Introduction
Texte intégral
1On ne saurait faire l’économie de l’échelon d’action régional dans l’examen des relations entre développement territorial et acceptation sociale. Le développement régional s’opère aujourd’hui dans une interaction entre des modes d’action formels et réglementaires d’une part, et des processus plus informels d’autre part. L’idée même de région ne se réduit plus aux frontières administratives, mais se déploie à la mesure de l’ancrage territorial des acteurs et de leur disposition à prendre en charge la région. De ce fait, le développement régional peut être considéré comme un processus dynamique et actif, en construction permanente, et qui ouvre un espace de coopération entre acteurs publics et privés. Ces dimensions s’observent tant au niveau de la prise de décision que dans la mise en œuvre des projets. Ainsi, à l’échelle régionale, les décisions sont négociées, les maîtrises d’ouvrage sont réparties et des solutions originales sont inventées pour des partenariats de développement entre acteurs publics et privés. Des mécanismes de gestion s’avèrent alors indispensables pour rendre opératoires ces processus et ces espaces de concertation, pour sonder avec succès toutes les options de développement, pour mettre en œuvre des instruments de planification et de financement efficaces et pour que les mesures opérationnelles qui en découlent soient à même d’ouvrir des synergies face aux changements observés de la région (Hahne 2012).
2La recherche scientifique relative au thème de la gouvernance en géographie et en aménagement a appréhendé ces « structures de gestion hybrides, flexibles » (Fürst et Scholles 2008) sous le terme de gouvernance régionale. Ce concept théorique, à valeur systémique, permet d’accéder aux différentes dimensions du développement régional ; c’est-à-dire que l’on fait référence par ce terme autant aux constellations d’acteurs en présence, aux normes et aux valeurs qui régissent leurs modes d’action, qu’aux compétences effectives des institutions régionales en matière d’aménagement (Pütz 2007 ; Benz et Dose 2010).
Gouvernance régionale et acceptation sociale
3Si l’on considère maintenant les processus de développement régional sous l’angle de leur acceptation sociale, il est possible de dresser un double constat.
4Tout d’abord, le paradigme de la durabilité promeut, depuis les années quatre-vingt-dix, un mode de développement capable de prêter attention non seulement aux impacts sur les ressources et l’environnement, à la promotion d’une croissance économique équilibrée, mais aussi à l’acceptabilité sociale des projets. Cette forme d’acceptabilité sociale a été d’ailleurs depuis longtemps implicitement comprise dans l’idée de « justice sociale ». Selon Milbert (2013), le développement régional est « socialement juste » lorsqu’il répartit ses différentes composantes de manière équitable pour la satisfaction des besoins individuels – ou, plus précisément, privés – et contribue ainsi à la stabilité de la société. De ce fait, la recherche s’est concentrée depuis longtemps – c’est-à-dire depuis les années quatre-vingt-dix – sur la manière d’évaluer cette durabilité sociale en tant que composante du développement régional, en particulier par la recherche d’indicateurs appropriés.
5Second constat : avec le renforcement de la valeur opératoire de la région, envisagée en tant que niveau d’action et de coopération au sens proposé ci-dessus par le terme de gouvernance régionale, la notion d’acceptation sociale s’applique concrètement aux actions d’aménagement et de développement régional. Les questions de recherche se focalisent alors – indépendamment des différents présupposés théoriques des travaux sur la gouvernance (Wiechmann 2008) – sur les enjeux de participation des acteurs aux processus de développement régional, sur les mécanismes et les principes de mise en réseau des acteurs, de coopération dans des constellations spécifiques de travail, et sur les modes de communication qui en découlent, tout comme les phénomènes de réception de l’information, les attitudes et les représentations collectives. L’expression d’un « développement régional socialement acceptable » recouvre alors le sens d’une responsabilité collective et donne force à l’idée d’une forme d’autogestion régionale par la coopération et l’initiative sociale. L’idée d’acceptabilité vient ainsi élargir la compréhension des concepts en justifiant la nécessité de la participation.
L’importance des jeux de pouvoir et des initiatives sociales
6Les deux contributions réunies dans cette partie abordent le champ thématique du développement régional selon des perspectives différentes, mais offrent toutes deux un aperçu sur de nouvelles démarches de recherche. Georg Fiedler consacre son analyse, ancrée dans la géographie sociale, à différents régimes de gouvernance ; il cherche en leur sein quelles sont les postures et les relations de pouvoir entre les parties prenantes. Il met ainsi en évidence les principes qui permettent de différencier et d’expliquer les réussites (acceptation) et les échecs (rejet) des processus de développement régional. L’auteur développe son approche du phénomène de la « gouvernance régionale » au travers d’une analyse comparative du pouvoir entre deux régimes de gouvernance dans la province espagnole de l’Estrémadure. Il explicite, au travers d’une discussion théorique, quelles dimensions analytiques lui semblent nécessaires pour comprendre les processus de développement et en appelle à un cadre méthodologique fondé sur l’analyse des réseaux et des discours. Les premiers résultats de son investigation éclairent non seulement une variabilité des processus de développement régional, mais contribuent aussi, par une attention aux techniques de pouvoir et aux modes d’interaction qu’ils privilégient, à expliquer les effets respectifs des différents régimes de gouvernance sur le développement régional.
7Dans sa contribution, Lena Neubert suit une tout autre ligne directrice. L’aménagement régional se heurte à des défis toujours renouvelés. Aujourd’hui, la perspective du changement climatique pose question pour bien des régions dans la mesure où des événements climatiques violents, des périodes d’inondation ou une dégradation de la qualité d’usage des sols introduisent des enjeux jusqu’ici inconnus dans la problématique du développement régional. Les conséquences de ces changements doivent être traitées dans des cadres spatiaux et temporels nouveaux. Ainsi, l’idée d’une responsabilité collective en matière d’aménagement suppose une forme de « juste responsabilité climatique » (Kufeld 2013). Cela appelle une « culture de l’attention » dans laquelle tous les instruments de gestion du développement régional s’astreignent à cette nouvelle obligation morale, et implique, dans le même temps – dans la droite ligne d’un développement régional durable – une « culture de la participation » et un « souci de l’avenir » (WBGU 2011).
8Désormais, la recherche en aménagement vise en priorité à savoir si les systèmes de gouvernance régionale sont en capacité de développer des solutions au changement climatique ou, du moins, d’y contribuer, et dans quelle mesure. Certes, les instruments existants de gestion et de soutien au développement régional vont être intégrés à un diagnostic critique des actions de prévention et d’adaptation au changement climatique ; mais on cherche également à voir comment de nouvelles compétences spécifiques et de nouvelles réponses peuvent être issues de la prise de conscience, de l’initiative sociale et de la coopération informelle entre acteurs régionaux (Frommer 2010 ; Birkmann et al. 2010).
9Ainsi, Lena Neubert cherche à montrer comment les nouveaux défis liés au climat se sont d’ores et déjà traduits dans les instruments existants de programmation et de soutien au développement rural à l’échelle régionale en Allemagne, et comment les principes d’action que sont la protection et l’adaptation face au changement climatique ont pu être pleinement intégrés à cette perspective. L’auteure se réfère pour cela au cadre programmatique LEADER et à la procédure d’aménagement du « développement rural intégré » (Integrierte ländliche Entwicklung, ILE) en Allemagne, ces deux instruments étant particulièrement significatifs des principes d’intervention de la politique agricole et des fonds structurels européens en faveur des espaces ruraux, en Allemagne comme en Europe (Chevalier 2014 ; Giessen 2010).
10Pour ce faire, l’auteur établit les fondements de son analyse et évalue la pertinence de ses études de cas à partir des concepts théoriques de la « gouvernance régionale » (Benz et Dose 2010), mais travaille aussi à partir d’autres approches conceptuelles, plus transdisciplinaires, notamment pour discuter ensuite de la question de l’acceptation sociale et de la légitimation de la décision publique en matière de climat. Cela permet d’évaluer l’engagement des acteurs dans le cadre des instruments de programmation évoqués plus haut. Sa contribution détaille ainsi quelques aspects d’une recherche en cours dans laquelle les cadres institutionnels, les conditions du terrain, les modalités des coopérations entre acteurs et les principales caractéristiques des processus de développement sont examinés au filtre de leur importance pour le thème du changement climatique. Ces critères d’évaluation sont ensuite rendus opératoires grâce à des indicateurs pertinents.
11Les deux contributions montrent, au final, que les démarches de recherche en géographie ont résolument pris place au cœur des travaux interdisciplinaires sur la gouvernance régionale. Elles étayent également l’idée qu’un potentiel important existe au sein même de la discipline géographique pour contribuer à l’intelligence et la meilleure acceptation des processus de développement régional.
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Benz Arthur, Dose Nicolai éd., 2010, Regional Governance. Regieren in komplexen Regelsystemen. Eine Einführung [2004], Opladen, VS Verlag für Sozialwissenschaften.
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Fürst Dietrich, Scholles Frank éd., 2008, Handbuch Theorien und Methoden der Raum- und Umweltplanung, Dortmund, Dorothea Rohn.
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Hahne Ulf, 2012, « Organisation und Förderung der Regionalentwicklung », Das deutsche Vermessungs- und Geoinformationswesen. Themenschwerpunkte 2013 : Landesentwicklung für ländliche Räume – Analysen und Antworten zu Demographiewandel, Planungszielen und Strukturveränderung, Kummer Klaus, Frankenberger Josef éd., Berlin, Offenbach, p. 133-155.
Kufeld Walter éd., 2013, Klimawandel und Nutzung von regenerativen Energien als Herausforderung für die Raumordnung, Hannovre, Akademie für Raumforschung und Landesplanung (Arbeitsberichte, 7).
Milbert Antonia, 2013, « Vom Konzept der Nachhaltigkeitsindikatoren zum System der regionalen Nachhaltigkeit », Informationen zur Raumentwicklung, no 1/2013, p. 37-50.
Pütz Marco, 2007, « Modewort oder neues Paradigma : Regional Governance. Definitionsmacht eines Begriffes », Raum – Österreichische Zeitschrift für Raumplanung und Regionalpolitik, no 68, p. 22-25.
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Auteur
Professeur de géographie, titulaire de la chaire d’aménagement du territoire à l’Institut de géographie de l’université de Münster
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