (CNS), fondée en 1930 sous l’impulsion du physicien Jean Perrin, établit un système d’allocations hiérarchisées, du boursier au directeur de recherche, calqué sur l’Université, il s’agit avant tout d’une rétribution annexe : 77 % des 851 allocataires de la section des sciences exactes émargeant à la CNS entre 1931 et 1939, tous grades et disciplines confondus, perçoivent en réalité une demi-allocation, cumulée avec un emploi principal3. La CNS offre ainsi des récompenses à des enseignants méritants, des bourses de thèses pour les jeunes scientifiques, des positions d’attente pour ceux qui ne peuvent que difficilement prétendre à une maîtrise de conférences : les femmes en particulier, tant les réticences académiques à leur égard perdurent, ainsi que les étrangers, puisque l’accès aux postes de fonctionnaires exige alors que le candidat ait été naturalisé depuis plus de cinq ans. Mais, en aucun cas, il ne s’agit d’une carrière stable et d’une profession nettement délimitée. Ses allocataires n’ont par exemple aucune protection sociale, aucune retraite, et leur renouvellement est remis en jeu tous les ans, suspendu au maintien d’un rythme élevé et régulier d’avancement des recherches et des publications. Jean Thibaud peut ainsi encore regretter dans un entretien au Monde en septembre 1945 :
Bien souvent il nous arrive de distinguer parmi nos élèves de facultés de brillants esprits que nous retenons quelques années au laboratoire. Ils passent leur thèse de doctorat. On pourrait les croire fixés dans la recherche, mais on constate alors qu’il n’existe chez nous aucune catégorie sociale correspondant au savant. Dans un moment où il y a tant de catégories de fonctionnaires, n’est-il pas étonnant qu’il soit impossible d’allouer un traitement à un savant ? Celui-ci doit se contenter de secours humiliants, de bourses, d’ailleurs très inférieures au salaire d’un employé de métro, et pour lesquelles il faut solliciter chaque année.4
3À la Libération, le CNRS est encore, dans ses grandes lignes, tel qu’il a été constitué en octobre 1939 : l’ordonnance de novembre 19455 confirme ses missions originelles pour l’encouragement, le financement et la réalisation des recherches fondamentales et appliquées, ainsi que leur coordination au niveau national. Alors même qu’il est assimilé de facto à une direction du ministère de l’Éducation nationale, il porte encore les stigmates de sa genèse complexe : il est le fruit de la fusion entre la Caisse nationale de la recherche scientifique (la CNRS), dispensatrice de bourses et de crédits, et le Centre national de la recherche scientifique appliquée (CNRSA), héritier de l’Office national des recherches scientifiques et des inventions (ONRSI), créé en 1922 et disposant de quelques laboratoires propres dédiés à la recherche technique, en particulier à Bellevue. Malgré la fusion, la dichotomie persiste et l’on peut dire, avec Antoine Prost, qu’il n’y a pas, sous la IVe République, un, mais deux CNRS6. D’une part, celui qui fonctionne comme une agence de ressources, sous l’égide du Comité national de la recherche scientifique, et de ses commissions consultatives organisées par disciplines, qui recrute librement les chercheurs et les affecte dans la majorité des cas à des laboratoires de faculté, dont il finance directement l’activité en contribuant au budget de fonctionnement et d’équipement ; à partir de 1952, un accord est passé entre le CNRS et la direction de l’enseignement supérieur, la seconde se chargeant du budget de fonctionnement, le premier prenant en charge le budget d’équipement, ce qui permet le transfert d’une faculté à une autre des équipements les plus coûteux7. Mais parallèlement, le CNRS est aussi un institut de recherche, avec ses laboratoires propres, relevant exclusivement du directeur général et de ses adjuvants, le directoire.
4Créé pour suppléer aux insuffisances de l’enseignement supérieur, ce Centre de l’après-guerre est une institution encore très légère, dans ses structures comme dans son personnel : en septembre 1944, il dispose de 40 laboratoires propres, impliquant au mieux une dizaine de chercheurs, et emploie 1 800 personnes, dont 600 chercheurs. La croissance rapide de ses effectifs se fait avant tout par le bas, par la multiplication des postes d’entrée, et la diminution du nombre des allocations partielles ; les boursiers de recherche des années 1930 sont remplacés, avec le décret du 12 août 19458 et sur l’initiative de Frédéric Joliot, par des « stagiaires » puis « attachés de recherche », afin de manifester l’idée qu’ils exercent un véritable travail :
Le nom de « boursiers » ne nous plaît pas. [Les jeunes chercheurs] deviendront des « attachés », les candidats ne doivent pas avoir l’impression qu’ils sollicitent une faveur, mais que leur rémunération est la contrepartie d’une activité primordiale du point de vue national.9
5Son successeur à la tête du Centre, Georges Teissier, renchérit : « Le décret du 12 août fait du chercheur un travailleur avec tout ce que cela comporte de droits et de devoirs, un travailleur dont la société reconnaît et définit l’activité en la situant exactement dans l’échelle des activités humaines »10.
6Cette reconnaissance des chercheurs comme travailleurs ne suffit cependant pas à les insérer dans des carrières : la hiérarchie des attachés, chargés, maîtres et directeurs de recherche est certes construite parallèlement à celle des assistants, chefs de travaux, maîtres de conférences et professeurs pour ce qui est de l’établissement des rémunérations, mais l’accès aux deux derniers grades du CNRS est toujours pensé par le monde académique en général, et le Comité national de la recherche scientifique en particulier, comme nécessairement exceptionnel, relevant d’autant de cas d’espèce. Seuls les deux premiers de ces grades ont ainsi des fonctions claires : celui d’attaché vise à permettre la formation des scientifiques et l’accès au doctorat, celui de chargé à constituer un poste d’attente avant le départ vers l’Université ou l’industrie. Dans les représentations liées au modèle du savant, la recherche, forcément non routinière, instable, ne peut servir à elle seule de fondement et de légitimité à un statut professionnel : il s’avère par exemple nécessaire, pour justifier le passage des bourses aux allocations, et défendre le fait que la recherche soit considérée comme un travail, c’est-à-dire l’exécution d’un service11, d’inclure dans le statut de 1945 un « travail d’intérêt collectif ». Celui-ci, dont la nécessité est périodiquement rappelée par la direction, à coups de circulaires, reste néanmoins vague, à la discrétion du « patron », matérialisé par exemple par la participation à un travail expérimental extérieur à la thèse, à la contribution au Bulletin analytique du CNRS, parfois à l’enseignement, malgré les interdictions répétées. Après une visite au Collège de France, au laboratoire de Frédéric Joliot, un journaliste du Figaro littéraire, Paul Guth, explique ainsi en janvier 1955 :
M. [Michel] Langevin12, attaché de recherche, doit consacrer une partie de son temps à la recherche, ce qui est son idéal, et une autre partie à un « travail d’intérêt collectif », ce qui est moins sublime. En physique nucléaire, l’évolution de la technique est si rapide qu’elle exige un immense matériel d’électronique générale. On ne peut pas tout acheter dans le commerce, qui d’ailleurs, en France, ne pourrait pas le fournir. Dans le service d’électronique qu’il dirige, M. Langevin passe donc du quart à la moitié de son temps à fabriquer des appareils.13
7Le personnel chercheur du CNRS est donc constitué, dans les années 1940-1950, non pas de fonctionnaires ou de contractuels, mais d’allocataires sans statut14. En ce sens, selon une expression récurrente dans les textes issus de la direction du Centre comme des syndicats, ils « cumulent les inconvénients » : liés à la fonction publique par leur grille de salaires, ils n’ont pas accès aux niveaux de rémunération de l’industrie privée ou des organismes publics de recherche appliquée ; ils ne bénéficient d’aucune sécurité de l’emploi, contrepartie traditionnelle à la modicité des salaires des fonctionnaires, et doivent justifier leur allocation à intervalles réguliers. Cela peut entraîner des conséquences imprévues, mais révélatrices : la Fondation Rockefeller par exemple, qui a pour politique de n’attribuer de bourses de voyage qu’à de jeunes scientifiques assurés d’obtenir un poste à leur retour, refuse de prendre en compte les candidatures des chercheurs du CNRS, et favorise les assistants, fonctionnaires. Les attachés de recherche se plaignent en outre fréquemment de leurs difficultés à trouver un logement : là où un fonctionnaire peut obtenir de son administration un prêt à la construction remboursable par des retenues sur son traitement, cela est impossible à l’allocataire. En cas de maladie ou de grossesse, aucun dispositif de congé n’existe : seule est possible la suspension temporaire de l’allocation. En outre, le régime des prestations sociales, des accidents du travail et des retraites des chercheurs du CNRS est celui du droit commun, moins protecteur que celui des fonctionnaires : ils sont affiliés à la Sécurité sociale, et ne touchent aucune retraite avant 1951, date de leur affiliation à l’Institution générale de retraite des agents non titulaires de l’État (IPACTE)15, qui leur attribue le niveau minimum des cadres. Enfin, toute forme de cumul de rémunération est de facto interdite sous les mandats de Georges Teissier et Georges Dupouy : ces deux directeurs interprètent le décret du 12 août 194516 comme une interdiction d’exercice d’activités extérieures rémunérées telles que l’enseignement ou le conseil aux entreprises. Les rémunérations réelles des chercheurs sont donc systématiquement moins élevées que celles des universitaires ; pour les attachés, l’existence d’un échelon unique fait même qu’ils sont rattrapés, au bout d’un an, par les certifiés de l’enseignement secondaire, puis par les instituteurs. Michel Langevin va jusqu’à comparer, pour Paul Guth, « le chercheur à un oiseau anémique vacillant sur une patte au bout de la branche la plus branlante »17.
8Du point de vue de l’organisation, cette précarité a au moins trois immenses avantages. D’une part, elle autorise une grande souplesse de gestion, qui permet de laisser une importante liberté aux commissions consultatives lors des recrutements, et donc l’adaptation facile aux spécificités disciplinaires et aux cas particuliers : la lecture des procès-verbaux du directoire du CNRS dans les années 1940 et 1950 montre à quel point les avancements de grades, après le stade de chargé de recherche, sont traités comme autant de cas particuliers18. Un exemple parmi d’autres : lors de la séance du 20 novembre 1947, Manuel Valadarès, physicien portugais destitué par le régime de Salazar en juin 1947, tout juste nommé chargé de recherche de troisième classe, est unilatéralement placé en deuxième classe par Frédéric Joliot, « en raison des titres que l’intéressé possède dans son pays »19. Ensuite, elle maintient une pression de sélection propice à la publication rapide des résultats, et donc à la légitimation de l’existence du Centre, au prix de ce que l’astrophysicien Vladimir Kourganoff appelle « la nécessité obsédante de justifier en un temps limité [de son] “allocation” »20. Enfin, elle facilite les relations avec le ministère des Finances : celui-ci se montre beaucoup plus généreux et moins exigeant en matière de définition des postes lorsqu’il ne s’agit pas de créer des emplois de fonctionnaires, en particulier des chaires21. Lors d’une réunion préparatoire au plan quinquennal du CNRS, en 1951, prévoyant une démultiplication des effectifs de chercheurs, Yves Rocard, bon connaisseur de la haute fonction publique, rappelle ainsi qu’« il faut que les Finances sachent que le personnel ne sera pas des fonctionnaires »22. Et de fait, cette façon d’amadouer la rue de Rivoli est efficace : pendant le mandat de direction de Gaston Dupouy, le budget du Centre augmente régulièrement, de même que son personnel, après les embardées brutales des premières années ; le CNRS passe ainsi de 3 000 salariés en 1950 à 6 000 en 1958, soit un gonflement annuel moyen des personnels de 10 %, concernant, pour moitié, les chercheurs et, pour moitié, les collaborateurs23.
9L’instabilité constitutive des emplois de chercheurs est tout particulièrement forte pour les postes d’attachés de recherche, de loin les plus nombreux, qui ont avant tout une visée de sélection : la stratégie du Centre, héritée de Jean Perrin, est de multiplier les entrées, sans prérequis de diplôme, pour pouvoir ensuite détecter, « par un écrémage vigoureux », « “un Faraday” parmi tous les appelés à la base »24. Le recrutement est fait sur proposition de la commission consultative de la discipline concernée, qui s’appuie sur une demande personnelle faite sur simple papier libre, accompagnée d’une notice individuelle indiquant le laboratoire concerné, annotée par le chef de ce laboratoire, et les éventuels tirés à part des publications antérieures25. Le classement des candidatures se fait après l’établissement d’un rapport sur chacune d’entre elles, et trois votes successifs. Si l’entrée est dès lors facile et rapide, l’attaché de recherche est surveillé de près : comme tous les chercheurs du Centre, il doit fournir chaque année, pour la mi-mars, un rapport sur son activité, visé par son directeur de laboratoire, rapport qui est examiné par la commission consultative dont il relève ; son travail est en outre suivi par un parrain, extérieur au laboratoire, qui a pour mission de le conseiller, de l’orienter au besoin, et surtout d’adresser à son sujet un rapport annuel au Centre. La commission doit enfin statuer, tous les deux ans, sur le renouvellement éventuel de l’allocation, ce qui peut être fait deux fois, pour un total de six ans d’allocation, un troisième renouvellement nécessitant l’accord du directoire. Les postes de stagiaires et d’attachés sont ainsi, beaucoup plus nettement que ceux d’assistants, pensés comme des étapes de test, et non comme les premières marches d’une carrière : parmi les 173 stagiaires et 261 attachés en poste en 1947 en astronomie, physique et chimie, respectivement 103 et 199 parviennent à soutenir une thèse, soit respectivement 59 % et 76 %, ce qui témoigne d’une sélectivité certaine. Ce statut est en outre marqué par le maintien de ces postes dans une classe unique, équivalente à la dernière de celles des assistants, en termes de grille salariale. L’ancienneté ne fait donc rien au salaire de l’attaché : seul le passage au grade de chargé de recherche, pour lequel la soutenance d’une thèse de doctorat est une condition de fait nécessaire, mais pas suffisante, ou l’entrée dans un corps de faculté ou dans un autre organisme de recherche, peut lui permettre d’améliorer sa rémunération, en restant dans le monde académique.
10Malgré ces contraintes, ces postes s’avèrent attractifs, en particulier comparés aux bourses doctorales attribuées par la faculté et aux divers financements relevant du mécénat, issus des fondations Commercy, Carnegie-Curie ou Arconati-Visconti, très importantes dans l’entre-deux-guerres dans le financement des débuts de carrières scientifiques26 : le basculement est définitif après les dévaluations successives du franc en décembre 1945, janvier 194827 et septembre 1949, qui diminuent très fortement les rentes tirées de ces fonds, ne permettant plus à leurs récipiendaires d’en vivre. À sa création, en 1907, la fondation Commercy, qui représente alors un capital de 4 millions de francs placés à 3 %, finançait ainsi 24 bourses, de 5 000 francs chacune, soit environ 20 000 euros de 2019, à pouvoir d’achat constant ; en 1951-1952, elle n’en attribue plus qu’une seule, de 247 000 francs, soit environ 5 300 euros, à pouvoir d’achat constant28. L’usage de ces bourses devient dès lors résiduel, servant le plus souvent à financer un jeune chercheur quelques mois, avant qu’il n’obtienne un poste d’attaché de recherche ou d’assistant de faculté : le biochimiste Roger Acher par exemple, élève de Claude Fromageot, bénéficiaire à partir du 31 octobre 1949 de la bourse Commercy, l’abandonne ainsi en février 195129 pour entrer au CNRS30 et terminer la préparation de sa thèse, qu’il soutient en 1953.
11En parallèle à cette large base des attachés de recherche existe une hiérarchie de grades, de chargé à directeur de recherche, qui n’est alors ni autonome, ni complète : l’introduction de Gaston Dupouy au plan quinquennal du CNRS explique ainsi en 1950 que ces postes doivent être réservés à des « chercheurs arrivés par des voies latérales, ou [qui] consacrent leur activité à des branches qui n’offrent de débouchés ni dans l’enseignement, ni dans l’industrie », et ajoute que « le CNRS fait des chercheurs, il en prépare pour toutes les branches de l’activité de notre pays ; il en garde pour celles de ces branches qui n’existent que chez lui, et ne peuvent progresser que si le CNRS a les moyens de conserver les hommes qui lui sont nécessaires »31.
12En 1947, sur un personnel total de 1 408 chercheurs, toutes disciplines confondues, le CNRS emploie ainsi 23 directeurs de recherche, dont 15 seulement reçoivent une allocation entière, et 102 maîtres de recherche, dont 48 à temps plein. Plus précisément, cinq de ces directeurs de recherche sont physiciens, tous bénéficiant d’une allocation entière, et sont autant de cas particuliers : Jean-Jacques Trillat, Paul Lainé, Salomon Rosenblum, Jean Lecomte et Jean Mercier. À Bellevue exercent des scientifiques relevant de domaines peu ou pas implantés à l’Université, souvent liés à l’industrie à qui ils fournissent par exemple des moyens ponctuels d’analyse de matériaux, dans la logique du CNRS comme organisme de recherche : Jean-Jacques Trillat, détaché de la faculté des sciences de Besançon, où il ne dispose pas d’espace de travail, dirige le Laboratoire des rayons X, très lié à Pechiney et à l’Institut du pétrole ; Paul Lainé est à la tête du Laboratoire de physique du froid, résolument centré sur des enjeux industriels ; Salomon Rosenblum, juif polonais ayant étudié la physique en Suède avant d’entrer au laboratoire de Marie Curie, et donc l’exemple même du chercheur « arrivé par une voie latérale »32, dirige le Laboratoire de l’aimant permanent, l’un des premiers grands équipements de recherche. Les deux autres directeurs de recherche en activité sont autant d’hapax, de cas uniques, relevant du CNRS comme agence de moyens : Jean Lecomte, spécialiste d’infrarouge travaillant au Laboratoire des recherches physiques de la Sorbonne, dispose d’une fortune personnelle qui lui a permis de conserver le statut de « travailleur libre », donc bénévole, de 1919 à 1939, avant que le CNRS ne régularise la situation devenue gênante d’un scientifique reconnu, parfaitement intégré au champ, bénéficiant de crédits d’équipement, dirigeant même des thèses, mais hors de tout cadre juridique et professionnel33 ; Jean Mercier enfin, officiellement rattaché au Laboratoire de physique de l’ENS, semble surtout avoir été détaché au CNRS le temps que retombent quelque peu les conséquences de la guerre sur sa santé et sa réputation34, et son activité se limite à une participation à la préparation à l’agrégation et à la rédaction d’un manuel de thermodynamique.
13Les onze maîtres de recherche physiciens rémunérés par le CNRS à cette date correspondent à des profils semblables, par leur diversité même : proches de l’exemple de Salomon Rosenblum, on trouve par exemple au Collège de France le républicain espagnol exilé Manuel Martínez-Risco, rattaché à la chaire de Francis Perrin, ainsi que le chinois San-Tsiang Tsien, affecté au laboratoire de Frédéric Joliot, ou encore à la Sorbonne, au Laboratoire de physique-enseignement d’Eugène Darmois, le russe naturalisé français Boris Vodar. Dans la même catégorie que Jean-Jacques Trillat et Paul Lainé, Charles Guillaud dirige le Laboratoire de magnétisme et de physique des solides de Bellevue, très lié à la Société des lignes télégraphiques et téléphoniques (LTT) ; on y trouve aussi Noël Félici, adjoint de Louis Néel au Laboratoire d’électrostatique et de physique du métal à Grenoble, et créateur de la Société anonyme des machines électrostatiques (SAMES), société créée pour porter au stade industriel et commercialiser les générateurs électrostatiques inventés par Félici.
14La situation n’est guère différente en chimie, puisque parmi les dix-sept maîtres de recherche rémunérés35, on retrouve des chercheurs soit spécialisés dans des domaines peu développés à l’Université comme la chimie physique (où, en 1947, des chaires spécifiques n’existent qu’à Paris et Nancy) et la chimie biologique (où là aussi deux chaires seulement existent, à Paris et Lyon), soit s’intéressant à des sujets de recherche appliquée, en liaison soit avec l’industrie privée, soit avec d’autres organismes de recherche publique comme le Commissariat à l’énergie atomique et l’Institut national d’hygiène36. En se limitant à ceux qui, naturalisés français, sont le plus nettement arrivés par « la voie latérale », on peut ainsi citer Michel Magat et Moïse Haïssinsky pour la chimie physique, Edgar Lederer, Dikran Dervichian et Ernest Kahane pour la chimie biologique. En revanche, aucun laboratoire propre n’est consacré à la chimie organique ou à la chimie minérale, bien représentées à l’Université, grâce aux instituts de chimie des facultés des sciences. Ernest Kahane peut ainsi décrire la population des maîtres et directeurs de recherche :
Plusieurs chercheurs d’une valeur reconnue sont étrangers ; d’autres sont naturalisés, et l’enseignement supérieur apporte peu d’empressement à leur offrir un poste ; certains sont physiquement inaptes à l’enseignement ; quelques-uns, tout en poursuivant leurs recherches, ont accepté la direction d’un laboratoire d’application où ils seraient difficilement remplaçables ; la plupart, enfin, cultivent des disciplines comme la chimie analytique, la chimie biologique ou la chimie physique, pour lesquelles il n’existe pratiquement pas de chaires dans les facultés des sciences.37
15Il faut ajouter que le CNRS comprend aussi, à cette date, sept maîtres de recherche physiciens et quatre chimistes, qui ne touchent de sa part aucune rémunération : ce titre est dans leur cas symbolique, visant à prouver un engagement dans la recherche extérieur à leurs obligations professionnelles. C’est par exemple le cas de Jean Baurand, ancien élève de l’École normale supérieure, docteur ès sciences en 1932, professeur de physique au lycée Saint-Louis, participant à la préparation à l’agrégation rue d’Ulm de 1926 à 1966, qui est successivement chargé puis maître de recherche sans allocation, car il maintient une activité de recherche à l’ENS, dans les laboratoires d’Eugène Bloch et Georges Bruhat, puis d’Yves Rocard ; on trouve aussi parmi eux le chimiste Henri Moureu, ancien élève de l’ESPCI, directeur de 1941 à 1964 du Laboratoire municipal de la ville de Paris, qui dépend de la préfecture de Police et fait office de police scientifique, mais se livre aussi à des analyses des sols, des eaux et de l’air. Ces titres disparaissent à mesure que le CNRS dispose de crédits et de postes en nombre plus important : le directoire, dans sa réunion du 20 juin 1950, décide de les réserver au cas de chercheurs se rendant à l’étranger, ou d’étrangers séjournant en France38.
16Tout projet de stabilisation plus grande, ou de constitution de la recherche en carrière en soi et pour soi, visant en particulier à stabiliser les cadres des laboratoires propres, rencontre de dures oppositions : lorsque la question de la « fonctionnarisation » des chercheurs est posée dès 1938, au Conseil supérieur de la recherche scientifique, le projet est repoussé, en mobilisant l’idée qu’on ne peut jamais affirmer d’un scientifique qu’il sera « productif à vie »39. À l’extérieur des instances de direction, des revendications d’établissement d’un statut du chercheur apparaissent dès 1937 au moins, fruit de l’activisme du groupe Jeune Science40, et sont réactivées dès la Libération, en particulier par l’ATS et le SNESRS. Mais le sujet est à l’origine de divergences fortes au sein même du SNESRS, sur le plan stratégique : faut-il prioritairement revendiquer un statut pour les chercheurs, ou pour les assistants et chefs de travaux ? En outre, le syndicat lui-même ne va pas, dans un premier temps, jusqu’à la revendication d’une titularisation, d’une transformation des allocations en contrat, et encore moins d’une fonctionnarisation. Dans leur rapport sur les problèmes du CNRS publié en octobre 1949, Ernest Kahane et Robert Sauterey expliquent ainsi qu’« une telle garantie, si elle était obtenue, équivaudrait à une véritable paralysie du CNRS », rappelant que le syndicat a « toujours admis qu’un fonctionnement et un développement raisonnables de la recherche [exigent] le recrutement de nombreux stagiaires et attachés accompagné d’une sélection sérieuse sur la base des résultats obtenus dans l’exercice de la recherche »41. Lorsque le Syndicat indépendant de la recherche scientifique (SIRS), assez groupusculaire42, demande en 1950 la fonctionnarisation des chercheurs, la section parisienne du SNESRS se contente ainsi d’écarter cette revendication comme « simplement démagogique »43.
L’emprise de l’Université
17Le CNRS des années 1940 et 1950 ne peut ainsi fonctionner sans appui sur l’Université, qui en retour l’investit et le contrôle. C’est manifestement le cas au sommet : ses dirigeants, directeurs et directeurs adjoints, sont dans leur immense majorité des professeurs de faculté des sciences ou du Collège de France ; il en est de même au sein du directoire, instance de contrôle et d’arbitrage qui joue un grand rôle dans la répartition des crédits, ou des commissions consultatives de physique et de chimie, centrales dans le processus de recrutement. Dans son « âge académique », voire « féodal »44, le CNRS est ainsi dirigé par des universitaires dotés d’une très bonne connaissance du milieu scientifique ainsi que d’une autorité intellectuelle personnelle tirée de la légitimité propre au milieu des savants. Le poids du cadre administratif, et le pouvoir de fait qu’il peut représenter, reste encore très limité : comme l’explique avec virulence le minéralogiste et cristallographe Jean Wyart, « c’est la Cinquième République qui nous a flanqué des administrateurs partout ! »45. Cette omniprésence se fait aussi ressentir à la base, d’une part sur le plan humain, comme en témoigne le fait qu’en 1947 un tiers des chercheurs physiciens et la moitié des chimistes travaillent entre les murs d’une faculté des sciences, au sens le plus strict, et plus encore si l’on ajoute les travailleurs de l’Institut du radium, de l’Institut Henri Poincaré, et de l’École normale supérieure, institutions relevant de l’université de Paris, mais relativement indépendantes de la faculté – tandis que les laboratoires propres n’accueillent que 17 % des chercheurs physiciens, et 3 % des chimistes. Cette emprise est enfin notable sur le plan financier : en 1952-1953 par exemple, le CNRS finance l’activité de ses laboratoires propres à hauteur de 575 millions de francs, mais celle des laboratoires universitaires à hauteur de 2 milliards de francs, dont 1,4 milliard pour la seule université de Paris46.
18Cette omniprésence des universitaires au CNRS se traduit par le fait qu’en physique, comme en chimie, plus des deux tiers des chercheurs sont hébergés par une chaire de faculté ou assimilé en 1947 ; plus encore travaillent sous la direction d’un universitaire, puisque, sur 19 laboratoires propres dédiés à ces disciplines cette année-là, la moitié est dirigée par des enseignants de faculté ; en 1959, parmi 80 directeurs de laboratoires, 55 sont professeurs de faculté47 ; en 1966, alors que le CNRS possède 133 laboratoires propres, 82 directeurs et directeurs adjoints font partie de l’Université48. Une telle domination ne peut reculer, si elle recule, que très lentement, alors même que le CNRS connaît une croissance soutenue de son budget : en 1963, 63,5 % des stagiaires, attachés et chargés de recherche du CNRS en chimie sont dirigés par un professeur ou maître de conférences de faculté des sciences ou un professeur au Collège de France, et 70,4 % des stagiaires, attachés et chargés de recherche en physique ; par comparaison, 3,8 % seulement de ces jeunes chimistes sont dirigés par un maître de recherche, et 8,8 % par un directeur de recherche, ces chiffres étant de 5,6 % et 7,4 % pour leurs collègues physiciens49. En 1966 encore, les trois quarts des chercheurs du CNRS travaillent dans un laboratoire universitaire ou dans un organisme scientifique extérieur au Centre, public ou privé ; à l’inverse, dans les laboratoires propres, les employés du CNRS ne constituent qu’un peu plus de 40 % de l’effectif total des chercheurs50.
Figure 7. Évolution de la structure des emplois dans les facultés des sciences et au CNRS (1947, 1955, 1963)

Source : Thésitifs et INSEE, Annuaire statistique de la France. Résumé rétrospectif, Paris, INSEE, 1966.
19Cette captation des rôles dirigeants est permise par une structure des emplois, certes fortement pyramidale dans les deux cas, mais au sommet beaucoup moins étroit dans le corps des universitaires, qui permet aux facultés de jouer le rôle de réservoir de cadres et de dirigeants des équipes et laboratoires de recherche, situation remarquablement stable dans le temps (figure 7). Ce contraste s’explique avant tout par le flux permanent de chercheurs vers l’Université tout au long des années 1940 et 1950, en particulier des chargés de recherche : au-delà du statut symbolique, l’entrée dans le corps des enseignants de faculté permet une nette amélioration salariale, la sécurité de l’emploi personnel tout autant que de l’espace de travail, et ce indépendamment des aléas de la recherche, mais aussi l’accès direct aux étudiants, ce qui facilite le recrutement de la main-d’œuvre de plus en plus nécessaire au travail expérimental. Un jeune chargé de recherche ambitieux, comme le physicien Jacques-Émile Blamont au milieu des années 1950, est ainsi parfaitement conscient de l’importance d’obtenir rapidement ce type de poste : il y voit avant tout le moyen d’acquérir une personnalité académique et une indépendance scientifique, d’impulser ses propres programmes de recherche. Le cas du radiochimiste Moïse Haïssinsky est lui aussi éclairant : né à Taracha, en Ukraine, en 1898, un temps kibboutzim en Palestine, entré à l’Institut du radium en 1930 après un doctorat obtenu à l’Université de Rome en 192751, et très vite recruté au CNRS, il est un exemple caractéristique du chercheur de la « voie latérale », devenant directeur de recherche en 1955 ; pourtant, en 1959, alors que la chaire de physique nucléaire et radioactivité de la faculté des sciences de Paris est dédoublée, suite au décès de son titulaire Frédéric Joliot, par adjonction d’une chaire de radiochimie, il se résout à soutenir une thèse de doctorat ès sciences physiques, à 61 ans, pour pouvoir y être nommé et ainsi garantir le développement de sa discipline, privée subitement de l’ombre protectrice des Joliot-Curie52.
20Par-delà ces deux exemples, significatifs parce que très différents, le flux est quantitativement important : pour les disciplines relevant des facultés des sciences, sur 890 boursiers ingénieurs-docteurs, stagiaires et attachés de recherche en poste au CNRS en 1947 et relevant des « sciences exactes », 262 émargent toujours au Centre en 1955, et 42 seulement en 1963, soit 16 ans plus tard, comme chargé (43, soit 4,8 %), maître (76, soit 8,6 %) ou directeur de recherche (23, soit 2,6 %), alors que 66 sont maîtres de conférences (soit 7,4 %), et 97 professeurs (soit 10,9 %), dans une faculté des sciences. En se limitant aux sciences physiques, sur 553 boursiers, stagiaires et attachés, 76 ont conservé un poste comme chargé (21, soit 3,8 %), maître (40, soit 7,3 %) ou directeur (15, soit 2,7 %) ; 46 sont devenus maîtres de conférences (soit 8,3 %) et 52 professeurs (9,4 %). Selon les évaluations du CNRS lui-même, en 1961-1962, 350 chercheurs, sur 3 400, ont quitté le Centre, soit un peu plus de 10 % ; parmi ces départs, entre 60 et 70 % se sont faits vers l’enseignement supérieur53. Les postes de début de carrière fournis par le CNRS donnent donc bien au moins autant accès aux postes d’encadrant dans les facultés qu’à ceux du CNRS lui-même, alors que la réciproque est fausse : aucun des assistants et chargés de travaux en poste en 1947 n’est inscrit au tableau de classement du CNRS en 1963. Ce flux, très nettement asymétrique, amène ainsi en retour le CNRS à prendre une place importante dans les carrières universitaires, dans le courant des années 1950 et 1960, pour ainsi dire par le bas : en 1964, sur 276 professeurs et maîtres de conférences exerçant aux facultés des sciences de Paris et Orsay, 123 sont des anciens du Centre (soit 44,6 %), dont 44 sont physiciens et 25 chimistes54 ; de manière générale, selon un rapport du directeur général Pierre Jacquinot, daté de mars 1964, environ 50 % des « maîtres du supérieur » ont passé entre 4 et 10 ans au CNRS55. La carrière modale en sciences physiques tend ainsi progressivement, de strictement universitaire, à devenir mixte, confiée au CNRS dans sa première partie, avant l’accès à la maîtrise de conférences et la continuation d’une trajectoire inscrite dans les cadres des facultés.
La bataille du statut des chercheurs
21Cette complémentarité conflictuelle permet de nuancer l’idée d’un CNRS comme espace créé pour et par la professionnalisation de la recherche, de réinterroger la thèse, développée dans les histoires commémoratives écrites à l’occasion de son cinquantenaire, qu’il est devenu un système de carrières en soi et pour soi par la simple force des choses, success story naturelle et fruit direct, ou du moins nécessaire, des projets de Jean Perrin et de la fondation de grands laboratoires propres. En reprenant les perspectives d’Andrew Abbott, il faut insister sur le fait que ce concept de professionnalisation, outre sa dimension téléologique, se fonde sur une conception abstraite du changement social, qui laisse peu de place à la contingence, à la discontinuité, à la conflictualité ou à la régression, en bref aux projets divergents des acteurs56. De fait, à la Libération, l’existence de laboratoires propres dont il faut pérenniser l’action ne suffit pas à légitimer la mise en place de carrières spécifiques qui puissent être considérées comme relevant du même terrain intellectuel que celui dont les universitaires estiment relever. Lorsque de nouveaux centres de recherche sont créés, il s’agit surtout d’initiatives individuelles et ponctuelles, auxquelles le CNRS apporte un soutien le moment venu, par le biais de sa direction, et non le résultat de l’identification collective de besoins nationaux. Les grands laboratoires qui naissent à la fin des années 1940 et 1950 sont ainsi avant tout le fruit de l’activisme de quelques grands patrons universitaires, hyperactifs et très bien en cour : Aimé Cotton et son Laboratoire du grand électro-aimant avant même la guerre, mais aussi et surtout, après-guerre, Henri Gault et son Centre d’études et de recherches de chimie organique appliquée (CERCOA) de 1946, Louis Néel et le Laboratoire d’électrostatique et de physique du métal (LEPM), mis en place à Grenoble la même année, Charles Sadron et son usine de recherche créée en 1947, le Centre de recherche sur les macromolécules (CRM) de Strasbourg57, ou, en 1958, l’Institut de recherche sur la catalyse (IRC), fondé à Lyon pour Marcel Prettre, le Laboratoire d’optique électronique de Gaston Dupouy à Toulouse, et l’Institut de chimie des substances naturelles (ICSN), à Gif-sur-Yvette, pour Edgar Lederer et Maurice-Marie Janot58.
22Ce type de laboratoire, pour ces entrepreneurs académiques ancrés dans l’Université, est avant tout un gage d’efficacité : il s’agit de rassembler des équipes autour d’une instrumentation lourde, et d’instaurer des collaborations avec l’industrie. Mais, pour la grande majorité de ces patrons, il ne s’agit pas pour autant de créer un espace professionnel autonome. C’est ce que montrent par exemple les doléances exprimées par les commissions du CNRS à la fin de l’année 1950 et au début de 1951, lors de l’enquête lancée par Gaston Dupouy en vue de préparer un plan quinquennal du CNRS. On en veut pour preuve que quatre des plus actifs promoteurs de ce type de régime de production des faits scientifiques, à savoir Louis Néel, Yves Rocard, Charles Guillaud et Gaston Dupouy lui-même, lorsqu’ils décrivent un « institut-type », s’opposent directement à un tel projet :
Plusieurs membres de la section expriment d’abord leurs doutes sur l’opportunité de maintenir des personnes âgées dans une activité de recherche pure, sans aucune charge d’intérêt collectif (Dupouy – Néel – Rocard). Les bourses de stagiaire et d’attaché doivent être considérées comme une facilité accordée aux jeunes chercheurs en vue de la préparation d’une thèse. […]
Les grades de maître de recherche et de directeur de recherche disparaîtraient, les intéressés étant respectivement remplacés par des maîtres de conférences et professeurs titulaires auxquels incomberaient les postes supérieurs des laboratoires (Guillaud – Néel – Rocard). Ceci suppose l’enseignement supérieur en état d’absorber le personnel correspondant.59
23Ce rapport ne reconnaît ainsi comme carrière complète légitime au CNRS que celles que Guillaud appelle des « ingénieurs scientifiques », au métier avant tout consacré aux charges d’intérêt collectif intrinsèques d’un grand laboratoire, mais disposant d’une marge d’initiative scientifique limitée. De façon prévisible, les disciplines les mieux ancrées à l’Université suivent unanimement la même ligne : c’est le cas, par exemple, des autres commissions de physique, beaucoup plus intéressées par l’équipement de leurs laboratoires que par la réforme des cadres juridiques et professionnels. Sans doute l’une des plus proches du modèle du savant, la commission de chimie organique, avance même que la création d’un personnel stable de titulaires ne lui paraît pas souhaitable :
Dans les laboratoires actifs qui, en raison de la personnalité du directeur ou de ceux qui l’entourent, hébergent un nombre élevé de chercheurs du Centre, il y a un besoin de personnel qui dépasse largement les besoins normaux d’un laboratoire d’université. Comme d’autre part ces besoins sont temporaires, puisqu’ils sont liés à la qualité d’un chef de laboratoire, la création d’un personnel stable de titulaires ne paraît pas souhaitable.60
24Charles Dufraisse, professeur de chimie organique au Collège de France, va jusqu’à dénoncer le CNRS comme « une sorte de corps de fonctionnaires-chercheurs [sic] appelés à faire normalement leur carrière en entier dans cette administration » ; à ses yeux, « il serait plus rationnel de rendre systématiquement à l’industrie, ou à l’enseignement, après quelques années, tous les allocataires du CNRS, de manière à établir un roulement qui ouvre un plus large accès à d’autres bénéficiaires »61. Paul Montel, enfin, modèle du savant mathématicien, doyen de la faculté des sciences de Paris de 1941 à 1946, conclut son plaidoyer malthusien par cette sentence définitive : « Il nous faut moins de chercheurs et plus de trouveurs »62.
25Lors de cette consultation de 1950-1951, au sein de cette unanimité des grands patrons physiciens, mais aussi chimistes, mathématiciens ou biologistes, pour défendre la centralité des universitaires, il faut souligner que deux sous-disciplines se distinguent nettement : la chimie physique et la chimie biologique. Parmi les principaux entrepreneurs de science, à la tête de laboratoires propres accueillant plus de cinquante personnes, seul Charles Sadron remarque ainsi que la vie des laboratoires du CNRS est « suspendue aux aléas de la carrière universitaire du professeur qui – comme c’est la règle habituelle – dirige ces laboratoires »63 : pour assurer les investissements faits par le CNRS contre ce risque, il lui semble nécessaire de pouvoir constituer autour du directeur un état-major de chercheurs et de techniciens stables, placés à la tête des services principaux du laboratoire, susceptible d’« assurer la bonne marche du laboratoire, qui pourrait ainsi survivre à la disparition de son chef ». À ses yeux, « il est impossible d’assurer la direction d’un laboratoire de quelque importance sans l’aide de collaborateurs stables, pleins d’expériences, intéressés dans l’avenir du laboratoire », ce qui l’amène à demander la création d’un cadre permanent spécifique, composé de contractuels de droit public. Cette revendication est sans doute rendue d’autant plus urgente dans son cas que ni l’université ni l’industrie strasbourgeoises ne soutiennent efficacement son pourtant dynamique Centre de recherche sur les macromolécules64. Si la commission de chimie physique, où l’on trouve Edmond Bauer, Michel Magat et Maurice Letort, est moins catégorique sur les mesures à prendre, elle n’en souligne pas moins qu’elle est consciente « de la situation des chargés et maîtres de recherche, lorsque change le directeur d’un laboratoire. Il y aurait là tout un statut à préciser »65. En chimie biologique, Claude Fromageot66 et surtout Jean Roche rejoignent des positions proches, ce dernier avançant par exemple qu’« il ne servirait de rien de doter notre pays d’un équipement permettant un large développement des recherches s’il ne disposait pas d’un cadre de chercheurs qualifiés »67. Cette distinction s’explique avant tout par le caractère marginal de ces deux disciplines dans les facultés des sciences : réduites à la portion congrue en termes de chaires, cantonnées dans des sections très spécialisées du CCU, elles ne peuvent se reposer sur l’Université pour stabiliser les cadres de leurs laboratoires, alors qu’elles ont tout autant, voire plus encore que les autres, adopté un mode de travail collectif. Une telle marginalisation, il faut le souligner, ne peut jouer en physique expérimentale, puisqu’elle se trouve tout entière réunie dans une section commune du CCU : aucun domaine de recherche ne s’y trouve donc a priori limité dans son accès aux maîtrises de conférences, comparativement aux autres. Si la physique théorique dispose d’une section spécifique, aux postes rares, cette discipline ne correspond à aucun laboratoire propre, et la pratique du travail collectif y reste exceptionnelle : l’enjeu de la mise en place d’un cadre indépendant des aléas universitaires ne s’y impose donc pas plus qu’ailleurs.
26Cette position majoritaire se trouve remise en question sous la pression de la spécialisation spécifique des laboratoires du Centre. Puisque, comme le souligne le directeur adjoint Georges Champetier, approuvé en cela par l’unanimité du directoire en 1950, « la raison d’être des laboratoires du Centre est l’étude de disciplines nouvelles qui n’entrent pas dans le cadre des enseignements classiques de facultés »68, alors le passage des chercheurs relevant des laboratoires propres vers l’Université est mécaniquement difficile. Par définition même, ces scientifiques ne pourront en effet enseigner directement leur spécialité, à moins qu’une chaire ne soit créée ad hoc, et surtout se trouvent défavorisés dans la conquête des postes face à des candidats dont les recherches relèvent justement de ces enseignements classiques – candidats qui peuvent être eux aussi chercheurs aux CNRS, mais relevant du CNRS comme agence de financement, et rattachés à un laboratoire de faculté. Le capital scientifique lentement accumulé par les chercheurs des laboratoires propres est ainsi chroniquement dévalué sur le marché académique. Ces laboratoires, qui permettent au CNRS de s’affirmer comme organisme de recherche, risquent dès lors de fonctionner comme un piège, comme une nasse bloquant l’accès de ceux qui s’y engagent à une carrière universitaire, alors même que, comme le remarque Sadron, les laboratoires de sciences expérimentales ont de plus en plus besoin de cadres stables sur lesquels s’appuyer. Quant aux chercheurs du CNRS affectés aux laboratoires universitaires, ils sont indirectement confrontés à la massification de l’enseignement supérieur, qui exerce une pression sur l’espace de travail qui peut leur être affecté par les facultés, menaçant indirectement leur développement scientifique et donc leurs possibilités de carrières69.
27Ce blocage des carrières, ou plutôt l’anticipation d’un tel blocage, n’est pas un vecteur suffisant en soi de professionnalisation : s’il débouche, à terme, sur la promulgation d’un statut, c’est par le biais de l’activisme d’un certain nombre d’acteurs, activisme dont la manifestation la plus visible est la scission du SNESRS, et la création du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS), toujours affilié à la FEN. Ce n’est guère un hasard si les premières revendications fortes de constitution d’une carrière spécifique au CNRS, qui permette donc de contourner l’obstacle, apparaissent dans le cadre des laboratoires de Bellevue, autour de Boris Vodar, du Laboratoire de synthèse atomique d’Ivry, et plus globalement de l’Institut du radium, avec Marc Lefort et Georges Charpak, du Centre d’études sociologiques avec François Isambert, en province du Centre de recherches scientifiques, industrielles et maritimes à Marseille et du Centre de recherche sur les macromolécules à Strasbourg, mais aussi de ceux de l’Institut Pasteur avec Raymond Dedonder70 et Norbert Grelet, confrontés à une situation semblable. Ces revendications réapparaissent au sein du SNESRS à partir de 1951, moment où un arrêt temporaire des pourtant timides créations de postes à l’Université fait craindre une fermeture complète de ce débouché71 et amène à relancer le projet de statut du chercheur : une motion est votée au congrès national du 4 novembre 1951, revendiquant clairement un tel statut ; elle est cependant repoussée en fin de texte, après la question des assistants et chefs de travaux72. Mais les chercheurs deviennent alors majoritaires dans le syndicat : lors du congrès de novembre 1955, il compte 874 adhérents, dont 464 salariés du CNRS, 335 universitaires et 75 personnels des bibliothèques73. La désormais major pars des chercheurs du CNRS, agissante et nombreuse, favorable à la mise en place d’un statut, quitte parfois à accepter la rupture avec les universitaires74, et encouragée par l’inscription de la recherche à l’agenda politique par Pierre Mendès France, entre dès lors progressivement en confrontation avec la sanior pars des instances dirigeantes du syndicat, incarnée par Louis Barrabé, Évry Schatzman et Ernest Kahane, qui continuent à voir avant tout dans le CNRS une agence de moyens d’une part, un palliatif aux rigidités réglementaires d’autre part.
28Ces frictions se manifestent ouvertement à partir de la fin de l’année 1954, avec la parution dans le Bulletin d’articles critiquant durement la direction du syndicat75, puis de vifs échanges lors du congrès extraordinaire du 28 novembre 1954 : la direction, bousculée, met en place une commission du statut, débouchant sur un projet en 1955, qui entend transformer les chercheurs en contractuels de la fonction publique, disposant du droit de cumul76. Le nouveau congrès extraordinaire de la mi-novembre 1955 s’avère malgré tout très houleux : dans un contexte d’effritement continu de l’effectif syndiqué, trois fois plus de délégués du CNRS que de l’enseignement supérieur sont présents en séance ; le clivage est aggravé par un rapport d’activité agressif, accusant les opposants de « confusionnisme » et de « séparatisme »77. L’assemblée se sépare en ayant décidé d’un référendum sur la structure syndicale : les chercheurs optent à 60 % pour la scission, de même que 40 % des universitaires ; le divorce est entériné par le congrès du 18 mars 1956, avec la création du SNCS d’une part et du SNESup d’autre part. Or le SNCS connaît un fort succès dès sa création : lors des six premiers mois de son existence, il reçoit plus d’un millier d’adhésions, soit plus du double du nombre de chercheurs anciennement syndiqués au SNESRS ; particulièrement implanté en physique, biochimie et sociologie78, il syndique ainsi environ un tiers des chercheurs du CNRS. Si les grèves qu’il lance en décembre 1956 et décembre 1957, très suivies, servent surtout à établir le contact avec la direction du CNRS, le poids du SNCS est démultiplié par ses liens étroits, et son alliance objective, avec le réseau de scientifiques qui entoure Pierre Mendès France : Jacques Monod, l’un des organisateurs du colloque de Caen, est membre du SNCS et un collègue et un ami de Raymond Dedonder. Si le CNRS n’est pas représenté officiellement lors de ce colloque, Dedonder et Lefort y sont présents, le changeant un court instant en une tribune de légitimation très efficace : dès le premier numéro du bulletin La vie de la recherche scientifique, Dedonder, soulignant que le cinquième point du colloque de Caen réclame la mise en place d’un statut des chercheurs du CNRS, proclame que « l’assemblée a unanimement reconnu nos objectifs syndicaux »79. Le SNCS incarne et devient l’instance de représentation légitime du groupe social émergent des chercheurs scientifiques, par distinction d’une part avec les universitaires, et d’autre part avec la recherche industrielle privée. C’est ce qui lui permet, par exemple, de présenter des listes syndicales aux élections du Comité national de la recherche scientifique à partir de 1957, avec un succès tout particulier dans les sections de chimie et de physique.
29Cette revendication de la recherche comme profession en soi, au travers du CNRS, rencontre la forte opposition d’une frange importante des universitaires. D’une part, la prédominance des universitaires parisiens en général, des héritiers du groupe de Jean Perrin en particulier, à la tête du CNRS et parmi ses principaux bénéficiaires, n’est pas sans nourrir un ressentiment persistant, que Gerard R. Pomerat découvre par exemple le 13 juin 1949 à Lyon, chez Daniel Cordier, biochimiste occupant une chaire de physiologie générale et comparée :
Les [Cordier]80 réaffirment leur conviction que le CNRS, depuis la fin de la guerre, a pris une orientation qui ne sert pas au mieux les intérêts de la France, même s’il s’avère très utile aux réfugiés d’Europe centrale. Selon eux, les réfugiés sont aidés au détriment de jeunes scientifiques français tout aussi méritants. [Cordier] en rend responsables les partis pris politiques et la faiblesse de Teissier, mais dit que c’est aussi la faute de l’administration du CNRS. Selon lui, la séparation du CNRS et des universités après la Libération a été la pire des erreurs, alors même que ces dernières devaient être les principales bénéficiaires de son aide.81
30De manière générale, l’immédiat après-guerre voit pourtant ce type de critiques, très vives dans les années 1930, s’atténuer par l’inclusion large des professeurs dans la « République des savants » de Frédéric Joliot82. Les reproches persistent malgré tout dans les facultés les moins représentées dans les commissions et au directoire, à Strasbourg et Bordeaux par exemple : les assemblées de ces deux facultés des sciences votent, en juillet 1945, un vœu exprimant leur crainte que le CNRS, tel qu’il a été restructuré, ne constitue une concurrence déloyale pour le recrutement des facultés de province83. On retrouve des positions semblables exprimées à l’intérieur du SNESRS. Lors du congrès national du 17 février 1947, par exemple, la section de Nancy propose la motion suivante, en réponse au projet de statut élaboré par le syndicat :
1. Nous rappelons que l’Enseignement supérieur a deux fonctions essentielles : l’enseignement et la recherche. L’Enseignement supérieur ayant été abandonné par l’administration, le CNRS a, dans le passé, sauvé la recherche en France.
2. Mais nous nous étonnons qu’aujourd’hui le CNRS projette de s’ériger en administration autonome, ayant ses cadres, son avancement, sa retraite, et se développant parallèlement à l’Enseignement supérieur et indépendamment de lui. […]
3. Aucun statut du chercheur ne peut être valable avant une réforme du statut de l’Enseignement supérieur et la création des offices de recherche industrielle.84
31Cette motion est doublée par un texte, plus court, mais de même teneur, de la section d’Alger, et reçoit le soutien marqué des sections de Besançon et de Montpellier. Si tous ces textes sont repoussés à la majorité, grâce au poids des Parisiens dans le congrès, il est indéniable que les facultés des départements craignent que le CNRS ne constitue une concurrence redoutable dans l’accès aux ressources comme dans le recrutement. Cette crainte est d’ailleurs en partie au moins justifiée, semble-t-il. En 1948, le directeur du Centre, Georges Teissier, écrit une circulaire musclée, tirée à 2 000 exemplaires et envoyée à tous les recteurs, doyens de facultés, membres des commissions consultatives et chercheurs du CNRS :
À de multiples reprises, des observations ont été présentées à la direction du Centre national de la recherche scientifique sur les difficultés que rencontrent les universités pour le recrutement de leur personnel. Monsieur le directeur de l’Enseignement supérieur a, récemment encore, appelé l’attention du CNRS sur cette situation.
Une des raisons les plus fréquemment invoquées réside dans le fait que les travailleurs appartenant au Centre national de la recherche scientifique refusent les postes qui leur sont offerts et qu’ils seraient aptes à remplir parce qu’en les acceptant ils verraient diminuer le montant de leurs émoluments.
La commission du statut85, instituée l’année dernière en vue de préparer un statut organique complet des chercheurs, a été vivement émue de ces allégations. Il ne saurait être, en effet, un seul instant question, pour le Centre national de la recherche scientifique, d’entraver le développement des universités.86
32Pour tuer dans l’œuf les risques de concurrence, le CNRS, par la voix de Georges Teissier, prend alors l’engagement, avant même la promulgation du statut alors espéré, de compléter lui-même le salaire des chercheurs qui accepteraient dans l’enseignement supérieur une fonction comportant un traitement inférieur, de telle façon que leur niveau de rémunération soit conservé, sous réserve qu’ils continuent leurs travaux de recherche. Un chargé de recherche qui prendrait un poste d’assistant conserverait ainsi son salaire. Cette disposition, maintenue en l’absence de statut jusqu’à la mise en place du cadre unique en 1959, et encore renforcée par la décision de Georges Dupouy de nommer, à compter de juillet 1951, et sauf exception, les nouveaux maîtres de recherche « au taux d’un maître de conférences de troisième classe en province »87, atténue efficacement la concurrence avec l’Université, mais sape sans doute indirectement les efforts de mise en place d’un statut, puisqu’elle entérine que le parcours normal, dès lors qu’il est possible, implique un départ vers les cadres des facultés.
33Pendant les années 1940 et 1950, à l’intérieur même du CNRS, en ses rangs les plus élevés, l’autonomie du CNRS, intrinsèquement liée à la question d’un statut pour ses chercheurs, reste ainsi un repoussoir : comme l’exprime, en off, le directeur Gaston Dupouy, au moment du colloque de Caen : « Nous, professeurs de l’enseignement supérieur, nous sommes actuellement les patrons au CNRS, si nous donnons un statut aux chercheurs, nous allons perdre notre autorité sur cette maison »88. Si, dans son discours lors du colloque, Dupouy rappelle les enjeux du « cumul des désavantages »89, son objectif se limite à la mise par écrit d’un règlement intérieur, simple codification des règles d’usage. Comme le rapportent les syndicalistes Marc Lefort et Guy Rideau :
Nous n’avons trouvé auprès du directeur du CNRS un accueil favorable ni à notre projet ni à la notion même de statut. M. Dupouy a fait état d’un règlement intérieur préparé par ses services et qu’il a d’ailleurs refusé de nous communiquer sous divers prétextes.90
34La situation est débloquée subitement avec l’arrivée à la direction du CNRS de Jean Coulomb en 1957. S’il est professeur de faculté, comme ses prédécesseurs, et issu de la même génération (il est né en 1904), Coulomb est issu d’un secteur disciplinaire, la géophysique, où les chaires sont rares et où la recherche est depuis le xixe siècle organisée dans des organismes spécifiques, en périphérie du système universitaire, les instituts de physique du globe et les observatoires d’astronomie91. Avant d’accéder à la chaire parisienne de physique du globe, en 1941, entrant du même coup dans les cadres universitaires, sa carrière s’est ainsi déroulée, après sa sortie de l’École normale supérieure, tout d’abord comme assistant de la chaire de physique mathématique au Collège de France, auprès de Marcel Brillouin, de 1928 à 1932, puis comme physicien-adjoint à l’Institut et observatoire de physique du globe du Puy-de-Dôme jusqu’en 1936, enfin comme directeur de l’Institut de météorologie et de physique du globe de l’Algérie. Cette trajectoire explique sans doute sa proximité précoce avec le mouvement favorable à l’instauration d’un statut des chercheurs, ce dont témoigne son mandat de président de l’ATS, en 1949-1950 ; c’est en outre un partisan affirmé de la mise en place d’une politique et d’un ministère de la recherche. En contact amical avec les mouvements syndicaux, il est en outre très bien inséré dans les réseaux des scientifiques proches de Mendès France, ne serait-ce que par le biais de son cousin germain Henri Laugier ; Jean-Louis Crémieux-Brilhac en parle ainsi comme d’un « allié merveilleux »92 de l’Association d’études pour l’expansion de la recherche scientifique (AEERS). Surtout, contrairement à Gaston Dupouy, fidèle avant tout à l’Université, Coulomb est un adepte de ce qu’il appelle, un peu mystérieusement, le « précepte de Charles Péguy » : « ne jamais rendre à l’ennemi la place que le roi vous a confiée »93. Or Coulomb a justement pu croire la citadelle CNRS menacée lorsqu’en avril 1959, le Comité consultatif de la recherche scientifique et technique (CCRST)94, engagé dans de vifs débats au sommet sur la question de la réforme du Centre, appuyés sur le rapport de l’inspecteur des finances Jean Kientz95, en vient à poser la question du démembrement de l’institution, séparant ses deux faces. Si le projet échoue, en particulier du fait de l’opposition du ministre de l’Éducation nationale, André Boulloche, Jean Coulomb profite du fait que le CNRS se trouve au centre des discussions pour pousser en avant le statut des chercheurs, s’appuyant lui aussi sur le rapport qu’il a demandé en 1958 à un inspecteur des finances, Paul Lemerle96 : une décision de principe est prise lors de la réunion interministérielle du CCRST du 24 juin 1959, présidée par le Premier ministre Michel Debré ; les 22 et 27 juillet, le CCRST discute de différents projets en présence, s’appuyant en particulier sur le travail du chimiste Félix Trombe, directeur de recherche travaillant à Bellevue, et sur les projets syndicaux transmis par Raymond Dedonder ; le texte d’une série de décrets est établi le 28 juillet ; ceux-ci sont publiés le 9 décembre 1959.
35Les huit décrets et les quatre arrêtés de décembre 1959 constituent une nouvelle charte pour le CNRS : une mission nouvelle lui est confiée, celle d’analyser pour le gouvernement, d’une façon permanente, la conjoncture scientifique ; la participation du secteur industriel et économique au fonctionnement du conseil d’administration, du directoire et du Comité national de la recherche scientifique, devient réglementaire. Mais surtout, ils créent un corps de chercheurs contractuels de droit public97, mettant fin à l’instabilité du système des allocations : l’engagement des chargés, maîtres et directeurs de recherche est désormais effectué pour une durée indéterminée98. Les attachés sont toujours recrutés pour deux ans, engagement renouvelable deux fois sur proposition de la section compétente, et une fois supplémentaire sur proposition du directoire, mais la durée du stage n’est désormais plus que d’un an ; surtout, la sécurité de l’emploi acquise par les grades supérieurs tend à « déteindre », comme en témoigne le cas de Constant Axelrad, lorsqu’il est présenté au directoire :
Mme Plin99 évoque le cas de M. Axelrad, attaché de recherche au CNRS, nommé jusqu’au 30 septembre 1964, date à laquelle expire sa huitième année. La section de théories physiques, probabilités et applications, dont il dépend, a proposé la suppression de son allocation. […]
À ce propos, le directoire demande qu’une note soit diffusée auprès des présidents de section, afin d’attirer leur attention sur le fait qu’une délibération aboutissant à la suppression d’une allocation pour insuffisance professionnelle présente certaines caractéristiques qui rendent la décision inattaquable.100
36La classe unique des attachés disparaît, remplacée par une grille parallèle à celle des assistants de faculté : le grade d’entrée au CNRS passe ainsi d’une logique de sélection à une logique de probation, constituant désormais un test dans le cadre d’un prérecrutement. En outre, une fraction des directeurs et maîtres de recherche sont titularisés101, par le biais d’un corps fonctionnaire de « directeurs scientifiques », comprenant les directeurs et directeurs adjoints d’institut de recherche, les directeurs de laboratoire de recherche, et les directeurs de recherche chargés de diriger les travaux d’un groupe de recherche. L’accès à ce corps, réservé à la fraction des directeurs et des maîtres de recherche qui exercent ce type de fonctions, et qui les rend réellement égaux des professeurs de faculté, est entre les mains du directoire. Dans les faits, cette fonctionnarisation reste restreinte : en 1963, pour 35 directeurs de recherche en chimie, 20 sont titulaires ; sur 24 directeurs de recherche physiciens, 9 sont titulaires. Plus globalement, les règles fixant les rémunérations au début de chaque grade sont assouplies, afin d’accélérer les carrières102, et les cumuls sont rendus possibles à partir du grade de chargé de recherche. Les traitements offerts par l’industrie privée ou publique, les autres grands organismes de recherche, et bien souvent l’Université, restent néanmoins supérieurs. À cette occasion, le CNRS se voit retirer définitivement la mission de coordination de la recherche inscrite dans le décret de 1945, qui s’est à l’usage avérée utopique103 : celle-ci est confiée à plusieurs instances de coordination, à l’échelon interministériel. Ce qui pourrait être vu comme une défaite de l’institution est surtout la reconnaissance de sa mission d’organisme de recherche indépendant, proposant des carrières qui lui sont propres, faisant passer au second plan son rôle d’agence de ressource et de direction de ministère.
37Les décrets publiés, le SNCS décerne un satisfecit clair et net : « Espéré par tous, but de notre syndicat depuis sa formation, malgré tous ses défauts, ce statut définit implicitement […] une nouvelle fonction d’État : celle de chercheur à temps complet »104. Mais dans un rapport pour le CCRST de 1961, Boris Vodar note que « d’ores et déjà, le jeune chercheur peut apercevoir un espoir d’une situation honorable, sinon très brillante, au sommet de la hiérarchie, et il n’est pas impossible qu’il quittera moins volontiers le CNRS, et qu’ainsi le problème de la concurrence des carrières deviendra de plus en plus important »105. Si le SNESup se maintient dans la position anti-anti-chercheurs106 qu’il tient depuis la scission de 1956, la réaction de la Fédération des syndicats autonomes de l’enseignement supérieur est ainsi particulièrement violente. Resté jusque-là distant des enjeux du CNRS, se limitant au mieux à un paternalisme bienveillant, teinté d’indifférence, le bureau national renverse la métaphorique table, par la voix de son président l’historien Roland Mousnier, et de son secrétaire général le chimiste Léon Piaux :
Depuis longtemps, certains membres du CNRS répandent partout que les professeurs des facultés […] sont des attardés, des fossiles, que leurs méthodes et leurs conceptions de la science sont périmées, leurs recherches puériles, byzantines, et d’ailleurs le plus souvent inexistantes, que seul le CNRS fait un travail utile, qu’il représente l’avenir de la science, et que c’est à lui seul que toute la recherche doit revenir. […]
Pour la première fois, le décret 59-1400 institue une carrière de chercheur d’accès plus facile, plus rapide, plus avantageuse, que celle des professeurs […].
Qui ne voit que de telles dispositions sont de nature à détourner à bref délai vers le CNRS de jeunes gens et de jeunes filles qui seraient normalement allés vers les facultés […] ; que le CNRS va prendre les meilleurs, tarir le recrutement des facultés et des autres établissements d’enseignement supérieur, les empêcher de jouer leur rôle qui est d’abord un rôle de chercheur. […]
Des observateurs extérieurs jugent le danger si grand qu’ils pensent que nulle entente n’est possible, que le CNRS est un cancer qui finira par dévorer tout l’enseignement. […]
Le bureau est unanime à penser que les décrets du 9 décembre doivent être profondément modifiés, sinon abrogés et remplacés par d’autres. Mais les trois quarts des membres du bureau vont même jusqu’à estimer qu’un CNRS est inutile. […] Un transfert de toutes les attributions du CNRS à la direction de l’enseignement supérieur, aux facultés et aux établissements d’enseignement supérieur, voici quelle est finalement la pensée du bureau de la fédération.107
38Au-delà de la fureur et des fracas de la rhétorique, la cristallisation d’une profession et d’un système de carrières entièrement consacré à la recherche, en tendant à rendre les postes de chercheurs juridiquement et symboliquement égaux par rapport à ceux offerts par l’Université, au moment même où ceux-ci sont confrontés au plus fort de la vague de massification des facultés, rend en effet possible une concurrence que le CNRS lui-même avait jusque-là activement cherché à éviter. Et de fait, le début des années 1960 voit les premiers départs de l’Université vers le CNRS, définitifs et non plus en détachement, et même des retours : c’est le cas de Moïse Haïssinsky lui-même, qui démissionne de sa chaire au 1er octobre 1962 pour retrouver un poste au CNRS, comme directeur de recherche titulaire108 ; chimiste lui aussi, Paul Rumpf opère le même aller-retour puisque, maître de recherche nommé maître de conférences à la faculté des sciences de Paris en 1958, il revient au CNRS en 1960, comme directeur de recherche titulaire et directeur du CERCOA109. D’un temps Pygmalion et Galatée chicaneurs, l’Université et le CNRS commencent ainsi, à mesure que leur taille se démultiplie, à se faire « un vieux couple acariâtre, aussi indissociable que conflictuel »110.
*
39Dans une note de 1964, le directeur général du CNRS, le physicien Pierre Jacquinot, explique que :
Dans l’ensemble du personnel scientifique appartenant à l’Enseignement supérieur et au CNRS, on trouve à peu près tous les degrés de partage entre l’activité de recherche et l’activité d’enseignement. Certains professeurs se consacrent presque exclusivement à leur enseignement (ce qui à la longue est préjudiciable à la qualité même de cet enseignement), d’autres se partagent harmonieusement entre les deux activités, certains chercheurs ont une participation non négligeable à l’enseignement, d’autres enfin se consacrent pendant toute leur vie uniquement à la recherche, ce qui n’est pas quelquefois sans certains inconvénients. Ces taux de partage sont souvent le résultat de circonstances plus ou moins fortuites, mais ils peuvent être aussi la conséquence de vocations bien déterminées a priori. Il est probable que de 70 à 80 % de ces enseignants ou chercheurs étaient également qualifiés pour la recherche et l’enseignement, mais que le reste – c’est-à-dire 20 à 30 % de l’ensemble – ne pourrait ou ne voudrait soit par manque de certaines aptitudes, soit par volonté bien arrêtée, adopter un autre choix.
Si l’on considère l’ensemble des chercheurs purs, il est probable qu’environ 30 % d’entre eux ne pourraient ou ne voudraient à aucun prix exercer une activité d’enseignement, et ceci indépendamment de leur grade ou du type de recherche où ils sont engagés. Il y a par exemple certains handicapés physiques ou caractériels (grands timides) qui, tout en étant des chercheurs très distingués et productifs réussiraient fort mal dans l’enseignement, au grand détriment des enseignés. Il y a aussi ceux qui, par vocation exclusive, ont décidé qu’ils voulaient faire de la recherche et uniquement de la recherche et préféreraient entrer dans un organisme de recherche extérieur à l’Éducation nationale, ou même dans l’industrie privée, plutôt que d’avoir à distraire – même pour une rémunération – une fraction de leur temps de la recherche.111
40Par ce texte, Jacquinot entérine ainsi, en creux, et légitime la différenciation des carrières académiques qui s’affirme progressivement au cours des années 1950 : à l’ombre des titulaires de chaires, avec l’augmentation du nombre des personnels subalternes et leurs revendications statutaires, le lien intrinsèque entre enseignement et recherche qui fonde le modèle du savant se défait, à mesure qu’apparaît d’une part, avec les maîtres-assistants, une population d’enseignants du supérieur dont une partie, mécaniquement, ne pourra pas accéder au professorat, ou même à la maîtrise de conférences, et tend dès lors à se désinvestir de la recherche, et d’autre part, avec la transformation des chercheurs du CNRS en contractuels de la fonction publique, une carrière complète de scientifique sans contraintes d’enseignement, présentes ou futures. Cette division du travail n’est pas le fruit d’un destin inéluctable, cependant : elle résulte de la conjonction de mobilisations différentes, de l’action d’entrepreneurs institutionnels divers, des opportunités offertes à ceux-ci par la conjoncture politique. Ces contingences et aléas contrastent très fortement avec la profondeur des conséquences institutionnelles, et professionnelles, que ce processus implique pour le monde académique.
Notes de bas de page
1Michel Pinault, « Le chercheur », La France d’un siècle à l’autre, 1914-2000. Dictionnaire critique, J.-P. Rioux et J.-F. Sirinelli éd., Paris, Hachette, 1999, p. 582-586.
2Voir par exemple Natalie Pigeard-Micault, Les femmes du laboratoire de Marie Curie, Paris, Éditions Glyphe, 2013.
3Martine Sonnet, « Faire connaître ses travaux. L’accès à la publication de la première génération de boursières et boursiers de la Caisse nationale des sciences », Modalités de la communication scientifique et technique : perspectives historiques/Communicating Science and Technology: Historical Perspectives, M. Le Roux éd., Bruxelles, PIE Peter Lang, 2023, p. 157-184.
4Claude-Georges Bossière, « Le cyclotron et l’énergie nucléaire », Le Monde, 6 septembre 1945.
5Ordonnance no 45-2632, JORF, 3 novembre 1945, p. 7192.
6Antoine Prost, « Les réformes du CNRS 1959-1965 », Cahiers pour l’histoire du CNRS, no 9, 1990, p. 7-38.
7« Rapport sur l’activité générale du Centre national de la recherche scientifique. Octobre 1952 – octobre 1953 », AN, 19860369/53.
8Décret no 45-1861, JORF, 21 août 1945, p. 5201.
9Cité par Jean-François Picard, La république des savants. Le CNRS et la recherche française, Paris, Flammarion, 1990, p. 170.
10L’organisation de la recherche scientifique, Orléans, Imprimerie nouvelle, 1950, p. 10.
11Évry Schatzman, « Chercheurs et enseignants », Enseignement supérieur et recherche scientifique, no 3-4, mars-avril 1952, p. 11-12.
12Il s’agit de Michel Langevin, petit-fils de Paul Langevin, syndicaliste au SNESRS, membre du PCF ; il entre au CNRS en 1948, devenant chargé de recherche en 1955, puis maître de recherche en 1957. Voir Michel Pinault, « Langevin Michel, Yves », Le Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, 12 mai 2012. En ligne : [https://maitron.fr/spip.php?article138070].
13Paul Guth, « La guerre fait rage entre la recherche appliquée et la recherche théorique », Le Figaro littéraire, 1er janvier 1955, p. 5.
14Le personnel technique du Centre, ouvriers, techniciens et ingénieurs, dispose plus tôt d’un statut que le personnel chercheur, par le décret no 52-625 du 28 mai 1952, JORF, 30 mai 1952, p. 5479.
15Cette affiliation est le résultat de l’action d’une commission paritaire dirigée par Émile Terroine, créée en 1948. L’IPACTE, équivalent public de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC), est créé par le décret no 51-1445 du 12 décembre 1951, JORF, 18 décembre 1951, p. 12445. Il faut attendre 1954 pour qu’un arrêté rende validables pour la retraite de l’État les services accomplis à temps complet en qualité de chercheur du CNRS.
16Décret no 45-1861 du 12 août 1945, JORF, 20-21 août 1945, p. 5201.
17Paul Guth, « La guerre fait rage entre la recherche appliquée et la recherche théorique », art. cité, p. 5.
18AN, 19800284/99 et 19860369/47.
19« Compte rendu de la séance du directoire du CNRS du 20 novembre 1947 », AN, 19860369/47. Voir « Manuel Valadarès, 1904-1982 », Portugaliae Physica, no 13, 1982, p. 121-122 et p. I-VII ; Lídia Salgueiro et Luísa Carvalho, « Manuel Valadarès (1904-1982) », Memórias de Professores Cientistas, Lisbonne, Faculdade de Ciências da Universidade de Lisboa, 2001, p. 70-77.
20Vladimir Kourganoff, La recherche scientifique, Paris, PUF, 1958, p. 28.
21Sur les relations du CNRS avec les Finances, voir AN, 19780283/2-3 et 19800284/99.
22AN, 19800284/101. C’est Rocard qui souligne.
23Denis Guthleben, Histoire du CNRS de 1939 à nos jours. Une ambition nationale pour la science, Paris, Armand Colin, 2013 [2009], p. 141.
24Cité par Marcel Mathieu, « Rapport sur le recrutement des attachés de recherches et sur le passage des chercheurs d’un grade à un grade supérieur », BSESRS, no 3, juillet 1946, p. 12 et no 4, décembre 1946, p. 15-16, p. 12.
25On trouvera un dossier de candidature vierge, datant de la fin des années 1940, dans AMC, AIR, LC.DP, art. MLec.
26AN, AJ/16/6997-7019. Sur l’importance de ce mécénat avant la Seconde Guerre mondiale : Antonin Durand, « L’odeur de l’argent. Dons et legs dans le financement de l’université de Paris (1885-années 1930) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 63, no 3, 2016, p. 64-87.
27« Conseil de l’université. Séance du 31 mai 1948 », AN, AJ/16/2599.
28Convertisseur franc-euro de l’INSEE, converti en euros de 2019.
29« Conseil de l’université. Séance du lundi 5 mars 1951 », AN, AJ/16/2599 et « Fonds Commercy. Listes des bénéficiaires et états des subventions (1913-1953) », AN, AJ/16/7003.
30« Acher, Roger, 1956, 1955-1957 », RFR, RG 10.1., box 333, folder 4936.
31« Rapport quinquennal 1950-1955 », AN, 19800284/111.
32Manuel Valadarès, « Salomon Rosenblum (1896-1959) », Nuclear Physics, vol. 15, 1960, p. 189-198.
33Alfred Kastler, « Notice nécrologique sur Jean Lecomte », Comptes rendus de l’Académie des sciences. Vie académique, t. 289, 1979, p. 29-36.
34Pendant la guerre, Jean Mercier a été nommé recteur de l’académie de Caen par Jérôme Carcopino, succédant à Pierre Daure, après avoir dirigé le CNRS pendant trois semaines. Blessé lors du bombardement du rectorat en 1944, il est soumis à l’épuration, avant de retrouver sa chaire. Voir Jean-François Condette, « “Les recteurs du Maréchal”. Administrer l’Éducation nationale dans les années noires de la Seconde Guerre mondiale (1940-1944) », Les écoles dans la guerre. Acteurs et institutions éducatives dans les tourmentes guerrières (xviie-xxe siècles), J.-F. Condette éd., Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2014, p. 486 et 503.
35Aucun chimiste ne détient le grade de directeur de recherche en 1947.
36Micheline Charpentier-Morize, « La contribution des “laboratoires propres” du CNRS à la recherche chimique en France de 1939 à 1973 », Cahiers pour l’histoire du CNRS, no 4, 1989, p. 79-112.
37Ernest Kahane, « CNRS et Enseignement supérieur », BSESRS, no 12, octobre 1949 et no 13, janvier 1950, p. 8.
38« Centre national de la recherche scientifique. Réunion du directoire le 20 juin 1950 », AN, 19860369/47.
39Jean-François Picard, La république des savants, ouvr. cité, p. 168.
40Michel Pinault, « Naissance et développement du SNCS-FEN : le syndicalisme comme reflet et agent de la professionnalisation des “chercheurs scientifiques” », La Fédération de l’Éducation nationale (1928-1992). Histoire et archives en débat, L. Frajerman, F. Bosman, J.-F. Chanet et J. Girault éd., Lille, Presses du Septentrion, 2010, p. 59-69 ; Michel Pinault, « De l’Association des travailleurs scientifiques au Syndicat national des chercheurs scientifiques, l’émergence d’un syndicalisme de chercheurs (1944-1956) », Syndicats et associations. Concurrence ou complémentarité ?, D. Tartakowsky et F. Tétard éd., Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 77-86.
41Ernest Kahane et Robert Sauterey, « Rapport sur les problèmes du CNRS », BSESRS, no 12, octobre 1949, p. 6.
42Fondé dès 1950, ancré à la Sorbonne, plus précisément au Laboratoire de chimie cristallographique, politiquement plutôt conservateur, il n’a publié aucun bulletin dont j’ai pu retrouver la trace, et s’avère très minoritaire dès que des élections sont organisées.
43Évry Schatzman, « Activité de la section parisienne », BSESRS, no 16, octobre 1950, p. 6.
44Christophe Charle, « Le personnel dirigeant du CNRS (1937-1966) », Cahiers pour l’histoire du CNRS, no 4, 1989, p. 7-44.
45Jean-François Picard et Élisabeth Pradoura, « Entretiens avec Jean Wyart », 1986. En ligne : [http://www.histcnrs.fr/archives-orales/wyart.html].
46« Rapport sur l’activité générale du Centre national de la recherche scientifique (octobre 1952 – octobre 1953) », AN, 19800284/107.
47Denis Guthleben, Histoire du CNRS de 1939 à nos jours, ouvr. cité, p. 145.
48Pierre Jacquinot, « Note sur le problème de la participation des chercheurs du CNRS à l’enseignement universitaire », 24 mars 1964, AN, 19800284/112.
49Les 23,8 % de patrons chimistes et 16,6 % de patrons physiciens dont la profession reste inconnue sont sans doute majoritairement employés respectivement par les facultés de médecine et pharmacie et par le CEA, l’ONERA, et les grandes écoles d’ingénieurs.
50« Projet de budget de 1967. Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale », 3 août 1966, AN, 19800284/112.
51Michel Magat, « Moïse Haïssinsky », International Journal for Radiation Physics and Chemistry, vol. 1, no 2, 1969, p. 83-85 ; Maurice Cottin, « Monsieur Moïse Haïssinsky au laboratoire », Journal de chimie physique, vol. 76, no 7-8, 1979, p. 626-629.
52AMC, AIR, LC.DP, MH, art. B4c.
53« Note sur les effectifs de chercheurs », 14 février 1963, AN, 19800284/112.
54Calculé à partir d’« État du personnel enseignant ayant appartenu au CNRS », 1964, AN, 19800284/112.
55Pierre Jacquinot, « Note sur le problème de la participation des chercheurs du CNRS à l’enseignement universitaire », 24 mars 1964, AN, 19800284/112.
56Andrew Abbott, The System of Professions. An Essay on the Division of Expert Labor, Chicago, University of Chicago Press, 1988.
57François Jacq, « Le laboratoire au cœur de la reconstruction des sciences en France 1945-1965 », Les cahiers du Centre de recherches historiques, no 36, 2005, en ligne : [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccrh.3043] et, plus globalement, le chapitre 2 de François Jacq, « Pratiques scientifiques, formes d’organisation et représentations politiques de la science dans la France de l’après-guerre. La politique de la science comme énoncé collectif (1944-1962) », thèse de doctorat, École nationale supérieure des mines de Paris, 1996.
58Muriel Le Roux et Françoise Guéritte, La navelbine et le taxotère. Histoires de sciences, Amsterdam, ISTE Press Elsevier, 2017.
59« Comité national de la recherche scientifique. Groupe III – Physique. Section IV – Électronique, électricité, magnétisme. Projet de rapport de la section relatif aux besoins de la recherche scientifique », 29 janvier 1951, AN, 19800284/102.
60« CNRS. Section de chimie organique », 17 novembre 1950, AN, 19800284/102.
61« Quelques remarques concernant le fonctionnement du CNRS par Charles Dufraisse », décembre 1950, AN, 19800284/102.
62Lettre de Paul Montel au directeur du CNRS, 4 octobre 1950, AN, 19800284/102.
63Lettre de Charles Sadron au directeur du CNRS, Strasbourg, 2 octobre 1950, AN, 19800284/102.
64Françoise Olivier-Utard, « Les conventions entre le CNRS et l’université de Strasbourg : une expérience pionnière », La revue pour l’histoire du CNRS, no 11, 2004. En ligne : [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-cnrs.691].
65« Rapport de la commission de chimie physique sur le plan de cinq ans », septembre 1950, AN, 19800284/102.
66Claude Fromageot, « Considération sur les besoins de la biochimie en France et sur le rôle du CNRS dans l’aide à fournir à cette science au cours des années à venir », 3 octobre 1950, AN, 19800284/102.
67Jean Roche, « Sur le rôle du CNRS dans le développement de la biochimie française au cours des cinq années à venir », 25 septembre 1950, AN, 19800284/102.
68« Centre national de la recherche scientifique. Réunion du directoire le 20 juin 1950 », AN, 19860369/47.
69« Texte du SNIRS en réponse au rapport Longchambon, juillet 1958 », Histoire documentaire du CNRS, tome 2 : Années 1951-1981, C. Nicault et V. Durand éd., Paris, CNRS Éditions, 2006, p. 44-57.
70Jean-François Picard et Xavier Polanco, « Entretien avec Raymond Dedonder », 24 novembre 1987. En ligne : [https://www.histcnrs.fr/archives-orales/dedonder-raymond.html].
71Ce coup d’arrêt touche toute la fonction publique : le décret no 51-862 du 7 juillet, JORF, 10 juillet 1951, p. 7310 bloque presque tous les recrutements pour un an.
72« Motions adoptées par notre congrès national », BSESRS, 20, décembre 1951, p. 5-6.
73Voir Michel Pinault, « Les “chercheurs scientifiques” de la professionnalisation à la syndicalisation : les conditions de la naissance et du développement du SNCS-FEN », texte non publié, 2013. En ligne : [http://data.over-blog-kiwi.com/0/54/13/97/201311/ob_be7e48944296c62180ce0dd658f914aa_origines-du-sncs-long.pdf].
74C’est-à-dire la transformation du CNRS en établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), et le découplage de leur grille salariale de celle des universitaires. Voir par exemple le texte de la section de Strasbourg, « Principes pour une organisation du CNRS », La vie de la recherche scientifique, no 6, juin 1957, p. 6.
75Pierre Bretonneau, « Rapport sur le CNRS », BSESRS, no 23, octobre 1954, p. 3-5.
76« Projet de statut pour les personnels chercheurs du CNRS présenté devant les sections en vertu des décisions des congrès ordinaires et extraordinaires de 1954 », BSESRS, no 24, mars 1955, p. 1-4.
77« Rapport présenté par le bureau national sur l’activité et la politique syndicale pour le congrès de novembre 1955 du SNESRS », BSESRS, no 25, octobre 1955, p. 1-6 ; « Remarques reçues des sections », BSESRS, no 26, novembre 1955, p. 1-4.
78Jean-Christophe Bourquin, « Syndicalisme et communauté scientifique : le Syndicat national des chercheurs scientifiques, 1956-1967 », À la recherche de l’espace universitaire européen. Études sur l’enseignement universitaire aux xixe et xxe siècles, C. Charle, J. Schriewer et E. Keiner éd., Francfort-sur-le-Main/Berlin/Paris, Peter Lang, 1993, p. 153-183.
79Raymond Dedonder, « Les journées de Caen », La vie de la recherche scientifique, no 1, décembre 1956, p. 9-10.
80David Cordier est aidé de sa femme, Geneviève Cordier-Delpech, attachée de recherche au CNRS, ancienne élève d’Émile Terroine.
81RFR, RG 12, box 384, 13 mai 1949.
82Michel Blay, Quand la recherche était une république. La recherche scientifique à la Libération, Paris, Armand Colin, 2011.
83Lettre du doyen de la faculté des sciences de Bordeaux au recteur de l’académie, Bordeaux, 24 juillet 1945 ; Lettre du doyen de la faculté de médecine et de pharmacie au recteur de l’académie, Bordeaux, 31 juillet 1945, AN, 19800284/55.
84« Procès-verbal du congrès national du 17 février », BSESRS, no 5, mars 1947, p. 4. Texte souligné par la section.
85Il s’agit d’une éphémère commission chargée d’évaluer le projet établi par le SNESRS.
86« Le directeur du Centre national de la recherche scientifique à… », 1948, AN, 19800284/101.
87« Centre national de la recherche scientifique. Réunion du directoire en date du 7 juillet 1951 », AN, 19860369/47. C’est Dupouy qui souligne.
88Rapporté par Raymond Poignant, « Les hésitations politiques 1956-1958 », Le gouvernement de la recherche. Histoire d’un engagement politique, de Pierre Mendès France au général de Gaulle (1953-1969), A. Chatriot et V. Duclert éd., Paris, La Découverte, 2006, p. 213.
89Gaston Dupouy, « La recherche fondamentale et le CNRS », L’enseignement et la recherche scientifique. Colloque de Caen, 3-5 octobre 1957, hors-série des Cahiers de la République, 1957, p. 36-38.
90Marc Lefort et Guy Rideau, « Notre statut et le projet de règlement intérieur de la direction », La vie de la recherche scientifique, no 1, décembre 1956, p. 4.
91Arnaud Saint-Martin, « L’office et le télescope. Une sociologie historique de l’astronomie française, 1900-1940 », thèse de doctorat, université Paris IV Paris-Sorbonne, 2008.
92« Conférence de Jean-Louis Crémieux-Brilhac au Centre Malher », 26 juin 1986. En ligne : [http://www.histcnrs.fr/archives-orales/cremieux-brilhac.html].
93Paul Germain, « La vie et l’œuvre scientifique de Jean Coulomb », Discours et notices biographiques de l’Académie des sciences, Paris, Académie des sciences de l’Institut de France, 1999.
94Pour une description au plus près de ces débats complexes, voir Girolamo Ramunni, « Le CNRS au temps de Charles de Gaulle », La revue pour l’histoire du CNRS, no 1, 1999. En ligne : [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-cnrs.480].
95Les procès-verbaux de ces débats sont dans AN, 19810401/121 ; le rapport de Jean Kientz est dans AN, 19810401/141.
96AN, 19800284/107.
97Décret no 59-1400 du 9 décembre 1959, JORF, 15 décembre 1959, p. 11939-11941.
98L’article 10 réserve toutefois la possibilité de limiter dans le temps l’engagement des chercheurs étrangers.
99Lucienne Plin, administratrice civile, est responsable de la division des personnels administratifs et techniques du CNRS de 1946 à 1978.
100« Centre national de la recherche scientifique. Réunion du directoire en date du 2 juillet 1963 et 3 juillet 1963 », AN, 19860369/47. Constant Axelrad parvient à soutenir une thèse d’ingénieur-docteur en 1965 à la faculté des sciences de Grenoble, puis entre dans l’industrie privée.
101Décrets no 59-1403 et 59-1404 du 9 décembre 1959, JORF, 15 décembre 1959, p. 11942-11943.
102« Centre national de la recherche scientifique. Rapport d’activité. Octobre 1958 – octobre 1959 », AN, 19860369/53.
103Denis Guthleben, « “Le comble de la fantaisie administrative”. Quand le CNRS coordonne la recherche… », La revue pour l’histoire du CNRS, no 21, 2008. En ligne : [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-cnrs.7953].
104Circulaire du 5 janvier 1960 émise par le SNCS, citée par Michel Pinault, « Naissance et développement du SNCS-FEN : le syndicalisme comme reflet et agent de la professionnalisation des “chercheurs scientifiques” », art. cité, p. 68.
105« Tentative d’analyse de l’état des relations entre le CNRS et l’Université, par Boris Vodar, du Comité consultatif de la recherche scientifique française, janvier 1961 », AN, 191810401/147.
106« Compte rendu du congrès du syndicat national de l’enseignement supérieur (14 avril 1957) », BSNESup, no 31, mai 1957, p. 1-2.
107Roland Mousnier, « Le nouveau bureau et les problèmes de la fédération », L’enseignement supérieur. Bulletin trimestriel de la Fédération des syndicats autonomes de l’enseignement supérieur, no 26, mai 1960, p. 4-5.
108AMC, AIR, LC.DP, MH, art. B4c.
109Claude Viel, « Paul Rumpf (1908-1999) », L’actualité chimique, no 223, 1999, p. 55-56.
110Antoine Prost, « Préface », Jean-François Picard, La république des savants, ouvr. cité, p. 7.
111Pierre Jacquinot, « Note sur le problème de la participation des chercheurs du CNRS à l’enseignement universitaire », 24 mars 1964, AN, 19800284/112.
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