Le monastère protestant, ou le gouvernement chrétien
The protestant monastery : or, Christian Oeconomicks (1698)
p. 190-192
Texte intégral
Sir George Wheler, parfois Wheeler (1650-1723), ami de George Hickes – traducteur de Fénelon –, qui a été son tuteur à Lincoln College, Oxford, est surtout connu pour ses récits de voyages en Grèce dans les années 1670. À son retour, il est fait chevalier (1682) et devient prêtre. Il meurt dans sa paroisse à Houghton-le-Spring, près de Durham, en 1723, où il avait fondé une école pour filles. Son Monastère protestant, très inspiré de Mary Astell, reflète son intérêt pour la question de l’éducation féminine.
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Chapitre IV : Des monastères pour les femmes
1Les couvents pour femmes célibataires semblent particulièrement adaptés, et même très nécessaires et profitables de tout temps et pour tous les pays, car ils ne présentent pas d’inconvénients majeurs à condition qu’on respecte quelques précautions quant aux règles de leur établissement :
Rien ne doit être imposé à ces femmes qui soit préjudiciable à leur liberté chrétienne, encore moins qui les en prive. Il convient que celles qui y entrent jeunes, après avoir été élevées dans les règles de la piété et d’une conduite modeste et décente, et après avoir reçu une éducation dans tous les arts vertueux et dans tout ce qui relève du gouvernement de leur maison, puissent, si leurs parents ou leur inclination en décident ainsi, avoir la liberté de se marier quand une offre convenable leur est faite ; et ceci à tout moment, tant qu’elles sont dans la vigueur de la jeunesse.
Elles ne doivent pas être exemptées des lois publiques, ni des obligations qu’elles doivent à leurs parents, pas plus que si elles étaient encore chez ces derniers. Quant à celles qui sont leurs propres maîtresses, elles peuvent user de leur liberté pour rester dans cette société ou la quitter à l’âge de la majorité ; mais tant qu’elles en sont membres, il convient de proscrire les sorties fré quentes, pour éviter toute action scandaleuse.
Celles qui sont admises à l’âge de la maturité doivent être d’une vertu notoire et d’une modestie sans tache, et il convient d’enquêter précisément sur leur conduite avant de les admettre, par peur du scandale.
Le laisser-aller et la paresse ne sauraient être tolérés ; chacune doit apprendre à s’employer à quelque art profitable, pour se rendre utile au monde, agréable au Ciel et mériter les éloges de ses semblables.
La direction de cette société ne doit être confiée qu’à une femme que la vertu, la conduite, l’âge et l’expérience rendent digne de cet honneur ; elle doit être en priorité choisie parmi les veuves qui ont gouverné leur vie et leur famille avec prudence et possèdent une réputation sans tache.
Les jeunes femmes doivent être élevées dans la stricte discipline de la vertu ; et avant tout, on doit leur enseigner à marcher exactement dans les traces des anciens, par une pratique constante de la dévotion, de jour comme de nuit.
2C’est pour ces raisons, nous semble-t-il, que saint Paul recommande la chasteté aux vierges et aux veuves11, pour qu’elles puissent entièrement servir le Seigneur, libérées des soucis de la vie et des difficultés qu’il y a à satisfaire un mari, non pour les emprisonner et les contraindre, mais pour leur montrer ce qui est décent et convenable pour elles.
3Loin d’être préjudiciables, de tels couvents seraient pour bien des raisons tout à fait profitables à l’État et à mettre au crédit de l’Église. Car par leur industrie, ces femmes cesseraient d’être un fardeau pour le premier, et leur vertu et leur piété exemplaires seraient utiles au service de la seconde. Alors qu’aujourd’hui, dans combien de familles les filles sont un tel fardeau que leurs parents ne peuvent, en raison de leur manque de beauté ou d’argent, ni les marier ni leur assurer un avenir décent ? Pourtant, ils sont bien obligés de les entretenir selon leur qualité, jusqu’à ce que, en général à leur mort, ils finissent par les laisser seules et sans logement, et souvent sans un sou vaillant pour vivre décemment. Il en résulte que trop souvent elles sont forcées d’errer de logement en logement et de se procurer un emploi servile, ou, pis encore, elles sont tentées de prostituer leur vertu pour gagner leur pain – alors qu’avec de tels monastères, elles pourraient, pour un revenu réduit, s’établir correctement dans le monde. Et s’il se trouve qu’elles excellent dans toutes les qualités recommandables, elles pourraient même être leur propre dot, avec l’aide de leur famille ; et on pourrait même vouloir les acquérir pour plus d’argent que ce que les hommes guignent aujourd’hui en guise de récompense pour en débarrasser leurs parents harassés – eux qui, après avoir tant dépensé pour les élever et les entretenir jusqu’à ce que leur âge, qui était leur ornement, devienne leur reproche, sont finalement forcés de les marier bien en dessous de leur condition, en abandonnant pour elles toute ambition d’avancement ou de profit. Voir sur ce sujet Proposition sérieuse, par une dame […] [sic]
Notes de bas de page
11 Paul, Première Épître aux Corinthiens, 7, 25-31, 36-40.
Auteur
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