Points de vue et discours rapporté : une approche polyphonique des énoncés interrogatifs
p. 31-47
Texte intégral
1Située dans la perspective dite polyphonique, ouverte par les travaux d’Oswald Ducrot – ainsi que par les développements que proposent notamment Jean-Claude Anscombre, Henning Nølke et María Luisa Donaire –, cette contribution a pour objectif d’illustrer quelques grands principes d’analyse du discours en tant qu’agencement plus ou moins complexe de représentations.
2Pour préciser ce que nous entendons par approche polyphonique, nous nous attacherons dans un premier temps à présenter les concepts de représentation discursive, de point de vue et d’objet représenté – concepts qui occupent une place centrale dans les analyses proposées. Dans un second temps, notre attention sera focalisée sur la manière dont l’approche polyphonique – telle que nous la concevons – rend compte de la pluralité des voix, et notamment de ce qui est convenu d’appeler le discours rapporté. C’est dans cette perspective ainsi définie que nous entreprendrons ensuite la description de la structure polyphonique des énoncés interrogatifs – avant d’examiner deux dichotomies : questions enchâssées versus questions indépendantes syntaxiquement d’une part, questions directes versus questions indirectes d’autre part. Nous terminerons par une étude succincte des questions représentées comme n’ayant pas été posées – en vue de déterminer comment les conclusions issues d’une telle démarche s’intègrent dans un cadre de réflexion plus général, portant sur les fondements de l’approche polyphonique des représentations.
Discours, point de vue et objet représenté
3Par discours, nous entendons – à la suite d’Émile Benveniste (1974, p. 80) – toute séquence sonore ou écrite associée à du sens et produite – ou susceptible de se trouver produite – spontanément par un locuteur natif.
4Cette formulation est destinée, d’une part, à éviter la confusion entre acceptabilité et interprétabilité et, d’autre part, à permettre le raisonnement en termes de degrés de probabilité d’apparition de telle ou telle configuration discursive. Considérons, pour illustrer ce point, la liaison systématique entre ces et immeubles dans [sezimœbl], puis la liaison – non attestée, bien que « techniquement » possible – entre mot et adéquat dans [moadekwa], et enfin la liaison entre heures et à dans les heures à venir, que certains francophones prononcent [lezœRavniR] et d’autres [lezoRzavniR]. Ces trois cas de figure se laissent représenter sur un continuum (Haillet 2007), dont les extrêmes correspondent respectivement à [sezimœbl] et à [moadekwa], les séquences [lezœRavniR] et [lezœRzavniR] étant situées quelque part entre les deux :

5En fonction de leurs chances d’apparaître dans un discours produit de façon spontanée par un locuteur francophone, les séquences [seimœbl] et [moadekwa] correspondent aux extrêmes du continuum destiné à représenter le degré de probabilité de leur réalisation :

6Les séquences [lezœRavniR] et [lezœRzavniR] seront placées, là encore, quelque part entre les deux extrêmes du continuum. nous ne nous attarderons pas ici sur la possibilité de déterminer avec précision, pour tel ou tel groupe de référence, combien de locuteurs prononcent les heures à venir en faisant la liaison entre heures et à ; ce que nous retenons, c’est le principe consistant à raisonner en termes de degré de probabilité de voir surgir spontanément telle ou telle suite – sonore ou écrite – plus ou moins complexe.
7En effet, appliqué à l’étude de phénomènes d’un autre ordre, ce même principe conduira à dire que la séquence La station Chatillon-Montrouge est en train de se trouver à 25 kilomètres d’Argenteuil occupera, sur le continuum, la même place que [seimœbl] – et ne sera donc pas considérée, dans le cadre de notre approche, comme du discours – ; en revanche, la configuration Ce produit est efficace, mais est-il cher ? – susceptible d’être produite par un locuteur qui recherche non seulement l’efficacité, mais aussi un prix élevé – se trouvera placée, sur ledit continuum, très près de cet extrême, dans la mesure où ses chances de se trouver attestée sont statistiquement faibles, mais non nulles.
8Nous en venons, à présent, à un phénomène mis en évidence par Luís Prieto (1966) et dont l’observation nous conduit (Haillet 1995, 2002, 2006b, 2007) à raisonner en termes d’interprétation de tel ou tel segment de discours par défaut, puis de prise en compte de facteurs externes à ce segment de discours – en d’autres termes, de ce qui constitue son environnement discursif1 (Haillet 2002, 2006a, 2006b). Ainsi, nous avancerons que la séquence :
(1) L’enfant ne parle pas un mot de français. Par chance, il a soif d’apprendre et il aime l’école.
9représente ce dont il est question comme contemporain du moment où elle apparaît. Elle peut en outre se trouver attestée dans des environnements qui n’altèrent pas cette caractéristique :
(2) L’enfant ne parle pas un mot de français. Par chance, il a soif d’apprendre et il aime l’école. Je parie qu’il parlera couramment d’ici peu.
10L’on constate également qu’elle est compatible (Haillet 2005) avec des environnements situant explicitement l’objet du discours dans le passé :
(3) Extraordinaire destin que celui de ce petit iranien de 11 ans qui débarque un jour d’été 1986 à Poitiers, chez une tante. […] l’enfant ne parle pas un mot de français. Par chance, il a soif d’apprendre et il aime l’école. […] Moins de sept ans plus tard, il décroche son bac. la même année, il s’inscrit à la section boxe de l’ASPTT Poitiers.
11Notre approche consiste à considérer (2) et (3) comme deux représentations qui diffèrent, entre autres, sur le plan de la manière dont l’objet de la séquence L’enfant ne parle pas un mot de français. Par chance, il a soif d’apprendre et il aime l’école se trouve situé dans le temps. la particularité de (3) tient, à cet égard, aux propriétés que manifeste (1) par défaut, en l’absence de facteurs externes à (1) – à savoir que l’emploi du présent produit dans (3) la sensation (ou encore l’illusion) d’assister en direct à ce qui est raconté (et situé par ailleurs dans le passé) – ; cette particularité a pour corollaire le fait que parle, a et aime commutent, respectivement, avec parlait, avait et aimait dans (3) mais non dans (2).
12Ce que nous nous proposons maintenant de préciser, c’est le sens que nous donnons au terme d’énoncé, en nous appuyant tout d’abord sur la distinction établie par Oswald Ducrot (1980) entre énoncé et phrase : ainsi, par exemple, si trois fans d’un boxeur l’encouragent en prononçant chacun la séquence sonore [vazi], il s’agit de trois énoncés distincts, de trois réalisations matérielles2 de la phrase « Vas-y ». La phrase est, dans cette perspective,
Une entité linguistique abstraite, purement théorique, en l’occurrence un ensemble de mots combinés selon les règles de la syntaxe, ensemble pris hors de toute situation de discours ; ce que produit un locuteur, ce qu’entend un auditeur, ce n’est donc pas une phrase, mais un énoncé particulier d’une phrase. (Ducrot 1980, p. 7)
13C’est précisément dans cet esprit que nous opposons (Haillet 2007) énoncé à segment de discours : le discours étant segmentable en unités plus ou moins complexes, nous réservons un statut particulier aux segments de discours comportant au moins un verbe conjugué, et utilisons – par convention – le terme d’énoncé pour désigner les membres de la classe ainsi définie. Les exemples qui suivent sont destinés à illustrer cette distinction :
(4) Un petit café ? | (5) tu veux un petit café ? |
(6) Quelle chance ! | (7) Quelle chance tu as eue ! |
(8) sans hésiter. | (9) Vas-y sans hésiter |
(10) Peut-être… | (11) C’est peut-être leur chat. |
(12) Rien. | (13) Il n’y avait rien d’intéressant. |
14Si (4) à (13) constituent des segments de discours, seuls (5), (7), (9), (11) et (13) sont des énoncés – et se caractérisent de ce fait par une polarité, ainsi que par une modalité phrastique. La polarité (présence ou absence de négation) est positive pour (5), (7), (9) et (11), négative pour (13) ; la modalité phrastique est interrogative pour (5), exclamative pour (7), jussive (ou injonctive) pour (9), assertive pour (11) et (13). nous avancerons également que le sens attribué respectivement aux segments (4), (6), (8), (10) et (12) – et, d’une manière plus générale, à tel ou tel segment de discours ne comportant pas de verbe conjugué – s’accommodera nécessairement d’une paraphrase sous forme d’énoncé.
15Notre démarche se caractérise en outre par l’observation des commutations possibles et impossibles, des paraphrases qu’une configuration admet ou non, et de la compatibilité de tel ou tel énoncé avec divers types d’environnements.
16Ainsi, par exemple, aura fini commute avec a fini dans Le président aura fini par changer de Premier ministre après la victoire du « non » au référendum de 2005, mais non dans Quand tu reviendras, il aura fini – principe d’analyse que l’on a vu également à propos de la différence entre (2) et (3) supra. Dans un esprit similaire, l’on constate que l’énoncé Si Max était au bord de la ruine, il ne roulerait pas en Porsche admet3 la para- phrase Max n’est pas au bord de la ruine – contrairement à l’énoncé Si Max était au bord de la ruine, il faisait tout pour que cela ne se voie pas. Enfin, l’examen de la compatibilité d’une suite donnée avec divers types d’environnements conduit à opposer Cette idée me plaît, mais est-elle réalisable ? Aux enchaînements incongrus Cette idée me plaît, mais est-elle irréalisable ? ou encore Cette idée me plaît, mais n’est-elle pas réalisable ?, etc. on verra par la suite comment ces trois angles d’approche permettent de déterminer certaines propriétés des énoncés vus comme autant de représentations discursives.
17Pour ce qui est des notions de point de vue et d’objet représenté, nous avancerons – dans le droit il des travaux de Jean-Claude Anscombre (1990, 2006) – que la fonction fondamentale des énoncés consiste à représenter des objets construits par le discours. Dans cette perspective, un énoncé constitue la « mise en scène » d’au moins un point de vue sur l’objet correspondant ; un point de vue (pdv par la suite) est exprimé – ou paraphrasable – par un énoncé. Reste à préciser la manière de désigner l’objet correspondant à un énoncé donné (ou à tel ou tel pdv qui s’y trouve représenté).
18Partons d’un constat simple : les énoncés Max était là, Max était présent et Max y était constituent trois constructions discursives différentes, et une analyse rigoureuse devra recourir à une schématisation permettant de désigner chacun des trois objets discursifs par une formule spécifique. En nous inspirant des propositions de Dominique Maingueneau (1981, p. 83), nous adoptons une notation schématique consistant à recourir à des suites – entre crochets – où les traits d’union4 remplacent les « blancs » et où l’infinitif du verbe se substitue à la forme conjuguée. Nous désignons donc l’objet de Max était là par [Max-être-là], celui de Max était présent par [Max-être-présent] et celui de Max y était par [Max-y-être] ; en adoptant cette convention, l’on évite notamment le risque de confondre la désignation d’un objet construit par le discours avec un énoncé constituant – ou susceptible de constituer – une représentation de cet objet.
19Une précision s’impose, à ce stade, concernant les énoncés de polarité négative. Examinons l’extrait ci-dessous en focalisant l’attention sur les passages en italique :
(14) Farid a le sens du spectacle, poursuit Pascal Mathieu, son coach. C’est ce qui fait de lui un boxeur à part. Il n’a pas pris un seul coup. Il a tout esquivé. Pour la dernière reprise, je lui ai dit de se lâcher, de se faire plaisir. Il n’a pas cherché à mettre l’Anglais K.-O., il a juste voulu lui montrer sa supériorité.
20L’on constate que Il n’a pas cherché à mettre l’Anglais K.-O. n’entretient pas avec Il a cherché à mettre l’Anglais K.-O. la même relation sémantique que Il n’a pas pris un seul coup avec Il a pris un seul coup – ce qui me conduit à dire que les objets construits par le discours sont ici, respectivement, [lui-ne-pas-prendre-un-seul-coup] et [lui-ne-pas-chercher-à-mettre-l’anglais-K.-O.], dans l’esprit de cette citation de Oswald Ducrot (1980, p. 8-9) :
Lorsqu’un énoncé défile devant l’auditeur qui cherche à le comprendre, ses mots ne déversent pas l’un après l’autre […] leur contenu individuel, qui viendrait s’ajouter au contenu véhiculé par les précédents. […] Pour notre part, nous avons fait l’hypothèse que le mot, conçu comme entité linguistique abstraite, ne collabore au sens d’un énoncé que d’une façon indirecte : il commence par se combiner aux autres mots pour constituer la signification de la phrase, et c’est celle-ci qui, vu la situation de discours, produit le sens de l’énoncé.
21Nous terminons cette partie en illustrant l’application de la démarche exposée à l’analyse de quelques agencements plus complexes de points de vue :
(15) La hausse des prix préoccupe les experts.
(16) Je suis convaincu qu’il a fait de son mieux.
(17) J’aurais agi de la même façon, à sa place.
22Dans (15), l’on a – entre autres – la représentation du pdv (15a) dont rend compte la paraphrase Les prix sont en hausse (ou Les prix augmentent) comme préexistant à l’apparition de l’énoncé (15). Dans (16), le pdv (16a) dont rend compte la paraphrase Il a fait de son mieux se trouve enchâssé dans le pdv Je suis convaincu qu’il a fait de son mieux, et (16) constitue la manifestation de l’attitude du locuteur à l’égard du pdv (16a). Enfin, (17) représente l’objet [moi-agir-de-la-même-façon] comme imaginé (voir Haillet 2002, 2006a, 2006b, 2007) en corrélation avec l’hypothèse dont rend compte la paraphrase Si j’avais été à sa place5 (ou encore Si j’étais à sa place).
23Nous en venons maintenant au concept de réalité du locuteur (Haillet 2002, 2006b) et à son application à l’analyse des énoncés en tant que représentations discursives.
Réalité du locuteur
24Forgé au demeurant dans le cadre de travaux (Haillet 2002) visant à rendre compte à la fois de la diversité des emplois du conditionnel et du signifié unique de cette forme verbale, le concept de réalité du locuteur s’avère opératoire dans des analyses portant sur d’autres phénomènes observables sur le plan de la relation entre formes et sens.
25En un premier temps, nous voudrions rappeler la distinction opérée par Oswald Ducrot (1984) entre locuteur en tant que tel et locuteur en tant qu’être du monde. L’apparition d’une séquence sonore ou écrite associée à du sens implique, en effet, un auteur (qu’il soit – ou non – explicitement identifié par le discours) ; par ailleurs, certains énoncés mettent en scène le locuteur-objet du discours. Ainsi, par exemple, l’examen des exemples ci-dessous :
(18) Ali a travaillé comme ambulancier.
(19) Farid Khider est champion du monde dans plusieurs disciplines relevant des arts martiaux.
(20) J’ai obtenu mon HDR en juin 2006.
(21) Je suis membre de l’UMR 7187.
26Conduit à dire, d’une part, qu’ils impliquent tous un locuteur en tant que tel, auteur de l’énoncé, instance constituée du simple fait de leur surgissement, et d’autre part, que (20) et (21) – mais non (18) et (19) – représentent en outre le locuteur en tant qu’être du monde.
27En appui sur cette distinction, voici comment nous définissons le concept de réalité du locuteur ; il s’agit d’un ensemble construit par le discours et constitué par les points de vue qui possèdent les deux caractéristiques ci-dessous : (a) le discours6 les représente comme assumés par le locuteur en tant que tel, (b) ils sont exprimés – ou paraphrasables7 – par une assertion qui représente l’objet du point de vue comme antérieur ou simultané au moment où l’énoncé est produit.
28L’examen, sous cet angle, des énoncés (22) et (23) conduira à déterminer que les pdv (22a) Farid Khider est né dans le 13e arrondissement et (23a) Kamel a de la famille à Ivry possèdent tant la caractéristique (a) que la caractéristique (b) :
(22) Farid Khider est né dans le 13e arrondissement.
(23) Kamel a de la famille à Ivry.
29Quant aux pdv (24a) C’était pour nous aider à choisir et (25a) Il y était le seul banquier, l’on constate qu’ils ne sont pas représentés comme assumés par le locuteur dans :
(24) C’était soi-disant pour nous aider à choisir.
(25) Il y était, paraît-il, le seul banquier.
30et qu’ils possèdent la caractéristique (b), mais non la caractéristique (a). L’examen des pdv (26a) La décision sera prise demain et (27a) On prendra la voiture dans les représentations (26) et (27) conduit à constater qu’ils ne possèdent ni la caractéristique (a) ni la caractéristique (b) :
(26) on me dit que la décision sera prise demain.
(27) On prendra peut-être la voiture.
31Le dernier cas de figure est illustré par (28), (29) et (30), où les pdv (28a) Ali vient ce soir, (29a) Max va être content et (30a) Votre supermarché sera ouvert dimanche prochain – représentés ici comme assumés par le locuteur – possèdent la caractéristique (a) mais non la caractéristique (b), les objets [Ali-venir-ce-soir], [Max-être-content] et [votre-supermarché-être-ouvert-dimanche-prochain] étant situés dans l’avenir8 :
(28) Ali vient ce soir.
(29) Max va être content.
(30) Votre supermarché sera ouvert dimanche prochain.
32Nous nous focaliserons désormais sur la caractéristique (a). Une précision importante concerne la nécessité de distinguer entre, d’un côté, les pdv qui ne sont pas représentés comme assumés par le locuteur et, de l’autre, les pdv représentés comme non assumés par le locuteur. Ainsi, dans (31) :
(31) Max dit que c’est le cas.
33le pdv (31a) C’est le cas n’est pas représenté comme assumé par le locuteur ; nous en voudrons pour preuve la compatibilité9 de (31) tant avec des enchaînements de type C’est également mon avis, Il a entièrement raison, etc. – combinaisons qui représentent (31a) commeassumé par le locuteur – qu’avec des enchaînements de type opposé, tels que Je ne partage pas du tout cette manière de voir les choses, Il se trompe, Il a tort sur toute la ligne, etc. – combinaisons qui représentent, elles, (31a) comme non assumé par le locuteur –, en passant par des positionnements plus nuancés Il n’est pas impossible que je me laisse convaincre, Personnellement, je n’ai pas d’opinion là-dessus, etc. Fondamentalement, le pdv (31a) est représenté dans (31) comme attribué à une instance distincte du locuteur-origine de l’énoncé (31) ; les combinaisons de (31) avec divers environnements discursifs pourront éventuellement conduire à attribuer au locuteur-origine de (31) tel ou tel positionnement à l’égard du pdv (31a).
34C’est dans une perspective similaire que nous nous proposons d’analyser les exemples (32) à (34) :
(32) C’était très agréable.
(33) On a pris l’apéritif sur la terrasse en regardant le coucher du soleil. C’était très agréable.
(34) Il y avait un chantier en face, poussière et bruit du matin au soir. C’était très agréable.
35L’examen par défaut de (32) conduira à attribuer au locuteur-origine de cet énoncé le pdv C’est très agréable. Dans l’agencement (33), l’environnement de la séquence C’est très agréable favorise nettement l’attribution à son auteur de ce même pdv. En revanche, la prise en compte de l’environnement avec lequel C’est très agréable se trouve combiné dans (34) conduit à attribuer au locuteur-origine de l’énoncé un point de vue de type opposé, paraphrasable par C’était très désagréable10 – la séquence C’est très agréable étant alors interprétée comme ironique. L’on remarquera en outre que le discours représenté comme rapporté – voir (31), où le pdv (31a) se trouve explicitement représenté comme résultant d’une énonciation distincte – constitue en fait un cas particulier de dissociation entre l’origine d’un énoncé donné et l’origine de tel ou tel pdv qui s’y trouve mis en scène.
36Ce que nous retiendrons à l’issue de cette réflexion sur la caractéristique (a), c’est la nécessité de tenir compte non seulement des propriétés qui caractérisent telle ou telle séquence par défaut, sans qu’interviennent des facteurs extérieurs à elle, mais aussi des propriétés que manifeste la combinaison de cette séquence avec divers types d’environnements discursifs.
37Dans ce qui suit, nous nous attacherons à rendre compte de la structure polyphonique des énoncés interrogatifs.
Approche polyphonique des énoncés interrogatifs
38Pour préciser sur quel type d’énoncés porteront les analyses proposées, nous prendrons pour point de départ l’observation des énoncés (35) à (42), et nous opposerons les questions indépendantes syntaxiquement – (35) à (37) et (39) à (41) – aux exemples (38) et (42), dans lesquels la question est enchâssée et admet la pronominalisation en le :
(35) Max sera là ? | (36) Max sera-t-il là ? |
(37) Est-ce que Max sera là ? | (38) Léa demande si Max sera là. |
(39) Tu en as parlé à qui ? | (40) À qui en as-tu parlé ? |
(41) À qui est-ce que tu en as parlé ? | (42) Léa demande à qui tu en as parlé. |
39Sans présenter en détail l’organisation morpho-syntaxique11 qui caractérise les énoncés interrogatifs indépendants syntaxiquement, nous retiendrons ici les deux propriétés définitoires suivantes :
ils comportent au minimum un groupe nominal et un verbe conjugué à l’indicatif, la personne et le nombre du verbe correspondant à ceux du groupe nominal ;
ils sont compatibles avec des enchaînements sous forme d’incise demande X, où X désigne l’origine de l’énoncé interrogatif.
40Les questions partielles indépendantes syntaxiquement se caractérisent en outre par la présence d’un segment interrogatif ; cette étiquette (Haillet 2002, 2007) désigne la classe à laquelle appartiennent des pronoms – associés éventuellement à une préposition – (qui, quoi, à qui, de quoi, avec qui, etc.), des adverbes (où, quand, comment, pourquoi, combien), ainsi que des syntagmes où un nom se combine avec quel(le)(s) ou combien de.
41C’est précisément ce segment interrogatif12 qui introduit les questions partielles enchâssées, comme dans (42) – alors que les questions totales enchâssées – voir (41) supra – sont introduites par si. Nous citerons, pour finir, le critère permettant d’opposer les questions totales indépendantes syntaxiquement aux questions partielles indépendantes syntaxiquement : le premier type, contrairement au second, s’accommode des réponses oui et non.
42En un premier temps, nous focaliserons notre attention sur les questions indépendantes syntaxiquement.
Approche polyphonique des questions totales indépendantes syntaxiquement
43Notre approche de ce type d’énoncés interrogatifs repose sur le concept d’assertion sous-jacente à la question totale (ASJT par la suite). Cette assertion ne diffère de la question correspondante que par les marques de l’interrogation : il s’agit, par exemple, de Max sera là pour les questions (35), (36) et (37). Fondamentalement, une question totale (Haillet [1998] 2001, 2002, 2007) constitue une demande – faite par son locuteur au destinataire du discours – de prendre position à l’égard de l’ASJT. Pour rendre compte des cas de figure où une question totale se trouve interprétée, respectivement, comme véritable, comme rhétorique ou encore comme orientée ou dirigée, nous nous appuierons sur les exemples (43) à (47) :
(43) Avez-vous bénéficié d’une APL au cours des 12 derniers mois ? (dans un questionnaire)
(44) Avons-nous exercé une « pression » avec les appels de Jacques Delors, de Simone Weil ? Oui, sans aucun doute.
(45) Aux États-Unis, la politique est au service de l’actionnariat. Est-ce notre objectif ? Non.
(46) Il y a d’abord un fort mécontentement des Français sur la façon dont ils sont gouvernés. Cela n’a rien d’original : connaissez-vous des périodes, excédant quelques mois, où les Français aient été contents de leur gouvernement ?
(47) Tu as l’air content ; l’examen a été facile ?
44Interpréter une question totale comme véritable – cas illustré par (43) – revient à n’attribuer à son locuteur aucune attitude particulière à l’égard de l’ASJT. Interpréter une question totale comme rhétorique revient à attribuer à son locuteur soit le point de vue correspondant à l’ASJT, soit le point de vue contraire à l’ASJT – comme l’illustrent respectivement (44) et (45). Enfin, interpréter une question totale comme plus ou moins orientée, c’est attribuer à son locuteur une prédisposition à admettre un pdv déterminé en rapport avec l’ASJT : dans (46), il s’agit de pdv de type opposé à l’ASJT, et dans (47), du pdv correspondant à l’ASJT. Ces différents cas de figure se laissent représenter sur un continuum dont les deux extrêmes sont constitués par l’interprétation de la question totale comme véritable et par l’interprétation de la question totale comme rhétorique :

45Ce qui ressort de cette analyse, c’est que – fondamentalement – le pdv qui correspond à l’ASJT n’est pas représenté comme assumé par le locuteur de la question totale. En effet, en fonction de l’environnement de l’énoncé interrogatif, le pdv correspondant à l’ASJT peut se trouver représenté comme assumé – cas illustré par (44) – ou encore comme non assumé – cas illustré par (45) – par cette instance discursive. L’on notera, à cet égard, l’analogie avec la manière dont (31) supra représente le point de vue (31a).
46C’est dans une perspective similaire que nous abordons maintenant les questions partielles indépendantes syntaxiquement.
Approche polyphonique des questions partielles indépendantes syntaxiquement
47Les analyses qui suivent reposent sur le concept d’assertion sous-jacente à la question partielle (ASJP par la suite). Il s’agit de Tu en as parlé à quelqu’un pour (39), (40) et (41) ; la place du segment interrogatif à qui ? y est occupée par l’indéfini13 à quelqu’un. Nous avancerons qu’une question partielle constitue fondamentalement une demande faite au destinataire du discours de saturer cette place – et que le locuteur-origine d’une question partielle adopte nécessairement soit le pdv qui correspond à l’ASJP, soit le pdv contraire – en l’occurrence, Tu n’en as parlé à personne.
48Pour rendre compte des cas de figure où une question partielle se trouve interprétée, respectivement, comme véritable, comme rhétorique ou encore comme orientée ou dirigée, nous nous appuierons sur les exemples (48) à (52) :
(48) Depuis quand êtes-vous assuré comme conducteur principal ? (dans un questionnaire élaboré par une compagnie d’assurance)
(49) Pourquoi le camp des anti-guerre ne doit rien regretter ? Parce que si la situation irakienne imposait qu’il y ait des hommes déterminés à agir, elle imposait également qu’il y ait des hommes déterminés à freiner les ardeurs des premiers.
(50) Laurent Debono tendu (qui ne le serait pas face à pareil adversaire ?) a du mal à poser sa boxe au contraire de son adversaire qui boxe avec une précision chirurgicale. La force de Farid Khider est de passer d’une boxe à l’autre tout en respectant les règles à la lettre. Laurent, trop respectueux ou trop impressionné, boxera sans efficacité, appréciant les superbes gestes techniques de son illustre adversaire.
(51) De nos jours, que vaut un bac, quand on le donne à des élèves qui font trente fautes d’orthographe dans une dissertation ?
(52) Il me la remettra quand, sa proposition ? Le conseil se réunit mardi prochain, je ferai de mon mieux mais il faudrait vraiment que je l’aie au plus tard lundi à midi.
49Interpréter une question partielle comme véritable – cas illustré par (48) – revient à considérer que le locuteur assume le pdv correspondant à l’ASJP – en l’occurrence, Vous êtes assuré comme conducteur principal depuis une certaine date – et à ne lui attribuer aucun pdv paraphrasable par une assertion où la place du segment interrogatif serait saturée par un syntagme précis. Dans (49), la question partielle est interprétée comme rhétorique : l’on attribue à son locuteur le pdv Le camp des anti-guerre ne doit rien regretter parce que… – ce qui revient à considérer comme assumé par cette instance le pdv correspondant à l’ASJP, Le camp des anti-guerre ne doit rien regretter pour une certaine raison. Dans (50), la question partielle est également interprétée comme rhétorique, mais le pdv attribué au locuteur est Tout le monde (ou encore N’importe qui, N’importe quel boxeur, etc.) le serait face à pareil adversaire – à l’opposé de l’ASJP Quelqu’un ne le serait pas face à pareil adversaire. Enfin, interpréter une question partielle comme plus ou moins orientée, c’est attribuer à son locuteur une prédisposition à admettre un pdv déterminé en rapport avec l’ASJP : dans (51), il s’agit soit du pdv De nos jours, un bac ne vaut rien – contraire à l’ASJP De nos jours, un bac vaut quelque chose –, soit du pdv De nos jours, un bac ne vaut pas grand-chose, allant dans le sens contraire à l’ASJP. L’interprétation de (52) revient à considérer que le discours du locuteur de la question partielle s’oriente vers Il me la remettra avant lundi midi – et qu’il assume le pdv correspondant à l’ASJP, Il me la remettra à un certain moment. Là encore, ces différents cas de figure se laissent représenter sur un continuum dont les deux extrêmes sont constitués, respectivement, par l’interprétation de la question partielle comme véritable et par l’interprétation de la question partielle comme rhétorique :

50Cette approche fait apparaître que – fondamentalement – le pdv qui correspond à l’ASJP n’est pas représenté comme assumé par le locuteur de la question partielle : en effet, en fonction de l’environnement de l’énoncé interrogatif, il peut se trouver représenté comme assumé – cas illustré par (48), (49) et (52) – ou encore comme non assumé – cas illustré par (50) et (51) – par cette instance discursive ; l’on notera, là encore, l’analogie avec la manière dont (31) supra représente le point de vue (31a).
51Reste à préciser comment l’approche proposée ici rend compte de la distinction entre questions directes et questions indirectes.
Questions directes versus questions indirectes : une approche polyphonique
52En nous inspirant des analyses de Robert l. Wagner et Jacqueline Pinchon ([1962] 1991, p. 568-583), ainsi que de l’approche présentée par Michel arrivé, Françoise Gadet et Michel Galmiche (1986, p. 348), nous nous proposons de « revisiter » les dichotomies : questions indépendantes syntaxiquement versus questions enchâssées et questions directes versus questions indirectes – dichotomies que la tradition grammaticale fait, bien souvent, coïncider. Nous avancerons, pour notre part, que la première ne concerne que la nature formelle des énoncés interrogatifs et que la seconde concerne, quant à elle, la manière dont tel ou tel énoncé interrogatif se trouve interprété dans son environnement discursif.
53Dans le cadre d’une approche polyphonique du phénomène, sera considérée comme directe toute question dont l’origine coïncide avec le locuteur en tant que tel, origine du discours ; ce cas de figure est illustré, entre autres, par les exemples (35) à (37), (39) à (41) et (43) à (52). Sera considérée comme indirecte toute question interprétée comme attribuée à une instance distincte du locuteur-auteur du discours, comme dans (38) et (42) supra – mais également dans (53) à (57) ci-dessous :
(53) Au XIXe siècle, les petites filles pauvres étaient vouées à devenir paysannes, domestiques, ouvrières ou couturières à domicile. Tout change en 1879, lorsque Paul Bert impose la création dans chaque département d’une école normale pour former les nouvelles institutrices laïques, qui seront les pionnières de la République. Scandale ! Ces écoles sans Dieu ne vont-elles pas instiller dans les jeunes cerveaux des idées d’insoumission ou, pis, d’égalité ? Exactement ce qui se passe. Dès qu’elles sont un peu instruites, les filles des milieux populaires entrent en masse dans les bureaux, l’administration, les banques et bien sûr l’enseignement.
(54) Le discours du nouveau PDG peu convaincant et/ou venant trop tard, ne parvient pas à redonner confiance aux salariés qui doutent, qui s’interrogent. Quels services seront délocalisés ? Qui prend les décisions ? Combien y aura-t-il de licenciements ? il est clair que la « base » ne prend plus aucune promesse au sérieux. Dès le lendemain, c’est la grève générale.
(55) Quand le juge a annoncé qu’il devait « infliger une sentence à une personne de 80 ans qui a été sérieusement blessée », un murmure très inquiet a parcouru le tribunal. Quarante et un ans après le cauchemar allait-il se répéter ? Deux jours plus tôt, un jury avait écarté l’accusation de meurtre avec préméditation contre Edgar Ray Killen, faute de preuves décisives, ne retenant que le meurtre sans préméditation. L’ancien preacher accusé du meurtre de trois jeunes activistes de la lutte pour les droits civiques, en 1964, allait-il s’en tirer avec le minimum, trois ans ?
(56) trois ans plus tard, le principe de l’égalité absolue de l’homme et de la femme dans la citoyenneté et devant la loi était inscrit dans la Constitution. Restait à rendre ces nouvelles règles applicables. La libération des femmes, inscrite dans les textes, serait-elle socialement acceptée et tiendrait-elle le coup ? Quarante ans après, la réponse est oui.
(57) Après les congratulations d’usage, la discussion a vite pris un tour orageux quand on a abordé le problème de la désignation des membres de la future autorité nationale palestinienne (ANP). Qui serait choisi ? En d’autres termes, qui allait commander et appliquer l’accord pendant la période intérimaire ? Comment seraient réparties les responsabilités ?
54Dans ces cinq extraits, la prise en compte de l’environnement discursif dans lequel se trouvent intégrées les questions indépendantes syntaxiquement conduit à les attribuer à une instance distincte du locuteur en tant que tel. Pour les questions totales, ce phénomène a pour corollaire l’inadéquation des paraphrases construites selon le schéma LOC demande si ASJT, où LOC désigne le locuteur en tant que tel, origine du discours. Pour les questions partielles, l’on observe l’inadéquation des paraphrases LOC demande quels services seront délocalisés, LOC demande qui prend les décisions, LOC demande combien il y aura de licenciements, LOC demande qui serait choisi, LOC demande qui allait commander et appliquer l’accord pendant la période intérimaire, LOC demande comment seraient réparties les responsabilités ; il s’agit de paraphrases dans lesquelles LOC demande introduit la question partielle qui se trouve ipso facto enchâssée.
55L’application de ces critères permet de rendre compte du phénomène à l’œuvre dans (58) et (59) ci-dessous :
(58) Je vous téléphone pour vous demander si le dépouillement est terminé.
(59) Je t’appelle pour te demander qui a été élu.
56où les questions enchâssées s’interprètent comme invitant le destinataire du discours, respectivement, à prendre position à l’égard de l’ASJT Le dépouillement est terminé, et à saturer la place correspondant au segment interrogatif qui ; l’on observe, en effet, l’adéquation de la paraphrase LOC demande si le dépouillement est terminé pour (58), et de la paraphrase LOC demande qui a été élu pour (59). Cette propriété distingue (58) et (59) de (38), qui n’admet pas la paraphrase LOC demande si Max est là, ainsi que de (42), qui n’autorise pas la glose LOC demande à qui tu en as parlé.
57Pour ce qui est, enfin, de la méthodologie adoptée, la démarche visant à déterminer si une question donnée est interprétée comme directe ou comme indirecte repose sur le principe14 de classification des énoncés en fonction des paraphrases que chacun d’eux autorise – ou n’autorise pas.
58Le dernier point que nous nous proposons d’aborder concerne la représentation discursive d’une question donnée comme n’ayant pas été posée.
Questions représentées comme n’ayant pas été posées
59Il s’agira de préciser comment l’approche présentée ici rend compte du phénomène illustré par les extraits (60) et (61) :
(60) Ce soir-là, Hollande n’a pas demandé à Boutih s’il était de droite. Malek avait sa réponse : « Tu es qui, l’énarque, pour me demander ça ? » ils ont juste fait connaissance.
(61) L’instabilité politique aidant, personne ne s’est demandé ce qui arriverait au bout de cette première année. Arrivés en fin de droits, bon nombre de chômeurs naviguent, désormais, d’aides provisoires en soutiens ponctuels.
60Dans (60), l’on a la représentation d’un personnage (François Hollande) comme n’ayant pas posé la question paraphrasable par Êtes-vous de droite ? (ou encore Vous êtes de droite ? Tu es de droite ?, etc.) ; dans (61), la question Qu’est-ce qui arrivera au bout de cette première année ? est représentée non seulement comme n’ayant pas été énoncée, mais surtout comme n’ayant même pas été envisagée par la pensée.
61S’il y a bel et bien « mise en scène » de points de vue dans (60) et (61), il apparaît clairement qu’il serait pour le moins délicat de parler ici d’énonciateurs qui correspondraient à ces points de vue. Il y a là une des raisons qui nous ont conduit à abandonner (Haillet 2004b, 2006b, 2007) le concept même d’énonciateur – celui de point de vue s’avérant suffisant pour l’objectif poursuivi. En cela, nous pensons rejoindre à la fois María Luísa Donaire (2001, p. 64) et Henning Nølke (2005, p. 113) : l’instance constituée par le discours et qui correspond à l’origine de tel ou tel point de vue « mis en scène » n’est pas nécessairement saturée par un « être discursif ».
***
62L’analyse des énoncés interrogatifs présentée ici s’inscrit dans une perspective plus large, celle du projet de linguistique des représentations discursives (Haillet 2007), consistant à appréhender le discours en tant qu’agencement plus ou moins complexe de représentations de ce dont on parle, et à recourir à des outils d’analyse issus des approches linguistiques de la polyphonie.
63Le recours à l’observation des commutations possibles et impossibles, des paraphrases qu’une configuration admet ou non, et de la compatibilité de tel ou tel énoncé avec divers types d’environnements reflète le souci de proposer une approche homogène – à travers la mise en place de critères applicables à toute une variété de constructions discursives.
64En ce qui concerne plus particulièrement la prise en compte des environnements discursifs dans lesquels peuvent se trouver intégrés les énoncés interrogatifs, l’approche en termes de représentation de points de vue que l’on vient d’exposer permet de rendre compte de phénomènes dont le discours rapporté constitue une manifestation parmi d’autres, mais dont la nature ne se réduit pas à la représentation d’énonciations distinctes.
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Notes de bas de page
1 Ensemble constitué à la fois par des données observables directement (dont le contexte linguistique et/ou la situation) et par les savoirs accumulés, qui se dérobent à l’observation directe et qui sont plus ou moins largement partagés au sein de la communauté linguistique impliquée par l’énonciation.
2 La même analyse s’applique à trois séquences sonores [vazi] prononcées à trois moments différents par la même personne.
3 Moyennant cette précision importante : dire qu’un énoncé E admet une paraphrase P ne sert qu’à mettre au jour une propriété qui le distingue de ceux qui ne s’accommodent pas d’une paraphrase analogue, sans postuler une quelconque équivalence (Fuchs 1994) entre E et P.
4 Une alternative qui nous a été suggérée par Jean-Claude Anscombre et par Laurent Gosselin consiste à recourir aux barres obliques à la place des traits d’union – schématisation qui donne [Max/être/là], [Max/être/présent] et [Max/y/être].
5 L’objet [moi-être-à-sa-place] étant, lui aussi, représenté comme imaginé (voir P. P. Haillet 2002, 2006b).
6 En effet, l’interprétation par défaut d’un énoncé donné peut différer de celle qu’imposera sa combinaison avec tel ou tel environnement discursif ; voir par exemple (1), (2) et (3) supra.
7 Précision rendue nécessaire par l’examen d’énoncés tels que : Max dort ; il s’est endormi juste après le décollage de l’avion et Les passagers doivent se présenter en salle d’embarquement au plus tard vingt minutes avant le décollage de l’avion ; le locuteur du premier exemple assume nécessairement le point de vue dont rend compte la paraphrase L’avion a décollé, ce qui n’est pas le cas du locuteur-origine du deuxième exemple.
8 Nous n’abordons pas ici le cas des corrélations hypothétiques (Anscombre 1985a, Haillet 2002, 2006a, 2006b, 2007) ; très sommairement, l’objet [Max-être-content] est représenté comme imaginé dans l’avenir tant dans Max va être content si vous l’invitez que dans Max va être content, mais dans le premier exemple, il est imaginé en corrélation avec l’objet [vous-l’inviter].
9 C’est un phénomène similaire qu’illustre la compatibilité (Haillet 2005, 2007) de Quand il a obtenu sa mutation, il était stagiaire tant avec Il attend toujours sa titularisation qu’avec Il a été titularisé un mois plus tard, propriété s’expliquant par le fait que le recours à l’imparfait revient à ne pas représenter la borne finale de l’objet discursif [lui-être-stagiaire].
10 Ou encore par C’était vraiment pénible, C’était insupportable, etc.
11 Voir P. P. Haillet (2002, p. 99-100 et p. 131-132 ; 2007, p. 121-122 et p. 141-142). Nous n’abordons ici que les questions totales et les questions partielles, en laissant de côté les questions dites alternatives (Wilmet [1996] 2003, p. 584 ; Haillet 2007, p. 142), telles que Tu viens seul ou avec quelqu’un ?
12 Pour certains segments interrogatifs, c’est une variante combinatoire qui sert d’outil enchâssant : par exemple, ce qui – comme dans Luc demande ce qui te gêne comparé à Qu’est-ce qui te gêne ? – et ce que – comme dans Léa demande ce que tu préfères comparé à Tu préfères quoi ?/Que préfères-tu ?/Qu’est-ce que tu préfères ?.
13 Sur le détail de la procédure permettant de déterminer l’assertion sous-jacente aux questions partielles telles que Ils ont réagi comment ?, Pourquoi tu es fâché ?, etc. voir P. P. Haillet (2002, 2007).
14 Principe dont on a vu l’application aux environnements dans lesquels peut se trouver intégrée la séquence Si Max était au bord de la ruine (voir supra).
Auteur
LDI, Université de Cergy-Pontoise
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