Chapitre 1
Commémorer et réprimer
p. 31-82
Texte intégral
1Le 24 août 1944, la prison a été autant libérée qu’elle s’est libérée. Dans le souvenir de Léon Landini détenu ce jour-là (souvenir recueilli en 2018), les Allemands ont quitté les lieux en laissant la porte principale ouverte, sous la menace des FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans - main-d’œuvre immigrée) entrant à Villeurbanne ainsi que sous la pression des prisonniers entonnant Le Chant du départ, La Marseillaise et L’Internationale. Toujours selon lui, après de longues minutes de silence, les derniers détenus se mirent à casser les portes des cellules avant de fuir à grandes enjambées, pensant que des balles allemandes pouvaient encore les atteindre. Bien que son récit ne puisse intégrer pour des raisons pratiques (il est enfermé) et idéologiques (il est FTP-MOI) les nombreuses autres causes de la fuite des Allemands1, il témoigne d’une libération sans coup férir. La photographie prise le lendemain de cette échappée, avec le drapeau français hissé sur le toit de la prison, présente l’évacuation comme une conquête, dans une iconographie traditionnelle de reprise en main de l’histoire. Montluc n’est désormais plus dominée par la Wehrmacht, mais va conserver encore longtemps des sonorités et couleurs allemandes, puisque près de 900 prisonniers de guerre allemands dont plusieurs centaines de criminels de guerre nazis vont bientôt être enfermés, avec leurs complices (dont bien des Français) sur le site même de leurs exactions. À partir de là, la prison devient autre chose qu’une simple prison. Combinant lieu d’enfermement et lieu de recueillement, elle libère ses souvenirs.
2La genèse de cette double vocation – commémorer et réprimer – s’étend de 1944 – date de la libération du site – à 1958 – moment où Montluc devient le fer de lance dans la répression des partisans de l’indépendance algérienne. Trois caractéristiques définissent la période d’après-guerre. D’abord, la France ne désarme pas. Non seulement elle doit solder Vichy et l’Occupation, en jugeant ceux qui furent du mauvais côté de l’histoire, mais elle s’engage également dans la guerre froide, dans la guerre d’Indochine puis dans celle d’Algérie. On assiste alors à une augmentation de procès politiques qui éclatent parfois en affaires lorsqu’ils mobilisent l’opinion publique. Ensuite, la période est marquée par une prise de conscience nette des crimes nazis et de la spécificité du génocide juif, idée à rebours de la vulgate parlant de silence jusqu’au procès d’Eichmann en 19612. De multiples procès locaux remettent régulièrement en scène l’histoire et la mémoire de la seconde guerre mondiale. Enfin, la conscience indépendantiste s’affirme : des Français s’opposent plus significativement aux guerres coloniales.
3Ces trois éléments contextuels – épuration, mémoire du nazisme et du génocide, engagements indépendantistes – se rejoignent progressivement pour, strate après strate, construire le nom de Montluc. Et alors, quand la mémoire, qui « ne craint pas de traverser les sacro-saintes frontières de l’ethnicité et des époques »3, touche les engagements du présent, elle amplifie le scandale. Ainsi, les mémoires de Vichy, de la Résistance, du génocide juif, servent désormais d’outils argumentatifs dans les luttes liées à la décolonisation.
Figure 2. Drapeau français hissé sur le toit de Montluc le 25 août 1944

Source : Ordre de la Libération
Un lieu pour le recueillement
4Dès 1944, nombreux sont ceux qui tentent de faire de Montluc un mémorial, aussi nombreux, peut-être, qu’il y a de survivants. La prison suscite d’abord des mémoriaux de papier : huit livres autobiographiques sont publiés entre 1944 et 1946 par des Juifs ou des résistants sur leur internement à Montluc durant la seconde guerre mondiale, signe d’un vif besoin de témoigner4. Sitôt la guerre finie, le site est également transformé en un mémorial de pierre.
5En effet, quelques anciens détenus de Montluc, organisés ou non en association, souhaitent se recueillir dans ce lieu, comme cela est autorisé par la loi5. Par exemple, le 6 juillet 1947, le Groupement national des réfractaires et maquisards organise, « dans l’enceinte de la fameuse prison, une cérémonie du souvenir strictement privée, à laquelle assistaient de très nombreux ex-internés et le lieutenant-colonel Meslinge, représentant M. le gouverneur militaire »6. Alors que la prison enserre en son sein de nouveaux détenus, les portes s’ouvrent à cette cérémonie : les assistants peuvent se rendre devant le mur des fusillés pour la cérémonie civile. Ils exécutent Le Chant des partisans et Le Chant des Allobroges sous les fenêtres de leurs anciens ennemis, parfois même de leurs anciens geôliers. Après la sonnerie Aux morts et l’exécution de La Marseillaise, « des familles s’attard[ent] à se recueillir en silence devant ce mur où périrent les leurs ».
6Les années suivantes, le vœu de procéder aux cérémonies au sein de l’établissement est reconduit. Ainsi, en mai 1948, Jean Taurines, président de la section stéphanoise de l’Association des anciens de Montluc, sollicite auprès du directeur régional des services pénitentiaires l’autorisation de faire célébrer un office religieux dans la cour de cet établissement à la mémoire des anciens déportés. Le ministre de la Justice donne encore son accord à condition que les personnes étrangères à la prison n’accèdent pas à l’espace de détention et que les détenus restent enfermés pendant la célébration7. Il est d’ailleurs précisé, à cette occasion, que des autorisations ont été données par le général gouverneur militaire de Lyon, chaque année depuis la Libération, pour de telles cérémonies. Dès lors, le dimanche 6 juin 1948, un office religieux sous haute surveillance se tient dans la cour de Montluc à la mémoire des anciens déportés8. Les détenus cuisiniers ayant accès à cette cour sont enfermés et des dispositions sont prises en vue d’éviter tout incident. En 1949, la demande n’obtient pas de réponse : à partir de cette date, les cérémonies auront lieu « devant la porte de Montluc » où une plaque commémorative a été apposée le 24 août 19469. Bien qu’entonnés à l’extérieur, les chants patriotiques sont entendus, interprétés et discutés par les détenus – on va le voir – et le cortège, avec ses nombreux drapeaux, sans doute vu de loin. Après 1949, les portes de la prison ne s’ouvrent plus que pour des recueillements individuels. En juin 1958, par exemple, Albert Astruc est autorisé « à pénétrer dans la prison Montluc, pour lui permettre de revoir la cellule no 72 où il avait été incarcéré par les autorités allemandes, pour faits de résistance »10.
Figure 3. Cérémonies commémoratives célébrées par Édouard Herriot (1947)



Source : © Archives photographiques Le Progrès
7Si les dates d’ouverture du site à la mémoire sont aussi nombreuses que les acteurs qui en font la demande, l’organisation d’une commémoration officielle se normalise progressivement, sous l’impulsion, entre autres, d’un ancien détenu, Julien Azario. Le 20 septembre 1944, ce dernier lance un appel dans la presse pour réunir les anciens internés de Montluc dans un café. Le succès étant au rendez-vous – « La salle s’avéra tout de suite trop petite, les escaliers étaient envahis, la rue et même les cafés avoisinants étaient également bourrés de camarades qui avaient répondu à cet appel »11 – il participe à la création d’une association, l’Association des rescapés de Montluc, destinée à maintenir vivante « la grande famille de Montluc »12, et d’un organe de liaison, le Bulletin de l’Association des rescapés de Montluc. Dès lors, sont organisés plusieurs événements comme des arbres de Noël pour les enfants de déportés ou de fusillés ou des galas de charité pour récolter des fonds de solidarité. Un calendrier commémoratif est également établi autour de dates clefs, essentiellement en août : le 17 pour le massacre de Bron, le 20 pour celui de Saint-Genis-Laval, et, surtout, le 2413. Ce jour-là, comme on le rappelle régulièrement, « après les courageuses interventions de M. Yves Farge, du cardinal Gerlier et de M. Muninger [en fait Nuninger], présent hier à la cérémonie (ce fut lui qui donna, en allemand, par téléphone, l’ordre au gardien de Montluc d’ouvrir les portes, en imitant la voix de Barbier [sic] !), les malheureux prisonniers furent secourus par les prêtres des Missions africaines et par les sœurs franciscaines, ombres blanches secourables qui entourèrent les femmes de soins et d’attention »14. Un « pieux pèlerinage » est ainsi reconduit d’année en année : le cortège part des Missions africaines (150 cours Gambetta), visite les « Sœurs d’en face » (les sœurs franciscaines qui ont également apporté les premiers secours), s’arrête devant la prison pour y déposer une gerbe, et s’achève par un recueillement devant l’ex-siège de la Gestapo, place Bellecour.
Figure 4. Arbres de Noël (1956, 1959, 1960) pour les enfants des rescapés de Montluc




Source : © Archives photographiques Le Progrès
8Lors des cérémonies du 24 août, tous les anciens détenus de Montluc, qu’ils soient juifs, résistants ou détenus de droit commun, mais à l’exception des prisonniers de guerre allemands et des anciens collaborateurs, sont invités à se réunir. Cette volonté de communion large s’explique par le message de fraternité que ces rescapés aux parcours si variés souhaitent propager. Prenons l’exemple de Julien Azario. Né en 1890 à Souk Ahras (Algérie), il devient inspecteur de police (1919) puis adjoint au commissaire de la Guillotière (1921) à Lyon, avant d’animer en parallèle de ses fonctions deux structures chargées de l’assistance comme du contrôle policier des migrants, le Comité pour la protection des travailleurs nord-africains (1925 à 1934) et le Service nord-africain de la préfecture de police (1934 à 1936)15. Considéré comme le « caïd » lyonnais, il peut, dès 1941, être détaché au bureau nord-africain de la 14e division militaire à Sathonay pour identifier des Allemands infiltrés dans des convois de prisonniers « nord-africains » rapatriés, puis, sous l’Occupation, comme l’indique sa reconnaissance officielle de Juste parmi les Nations, faire usage de tous les pouvoirs que lui a conférés son statut « pour venir en aide aux Juifs qui le contactaient ou qui lui étaient présentés après leur arrestation. Il leur procurait de faux papiers et faisait remettre en liberté des Juifs arrêtés »16. Interpellé le 22 juin 1944, il est interné à Montluc du 10 juillet au 3 août 1944. Julien Azario est donc un individu au parcours sinueux, entre contrôle des « Nord-Africains », soutien aux Juifs et faits de résistance. Il œuvre alors, dès la Libération, pour que Montluc devienne une vitrine mémorielle des différentes répressions de la seconde guerre mondiale, mais aussi le miroir d’une communauté nationale réunie.
9Dans les premiers temps du souvenir, personne ne semble oublié, par la réunion des différents cultes notamment. En 1947, on note qu’eut lieu, en présence du fils du préfet Édouard Bonnefoy, mort en déportation à Neuengamme, et de celui d’Albert Chambonnet, un des fusillés de Bellecour, une cérémonie religieuse à laquelle participaient les différents cultes. De même, lors des cérémonies de Bron en 1949, on précise qu’aux côtés du préfet, des représentants du maire de Lyon et du gouverneur militaire, des consuls de Grande-Bretagne et des États-Unis, des associations de résistants et de déportés, figurent « les autorités religieuses catholiques, protestantes, israélites et musulmanes »17. Si cette communion est tant recherchée après la Libération, c’est qu’elle était de règle durant la guerre, comme le rappelle André Frossard dans son témoignage publié en 1945 : « On pensait à Dieu… Les uns le nommaient Jésus, les autres Adonaï, ou Allah, je pense, et quelques-uns, qui ne lui connaissaient pas de nom, le Cafard »18. C’est ainsi que le pasteur Roland de Pury est toujours invité à parler, lui qui, dès le 14 juillet 1940, a prononcé dans son temple de la rue Lanterne à Lyon un prêche (« Tu ne te déroberas point ») dénonçant le maréchal Pétain, le nazisme ainsi que toute velléité de collaboration, et qui a organisé le sauvetage de nombreux Juifs. Cette double résistance, tout à la fois spirituelle et matérielle, lui a valu d’être arrêté et interné à Montluc (30 mai 1943-fin octobre 1943)19. À ses côtés, le grand rabbin Poliakof rappelle régulièrement « les épreuves du peuple juif tout au long de ces terribles années de guerre, qui décimèrent un tiers de ses membres » et dont la « baraque aux Juifs » de Montluc sert, au moins dans les premières cérémonies, de point de cristallisation du souvenir20.
Figure 5. La « baraque aux Juifs » à l’automne 1944

Source : Archives départementales du Rhône, 4544W17. Photo du service régional de l’identité judiciaire, 24 novembre 1944
10Les commémorations lyonnaises, qui s’inscrivent dans un contexte plus général, supportent le souvenir d’un génocide juif identifié et déjà bien présent dans la mémoire française. Le président de l’Association des rescapés de Montluc souligne par exemple, en 1949, que les victimes à Montluc étaient en majorité des Juifs21, ce qui permet de nuancer la thèse du « grand silence » autour de la Shoah au sortir de la guerre22. Parmi les catholiques, on relève le révérend père Bonaventure (franciscain) qui, rapatrié des camps de concentration, peut en témoigner. Enfin, l’imam de Lyon, Bel Hadj el Maafi, est présent à chaque commémoration, comme en témoignent les photographies prises à partir de 194423.
Figure 6. Présence de l’imam lors des commémorations à Montluc de 1946 à 1956




Source : © a (1947), c (1955) et d (1956) : Archives photographiques Le Progrès ; b (1948) : © Archives photographiques Le Progrès ; copie Archives privées Philippe Pernot
11Bel Hadj el Maafi est, depuis le milieu des années 1920, une personnalité autant algérienne que lyonnaise. Envoyé à Lyon en 1923 comme moquadem (lieutenant) par sa confrérie soufie (la zaouia de la Rahmaniya), il construit pas à pas son statut de représentant du culte musulman en se rendant au chevet des musulmans blessés ou malades dans les hôpitaux, en présidant aux différentes fêtes musulmanes de même qu’aux mariages, baptêmes ou enterrements, et en venant au secours des détenus dont ceux de Montluc : de la sorte, il reçoit dès 1931 du général commandant d’armes de la place de Lyon une autorisation pour se rendre à Montluc afin d’assister au réveil et aux derniers moments du condamné à mort Ahmed Ben Mohamed fusillé au fort Montessuy le 27 décembre. Le 5 avril 1945, c’est encore lui qui assiste le condamné à mort Mohamed ben Salah et qui procède à son inhumation « suivant les rites de sa religion »24.
12Intermédiaire entre les « Nord-Africains » et les autorités françaises, il participe à toutes les cérémonies officielles à Lyon et est donc systématiquement présent à celles de Montluc. À travers lui, les parcours d’anciens détenus algériens, tunisiens ou marocains, peuvent être évoqués : en 1946, par exemple, il certifie que Djaafar Khemdoudi, né à Aumale (Algérie) en 1917 et entré en France (Marseille puis Lyon) en 1938, a rejoint les groupes de résistants pendant la guerre et que, infiltré en qualité de secrétaire interprète auprès du service allemand du travail, il « a empêché le départ en Allemagne d’un très grand nombre de personnes “nord-africaines”, “européennes” et “israélites” »25 avant d’être arrêté à Lyon le 23 juin 1944 et écroué à Montluc le 20 juillet26. À travers lui se manifeste aussi la volonté de montrer des relations interconfessionnelles pacifiées : alors que la vie des Juifs et celle des musulmans étaient entremêlées en France depuis la première guerre mondiale, et que les conditions de l’Occupation ont dégradé leurs interactions en France27, Bel Hadj el Maafi incarne la bonne entente retrouvée. Si on le remarque aux côtés du préfet de la Loire et du chef de la milice lors d’une cérémonie à Saint-Étienne en 1942, il semble avoir, comme bien d’autres autorités musulmanes, finalement penché du côté des Justes (sans en avoir reçu le titre)28. Employé par divers services administratifs dépendant de la mairie, de la préfecture ou de l’autorité militaire, ainsi que par les services de police comme auxiliaire sous Vichy, il démissionne en 1943, après l’occupation de la ville de Lyon, les renseignements généraux pouvant alors répéter qu’il « a pris une part active dans la Résistance, apportant son aide efficace aux Israélites »29. Avec le frère Benoit et la Croix-Rouge, il participe aussi à l’exhumation des corps de différents charniers de la région lyonnaise, dont ceux composés de prisonniers de Montluc, afin de rendre les dépouilles à leurs familles30.
13Ainsi, à partir de 1945, les commémorations contrecarrent le racisme et l’antisémitisme, grâce à la présence simultanée du rabbin et de l’imam. Il n’est donc pas étonnant de constater les invariables appels à la camaraderie et à la solidarité dans les témoignages publiés dès la fin de la guerre. Émile F. Terroine, qui se définit comme « Montluquois », affirme que jamais ne « se détendront les liens de la réelle amitié qui nous unit à Montluc »31 ; Pierre Mazel (professeur de médecine et résistant) entend que « cette solidarité dans la souffrance, dans l’attente du pire, dans l’amour du Pays, [se poursuive], notre liberté retrouvée, en un durable effort d’entr’aide mutuelle »32 ; quant à Roland de Pury et Fleury Seive, ils dédient leurs livres à leurs « camarades de Montluc ». Il n’est pas étonnant non plus de relever dans ces témoignages une volonté de parler de toutes les souffrances, celles des femmes, des hommes, des enfants, des Juifs, des résistants et des otages, bien sûr, mais aussi de détenus plus méconnus dont les « Nord-Africains ». C’est ainsi qu’André Frossard consacre un chapitre de son livre à cet « Arabe » anonyme qui tient tête à deux membres de la Schutzstaffel (SS) dans la « baraque aux Juifs » avant d’être fusillé pour avoir refusé de répéter « Heil Hitler »33, ou que Marcel Colly évoque un « malheureux Arabe » envoyé à l’hôtel Terminus pour un interrogatoire : « […] un des Allemands, à grand renfort de bourrades, le fait tenir debout, nez au mur, entre une armoire et une porte. Défense de se retourner. Ainsi ces messieurs traitent les races qu’ils estiment inférieures. Le Nord-Africain est calme et très digne. Il ne dit rien et, par la suite, ses gardiens semblent l’oublier »34. La présence de Bel Hadj el Maafi à toutes les commémorations montre la volonté d’afficher une France réconciliée, rassemblant la métropole et ses colonies, et unifiée, le présent s’appuyant sur le passé pour façonner un avenir fait de solidarités. Montluc sert donc de caisse de résonance aux mémoires plurielles dans un but de reconstruction d’une nation unie.
Un lieu pour les jugements
14Montluc n’est pas simplement un lieu où l’on commémore le passé, il est aussi le lieu où on le juge. Pour cela, le dispositif répressif est progressivement reconstruit. Tout d’abord, et alors que le tribunal a été démobilisé du fait de l’occupation allemande le 15 mai 1943 sur une dernière affaire de « cris séditieux », il est étonnant de voir, lorsque l’on compulse les actes de jugement, qu’il reprend du service dès le 15 mars 1944, soit bien avant la libération de Lyon. Ses missions, exclusivement militaires, sont doubles : il juge et condamne par défaut de nombreux cas d’insoumission en temps de guerre35 ; il se concentre sur les cas de militaires indigènes mobilisés en métropole. En effet, sur soixante-quatre cas jugés durant le seul mois de mars 1944, ce sont onze Malgaches, treize Vietnamiens, deux Soudanais et deux Sénégalais qui comparaissent pour refus d’obéissance ou insoumission en temps de guerre et sont défendus par des avocats lyonnais36. Apparemment, le tribunal militaire de Lyon a été déterritorialisé et amené à reprendre du service alors même que les Allemands étaient toujours présents à Lyon.
Figure 7. La cour martiale de Lyon entre septembre et octobre 1944

Source : Photographie d’Émile Rougé, collection Simone Ordan, CHRD © Jean-Gabriel Ordan
15Ensuite, la chasse aux collaborateurs et les mises à mort expéditives de miliciens par des « juridictions [militaires] de fait, illégales »37, durant la phase de libération, obligent les autorités à intervenir. D’une part, par l’intermédiaire d’Yves Farge, commissaire de la République, elles cherchent à faire cesser les exactions commises au sein même de la prison de Montluc : « Pendant quelques jours des abus intolérables ont été commis, trois hommes et une femme ont été sortis de prison et fusillés sans jugement. Certains ont été maltraités et même torturés »38. D’autre part, elles cherchent à réactiver la justice militaire et à lui faire traiter un nombre de cas non négligeable39. À Lyon, deux « cours martiales », de natures différentes, se suivent en octobre et novembre 194440. La première, composée d’officiers ou sous-officiers des FFI et d’un magistrat sous la supervision des commissaires régionaux de la République, est érigée en vertu de l’ordonnance du 10 janvier 1944. Comme le rappellent Fabrice Virgili et François Rouquet, « il s’agit de réinstaller l’État en cours de reconstitution et dans le même temps le réinvestir de l’une de ses prérogatives fondamentales : la justice »41. Ainsi, les juridictions militaires sont les premières à fonctionner42. La cour martiale lyonnaise siège pendant un mois, du 3 septembre au 5 octobre, période pendant laquelle quarante-quatre accusés comparaissent dont vingt-cinq sont condamnés à mort et exécutés au fort Montluc jouxtant la prison, neuf aux travaux forcés, huit à des peines de prison, un seul étant acquitté43. C’est en ce sens que l’on peut comprendre pourquoi un ancien collaborateur, Marc Després, est considéré par sa famille comme « fusillé à Montluc par les résistants français – Cour martiale sans jugement »44.
Figure 8. Marc Després, condamné à mort et exécuté par la cour martiale de Lyon, septembre 1944


Source : © Bibliothèque municipale de la Part-Dieu, Fonds Michel Chomarat, Ms 0370 (24 et 25)
16Après le 5 octobre, le relais de cette juridiction militaire d’urgence est pris à la fois par une juridiction civile, les cours de justice, et par une juridiction militaire régulière, le tribunal militaire permanent (TMP)45. L’examen des actes de jugement démontre que, dès le début du mois d’octobre, le TMP de Lyon est en activité, classiquement si l’on peut dire, pour juger des militaires pour des faits militaires, mais aussi érigé en « cour martiale » – la deuxième que l’on repère en cet automne 1944 – quand il s’intéresse aux cas de trahison ou d’espionnage. Par exemple, le 6 octobre 1944, le TMP de Lyon, siégeant en « cour martiale », condamne à mort pour espionnage un Italien, Alexandre Jourdan, et pour trahison un Français, Pierre Nauthonier, tous deux étant fusillés au stand de tir de La Doua le 19 octobre 194446. Sur vingt-six cas examinés, trois sont exécutés, la troisième exécution ayant lieu le 24 novembre 1944. Durant cette période, les suspects ou accusés sont détenus pour partie à Montluc devenu un centre de triage47.
17Avec le rétablissement du tribunal militaire, le personnel de la justice est rénové (c’est-à-dire épuré). À chacun sa guerre. L’examen attentif de la cinquantaine de commissaires du gouvernement ayant siégé au sein du tribunal militaire de Lyon entre 1939 et 1962 indique une ligne de faille, et elle est de taille. En effet, hormis l’un deux, Théodore Viboud, qui a été magistrat militaire sous Vichy, puis à la Libération et enfin durant la guerre d’Algérie, les magistrats en poste durant la seconde guerre mondiale ne le sont plus après la guerre et les magistrats impliqués dans la phase d’épuration et les guerres de décolonisation n’ont pas plaidé sous Vichy. Si Théodore Viboud n’a pas été radié lors de l’épuration, c’est qu’il s’était en quelque sorte auto-radié sous Vichy. Suspecté de franc-maçonnerie, il avait dû rédiger et signer une longue déclaration dans laquelle il reconnaissait avoir fait partie de la Ligue des droits de l’homme tout en rejetant une quelconque appartenance à une loge. Toutefois, il avait été ensuite réputé hostile au régime de Vichy, qualifié d’« officier insociable »48 et avait fait l’objet d’un blâme en octobre 1940 en raison d’incidents répétés avec la hiérarchie. Il était d’ailleurs noté que Viboud, « qui a un caractère extrêmement difficile, qui est prétentieux et très violent ne peut être employé dans un TM [tribunal militaire] comme celui de Lyon où il y a de nombreuses affaires délicates à traiter (espionnage) ». Muté à Clermont-Ferrand, il demandait à être placé en congé d’armistice. Ainsi, à la Libération, il peut réintégrer le tribunal lyonnais, et l’appréciation change du tout au tout : « Il s’est montré déférent et souple tout en conservant une forte personnalité. En bref, excellent magistrat qui, pendant toute l’Occupation, a toujours fait preuve du plus parfait patriotisme ».
18Hormis ce cas, l’épuration a laissé place nette. Paul Marx, qui domine les procès politiques sous Vichy (92 dossiers examinés en 1940, 341 en 1941) est suspendu en 1944 et rayé des cadres en 1945, officiellement pour limite d’âge mais, officieusement, pour son implication sous Vichy. Il a beau recevoir après la Libération une lettre de gratitude du président des États-Unis et une autre du maréchal britannique de l’air pour « assistance et aide prodiguées aux parachutistes anglais et américains pendant l’Occupation »49, et être décoré de la croix d’officier de l’ordre royal d’Orange-Nassau « pour services éminents rendus pendant l’Occupation aux résistants hollandais parachutistes en France », son dossier de carrière rassemble un certain nombre de documents compromettants, témoignant de son attachement à Vichy et de son zèle à appliquer sa politique. Il a dû, comme tous les magistrats, remplir des attestations de non-appartenance à la franc-maçonnerie et à « la race juive ». Il a surtout reçu un témoignage de satisfaction de l’État français pour avoir, depuis janvier 1941, « en demeurant bénévolement dans ses fonctions de substitut au tribunal militaire de Lyon, consacré son intelligente activité, son inlassable dévouement et sa conscience scrupuleuse à l’œuvre d’unité nationale ». Il a également reçu en 1942 une lettre de félicitations du secrétariat d’État à la guerre « pour les très beaux résultats obtenus grâce à sa compétence et à son zèle inlassable dans la répression des actes portant atteinte à la sûreté extérieure de l’État ». Son activité durant la période de Vichy est double. Pour le vice-président de la Ligue des droits de l’homme, Marx « avait le tort de classer les résistants en deux catégories, les communistes et… les autres, implacable pour ceux-ci, bienveillant pour ceux-là ». Face aux premiers, il entonne, ici, un « sévère réquisitoire », là, un « solide réquisitoire », là enfin un « habile et sévère réquisitoire » contre des « “agitateurs révolutionnaires intelligents” qui avaient fait du café Buisson un “Centre d’accueil des communistes non repentis” »50. Face aux seconds, il temporise. Par exemple, alors qu’il rend une ordonnance de non-lieu en novembre 1942 pour un agent de l’Intelligence Service afin qu’il ne tombe pas dans les mains des Allemands, il décide en même temps l’internement de deux communistes pourtant acquittés par le tribunal militaire. Autre exemple, dans une affaire de reconstitution du parti communiste, il demande et obtient la condamnation à mort de Jean Chaintron, préfet de la Haute-Vienne à la Libération, qui n’encourait pourtant que cinq ans d’emprisonnement selon la loi. L’avocat Autrand synthétise : « Marx n’aimait pas les Allemands, détestait les Anglais et avait les communistes en horreur, il était dur avec eux. Au reste, un bon Français »51. La ligne de défense choisie à la Libération repose sur son activité dans la résistance, sa clémence envers les premiers gaullistes, la mise au secret des archives intéressant les procès de trahison et d’espionnage dans lesquelles figuraient les noms des indicateurs du 2e bureau lors de l’arrivée des Allemands à Lyon en novembre 1942, et son choix de rester commissaire sous Vichy pour ne pas être remplacé par un élément plus défavorable envers la Résistance. Rien n’y fait, il n’exerce plus après la Libération.
19Comme lui, les magistrats Sermant, Adinot et Chicon disparaissent du tribunal militaire de Lyon après 1945. François Chicon, par exemple, fait l’objet de ce qu’il considère comme un ostracisme – il est réintégré par notification individuelle mais n’apparaît pas au journal officiel – et s’en plaint. Doyen des juges d’instruction militaires lors de l’armistice, il affirme s’être occupé « des affaires les plus importantes, les plus graves, les plus délicates » et avoir entrepris une « lutte périlleuse, rude et sans profit […] contre le boche »52. Il précise au ministre Henri Frenay : « […] soit comme juge d’instruction, soit comme commissaire du gouvernement, je peux affirmer que j’ai traité avec une extrême rigueur les sinistres individus qui s’étaient mis au service des Allemands et je n’ai jamais hésité à réclamer à l’audience la peine de mort ». Et de prendre l’exemple de Devillers, condamné à mort par ses soins et exécuté pour avoir infiltré, justement, le groupe de résistants auquel appartenait alors Frenay. Parmi les éléments à sa décharge, il a laissé en suspens toutes les poursuites qui avaient été intentées contre des gaullistes dits « dissidents » afin d’éviter des procès en contumace et les mesures qui seraient alors prises contre les familles des inculpés. Toutefois, parmi les reproches qui lui sont adressés figurent sa lutte dès la première heure contre les communistes53, l’instruction du dossier de René Nicod, maire d’Oyonnax de 1919 à 1940, arrêté pour activité communiste et jugé en avril 1941, et son refus de toute mesure gracieuse durant le temps de son incarcération.
20Les commissaires du gouvernement ont donc joué un rôle trouble entre 1939 et 1943. Durant la drôle de guerre, et avant d’enclencher des procès pour trahison, ils ont impulsé toute une série d’inculpations contre tout ce qui pouvait « nuire » à la France sans que le terme de nuisance soit parfaitement délimité54, les « infractions de la parole » (propos défaitistes, antimilitaristes, « offenses au chef de l’État », « cris séditieux ») étant devenues un contentieux ordinaire du tribunal militaire. Ils ont pourchassé les espions et autres coupables d’« intelligence avec l’ennemi », les communistes, véritables bêtes noires de la justice militaire depuis 1939 et comparaissant à partir du 14 août 1941 dans la section spéciale du tribunal militaire, mais ils ont dû aussi très tôt se positionner face aux partisans du général de Gaulle et des Anglais, le gouverneur de la XIVe région militaire, Aubert Frère, réclamant que lui soient systématiquement communiqués les dossiers concernant les activités gaullistes, peut-être dans une sorte de « réflexe clanique »55. La faiblesse des peines prononcées face aux gaullistes est particulièrement significative lorsqu’on les compare aux cas d’« offense au chef de l’État » (le maximum de la peine est toujours prononcé), ou à celles prononcées contre ceux qui collaborent avec l’Allemagne (la mort généralement). Malgré ces modulations évoquées dans les dossiers de carrière à la Libération et vérifiées dans l’analyse statistique des jugements prononcés durant la guerre, à partir de 1944, les magistrats militaires ont dû être épurés avant de servir une justice de l’épuration. Ce sont des magistrats « irréprochables »56 selon le pouvoir en place. Ils ont été prisonniers de guerre dès 1940 avant d’être rapatriés en 1943 et de revenir au sein d’un tribunal militaire plus combatif dans les derniers temps de la guerre – comme Étienne Jallut, civil dont « le comportement au point de vue national n’a donné lieu jusqu’à ce jour à remarque défavorable »57, Paul Simonin, notaire dans le Jura – ou encore parties prenantes dans la campagne en Allemagne durant la guerre de Libération – comme Marcel Cabrol. En un mot, leur loyauté envers la Résistance gaulliste a dû être sans faille. Le tribunal militaire prépare ainsi la paix les armes à la main, comme on peut le voir sur quelques photos prises à l’intérieur du tribunal (figure 9).
Figure 9. Gardes en armes au sein du tribunal militaire permanent de Lyon, juillet 1951



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Entre intégrité et indignité nationales
21Garant d’une intégrité territoriale auparavant perdue, le tribunal militaire pourchasse désormais tout ce qui, durant la seconde guerre mondiale, a relevé de l’indignité ou de l’agression nationales. Il défend une certaine idée de la France et porte une mémoire d’autant plus forte qu’il est en charge d’une « justice transitionnelle »58 dont le but est de solder la guerre et de construire la paix. De fait, la justice militaire participe pleinement aux nombreux procès d’épuration, visant tant les ennemis de l’intérieur (Français) que ceux de l’extérieur (Allemands, Autrichiens, Italiens, etc.)59.
22Pour les ennemis de l’intérieur, des tribunaux spéciaux – les cours de justice ou les chambres civiques – ont été créés pour « clore cette séquence historique [de la guerre] en discriminant entre les “bons” et les “mauvais citoyens”, les citoyens dignes et les citoyens indignes »60. Ainsi, « tout Français qui aura postérieurement au 16 juin 1940, soit sciemment apporté en France ou à l’étranger, une aide directe ou indirecte à l’Allemagne ou à ses alliés, soit porté atteinte à l’unité de la nation, ou à la liberté des Français ou à l’égalité entre ces derniers »61, bref, tout Français qui s’est rendu coupable d’« indignité nationale » est condamné à la dégradation nationale62. 95 000 personnes sont condamnées à « une mort symbolique, la mort civique » entre 1946 et 1951. Le tribunal militaire n’est toutefois pas exclu de ce processus punitif : non seulement il doit s’occuper aussi bien d’« un Français traître à son pays »63, d’un « Italien [naturalisé] traître au pays qui le recueillit »64, que de tous les Français suspects d’« activités antinationales »65, mais il assortit aussi la plupart des condamnations pour trahison d’une seconde peine, la dégradation civique (soit l’interdiction de tous les droits pour une durée déterminée). Il semble même plébiscité puisque les détenus « politiques » des prisons lyonnaises – « lisez miliciens, traîtres ou agents de la Gestapo » précisent les journalistes66 – entament une grève de la faim en 1947 pour être traduits devant des tribunaux militaires et non devant des cours de justice qu’ils estiment exagérément sévères67. C’est aussi un vœu partagé par les avocats. Emma Gounot souhaiterait par exemple que son client, Charles Develle – le meurtrier de l’ancien ministre de l’Éducation nationale Jean Zay – « tâta un peu du tribunal militaire, plus clément que les juridictions civiles (Brrrrrou !… cette cour de justice défunte !) »68. Plusieurs jonctions existent par ailleurs entre les différents tribunaux.
23Premièrement, le TMP/TPFA a son mot à dire sur l’indignité nationale avant et après le partage des compétences entre les cours de justice et la justice militaire, acté le 24 août 1944 et clos le 5 janvier 195169. Pierre Grand est ainsi condamné dès 1944 par le tribunal militaire de Lyon à un an de prison et à dix ans de dégradation nationale70. Libéré en 1947, il comparaît à nouveau devant le même tribunal dans le cadre du procès de la Gestapo de Lyon le 30 novembre 1954. Entre-temps, il a avoué avoir suivi un stage à la Selbstschutz à Taverny (Seine-et-Oise), l’école de police auxiliaire allemande qui recevait des jeunes appartenant au Parti populaire français (PPF), au Rassemblement national populaire (RNP), au Francisme et à d’autres groupements militaires. De même, il avoue qu’une fois cet entraînement physique et militaire accompli, il a été affecté à la Selbstschutzpolizei à Lyon où il arrive fin mai 1944 et a appartenu à une équipe de la Selbstschutz comprenant environ une quinzaine d’individus. Il reconnaît de nombreuses opérations dont une expédition contre un maquis dans la région de Cluny, l’assassinat de cinq otages à Gresse le 4 juillet 1944, celui de onze personnes à Vif le 21 juillet 1944, et d’autres meurtres ponctuels dont certains prisonniers de Montluc. Il a notamment, le 24 juillet 1944, dans la commune de Gresse, frappé violemment une femme, la faisant tomber sous la violence des coups, la frappant encore à terre et l’achevant d’une rafale de mitraillette. Pour chacune de ces opérations, Pierre Grand revêtait l’uniforme allemand. Lors du second procès en 1954, il est condamné à mort et fusillé.
24Deuxièmement, des passerelles entre les chambres civiques et les tribunaux militaires sont instituées entre 1944 et 1951. Sur 429 affaires de trahison ou d’atteinte à la sûreté de l’État (formulées aussi en actes sciemment accomplis de nature à nuire à la défense nationale) examinées par le TMP/TPFA de Lyon, ce dernier conserve 354 dossiers et se dessaisit en faveur de différentes cours de justice dans 75 cas. Les chambres civiques doivent aussi statuer sur la dégradation nationale prononcée par un tribunal militaire à titre complémentaire à la suite d’une condamnation pour faits de collaboration avec l’ennemi71. Enfin, à partir de 1949, les poursuites en indignité nationale ayant fait l’objet d’une décision de renvoi en chambre civique sont portées devant le tribunal militaire72. Dès lors, même après la loi d’amnistie, le TMP/TPFA de Lyon se prononce encore sur des cas d’indignité nationale. Marcel Lagneau, par exemple, est condamné pour trahison et indignité nationale le 4 mars 195273. La dégradation nationale est également prononcée le 7 décembre 1951 puis le 23 janvier 1952 même si, cette fois, la peine est immédiatement amnistiée.
25Troisièmement, après 1951, de nombreux condamnés saisissent le tribunal militaire pour statuer sur la recevabilité d’une opposition à la condamnation par les cours de justice pour indignité nationale comme lorsqu’un individu sollicite la levée de la peine qui l’empêchait de devenir patron tailleur dans la capitale74. Le TMP/TPFA doit également se prononcer sur la dégradation nationale lorsque l’inculpé a été jugé par contumace par une cour de justice avant d’être arrêté. Ainsi, il continue durant toutes les années 1950 à purger ces condamnations par contumace. Bernard Foissey est de la sorte condamné par la cour de justice de Besançon, son dossier de procédure ne faisant alors état que de son appartenance à la milice et des services qu’il avait rendus aux Allemands comme milicien. Arrêté en décembre 1945, de nombreuses victimes se font connaître mais la cour de justice n’est plus compétente depuis le 10 novembre 1945 pour se saisir de procédures nouvelles. Tous les faits nouveaux sont désormais transmis pour ouverture d’une nouvelle information au tribunal militaire. Parmi eux, on relève ses missions de renseignement pour le SD (Sicherheitsdienst ou service de renseignement et de maintien de l’ordre de la SS) allemand sur les maquis et les réseaux français du secteur de Belfort, son rôle dans les arrestations et la déportation de plusieurs familles de résistants. Le tribunal militaire de Lyon est tout aussi sévère que la cour de justice dans ce cas puisque Bernard Foissey est condamné à mort et fusillé. Le parcours judiciaire d’André Meuzard ne diffère guère du précédent : il est à deux reprises condamné à mort par contumace pour trahison, le 4 juillet 1946 par la cour de justice de Lyon puis le 13 octobre 1949 par le tribunal militaire de Lyon. Arrêté en 1951, il voit les charges s’accumuler. Sacristain à Lyon, il s’était engagé en septembre 1943 dans le camp des maquisards de Treminis (Vercors) qu’il quittait après quelques jours. Arrêté par la police allemande, incarcéré à la maison d’arrêt de Grenoble puis à Montluc, il décidait en ce dernier lieu de contacter les organismes locaux de la milice. Il désignait aux Allemands l’emplacement précis de son maquis, participait à l’opération en indiquant tous les réfractaires et ceux qui les avaient aidés. Les prisonniers étaient également conduits à Montluc et, d’après un témoin, cinq d’entre eux furent fusillés à La Doua après un jugement par le tribunal militaire allemand : « J’étais dans la même cellule que Casanova lorsque les soldats casqués sont venus le chercher pour l’exécution : j’ai encore en moi l’horreur de cette minute ; je ne peux pas ignorer que Meuzard en est directement responsable ainsi que de la mort des autres camarades »75. Il est condamné à la perpétuité par le TPFA de Lyon le 31 mars 1954 et reste trois ans à Montluc.
Figure 10. Les visages de la trahison

Source : Archives de la justice militaire, TPFA de Lyon (dossiers nominatifs)
26Un glissement sémantique significatif peut être relevé dans la presse quotidienne régionale. Prenons le cas de Gabriel Chamolay jugé en 1950, tel qu’il est rapporté dans les médias. Alors que le commissaire le qualifie de « zéro intégral » dans son réquisitoire, il affirme qu’il a « trahi [et] doit être frappé d’une peine de dix ans de travaux forcés au minimum ». Or, le verdict présente une confusion puisque Chamolay « s’en tire avec dix ans de travaux forcés et vingt ans d’indignité nationale »76. Le motif d’accusation – l’indignité nationale – est confondu avec la peine – la dégradation nationale ou civique77. Et cette erreur du journaliste est forte de sens tant elle est répétée : début 1948, il est rappelé que Pierre Grand avait été condamné par la cour de justice de Lyon à un an de prison et « dix ans d’indignité nationale » ; début 1951, il est écrit qu’un industriel est condamné par la chambre civique de Lyon, dans un « procès en trahison » (il a dénoncé des maquisards), « à 5 ans d’indignité nationale » ; fin 1951, un ex-milicien de la Ligue des volontaires français comparaît après avoir purgé une première peine pour « se faire appliquer 20 ans… d’indignité nationale ». Et la liste pourrait se prolonger. Ce que cette confusion montre, et qu’Anne Simonin a souligné, c’est qu’une nouvelle « morale politique »78 est instituée, laquelle aura de lourdes conséquences pendant les guerres de décolonisation. Toujours est-il que l’indignité nationale devient un repère familier pour les journalistes comme pour les juges et permet désormais de trier sans effort entre les bons et les mauvais citoyens.
27Montluc, qui détient des condamnés en provenance tant des cours de justice de la région que du tribunal militaire, est le temple de cette morale. On relève par exemple « un réquisitoire implacable [qui] flétrit l’attitude [d’un] Français traître à son pays »79, ou un autre chargé de toute l’histoire du site. En effet, alors qu’il est en charge de l’accusation de Gabriel Chamolay, adjoint du lieutenant Eckert (le « bourreau de Montluc » sur lequel nous allons revenir), le commissaire du gouvernement Louis Petitjean attaque immédiatement le réquisitoire par son aspect symbolique : « J’ai le douloureux et redoutable honneur d’ouvrir le premier le livre du martyrologe de Lyon, capitale de la Résistance française, de rendre hommage à la mémoire des fusillés de Montluc et de tous ceux qui sont morts en déportation et dans des conditions atroces. Nous ne les oublierons jamais… ». Il demande les travaux forcés pour Chamolay et la mort pour Eckert, à qui il souhaite de connaître « à son tour le réveil à l’aube du fort Montluc » et affirme qu’après l’avoir accompagné au fort de Montessuy il ira s’incliner à Villeurbanne devant la plaque portant les noms de ses victimes. « Justice sera faite, enfin ! ». Quant aux photographes, à l’époque, ils prennent soin de représenter chacun de ces temps forts judiciaires (figures 11 à 13). Le passé est jugé dans l’enceinte du tribunal militaire et les clichés donnent à voir, au présent, tous les acteurs concernés par cette confrontation des temps, depuis les commissaires du gouvernement et présidents jusqu’au public, en passant par les avocats, les inculpés, les témoins80.
Figure 11. Procès devant le tribunal militaire permanent de Lyon en 1951-1952 avec, de gauche à droite : a) magistrats ; b) anciens résistants de Clermont-Ferrand, 24 septembre 1951 ; c) témoin ; d) milice de Grenoble, 24 avril 1951 ; e) public





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Figure 12. Léonie Parizot, agent du renseignement au service du SD de Lons-le-Saunier ; et procès de Bachelet-Comte (juillet 1951)


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Figure 13. Emma Gounot lors d’un procès en octobre 1951 puis lors du procès de l’assassin de Jean Zay (janvier 1953)


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Figure 14. a) Affluence devant le tribunal militaire permanent de Lyon (juillet 1951) ; b) et c) Sortie du TPFA de Lyon après le procès d’un ancien collaborateur accusé de trahison (mars 1957)



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28Si à Montluc comparaissent de nombreux « traîtres » (miliciens, collaborateurs) après 1944, le site est aussi clairement identifié dans les années 1950 comme un lieu de détention de nazis, du fait des nombreux procès de criminels de guerre intentés devant le tribunal militaire de Lyon : sans compter leurs alliés autrichiens, tchécoslovaques ou autres, on relève 145 Allemands jugés en 1947 pour arrestations illégales, séquestrations, tortures, pillages, etc., 36 en 1948, 70 en 1949, 59 en 1950 et encore 36 en 1954, 21 en 1955 pour un total de 467 anciens nazis81. Parmi les procès les plus suivis, on relève les deux premiers de Klaus Barbie, jugé par contumace en 1952 et 195482. Il est l’un des nazis les plus recherchés et l’Association des rescapés de Montluc œuvre pour son arrestation : c’est ainsi qu’elle s’adresse aux dirigeants politiques, dès 1950, pour « exprimer sa profonde émotion et indignation provoquées par la récente révélation du scandale du bourreau Barbier [sic], ancien chef de la Gestapo lyonnaise, vivant en liberté en Allemagne, en zone américaine, où il exploite un commerce », protester « contre l’inqualifiable injure qui est faite à la mémoire des morts, à leur famille, aux déportés et internés, à tous ceux qui ont lutté et souffert pour la liberté, la justice et la vérité », et demander « aux pouvoirs publics de prendre toutes mesures utiles pour que celui qui a commis les assassinats de Saint-Genis-Laval, du Moulin à vent [le Veilleur de pierre], de Bron et autres, soit extradé et jugé de ses actes de criminel de guerre »83. Les procès de Klaus Barbie – fût-il absent – et de ses acolytes – bien présents – mettent en lumière les innombrables exactions commises par les Allemands dans la région de Lyon et placent les commissaires du gouvernement dans une position clef pour la répression des crimes de guerre.
29C’est donc bien à Lyon, au sein du TPFA, que se tient ce qu’on a appelé à l’époque le « procès de la Gestapo lyonnaise ». Alors que ce procès est souvent occulté au profit de celui des années 1980, il a bien été un choc pour l’opinion : il est précisé, à l’ouverture du procès, qu’il s’agit « du plus terrible acte d’accusation qui ait jamais été dressé contre les accusés »84, avec environ six cents questions posées aux juges militaires et résumées dans cinquante-trois pages dactylographiées. Pendant près d’un mois, entre novembre et décembre 1954, les journaux ont reparlé de « Klauss Barbié [sic], le boucher de Lyon », du « millier d’assassinats, des milliers d’arrestations arbitraires, déportations, tortures, vols et autres exactions » commis par la « sinistre formation » ou la « sinistre bande » à ses ordres. Puis ils ont repris le réquisitoire du commissaire René Bourely. S’il est massivement question des crimes commis à l’encontre de la Résistance, le génocide juif est aussi largement évoqué. Et la prison de Montluc est désignée comme antichambre de la mort. D’abord, Klaus Barbie, cet officier nazi identifié et enregistré sous le numéro 57 dans la liste établie par la Commission des Nations unies chargée de l’investigation sur les crimes de guerre (UNWCC)85, est qualifié de « chef de la section antisémite »86 de la Gestapo lyonnaise. Ensuite, l’accusation se porte sur un de ses adjoints, Bartelmus, homme « odieux et brutal [qui] appartenait à la section antijuive de la Gestapo »87. La déportation fait l’objet d’une longue enquête et bénéficie d’une première collecte de témoignages, collecte aussi difficile du fait des dénégations de l’inculpé que nécessaire :
Et l’on n’a guère trouvé de témoins pour le reconnaître. Lorsque l’on sait quelle est la forte proportion de déportés échappés aux camps de la mort (17 000 environ sur 300 000 !), ce n’est pas, au fond, surprenant. M. Cambrelle vint dire qu’il vit arrêter MM. Wolf et Salomon ; M. Raymond Girier a lui-même été appréhendé par Bartelmus en même temps que Maîtrejean, qui fut torturé ou déporté et mourut en camp de concentration. (Ibid.)
30Les témoignages sont malgré tout nombreux et la procédure judiciaire, conduite par un commissaire du gouvernement (qui fait aussi office de juge d’instruction militaire), fourmille de paroles de Juifs ou résistants raflés, détenus à Montluc avant d’être déportés. Pour ne prendre qu’un exemple ici, on citera l’arrestation, l’enfermement à Montluc puis la déportation vers les camps de concentration de la famille juive Touitou (les parents et cinq enfants), demeurant Saint-Fons, orchestrée par Charles Goetzmann et Jeanne Benamara, membres de la Gestapo, avec la complicité d’un Algérien88. Bien d’autres procès de criminels de guerre nazis ont été l’occasion, au sein du TPFA de Lyon, de parler des tueries de résistants ou de déportation, comme celui d’Helmut Helmreich qui reconnaît à plusieurs reprises sa responsabilité dans les « rafles de Juifs » – l’expression figure dans les procès-verbaux d’interrogatoire – dans la région Rhône-Alpes89. À l’évidence, et comme le rappelait déjà en 1992 Henry Rousso, « l’antisémitisme est loin d’avoir été absent des procédures, des débats et des arrêts comme on le croit trop souvent »90, même s’il a été « mal condamné »91.
31La justice est donc une autre sphère – à côté de celles englobant les associations ou les intellectuels92 – qui empêche le silence de s’installer autour du génocide et des crimes nazis. Bien plus, elle sert de vecteur mémoriel assumé et cela est manifeste lors de l’annonce du procès : « On s’en souvient encore. En ce dixième anniversaire de “l’année terrible” que fut 1944, les commémorations des massacres commis par les nazis ont rafraîchi les mémoires, rappelé les exécutions au petit jour […] »93. Ainsi, l’association entre les rafles de Juifs dans la région et l’établissement Montluc a été prouvée, documentée, au cours des premiers procès de nazis : elle facilite les liens entre passé et présent et devient un support pour les mobilisations des années 195094. Et alors que les portes de la prison se sont ouvertes à toutes les anciennes victimes, elles se referment derrière les anciens geôliers.
Des cellules pour mémoire
32À peine libérée de ses occupants allemands, Montluc devient, le 7 septembre 1944, un centre d’internement administratif – autrement dit un camp – destiné à recevoir, outre les personnes arrêtées au moment de la libération, les individus objet d’un mandat d’arrêt délivré soit par l’autorité judiciaire (cour martiale notamment), soit par les services préfectoraux95. Les journalistes commentent la réversibilité du site : « La prison militaire du fort de Montluc ensanglantée par la Gestapo a changé de pensionnaires. On épure et on arrête. Les prisonniers d’hier sont aujourd’hui devenus les gardiens de leurs geôliers. Les hommes de la Gestapo et les miliciens connaissent maintenant l’autre côté des portes de prison »96. Les images filmées montrent l’arrivée sous une double escorte (gendarmerie et FFI) de tous les suspects de la collaboration, la réoccupation des cellules mais également la création de dortoirs, et des murs couverts de graffitis, véritables supports mémoriels. Les « grands personnages », comme le maire de Villeurbanne, le procureur de l’État français, les industriels, dont Berliet, sont mis à l’isolement, notamment à l’infirmerie où la pancarte reste en allemand. Des femmes sont aussi internées, dont certaines tondues dans la « baraque aux Juifs », comme le révèlent les journalistes du Patriote et comme on le découvre sur des images filmées (figure 15b). En effet, à la suite d’une visite dans la prison, ils notent que, dans la cour où les prévenues se promènent, « quelques-unes ont la tête rasée qu’elles dissimulent sous des turbans »97. De nombreux Algériens voient également leur parcours examiné, dont certains seront plus tard, avec leurs familles, impliqués dans la lutte indépendantiste. Tous font l’objet d’un examen attentif par une commission de criblage où, et ce n’est pas la moindre des surprises, on trouve comme assesseur l’historien Henri-Irénée Marrou, membre du comité départemental de libération et alors professeur à Lyon98.
Figure 15. Le camp d’internement Montluc, 1944




Source : a), c) et d) Journal France Libre Actualités, Les collaborateurs à la prison du fort Montluc, 23 septembre 1944, 46 secondes ; b) Office français d’information cinématographique, Incarcération de femmes tondues, 1er janvier 1944, 2 min 45 s. © Ina - Tous droits réservés
33Lorsque l’établissement pénitentiaire est remis à la disposition de l’autorité militaire, entre le 21 et le 22 novembre 1944, et que plusieurs centaines de femmes et d’hommes sont conduits au fort de Vancia, au camp de la Duchère ou encore à Saint-Paul, le site accueille, en sus d’autres détenus, les anciens criminels de guerre dont ceux qui ont sévi à Montluc même. En effet, de 1945 à 1958, 339 Allemands, 23 Autrichiens et 3 Tchécoslovaques ont été retenus pour crimes de guerre99. On les reconnaît aisément lors de leur arrivée : « Tenue militaire allemande », est-il souvent noté sur le registre d’écrou. Leur présence informe sur un autre rôle attribué au bâtiment : celui, symbolique, d’une prison pour « hommes infâmes », devant purger leur peine sur le lieu même de leurs crimes100.
34Bien des cas de détenus allemands, anciennement bourreaux à Montluc, peuvent être documentés, par exemple celui de Heinz Eckert. Ancien Feldwebel (adjudant de l’armée allemande) de l’Abwehr (responsable des questions d’espionnage et de sabotage) à Saint-Étienne puis Oberfeldwebel (adjudant-chef) du même service secret à Lyon entre juillet 1943 et juillet 1944101, il comparaît devant le tribunal militaire de Lyon en 1950 pour 43 arrestations de « patriotes » suivies de coups et de tortures (immédiatement mortelles dans deux cas et achevées par des fusillades dans la cour de la prison dans trois autres cas), 24 déportations avec au moins 12 disparus dans les camps (avec pillages dans la plupart des cas), enfin tuerie maquillée en « recherche d’un dépôt d’armes et arrestations préventives de terroristes » dans deux cafés de Villeurbanne (quatre morts, un blessé décédé par la suite, deux « patriotes » gravement atteints, un déporté). Tous les témoins interrogés, dont certains de ses collègues, le présentent comme dirigeant effectivement des opérations de police au cours desquelles son grade et son appartenance à l’Abwehr auraient dû normalement le cantonner dans le rôle d’observateur. Pire, « il revenait, sans que ses fonctions l’y contraignissent, dans les cellules du fort Montluc pour torturer moralement ou physiquement ses victimes »102. Deux exemples parmi d’autres peuvent être relevés :
Monsieur Pointu, de Terrenoire, responsable depuis 1941 du mouvement « coq enchaîné » est arrêté, le 30 septembre 1943, ainsi que sa femme et son fils par Eckert et sa bande. Il est frappé par ce dernier avec une violence inouïe. Eckert utilise même un pied de chaise ; la victime a la lèvre fendue et présente encore des marques de coups sur la tête. Les menottes lui ont laissé des cicatrices aux poignets. Le 13 novembre 1943, à la prison Montluc, Monsieur Pointu est à nouveau si violemment frappé qu’il a une cheville et un bras cassés. Il devait être déporté. En outre, il est pris à son domicile une somme de 265 000 francs, des marchandises et des vêtements. Confronté avec Eckert, il le reconnaît formellement, précisant que celui-ci lui a dit : « Si tu ne parles pas, on te casse la gueule », et lui a expliqué que sa fille irait soulager les soldats allemands. Eckert nie avoir frappé. Le témoin avait été confronté à Montluc avec Pouget et Godard, tous deux fusillés peu après à Lyon.103
Le 13 octobre 1943, Monsieur Parra, sa femme et ses beaux-parents sont arrêtés. Eckert frappe Parra à coups de poing violents dans la figure ; il lui tuméfie les yeux et lui casse une dent. Au cours d’un interrogatoire au Modern Hôtel, Parra est sauvagement frappé à coups de nerf de bœuf et de pied de chaise. Les coups lui occasionnent de graves lésions. À la prison Montluc, il est encore frappé par Eckert, le 15 octobre 1943. Remis au SD, il y est atrocement torturé, les ongles arrachés. Il devait être déporté ainsi que ses beaux-parents qui, eux, sont morts dans un camp nazi. Son domicile était bien entendu mis au pillage. […] il considère Eckert comme une ignoble brute, incapable de sentiments humains, car Madame Parra, enceinte, a cependant été arrêtée et Eckert lui a refusé toute nourriture. Hospitalisée enfin à l’Antiquaille, elle devait être libérée le 24 août 1944 par un coup de main audacieux des membres du réseau auquel elle appartenait avec son mari.104
35C’est logiquement à Montluc que Heinz Eckert est conduit le 27 mars 1948. Il est condamné à mort par le tribunal militaire de Lyon le 8 décembre 1950 et reste détenu sur place jusqu’au 1er octobre 1951, date à laquelle il est conduit à la maison centrale de Loos à Lille où sont enfermés la plupart des criminels de guerre allemands. Avec lui s’est trouvé à Montluc l’adjudant-chef (Hauptscharführer) du SD de Lyon Erich Bartelmus. Ce dernier a laissé des souvenirs à vif chez les anciens de Montluc. D’après Lucien Guesdon, agent français du SD de Lyon, Bartelmus s’occupait « des affaires juives [et] était particulièrement féroce ». Dans un document allemand, il est décrit comme « ami des Juifs », « auxquels il a fait passer l’envie de mentir à “coups de félix” (probablement nerf de bœuf) »105. Responsable du massacre de Saint-Genis-Laval, il purge après la guerre sa peine à Montluc du 20 janvier 1948 au 26 novembre 1954. Certains collaborateurs français ont également été internés dans la prison où ils avaient sévi. Le cas le plus connu est sans doute celui de Max Payot, accusé d’avoir participé au massacre de Saint-Genis-Laval, arrêté en octobre 1944106 et détenu à Montluc du 26 octobre au 21 novembre 1944 puis exécuté dans sa cellule à Saint-Paul107.
36Trois autres Allemands (Ernest Floreck, Harry Stengritt et Paul Heimann) ne sont pas non plus des détenus ordinaires, puisqu’ils ont sévi dans la prison entre 1943 et 1944. Emprisonnés à Montluc le 26 juin 1948 pour le premier, le 12 janvier 1949 pour le deuxième et le 21 décembre 1949 pour le troisième, tous condamnés à mort par le TPFA de Lyon le 25 novembre 1954, ils restent détenus à Lyon jusqu’en mai 1958. Après avoir été Kriminalassistent Anwärter (candidat au poste de détective auprès de la police criminelle) en août 1938, commissaire de police criminelle en 1939 à Koblentz, puis à Cologne de 1940 à 1943, membre de la Gestapo à Paris et à Châlons-sur-Marne, Ernest Floreck (né en 1913 en Alsace) fut affecté à la section contre-sabotage, contre-espionnage et sécurité du SD de Lyon (école de Santé) entre novembre 1943 et juillet 1944, où il agissait sous les ordres de Klaus Barbie, avant de rejoindre le SD de Grenoble108. Harry Stengritt (né en 1911), originaire de Berlin, mobilisé en avril 1940 et affecté au SD d’Alençon après avoir suivi des cours à l’École de la Geheime Feldpolizei à Altenburg, a travaillé à partir de la mi-janvier 1943 pour le SD de Lyon. Chef de la 6e section (Information et renseignements), il a fréquenté assidûment Klaus Barbie, chef de la 4e section (Gestapo). Quant à Paul Heimann (né en 1911), il fut chef du SD de Grenoble, commissaire de police criminelle, d’octobre 1943 à février 1944.
Figure 16. Ernest Floreck et Erich Barthelmus, criminels de guerre

Source : a) Archives de la justice militaire – TPFA de Lyon (dossier nominatif) ; b) Marcel Ophüls, Hôtel Terminus, 1988, 264 min (46e minute) © Droits réservés
37Ces hommes ont été jugés, avec d’autres Allemands, pour des crimes commis spécifiquement à Montluc. Dans le réquisitoire figurent les violences individuelles qui leur sont imputées. Perlette Bensadoun, par exemple, témoigne en 1951 que, lors de son arrestation (le 22 juillet 1944) à Saint-Fons dans le hall d’un cinéma, elle a été emmenée au siège de la Gestapo à Bellecour où elle a été interrogée par des Allemands, transférée après une nuit passée dans la cave à Montluc, et déportée le 11 août à Auschwitz où elle est arrivée le 22 du même mois. Après trois mois passés dans ce camp, elle a été transférée à Kratzau en Tchécoslovaquie où les armées russes l’ont libérée109. Joseph Valette, arrêté par la Gestapo le 10 février 1943 au Puy, a été emmené à Montluc où il est resté jusqu’au 21 mai et a subi avec sa femme un simulacre de fusillade dans la cour de la prison. Bien d’autres cas pourraient être cités dont celui de Jean Weylan, tué dans l’enceinte même de la prison le 15 décembre 1943, pour avoir tenté de s’enfuir110, ou celui de Marcelle Bel, arrêtée le 16 juillet 1943, détenue à Montluc durant 40 jours :
Là, je n’ai pas été maltraitée mais j’y ai vécu constamment sous la menace et dans un état de saleté repoussante. Comme ma cellule se trouvait au-dessus du bureau où l’on faisait subir les interrogatoires, j’entendais constamment des hurlements de terreur et de souffrance poussés par les personnes interrogées. Je n’ai pas vu, mais il m’a été certifié que trois hommes avaient été fusillés dans la prison, pour avoir communiqué avec l’extérieur.111
38Les actes d’accusation de ces trois nazis relèvent aussi de nombreuses extractions de détenus de Montluc, ensuite exécutés en masse dans la région : 6 à Dardilly (Rhône) le 20 avril 1944, 19 à Communay (Isère) le 9 juin 1944, 21 à Dagneux (Ain) le 12 juin 1944, 23 à Neuville-sur-Saône (Rhône) le même jour, 20 le 18 juin 1944 à La Croix Châtain (Isère), 28 à Toussieu (Isère) le 12 juillet 1944, 52 à Châtillon d’Azergues (Rhône) le 19 juillet 1944, 4 à Lyon (chemin Barthélémy Buyer) le 17 août 1944. Quand ils survivent, les anciens détenus témoignent d’« un très dur régime cellulaire à la prison de Montluc Lyon »112. Le lieutenant Roger Bosse rappelle :
Les jours suivants, ils ont continué à me donner des coups de poing et de pied, comme c’est leur habitude. L’instruction a duré neuf jours, puis j’ai appris ma condamnation à mort sans jamais avoir été jugé, sans papier. Je suis resté à la forteresse de Montluc 93 jours. Pendant tout ce temps, je n’ai jamais reçu de viande, aucun colis, aucune lettre, étant prisonnier au secret. Nous étions 6 et même 7 par cellule de 3 m 50 sur 2 m. Pour avoir été trouvés en possession d’un crayon, nous avons été mis 10 jours au pain sec et à l’eau (300 g de pain et un demi-litre d’eau). En parlant du régime alimentaire, voilà exactement ce que l’on touchait : une soupe très claire, un morceau de pain d’une valeur de 300 g au plus avec un morceau d’ersatz de fromage, et de l’eau ; quelquefois distribués par la Croix-Rouge, quelques biscuits. De plus, nous étions couverts de poux et de vermines, n’ayant pas de linge de rechange, même de serviette de toilette. D’autre part, de retour de la chambre de torture dans un état lamentable, je n’ai jamais été soigné.
Un soir nous avons appris le débarquement, pour moi rien de nouveau, je le savais deux mois à l’avance. Cela a été un délire pour tous les prisonniers, mais notre exécution n’en est devenue que plus dure. Nous ne nous attendions pas à être fusillés si près de la fin.
On est venu nous chercher le 12 juin à 18 h du soir environ. Nous étions 22 condamnés. […] Il y a eu 108 fusillés dans la même semaine à la forteresse de Montluc et environ 800 déportés.113
39Rescapé de la fusillade, il quitte Lyon sous une fausse identité, se rend à Limoges et, près de Bellac, réunit « une quarantaine de gars », forme un camp de maquis et le nomme « Camp de Montluc » en souvenir de sa captivité. Charles Perrin, secrétaire départemental des internés politiques de Saône-et-Loire en 1946, témoigne également de son arrestation par la Gestapo de Lyon le 15 mai 1944 alors qu’il était commandant interrégional des FTP de la région lyonnaise, de ses interrogatoires avenue Berthelot, de son incarcération à Montluc le 22 mai, puis de l’exécution de 28 détenus de Montluc à Saint-Didier-de-Formans (Ain) le 16 juin 1944 :
[…] j’ai été embarqué, enchaîné deux par deux, avec 29 autres détenus dans une camionnette. Après une heure environ de parcours, la camionnette s’est arrêtée dans un endroit désert en face d’un pré clos de toute part. La camionnette était précédée et suivie de deux tractions dans lesquelles avaient pris place des officiers, sous-officiers allemands et deux civils dont je ne puis préciser s’il s’agissait d’Allemands. Les deux civils ainsi que les deux gradés faisaient office de tueurs. Dès que nous avions franchi quelques mètres à l’intérieur du pré, nous étions abattus à coups de rafales de mitraillettes tirées dans le dos. En ce qui me concerne, j’ai été seulement blessé à la poitrine à la première rafale. J’ai fait le mort, bien que je n’avais pas perdu connaissance. Lorsque l’exécution a été terminée, les tueurs ont passé vers chaque cadavre et ont à nouveau tiré une rafale sur chacun, en somme le coup de grâce. À ce moment, j’ai reçu trois balles dans la tête. J’ai perdu connaissance et lorsque j’ai repris mes sens, je n’ai plus rien vu autour de moi ; je me suis dirigé vers une maison où j’ai reçu des soins. Un nommé Crespo Jean, demeurant à Marseille, est également rescapé de cette tuerie, il pourrait peut-être fournir plus de renseignements, car il n’a pas perdu connaissance.114
40Généralement, les victimes, détenues un temps à la prison de Montluc, sont désignées au hasard par les chefs des diverses sections du SD, chargées dans un camion escorté par des motocyclistes et précédé d’une ou plusieurs voitures d’agents de la Gestapo, et conduites à des distances variant de 20 à 50 km de Lyon dans un lieu désert et assez éloigné d’une agglomération pour y être passées par les armes115.
41Les trois Allemands détenus jusqu’en 1958 ne sont pas souvent nommés par les témoins. Et Ernest Floreck, lors des interrogatoires, nie les évidences tout en livrant de précieuses informations sur Montluc notamment quand il s’agit d’évoquer un des massacres qui retient particulièrement l’attention des enquêteurs après la Libération, celui de Saint-Genis-Laval le 20 août 1944. Ce jour-là, dans la matinée, cent vingt détenus de Montluc étaient rassemblés dans la cour de l’établissement et, après avoir eu les mains liées, étaient embarqués dans deux cars et un camion en direction du fort de Côte-Lorette situé dans la même ville. Arrivés dans l’enceinte du fort, les détenus, dont plusieurs femmes, étaient exécutés sans jugement par les Allemands à la mitraillette. Ensuite, les cadavres étaient arrosés d’essence et incendiés. Cette exécution avait été ordonnée à titre de représailles par le chef du SD de Lyon, qui avait pour adjoint Barbie, chef de la section de répression.
42Que la répression et les commémorations soient liées, on en veut pour preuve le fait qu’Ernest Floreck, alors détenu, appuie son argumentaire lors de l’instruction sur les cérémonies qui se tiennent près du site. Ainsi, en 1951, affirme-t-il :
Dans les cérémonies commémoratives de cette affaire, il a été dit […] que c’est la Wehrmacht qui a procédé aux exécutions. J’ajoute que le fait que les 110 [sic] fusillés avaient été extraits de Montluc ne signifie pas nécessairement que leur exécution soit imputable au SD car Montluc était une prison de la Wehrmacht dans laquelle étaient enfermées, non seulement les personnes arrêtées par le SD, mais aussi celles arrêtées par la Feldgendarmerie, par la Geheime Feldpolizei (police secrète de Campagne), par l’Abwehrstelle (contre-espionnage) et par la Wehrmacht elle-même. Et il y avait un commando spécial de la Wehrmacht qui était chargé de la nourriture, de l’entretien et de la garde des détenus de Montluc. Ce commando était responsable du sort des prisonniers en cas de danger.116
43Les commémorations se déroulent bien alors que les détenus, et notamment les Allemands, se trouvent encore à Montluc. Elles s’adressent tant aux victimes qu’aux bourreaux. La prison a acquis une connotation nouvelle, celle de l’infamie. Dès lors, le présent peut venir trébucher sur le passé, comme lorsqu’un ancien détenu des années 1940 est de nouveau détenu au début des années 1950.
Montluc, « de sinistre mémoire »117
44Être emprisonné à Montluc, après 1944 et la libération du site, prend inévitablement un sens nouveau. C’est le cas lors de l’arrestation et de la détention de Lucien Benoit et de dix-huit autres militants communistes pour leur participation, le 23 mars 1950, à une manifestation en gare de Roanne destinée à stopper un train militaire acheminant des automitrailleuses et des véhicules blindés en Indochine. La manifestation, qui rassemble plusieurs centaines de personnes, est organisée par le Parti communiste français (PCF) qui, depuis 1947, se sert de la répression et de l’emprisonnement de ses membres dans un but politique118. L’affrontement oppose le PCF, qui mobilise un activisme anticolonialiste et antimilitariste pour dénoncer la guerre d’Indochine119, et le gouvernement engagé dans la logique bipolaire de la guerre froide, qui réactive son « anticommunisme » et poursuit une répression rigoureuse120. Dans ce contexte, la manifestation ne peut que dégénérer : d’après l’acte d’accusation du tribunal militaire, les policiers furent, « sans aucune provocation de leur part, […] encerclés, bousculés, piétinés, frappés à coups de poing et de pied »121, la « violente échauffourée » laissant quatorze membres des forces de l’ordre blessés. Dans ce contexte également, la répression ne peut qu’être rigoureuse : dix-neuf manifestants sont arrêtés. Parmi les policiers actifs ce jour-là, on relève la présence de Maurice Chaboud, commissaire chargé du 3e arrondissement de Roanne, appelé à devenir le commissaire principal de Lyon en charge des questions nord-africaines durant la guerre d’Algérie, félicité pour ses actes de répression « énergiques ». Après l’arrestation, la justice militaire enclenche la procédure judiciaire et les manifestants sont inculpés d’« entrave violente à la circulation du matériel militaire »122. C’est l’affaire des « combattants de la liberté de Roanne », la première du genre en France123.
45Dès l’arrestation, l’affaire est politisée : non seulement les militants incarcérés et leurs soutiens à l’extérieur s’appuient sur des techniques de riposte classiques au sein du PCF (acte « illégal » assumé, dénonciation des dangers de la politique gouvernementale), mais ils font de la mémoire un argument de poids. Ainsi, dans le secret des premières auditions, Lucien Benoit présente ses motivations, d’abord de manière classique : « Je précise que je m’étais rendu à la manifestation pour y exercer ma profession [journaliste]. J’étais aussi partisan de cette manifestation ; je suis partisan de la paix, contre la guerre du Vietnam, contre la guerre atomique, contre les préparatifs de guerre qui se multiplient. Il est de notre devoir de faire tout pour empêcher la guerre »124. Membre des Combattants de la paix et de la liberté125, il proteste tout autant contre les guerres coloniales que contre les possibles conséquences de la guerre froide126. Ensuite, à côté de camarades qui comptent un déporté, un interné, deux prisonniers de guerre, un grand invalide de la Résistance, lui peut rappeler qu’il est un ancien de Montluc : « J’ai été emprisonné à Montluc pendant l’Occupation. Beaucoup de mes camarades sont morts en déportation. Je suis contre le retour de la guerre et c’est pourquoi j’étais aussi de cœur avec cette manifestation »127. Nouant en lui les différents âges de la prison et disposant de la sorte d’une « identité stratégique » aux yeux de son parti128, il favorise un processus d’« héroïsation » et, par conséquent, une mobilisation d’envergure. Les journaux communistes La République de Lyon, La Voix du Peuple ou encore Le Patriote auquel Lucien Benoit appartient, relayent son histoire pour mieux dénoncer la répression actuelle :
Sur le mur gris de la prison Montluc, la plaque de marbre rappelle que derrière les pierres de taille, des hommes furent prisonniers de la Gestapo : « En souvenir de tous ceux qui ont été emprisonnés et ont souffert, victimes de la barbarie nazie ». Quelle dérision cette plaque à la porte de la forteresse… M. Lucien Benoit, correspondant de notre confrère Le Patriote, à Roanne, est incarcéré dans la sinistre prison pour la seconde fois. Il est de « ceux qui ont été emprisonnés et ont souffert ». Sous l’Occupation, M. Lucien Benoit resta deux ans dans cette même prison, avant d’être dirigé sur un camp de concentration et de s’évader en 1943 pour reprendre le combat clandestin.
46L’histoire véhiculée en 1950 est tordue pour maximiser l’effet voulu : Lucien Benoit a bien été détenu à Montluc, mais sous les ordres de Vichy – il est un détenu parmi les centaines de personnes jugées par le tribunal militaire de Lyon pour « activité communiste » entre 1940 et 1942129 – non sous ceux de la Gestapo. Il n’empêche. Il faut dénoncer Montluc car, à travers cette dénonciation, il devient possible tout à la fois d’héroïser les détenus, de dénoncer la répression politico-judiciaire et d’exalter l’antimilitarisme. Montluc est un support idéal pour déclencher l’indignation. Supportées par une intense campagne médiatique, des manifestations (dont l’une le jour de la libération de Montluc), délégations, pétitions (jusqu’à 35 000 signatures) réclament la mise en liberté des détenus en mobilisant les mémoires de la seconde guerre mondiale, celles du génocide comme celles de la Résistance. Le 7 avril 1950, une délégation d’anciens déportés (FNDIRP130) du Rhône ainsi que quatre représentants des déportés de la Loire se rendent par exemple au tribunal militaire pour déposer une résolution auprès des autorités militaires, demander la libération des « dix-neuf Combattants de la paix roannais » et adresser un salut fraternel à leur « camarade Benoit »131. Montluc fait figure de haut lieu des injustices : il est signalé que « les autorités refusent de recevoir la délégation de ceux qui souffrirent dans les camps de la mort » ; il est fait référence aux coups reçus par Marius Chenaud (« On croirait lire les lettres de ceux qui sont passés dans les mains de la Gestapo. Même politique, mêmes méthodes policières »132) ; on évoque Claude Serrano et on affirme qu’il « est maintenant à Montluc où les nazis déjà enfermaient les patriotes, à Montluc où les miliciens sont leurs co-détenus ». Vichy et la Résistance sont également convoqués. D’un côté, on signale que « la répression actuelle, digne en tous points de celle de Vichy, est l’indice de la mauvaise conscience et de la faiblesse de nos gouvernements et de leur volonté de guerre »133, la complicité de l’État français dans les crimes nazis étant manifestement déjà reconnue, contrairement à l’idée d’une « surdité-cécité chronique » imposée par une vulgate créée dans les années 1970134. De l’autre, on évoque la venue de membres du Comité départemental des anciens FFI-FTP du Rhône et le refus du capitaine de les recevoir135. Pour renforcer le pathos, les articles de presse mentionnent les lettres adressées par les dix-neuf « combattants de la paix », « empreintes d’optimisme, de courage, si semblables à celles qu’écrivaient les patriotes, prisonniers de la Gestapo ». Et, pour faciliter le processus d’identification, ils s’immiscent dans la vie de leurs familles, présentent les « 24 enfants attend[a]nt la libération d’un papa ou d’une maman », reproduisent les portraits des détenus.
Figure 17. Une journée avec les familles des emprisonnés de Montluc

Source : La Voix du Peuple. Hebdomadaire lyonnais du Parti communiste français, 6 avril 1950
Figure 18. Trois des « embastillés de Montluc » : Albert Ressicaud, Marius Chenaud et François Burellier

Source : La Voix du Peuple. Hebdomadaire lyonnais du Parti communiste français, 6 avril 1950
47« Les geôles de Montluc » servent de support aux mémoires traumatiques. Le passé infuse le présent : « Il est 15 h 45. Le soleil frappe de plein fouet les murs du fort Montluc. Le silence de ce bel après-midi. Le printemps n’est rompu que par les tintements des sonnettes des tramways, bruit familier qui faisait pleurer les Lyonnais détenus à Montluc sous l’Occupation […] »136. Des manifestations se tiennent devant la prison, avec comme cris : « Libérez les dix-neuf. Les SS en prison »137. La prison est mise en alerte, des CRS sortant du fort Montluc et se positionnant en rangs serrés devant la prison138. Montluc est désormais considéré comme le « sinistre fort lyonnais »139.
48L’indignation en dehors de Montluc rejoint l’indignation dans l’enceinte de la prison. Dans ses souvenirs, Lucien Benoit évoque sa rencontre avec plusieurs criminels de guerre nazis. C’est d’abord Arthur Trutschnig, Autrichien né en 1912, ancien chauffeur de la Gestapo et tortionnaire reconnu qui, s’exprimant parfaitement en français, toujours souriant, avenant et cordial, « servait au mess des gardiens et vaquait assez librement dans la prison »140 : on le retrouve bien sur les registres d’écrou comme détenu sur mandat de dépôt le 29 mai 1947. C’est ensuite Karl Pflaum, Allemand né en 1890, ancien chef de la répression du Vercors, « vieux bonhomme qui traînait la savate à l’infirmerie », détenu à Montluc du 16 juin 1948 au 27 juin 1951. C’est enfin l’ancien gardien de la prison de Montluc qui « occupait le premier lit, à droite, dans la “baraque des Juifs”, construite dans la cour au temps où il officiait » : « C’était le seul à avoir une gueule de SS, comme on les représente, taillée à coups de serpe ». Non nommé par Lucien Benoit, il s’agit vraisemblablement de Eckert. Dans ses souvenirs, le Roannais rend compte de ces quelques échanges avec les anciens nazis autour de la notion de crimes de guerre :
Nous étions là depuis quelque temps lorsqu’il [l’ancien directeur de la prison] m’a abordé poliment dans la cour : « Monsieur Benoit, il se trouve que nous sommes, ici, logés à la même enseigne. Je voulais vous dire, au nom de mes camarades, que si vous, ou vos amis, avez besoin d’un service, vous demandez à nous ». Surprenante démarche, alors que dans le même temps, ils écrasaient de leur mépris la demi-douzaine de « collabos » encore emprisonnés. Pour peu de temps.
Trutschnigg [sic], lui, passait souvent dans le couloir, devant la porte du bureau des entrées, où j’avais trouvé un poste. Une fois, il s’arrête : « Ah, Monsieur Benoit, on a bien raison de dire : quelle saloperie de guerre ». Je n’allais pas le contredire. Il m’a refait le coup une fois – à la troisième, je ne me suis pas retenu : « Trutschnigg, n’oublie pas que nous ne sommes pas ici pour les mêmes raisons ». Nous, nous avons lutté contre la guerre menée en Indochine. Nous ne sommes pas de ceux qui ont fait Oradour. Il ne s’est pas démonté. Il m’a fait un joli sourire : « Ah, Monsieur Benoit, combien d’Oradour croyez-vous que l’armée française a déjà faits en Indochine ? ». C’était en 50, bien avant l’Algérie.
49Ce mélange des genres bouleverse la vie en détention et débouche sur une affaire (désignée à l’époque comme « l’affaire de Montluc ») dont les échos remontent jusqu’à la présidence de la République. Alors qu’une ligne administrative sépare normalement les surveillants et les détenus, et qu’une autre distingue les détenus entre eux (condamnés à mort par le tribunal militaire, criminels de guerre allemands en instance de poursuites, Français impliqués dans des affaires liées à l’Occupation, militaires poursuivis ou condamnés pour délits militaires, civils poursuivis pour des délits justiciables des tribunaux militaires), une ligne idéologique sépare désormais les individus selon leurs positionnements dans les guerres passées et présentes. Et ce, dès l’arrivée des Roannais, lesquels bénéficient d’un véritable « comité d’accueil » de la part de quelques gardiens qui portent l’un d’eux en triomphe et leur procurent un réconfort, tant moral que matériel, durant toute la durée de leur détention141.
50De très nombreux avantages leur sont en effet accordés à l’intérieur de la prison : certains gardiens leur permettent de circuler librement dans l’espace de la détention, de prendre leur repas collectivement au réfectoire quand les autres détenus le prennent en cellule, de recevoir un ravitaillement supplémentaire grâce à des gardiens qui leur assurent livraisons de chocolat et de vin, d’ouvrir des colis dépassant largement le poids autorisé, de pratiquer des loisirs autrement interdits dont la pétanque et les jeux de cartes, de bénéficier de visites allongées et aménagées au parloir grâce à un grillage découpé, d’une absence de gardiens et de fouilles favorisant les gestes de tendresse comme l’intrusion de lettres, de livres, etc.
51De nombreux contacts sont également facilités entre l’intérieur et l’extérieur. Lucien Benoit, installé au greffe, poursuit son activité de journaliste, rédige un certain nombre d’articles sur la vie en détention et l’esprit de résistance qui y règne pour Le Patriote. Des surveillants font entrer en prison des journaux communistes et des tracts dont l’un se retrouve collé sur le poêle du réfectoire. Un surveillant permet, grâce à son épouse surveillante à la prison de Saint-Joseph, de maintenir une correspondance non censurée entre les détenus hommes et femmes. Tous les Roannais sont affectés au service général et peuvent donc travailler à l’extérieur de la prison (réfection du mur d’enceinte par exemple) où des autorisations informelles leur sont accordées pour rencontrer des camarades. Ils se rendent aussi avec les surveillants dans des bistrots alentour, rencontrent leurs épouses dans les cabanes jouxtant la prison, et certains sont mêmes conduits à Roanne pour tenir une réunion politique clandestine.
Figure 19. Vues extérieures de la prison de Montluc (octobre 1950)


Source : Archives départementales du Rhône, 4266W57
52Ce régime de faveur déclenche un conflit en prison. D’un côté, des gardiens syndiqués à la CGT, dont l’un travaillait déjà à Montluc début 1943, un autre au fort jouxtant la prison durant toute la période de la seconde guerre mondiale et d’autres encore dans diverses prisons de Vichy142, prennent fait et cause pour les Roannais rejoints par quelques déserteurs ou insoumis. Outre le traitement préférentiel, cette solidarité se manifeste par une hostilité forte envers les prisonniers de l’autre guerre. C’est le cas lorsque deux gardiens revêtent la chasuble et le surplis de l’aumônier et se livrent à une « manifestation odieusement déplacée », selon les termes de la direction des services pénitentiaires du Rhône, dans le quartier des condamnés à mort : munis d’un ciboire contenant les hosties, d’un cierge, d’un missel et d’une clochette agitée violemment, ils se livrent là à un rituel de dernière communion devant les criminels de guerre143. C’est encore le cas lorsque de jeunes détenus militaires, « excités par l’équipe de Roanne »144, chantent L’Internationale, d’autres crient « À bas les collaborateurs »145 et tous assument l’héritage du Chant des partisans relayé par les Roannais dans la presse : « Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne… »146.
53De l’autre côté, de nombreux anciens collaborateurs dont Gabriel Chamolay se disent « stupéfaits de voir qu’une telle tolérance était possible dans une prison française où tous les détenus doivent être traités de la même façon »147. Ils expriment leur « malaise » ou leur « écœurement », parlent d’un « scandale » et dénoncent la partialité des gardiens face aux Roannais148. Les criminels de guerre ne sont pas en reste puisque Stengritt écrit au ministre de la Justice quand Trutschnig remarque, par sa position stratégique de cuisinier au mess jouxtant le parloir, « dans quelles conditions irrégulières les visiteurs étaient introduits auprès des inculpés »149. Les Allemands et Autrichiens ne sont toutefois pas autorisés à témoigner dans cette affaire150.
54Au final, la question n’est pas celle de comparer les incomparables conditions de détention à Montluc entre la seconde guerre mondiale et le début des années 1950, dans un contexte d’épuration et de guerre d’Indochine, mais bien de constater la redéfinition des solidarités au sein de l’espace carcéral. Au-delà des positions de chacun, les engagements passés nourrissent les affinités présentes et forment le prélude à un procès peu ordinaire.
55En effet, précédé par cette vague de mobilisations sans précédent, tout à la fois externes et internes à la prison, porté par des avocats militants, comme Me Jacquier-Cachin151, le procès des Roannais draine des « journalistes très nombreux » venus s’entasser dans la « salle exiguë » d’un tribunal militaire servant de tribune aux arguments avancés durant toute la campagne orchestrée par les militants communistes. En premier lieu, sans entrer dans les détails juridiques autour de la définition de l’entrave violente à la circulation du matériel militaire longuement débattue, ce qui est en jeu dans ce procès est la notion de délit d’opinion si fortement utilisée sous Vichy. Le commissaire du gouvernement déclare que « l’apologie de telle doctrine politique [entendre communiste] ne saurait être tolérée devant ce tribunal », rappelle que les faits « sont extrêmement graves, étant donné les circonstances internationales [entendre la guerre froide] » et recadre régulièrement les témoins qui doivent être « entendus sur des faits et non pas sur des opinions » car, justement, pour lui il ne s’agit aucunement d’un procès d’opinion152. Les avocats lui rétorquent que l’on assiste à « un procès de tendance » et, qu’au contraire, c’est bien « “un procès d’opinion” qui vient de se dérouler devant les juges du tribunal militaire ». Pour quelques témoins d’ailleurs, « un tribunal militaire n’a pas à juger des civils […], il s’agit là d’une violation de l’esprit démocratique de la Constitution ».
56En second lieu, entre le commissaire et le président du tribunal, d’une part, les avocats ou les témoins, de l’autre, se joue une définition du patriotisme au carrefour de deux guerres. Une militante des Combattants de la paix « adjure le tribunal de se montrer clément envers les accusés qui sont, dit-elle, des patriotes dont elle rappelle l’action courageuse pendant l’Occupation » ; un ouvrier roannais « déclare que les accusés sont tous de bons Français et nomme particulièrement plusieurs cheminots qui ont contribué à la libération de la patrie » ; un ancien combattant « dit combien il apprécia la valeur, le courage de plusieurs inculpés qui appartenaient à des réseaux de résistance » ; et le secrétaire général de la Fédération des cheminots évoque « les actes héroïques que les travailleurs du rail ont accomplis, tous les sacrifices qu’ils ont consentis en luttant pendant l’Occupation et plus tard en se consacrant avec une magnifique ardeur à la renaissance du chemin de fer français ». Bref, tous ces témoins rappellent les actes de résistance accomplis par les militants du parti communiste ce qui explique que, pour Lucien Benoit, « les juges militaires, qui avaient vu défiler collabos et criminels de guerre n’étaient pas très à l’aise avec nous »153. Et, pour renforcer la connivence avec le commissaire en place, les avocats de la défense lisent une lettre écrite par le colonel Faure, « officier qui a laissé par sa parfaite droiture un excellent souvenir dans la région lyonnaise [et qui] souhaite que cette affaire soit examinée avec une grande bienveillance car “l’Union des Français est plus que jamais nécessaire” ». Quant au président du tribunal, il reçoit une lettre mettant en doute ses titres militaires, l’obligeant à rappeler ses états de services dans l’armée française lors de l’ouverture du procès. Rien n’y fait : les résistances éclatées et concurrentes (gaullistes et communistes) s’affrontent dans les tribunaux à l’occasion de la décolonisation.
57Le lieu où se tient le procès accentue la mise en accusation des jurys. De manière générale, quand Me Jacquier-Cachin souligne le cas de Marie-Claude Vaillant-Couturier qui « fut arrêtée par les Allemands pour son action patriotique et déportée dans les camps de la mort, dont elle est une des rares survivantes » ou quand un jeune instituteur se souvient : « J’ai été arrêté dans une rafle semblable à celles qui se pratiquaient au temps de l’Occupation ». De manière très spécifique, quand Me Quaire évoque, en faveur des inculpés, « des ombres chères, les ombres de ceux qui ont été à cette place, qui se sont assis sur ce même banc, qui ont disparu à jamais dans les camps de la mort », ou quand Jean Gay, président de la Fédération des déportés, rappelle « qu’il y a six années, les résistants enfermés au fort de Montluc furent délivrés avec l’aide des manifestants roannais enfermés maintenant ». Enfin, le cas de Lucien Benoit est de nouveau mis en exergue dans l’enceinte même du tribunal.
58La pression aura-t-elle eu raison de la justice ? Toujours est-il que tous les inculpés sont acquittés le 26 août 1950, ce qui entraîne des réactions au plus haut niveau de l’État : le préfet du Rhône réclame des sanctions pour le président du tribunal militaire et le ministre de la Défense René Pleven demande un « examen » de l’affaire par un conseil de la magistrature154. Cette affaire exemplaire, qui témoigne de l’engagement des communistes contre le colonialisme, de la répression politique et judiciaire et du jeu multidirectionnel de la mémoire, va servir ensuite de matrice à d’autres scandales, nés cette fois durant la guerre d’Algérie.
Notes de bas de page
1 La libération de Montluc obéit à un faisceau de circonstances. On rappellera ici les tractations du cardinal Gerlier ou le rôle d’Yves Farge, commissaire de la République clandestin, qui, après le massacre de Saint-Genis-Laval, a écrit au président de la Croix-Rouge, au consul de Suède et au préfet régional du gouvernement de Vichy, priant de faire savoir aux Allemands que « les forces françaises de l’intérieur ont fait 752 prisonniers, sur le territoire de la Haute-Savoie » et « que leur vie répond d’ores et déjà de l’existence des patriotes français incarcérés à la prison Montluc ». Par ailleurs, le groupe Koenig des Forces françaises de l’intérieur (FFI), ayant reçu l’ordre le 20 août 1944 d’empêcher tout nouveau forfait des Allemands, avait posté quelques hommes autour de Montluc. Sur ces éléments : C. Vieillard, « Montluc : la prison allemande de Lyon (novembre 1942-août 1944) », Mémoire de maîtrise d’histoire (L. Douzou dir.), Université Lumière Lyon 2, 2002, p. 125. ADR (Archives départementales du Rhône), 31JB9. Libération de Montluc. Témoignage de frère Benoit.
2 La prise de conscience précoce de la Shoah et de sa spécificité est la thèse que l’on retrouve dans F. Azouvi, Le mythe du grand silence. Auschwitz, les Français, la mémoire (2012), Paris, Seuil, 2015.
3 M. Rothberg, Mémoire multidirectionnelle. Repenser l’Holocauste à l’aune de la décolonisation (2009), Paris, Éditions Pétra, 2018, p. 35.
4 Pour J. E. Young, il s’agit d’un phénomène général au sortir de la guerre : « Les premiers “mémoriaux” consacrés à l’Holocauste ne vinrent pas s’inscrire dans la pierre, le verre, ni l’acier, mais dans des récits » (J. E. Young, « Écrire le monument : site, mémoire, critique », Annales. Économies, sociétés, civilisations, no 3, 1993, p. 729) ; A. Wievorka recense cent cinquante témoignages sur le génocide entre 1945 et 1949 dans Déportation et génocide. Entre la mémoire et l’oubli (1992), Paris, Fayard/Pluriel, 2013, p. 161-190. Se reporter à la partie « Sources » à la fin de notre ouvrage (section « Autobiographies, ego-documents publiés ») pour voir la liste des ouvrages sur Montluc.
5 Les voyages organisés par les amicales d’anciens déportés ont été rendus possible dès l’après-guerre. Comme le rappelle A. Wieviorka, « ils sont prévus par le droit des anciens combattants depuis la Grande Guerre. La famille a le droit, aux frais de l’État, de faire un pèlerinage au lieu où un parent a perdu la vie » : A. Wieviorka, Auschwitz. La mémoire d’un lieu (2005), Paris, Pluriel, 2012, p. 268.
6 Le Progrès, 7 juillet 1947. Citation suivante également.
7 Archives nationales (AN), 19960148/117. Rapport des directions régionales sur le fonctionnement des établissements pénitentiaires. Lettre du directeur régional des services pénitentiaires de Lyon au ministre de la Justice, 27 mai 1948.
8 Ibid., Note pour le directeur régional des services pénitentiaires à Lyon, 29 mai 1948.
9 Le Progrès, 25 août 1949.
10 AN, 19960148/117. Lettre du directeur régional des services pénitentiaires de Lyon au ministre de la Justice, 28 juin 1958.
11 Bulletin de l’Association des rescapés de Montluc, janvier 1946.
12 Y. Coste, « Les interactions sociales au sein de la prison militaire de Montluc, 1939-1944 », Mémoire de master (I. von Bueltzingloewen dir.), Université Lumière Lyon 2, 2013, p. 142. Les statuts sont déposés le 28 septembre 1944. Le président de l’association (Alban Grateau), les deux vice-présidents (Julien Azario et Michel Méjat) sont tous anciens internés de Montluc. Fin octobre 1944, une autre association voit le jour, l’Association des anciens détenus politiques de la prison allemande de Montluc qui fusionnera avec la première le 25 septembre 1945.
13 Sur le rôle social de cette association, lire Y. Coste, « Les interactions sociales au sein de la prison militaire de Montluc, 1939-1944 », mémoire cité, p. 139-151.
14 Le Progrès, 25 août 1949. Citations suivantes également.
15 Sur l’activité de Julien Azario dans l’entre-deux-guerres : G. Massard-Guilbaud, Des Algériens à Lyon, de la Grande Guerre au Front Populaire, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 349-380.
16 Julien Azario est fait Juste parmi les Nations en 1993 par l’institut Yad Vashem de Jérusalem, dossier no 5893. D’après les informations contenues dans ce dossier, il a sauvé plusieurs Juifs de rafles certaines comme André et Jean Boccara (ainsi que leur mère), figurant sur une liste allemande de suspects à fusiller comme otages, et la famille Binik (père, mère, fille). De manière plus large, il a délivré de faux papiers à des réfractaires au Service de travail obligatoire (STO), des évadés et des résistants. En ligne : [https://yadvashem-france.org/dossier/nom/5893/]. Il est décédé en mars 1972.
17 Le Progrès, 25 août 1949.
18 A. Frossard, La maison des otages (1945), Paris, A. Fayard, 1960, p. 59.
19 Il a été reconnu Juste parmi les Nations par l’institut Yad Vashem en 1978, dossier no 1066. De nationalité suisse, il a été échangé fin octobre 1943 contre des espions nazis faits prisonniers en territoire suisse.
20 C’est ainsi que, le 5 octobre 1945, la revue Temps présent a publié un extrait de La maison des otages d’A. Frossard, centré sur la « baraque aux Juifs ». Voir F. Azouvi, Le mythe du grand silence, ouvr. cité, p. 50.
21 Le Progrès, 29 août 1949.
22 F. Azouvi relève par exemple, dans Le mythe du grand silence (p. 96-97), les nombreuses commémorations nouées autour du génocide entre 1946 et 1956 : 22 septembre 1944, pèlerinage à Drancy ; 14 mars 1945, Journée mondiale pour les déportés avec une cérémonie à la grande synagogue de la rue de la Victoire ; 30 juin 1946, dépôt au Père-Lachaise d’une urne contenant des cendres de Birkenau ; 27 février 1949, inauguration à la synagogue de la Victoire du monument du souvenir ; 18 mai 1953, pose de la première pierre du mémorial de la rue Geoffroy-l’Asnier à Paris ; 30 octobre 1956, inauguration du mémorial.
23 Le Progrès, 7 juillet 1947.
24 Archives privées Philippe Pernot (APPP), XIVe région, place de Lyon. Laissez-passer, 25 décembre 1931, il a été condamné à mort par le tribunal militaire de Lyon le 25 août 1931 pour l’assassinat d’un adjudant ; APPP, Gouvernement militaire de Lyon et XIVe région, état-major, 5 avril 1945.
25 APPP, Bel Hadj el Maafi au gouverneur militaire de Lyon, pour l’officier chargé des questions des FFI, 17 septembre 1946.
26 Après son passage à Montluc, il a été dirigé sur le camp de transit de Compiègne et placé dans un convoi à destination de Neuengamme. Il a été libéré du camp de Ravensbrück le 8 mai 1945.
27 E. B. Katz, Juifs et musulmans en France. Le poids de la fraternité, Paris, Belin, 2018, p. 172-173. D’un côté, les Juifs ont été déchus de leur citoyenneté et pourchassés, de l’autre, les musulmans, bien que toujours exclus de la nationalité française, ont été définis par un statut racial qui les considérait comme supérieurs aux Juifs et qui était « légalement similaire à celui des “aryens” », faisant l’objet d’appels du pied des nazis et du régime de Vichy.
28 À l’instar du recteur de la Grande Mosquée de Paris, « véritable modèle illustrant les conflits de loyauté, les calculs et les ambiguïtés qui sont au cœur des choix effectués par tant de musulmans dans la France occupée », dont l’attitude a oscillé « entre résistance, collaboration et accommodation » : E. B. Katz, Juifs et musulmans en France, ouvr. cité, p. 183.
29 ADR, 4475W1. Renseignements généraux (RG), Dossier personnel Bel Hadj el Maafi (no 030308). Note d’information du 6 juin 1950. D’après les RG, il « profita bien souvent de ses fonctions d’interprète auprès de la brigade nord-africaine pour faire établir de fausses cartes d’identité aux israélites marocains, notamment ceux de la commune de Saint-Fons ».
30 Frère Benoit (Henri Galdin de son nom de baptême), né en 1896, est un frère mineur de l’ordre des franciscains, installé au couvent des Buers (Villeurbanne) en 1934. Particulièrement actif dans la Résistance, il organise le sauvetage de nombreux Juifs, et informe le cardinal Gerlier du massacre de Saint-Genis-Laval en août 1944, déclenchant d’une certaine façon l’opération de libération de la prison Montluc.
31 É. F. Terroine, Dans les geôles de la Gestapo. Souvenirs de la prison de Montluc, Lyon, Éditions de la Guillotière, 1944, p. 23 et 45.
32 Pierre Mazel, « Préface », dans Raymond Leculier, À Montluc. Prisonnier de la Gestapo (1944), Lyon, Éditions BGA Permezel, 2006, p. 6.
33 Le chapitre est intitulé « Allah seul est grand » : A. Frossard, La maison des otages, ouvr. cité, p. 67-70.
34 M. Colly, « Deux semaines à Montluc, en mars 1943 », Albums du crocodile, 1945, p. 20.
35 Il s’agit essentiellement de personnes qui ne répondent pas à l’appel et dont on s’aperçoit plus tard, lors de révisions, qu’il s’agissait en fait d’enfants mort-nés.
36 Ces tirailleurs appartiennent aux Groupements de militaires indigènes coloniaux rapatriables (GMICR).
37 Expression d’H. Rousso, « L’épuration en France : une histoire inachevée », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 33, 1992, p. 95.
38 AN, F1a4022. Rapport non signé sur la situation de Lyon depuis la Libération, 19 septembre 1944, cité par Fabrice Virgili, La France « virile ». Des femmes tondues à la Libération (2009), Paris, Payot, 2019, p. 180.
39 A. Simonin, Le déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité, 1791-1958, Paris, Grasset, 2008, p. 388.
40 On peut se reporter aussi à la tripartition opérée par P. Novick, pour qui il faut distinguer : 1o Les cours martiales, sous l’autorité directe des commissaires de la République et des préfets qui « nommaient leur personnel et décidaient de leur compétence et de la procédure à suivre », juridictions dont le Conseil d’État reconnaîtra la légalité ; 2o Les tribunaux militaires « qui fonctionnaient avec un personnel militaire régulier de l’armée française et pouvaient être instaurés par les délégués militaires », et qui sont, eux aussi, des tribunaux légaux ; 3o Les juridictions spontanées mises en place par la Résistance, les cours martiales improvisées qui, elles, ne sont pas des juridictions légales. P. Novick, L’épuration française 1944-1949, Paris, Seuil, 1968, cité dans A. Simonin, Le déshonneur dans la République, ouvr. cité, p. 388.
41 F. Rouquet, F. Virgili, Les Françaises, les Français et l’épuration, Paris, Gallimard, 2018, p. 125.
42 H. Rousso, « L’épuration en France : une histoire inachevée », art. cité, p. 94.
43 On pourra comparer ces résultats avec ceux de la cour martiale de l’Isère qui siège du 2 septembre au 4 octobre 1944, période durant laquelle quinze peines capitales sont exécutées : T. Bruttmann, C. Courtecuisse, « La cour martiale de l’Isère (30 août-6 octobre 1944), La justice de l’épuration à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Association pour l’histoire de la justice éd., Paris, La Documentation française (Histoire de la justice, no 18), 2008, p. 35-44.
44 Marc Després est condamné à mort pour avoir tué, par imprudence, un de ses camarades du PPF (groupement auquel il a adhéré en novembre 1942), pour avoir arrêté, en tant que policier allemand, une vingtaine de personnes dont le sort est demeuré inconnu, et enfin pour avoir pillé l’appartement d’une de ses victimes : ADR, 394W2. Dossier Marc Després – notice individuelle, 30 septembre 1944.
45 Les expressions « juridiction militaire dite d’urgence » et « juridiction militaire régulière » sont celles d’H. Rousso, « L’épuration en France : une histoire inachevée », art. cité, p. 95.
46 La fusillade a été prévue pour les crimes contre la sûreté de l’État ou les sentences prononcées par les tribunaux militaires par l’ordonnance du 3 mars 1944.
47 En trois mois, 2 119 dossiers ont été examinés. Le tiers des détenus ont été remis en liberté, la moitié des dossiers renvoyés en cour de justice, une quarantaine déférés en cour martiale, cent cinquante remis aux autorités militaires et quelques dizaines vers les instances administratives : F. Rouquet, F. Virgili, Les Françaises, les Français et l’épuration, ouvr. cité, p. 165. Lire aussi : V. Sansico, « La cour de justice de Lyon, section du Rhône (septembre 1944-juillet 1949) », La justice de l’épuration à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Association française pour l’histoire de la justice éd., Paris, La Documentation française (Histoire de la justice, no 18), 2008, p. 45-57.
48 AJM (Archives de la justice militaire). Dossier de personnel no 2619 – Lettre d’Andrieux du 10 août 1939. Pour les citations suivantes : Note confidentielle du 16 septembre 1939 ; Relevé des notes du commandant de justice militaire Viboud, 1944.
49 AJM. Dossier Paul Marx, Relevé de notes, 1948. Citations suivantes : Témoignage de satisfaction, État français, Vichy, le 9 décembre 1942, par le général de corps d’armée secrétaire d’État à la guerre ; Fiche de renseignements recueillis concernant le lieutenant-colonel Marx. Lettre de Monsieur Vallin, avocat à la cour, vice-président de la Ligue des droits de l’homme, 1944.
50 Le Progrès, 28 août 1940.
51 AJM. Dossier Paul Marx, Fiche de renseignements recueillis concernant le lieutenant-colonel Marx. Lettre de Me Autrand, 1944.
52 AJM. Dossier François Chicon. Lettre de Chicon à M. Frenay, ministre des Prisonniers et Déportés, non datée.
53 Face à un communiste qui tient des « propos inconsidérés sur les anciens combattants », il requiert « une peine sévère contre le propagandiste de la défaite ». Le Progrès, 10 février 1940.
54 Une salve de décrets avaient pour but, entre 1939 et 1940, de prévenir le « désordre social » en contrôlant l’information qui circule sur le territoire français, en sanctionnant le « défaitisme » et en condamnant les propos portant atteinte à l’union nationale. Sur ces décrets, lire V. Sansico, La justice déshonorée. 1940-1944, Paris, Tallandier, 2015, p. 68-73. Deux exemples : le décret du 24 août 1939 autorisant « la saisie et la suspension des publications de nature à nuire à la défense nationale » ; le décret-loi du 20 janvier 1940 permettant que les propos « défaitistes » soient sanctionnés.
55 C’est l’hypothèse de Virginie Sansico, La justice déshonorée, ouvr. cité, p. 274.
56 C’est également le cas d’autres « commissaires du gouvernement », ceux qui siègent dans les chambres civiques qui se définissent par la loyauté : A. Simonin, Le déshonneur dans la République, ouvr. cité, p. 440.
57 AJM. Dossier Paul Simonin. États signalétiques.
58 La bibliographie sur cette « justice transitionnelle » est telle que nous nous permettons de renvoyer à celle en ligne constamment actualisée de l’université du Wisconsin :
[https://sites.google.com/site/transitionaljusticedatabase/transitional-justice-bibliography].
59 Les tribunaux militaires fixés par le décret du ministère de la Guerre le 16 septembre 1944 rendent la justice, dans chaque département, en se substituant aux instances populaires autoproclamées. Ils appliquent le code de justice militaire pour tous les faits et actes commis par ses soldats ou par l’ennemi : F. Rouquet, F. Virgili, Les Françaises, les Français et l’épuration, ouvr. cité, p. 126. Le transfert des étrangers vers la justice militaire est appuyé par l’arrêt Nagels (le 26 juillet 1945, la cour de justice des Basses-Pyrénées refuse de juger ce militaire allemand coupable d’espionnage) qui fait jurisprudence : A. Simonin, Le déshonneur dans la République, ouvr. cité, p. 481.
60 Ibid., p. 418.
61 Selon le texte de l’ordonnance du 26 août 1944 instituant l’indignité nationale.
62 L’indignité est une infraction pénale créée par l’ordonnance du 26 août 1944, dont la peine est la dégradation nationale. Elle « est un crime (art. 2), réprimé par une juridiction, une “section spéciale instituée auprès de chacune des cours de justice” (art. 1er) ; sanctionné par une peine nouvelle, pensée à partir de l’article 34 du code pénal et baptisée la “dégradation nationale” » (art. 10) : A. Simonin, Le déshonneur dans la République, ouvr. cité, p. 415.
63 Le Progrès, 21 octobre 1948. Il s’agit ici de Roger Serrières, musicien à la Radio française avant l’Occupation, ex-impresario, condamné pour avoir appartenu aux services de renseignements allemands.
64 Ibid., 10 décembre 1948. Il s’agit cette fois du dénonciateur de Témoignage chrétien, l’Italien Louis-Augiste Secondo Ferrarese.
65 Ibid., 7 décembre 1951.
66 Ibid., 10 juin 1947.
67 Les journalistes qualifient les grévistes de détenus jouant les « Gandhi » et l’administration pénitentiaire interdit la distribution de colis à ceux qui refusent de manger « jusqu’au moment où ils retrouveront leur appétit ».
68 Le Progrès, 15 novembre 1951.
69 C’est ce que montre aussi H. Rousso : « Ces juridictions ont été les premières à fonctionner, avant la mise en place des cours de justice, et les dernières, puisque après leur suppression en 1951, les tribunaux militaires ont jugé le reliquat des affaires en cours » : H. Rousso, « L’épuration en France. Une histoire inachevée », art. cité, p. 94.
70 AJM, TPFA de Lyon. Jugement du 30 novembre 1954. Pierre Grand. Rapport d’expertise, 1949.
71 C’est assez minoritaire puisque cela représente 1 % des jugements prononcés par les chambres civiques de la Seine : A. Simonin, Le déshonneur dans la République, ouvr. cité, p. 403.
72 Le Progrès, 1er août 1949. La loi sur la suppression des cours de justice est publiée au JO du 30 juillet 1940. Sont alors supprimées les cours de justice encore existantes à Lyon, Colmar et Toulouse. Pour Paris, ce sera le 31 décembre. Les affaires ayant fait l’objet d’une décision de renvoi sont alors transférées devant les juridictions compétentes.
73 Le commissaire du gouvernement abandonne finalement l’accusation d’indignité nationale et l’inculpé (défendu par Emma Gounot) est condamné aux travaux forcés à perpétuité.
74 Le Progrès, 25 mai 1951.
75 AJM, TPFA de Lyon. Jugement 157/157 du 1er avril 1954. Courrier de Georges Sigier.
76 Le Progrès, 9 décembre 1950.
77 Pour Anne Simonin, il est avéré que les contemporains confondaient sous l’acception d’indignité nationale le nom du crime et celui de la peine : Le déshonneur dans la République, ouvr. cité, p. 12.
78 Ibid., p. 13.
79 Le Progrès, 21 octobre 1948.
80 En avril 1951 comparaissent les membres de la milice de Grenoble (Julien Berthon, inspecteur général dans la milice, et Jean Delubac, membre d’équipe). Ils sont jugés pour une douzaine de crimes (trois fusillés, sept déportés, sept Juifs assassinés), dont l’assassinat et la déportation des membres de l’École nationale professionnelle de Voiron soupçonnés d’avoir assassiné, dans la nuit du 20 au 21 avril 1944, le chef milicien Jourdan et sa famille (sept personnes en tout).
81 Ces chiffres comprennent les contumaces.
82 Le 29 avril 1952, le tribunal militaire de Lyon le condamne par contumace à la peine de mort pour assassinats, complicité d’assassinats et d’incendies volontaires, pillages et séquestrations arbitraires, crimes commis en 1944 au cours d’opérations militaires conduites par l’armée allemande et le Sipo-SD dans le département du Jura. Le 25 novembre 1954, devant le même tribunal, il est de nouveau condamné à mort pour des crimes commis courant 1943-1944 à Lyon et dans la région lyonnaise (Valence, Chambéry, Annemasse, Aix-les-Bains, plateau des Glières, plateau du Vercors), caractérisés par des tortures infligées à de nombreux Français, des exécutions sommaires de résistants, ainsi que des fusillades d’otages et de Juifs, notamment à Saint-Genis-Laval. Sur les procès de criminels de guerre allemands, on peut se reporter aux travaux de C. Moisel, « “Des crimes sans précédent dans l’histoire des pays civilisés” : l’Occupation allemande devant les tribunaux français 1944-2001 », Occupation et répression militaires allemandes : la politique de “maintien de l’ordre” en Europe occupée, 1939-1945, G. Eismann, S. Martens éd., Paris, Autrement, 2007, p. 186-1999 ; C. Moisel, Frankreich und die deutschen Kriegsverbrecher. Politik und Praxis der Strafverfoldung nach dem Zweiten Weltkrieg, Göttingen, Wallstein Verlag, 2004.
83 Bulletin de l’Association des rescapés de Montluc, no 52, 1950.
84 Le Progrès, 11 novembre 1954. Citations suivantes (dans l’ordre chronologique) dans le même journal : 15, 25 et 26 novembre 1954.
85 Sur cette liste figurent 35 755 Allemands dont 11 111 inscrits à l’initiative des Français : F. Rouquet, F. Virgili, Les Françaises, les Français et l’épuration, ouvr. cité, p. 433.
86 Le Progrès, 10 novembre 1954.
87 Ibid., 24 novembre 1954.
88 AJM, TPFA de Lyon. Klaus Barbie […], jugement 370/370 du 25 novembre 1954. Procès-verbal (PV) Charles Goetzmann et Benamara née Hermann Jeanne. C’est le cas aussi pour des Français : il est précisé, dans le cas de l’assassin de Jean Zay (Develle) : « il a été spontané dans ses aveux, il n’est pas très intelligent. Il a été intoxiqué par la propagande antisémite de l’Action Française ». Le Progrès, 25 février 1953.
89 AJM, TM de Lyon. Helmreich Helmut, Crimes de guerre, jugement 202/3834 du 26 avril 1949. Jugements aussi des 30 janvier 1947 et 20 mai 1948.
90 H. Rousso, « Une justice impossible. L’épuration et la politique antijuive de Vichy », Annales. Économies, sociétés, civilisations, no 3, 1993, p. 766.
91 Pour A. Simonin (Le déshonneur dans la République, ouvr. cité), « l’antisémitisme, sous la qualification de racisme ou d’atteinte portée aux biens ou aux personnes des israélites selon les termes de l’époque, sera l’une des infractions les moins sanctionnées par les chambres civiques » car « Vichy n’est pas considéré comme un ennemi public, seuls les actes antisémites accomplis en liaison directe avec les Allemands seront qualifiés de “faits de collaboration” et sanctionnés » (p. 488 et 492).
92 Étudiés par F. Azouvi, Le mythe du grand silence, ouvr. cité. On verra le rôle des associations et des intellectuels actifs autour de Montluc dans les chapitres suivants.
93 Le Progrès, 10 novembre 1954.
94 Deux rafles ne sont néanmoins pas distinguées clairement. La rafle des enfants d’Izieu (Ain) le 6 avril 1944 : ce jour-là, 44 enfants et 7 adultes furent raflés par la Gestapo lyonnaise, emprisonnés à Montluc, déportés au camp de Drancy puis dirigés vers Auschwitz. 42 enfants furent conduits dans les chambres à gaz dès leur arrivée. Et la rafle de la rue Sainte-Catherine, du 9 février 1943, qui a conduit, via le fort Lamothe (et non la prison Montluc initialement prévue, du fait de sa surpopulation carcérale), 84 Juifs vers Drancy puis les camps de la mort.
95 ADR, 3267W5. Utilisation de la prison militaire Lyon-Montluc. Arrêté du commissaire de la République, Lyon, 7 septembre 1944 et Inspection générale des camps.
96 Journal France Libre Actualités, Les collaborateurs à la prison du fort Montluc, 23 septembre 1944, 46 secondes. En ligne : [http://www.ina.fr/video/AFE86002815].
97 Le Patriote, 18 octobre 1944. Cité par Fabrice Virgili, La France « virile », ouvr. cité, p. 50 et 71-72.
98 ADR, 283W84. Commission de criblage.
99 En 1945, 11 millions d’Allemands ont été capturés dont 700 000 aux mains françaises. À Lyon, nombreux sont internés au camp de prisonniers de guerre de Saint-Fons. Sur cette question : V. Schneider, Un million de prisonniers allemands en France. 1944-1948, Paris, Vendémiaire, 2011 et F. Théofilakis, Les prisonniers de guerre allemands, France, 1944-1949, Paris, Fayard, 2014.
100 Cette question a été actée lors de la « déclaration de Moscou » du 30 octobre 1943, laquelle stipulait que les nazis qui avaient commis leurs crimes dans un seul lieu seraient « ramenés sur la scène de leurs crimes et jugés par les peuples auxquels ils avaient attenté ». Lire à ce sujet : A. Wieviorka, Auschwitz. La mémoire d’un lieu, ouvr. cité, p. 46.
101 AJM, TM de Lyon. Jugement 369/4544 du 8 décembre 1950.
102 Ibid., Rapport du conseiller Vialatte de la cour d’appel de Riom, président suppléant du tribunal militaire de Lyon, sur la condamnation à mort d’Eckert.
103 AJM, TM de Lyon. Jugement 369/4544 du 8 décembre 1950. Recours en grâce concernant Eckert à monsieur le président de la République.
104 Ibid. Rapport du conseiller Vialatte de la cour d’appel de Riom, président suppléant du tribunal militaire de Lyon, sur la condamnation à mort d’Eckert. Affaire de Saint-Étienne.
105 AJM, TPFA Lyon. Jugement 370/370 du 25 novembre 1954. Acte d’accusation.
106 « Max Payot à Montluc », Le Progrès, 27 octobre 1944.
107 Témoignage de Léon Landini dans M. Ophüls, Hôtel Terminus, 1988, 264 min (75-78e min), et répété lors d’un entretien personnel le 20 septembre 2018.
108 AJM, TPFA Lyon. Jugement 370/370 du 25 novembre 1954.
109 Ibid., PV Perlette Bensadoun, 12 septembre 1951.
110 Ibid., Jean Weyland à Montluc, 15 décembre 1943. Rapport de police, 14 juin 1945.
111 Ibid., PV de Marcelle Bel, 27 avril 1945. 31 ans, déportée, rapatriée. Parfois, certains n’ont pas le temps de connaître Montluc, comme cet Algérien, Mohamed Sebibit, assassiné par la Gestapo le 9 décembre 1943 dans un café cours Lafayette alors que les autres occupants sont conduits dans la prison.
112 Ibid., Exécution de 19 détenus de Montluc, le 9 juin 1944 à Communay. Rapport du colonel Belot, commandant la subdivision de Belfort au sujet de l’assassinat de son fils par des agents de la Gestapo.
113 Ibid., Enquête préliminaire. 23 exécutions sommaires le 12 juin 1944, Neuville-sur-Saône.
114 Ibid., 28 exécutions à Saint-Didier-de-Formans (Ain), 16 juin 1944. PV de Charles Perrin, secrétaire départemental des internés politiques de Saône-et-Loire, 31 janvier 1946.
115 Ibid., Rapport très secret sur l’organisation de la Gestapo de Lyon. 9 juin 1945. « Montluc : prison de tous les patriotes ».
116 Ibid., PV Ernest Floreck, 4 juin 1951.
117 AN, 19960279/64. Détenus de Montluc. Lettre de Roger Roucaute, député de l’Ardèche, et de Jean Cagne, député du Rhône, au président du Conseil, 14 juin 1956.
118 V. Codaccioni, Punir les opposants. PCF et procès politiques. 1947-1962, Paris, CNRS Éditions, 2013, p. 50. Le 6 mars 1947, le bureau politique avait décidé de ne pas voter les crédits de guerre.
119 Il organise ainsi 437 des 457 manifestations politiques qui se déroulent entre 1949 et 1952 : D. Tartakowsky, Les manifestations de rue en France, 1918-1968, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997, p. 559.
120 Dès 1947, les ministres communistes sont évincés du gouvernement et, entre 1950 et 1953, près de 800 cas judiciaires communistes sont déclenchés : V. Codaccioni, Punir les opposants, ouvr. cité, p. 139.
121 AJM, TM de Lyon. Jugement 244/4419 du 26 août 1950. Acte d’accusation.
122 À côté d’activités militantes quotidiennes, distribution de tracts, réunions d’information, des militants chevronnés déclenchent toute une série d’actions antimilitaristes « illégales », notamment contre le transport et la manutention du matériel de guerre destiné à alimenter le conflit en Indochine. L’inculpation d’« entrave à la circulation du matériel militaire » est alors rendue possible par une loi toute récente sur les sabotages. En effet, la loi du 11 mars 1950 prévoit une peine de réclusion en cas d’entrave violente à la circulation du matériel militaire. V. Codaccioni, Punir les opposants, ouvr. cité, p. 131.
123 Le procès a lieu le 26 août 1950. Parmi les autres affaires jugées en France, on relève : les « 10 de la Bocca », jugés par le tribunal de Marseille le 14 octobre 1950 ; les « 12 de Saint-Brieuc », qui comparaissent devant le tribunal militaire de Paris le 31 janvier 1951 ; et enfin, devant le même tribunal, le 15 mars 1951, les « 9 de Nantes ».
124 AJM, TM de Lyon. Jugement 244/4419 du 26 août 1950. Notes d’audience.
125 Le 22 février 1948, le PCF a créé les Combattants de la liberté, groupe composé d’une cinquantaine de résistants, devenu en juin de la même année le Mouvement de la paix et de la liberté.
126 Trois ans avant le célèbre tableau d’André Fougeron (Civilisation atlantique, 1953) qui juxtapose les trois épisodes guerriers (seconde guerre mondiale, guerre d’Indochine et guerre froide).
127 AJM, TM de Lyon. Jugement 244/4419 du 26 août 1950. Notes d’audience.
128 V. Codaccioni, Punir les opposants, ouvr. cité, p. 212. Le profil des autres inculpés et détenus facilite également la mobilisation puisque l’on relève de nombreux instituteurs et professeurs, un international de Rugby, et aussi de nombreux cadres du PCF, dont Pierre Goutorbe, secrétaire de la Bourse du travail locale et Jeanne Pitaval, secrétaire locale de l’Union des femmes françaises.
129 Sylvain Philippon, qui a étudié les registres d’écrou de la période 1939-début 1943, relève 463 personnes arrêtées pour activité communiste (25 personnes sous la IIIe République et 438 sous Vichy) soit 15,2 % du registre. S. Philippon, « La prison militaire de Montluc sous le régime de Vichy », Mémoire de master (J. Solchany dir.), Université Lumière Lyon 2, 2020, p. 77.
130 « Fondée le 7 octobre 1945, la Fédération nationale des déportés et internés et patriotes – rebaptisée Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes (FNDIRP) le 11 janvier 1946 –, proche du PC, chercha à rassembler l’ensemble des déportés, qu’ils fussent résistants ou raciaux à l’exclusion toutefois des droits communs. Forte de 5 000 à 10 000 adhérents, elle se battit fort logiquement pour que la distinction entre ces deux catégories soit abolie. Défendant le principe “à égalité de préjudice, égalité de réparation”, elle réclama également que les mesures d’indemnisation soient étendues aux déportés ou internés d’origine étrangère » : O. Wieviorka, La mémoire désunie. Le souvenir politique des années sombres, de la Libération à nos jours, Paris, Seuil, 2010, p. 82. À cette époque, la catégorie « déportés et internés politiques » regroupe aussi bien les otages que les raflés et les Juifs : F. Azouvi, Le mythe du grand silence, ouvr. cité, p. 85.
131 La République de Lyon, 7 avril 1950.
132 La Voix du Peuple, 6 avril 1950. Citation suivante également.
133 Le Patriote, 12 avril 1950.
134 P. Laborie, Le chagrin et le venin. Occupation. Résistance. Idées reçues (2011), Paris, Gallimard, 2014, p. 24.
135 La République de Lyon, 5 avril 1950.
136 La République de Lyon, 7 avril 1950.
137 Le Patriote, 31 mars 1950.
138 Ibid. : « Des milliers de Lyonnais manifestent devant le fort Montluc. Une fois de plus, la police intervient avec brutalité ».
139 La République de Lyon, 2 avril 1950.
140 L. Benoit, Histoire de prison du maquis et d’ailleurs, Lyon, Aléas, 2006, p. 161-162. Citations suivantes également.
141 ADR, 4266W57. Affaire concernant des fonctionnaires pénitentiaires (dite « affaire Montluc »).
142 C’est le cas du surveillant le plus actif dans le soutien aux Roannais, Georges Vabre qui, entré dans l’administration pénitentiaire en 1930, a travaillé durant la seconde guerre mondiale dans les prisons de Caen, Argentan, Bazas et Castres.
143 ADR, 4266W57. PV Émile Bosc (gardien), 23 octobre 1950. Et le commissaire divisionnaire au directeur des services de la police judiciaire (PJ) à Paris, Lyon, 15 décembre 1950.
144 ADR, 4266W57. PV Jean-Louis Rognon (détenu), 16 octobre 1950.
145 ADR, 4266W57. PV Henri Masson (gardien), 28 octobre 1950.
146 Le Patriote, 22 août 1950.
147 ADR, 4266W57. PV François M., 23 octobre 1950.
148 ADR, 4266W57. PV Henri Gibelin (actes de nature à nuire à la défense nationale commis durant la seconde guerre mondiale), Lucien Vidgrain (trahison, intelligence avec l’ennemi et, au titre de responsabilité collective, de tentative d’assassinat et assassinat), 25 octobre 1950.
149 ADR, 4266W57. PV Jean-Louis Rognon (détenu), 16 octobre 1950.
150 Cette « affaire de Montluc » se termine par un procès des surveillants en correctionnelle où ils bénéficient toutefois d’un acquittement.
151 Le Progrès, 23 août 1950. Elle est la fille de Marcel Cachin, homme politique communiste et directeur de L’Humanité de 1918 à sa mort en 1958.
152 Ibid., 24, 25 et 26 août 1950. Comme les citations suivantes.
153 L. Benoit, Histoire de prison du maquis et d’ailleurs, ouvr. cité, p. 166.
154 Le procès fait l’objet d’un rapport détaillé remis au ministre de la Défense nationale, signe du suivi politique des affaires judiciaires. Et, trois jours après le procès, une réunion est organisée à Matignon pour faire le point sur l’échec de cette répression : Service historique de la Défense (SHD), 1R17-1. Document manuscrit « affaire du tribunal militaire de Lyon » (réunion à Matignon le 29 août 1950).
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