Introduction générale
Prison, mémoire, solidarité
p. 9-22
Texte intégral
Notre époque est pleine de ces noms de lieux qui n’ont pas besoin d’explication. Rien qu’à les entendre, votre cœur cesse de battre une fraction de seconde.
— Howard Zinn, L’impossible neutralité. Autobiographie d’un historien et militant
La victime, le témoin et les différentes formes de la reconnaissance
1Retour à Montluc. En 2012, Mostefa Boudina revient à la prison de Montluc, là où il fut enfermé après avoir été condamné à mort en 1960 par le tribunal permanent des forces armées (TPFA) de Lyon. Sénateur, président de l’Association des anciens condamnés à mort de la guerre d’Algérie et auteur d’un ouvrage autobiographique sur son incarcération dans la prison lyonnaise, il participe aux commémorations du 50e anniversaire de l’indépendance algérienne, présente son livre et visite la prison devenue Mémorial. Déambulant dans l’espace de l’exposition permanente, il interrompt brutalement le directeur du site devant un panneau sur la déportation des Juifs vers Drancy : « Mais dites-moi, je retrouve la trace de ceux qui ont souffert dans cette prison mais je ne retrouve pas la trace du passage des Algériens »1. En regard, le délégué régional des Fils et filles des déportés juifs de France, Jean Lévy, affirme vouloir « que Montluc reste uniquement un lieu de mémoire pour la seconde guerre mondiale, […] parce que notre association, son but, ses objectifs sont basés là-dessus »2. Il réaffirme, en janvier 2022, que l’Algérie ne doit « pas rentrer à Montluc, c’est incompatible avec notre pensée, nous avons promis à ceux qui sont morts dans cette prison que nous serions les vigiles contre le nazisme »3. Par l’intermédiaire de ces deux porte-paroles, le site est devenu le terrain d’une compétition mémorielle et d’un affrontement victimaire, comme il en est tant d’autres depuis la fin de la seconde guerre mondiale entre les victimes du nazisme, de la colonisation ou encore de l’esclavage. Il est pourtant d’autres voix, plus discrètes.
2Souvenirs de Montluc. En 2013, Salah Khalef refuse de prendre part à la délégation pilotée par Mostefa Boudina et chargée de venir visiter Montluc, cette prison où, après avoir été condamné à mort par le même tribunal en 1961, il a été détenu jusqu’à l’indépendance de son pays. Ancien député, président à Sétif de l’antenne locale de l’Association des anciens condamnés à mort de la guerre d’indépendance algérienne, et auteur en 1976 d’un article autobiographique sur son incarcération à Montluc, il préfère accueillir dans son bureau un historien. Mettant entre parenthèses son triple statut – homme politique en retraite, responsable d’association, ancien condamné – il refuse la double posture de victime et de porte-parole et lui préfère celle de témoin. La volonté de reconnaissance est alors délaissée au profit de la connaissance :
Je prends conscience qu’on doit vous aider. Quoi que vous disiez. Si vous faites des révélations, même si elles nous portent préjudice, c’est un devoir, on doit vous aider. Moi, personnellement, je ferai tout mon possible pour ramener les gens que vous vous voulez voir. Depuis hier, je remonte l’histoire. C’est toute la nuit.
Cette position rejoint celle d’un ancien détenu de la période allemande, André Frossard, qui écrivait dès 1945 :
Ils sont presque tous morts, les bons compagnons. […] Dieu me garde de parler en leur nom ! Je n’en ai pas reçu le mandat, ni personne. Il y a une certaine manière de le faire qui relève de la captation d’héritage. Le message de ceux qui ne sont plus est plus haut que nos pensées… […] La mémoire des morts n’a pas à courir le risque de ses humaines incertitudes. Elle n’a pas à supporter les défaillances des vivants.4
Par ailleurs, André Frossard rend compte dans son ouvrage de l’exécution d’un résistant algérien par les nazis dans la cour de Montluc et Salah Khalef inscrit sa trajectoire dans celles d’anciens résistants anticoloniaux ou anti-nazis emprisonnés entre 1943 et 1944. Par l’intermédiaire de ces deux anciens détenus devenus témoins, le site s’affirme, par-delà les trajectoires individuelles, tout à la fois lieu de mémoires complexes et objet d’histoire.
3On relève ici non seulement deux communautés d’expériences (les détenus de la période allemande, ceux de la période algérienne) mais aussi deux communautés mémorielles5. La première, celle de Mostefa Boudina et de Jean Lévy, peut être qualifiée de militante : portée par un objectif, structurée par une idéologie, fortement médiatisée, elle est dirigée vers l’action politique au présent. L’usage du passé est instrumental avec pour volonté clairement affichée la construction d’une mémoire collective et la captation d’une reconnaissance (donc de privilèges) en faveur d’un groupe particulier. La seconde, celle de Salah Khalef et d’André Frossard, peut être qualifiée de témoignante : façonnée à l’échelle individuelle, animée par des souvenirs personnels, partagée dans une sphère plus restreinte, elle considère la mémoire comme un matériau utile à l’écriture de l’histoire. Cette distinction entre communautés d’expériences et communautés mémorielles (militantes ou témoignantes), et surtout leur croisement offrent la possibilité de dépasser les logiques d’affrontements identitaires et victimaires – ce que certains appellent les « guerres de mémoires » – à travers une nouvelle histoire dans laquelle les victimes de divers régimes n’ont, en fait, jamais cessé de dialoguer, hier comme aujourd’hui.
Un Mémorial contesté
4Remontée de la mémoire d’un côté, plongée vers l’histoire de l’autre, donc : ces deux processus et leur relation dynamique ont été favorisés par la transformation du site de Montluc. Désaffectée en 2009, la prison a été immédiatement transformée en « haut lieu de la mémoire nationale »6. Elle fait partie du patrimoine national et, aujourd’hui, la prison se visite (22 000 visiteurs en 2015 et près de 33 000 en 2019 par exemple). À côté d’autres prisons, pénitenciers, camps7, Montluc a rejoint la liste toujours plus fournie des sites du tourisme pénal et, plus généralement, de ceux qui façonnent ce que l’on appelle désormais le tourisme sombre (dark tourism) ou le patrimoine difficile (difficult heritage)8. À l’opposé de Disneyland, « l’endroit le plus heureux du monde », ces architectures de la répression emmènent le visiteur au cœur des sites les plus tristes dans la mesure où ils ont été au cœur des violences, des guerres, des génocides9. Tous ont une fonction pédagogique : rappeler les souffrances voire le sacrifice de femmes et d’hommes ayant combattu pour de nobles causes (lutte pour la démocratie, l’indépendance, etc.) ou ayant été persécutés pour le seul motif de leurs origines religieuses ou raciales. Ainsi, lors de leur patrimonialisation, ils répondent à un cahier des charges précis : honorer une mémoire particulière. Montluc n’échappe pas à la règle. Tous les acteurs de la patrimonialisation se sont accordés sur un point : le Mémorial devait être construit autour de la période de l’Occupation quand, entre janvier 1943 et août 1944, la Wehrmacht fit de Montluc une prison militaire allemande où près de 10 000 individus (résistants, Juifs, etc.) ont été internés, avec l’appui de la Gestapo et de Klaus Barbie, avant d’être, pour nombre d’entre eux, fusillés ou déportés. Dans la droite ligne du délégué régional des Fils et filles des déportés juifs de France, le président de l’Association des rescapés de Montluc estimait, lors de la création du Mémorial, que la mémoire algérienne, pour n’être pas totalement « une mémoire accessoire », n’avait pas sa place dans la muséographie car, « si Montluc est connu, c’est d’abord parce que l’édifice a été la prison de la Gestapo »10. Le préfet du Rhône, acteur décisif de cette patrimonialisation, tranchait : Montluc commémorera Jean Moulin – comme l’indique son portrait peint sur le mur d’enceinte – et tous les détenus politiques et raciaux enfermés, déportés et tués durant l’occupation allemande – comme l’indiquent les portraits accrochés dans chaque cellule. Montluc n’a pas été transformé en musée, dont la vocation serait la mise en évidence de toutes les couches sédimentées du site, mais en Mémorial, dont l’objectif est resserré autour d’une strate particulière. Dès lors, l’occupation allemande est devenue un « souvenir-écran », lequel ne remplace pas un traumatisme par un souvenir en apparence anodin, suivant l’acception de Freud, puisque la Résistance et la Shoah se traduisent à Montluc par des milliers de morts, mais rassure la mémoire nationale en ce sens qu’il présente une France souffrante et combattante et qu’il permet, ce faisant, d’occulter d’autres visages de la même France : principalement le visage réactionnaire et antisémite de Vichy, le visage vengeur de l’épuration, le visage discriminant et raciste de l’époque coloniale.
5Comme c’est le cas pour la majorité des sites du tourisme pénal, une fois créé, le Mémorial suit sa vie propre et d’autres couches historiques, en décalage ou en résistance avec le récit officiel, ressurgissent, tant le lieu est hanté par une pluralité d’expériences11, tant les mémoires se réveillent sous l’impulsion de groupes actifs et de publics divers12. De Montluc ont naturellement émergé des mémoires plurielles qui sont entrées en concurrence dès lors que l’une d’entre elles a bénéficié de la reconnaissance officielle quand les autres ont été interdites de séjour. C’est ainsi que, lorsque le directeur du Mémorial de Montluc, également directeur de l’Office national des anciens combattants du Rhône, explique à Mostefa Boudina qu’il doit fédérer les 135 associations nées des différents conflits du xxe siècle dans le Rhône, le sénateur algérien réplique : « Vous pouvez rajouter la 136e, car nous aussi [les anciens condamnés à mort algériens] nous sommes une association »13.
6Entre 1944 et 2010, deux mémoires officielles, parmi d’autres plus souterraines, se sont donc formées, diffusées, transmises en parallèle. En France, chaque année, le 24 août, des commémorations se déroulent à Montluc en souvenir de la libération du site. En Algérie, une autre mémoire, plus discontinue, a vu le jour : quatre publications, toutes rédigées par d’anciens condamnés à mort algériens, rappellent à la fois la détention dans cette prison de nombreux militants du Front de libération nationale et l’exécution de onze d’entre eux14. Dans son article de 1976, Salah Khalef rapportait le vœu, exprimé par le dernier guillotiné, « que Montluc reste à jamais dans la mémoire de notre peuple comme un haut lieu de patriotisme et d’héroïsme »15. Ces formations mémorielles façonnées par les expériences du passé (répression de la Gestapo, répression de la colonisation) comme par celles de la « vie d’après » (en France et en Algérie), développées dans deux pays distincts à l’histoire partagée, expliquent leur télescopage en 2010, lors de l’ouverture du Mémorial. C’est en cela que l’on peut comprendre l’offensive mémorielle de Mostefa Boudina.
De la mémoire compétitive à la mémoire solidaire
7Artisans de l’histoire et partisans de la mémoire ont longtemps maintenu une logique segmentée et exclusive dans l’étude des grands conflits du xxe siècle. Du côté des historiens, les spécialistes de la seconde guerre mondiale ne s’aventurent guère sur le terrain d’autres conflits, coloniaux notamment. Et la réciproque est vraie. Pour schématiser et reprendre des terminologies nées hors de France, les Holocaust studies ne dialoguent que peu avec les colonial studies ou les post-colonial studies. Du côté des entrepreneurs de mémoire, chacun avance l’importance de son groupe quitte à s’opposer à la trop grande visibilité des autres. Le risque est alors grand de voir Montluc devenir tout à la fois un site segmenté scientifiquement, avec des études sur des périodes distinctes16, et un espace propice à la concurrence des mémoires, laquelle est parfois favorisée par les scientifiques eux-mêmes.
8Face à ces segmentations et compétitions mémorielles, de récents travaux ont mis au jour une contre-tradition, qui ressemble davantage à la démarche de Salah Khalef. Pour le chercheur en littérature comparée Michael Rothberg, de manière générale, la mémoire « suscite souvent des actes d’empathie et de solidarité inattendus »17, et, de manière plus contextualisée, dans les années d’après-guerre, « la mémoire de l’Holocauste interagit avec les héritages du colonialisme qui lui sont contemporains ». C’est ce qu’il nomme la « mémoire multidirectionnelle » ou les « nœuds de mémoire », autrement dit une interaction de différentes mémoires historiques faite de transferts entre différents lieux et différentes époques. Pour le chercheur en mémoires culturelles Max Silverman, la mémoire est de nature « hybride et dynamique »18 si bien que, dans l’immédiat après-guerre, les réfugiés qui rentraient des camps comme les victimes de la « déshumanisation coloniale » essayaient de comprendre la nature de la violence racialisée dans des logiques d’interconnexions mémorielles. C’est ce qu’il appelle la « mémoire palimpseste » ou la « mémoire composite », autrement dit une mémoire dans laquelle un événement est vu à travers un autre. Et comme Jim House l’a démontré, l’expérience personnelle facilite la compréhension des « similitudes dans la différence » tout en générant de nouvelles solidarités par-delà les lignes politiques ou ethniques19.
9Pour prendre un exemple concret, lorsque Charlotte Delbo, ancienne résistante et déportée, publie en 1961 un livre au titre ironique – Les belles lettres – destiné à contester la politique coloniale française, elle met en regard la mémoire des camps nazis et l’expérience présente de la violence dans les prisons coloniales. C’est ainsi qu’elle introduit la dernière lettre d’un condamné à mort algérien, Boucetta Hamou, à son épouse, avant son exécution à Paris en décembre 1960, en se demandant : « Combien sont montés à l’échafaud, dans la cour de la Santé, dans la cour de Montluc, combien de Français durant les années 1940, combien d’Algériens depuis 1954 ? »20. Si les « mémoires s’entraident et se prêtent mutuellement secours » à l’intérieur d’un groupe social pour lui donner une cohérence21, il apparaît que cela est aussi vrai entre groupes sociaux distincts. Après la seconde guerre mondiale, des « nappes de passé » coexistent qui, souvent, « n’ont rien à voir l’une avec l’autre » mais qui, pourtant, entrent en interaction et se transforment mutuellement, l’une des deux servant de passé à l’autre qui, à son tour, lui sert de présent22.
10Alors que l’étude des points de contact entre les différentes expériences traumatiques a principalement reposé sur les œuvres littéraires, picturales, cinématographiques ou philosophiques, considérées comme les plus aptes à rendre visibles des moments inattendus d’interactions complexes et dynamiques dans la mémoire, ce livre déplace le champ de l’analyse vers le domaine social de la vie quotidienne d’une prison et de ses détenus. Grâce à des sources (écrites ou orales) issues des mondes judiciaires et carcéraux, il montre qu’il existe aussi des lieux imprévus pour créer des solidarités transversales23. Plus particulièrement, il examine comment la justice transitionnelle – cette justice au présent qui juge le passé – croise la justice coloniale – cette justice au présent qui souhaite figer l’avenir – pour aboutir à une prison où les histoires, expériences et mémoires s’entrechoquent. Montluc est un espace où les expériences de la répression et de la domination se nouent et se transmettent : il est un milieu de mémoire, un site dans lequel la mémoire, cette force affective et effective, a un rôle fondamental dans l’expérience quotidienne des détenus, favorisant le développement de solidarités par-delà les frontières rigides de différents groupes sociaux24. C’est la transformation du site en lieu de mémoire qui déclenche une compétition mémorielle ainsi que le retrait de solidarités et le repli d’individus au sein de leurs frontières de groupes.
11Par conséquent, il ne s’agit pas, ici, de faire une histoire de la prison Montluc, mais de faire une histoire dans la prison Montluc25. En inscrivant au cœur d’un unique site les interactions de la mémoire avec une histoire en cours et en apparence distincte, ce livre propose une histoire sociale de la mémoire solidaire et multidirectionnelle. En cela, il s’intéresse à une histoire de solidarités passées (années 1945-1962) et ouvre la possibilité, après un temps de concurrences mémorielles (années 1980 à aujourd’hui), de revenir à des logiques plus constructives. Mais alors, avant de comprendre la nouveauté de la démarche, encore faut-il savoir de quoi on parle. Qu’est-ce que « Montluc » ?
Montluc, un « dispositif d’exception permanent »
12En lui-même, aujourd’hui, le lieu ne dit rien, Montluc n’appartenant même pas aux architectures dites « parlantes »26. Ce sont des murs, des pierres, des barreaux. À l’intérieur, du silence. Certes, au-dessus de la porte d’entrée est inscrit, sur un écriteau, le statut d’origine : « Prison militaire ». Certes, des impacts de balles sur le mur du chemin de ronde rappellent des fusillades et des graffitis témoignent de l’enfermement de certains détenus. Mais les archives sont ailleurs, dispersées dans des fonds un peu partout en France et à l’étranger. Les mémoires également : certaines ont été mises en forme dans des autobiographies, d’autres ont été enregistrées, d’autres encore se sont tues ou ont tout simplement disparu. Un lieu ne se souvient pas par lui-même. Il faut le faire parler, en s’appuyant sur ses murs, son administration, sa population.
13Montluc, c’est d’abord un ensemble spatial complexe. Construite en 1921, la prison est adossée à un tribunal militaire et à une caserne, le tout étant rassemblé sous le terme générique de « fort Montluc ». À l’origine, seuls les militaires étaient censés y être jugés et internés mais, dès 1939, le site est devenu un véritable dispositif répressif27. En temps de guerre puis en temps de paix, la justice militaire s’est imposée, au-delà d’un instrument de contrôle de la discipline des armées (déserteurs, insoumis, etc.), comme l’« instrument de gestion » de la défaite (traîtres, communistes, espions), de la victoire (collaborateurs, criminels de guerre), et de la domination coloniale (anticoloniaux, réfractaires, indépendantistes, soutiens aux indépendantistes)28. Et la prison, adossée au tribunal, a suivi, devenant une prison politique : Montluc s’est tôt constitué en « dispositif d’exception permanent »29, lequel s’ajoute à l’inventaire des nombreuses juridictions d’exception qui se déploient durant tout le xxe siècle en France et qui se définissent d’une part, par la compétence spécialisée et, de l’autre, par une dérogation au droit commun puisque réprimant des populations ou des individus désignés par le pouvoir politique30.
14Dès lors, traversant les régimes politiques français de la IIIe à la Ve République, en passant par Vichy (juillet 1940 - février 1943), le Gouvernement provisoire (1944), la IVe République, Montluc s’est mis à détenir, avec ou sans jugements, des femmes et des hommes qui ont comme point commun le fait qu’en temps ordinaires ils n’auraient jamais dû connaître la prison. De 1921 à 1983, date de la fin des juridictions d’exception en France, 21 709 cas ont été instruits par le tribunal militaire permanent / TPFA31. Plus précisément, entre le début de la seconde guerre mondiale et la fin de la guerre d’Algérie, 14 393 personnes ont été jugées par ce tribunal dont près de 2 300 pour des faits politiques. Et, du 17 février 1943, date à laquelle les autorités allemandes ont réquisitionné Montluc, au 24 août 1944, date de sa libération, près de 10 000 Juifs, résistants et otages ont été internés dans cette prison. Ainsi, les pics chronologiques de la détention correspondent à ces moments de fièvres politiques : Vichy, l’Occupation, l’épuration, les guerres de décolonisation.
15Si Montluc est un poste d’observation parfait pour l’étude des guerres au xxe siècle, à travers l’enfermement, la justice militaire et la répression (vichyste, nazie, coloniale), il l’est aussi pour celle des processus de transmissions mémorielles, à travers la justice transitionnelle et les projets de commémoration établis à l’échelle des individus, des groupes et de l’État. Car une lecture par strates laisserait échapper l’essentiel : les vagues successives de détenus ne se suivent pas les unes les autres. À Montluc, les histoires s’emboîtent, s’intriquent, se superposent et entrent en résonance à partir de l’automne 1944. Lorsque l’on répertorie, page après page, les actes de jugement du tribunal (archives de la justice militaire à Le Blanc), que l’on transcrit, ligne après ligne, les registres d’écrou de la prison (archives de la Défense à Vincennes, archives départementales du Rhône), que l’on compulse, boîte après boîte, les dossiers de procédure judiciaire (Le Blanc), de recours en grâce (Archives nationales à Fontainebleau) ou du fonctionnement administratif de la prison (Archives nationales à Pierrefitte), que l’on indexe, colonne après colonne, les articles de journaux quotidiens locaux (Le Progrès, Dernière Heure Lyonnaise), nationaux (Le Monde), ou militants (journaux communistes La Défense, L’Humanité, La République, Les Allobroges), que l’on observe, négatif après négatif, les photographies prises par des journalistes ou experts de la police scientifique, que l’on écoute, voix après voix, les témoignages nés d’expériences carcérales extraordinaires (enquête de terrain en France comme en Algérie), on découvre, dans le bruissement silencieux des salles d’archives et le partage généreux des salles de séjour, de nouvelles questions qui, pour être discrètes, n’en sont pas moins insistantes : qui sont ces premiers nationalistes algériens jugés en 1945 entre des criminels de guerre allemands et des collaborateurs ? Qui sont ces Allemands condamnés à mort détenus en même temps que les premiers raflés algériens, mentionnés par certaines de leurs épouses ou certains de leurs avocats ? Qui sont ces ex-miliciens évoqués par des manifestants communistes, souvent anciens résistants, arrêtés pour avoir bloqué des trains acheminant du matériel militaire en Indochine et choqués par cette coprésence ? Pourquoi les condamnés à mort algériens parlent-ils de Jean Moulin avec tant de récurrence ? Pourquoi les souvenirs de la Résistance et ceux de Vichy reviennent-ils si souvent dans la bouche des soutiens du Front de libération nationale (FLN), des manifestants communistes ou des soldats du refus ? Pourquoi parle-t-on des morts en déportation après les rafles des « Français musulmans » ? Pourquoi les objecteurs de conscience évoquent-ils tous le film de Robert Bresson sur l’évasion du résistant André Devigny ? Pourquoi les avocats de la guerre d’Algérie n’omettent-ils jamais de parler de leur rôle durant l’épuration ? Autant de questions qui témoignent, à Montluc, d’une simultanéité du non-simultané32 : dans cette prison coexistent des détenus dont l’enfermement obéit à des logiques de répression nées de guerres et de temps distincts (seconde guerre mondiale, décolonisation). Montluc est bien autre chose qu’un dispositif répressif « de plus ».
Noms de Montluc, le nom
16Montluc, c’est l’histoire d’un nom, de la puissance d’un nom qui se transmet comme un relais. Le dernier condamné à mort algérien exécuté dans la cour de la prison ne s’y est pas trompé, demandant à ses compatriotes, alors qu’il est sorti de sa cellule pour être emmené à l’échafaud un 21 janvier 1961 : « Faites que le nom de fort Montluc soit un nom inoubliable pour les générations futures »33. Avec son pouvoir d’essentialisation, de citation, d’exploration, le nom peut se déplier « exactement comme on le fait d’un souvenir »34. Par son épaisseur ou, plus exactement, son feuilleté, il est « catalysable » : il contient différentes scènes qui peuvent se fédérer jusqu’à former un récit aux liaisons étonnantes. Par conséquent, il est propice à une exploration et à un déchiffrement. Ce qui compte, alors, ce n’est pas de faire une monographie, autrement dit une histoire de Montluc qui irait de dates en dates, de cellules en cellules, de « grands hommes » en « hommes infâmes »35, mais plutôt une histoire qui regroupe les noms de Montluc pour en saisir, véritablement, le nom.
17Dans cet écosystème particulier, les expériences de la répression passée dialoguent avec les expériences de la répression présente, et les mémoires émergent, interagissent, se transforment, sont actualisées, utilisées et instrumentalisées. Parce que « la vertu des noms est d’enseigner »36, celui de Montluc a donné, à partir de la libération du site, une leçon à chaque condamné, les récits se sont transmis, ont été repris. Le résistant de la seconde guerre mondiale donne des armes à l’indépendantiste algérien. L’indépendantiste algérien donne la possibilité aux rescapés de Montluc d’évoquer les rafles de leur propre guerre. Le lieu parle de tous. Il parle à tous. Là, les détenus inscrivent leur histoire dans une généalogie résistante, dans une histoire qui les dépasse.
18Comment écrire cette histoire ? Trois partis pris méthodologiques sont adoptés ici. Le premier est celui d’étudier le site à partir du moment où, en plus d’être un lieu de répression et d’enfermement, autrement dit après la Libération (ici, le 24 août 1944), il devient le lieu de recueillement où se forment, circulent et se transmettent les mémoires de la seconde guerre mondiale. En effet, à partir de là, si la prison et le tribunal poursuivent leur activité répressive en jugeant et en enfermant simultanément tant des criminels de guerre, « traîtres » ou autres ennemis de la période 1939-1945 que des anticoloniaux ou indépendantistes des années 1950, la mémoire s’arrime aussi au site pour en faire un espace commémoratif, et donc, une véritable caisse de résonance. En étudiant la mémoire comme un passé toujours actualisé, on mesure à quel point elle a été un agent actif des processus historiques nés de la seconde guerre mondiale. Au lieu de partir d’un cadre chronologique choisi a priori qui découpe en tranches la vie des individus, notre approche replace ces derniers au centre de l’analyse : ils traversent les conflits du xxe siècle comme ils traversent Montluc. Cette traversée des temps donne sens à la vie des détenus, à Montluc, et aux luttes politiques, judiciaires et carcérales dont l’enceinte du tribunal et les murs de la prison facilitent la rémanence du souvenir.
19Le deuxième parti pris consiste à ne pas fragmenter comme à ne pas isoler le dispositif répressif mais à le replacer dans la société environnante car les scandales, avant de jaillir sur la scène publique, serpentent de manière plus ou moins souterraine. Étudier Montluc, c’est étudier une société dans sa totalité37 : la prison est connectée aux tribunaux – et notamment au tribunal militaire –, aux hôpitaux, églises (aumôniers), entreprises (enquêtes de moralité), instituts médico-légaux, cimetières, universités (cours donnés aux prisonniers), commissariats, associations, cinémas et à bien d’autres lieux encore. La prison s’inscrit même dans une histoire internationale puisque des individus de quarante-cinq pays ont été jugés et enfermés à Montluc. Ainsi, cette approche multidimensionnelle du dispositif répressif, qui englobe aussi bien le tribunal et la prison, les détenus et les gardiens, la vie quotidienne et les directives administratives et politiques, la mémoire et l’histoire, garantit une compréhension plus fine du fonctionnement tant de la justice militaire que de la prison politique, mais aussi des débats nés autour des affrontements politiques en France au xxe siècle.
20Le troisième parti pris consiste à tenir compte de la manière dont les sources (orales comme écrites) se constituent et de leur complexité. Lorsque l’on interroge les témoins ou lorsque l’on compulse les documents, on remarque que l’ordre du temps est souvent bouleversé. Le fonctionnement de la mémoire et celui des archives de la justice militaire ainsi que de la prison sont rétifs aux découpages chronologiques fixes. Les souvenirs jaillissent dans un apparent désordre quand les registres de la justice militaire ou les registres d’écrou font se succéder un traître, un appelé ayant commis un délit dans sa caserne, un objecteur de conscience, un nationaliste algérien. Au lieu de découper dans le réel, il a semblé plus pertinent de l’embrasser.
21À partir de 1944, une promesse de la Chanson des Rescapés, écrite en prison sous l’Occupation, est tenue : les morts ne sont pas oubliés. Dans un premier temps, alors qu’ils sont rappelés aux souvenirs par les commémorations, les procès de l’épuration, le cinéma, entre autres vecteurs, ils sont mobilisés autour de la lutte pour la décolonisation : les résonances, franco-françaises, sont riches de solidarités multiples. Dans un deuxième temps, au cœur de la guerre d’Algérie, la ferme volonté de cloisonner l’espace carcéral autour des condamnés à mort algériens et de leurs amis se heurte à l’impossibilité de cloisonner le temps dans cette prison dite politique. Les mots des morts circulent toujours intensément. Raflés, torturés, exécutés établissent des ponts entre passé et présent et les résonances deviennent franco-algériennes. Au passage, on remarque comment les Algériens sont devenus les ennemis les plus férocement combattus dans l’histoire de la justice militaire française. On note aussi comment l’expérience de la période allemande se construit comme une expérience incomparable, ce qui ne facilite pas le processus de reconnaissance d’autres victimes dont celles de la période coloniale. Dans un dernier temps, une fois les indépendances actées et jusqu’à aujourd’hui, les morts sont dissociés : ceux de la seconde guerre mondiale comme ceux de la guerre d’Algérie poursuivent leurs carrières séparément et deviennent l’objet de compétitions mémorielles. Le refrain de la Chanson des Rescapés, chanté durant toute la période de la décolonisation, a aujourd’hui perdu quelques-unes de ces résonances les plus riches en solidarités. Écoutons-les. La vie des morts est toujours plus surprenante qu’il n’y paraît au premier regard.
Notes de bas de page
1 M. Zaoui, Retour à Montluc, 2013, 49 min 30 s.
2 J. Lévy, « Montluc entre mémoires et histoire » (vidéo 4.0.1), 2015, 16 min 10 s. En ligne : [http://www.patrimonum.fr/montluc/].
3 « À Lyon, la restauration du Mémorial de Montluc, haut lieu de mémoire, fait polémique », France 3 Auvergne Rhône-Alpes, 28 janvier 2022. En ligne : [https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/rhone/lyon/a-lyon-la-restauration-du-memorial-de-montluc-haut-lieu-de-memoire-fait-polemique-2439013.html].
4 A. Frossard, La maison des otages (1945), Paris, A. Fayard, 1960, p. 157.
5 J’adapte ici la distinction opérée par Loring Danforth et Riki Van Boeschoten dans Children of the Greek Civil War: Refugees and the Politics of Memory, Chicago, University of Chicago Press, 2011, p. 225-227. Ces chercheurs distinguent, selon les critères indiqués ci-dessus, les communautés mémorielles politiques et « expérientielles ». En opérant une disctinction entre communautés militantes et témoignantes, je souligne leurs rapports différents aux questions de transmission mémorielle : tandis que la première est plus centrée sur la mémorialisation, l’autre s’intéresse plutôt aux usages de la mémoire pour l’histoire.
6 L’inauguration du Mémorial a lieu le 14 septembre 2010.
7 Pour ne citer que quelques exemples : le pénitencier de Eastern State à Philadelphie, construit en 1829 et désaffecté en 1971, a été transformé en site touristique en 1994 ; la prison de Seodaemun à Séoul, ouverte en 1908, fermée en 1987, classée site historique en 1988 a été transformée en musée en 1998 ; ou encore Robben Island, prison devenue musée national en 1997 au large du Cap.
8 Les travaux sont désormais très nombreux sur le tourisme pénal et le patrimoine difficile. J. Lennon et M. Foley, Dark Tourism. The Attraction of Death and Desaster, Londres, Continuum, 2000 ; J. Z. Wilson, Prison. Cultural Memory and Dark Tourism, New York, Peter Land, 2008 ; W. Logan, K. Reeves éd., Places of Pain and Shame: Dealing with ‘Difficult Heritage’, Londres / New York, Routledge, 2009 ; S. Macdonald, Difficult Heritage: Negotiating the Nazi Past in Nuremberg and Beyond, Londres / New York, Routledge, 2009 ; M. Welch, Escape to Prison. Penal Tourism and the Pull of Punishment, Oakland, University of California Press, 2015 ; J. Z. Wilson, S. Hodgkinson, J. Piché, K. Walby éd., The Palgrave Handbook of Prison Tourism, Londres / New York, Palgrave Macmillan, 2017.
9 Sur cet anti-disneyland, lire plus précisément M. Welch, Escape to Prison, ouvr. cité, p. 1.
10 B. Permezel, « Un mémoire centré sur la période 1943-1944 » (vidéo 1.1.4), 8 min 24 s. En ligne : [http://www.patrimonum.fr/montluc/].
11 Cela est très bien montré dans J. E. Young, The Texture of Memory. Holocaust, Memorials and Meaning, New Haven / Londres, Yale University Press, 1993, p. 21. On peut citer ici l’exemple d’Alcatraz, forteresse de 1850 à 1909, prison militaire de 1909 à 1933, puis prison fédérale de haute sécurité jusqu’en 1964. Présentant au public un lieu d’enfermement brutal au xxe siècle, la forteresse fut occupée, lors de sa désaffection (1969-1970), par des Amérindiens souhaitant rappeler une histoire autre, celle de leur dépossession et de l’emprisonnement de certains d’entre eux au xixe siècle.
12 Nous partageons pleinement les analyses de J. E. Young, « Écrire le monument : site, mémoire, critique », Annales. Économies, sociétés, civilisations, no 3, 1993, p. 741 : « En eux-mêmes, les mémoriaux restent inertes et amnésiques, tributaires des visiteurs pour produire une mémoire, quelle qu’elle soit ».
13 M. Zaoui, Retour à Montluc, déjà cité.
14 M. Lachtar, La guillotine, Paris, Maspero, 1962 ; S. Khalef, « Fort Montluc », Récits de feu, M. Kaddache dir., Alger, SNED, 1977 ; A. Sekkaï, « Entretien avec un ancien Moudjahid, Ahmed Daouha », article en arabe, source non identifiée, 1984 (archives privées A. Daouha) ; M. Boudina, Rescapé de la guillotine, Rouiba, Anep, 2010.
15 S. Khalef, « Fort Montluc », art. cité, p. 351.
16 Les premiers travaux académiques sur Montluc se sont centrés sur la période allemande ou, plus globalement, sur la période de la seconde guerre mondiale : C. Vieillard, « Montluc : la prison allemande de Lyon (novembre 1942-août 1944) », Mémoire de maîtrise d’histoire (L. Douzou dir.), Université Lumière Lyon 2, 2002 ; Y. Coste, « Les interactions sociales au sein de la prison militaire de Montluc, 1939-1944 », Mémoire de master (I. von Bueltzingloewen dir.), Université Lumière Lyon 2, 2013 ; S. Philippon, « La prison militaire de Montluc sous le régime de Vichy », Mémoire de master (J. Solchany dir.), Université Lumière Lyon 2, 2020.
17 M. Rothberg, Mémoire multidirectionnelle. Repenser l’Holocauste à l’aune de la décolonisation (2009), Paris, Éditions Pétra, 2018, p. 37 et p. 7 pour la citation suivante.
18 M. Silverman, Palimpsestic Memory. The Holocaust and Colonialism in French and Francophone Fiction and Film, New York / Oxford, Berghahn, 2013, p. 4.
19 J. House, « Memory and the Creation of Solidarity During the Decolonization of Algeria », Yale French Studies, no 118-119, 2010, p. 15. Sur ce sujet, lire aussi : E. Kuby, Political Survivors. The Resistance, the Cold War, and the Fight against Concentration Camps after 1945, Ithaca/Londres, Cornell University Press, 2019. Pour E. Kuby, toutefois, l’engagement des résistants ou survivants n’était pas forcément (ou seulement) dû à leurs mémoires, mais plutôt à leurs loyautés politiques et idéologiques.
20 Cité par M. Rothberg, Yale French Studies, no 118-119 : « Nœuds de mémoire: Multidirectional Memory », 2010, p. 276.
21 Selon l’approche fondatrice de M. Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire (1925), Avant-propos, Paris, Albin Michel, 1994.
22 G. Deleuze, cours 66 du 12 juin 1983 – 2 – Vérité et temps. En ligne : [http://www2.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=362]. À partir du film Mon oncle d’Amérique, Deleuze démontre le jeu entre trois personnages « dont chacun brasse ses nappes de passé, les affronte à ceux des autres, là aussi dans des processus de fragmentation, de répartition, de recoupement, d’exclusion ». Il s’appuie aussi sur les films d’Alain Resnais.
23 Un camp a fait l’objet d’une enquête sur les connexions mémorielles, celui de Vught aux Pays-Bas : I. Van Ooijen, I. Raaijmakers, « Competitive or Multidirectional Memory? The Interaction between Postwar and Postcolonial Memory in the Netherlands », Journal of Genocide Research, 14:3-4, 2012, p. 463-483. Les nazis ont détenu dans ce camp, entre janvier 1943 et septembre 1944, 31 000 personnes (otages, résistants, témoins de Jéhovah), ainsi que 12 000 Juifs. Après la guerre, le camp a servi à détenir des prisonniers de guerre allemands, des collaborateurs, avant de devenir, en 1951, un lieu de vie pour des militaires moluques anciennement colonisés. Devenu lieu de mémoire de la Résistance en 1986, les Moluques ont milité pour faire reconnaître leur mémoire in situ. À la différence de Montluc, donc, ce n’est pas la poursuite de la répression qui a entraîné des intrications mémorielles.
24 Sur les « milieux de mémoires » : P. Nora, « Histoire et mémoire », Les lieux de mémoire, P. Nora dir., t. 1, La République, Paris, Gallimard, 1997, p. 15-42 ; lire aussi M. Rothberg, « Introduction: Between Memory and Memory. From Lieux de mémoire to Noeuds de mémoire », Yale French Studies, no 118-119, 2010, p. 4.
25 Autrement dit, et dans la veine des propos de Clifford Geertz, « le lieu de l’étude n’est pas l’objet d’étude. Les anthropologues n’étudient pas des villages (tribus, villes, quartiers…) ; ils étudient dans les villages » : C. Geertz, The Interpretation of Cultures, New York, Basic Books, 1973, p. 22 (je traduis).
26 L’architecture parlante consiste en une architecture qui doit se montrer, de l’extérieur, terrible : utilisation de donjons, de créneaux, etc. Elle « contribue à annoncer dès le dehors le désordre de la vie des hommes détenus dans l’intérieur et tout ensemble la férocité nécessaire à ceux préposés pour les tenir aux fers » : O. Milhaud, Séparer et punir. Une géographie des prisons françaises, Paris, CNRS Éditions, 2017, p. 154.
27 Selon la définition de M. Foucault, « un ensemble de pratiques et de mécanismes (tout uniment discursifs et non discursifs, juridiques, techniques et militaires) qui ont pour objectif de faire face à une urgence pour obtenir un effet plus ou moins immédiat », cité et résumé par G. Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Paris, Payot et Rivages, 2007, p. 20.
28 J.-M. Berlière, J. Campion, L. Lacchè, X. Rousseaux éd., Justices militaires et guerres mondiales (Europe 1914-1950), Louvain, Presses universitaires de Louvain, 2013, p. 22-23.
29 V. Codaccioni, Justice d’exception. L’État face aux crimes politiques et terroristes, Paris, CNRS Éditions, 2015, p. 19.
30 Sur cette double facette des juridictions d’exceptions, ibid., p. 11.
31 On parle de tribunal militaire permanent jusqu’en 1953 puis de tribunal permanent des forces armées.
32 Ce concept a été initié par Michel Foucault, dans son article programmatique « Des lieux autres », Dits et écrits, vol. II, 1976-1988, Paris, Gallimard, 2001, p. 1571. La réflexion a été reprise récemment par F. Hartog, Confrontations avec l’histoire, Paris, Gallimard, 2021. Cet historien définit la simultanéité du non-simultané comme « la coprésence (soudaine ou provoquée) de deux temporalités hétérogènes » (p. 70) ou « l’expérience d’une coprésence imprévue, ajoutons : troublante, souvent douloureuse, qui vient brouiller les frontières usuelles entre le passé et le présent » (p. 72).
33 Propos rapportés par S. Khalef, « Fort Montluc », art. cité, p. 351.
34 R. Barthes, « Proust et les noms », Nouveaux essais critiques, Paris, Seuil, 1972, p. 124-127 (citations suivantes également).
35 M. Foucault : « La vie des hommes infâmes », Dits et écrits, vol. II, 1976-1988, ouvr. cité.
36 R. Barthes, « Proust et les noms », art. cité, p. 133.
37 Montluc fait partie des « espaces autres », ou « hétérotopies », qui « ont la curieuse propriété d’être en rapport avec tous les autres emplacements, mais sur un mode tel qu’ils suspendent, neutralisent ou inversent l’ensemble des rapports qui se trouvent, par eux, désignés, reflétés ou réfléchis ». On retrouve ici le concept forgé par M. Foucault, « Des lieux autres », art. cité, p. 1571-1581. Pour le philosophe, parmi ces lieux absolument autres figurent les asiles, les casernes, les cimetières et bien évidemment les prisons.
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