Chapitre 6
Une démocratie sans alternance
p. 91-115
Texte intégral
1La Constitution de 1947, qui instaure une monarchie constitutionnelle et un régime parlementaire, éloigne le Japon des influences « continentales » (prussiennes) qui l’avaient marqué au xixe siècle pour le rapprocher des modèles anglo-saxons (anglais ou suédois pour la place réservée à la monarchie et l’aspect parlementaire du régime, américain pour l’autonomie locale et certains aspects du droit parlementaire1).
2En pratique, le système japonais va pourtant se distinguer de la plupart des régimes occidentaux par une absence d’alternance entre 1948 et 1993 : entre 1955 et 1993, un même parti, le Parti libéral-démocrate (PLD) est au pouvoir, une expérience démocratique qui rappelle celle de l’Italie.
3L’alternance au pouvoir, ce « transfert de rôle conduisant deux partis ou deux coalitions à vocation majoritaire à exercer tantôt le pouvoir, tantôt l’opposition »2, appelle un système partisan structuré par la compétition de partis de forces égales, élément qui a fait défaut au Japon.
4De la coexistence de deux partis de force inégale (le Parti socialiste japonais [PSJ], premier parti de l’opposition, ne parvenant jamais au pouvoir) ont découlé toutes les caractéristiques du « système de 1955 »3. Comment un système démocratique a-t-il pu produire pareil résultat ? Par quels moyens le PLD s’est-il maintenu au pouvoir si longtemps ? Fut-ce au péril de la démocratie ?
Un régime aux influences américaines et anglaises
Un lien de parenté avec le régime anglais
5Le système politique japonais a pour points communs avec le système britannique d’être une monarchie constitutionnelle et un régime parlementaire.
L’empereur
6La Constitution fait de l’empereur un symbole, celui de l’État et de l’unité nationale. L’empereur Akihito, qui a régné de 1989 à 2019, quand une loi lui a permis d’abdiquer, a pleinement rempli cette fonction. Sa présence auprès des victimes de la catastrophe de Fukushima, en mars 2011, avait beaucoup touché. En 2013, autant de Japonais respectaient (sonkeino nen) l’empereur qu’en 1973 (34,2 % contre 33,3 %), mais ils étaient plus nombreux à éprouver de la sympathie pour lui (kôkan) (35,3 % contre 20,3 %), moins nombreux à lui être indifférents (tokuni nan tomo kanjite inai) (28,4 % contre 42,7 %), et moins nombreux à éprouver de l’aversion pour lui (hankan wo motteiru) (1 % contre 2 %)4. Son fils Naruhito, qui lui a succédé en avril 2019, est apprécié : 76 % des Japonais se sentent proches de lui selon un sondage de l’Asahi5.
7L’empereur a un rôle plus effacé que le monarque anglais, qui peut être appelé à intervenir dans une crise institutionnelle6. Avec la Constitution de 1947, la souveraineté réside dans le peuple7.
8L’empereur se doit de rester apolitique :
- Il ne peut s’immiscer dans les décisions politiques. Cette approche, qui est un héritage de la Seconde Guerre mondiale, signifie que le Premier ministre, responsable devant le peuple, est le seul gouvernant et que l’empereur est tributaire du Cabinet dans l’exercice de ses prérogatives constitutionnelles, qui s’exercent à la demande ou sur recommandation du Cabinet – il a ainsi une compétence liée8.
- Ses prises de paroles ne doivent pas diviser et prêter le flanc à la critique. Les déplacements et discours de l’empereur sont ainsi contrôlés par l’Agence de la maison impériale. Akihito (ère Heisei, 1989-2019) est parvenu, en des termes feutrés mais néanmoins clairs, à exprimer ses regrets des souffrances infligées par le Japon en Asie durant la guerre. Naruhito (ère Reiwa, 2019-…) partage la fibre pacifiste de son père. Ainsi, paradoxalement, les soutiens conservateurs de la tradition impériale ne se reconnaissent pas dans les positions du personnage.
- Il ne doit faire l’objet d’aucune utilisation politique. L’audience accordée à Xi Jinping, alors vice-président, en visite au Japon en décembre 2009, sur l’intervention semble-t-il d’Ozawa Ichirô, secrétaire général du Parti démocrate, qui s’était peu avant rendu en Chine avec une délégation de 600 personnes, avait ainsi suscité une controverse.
Le Premier ministre
9Comme tout chef de gouvernement démocratique, le Premier ministre compose le gouvernement qu’il dirige (article 68) et représente la majorité dont il est issu (ou l’alliance des partis de la coalition qui contrôle la majorité des sièges), et est responsable devant la Chambre basse qu’il peut dissoudre. Le gouvernement est formé d’une majorité de parlementaires, et exclusivement de civils (article 66).
10Le Premier ministre a longtemps été une figure faible face à sa majorité, face à l’opposition, même, enfin, face à l’administration. Des réformes accomplies depuis les années 1990 ont modifié l’équilibre du régime, l’ont présidentialisé.
La Diète
11La Diète, nom donné au Parlement japonais et à quelques autres dans le monde, est l’organe suprême du pouvoir d’État selon la Constitution et est investie du pouvoir législatif (article 41, yuitsu no rippôkikan).
12Si elle contrôle de fait le processus législatif dans sa phase parlementaire face à un gouvernement qui est dépourvu de droit d’amendement9, l’initiative des lois est en revanche partagée : l’essentiel des lois débattues et adoptées est en réalité d’origine gouvernementale10.
13Les deux chambres de la Diète ont une composition démocratique, et une représentativité et des pouvoirs assez similaires : elles sont toutes deux issues d’une élection au suffrage universel direct.
14Pour l’une comme pour l’autre, c’est un mode de scrutin mixte qui est en vigueur (depuis 1994 pour la Chambre des représentants, 1982, pour la Chambre des conseillers). Tous les quatre ans, 289 des 465 membres de la Chambre des représentants (depuis 2017) sont élus pour quatre ans dans le cadre de petites circonscriptions pourvues au scrutin majoritaire uninominal à un tour (à l’anglaise) ; 176 sont élus à la représentation proportionnelle, dans le cadre de onze grandes circonscriptions11.
15La Chambre des conseillers, dont les membres sont élus pour six ans, est renouvelable par moitié tous les trois ans. De ses 245 membres (entre juillet 2019 et 2022, année où leur nombre sera porté à 248), 147 (148 à partir de 2022) sont élus dans le cadre de 45 circonscriptions de taille moyenne (les départements, généralement) au vote unique non transférable (chaque électeur a une voix dans des circonscriptions où plusieurs sièges, de 2 à 12, sont à pouvoir). Les 98 (100 à partir de 2022) conseillers restants sont élus à la proportionnelle dans le cadre d’une circonscription unique, de dimension nationale12 (scrutin que la France a utilisé pour les élections européennes jusqu’à la loi du 11 avril 200313 qui a instauré des circonscriptions régionales). Tous les trois ans est renouvelée la moitié de la Chambre, soit respectivement (par deux scrutins distincts qui se tiennent le même jour) 74 et 48 membres.
16En Italie ou en Belgique, le bicamérisme est intégral (les deux chambres ont rigoureusement les mêmes pouvoirs)14. Le bicamérisme japonais est plus proche de celui de la France ou de celui du Royaume-Uni sur ce plan15. Comme l’Assemblée nationale française, la Chambre des représentants est prééminente dans le choix du Premier ministre en cas de désaccord et pour quelques nominations (article 67 de la Constitution). La Chambre haute peut être saisie en première lecture, sauf en matière budgétaire (article 60 de la Constitution). La Chambre basse peut passer outre l’opposition de la Chambre haute en votant un texte en seconde lecture à la majorité des deux tiers des membres présents (articles 59 et 60 de la Constitution), condition difficile à satisfaire. En outre, si la Chambre des conseillers ne s’est pas prononcée sur un texte 60 jours après en avoir été saisie (ou 30 jours pour le projet de loi de finances), le texte voté par la Chambre des représentants devient définitif. La formation d’une commission mixte paritaire (CMP) peut être demandée par l’une ou l’autre des chambres. Elle est parfois impérative (la Chambre basse doit ainsi demander une CMP si la Chambre haute rejette un projet de loi de finances ou de loi de ratification d’un traité, selon l’article 85 de la loi de la Diète). Sur un texte ordinaire, la Chambre basse peut refuser une demande de création de la Chambre haute et préférer revoter le texte (article 83.2, loi de la Diète).
17En France, l’article 45 de la Constitution dispose que chaque article d’un projet (d’origine gouvernementale) ou d’une proposition de loi (d’origine parlementaire) doit avoir été adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées ; en cas de désaccord, une CMP peut être réunie à l’initiative du gouvernement. Si cette dernière ne parvient pas à un texte commun, le gouvernement peut, après une nouvelle lecture par chaque Chambre, demander à l’Assemblée de statuer définitivement (pour les lois organiques, à la majorité absolue de ses membres). L’Assemblée, dans ce cas, peut reprendre le texte de la CMP ou le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par des amendements adoptés au Sénat. Cette procédure révèle la prééminence de l’Assemblée, ainsi que la force de l’exécutif français.
18L’exécutif japonais est à l’inverse relativement faible. Kawato Sadafumi souligne les contradictions d’un système institutionnel qui fait de la Diète le premier organe de l’État et la seule détentrice du pouvoir législatif tout en adoptant le régime parlementaire : la Diète japonaise est beaucoup plus autonome à l’égard du gouvernement que le Parlement anglais16. Nous reviendrons sur ces analyses et débats institutionnels.
Des similitudes avec le régime américain
19Par ailleurs, le Japon emprunte au système américain son contrôle de constitutionnalité, la validation par les citoyens des nominations de juges, et sa décentralisation.
Le contrôle de constitutionnalité des lois
20Comme aux États-Unis, en effet, tous les tribunaux peuvent se prononcer sur la compatibilité d’une loi avec la Constitution – et tous sont liés par la jurisprudence des tribunaux supérieurs (principe stare decisis)17. Le contrôle de constitutionnalité s’exerce par voie d’exception (il ne s’agit pas d’un contrôle abstrait, par voie d’action) : le requérant, à l’occasion d’un litige, excipe de l’inconstitutionnalité d’une loi ou d’un acte, demande sa non-application à son égard parce qu’il enfreint ses droits constitutionnels. La Cour suprême a été très prudente dans l’exercice de ce contrôle de constitutionnalité.
La confirmation de la nomination des juges à la Cour suprême
21Aux États-Unis, la nomination des juges à la Cour suprême par le président doit être confirmée par le Sénat. Au Japon, ce sont les citoyens qui, lors de l’élection qui suit la nomination d’un juge à la Cour suprême par le Premier ministre, peuvent invalider son choix18.
Les élections locales
22Enfin, comme aux États-Unis19, les collectivités locales créées par la loi sur l’autonomie locale20 – to, dô, fu, ken, au niveau départemental ou régional ; shi, chô, son, au niveau municipal – sont dirigées par des personnes qui, tout comme les membres des conseils régionaux/généraux (pour reprendre la terminologie française) ou municipaux, sont élues au suffrage universel direct (article 93 de la Constitution) et ne cumulent pas leurs fonctions avec un mandat national. Ceci confère à ces exécutifs locaux un ascendant important sur les conseils qu’ils président. Ils jouissent en outre d’un levier sur le gouvernement central : la Diète ne peut adopter de loi concernant une collectivité sans l’assentiment de la population concernée, exprimé dans un referendum local (article 95 de la Constitution).
23Le vote unique non transférable est toujours utilisé au niveau local pour les membres des assemblées : les élections ont lieu dans le cadre de circonscriptions (l’équivalent des arrondissements ou cantons français) qui élisent un nombre de conseillers proportionnel à leur population. En principe, les scrutins locaux ont lieu ensemble, au mois d’avril (tôitsu senkyo), tous les quatre ans, mais l’absence de suppléants peut obliger à la tenue d’élections hors de ce calendrier.
24Pour leur part, les électeurs disposent de puissants moyens de contrôle sur leurs élus locaux en vertu de la loi sur l’autonomie locale. Par une pétition qui doit recevoir l’appui d’un élu local au moins, les électeurs inscrits sur les listes de la circonscription peuvent exiger la création, la révision, l’abolition d’un règlement municipal, ou un audit des finances locales. Ils peuvent également révoquer les maires et gouverneurs et leurs adjoints, les conseillers ou une assemblée entière, ainsi que les personnes occupant certaines fonctions (membres des commissions d’éducation, des commissions départementales de sécurité publique [kôan iinkai] et des commissions électorales)21. En pratique, nombre de pétitions (seigansho) sont soumises, des audits des finances sont demandés, mais le personnel est rarement révoqué.
25Financièrement, les collectivités dépendent cependant de l’État qui opère des transferts en leur faveur. Deux lectures des relations entre gouvernement central et gouvernements locaux sont proposées par les politologues japonais. Ide Yoshinori ou Kawanaka Jikô22 y voient une relation de contrôle vertical (suichokuteki gyôsei tôsei moderu) passant par l’administration centrale, contrôlant selon eux l’attribution des crédits. Néanmoins, Miyake Ichirô et ses coauteurs jugent cette vision trop étroite. Selon eux, le contrôle étatique s’effectue par le biais du personnel politique, les élus locaux dépendant à la fois des élus nationaux et de la direction du parti pour l’obtention de subventions. Cependant, soulignent-ils, les régions sont en mesure de mobiliser des ressources politiques au profit des élus nationaux au moment des élections, ce qui leur procure un certain pouvoir. Ces auteurs voient ainsi dans ces rapports entre État et collectivités une « compétition politique horizontale » (suiheiteki seiji kyôsô moderu) – l’échelon central demeurant plus puissant malgré tout23. Des chercheurs américains ont étudié ces relations également. Kurt Steiner souligne la dépendance financière des collectivités24, et vingt ans plus tard, Richard Samuels estime que ces dernières ont su s’organiser pour agir de concert ou gagner en influence25, se comportant comme des groupes d’intérêt.
26Les relations des deux échelons se sont rééquilibrées en faveur des régions grâce à une réforme débutée en 1999 et relancée par Koizumi Jun.ichirô (sanmi ittai kaikaku), qui a supprimé les subventions directes (hojokin) de l’État et les a compensées par un transfert progressif des prélèvements26. L’échelon local, souvent très endetté, reste cependant fortement dépendant du pouvoir central27 dont il se sent méprisé28.
27Cette construction institutionnelle a constitué l’arrière-plan de l’activité politique d’une multitude de partis avant 1955, puis de deux partis principalement après cette date et jusqu’en 1993, dans un bipartisme déséquilibré ne produisant pas d’alternance. Cette coexistence d’un parti dominant et d’une opposition faible, avec les conséquences qui en découlent, est appelée le « système de 1955 ».
La mise en place du « système de 1955 »
28Dans le contexte japonais29, un parti est hégémonique lorsqu’il dispose des deux tiers de chaque Chambre, ce qui permet (en théorie, car le cas ne s’est jamais produit) au gouvernement de réviser la Constitution ou de faire adopter ses projets en seconde lecture après leur rejet par la Chambre haute. Actuellement (avec 465 représentants en 2020), ce seuil est atteint avec 310 sièges à la Chambre basse et 164 à la Chambre haute (166 en 2022 quand la Chambre comportera 248 membres). Un parti est majoritaire s’il contrôle la moitié de la Chambre basse, déterminant le choix du Premier ministre. La majorité absolue est à 233 sièges à la Chambre basse, à 123 à la Chambre haute. L’adoption de ses textes est facilitée s’il contrôle les deux chambres. Avec une majorité renforcée (244 et 131 sièges des chambres basse et haute, respectivement), il est majoritaire dans les commissions parlementaires et choisit leurs présidents. À la majorité des deux tiers, ses élus peuvent demander la tenue d’une réunion à huis clos, exclure un membre, approuver une révision de la Constitution, demander l’ouverture ou la fermeture d’une session parlementaire, voter en seconde lecture à la Chambre basse un texte rejeté par la Chambre haute (ou sur lequel elle ne s’est pas prononcée)30.
29Un parti véto détient plus du tiers des voix et moins de la majorité, ce qui, le cas échéant, lui donne la possibilité de faire obstacle au passage de lois exigeant une majorité renforcée. Un parti d’opposition est « significatif » quand il a entre 50 et un tiers des sièges de la Chambre basse, et peut ainsi, dans le système japonais, présenter une proposition de loi ayant un impact sur les finances publiques, ou amender un texte de cette nature. Il est « mineur » quand le nombre de ses sièges à la Chambre basse se situe entre 20 et 50 (il peut présenter une proposition de loi ou amender une proposition ou un projet de loi). Il devient « marginal » en dessous de 20 sièges.
30Deux grands partis conservateurs émergent en 1945 : le Parti libéral (Jiyûtô), composé d’anciens membres de la faction Kuhara de la Seiyûkai d’avant-guerre, faction qui était dirigée par Hatoyama Ichirô, compte 46 membres à sa fondation (20, dont Hatoyama, sont « purgés ») et remporte 141 sièges aux élections de l’après-guerre en avril 1946. Un diplomate anglophile, Yoshida Shigeru, est placé à la tête du parti et forme une coalition avec le Parti progressiste (Shimpotô), l’autre grand parti conservateur. Ce dernier avait à sa naissance 273 sièges à la Chambre des représentants, généralement d’anciens membres du Minseitô et de la faction Nakajima de la Seiyûkai. Les purges en éliminèrent 238. Le parti remporte 94 sièges aux élections d’avril 1946.
31Une lutte s’engage entre Yoshida, qui ne veut pas quitter la direction du parti, et Hatoyama, qui veut la récupérer lorsqu’il réintègre la vie politique. Aux élections d’avril 1953, Yoshida perd la majorité absolue. Hatoyama et ses partisans forment en avril 1954, avec d’autres conservateurs hostiles à Yoshida (Miki Kukichi et Kôno Ichirô), le Parti démocrate du Japon (Nihon Minshutô), qui introduit avec les socialistes une motion de défiance à la suite de laquelle Yoshida démissionne.
32La gauche est également divisée. Les socialistes (Shakaitô) entrent au premier gouvernement Yoshida (mai 1946-mai 1947) puis Katayama Tetsu, leur président, gouverne durant moins d’une année après les élections de 1947. Il leur faut ensuite attendre 1994, puis 2009, pour revenir au pouvoir en coalition. Aux élections de février 1955, les partis de gauche gagnent suffisamment de sièges pour bloquer la révision constitutionnelle (67 pour l’aile droite, 89 pour l’aile gauche) : ils conserveront cette minorité de blocage jusqu’au début des années 1990.
33En octobre 1955, ces deux partis socialistes s’unissent, contraignant les conservateurs à serrer les rangs : en novembre, ils forment un parti à leur tour, sous la houlette de Hatoyama (les partis « libéral » et « libéral et démocrate » avaient respectivement 112 et 185 sièges). Aux élections suivantes, en 1958, le Parti libéral-démocrate (PLD) ainsi formé gagne 287 sièges, et le PS né de la fusion, 166.
34Ce parti qui vient de remporter les élections conservera le pouvoir sans interruption jusqu’en 1993. La période de 1955 (quand se forment ces deux grands partis) à 1993 (quand le PLD éclate, est mis en minorité par ses dissidents et perd le pouvoir) a été baptisée « système de 1955 » ou « système à un parti et demi »31. Si deux grands partis se détachent des autres, l’un l’emporte nettement sur l’autre : il est dominant, sinon hégémonique, une situation « exceptionnelle »32, qui rappelle cependant la Démocratie chrétienne (DC) italienne entre 1948 et 1994, par exemple33.
35Faut-il y voir une forme de rejet des partis, comme les culturalistes japonais aiment à le penser ? Kyôgoku Jun.ichi, futur président de l’université Joshi de Tôkyô, écrivait en effet que pour les Japonais, l’autorité devait être neutre, non partisane. La « méthode ancestrale pour parvenir à la prise de décision [devait] être le consensus »34.
36Des explications plus satisfaisantes existent vraisemblablement.
Une législation électorale favorable au PLD ?
Les effets du vote unique non transférable (VUNT) sont proportionnels
37De 1947 à 1996, le Japon a eu pour mode de scrutin aux élections générales le vote unique non transférable, introduit dès 1889, hormis une parenthèse en 1945-194635. La taille des circonscriptions a varié : petites en 1889, grandes en 1900, de nouveau petites en 1919, elles deviennent moyennes en 1925 et le restent jusqu’en 199336. La longue absence d’alternance, si surprenante en démocratie, assortie de ce système électoral peu appliqué dans le monde37, a conduit à supposer qu’il pouvait avoir avantagé le PLD. À la fin du xixe siècle, le promoteur de ce système (le général Yamagata Aritomo, du clan Chôshû, ministre de l’Intérieur en 1885-1890, Premier ministre en 1889-1891 puis en 1898-1900) entendait diviser les partis pour renforcer le gouvernement : de petites formations seraient contraintes de s’entendre ou de s’associer au gouvernement des oligarques38. Ce mode de scrutin éviterait tant la domination nette d’un parti qu’un émiettement partisan. Y a-t-il eu méprise ?
38Pour Pierre Martin, ce mode de scrutin est « le plus juste des scrutins non proportionnels » : il est le seul système non proportionnel à plusieurs sièges par circonscription où l’égalité des électeurs devant le suffrage soit respectée, car chacun a le même nombre de voix. « À cette égalité de l’électeur devant le suffrage, ce scrutin ajoute une forte proportionnalité des voix et des sièges obtenus par les partis »39. De fait, la prime accordée par le VUNT est limitée : le différentiel entre sièges et voix y est réduit (la réforme de 1994, exposée plus bas, l’a accentué)40. Compte tenu de la petite taille des circonscriptions aux élections générales (Chambre basse), un faible pourcentage des suffrages exprimés suffisait pour être élu : les petits partis pouvaient facilement remporter un siège41.
39Si ce mode de scrutin n’a pas favorisé la domination du PLD, il ne l’a pas non plus empêchée. Ses effets se sont exercés sur le PLD comme sur le PSJ, mais le premier a su les pallier. De fait, la stratégie électorale est particulièrement cruciale avec ce mode de scrutin.
La stratégie électorale est essentielle
40Pour maximiser le nombre de ses sièges avec le VUNT, un parti doit évaluer son nombre de voix potentiel, le nombre de sièges qu’il pourrait remporter et, par conséquent, le nombre de candidats optimal pour chaque circonscription, enfin répartir ses électeurs potentiels entre ces candidats de manière équilibrée afin de maximiser les chances de chacun. Aucun autre système ne peut comme lui « punir un parti d’avoir présenté un candidat trop populaire »42. Le savoir-faire du PLD était tel qu’il lui a permis de se maintenir au pouvoir en dépit de la réforme électorale de 1994 (sauf entre 2009-2012) : le mode de scrutin, en lui-même, n’est pas en cause.
41Le PSJ n’a pas eu une stratégie de maximisation des votes, ce qui aurait exigé qu’il ait un discours tourné vers la majorité de la population plutôt que vers ses électeurs convaincus, et un discours de fidélisation de ses élus, qui se divisent sur des questions idéologiques. Le PSJ a renoncé au tournant réformiste proposé en 1964 par Eda Saburô, son président, pour ne pas rivaliser avec le Minshatô (gauche libérale) créé en 196043. Alors que le PLD s’appuyait sur des valeurs positives (la croissance économique, l’alliance nippo-américaine), le PSJ ne revendiquait que des idées négatives (le rejet de l’alliance, des bases américaines, des Forces d’autodéfense)44. Entre 1955 et 1993, le PSJ pouvait gagner un siège en obtenant 20 % des votes45 et était sûr d’y parvenir grâce au soutien de la centrale syndicale Sôhyô. S’il avait changé de discours pour atteindre un électorat plus étendu, il aurait compromis ses bases sans garantie de succès sur un terrain occupé par le PLD, le Minshatô ou le Kômeitô. C’est ce qui explique qu’en 1973, les socialistes s’opposent à la réforme du mode de scrutin que le PLD veut déjà entreprendre46.
La réglementation des campagnes électorales est favorable aux sortants
42De plus, si peu de partis parviennent à s’imposer durablement à côté des deux grands avant les années 199047, c’est que les résultats des élections dépendent aussi de la législation encadrant le déroulement des campagnes et du découpage des circonscriptions.
43Or, aujourd’hui encore, la législation encadrant les campagnes, qui prohibe, par exemple, le démarchage à domicile (kobetsuhômon)48, favorise les sortants qui peuvent s’appuyer sur leurs réseaux électoraux49. Les candidats à un premier mandat, sans notoriété, peuvent difficilement se faire connaître50, à moins d’avoir, comme le Kômeitô, une catégorie propre d’électeurs : les adeptes d’une secte, la Sôkagakkai, qui a fondé ce parti en 1964. Le Kômeitô est le seul parti non né d’une scission qui ait réussi à s’imposer sur l’échiquier politique. Ce parti a gagné en importance à partir de 1999, quand il est entré au gouvernement grâce à une alliance nouée avec le PLD, alliance qui subsiste à ce jour.
44Les sortants bénéficient par ailleurs de la distinction qu’établit la loi sur les fonctions électives51 entre activités de campagne (senkyo undô), soumises à ces restrictions, et activités politiques (seiji katsudô), régies seulement par la législation sur le financement des partis. L’encadrement des campagnes a donc bénéficié au PLD, mais également aux autres acteurs en place.
Le découpage électoral a surreprésenté les campagnes
45Par ailleurs, le découpage des circonscriptions, qui surreprésente les campagnes moins peuplées et conservatrices, a avantagé le PLD. La carte électorale a été contestée dès les années 1960, mais les redécoupages qui ont eu lieu en 1964 et en 1976 pour la Chambre basse ont eu peu d’effets : si la représentation des villes était améliorée, les campagnes restaient surreprésentées en raison de l’exode rural52. En 1986, chacune des huit circonscriptions sous-représentées a obtenu un siège supplémentaire, et chacune des sept circonscriptions les plus surreprésentées en a perdu un. Néanmoins, de la fin des années 1980 aux années 1990, le différentiel de représentation se situait autour de trois : la voix d’un électeur des zones rurales, généralement fidèle au PLD, valait trois fois plus que celle d’un électeur urbain53. Le souci d’ajuster la carte électorale aux équilibres démographiques a amené une réduction du nombre de conseillers jusqu’en 2004 (les départements les moins peuplés perdant des conseillers) puis leur augmentation de 2018 à 202254 (les départements les plus peuplés en gagnant).
46Le découpage électoral a conforté la puissance du PLD, mais il n’est pas à l’origine de celle-ci. « Ce sont les réalités nationales, les idéologies, et surtout les structures socio-économiques qui ont en général l’action la plus décisive » sur les systèmes de partis55. Quelles ont été ces réalités nationales, cette idéologie, cette structure socio-économique au Japon ?
Un contexte économique, une idéologie et une structure socio-économique porteurs
Un contexte économique favorable
47Face aux communistes ou aux socialistes, dont l’idéologie prônait la lutte des classes, la révolution, la confiscation de la propriété privée, la dénonciation du traité de sécurité et le démantèlement des Forces d’autodéfense, les idées portées par le PLD convenaient davantage à la majorité de la population qui voyait son niveau de vie s’améliorer et qui percevait dans la politique du PLD une politique sociale active, une politique fiscale redistributive mais respectueuse de la libre entreprise, et qui veillait à moindre coût à la protection du Japon grâce aux États-Unis (la participation du Japon au financement des bases augmente en 1978). Pour Ian Neary, le succès du PLD s’explique ainsi, sur le plan national, par sa capacité à répandre la prospérité56. Le PLD a su prendre en compte les attentes de la population : la part des budgets consacrée à la protection sociale en atteste57.
48Pourtant, les Japonais sont demandeurs d’alternance et se détournent du PLD à partir de 1960. Stephen Johnson relève en effet que le vote conservateur n’a pas crû pendant la « haute croissance »58. De fait, il atteint son seuil maximal, de près de 58 % des suffrages exprimés, en 1960 (les élections ont lieu après la démission de Kishi Nobusuke, et la désignation d’Ikeda Hayato à la tête du parti suffit à faire oublier les désordres qui ont précédé). Le PLD paraît lent à réagir au premier choc pétrolier et à répondre aux attentes nouvelles en matière de protection sociale, d’environnement et de lutte contre la pollution59 : il perd la majorité absolue après les élections générales de 1976 et de 1979 (il la retrouve entre 1980 et 1993). Il recule également dans les scrutins locaux60 jusqu’en 1979, quand le PLD s’empare de l’agenda progressiste, appuie des candidats indépendants progressistes, et regagne ainsi des communes61. La gauche, dont les idées étaient en vogue entre 1960 et 1975, a donc eu une opportunité qu’elle n’a pas su saisir.
49L’importance des programmes dans les élections s’est accrue depuis la réforme électorale de 1994 (appliquée en 1996) qui a rendu les campagnes plus nationales et incité les élus à faire campagne pour les partis. Certes, les bureaux locaux ont parfois mis du temps à accepter un alignement sur le centre au sujet de questions d’une importance locale particulièrement aiguë, mais la tendance n’en a pas moins été nette. Le contenu des programmes (« manifestes ») permet des comparaisons entre candidats, que publie la presse, et améliore pour les électeurs la lisibilité des propositions. Les propositions de Koizumi Jun.ichirô (2001-2006), mentor d’Abe, et celles de ce dernier ont eu une importance en 2005 (« scrutin de la Poste ») et en 2012 (« Abenomics »), les électeurs votant moins par conviction, désormais, que par rejet du parti sortant ou par adhésion aux propositions du favori, lesquelles leur apparaissent comme la meilleure solution à leurs problèmes. Le sentiment d’un professionnalisme du PLD face à la confusion de la période démocrate (au sujet de la base militaire américaine de Futenma et de la catastrophe nucléaire de Fukushima en particulier62) a permis à M. Abe de conserver le bénéfice de cette impression initiale.
50Bien que la diplomatie n’ait pas sur les élections les répercussions des promesses économiques ou sociales, le contexte géopolitique a bénéficié au PLD.
Un ancrage dans le « monde libre »
51Le contexte de la guerre froide, qui a vu la gauche se diviser sur des questions idéologiques, a bénéficié au PLD. La gauche se déchire en particulier sur la répression hongroise de 1956, le schisme sino-soviétique, la révolution culturelle en Chine et l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’URSS. L’apparition d’une gauche plus libérale, « trotskiste », ou l’arme nucléaire, « capitaliste et impérialiste », ou « socialiste et défensive », font débat63. Face à ces disputes, les conservateurs offrent aux Japonais la vision rassurante d’un ancrage dans le « monde libre » et le libéralisme politique et économique.
52Aujourd’hui encore, la politique étrangère du PLD rassure les électeurs. Face à une Chine qui braque sur Taïwan quelque 2 000 missiles pouvant atteindre le Japon et qui construit des bases militaires en mer de Chine méridionale ; face à une Corée du Nord qui, nonobstant l’incertain processus en cours, perfectionne ses techniques de miniaturisation pour créer des ogives nucléaires ; face à une Russie qui envahit l’Ukraine (2014), s’impose en maître du jeu en Syrie, et déploie des batteries antimissiles sur Kunashiri (« territoire du Nord » qu’elle ne veut pas rendre) ; face à une Corée du Sud en quête d’identité qui nourrit son sentiment national d’un anti-japonisme toujours résurgent ; face à un Donald Trump imprévisible, Abe apparaissait posé, ferme et habile.
53Les démocrates (2009-2012) n’ont su que remettre en question la présence militaire américaine à Okinawa en 2009 pour faire machine arrière ensuite, ont dû gérer deux crises dans les relations avec la Chine, ne se sont pas saisis comme le PLD de la question des citoyens japonais kidnappés par la Corée du Nord en territoire japonais dans les années 1970-1980 (racchi), ont dû adopter sur la défense une position de compromis qui masquait mal leurs divergences de fond sur cette question cruciale. Une fois encore, les propositions, les actions du PLD apparaissent plus judicieuses, même si, sur la politique de défense (pendant la réforme de 2015 notamment), il doit compter avec la vigilance de la population.
54Mais, outre que la politique étrangère a un impact limité sur le vote64, la force du PLD a précisément été d’être un parti sans forte idéologie : « son rôle est moins de poursuivre une politique bien définie que de rendre divers services aux électeurs »65, expliquent Fukase Tadakazu et Higuchi Yôichi. C’est ce qui lui permet d’être multiclassiste. Ainsi voit-on M. Abe mener une politique néokeynésienne de relance par l’émission monétaire et la dépense publique, une politique classique de soutien à la demande par les réductions d’impôts, une politique sociale d’aide aux ménages par des allocations ou tarifs réduits, de promotion du commerce par la signature d’accords de libre-échange. La division droite-gauche devient, il est vrai, caduque ailleurs également.
Une structure socio-économique
55La puissance du PLD proviendrait de l’adhésion des entreprises et de l’administration à ses politiques, idées et objectifs. Aidé par la CIA jusqu’aux années 196066, le PLD reçoit aujourd’hui encore des donations des milieux économiques (zaikai)67. Cet appui et celui de l’administration auraient assuré au PLD ses victoires. Ces acteurs non élus auraient-ils acquis trop de pouvoir, compromettant la nature démocratique du régime ?
56Selon certains auteurs, les élites politiques, administratives et économiques auraient composé une « triade gouvernante », notion inspirée par les travaux de Robert Michels68 et de Charles Wright Mills69 sur le monisme des élites et leur interpénétration. Pour Mills, les « big three » sont les élites politiques, économiques et militaires. James Wilson, lui, associe dans une « power triad » les secteurs productifs (economic producer groups), les groupes d’intérêt adverses (countervailing groups) ainsi que leurs interlocuteurs et régulateurs dans l’administration, noyau dur autour duquel gravitent des représentants des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire70.
57Au Japon, la structure monolithique du pouvoir (ichimai iwa kôzô kasetsu), ses « trois jambes pour un corps » (sanmi ittai ron), une « politique à trois faces » (san tô seiji ron)71 ont été dénoncées. « La domination conservatrice est le produit d’une triple alliance entre l’administration, les groupes d’intérêt les plus puissants et le Parti libéral-démocrate », écrivent ainsi Masumi Jun.nosuke et Robert Scalapino72. Dans cette relation triangulaire, Chalmers Johnson73, Fukui Haruhiko74 ou Roger Bowen75 font prévaloir l’administration, et Gerald Curtis76 le PLD. Les entreprises, qui obéissent aux consignes administratives, sont en mesure de faire pression sur le PLD qu’elles financent (à défaut de lui apporter massivement des voix) ; le PLD oriente l’action de l’administration et l’allocation des budgets dans un sens qui leur est favorable ; l’administration ménage les hommes politiques, mais jouit d’une expertise, de pouvoirs réglementaires étendus, et d’un prestige ancien. Elle assure la continuité des politiques publiques par-delà les changements de gouvernement et les échéances électorales qui accaparent les élus.
58Ces visions doivent être tempérées : ni le parti, ni l’administration, ni les entreprises ne constituent des entités homogènes. Le PLD est une coalition de personnalités dont les intérêts sont divergents, voire concurrents, et les opinions variées. Les grands ministères sont en rivalité et parfois même certaines directions d’un même ministère entre elles. Les demandes des groupes d’intérêt s’opposent souvent et leur force est inégale77.
59À cette vision élitiste répondent par conséquent des analyses pluralistes inspirées de la thèse polyarchique de Robert Dahl. Ce dernier retient trois modèles : la « coalition de coalitions centrée sur un leader », la « coalition de barons » et le « partage de sphères d’influence »78. Tous trois peuvent s’appliquer au Japon : avec le premier, des dirigeants élus et des responsables de groupes d’intérêt, représentant différents segments de la communauté nationale, font alliance. Un chef de l’exécutif émerge, mais derrière lui subsiste une diversité dans la représentation. Le deuxième est similaire mais aucun arbitre n’émerge et, en l’absence de toute hiérarchie, des coalitions se forment. Dans la dernière configuration, chaque politique publique est contrôlée par des leaders qui représentent les intérêts correspondants et proposent des stratégies qui leur sont adaptées. Les élites répondent ainsi à des aspirations différentes. D’autres variables peuvent intervenir dans l’interaction des acteurs de ces « sous-gouvernements »79, comme l’incompétence de l’administration ou ses ambitions80. La nature et l’équilibre des acteurs varient en outre en fonction du domaine considéré, des bénéfices à distribuer, des objectifs de l’agence de régulation81.
60Muramatsu Michio et Ellis Krauss ont proposé le concept de « pluralisme à schéma fixe » (patterned pluralism) : interviennent une pluralité d’acteurs en concurrence, non contrôlés par le gouvernement, dans un système à points d’entrée multiples82, avec les inconvénients, pressentis par Theodore Lowi83, d’un système accordant une place trop officielle aux groupes d’intérêt (« interest group liberalism », dans sa terminologie84).
61Le clientélisme que nourrit le système électoral avant 1994 va conduire les hommes politiques à se concentrer davantage sur leurs circonscriptions que sur les politiques publiques et enjeux nationaux. Ils acquièrent les compétences qui intéressent spécifiquement leurs électeurs. Dans ce contexte, l’administration sera amenée à pallier leurs lacunes, à assurer la continuité des politiques publiques (par-delà les échéances électorales), et aura un rôle d’impulsion de ces politiques, rôle que l’appareil partisan s’est réapproprié progressivement après les réformes de 1994 et 1998. Ainsi, jusqu’à la professionnalisation constatée dans les années 2000, les hommes politiques n’ont pas assumé dans le processus décisionnel le rôle qui leur incombait et qu’exigeait la démocratie.
62Pour autant, le système était-il biaisé en faveur du PLD et a-t-il contribué à son maintien au pouvoir ? En l’absence d’alternance, les interactions des différents acteurs entrant dans la composition des « sous-gouvernements » variaient peu. Les liens clientélaires qui, pour Ethan Scheiner, rendent compte du maintien au pouvoir du PLD étaient plus difficiles à remettre en cause85. Expliquer la stabilité par la stabilité est toutefois peu satisfaisant : le Parti démocrate du Japon (PDJ) a su conquérir des votes au centre et « emprunter » certains de ses clients au PLD en 200986. Leur appui n’était donc pas structurel et inaltérable. Le soutien des lobbies au PLD est plutôt la conséquence que la cause de son succès.
63Par conséquent, ni le contexte économique favorable, ni l’idéologie affichée ou la politique menée, ni le schéma décisionnel ne rendent compte en eux-mêmes des succès du PLD. Ces éléments ont pu converger pour expliquer qu’une alternance, dans les années 1970, ait été plus difficile à réaliser que dans la deuxième moitié des années 1950. Mais ils ne sont pas advenus ipso facto et ont évolué au fil du temps (qu’il s’agisse de la relation avec les États-Unis, changeante et parfois déstabilisatrice, comme en 1960, avec les réactions suscitées par la signature d’un nouveau traité bilatéral de sécurité ; de la conjoncture, moins bonne après les crises pétrolières, les accords du Plaza ou l’explosion de la bulle spéculative et immobilière ; de l’arrivée de nouveaux acteurs consécutive à des changements sociaux).
64Ces succès du PLD, au demeurant, ne sont plus que relatifs à partir des années 1960, alors même que le parti conserve le pouvoir. C’est précisément dans cette relativité qu’il faut chercher la raison de la domination libérale-démocrate : c’est la cohésion du PLD face à une opposition divisée qui a fait sa force. La cohésion de l’un et la division de l’autre s’étant produites dans le même cadre électoral, le mode de scrutin ou le processus décisionnel ne sont pas en cause.
Division de l’opposition, cohésion du PLD
65Le point clé a bien été, et demeure, la stratégie des partis face aux contraintes institutionnelles que crée le mode de scrutin (et plus généralement la législation).
66Le PLD est favorisé dès 1959 par la division de la gauche (quand le Parti démocrate-socialiste, Minshu shakaitô, plus centriste et admettant la signature du nouveau traité de sécurité avec les États-Unis, fait scission). Le Parti socialiste japonais (PSJ) devient un parti véto (entre un tiers et la majorité moins une voix). Aux élections générales de 1969, sa représentation s’effondre, passant de 140 à 90 sièges (il n’est plus que « significatif »87). De ces élections à celles de 1986 incluses, le PSJ ne détient que le quart environ des sièges. Le PLD n’engrange pas ces voix pour autant. Ce sont les autres partis d’opposition qui se renforcent à partir des élections générales de 1967, en particulier le Parti de l’ordre pur, futur Kômeitô, créé par une secte bouddhiste, la Sôkagakkai en 1961.
67De fait, rapidement, la puissance du PLD décline. Entre 1958 et 1976, le PLD détient la majorité absolue des sièges, mais aux élections générales de 1967, il ne remporte déjà plus que 48,80 % des scrutins exprimés, moins de la moitié des inscrits, contre 54,67 % au scrutin précédent, en 1963. Son pouvoir est ensuite fragile : il perd (en 1976 et 1983), puis regagne la majorité absolue (en 1980 et 1986). Le PLD ne retrouvera une majorité absolue à la Chambre basse qu’en 2005.
68À la Chambre des conseillers, le PLD perd en 1977 la majorité absolue qu’il détenait depuis 1959. Il demeure la première force politique de la Chambre, mais avec une majorité relative, gouverner lui devient difficile ; avec 109 sièges, il reste néanmoins encore bien plus puissant que le PSJ (68). En 1992, de la même manière, il se trouve fort de 107 sièges, face aux 71 du PSJ, mais n’a qu’une majorité relative. En 1998, il a 103 sièges, tandis que l’opposition, tous partis confondus, en compte 149 – le plus grand parti d’opposition est alors le PDJ (47 sièges88).
69C’est parce qu’il ne s’est pas effrité que le PLD a conservé la majorité avant 1993, et sa division le perd en 1993. Sa cohésion, son attractivité, en particulier pour les jeunes élus, qui trouvent au PLD l’appui d’une machine électorale, contribuent encore largement à lui conserver le pouvoir, avec cet élément nouveau depuis 2001 qu’est le charisme du chef, très payant en termes de popularité quand il est présent.
70Face au savoir-faire du PLD, l’effritement de l’opposition, que n’empêche pas le mode de scrutin post-1994, avec sa part proportionnelle, bénéficie aux personnalités qui, établies dans leurs circonscriptions, recherchent une visibilité nationale, ou aux jeunes élus en ascension. Ils ne peuvent cependant prétendre accéder au pouvoir qu’en s’appuyant sur la part uninominale du scrutin. Le mode de scrutin mixte permet ainsi aux petits partis d’exister, voire de prospérer soudainement, mais pour parvenir au pouvoir, ces partis doivent s’unir. La bipolarisation de la vie politique dépend ainsi de la popularité des deux grands partis : quand les grands partis sont contestés, les scissions se multiplient. À gauche, le Rikken et le Kokumin, nés en 2017 et 2019, se sont ainsi rassemblés en 2020 en un Rikken minshutô (successeur du Minshutô/Minshintô). Les deux partis avaient dans un premier temps soumis ensemble un projet de réforme du dispositif de défense89 et annoncé la fusion de leurs groupes des deux chambres (fin août 2019). Le PLD n’est pas épargné, mais son attractivité se reconstitue. Sous le régime de 1955, il permettait à des élus qui avaient remporté des élections comme indépendants de réintégrer ses rangs sans pénalité. Le parti sait faire usage de sanctions depuis Koizumi. Pour autant, les hommes politiques vont et viennent d’un parti à un autre au gré des alliances qu’ils nouent.
Encadré 1. La multiplication des partis depuis 2003
En 2003 existaient le Parti communiste (PCJ), le Parti social-démocrate (PSD), le Parti bouddhiste (Kômeitô), le Parti démocrate (PDJ) et le Parti libéral-démocrate (PLD).
Dans la perspective des élections générales de 2003, quand l’alternance était pressentie, ont eu lieu :
– la fusion du PL avec le PDJ en septembre 2003 ;
– des scissions du PLD, entraînant la formation du Nouveau parti du Japon et du Nouveau parti du peuple en août 2005 ;
– des scissions du PDJ, à l’origine de la formation du Club de la réforme en août 2008, lequel devient Nouveau parti de la réforme en avril 2010 (avec des transfuges du PLD).
– de nouvelles scissions du PLD, entraînant la création de Minna no tô (Votre parti) en août 2009, puis de Tachiagare (Redresse-toi !) en avril 2010, devenu Parti du soleil en 2012.
Dans la perspective des élections générales de 2012, quand était pressenti le retour au pouvoir du PLD, ont eu lieu :
– des scissions du PDJ, provoquant la formation de Shintô kizuna (Nouveau parti de la fraternité), Shintô daichi (NPD, ancré à Hokkaidô), Kokumin no seikatsu ga daiichi (« La vie des gens avant tout »), Midori no kaze (Le souffle vert) et Genzei nihon (Moins d’impôts).
– des ralliements à Nihon ishin no kai (Parti de la restauration, ancré à Ôsaka) de la part de membres de Minna no tô.
En 2012 existaient ainsi 16 partis.
Après la défaite du PDJ en 2017, puis dans la perspective d’une « reconquête » en 2021 :
– le Rikken minshutô (Edano Yukio) s’est séparé, en octobre 2017, du Minshutô, devenu Minshintô.
– le Kokumin minshutô a succédé ensuite au Minshintô en mai 2018.
– le Rikken minshutô et le Kokumin minshutô ont à nouveau fusionné en septembre 2020.
71Le PLD a cependant une force d’attraction qui lui vient de sa capacité à gérer la conquête et le partage du pouvoir. Son contrôle sur les factions s’exerce par sa maîtrise de la carte des candidatures au moment des élections, et par la répartition des postes qui les récompense ensuite. Il sait réguler les ambitions par une promotion doublement prévisible, qui est fonction du nombre de mandats et des équilibres factionnels. Il fait preuve de souplesse face aux candidatures indépendantes (ces candidats qui se font élire comme indépendants quand le parti n’est pas populaire ; les députés d’arrière-ban, eux, ne sont pas cléments : Ishiba Shigeru, qui a fait partie du Shinshintô en 1994, peine à devenir Premier ministre pour cette raison). Il a développé un clientélisme reposant à la fois sur les élus, les factions et le parti lui-même, les réseaux, constitués sur une base tant organisationnelle qu’individuelle, se confortant. Ces aspects seront examinés plus avant dans le chapitre suivant.
*
72Le régime mis en place est en vérité très démocratique : l’existence d’exécutifs et de corps législatifs nationaux et locaux élus au suffrage universel direct, la confirmation de la nomination des juges à la Cour suprême par les citoyens, l’introduction d’un mode de scrutin comportant de la proportionnelle (et antérieurement, d’un mode de scrutin aux effets similaires) en font un régime résolument protecteur des droits et libertés et, en ce sens, libéral.
73Le maintien ininterrompu du PLD au pouvoir tient pour partie à l’encadrement des campagnes, favorable aux sortants. Il a également été favorisé par d’autres facteurs, et notamment par le savoir-faire du PLD. Le parti a en effet su gérer habilement ses factions, ses réseaux de clientèle et, de manière générale, le pouvoir pour en faire profiter et le voir se pérenniser.
74Les factions et réseaux de clientèle ont été une force pour le PLD, mais ils ont aussi été la source de sa faiblesse : en tant qu’organisation, il était faible face aux factions et aux élus, et la corruption générée par le clientélisme l’a finalement obligé à une profonde remise en cause.
Notes de bas de page
1 En particulier l’absence de possibilité pour le Premier ministre d’amender des textes ou le rôle des commissions parlementaires par opposition à la séance plénière.
2 Jean-Louis Quermonne, Les régimes politiques occidentaux, Paris, Seuil, 1986, p. 64.
3 Masumi Jun.nosuke, « 1955 nen no seiji taisei » [Le système politique de 1955], Shisô, no 478, avril 1964, p. 55-72.
4 Dai 9 kai Nihonjin no ishiki chôsa 2013 [L’état d’esprit des Japonais, 2013, 9e sondage], NHK Hôsô bunka kenkyûjo, 2013.
5 Sondage publié le 18 avril 2019. En ligne : [https://www.asahi.com/articles/ASM4L5WQJM4HUZPS00R.html].
6 Le rôle de l’empereur japonais est semblable à celui du monarque suédois. Il reste un monarque au sens défini par Georg Jellinek, pour qui le principe monarchique se définit par la nécessité pour le monarque de consentir à la révision constitutionnelle. Philippe Lauvaux, Les grandes démocraties contemporaines, Paris, PUF, 2004, p. 635 et 627.
7 L’empereur n’a plus de pouvoir autonome en matière constituante : « l’institution impériale pourrait être abolie par la libre volonté du pouvoir constituant, qui procède de la seule souveraineté populaire », ibid., p. 627.
8 Chambre des représentants, Bureau d’investigation constitutionnelle [Shûgiin kenpôchôsakai jimukyoku], « Kokkai to naikaku no kankei (kokumin shuken to seiji no kihonkikô no arikata zenpan) ni kansuru kisoteki shiryô » [Documents fondamentaux sur les relations de la Diète et du gouvernement (Organes de la souveraineté populaire et politique : état des lieux), no 35, juillet 2003].
9 Naikaku hô [Loi sur le Cabinet no 5 du 16 janvier 1947], article 5.
10 En 2018 (sessions 196 du 22 janvier au 22 juillet 2018 et 197 du 24 octobre au 10 décembre 2018), 78 projets de loi ont été déposés, 73 adoptés ; 159 propositions de loi déposées, 29 adoptées. En ligne : [https://www.clb.go.jp/contents/all.html].
11 Le ministère des Affaires générales présente les cartes électorales. En ligne : [http://www.soumu.go.jp/senkyo/senkyo_s/naruhodo/naruhodo03.html].
12 Les tableaux 2 et 3 en annexe décrivent précisément les modes de scrutin.
13 Loi no 2003-327 du 11 avril 2003 relative à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu’à l’aide publique aux partis politiques.
14 La navette parlementaire peut par exemple se poursuivre de manière illimitée en Italie : La participation des chambres hautes à l’élaboration de la loi, Paris, Sénat (Étude de législation comparée no 95), octobre 2001, p. 32. En ligne : [https://www.senat.fr/lc/lc95/lc95.pdf].
15 Jean-Claude Colliard, Les régimes parlementaires contemporains, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1978, p. 57.
16 Kawato Sadafumi, Giin naikakusei [Le régime parlementaire], Tôkyô, Tôkyôdaigaku shuppansha, 2015, p. 39.
17 Ceci résulte de la jurisprudence de la Cour suprême. L’article 81 de la Constitution dispose que « la Cour suprême est le tribunal de dernier ressort compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité de toute loi, tout règlement, toute règle et tout acte ». La Cour suprême a décidé que cet article ne faisait pas d’elle une juridiction constitutionnelle ès qualités, mais une juridiction judiciaire qui en dernier ressort statuait sur la constitutionnalité des textes applicables, dans le cadre d’un litige. Une décision a ensuite précisé que le contrôle de constitutionnalité relevait de toutes les juridictions, et non du seul tribunal de dernier ressort (Shokuryô kanri hô ihan jiken, Saikôsaibansho daihôtei hanketsu, keishû 4ken 2gô [Décision en grande chambre de la Cour suprême du 1er février 1950, recueil pénal, vol. 4, no 2], p. 73 ; Kenpô hoshô (toku ni kenpô saiban seido oyobi saikôsaibansho no yakuwari) ni kansuru kisoteki shiryô [Documents fondamentaux sur le contrôle de constitutionnalité et les tribunaux], saikô hôki toshiteno kenpô no arikata ni kansuru chôsa shôiinkai [sous-commission d’enquête sur la Constitution comme norme suprême], Chambre des représentants, 25 mars 2004, dossier de documents de référence no 44).
18 Aux États-Unis, le Sénat confirme le choix du président (article 2, section 2 de la Constitution).
19 Tsuji Kiyoaki préfère l’analogie avec le Royaume-Uni (le Japon n’étant pas un État fédéral, ses collectivités n’ont pas un degré d’autonomie aussi poussé). Tsuji Kiyoaki, Nihon no chihô jichi [L’autonomie locale au Japon], Tôkyô, Iwanami shoten, 1976, cité par Miyake Ichirô, Yamaguchi Yasushi, Muramatsu Michio et Shindô Eiichi, Nihonseiji no zahyô [Repères dans la politique japonaise], Tôkyô, Yuhikaku, 1985, p. 235.
20 Chihô jichi hô [Loi sur l’autonomie locale] no 67 du 17 avril 1947.
21 Ibid., articles 12 et 13.
22 Ide Yoshinori, Chihô jichi no seijigaku [L’autonomie locale – une étude en science politique], Tôkyô, University of Tokyo Press, 1972 ; Kawanaka Jikô, « Chiiki seisaku to chihô gyôsei » [Politique et administration régionales], Gendai nihon no seiji to kanryô [Politique et administration du Japon contemporain], Nihon seiji gakkai nenpyô (1967) [Recueil annuel de la Société japonaise d’études politiques, 1967], Tôkyô, Iwanami shoten, 1967, cités par Miyake Ichirô, Yamaguchi Yasushi, Muramatsu Michio et Shindô Eiichi, Nihonseiji no zahyô, ouvr. cité, p. 240.
23 Ibid., p. 241.
24 Kurt Steiner, Local Government in Japan, Stanford, Stanford University Press, 1965, p. 106.
25 Richard Samuels, The Politics of Regional Policy in Japan, ouvr. cité, p. xxi et p. 258.
26 Une réforme réalisée à partir de 2002 (Keizai zaisei un.ei to kôzô kaikaku ni kansuru kihonhôshin 2002 [Décret sur la structure et la gestion de l’économie et des finances], 21 juin 2002), en application de Chihô bunken no suishin wo kataru tame no kankei hôritsu no seibi tô ni kansuru hôritsu [Loi relative à la promotion de l’autonomie régionale], no 87 du 16 juillet 1999, entrée en vigueur le 1er avril 2000, ayant marqué le début de la réforme.
27 Tôdofuken kakufu kenkyôjo [Institut de recherches sur les collectivités locales]. En ligne : [http://grading.jpn.org/y0513009.html]. Kitamura Wataru, « 2000nendai no chihôbunken. Utsuri kawatta kaikaku no nakami to ninaite » [Décentralisation des années 2000. Contenu et implications d’une réforme évolutive], 14 février 2013. En ligne : [http://www.nippon.com/ja/in-depth/a01803/].
28 Entretien avec Nishi Chiho, membre de l’assemblée municipale de Karuizawa, Karuizawa, 12 août 2018.
29 Fukui Haruhiro, « Postwar politics, 1945-1973 », The Cambridge History of Japan, vol 6 : The Twentieth Century, Peter Duus dir., Cambridge, Cambridge University Press, 1988, p. 154-213, p. 184-185.
30 Ces proportions renvoient aux articles suivants : l’article 56 alinéa 2 de la Constitution exige la présence d’un tiers des membres pour que la séance puisse être ouverte dans chaque Chambre ; les articles 49 et 50 de la loi sur la Diète disposent que les commissions ne peuvent débattre que si la moitié de leurs membres sont présents, que les décisions y sont prises à la majorité et que la voix du président est prépondérante en cas de répartition égale des votes. La majorité renforcée est nécessaire pour voter un débat à huis clos (article 57 de la Constitution, article 52 de la loi de la Diète), l’exclusion d’un membre de la Diète (article 58 de la Constitution, article 122 de la loi de la Diète), la révision constitutionnelle (article 96 de la Constitution) et le vote par une nouvelle lecture de la Chambre des représentants (procédure de l’article 59 alinéa 2 de la Constitution).
31 Une expression qui apparaît pour la première fois dans Kamishima Jirô, « Josetsu » [Introduction], 55 nentaisei no keisei to hôkai : zokugendai nihon no seijikatei [Formation et destruction du système de 1955. Le processus politique du Japon contemporain], Nihon seiji gakkai hen [Recueil de la revue de science politique], Tôkyô, Iwanami shoten, 1979. Cité par Miyake Ichirô, Yamaguchi Yasushi, Muramatsu Michio, et Shindô Eiichi, Nihonseiji no zahyô [Repères dans la politique japonaise], ouvr. cité, p. 83.
32 Saitô Jun, Jimintô chôki seiken no seiji keizai gaku [Économie politique de la longévité au pouvoir du PLD], Tôkyô, Keisô shobô, 2010, p. 2.
33 Jean-Marie Bouissou et Marc Lazar, « Comparer deux “démocraties hors normes” », Revue française de science politique, vol. 51, no 4, mai 2001, p. 531-543, p. 535. La DC est souvent présentée comme un parti dominant alors même qu’elle n’a eu la majorité que durant une seule législature, en 1949-1953 : Philippe Lauvaux, Les grandes démocraties contemporaines, ouvr. cité, p. 872.
34 Kyôgoku Jun.ichi, « Changes in political image and behavior », Journal of Social and Political Ideas in Japan, vol. 2, no 3, décembre 1964, p. 122, cité par Ike Nobutaka, « Japanese political culture and democracy », Friends, Followers and Factions. A Reader in Political Clientelism, Steffen Schmidt, Laura Guasti, Carl Landé et James Scott dir., Berkeley, University of California Press, 1977, p. 378-381, p. 380.
35 Les autorités américaines optent alors pour de grandes circonscriptions, de 2 à 13 sièges, qui permettent une représentation socialiste et communiste – ce découpage est rapidement abandonné pour cette raison.
36 Tanaka Yoshihiko, « Teikokugikai no zokugiin – Dainihon teikoku kenpô no niinsei no kôzô to kinô » [Les « tribus » de parlementaires à la Diète impériale – Structure et fonctionnement du bicamérisme sous la Constitution impériale du Grand Japon], Honno gikaiseido no hensen [La transition de notre système parlementaire], Referensu, novembre 2010, p. 53.
37 En 2014, il l’était en Afghanistan, au Koweït, aux îles Pitcairn et à Vanuatu, selon les données recueillies par International Idea. Cité par Sunahara Yôsuke, Minshushugi no jôken [Les conditions de la démocratie], Tôkyô, Tôyô keizai shinkôsha, 2015, p. 39.
38 Brian Woodall, « The politics of reform in Japan’s lower house electoral system », Elections in Japan, Korea and Taiwan under the Single Non-Transferable Vote. The Comparative Study of an Embedded Institution, Bernard Grofman, Sung-chull Lee, Edwin Winckler et Brian Woodall dir., Ann Arbor, University of Michigan Press, 1999, p. 23-50, p. 26.
39 Pierre Martin, Les systèmes électoraux et les modes de scrutin, Paris, Montchrestien, 2006, p. 64.
40 On le constate au Japon : la prime au premier du classement est d’autant plus forte que son écart avec ses adversaires est marqué, mais elle fut au maximum de 11,6 points (élections générales de 1969). Quant à l’opposition, son pourcentage de sièges ne fut inférieur à son pourcentage de voix qu’à deux reprises, en 1969 et 1986, pour seulement 2,94 et 0,63 point(s) respectivement.
41 Selon Jean-Marie Bouissou, beaucoup le furent avec moins de 8 % des voix. Voir Quand les sumos apprennent à danser. La fin du modèle japonais, Paris, Fayard, 2003, p. 303.
42 Steven Reed et Kay Shimizu, « Avoiding the two-party system: The Liberal Democratic Party versus Duverger’s Law », Political Change in Japan. Electoral Behavior, Party Realignment, and the Koizumi Reforms, Steven Reed, Kenneth Mori McElwain et Kay Shimizu dir., Stanford, Walter H. Shorenstein Asia-Pacific Research Center, 2009, p. 29-46, p. 29.
43 Machidori Satoshi, Seitô shisutemu to seitô soshiki [Système de partis et organisations partisanes], Tôkyô, Tôkyô daigaku shuppankai, 2015, p. 171.
44 Machidori Satoshi, Shushô seiji no seido bunseki [Analyse institutionnelle du Premier ministre], Tôkyô, Chikura shobô, 2012, p. 26.
45 Machidori Satoshi, Seitô shisutemu to seitô soshiki [Système de partis et organisations partisanes], ouvr. cité, p. 170.
46 Nakakita Kôji, Gendai nihon no seitô demokurashî [La démocratie représentative dans le Japon contemporain], Tôkyô, Iwanami Shinsho, 2012, p. 30.
47 À la Chambre haute, de petits partis apparaissent dans les années 1970 : il suffisait en effet de recueillir 1 % à 2 % des votes pour être élu dans la circonscription nationale. Jean-Marie Bouissou, « L’alternance politique manquée (1972-1980) », Le Japon contemporain, Jean-Marie Bouissou dir., Paris, Fayard, CERI, 2007, p. 79-88, p. 86.
48 Kôshoku senkyo hô [Loi sur les fonctions électives], no 100 du 15 avril 1950, article 138.
49 Ibid., titre 13. Brèves quel que soit le scrutin, elles ouvrent douze jours avant pour les élections générales ; les interventions télévisées et radiophoniques sont respectivement limitées à une et à dix pour le candidat aux élections générales dans les circonscriptions pourvues au scrutin majoritaire uninominal. Le nombre des tracts, affiches, camionnettes, haut-parleurs et locaux est fixé ; la publicité payante et la rémunération des militants (à laquelle l’alimentation est assimilée) sont interdites.
50 Jean-Marie Bouissou, « Organizing one’s support base under the SNTV: The case of Japanese koenkai », Elections in Japan, Korea and Taiwan under the Single Non-Transferable Vote, Bernard Grofman et al. dir., ouvr. cité, p. 87-120, p. 95.
51 Kôshoku senkyo hô [Loi sur les fonctions électives], déjà citée.
52 Les cartes électorales sont consultables sur le site du ministère des Affaires générales. En ligne : [http://www.soumu.go.jp/senkyo/senkyo_s/naruhodo/naruhodo03.html].
53 Brian Woodall, « The politics of reform in Japan’s lower house electoral system », chap. cité, p. 33.
54 Kôshoku senkyo hô no ichibu wo kaisei suru hôritsu [Loi portant amendement de la loi sur les fonctions électives], no 75 du 30 juillet 2018.
55 Maurice Duverger, Les partis politiques [1951], Paris, Armand Colin, 1976, p. 292. Maurice Duverger en convient après sa « querelle » avec Georges Lavau, consécutive à la première édition des Partis politiques (1951), et exprimée dans un numéro des Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques (no 38, 1953). Georges Lavau y écrivait : « Ça n’est pas seulement l’étude de la doctrine et de la composition sociale des partis qui manque […] à l’ouvrage de M. Duverger, mais plus encore celle des types de société et de civilisation où se meuvent les partis, celle des conditions économiques et des circonstances historiques dans lesquelles ils évoluent » (p. 8).
56 Ian Neary, The State and Politics in Japan, Cambridge, Polity, 2002, p. 72.
57 Dans le budget de l’année 1970 (année fiscale, du 1er avril au 30 mars), la protection sociale reçoit à peu près autant que l’agriculture (15,1 % et 11,3 % respectivement) ; en 1984, un budget plus de trois fois supérieur lui était alloué (19,6 % vs 6,1 %) : « Dai go shô Meiji 26nendoikô ippan kaikei saishutsu jokanbetsu yosan » [Chapitre 5. Dépenses figurant au budget général par année et par poste après l’année fiscale 1893], ministère des Finances. En ligne : [http://www.mof.go.jp/budget/reference/statistics/data.htm].
58 Entre 1960-1972, quand le produit intérieur brut est multiplié par cinq.
59 Stephen Johnson, Opposition Politics in Japan. Strategies under a One-Party Dominant Regime, Londres, Routledge, 2000, p. 5.
60 En 1975, neuf gouverneurs étaient de gauche, y compris ceux de Tôkyô, Kyôto et Ôsaka, et le PLD avait perdu la majorité dans 7 des 47 départements. Voir Kurt Steiner, Ellis Krauss et Scott Flanagan, Political Opposition and Local Politics in Japan, Princeton, Princeton University Press, 1980, p. 6.
61 « Dans les années 1960 et une bonne partie des années 1970, le PSJ, le PCJ ou des maires appuyés par ces deux partis constituaient les deux tiers de tous les exécutifs locaux “progressistes”. En 1979, ils n’en représentaient plus que la moitié. » Richard Samuels, The Politics of Regional Policy in Japan, ouvr. cité, p. xix. Nous traduisons.
62 Sur ces aspects, voir : Guibourg Delamotte, « Le Japon en 2012 : l’alternance inversée », Asie, Jean-Luc Racine dir., Paris, La Documentation française, 2013, p. 33-44 ; « L’économie japonaise après Fukushima », Paris, CERI (Les dossiers du CERI), juin 2012. En ligne : [https://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/art_gd.pdf].
63 John Dower, Ways of Forgetting, Ways of Remembering. Japan in the Modern World, New York, The New Press, 2012, p. 213.
64 Élisabeth Vallet et David Grondin, Les élections présidentielles américaines, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 2004, p. 149 et suiv. Ishibashi Natsuyo, « The dispatch of Japan’s self-defense forces to Iraq: Public opinion, elections and foreign policy », Asian Survey, vol. 47, no 5, septembre-octobre 2007, p. 766-789.
65 Fukase Tadakazu et Higuchi Yôichi, Le constitutionnalisme et ses problèmes au Japon. Une approche comparative, Paris, PUF, 1984, p. 230.
66 Tim Weiner, « C.I.A. spent millions to support Japanese right in 50’s and 60’s », The New York Times, 9 octobre 1994.
67 Un conseil pour la reconstruction économique (Keizai saiken kondankai) canalise les fonds des quatre principales organisations patronales (Association des fédérations d’employeurs du Japon, Nikkeiren ; Fédération des organisations économiques, Keidanren ; Comité du Japon pour le développement économique, Keizai Dôyûkai ; Chambre du commerce, Nisshô). John Dower, Ways of Forgetting, Ways of Remembering, ouvr. cité, p. 204.
68 La « loi d’airain » (« iron law of oligarchy ») de Robert Michels, Political Parties. A Sociological Study of the Oligarchical Tendencies of Modern Democracy, New York, Collier Books, 1911, cité par Grant McConnell, Private Power and American Democracy, New York, Alfred A. Knopf, 1966, p. 121.
69 Charles Wright Mills, The Power Elite, New York, Oxford University Press, 1956, p. 6.
70 James Wilson, The Politics of Regulation, New York, Basic Books, 1980, chap. 5 et 7 cités par Andrew McFarland, « Interest groups and theories of power in America », British Journal of Political Science, vol. 17, no 2, 1987, p. 129-147, p. 141.
71 Miyake Ichirô, Yamaguchi Yasushi, Muramatsu Michio et Shindô Eiichi, Nihon seiji no zahyô [Les transformations de la politique japonaise], Tôkyô, Yûrakukakusensho, 1985, p. 227.
72 Robert Scalapino et Masumi Jun.nosuke, Parties and Politics in Contemporary Japan, Berkeley, University of California Press, 1967, p. 93. Nous traduisons.
73 Chalmers Johnson, Japan: Who Governs? The Rise of the Developmental State, New York, W. W. Norton and Company, 1995, p. 123-138.
74 Fukui Haruhiko, Jiyûminshutô to seisaku ketteikatei [Le Parti libéral-démocrate japonais et le processus décisionnel], Tôkyô, Fukumura shuppan, 1969, cité par Shinoda Tomohito, Reisengo no nihongaikô [La diplomatie japonaise après la fin de la guerre froide], Tôkyô, Mineruba shobô, 2006, p. 59.
75 Roger Bowen, Japan’s Dysfunctional Democracy. The Liberal Democratic Party and Structural Corruption, Armonk, M. E. Sharpe, 2003, p. 70.
76 Gerald Curtis, The Japanese Way of Politics, New York, Columbia University Press, 1988, p. 106-116.
77 George Stigler, « The theory of economic regulation », The Bell Journal of Economics and Management Science, vol. 2, no 1, printemps 1971, p. 3-21. George Stigler démontre que les entreprises ou organisations professionnelles demandent l’intervention de l’État non pour exiger des subventions, mais pour qu’il limite, par son action réglementaire, l’accès de nouveaux entrants au marché.
78 Robert Dahl, Polyarchy. Participation and Opposition, New Haven, Yale University Press, 1971, cité par Philippe Braud, Sociologie politique, Paris, LGDJ, 2011, p. 588-589.
79 Les principales approches sont répertoriées par Andrew McFarland, « Interest groups and theories of power in America », art. cité, p. 129-147.
80 James Wilson, The Politics of Regulation, ouvr. cité, p. 392.
81 Ibid., p. 367-370.
82 Muramatsu Michio et Ellis Krauss, « The conservative policy line and the development of patterned pluralism », The Political Economy of Japan, vol. 1 : The Domestic Transformation, Yamamura Kôzô et Yasuba Yasukichi dir., Stanford, Stanford University Press, 1987, p. 516-554, p. 536-546.
83 Theodore Lowi, The End of Liberalism. Ideology, Policy, and the Crisis of Public Authority, New York, W. W. Norton and Company, 1969, citant Max Ways p. 77: « If the groups to be controlled control the controls, then “to administer” does not always mean to rule » (Max Ways, « “Creative federalism” and the great society », Fortune, janvier 1966, p. 122). Theodore Lowi relève que plus les relations des administrations avec les groupes d’intérêt sont officielles, plus le processus décisionnel est rigide (« Agency-group relationships [are] all the more inflexible […] that the relationship is official and legitimate », p. 90).
84 Ibid., p. 68 et suiv.
85 Ethan Scheiner, Democracy without Competition in Japan. Opposition Failure in a One-Party Dominant State, New York, Cambridge University Press, 2006, p. 210.
86 Voir le tableau 9 en annexe.
87 Selon la terminologie de Fukui Haruhiro, « Postwar politics, 1945-1973 », chap. cité, p. 184-185.
88 En 2016, la fusion du PDJ et du Parti de la restauration en un Parti démocrate et progressiste assure 96 voix à la Chambre basse à ce nouveau parti.
89 « Anpo hô haishian wo saninteishutsu rikken, kokumin nado yatô5tô, kyôtô apîru » [Proposition de loi déposée à la Chambre haute pour l’abrogation du dispositif de sécurité par 5 partis d’opposition dont le Rikken et le Kokumin], Sankei shimbun, 22 avril 2019.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Libertés et libéralismes
Formation et circulation des concepts
Jean-Pierre Potier, Jean-Louis Fournel et Jacques Guilhaumou
2012
Pétrole et corruption
Le dossier Mi.Fo.Biali dans les relations italo-libyennes (1969-1979)
Marion Morellato
2014
Montchrestien et Cantillon
Le commerce et l'émergence d'une pensée économique
Alain Guery (dir.)
2011
Faire participer les habitants ?
Citoyenneté et pouvoir d'agir dans les quartiers populaires
Marion Carrel
2013
Entre conflit et concertation
Gérer les déchets en France, en Italie et au Mexique
Luigi Bobbio, Patrice Melé et Vicente Ugalde (dir.)
2016
La politique au quotidien
L’agenda et l’emploi du temps d’une femme politique
Laurent Godmer et Guillaume Marrel
2016
La République et ses autres
Politiques de l’altérité dans la France des années 2000
Sarah Mazouz
2017
Le territoire de l’expulsion
La rétention administrative des étrangers et l’État de droit en France
Nicolas Fischer
2017
Le savant, le langage et le pouvoir
Lecture du Livre du plaisir partagé en amitié (Kitāb al-imtāʿ wa-l-muʾānasa) d’Abū Ḥayyān al-Tawḥīdī
Pierre-Louis Reymond
2018
Gouverner la vie privée
L’encadrement inégalitaire des séparations conjugales en France et au Québec
Émilie Biland
2019