Chapitre 7
Le sérieux contre le jeu : un débat entre Renouvier et Guyau sur l’expérience esthétique et la destination sociale de l’art
p. 95-107
Texte intégral
Introduction
1On ne saurait trouver, dans le champ philosophique de la Troisième République, un contraste plus saisissant que celui entre Jean-Marie Guyau et Charles Renouvier (1815-1903). L’un, mort très jeune, et l’autre, béni par une extraordinaire longévité intellectuelle, diffèrent par les générations auxquelles ils appartiennent, leurs références culturelles, leurs rôles sociaux et leurs tempéraments philosophiques. Cependant, leurs chemins eurent l’occasion de s’entrecroiser pendant les dix années allant de la parution de La morale d’Épicure et ses rapports avec les doctrines contemporaines (1878) à la mort de Guyau, en 1888. Pour un jeune homme qui s’initiait à la philosophie entre la fin des années soixante et le début des années soixante-dix, l’œuvre immense de Renouvier, ce père du néocriticisme français, représentait un point de repère incontournable, bien que sous la forme d’un objet de contestation1. De même, dans la décennie suivante, les livres de Guyau furent des lectures du plus grand intérêt pour tous ceux qui étaient sensibles aux questions fondamentales de la philosophie, de l’art et de la sociologie. Parmi eux, on peut sans doute compter Renouvier ainsi que ses plus proches disciples et collaborateurs. Dans une longue étude critique sur L’art au point de vue sociologique, parue dans la nouvelle Année philosophique, Lionel Dauriac (1847-1923) célébrait en effet la capacité de Guyau de travailler « dans les grandes avenues de la pensée philosophique », de toucher « aux grands problèmes, non simplement pour le besoin de placer son mot et de signer à côté, mais pour céder à une nécessité bien autrement impérieuse, celle de remanier les formules et de renouveler les aspects des questions »2.
2Mais quels étaient les rapports entre Guyau et Renouvier ? Plus précisément : y a-t-il eu des réactions, de la part de Renouvier, aux travaux de Guyau ? Et à quel sujet ? Au premier abord, on pourrait penser que le débat entre ces deux philosophes dût être axé principalement sur des questions d’ordre moral. En effet, dans ses ouvrages, Guyau se réfère souvent à la conception renouvierienne de la moralité : par exemple, le dernier chapitre de l’Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction (1885) n’est au fond qu’une longue discussion des doctrines exposées dans la Science de la morale (1869) de Renouvier, tandis que dans L’irréligion de l’avenir (1887) Guyau conteste la notion criticiste d’une religion fondée sur la foi morale3. Il faut se rappeler, en outre, qu’à partir de la fin des années soixante-dix, la philosophie morale de Renouvier est analysée en détail et critiquée par Alfred Fouillée (1838-1912) à plusieurs reprises : d’abord, dans sa thèse La liberté et le déterminisme (1872, republiée par Alcan en 1884)4 ; ensuite, dans un article, que Guyau devait connaître très bien, paru dans la Revue philosophique en 1881 et republié deux ans après dans la Critique des systèmes de morale contemporains5 ; enfin, dans le deuxième tome de La psychologie des idées-forces (1893)6.
3Renouvier était tout à fait au courant de ces attaques, qui l’énervaient énormément. Dans ses lettres à Dauriac, il se plaint des critiques inutilement « pointilleuse[s] » et en définitive « superficielle[s] » de Fouillée, qu’il décrit comme un homme « fanatique » et « de mauvaise foi », qui « ne paraît pas comprendre qu’on puisse avoir d’autres idées que les siennes sans se contredire »7. Mais si Renouvier méprisait Fouillée, il semblait tenir en plus haute estime le jeune Guyau. Cette appréciation n’est pas immédiatement évidente : Renouvier, en effet, ne cite presque jamais Guyau dans ses ouvrages majeurs, même après sa mort. Néanmoins, on l’a dit, les livres de Guyau firent l’objet d’un intérêt constant et très admiratif de la part du cercle de la revue de Renouvier, la Critique philosophique, dans laquelle parurent de nombreux comptes rendus et études critiques8. Et en feuilletant les numéros de la revue, on s’aperçoit d’un fait qui à première vue peut paraître un peu surprenant : la confrontation la plus durable entre Renouvier et Guyau se configure surtout comme une querelle esthétique, portant principalement sur la nature de l’expérience artistique et sur le rapport entre l’art et la vie, entre l’art et la moralité ou la société.
Du libre jeu esthétique à l’autonomie morale : la thèse de Renouvier
4Tout commence lorsque entre 1874 et 1875 Renouvier publie dans la Critique philosophique une première série d’articles consacrés à l’œuvre poétique de Victor Hugo où, en bon kantien, il prône une conception de l’art fondée sur le libre jeu des facultés (qui sont pour lui l’imagination et la raison) et sur le désintéressement esthétique, au-delà donc de tout rapport avec la vérité et l’utilité. Dans le dernier de ces textes, Renouvier écrit qu’en son temps on prend trop au sérieux l’imagination, qui en revanche doit être laissée libre de s’étendre, d’abandonner « toute prétention directe sur le vrai et sur l’utile » pour se livrer à sa véritable activité : l’imitation, « en manière de jeu élevé », des passions, des actions et des idées des hommes9. Ce n’est pas la première fois que Renouvier propose cette perspective esthétique : il l’avait déjà fait d’une manière plus complète dans la Science de la morale, en identifiant le « principe radical du beau » avec la notion du désintéressement formulée par Kant et en insistant sur la nature purement formelle de la création artistique. L’œuvre d’art, disait-il, consiste dans une « représentation pour la représentation »10 ; et si l’artiste, qui est d’abord un homme et donc un agent moral, veut ajouter un message à son ouvrage, il doit quand même préserver la liberté et le jeu qui sont à la base de sa création et aussi bien de l’appréciation du public11. Cette conception générale se retrouve exposée d’une manière définitive vingt-cinq ans plus tard, dans le premier livre de Renouvier sur Hugo, paru en 1893 et issu d’une nouvelle série d’articles écrits en 1889. Pour Renouvier, les « souverains principes de l’esthétique » sont les suivants :
I. Le sentiment du beau ne dépend pas des qualités des objets externes, mais des affections psychiques du sujet […].
II. Ce sentiment est indépendant de toute reconnaissance des qualités de son objet comme bonnes, utiles ou agréables […]. Il est donc essentiellement désintéressé.
III. Il n’est ni universalisable ni transmissible à l’aide de concepts et de raisonnements ; il n’est jamais nécessaire […].
IV. [L]es fins [des actions humaines] qui ont le beau pour objet sont purement formelles, et consistent dans le plaisir que procure le beau, dans la conservation et dans le jeu des représentations qui s’y rapportent […].
V. Ce jeu des représentations, quand il passe de l’ordre contemplatif à l’ordre de l’action ou de la libre création, conduit à l’art, qui est une sorte d’imitation ou de reproduction désintéressée, entièrement formelle, de phénomènes quelconques, représentés à part de toute passion intéressée qui puisse s’attacher à ces mêmes phénomènes comme réels.
VI. Le beau et l’art ne diffèrent que comme diffèrent la contemplation de l’œuvre et l’œuvre elle-même, non pas morte mais en acte de se faire. Cet acte est le jeu du beau, et comme toute la matière de nos représentations est prise ici de l’expérience, cet acte consiste en de libres reproductions, imitations, interprétations des choses mêmes […] ; tout artiste, depuis l’enfant dans ses jeux d’enfant, jusqu’aux grands conteurs et poètes, est un homme qui joue avec les représentations.12
5Les origines kantiennes et schillériennes de ces principes sont explicitées dans un article publié en 1876 où Renouvier trace la généalogie allemande de son esthétique du jeu, en ajoutant toutefois un élément anglais : la lignée inaugurée par le Kant de la Critique de la faculté de juger (1790) et poursuivie par les Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme (1794) de Schiller s’achève en effet avec les Principes de psychologie (1855) d’Herbert Spencer, traduits en français par Théodule Ribot (1839-1916) et Alfred Espinas (1844-1922) l’année précédente. Dans ce texte, Spencer avait dit en effet avoir rencontré chez un auteur allemand dont il ne se rappelait pas le nom (vraisemblablement Schiller) une théorie qui lui avait paru offrir, « sinon la vérité même, au moins une esquisse de la vérité », à savoir la théorie que les sentiments esthétiques dérivent de « l’impulsion du jeu »13. D’après Renouvier, l’évolutionnisme de Spencer et le criticisme de Kant partagent, malgré leurs différences, un principe commun, c’est-à-dire la condition de désintéressement, d’une absence de finalité immédiate, qui est à la base soit de la jouissance sensible soit du plaisir esthétique devant la beauté artistique. On retrouve cette similarité aussi sur le plan du langage : Spencer parle en effet de l’excitation esthétique comme d’un « exercice de certaines facultés en vue d’elles-mêmes » et de la beauté en tant que sentiment qui ne se rapporte pas à des fins à réaliser, mais aux « activités qui entrent en exercice dans la poursuite de ces fins »14. Tout cela révèle, aux yeux de Renouvier, la valeur profonde de la démarche criticiste, capable, en vertu de la vérité qu’elle exprime, de migrer dans des contextes philosophiques très différents : tant Schiller que Spencer arrivent à la conclusion que dans le libre jeu esthétique des facultés, dans le plaisir désintéressé et dans la libre contemplation de la beauté, l’homme se réalise et se complète au-delà de ses besoins primitifs qui le rattachent au domaine animal. Mais ce que Spencer n’a pas compris, et que Schiller avait par contre déjà souligné, c’est le lien entre esthétique et morale : le bonheur esthétique, la liberté éprouvée par le sujet dans le jeu de ses facultés, coïncide avec la réalisation d’une autonomie morale, d’une vertu spontanée affranchie du devoir et des désirs, qui, seule, est la condition de la félicité personnelle et en même temps de l’harmonie sociale15.
Vie et expression : l’antithèse de Guyau
6Les articles que Guyau écrit pour la Revue des deux mondes et la Revue philosophique entre 1881 et 1883, et qui anticipent Les problèmes de l’esthétique contemporaine (1884), visent justement à défier cette théorie de jeu en lui opposant une esthétique où l’art, loin d’être séparé de ce qui est utile, agréable ou désirable, se donne pour tâche la stimulation et l’accroissement de ce qu’il y a de plus sérieux, à savoir le sentiment de la vie sous ses trois formes principales : sentiment, intelligence, volonté. Guyau reconnaît que la beauté d’un objet n’est pas en contradiction avec son utilité, qui correspond à la marque de notre intelligence, et que le sentiment du beau se rattache foncièrement au désir, lequel n’est que besoin conscient. En ce sens, l’utilité de l’objet et le désir du sujet, ou autrement dit l’intéressant et l’agréable, en définitive ce qui sert à la vie, sont les critères primitifs de l’esthétique16. Rien de plus inexact, donc, que l’opposition entre beau et désir. Au lieu de la séparation qualitative, substantielle, il faut introduire une différence de degré : « toute sensation agréable – écrit-il – peut revêtir un caractère esthétique en acquérant un certain degré d’intensité, de retentissement dans la conscience »17.
7Voilà pour ce qui est du principe du désintéressement. Pour ce qui concerne spécifiquement la question du jeu, il faut souligner qu’en s’opposant à Renouvier, Guyau adopte aussi une position excentrique par rapport à l’esthétique française de l’époque. À partir des années 1860, en effet, une grande partie de la réflexion française sur l’art tourne autour de la théorie du jeu18, qu’on retrouve par exemple dans l’Essai sur le génie dans l’art (1883) de Gabriel Séailles (1852-1922)19 et dans les célèbres Leçons de philosophie (1884) d’Élie Rabier (1846-1932)20 ; et, même après la mort de Guyau, cette doctrine continuera à avoir des représentants éminents, tels qu’Émile Hennequin (1858-1888)21, Théodule Ribot22 et le premier professeur d’esthétique à la Sorbonne, Victor Basch (1863-1944)23. Comme il a été souligné, le succès de la théorie du jeu, surtout dans sa déclinaison évolutionniste, s’explique « par le fait qu’elle apportait une théorie solide et surtout fondée sur des observations réelles, au moment même où, plus que jamais, on ressentait le besoin de réaliser une esthétique positive »24.
8Guyau est tout disposé à reconnaître la valeur de l’école évolutionniste, qu’il considère, contrairement à Renouvier, comme un perfectionnement des théories de Kant et Schiller. Le mérite de Spencer est d’avoir mis en valeur le rôle fondamental du jeu dans le passage de l’animal à l’homme, donc dans la formation de la civilisation : chez les animaux, engagés dans la lutte pour la survivance, le jeu est en effet le résultat du besoin du système nerveux de décharger un surcroît d’énergie d’une manière paisible et non dangereuse ; de même, chez l’homme, dont la vie est rythmée par le travail, l’art est une « jouissance de luxe », une « gymnastique de l’esprit » qui permet aux individus de ne pas sombrer dans l’apathie, dans ce que Guyau appelle une « atrophie » nerveuse25. Néanmoins, Guyau s’écarte de l’école évolutionniste lorsqu’elle tend à résoudre le sentiment du beau dans un état de contemplation purement passif. Il s’en prend là aux thèses de James Sully (1842-1923), auteur de Sensation and Intuition (1874)26, et surtout du naturaliste canadien Grant Allen (1848-1899), qui, envoyé enseigner pour trois ans en Jamaïque par le Bureau des colonies, au cœur de la végétation florissante des tropiques, avait écrit un livre « sur l’origine du grand plaisir que nous donnent les productions naturelles ou artistiques »27. Dans ce livre, publié en 1876 sous le titre Physiological Aesthetics et dédié à Spencer28, Allen radicalise la conception du beau du philosophe anglais en supprimant tout lien entre le beau et la finalité : à ses yeux, l’art n’est que l’exercice désintéressé de nos fonctions réceptives (regarder un tableau, écouter une musique, etc.).
9Or, selon Guyau l’erreur commune tant à la position intellectualiste du criticisme qu’à la vision évolutionniste de l’école anglaise est d’avoir sous-estimé, sinon négligé, le côté actif de la jouissance de l’art. La perception étant une activité au sens propre, quand nous nous trouvons dans la condition de spectateurs ou contemplateurs, nous sommes aussi des acteurs, ce qui veut dire que dans la perception nous déployons notre force vitale tout entière. De plus, l’émotion esthétique ressentie consiste dans « un élargissement », dans « une sorte de résonance de la sensation à travers tout notre être, surtout notre intelligence et notre volonté »29.
10À cette mise en valeur du caractère actif du sentiment correspond une nouvelle conception de la création artistique, qui ne consisterait plus dans la production de fiction, dans le libre jeu de l’imagination, selon le modèle schillérien, mais au contraire dans l’expression, dans l’excitation d’émotions et de passions. Le « jeu de l’imagination pour l’imagination même », avec le quiétisme qu’il implique, est ce qu’il y a dans l’art de plus « blâmable » et « superficiel ». Le formalisme du jeu, c’est la mort, la muséification de la nature, « un spectacle sans fin et sans but »30, alors que l’art doit réveiller en nous le sentiment plus profond de notre être31. La poésie conçue comme simple « jeu d’imagination et de style », avait écrit Guyau dans la préface aux Vers d’un philosophe, n’est en effet qu’un « ravissant mensonge » enlevant à l’art « tout son sérieux »32. L’art doit s’attacher au contraire à l’expression d’une émotion, d’une idée ou d’un sentiment vrai, authentique.
11Mais c’est précisément à ce point que commence à se poser un problème d’ordre social, car Guyau s’aperçoit qu’il ne faut pas tomber dans le piège inverse, c’est-à-dire célébrer le sentiment pour le sentiment. C’est pour cette raison que l’art sérieux doit s’intéresser aux émotions et aux idées les plus élevées de l’esprit. Si le génie artistique, par le fait même d’intensifier la force vitale qui est commune à tous les êtres, est une puissance communicative, et si l’art n’est qu’une « condensation de la vie », il faut alors que l’artiste ne crée pas des formes pures, mais des « sujets vivants », des « objets d’affection » (par exemple des personnages littéraires)33. L’art doit donc promouvoir des sentiments positifs, exemplaires, qui contribuent à la solidarité et à l’harmonie de la société.
Le désaccord sur la fonction sociale de l’art
12Cette polémique sur la valeur sociale de l’art dépasse le domaine purement philosophique pour s’inscrire dans un contexte plus général : je me réfère ici aux débats sur la finalité de l’art et la nature de la création artistique, qui ont troublé le champ littéraire français depuis au moins la révolution romantique des années vingt et trente. Guyau, poète lui-même, s’en prend surtout à certaines figures majeures de son époque, qu’il juge coupables d’avoir privilégié la forme en dépit de l’expression, l’obscurité symboliste et le repliement intimiste en dépit de la dimension « sympathique » et sociale de la poésie. Aux yeux de Guyau, le Parnasse, le décadentisme et le symbolisme, malgré leurs différences, ne sont que trois manifestations d’une conception nocive de l’art qui substitue au véritable génie, puissance vitale et sociale, le talent stérile, l’« affectation du savoir-faire » et la « charlatanerie » (ibid., p. 475). Chez Banville, Baudelaire ou Verlaine, en effet, on peut repérer une racine commune, qui est la théorie de l’art pour l’art formulée par Théophile Gautier, « leur maître à tous – écrit Guyau – dans l’art de versifier pour ne rien dire » (p. 476)34.
13Cette critique à l’égard de la littérature des contemporains, surtout de Baudelaire et des décadents, constitue un point de rencontre avec Renouvier. Selon Guyau, l’artiste porte une responsabilité sociale : « L’art doit choisir sa société » (p. 497). Par exemple, l’élitisme artistique et décadent de Baudelaire – qui avait eu à l’époque un grand retentissement chez les jeunes gens déprimés par les conséquences de la défaite de Sedan (1870), selon les Essais de psychologie contemporaine (1883) de Paul Bourget (1852-1935)35 – est complètement vain si cette aristocratie est fondée sur les « non-valeurs humaines » et composée par « les stériles, les impuissants, les impropres à la vie sociale, les inaptes et, en définitive, les ineptes » (p. 494). De même, dans le quatrième tome de la Philosophie analytique de l’histoire (1897), Renouvier dénonce ce qu’il appelle « l’action [socialement] dissolvante de la littérature » : il reproche aux écrivains français de son siècle le culte de la forme, « le mépris du devoir, l’exaltation de la passion, la haine de la vérité […], la répugnance pour la réflexion et l’étude » dans le cas du romantisme36 et, dans le cas du réalisme pessimiste de Balzac, de Zola et des frères Goncourt, la tendance « à peindre le mal plutôt que le bien » et l’incapacité de tirer de l’analyse psychologique une vision plus ample sur la nature de l’homme, les « ouvertures qu’un esprit essentiellement moral peut seul avoir sur la nature humaine » (ibid., p. 501). Il manque donc, selon Renouvier « le sérieux d’une morale ferme qui nous défendrait contre la contagion du dilettantisme dans l’art » (p. 487) et qui nous permettrait de prendre conscience que l’important n’est pas l’individu en tant que tel, mais l’individu en tant que partie du corps social et de l’humanité.
14Il existe dès lors, apparemment, une convergence très forte entre Guyau et Renouvier sur la fonction nécessairement sociale de l’art, notamment de la poésie et de la littérature. Néanmoins, il demeure une différence essentielle concernant la manière dont cette fonction est remplie par l’art. Dans la longue étude critique sur Les problèmes de l’esthétique contemporaine, composée de trois articles publiés entre 1885 et 1886 dans la Critique philosophique37, Renouvier fait l’éloge du bien-fondé des considérations et des analyses techniques de Guyau sur l’avenir et les lois du vers, qui sont au centre de la troisième et dernière partie du livre, mais il lui reproche un manque d’originalité quant aux thèses plus proprement théoriques, qui ne seraient pas « soutenues par des analyses d’un genre assez rigoureux »38. Dans le premier article, qui porte sur la théorie du jeu, Renouvier, fidèle au cadre conceptuel kantien, critique l’incapacité de Guyau de définir avec précision les caractères propres du beau. Dans sa conception, en effet, tout se mélange : le beau, l’agréable, l’utile, le désir et le bon. « L’explication du beau moral – estime-t-il – est interdite à une théorie qui ne part pas seulement de l’agréable, mais qui y reste limitée, alors même que son auteur envisage l’émotion esthétique à son plus haut point, dans les sentiments les plus élevés de la personne » (ibid., p. 87). Cette confusion s’accentue dans la notion encore plus vague de vie, que Guyau oppose au jeu et à la fiction. Renouvier, au contraire, reste attaché à une conception représentative du beau : « le beau doit être envisagé dans un objet […] non comme intéressant réellement le spectateur […], mais comme éveillant chez lui des sentiments désintéressés, tous relatifs aux idées qu’il a des actions et des choses » (p. 87-88). C’est justement la notion de représentation, d’ailleurs cruciale pour le néocriticisme de Renouvier, qui permet le passage de la contemplation désintéressée du beau à l’exercice aussi bien désintéressé de la moralité. En se réclamant du Paradoxe du comédien de Diderot, Renouvier dénonce le caractère purement illusoire d’une communicabilité directe des émotions qui fait abstraction de toute imitation ou représentation ; au contraire, c’est seulement quand il y a purification des intérêts personnels et des passions immédiates que l’art peut être véritablement communicatif39. Si le poète, l’artiste – dit-il dans son livre sur Hugo – est un visionnaire qui est en mesure de parler à ou de l’humanité en général, ses visions ne sont que des représentations objectivées, des projections extérieures et délivrées de toute affection directe des émotions et des idées humaines40. Ainsi, la valeur sociale et communicative de l’art, sa capacité de contribuer au renforcement du lien social, ne passe pas, comme le veut Guyau, par l’expression sans filtre de la vie et de ses manifestations, par la recherche d’une communion empathique entre l’artiste créateur, l’œuvre d’art et son public ; elle passe, en revanche, par l’émancipation de tout ce qui se rapporte à notre individualité concrète.
15Dans un passage très significatif de la Science de la morale, Renouvier avait écrit en effet ceci :
[L’art] nous élève au-dessus de nos passions actuelles, de nos petits et même de nos grands intérêts […], pour nous faire un moment supérieurs à ce que nous sommes et nous rendre à notre intacte nature. L’art en cela nous fait même sympathiser avec la vie humaine tout entière, loin de nous porter à l’égoïsme, et généralisant nos sentiments et nos passions, nous forçant, pour ainsi parler, à réfléchir le sentiment de ces sentiments, nous met dans l’état d’une personne universelle, d’une personne sœur de toutes les autres personnes et à qui rien d’humain n’est étranger. L’art est donc éminemment moralisateur et l’agent peut-être le plus efficace, autant que le signe assuré de toute civilisation. On peut dire davantage. L’homme n’est pas agent moral seulement, il est agent sensible et esthétique : esthétique ici dans le sens le plus étendu du mot ; et il tend au bonheur41.
16En bon criticiste, Renouvier maintient donc un clivage entre le domaine libre de l’art et le domaine du devoir qui, seul, peut permettre d’apercevoir l’existence d’une finalité supérieure et idéale de la vie. De plus, c’est le désintérêt esthétique qui encourage le culte du désintérêt moral. Il s’ensuit que, aux yeux de Renouvier, l’espoir évolutionniste commun à Spencer et à Guyau que l’idéal schillérien d’un « accomplissement harmonique des fonctions individuelles et sociales »42 puisse se réaliser par un simple perfectionnement de notre organisme, de notre milieu vital, est condamné à rester un mirage. Bien sûr, on peut rêver comme Guyau un état final de l’humanité où la vie aura atteint le maximum d’harmonie et où « l’art ne fera plus qu’un avec l’existence »43. Il s’agit d’ailleurs d’un rêve que Renouvier lui-même partage44. Mais qu’on puisse parvenir à cet état idéal sans la morale, c’est-à-dire sans le devoir, voilà un songe optimiste que seuls « les favorisés de la fortune » peuvent poursuivre. Par contre, conclut Renouvier, les « esclaves du travail et du besoin » – à savoir, la majorité des citoyens – feraient bien d’« ignorer ces choses »45.
Notes de bas de page
1 Sur la formation philosophique de Guyau et sa pensée esthétique, voir le témoignage d’Alfred Fouillée dans La morale, l’art et la religion d’après Guyau [1889], Paris, Alcan, 1901 (nous indiquons ici la quatrième édition de ce texte, car elle contient aussi une étude intéressante sur l’influence des idées de Guyau en France et à l’étranger), et Annamaria Contini, Jean-Marie Guyau. Esthétique et philosophie de la vie, Paris, L’Harmattan, 2001. Voir aussi Frank W. Harding, Jean-Marie Guyau (1854-1888). Aesthetician and Sociologist, Genève, Droz, 1973. Sur le contexte général de l’esthétique française – qui s’institutionnalisera en tant que discipline seulement à partir de Victor Basch (1863-1944), nommé professeur d’esthétique à la Sorbonne en 1921 – on peut se référer à Elio Franzini, L’estetica francese del Novecento. Analisi delle teorie, Milan, Unicopli, 1984. Sur la philosophie de Renouvier, voir Laurent Fedi, Le problème de la connaissance dans la philosophie de Charles Renouvier, Paris, L’Harmattan, 1999, et Samuel-Gaston Amet, Le néocriticisme de Renouvier. Fondations des sciences, Paris, L’Harmattan, 2015.
2 Lionel Dauriac, « Philosophes contemporains : J.-M. Guyau », L’Année philosophique, t. I, 1890, p. 215. Dauriac avait aussi été l’auteur d’un compte rendu des Problèmes de l’esthétique contemporaine publié dans la Critique philosophique en 1884.
3 À vrai dire, Guyau avait déjà mentionné Renouvier dans son livre sur la morale d’Épicure (1878). Un chapitre de ce livre, en effet, était paru un an auparavant dans la Revue philosophique de la France et de l’étranger (t. IV, 1877, p. 47-71), suscitant la réponse de Renouvier dans la Critique philosophique (voir Jean-Marie Guyau, La morale d’Épicure et ses rapports avec les doctrines contemporaines [1878], J.-B. Gourinat éd., Paris, Les Belles Lettres [Encre marine], 2002, p. 156). Renouvier reviendra sur l’interprétation de Guyau dans « Les labyrinthes de la métaphysique. VIII – Le libre arbitre selon les épicuriens et le commentaire de M. Guyau » [25 mars 1880], La Critique philosophique, politique, scientifique, littéraire, 9e année, 1880, p. 113-123.
4 Alfred Fouillée, La liberté et le déterminisme, Paris, Ladrange, 1872, chap. 4-6.
5 Alfred Fouillée, « Le néo-kantisme en France : I. – La morale néocriticiste », Revue philosophique de la France et de l’étranger, t. XI, 1881, p. 1-45 ; Critique des systèmes de morale contemporains [1883], Paris, Alcan, 1893, p. 77-126. Renouvier répondra avec un long texte intitulé « La morale criticiste et la morale de M. A. Fouillée », publié dans la Critique philosophique en 1885.
6 Alfred Fouillée, La psychologie des idées-forces, Paris, Alcan, 1893, t. II, p. 303-322. Il faudrait ajouter à cette série de textes Le moralisme de Kant et l’amoralisme contemporain, paru chez Alcan en 1905, donc après la mort de Renouvier.
7 « Lettres de Ch. Renouvier à L. Dauriac », Revue philosophique de la France et de l’étranger, t. CXXI, no 1-2, 1936, p. 15-16 (lettre du 21 janvier 1883). Dans une lettre envoyée après la publication de la deuxième édition de La liberté et le déterminisme, Renouvier écrit : « Je vais voir – par devoir, non par plaisir – ce qu’il dit encore là de mes thèses philosophiques. S’il fallait répondre sur chaque chicane qu’il me fait, je n’aurais plus d’autre occupation pour la fin de mes jours ! Je ne puis vous dire à quel point je suis écœuré en continuant à répondre à des critiques qui ne portent jamais sur des points compris, non pas même à moitié compris, et qui ne se prêtent jamais à certaines généralisations propres à abréger les réponses » (ibid., p. 19 ; lettre du 12 mai 1885).
8 Un premier contact entre Guyau et la Critique philosophique a lieu en 1879, lorsque Guyau envoie à la revue une réponse au « problème d’éducation » (comment le pédagogue doit aborder la question de la mort et de la destinée) soulevé par Louis Ménard (1822-1901) ; voir à ce sujet Laurent Fedi, « Philosopher et républicaniser : la Critique philosophique de Renouvier et Pillon, 1872-1889 », Romantisme, no 65, 2002, p. 78. On peut se référer à cet article aussi pour un tableau plus général sur les perspectives intellectuelles et la mission politique de la Critique philosophique.
9 Charles Renouvier, « Études esthétiques et littéraires. L’imagination et la raison » [10 juin 1875], La Critique philosophique, politique, scientifique, littéraire, 4e année, t. I, 1875, p. 304. Pour les articles précédents, voir les numéros 13, 17, 22, 30 et 49 de la troisième année de La Critique philosophique. Ces articles ne sont pas à confondre avec ceux de 1889 qui seront recueillis dans le premier livre de Renouvier sur le grand écrivain français, Victor Hugo, le poète (1893).
10 Charles Renouvier, Science de la morale [1869], L. Fedi éd., Paris, Fayard, 2002, t. I, p. 210.
11 Voir ibid., p. 217-218.
12 Charles Renouvier, Victor Hugo, le poète [1893], Paris, Armand Colin, 1900, p. 316-318.
13 Voir Herbert Spencer, Principes de psychologie, T. Ribot et A. Espinas trad., Paris, Germer Baillière, 1875, t. II, p. 661.
14 Ibid., p. 670.
15 Charles Renouvier, « Études esthétiques. Le principe de l’esthétique chez Kant, Schiller et M. Herbert Spencer » [6 avril 1876], La Critique philosophique, politique, scientifique, littéraire, 5e année, t. I, 1876, p. 160 : « La perfection et la félicité, […] envisagées […] dans la satisfaction pure des désirs et l’accomplissement harmonique des fonctions individuelles et sociales, sont placées par l’imagination dans le double état esthétique et moral où, d’une part, les appétits et passions sont dégagés de l’impérieux besoin et de tous les effets de la lutte pour l’existence, où, de l’autre, la vertu est affranchie du devoir par l’habitude et la certitude de bien faire. […] Ainsi, la conclusion idéale de l’esthétique se rencontre avec celle de la morale ».
16 Voir Jean-Marie Guyau, Les problèmes de l’esthétique contemporaine [1884], 10e édition, Paris, Alcan, 1921, p. 24.
17 Ibid., p. 61.
18 Voir Edmond Eggli, Schiller et le romantisme français, Paris, J. Gamber, 1927, t. II, p. 650.
19 Gabriel Séailles, Essai sur le génie dans l’art [1883], 2e édition, Paris, Alcan, 1897, p. 299 : « le beau résulte du libre jeu des facultés en accord dans un acte vital ». Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, car cette notion de libre jeu revient plusieurs fois dans le livre.
20 Élie Rabier, Leçons de philosophie, t. I, Psychologie, Paris, Hachette, 1884, p. 644-645 : « L’art est un jeu, c’est une activité qui se détache de la vie utile et qui suppose, par conséquent, l’affranchissement du besoin et le goût pour l’apparence. […] L’art est comme une prolongation, une reproduction volontaire de cette contemplation désintéressée, ou de jeu, qui fait le fond de la satisfaction esthétique. [...] Or, si l’art est un jeu, il s’ensuit immédiatement que l’art a sa fin en lui-même ».
21 Voir Émile Hennequin, La critique scientifique, Paris, Perrin, 1888, p. 25-61, surtout p. 26-27 : l’émotion esthétique « a ceci de particulier, qu’elle ne se traduit pas par des actes, qu’elle est fin en soi. Cette définition […] a été attaquée récemment par quelques esthéticiens français ; elle pourra ne pas paraître complète. Nous la conservons cependant et elle nous paraît […] exprimer avec précision, non pas tel état de l’œuvre d’art, mais son devenir, le sens dans lequel elle se développe, et le but dont approchent le plus les plus hautes ». Hennequin se réfère explicitement à Guyau dans une note en bas de page, en lui reprochant de n’avoir pas montré comment un sentiment esthétique peut avoir la même nature qu’un sentiment de plaisir et si l’utilité ou la bonté sont des conditions suffisantes pour susciter une émotion esthétique. En effet, Hennequin maintient toujours que « les choses utiles et bonnes ne suscitent ces émotions [esthétiques] que quand elles sont belles par-dessus le marché ».
22 Voir Théodule Ribot, La psychologie des sentiments, Paris, Alcan, 1896, p. 320-326, en particulier p. 322 : « Le caractère propre de cette activité superflue, de cette forme du jeu, c’est qu’elle se dépense en une combinaison d’images et aboutit à une création qui a son but en elle-même ; […] c’est le jeu de l’imagination créatrice sous sa forme désintéressée ». Dans une note, Ribot rappelle que Guyau avait opposé la vie au jeu comme source de l’art, tout en commentant : « Je ne vois pas ce qu’on gagne à remplacer une formule précise par une autre plus vague ; d’ailleurs toutes les émotions ne se rattachent-elles pas à la vie ? » (p. 322-323 note 2). Voir aussi l’Essai sur l’imagination créatrice, Paris, Alcan, 1900, p. 37-40 et 80-85.
23 Voir Victor Basch, Essai critique sur l’esthétique de Kant, Paris, Alcan, 1896, p. 431-432 : « Nous ne contestons en aucune façon qu’à l’origine l’art ne soit né de l’utile […], mais cela ne nous empêche en aucune façon de soutenir que l’art est avant tout un jeu. […] les sens esthétiques par excellence, la vue et l’ouïe, ont commencé par servir aux besoins organiques de l’homme […], mais il est incontestable […] que ces sens ne sont devenus esthétiques que […] lorsque l’homme est arrivé à un degré de civilisation où il pouvait se détacher de la préoccupation exclusive du nécessaire, de l’utile, et où il lui fut permis de songer au superflu, au Beau, à l’art ».
24 Théodore Mustoxidi, Histoire de l’esthétique française, 1700-1900, Paris, Champion, 1920, p. 202.
25 J.-M. Guyau, Les problèmes de l’esthétique contemporaine, ouvr. cité, p. 10.
26 James Sully, Sensation and Intuition. Studies in Psychology and Aesthetics, Londres, Kegan Paul & Co., 1874.
27 Grant Allen, « “Physiological Aesthetics” and “Philistia” », My First Book, Piccadilly, Chatto & Windus, 1897, p. 44.
28 Grant Allen, Physiological Aesthetics, Londres, Henry S. King & Co., 1877.
29 J.-M. Guyau, Les problèmes de l’esthétique contemporaine, ouvr. cité, p. 73.
30 Jean-Marie Guyau, L’art au point de vue sociologique [1888], A. Contini et S. Douailler éd., Paris, Fayard, 2001, p. 92.
31 En ce sens, Guyau écrit : « La fiction, loin d’être une condition du beau dans l’art, en est une limitation » (Les problèmes de l’esthétique contemporaine, ouvr. cité, p. 32).
32 Jean-Marie Guyau, Vers d’un philosophe, Paris, Germer Baillière, 1881, p. i-ii.
33 J.-M. Guyau, L’art au point de vue sociologique, ouvr. cité, p. 92.
34 Il faut remarquer que la formulation originaire du principe de l’art pour l’art, même si elle n’est pas encore pleinement consciente et reste très éloignée de la signification qu’il aura plus tard, tient à une interprétation très libre de la notion kantienne du désintérêt esthétique opérée dans la première décennie du xixe siècle par Benjamin Constant et Mme de Staël. Pour des repères historiques, voir John Wilcox, « The Beginnings of l’Art Pour l’Art », The Journal of Aesthetics and Art Criticism, vol. 11, no 4, 1953, p. 360-377.
35 Paul Bourget, Essais de psychologie contemporaine. Études littéraires, Paris, A. Lemerre, 1883.
36 Charles Renouvier, Philosophie analytique de l’histoire. Les idées, les religions, les systèmes, Paris, Leroux, 1897, t. IV, p. 502.
37 Charles Renouvier, « Les problèmes de l’esthétique contemporaine. La théorie esthétique du jeu » [28 février 1885], La Critique philosophique (nouvelle série), 1re année, t. I, 1885, p. 81-118 ; « Les problèmes de l’esthétique contemporaine. La nouvelle métrique » [30 septembre 1885], ibid., t. II, p. 161-188 ; « Les problèmes de l’esthétique contemporaine. La théorie du vers français » [30 septembre 1886], ibid., 2e année, t. II, 1886, p. 179-205.
38 C. Renouvier, « Les problèmes de l’esthétique contemporaine. La théorie esthétique du jeu », art. cité, p. 81.
39 Voir C. Renouvier, Victor Hugo, le poète, ouvr. cité, p. 346.
40 Voir ibid., p. 347-349.
41 C. Renouvier, Science de la morale, ouvr. cité, t. I, p. 219-220.
42 C. Renouvier, « Les problèmes de l’esthétique contemporaine. La théorie esthétique du jeu », art. cité, p. 114.
43 J.-M. Guyau, Les problèmes de l’esthétique contemporaine, ouvr. cité, p. 86.
44 C. Renouvier, « Les problèmes de l’esthétique contemporaine. La théorie esthétique du jeu », art. cité, p. 91 : « Enfin, nous atteignons en rêve la pensée d’un état supérieur, suprême, surhumain, où le jeu serait adéquat à la vie, où tout acte réaliserait spontanément le beau, sans ombre et sans contraste, grâce à l’effacement de l’objet du devoir, à l’inutilité, faute d’occasions, du sacrifice, et à l’heureuse transformation des conditions terrestres qui rendent l’effort et la peine inséparables de la beauté morale ».
45 Ibid., p. 118. Renouvier, conscient de la séparation sociale très forte entre les classes cultivées et le peuple « industriel et agricole », aspire à une figure d’artiste idéal capable de s’adresser à la société tout entière. Malheureusement, il doit constater que l’artiste travaille seulement pour ceux qui peuvent comprendre ses ouvrages, c’est-à-dire la bourgeoisie. C’est pour cette raison qu’après la révolution romantique, on a assisté dans la littérature française à un virage vers le réalisme pessimiste, qui « pousse ses tableaux au noir systématiquement, vise, en laissant trop voir, au psychologique, et manque de la sérénité qui convient au grand art » (C. Renouvier, Victor Hugo, le poète, ouvr. cité, p. 335-336).
Auteur
Chercheur rattaché à l’Institut de recherches philosophiques (IRePH) de l’université Paris-Nanterre.
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