Conclusion
p. 265-267
Texte intégral
1C’est à partir de perspectives différentes que les contributions de chercheurs français et allemands réunies dans cet ouvrage traitent de la question des espaces ruraux en Allemagne. Relevant de disciplines et de cultures scientifiques voisines mais diverses, ces approches plurielles partagent néanmoins l’idée que les campagnes de ce pays se distinguent par trois éléments profondément marquants. Le paysage en forme tout d’abord le décor ou l’arrière-plan mais il faut comprendre le terme dans sa dimension sociale et culturelle, bien au-delà d’une première approche naturaliste. Il s’agit ici du paysage « culturel » ou plus précisément du paysage « anthropisé » – Kulturlandschaft en allemand – qui renvoie à une réalité sociale, au résultat visible d’un processus de transformation de l’environnement physique par l’action quotidienne des hommes au cours du temps ; il s’oppose aux parcs paysagers et aux jardins d’agrément qui ornent demeures et châteaux et qui ont une vocation esthétique. Le terme intéresse d’ailleurs davantage les paysages agraires que les paysages urbains dont les processus de formation sont jugés artificiels, sans lien direct avec l’environnement physique, avec la nature. Comme second élément nécessaire à la compréhension et à l’analyse des dynamiques contemporaines dans les espaces ruraux, le patrimoine, ou plus exactement, les mécanismes sociaux de construction de la campagne en patrimoine convoquent la durée historique et les héritages territoriaux. Cette mémoire du temps passé contribue à la dynamique spatiale du temps présent, car la prise en compte des empreintes léguées par les évolutions pluriséculaires du monde rural fonde en grande partie la formulation des projets d’aménagement. Elle sollicite en outre le sentiment d’appartenance au territoire local et fixe les mécanismes de la construction identitaire d’une grande partie de la société. Enfin, la ruralité embrasse l’ensemble, elle se décline en fonction de la nature des activités économiques, des formes du paysage et surtout du rôle des acteurs sociaux dans la dynamique spatiale. De ce point de vue, les auteurs de cet ouvrage se consacrent à l’analyse approfondie des évolutions contemporaines de la ruralité en s’intéressant en particulier aux démarches de protection des paysages et du patrimoine ainsi qu’aux politiques publiques d’intervention en faveur des espaces ruraux. Ils étudient les relations de la société globale à l’espace rural en démontrant le caractère normatif de la perception sociale de ses transformations fonctionnelles et en soulignant la fluctuation des valeurs politiques et économiques qui leur sont conférées : considérés d’une part comme un patrimoine à préserver, voire à sanctuariser au même titre que la forêt dans ce pays, les espaces ruraux sont d’autre part largement affectés par une tendance croissante à la sécularisation qui conduit à considérer leurs attributs physiques comme des ressources potentielles pour l’application de politiques de développement socio-économique.
2Au-delà de ce projet politique porté par la société, les campagnes de l’Allemagne réunifiée demeurent marquées par un dualisme géographique très prononcé qui oppose l’ouest et l’est, les anciens et les nouveaux länder. L’opposition ne s’exprime pas seulement dans la différence des formes paysagères, même si, en Allemagne orientale, en raison de la rupture introduite par le socialisme, les paysages agraires apparaissent relativement uniformes. Elle s’affirme surtout dans un gradient socio-économique qui affecte les niveaux de développement en creusant les disparités à l’échelle locale et régionale. Une seconde dichotomie s’impose dans le contexte contemporain. Elle renvoie aux catégories de l’aménagement du territoire qui président aux politiques d’intervention. La prospective territoriale du gouvernement fédéral prévoit la concentration du développement économique à venir d’abord dans les grandes villes et les régions métropolitaines, admises comme les lieux privilégiés de l’innovation et de la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne (la politique de développement socio-économique de l’Union européenne formulée au début des années 2000). Ces grandes orientations diagnostiquent d’une part une dynamique d’homogénéisation de l’espace au sein des régions métropolitaines par la réduction des différences entre villes et campagnes, comme dans le cas de la région Berlin-Brandebourg qui pourrait s’étendre à l’ensemble des nouveaux länder, et d’autre part la formation de liens de complémentarité entre ces régions métropolitaines et leur arrière-pays, ce qui aurait plutôt tendance à accentuer les disparités entre les centres urbains et les périphéries rurales.
3Cependant, en décalage avec ces considérations prospectives, les espaces ruraux recèlent leur propre potentiel de développement ou plus précisément les sociétés locales se montrent capables d’identifier et de valoriser des potentiels de développement endogènes. Les démarches endogènes s’appuient justement sur les caractères reconnus de la ruralité, sur la valeur sociale des paysages anthropisés – ou Kulturlandschaften – et sur la construction du patrimoine rural. Certes, elles ne se développent pas sans lien avec les programmes de soutien dépendant des différents niveaux politiques d’intervention, depuis le niveau européen jusqu’au niveau régional. Mais il est manifeste qu’elles procèdent pour une large part d’une réponse politique et sociale locale à des conceptions d’aménagement et de développement « venues d’en haut » : depuis une vingtaine d’années, les acteurs locaux se sont ainsi engagés dans la formation de réseaux de niveau local et régional dans l’intention de concevoir et de mettre en œuvre des programmes d’aménagement susceptibles de contrebalancer les effets de polarisation dont bénéficient les régions métropolitaines.
4Néanmoins, le développement endogène ne participe pas directement à la réduction des disparités spatiales. Il peut même accentuer les écarts en fonction des aménités locales et des potentiels de développement. La démarche endogène se greffe sur une trajectoire d’évolution territoriale qu’elle contribue à infléchir mais surtout en fonction du rapport de la société locale aux lieux et à la mémoire des lieux. Le renforcement du processus de décision à l’échelle locale introduit certes un nouveau paramètre dans la dynamique territoriale en favorisant les initiatives endogènes et la démarche participative, en rapprochant la décision politique d’intervention des citoyens qui la vivent au quotidien. Mais il ne réduit pas a priori les tendances à la marginalisation spatiale, il n’atténue pas à lui seul les gradients socio-économiques entre centres urbains et périphéries rurales. Il participe à la redistribution géographique des prérogatives de soutien et d’intervention mais ses effets sont inégaux sur la dynamique de l’espace rural tant ils dépendent du rapport des sociétés locales à la ruralité et à ses éléments constitutifs que sont le paysage et le patrimoine.
Auteurs
Enseignant-chercheur habilité à l’institut de Géographie de l’Université de Vechta
Professeur de géographie à l’Université de perpignan, membre du laboratoire « acteurs, ressources et territoires dans le développement », UMR 5281 du CNRS – Université Paul Valéry de Montpellier et Université de perpignan
Chargée de recherches au CNRS, directrice-adjointe du Centre Marc Bloch à Berlin
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