Chapitre 1
Typologie, sémantique, herméneutique : quelques jalons
p. 13-41
Texte intégral
1. Une herméneutique du langage ?
1Aborder la grammaire comme discipline herméneutique, c’est souligner avant tout le rôle déterminant, en son sein, de l’interprétation, et en tirer les conséquences épistémologiques qui s’ensuivent. Comme on le verra, la prise en compte de ces conséquences éloigne la linguistique à plusieurs égards de l’image « scientiste » qui prédomine actuellement, souvent de façon tacite, dans la métathéorie de la discipline. On détaillera les conséquences du cadre herméneutique dans la prochaine section du présent chapitre. Avant cela, observons qu’une telle conception du travail grammatical renoue avec les origines philologiques les plus anciennes de la discipline. Dans la première grammaire attestée de la tradition occidentale, Denys le Thrace fait figurer l’« explication » ou l’« interprétation » (exēgēsis) dans la liste des composantes de l’étude grammaticale ; l’évaluation critique des poèmes constitue même la partie la plus « belle » (kaliston) de l’art grammatical (Lallot 1989, p. 40). L’activité grammaticale alexandrine n’était certes pas axée sur la comparaison des langues, comme c’est souvent le cas pour la linguistique contemporaine. Pour autant, la variation linguistique y occupait une place centrale, les grammairiens grecs se lançant dans l’étude des textes provenant d’époques anciennes de la langue grecque, et affichant donc bien des différences grammaticales et lexicales : qu’on se rappelle le troisième but de la grammaire comme l’expose Denys : « la prompte élucidation des mots rares et des récits » (« glōssōn te kai historiōn prokheiros apodosis » ; Lallot 1989, p. 40).
2Passé le tournant du xxe siècle, dans le sillage des déferlantes néogrammairienne, structuraliste et générativiste, la conception herméneutique s’estompe presque complètement au profit de diverses épistémologies qui sont progressivement apparues. Seuls les champs de la linguistique qui s’occupent de la parole – l’analyse critique du discours, la conversation analysis, et surtout la sociolinguistique critique – gardent parfois une certaine ouverture aux dimensions interprétatives de l’analyse linguistique (voir Robillard (2009) et les autres articles réunis dans le même numéro de Cahiers de sociolinguistique)1. Comme le remarque Rastier (2015, p. 94-95), la raison principale pour laquelle la perspective herméneutique prime comme cadre pour l’analyse linguistique se trouve dans le fait que « les signes ne sont reconnus voire constitués comme tels que dans des parcours interprétatifs, dont ils sont tout autant le résultat que le point de départ » :
La perspective rhétorique-herméneutique reste – donc – englobante, car si par restriction elle peut concevoir des règles grammaticales, la réciproque reste invalide puisque la perspective logico-grammaticale ne peut s’étendre à la situation et à l’histoire (d’où par exemple les apories de la pragmatique formelle et de la sémantique formelle des situations). (2015, p. 98)2
Une conception herméneutique de la linguistique se heurte donc aux résistances provenant de l’idéologie dominante de la discipline. Mais alors que tout le monde, ou presque, semble s’accorder sur le fait que les sciences du langage se doivent bien d’être… scientifiques (en évitant, par exemple, tout « ethnocentrisme », ambition qui ne paraît importante qu’à condition que d’autres formes de non-objectivité théoriques, peut-être plus sérieuses, soient bien écartées), la linguistique générale, telle qu’on la pratique dans le monde anglophone surtout, et avec l’exception notoire de la grammaire générative, se caractérise par un manque saisissant de réflexion métathéorique rigoureuse concernant les contraintes qui pèsent sur ce but. Si la recherche européenne, et surtout française, est plutôt riche en études épistémologiques – on pensera aux travaux de Milner, d’Auroux, de Lazard, de Rastier, de Blanchet ou bien, ailleurs en Europe, à ceux d’Itkonen ou de Harris ou, partout dans le monde, à ceux des linguistes « intégrationnalistes » (Pablé et Hutton 2015), entre autres – ces courants de réflexion restent somme toute peu connus de la grande majorité des linguistes internationaux. Situation identique en grammaire générative, qui a donné lieu à des études épistémologiques très importantes, également peu lues par les linguistes en général. Les discussions qui surviennent, de temps en temps, dans le courant majoritaire de la discipline sur l’épistémologie de la linguistique et de la linguistique comparée font le plus souvent table rase de la littérature scientifique sur les enjeux de base, pourtant abondante, et se poursuivent, à quelques exceptions près, comme si tout était à inventer dans ce domaine, et que personne n’avait encore abordé les questions épistémologiques que soulève la comparaison des langues.
3Revendiquer une épistémologie herméneutique de la linguistique, ce n’est pas seulement aller à l’encontre de l’épistémologie reçue des sciences du langage. C’est aussi se retrouver en porte-à-faux par rapport aux définitions les plus habituelles de l’herméneutique elle-même. Comme le rappelle Rastier, l’herméneutique moderne a le plus souvent négligé les acquis de la linguistique :
issue du romantisme tardif, l’herméneutique philosophique contemporaine s’est constituée par une dénégation des sciences du langage, dont témoignent l’oubli de Humboldt par Dilthey, et le mépris des sciences en général par les heidegerriens [sic]. Aussi, pour un linguiste, l’herméneutique philosophique se trouve encore diversement éloignée. (Rastier 2005)
La visée structurale de la grammaire et de la linguistique met à distance l’herméneutique, dont l’interprétation textuelle constitue l’opération de base, et qui prend par conséquent la parole ou la « performance », plutôt que la langue ou la « compétence », comme son objet principal. C’est ce que souligne Charles Taylor, figure phare des tenants de l’herméneutique philosophique contemporaine, dont l’intérêt récent pour certaines questions linguistiques en fait une sorte d’exception par rapport à l’observation de Rastier :
L’interprétation, au sens de l’herméneutique, est la tentative de rendre clair l’objet étudié, de lui donner un sens. Cet objet doit donc être un texte, ou analogue à un texte, qui est, d’un certain point de vue, confus, incomplet, obscur, apparemment contradictoire – bref, d’une manière ou d’une autre, pas clair. (1997, p. 137-138)3
Ceci étant, une question se pose : comment le cadre herméneutique pourrait-il s’étendre au-delà de son socle naturel, l’interprétation textuelle, pour traiter la dimension structurelle de la langue ? Si par « herméneutique » on entend la « théorie de l’interprétation des textes et des autres performances sémiotiques » (Rastier 2001, p. 99), on voit mal comment la description et l’analyse structurelle linguistiques pourraient y participer. À quoi ressemblerait une herméneutique linguistique qui prendrait comme objet la structure, et non les performances ? La grammaire, et non les actes de parole ? La réponse se précisera au fur et à mesure des chapitres qui suivent.
2. Quelques propriétés des disciplines herméneutiques
4Pour poser quelques jalons, et sans chercher à aborder toutes les questions, souvent d’une grande difficulté, que pose ce domaine, penchons-nous sur quelques-uns des aspects d’une épistémologie herméneutique qui s’avéreront centraux pour ce qui suit.
2.1. Identité sujet-objet dans les disciplines herméneutiques
5Commençons donc avec la définition d’Auroux : dans une science « herméneutique » – statut qu’Auroux refuse par ailleurs à la linguistique –,
l’état de l’objet que l’on décrit est un état possible du sujet que ce dernier ne peut connaître que pour l’avoir vécu (il ne s’agit pas d’une entité objectivement observable). C’est pourquoi on rapporte souvent ce type de connaissance à une faculté particulière (on devrait plutôt dire une forme de connaissance) : sympathie, empathie (all. Einfühlung), intuition, compréhension, etc. (Auroux 1998, p. 130)
Le savoir herméneutique est donc non objectif : plutôt qu’un objet (c’est-à-dire une chose par rapport à laquelle le sujet-observateur se trouve à l’extérieur, une chose qu’il peut saisir « à la troisième personne »), le savoir herméneutique suppose une identité essentielle entre le sujet des connaissances et son objet – lequel, par conséquent, n’est plus véritablement un objet.
6Dans les sciences du langage, cette parenté intime entre le « sujet » des connaissances – le linguiste – et son « objet » – les langues – est dévoilée de manière très claire par le fait que l’explication et l’analyse des langues est l’apanage des êtres linguistiques : celui qui théorise les langues en parle forcément une, sinon aucun travail théorique ne serait possible. C’est un constat au premier abord convenu et sans intérêt, également valable pour toute autre science, mais lorsqu’il s’agit de la linguistique, son importance s’avère capitale. Comme j’aurai l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises dans ce qui suit, il faut être locuteur d’au moins une langue pour théoriser la grammaire, parce que la compréhension des énoncés de la langue dont on rend compte est une étape préalable incontournable de l’analyse grammaticale (l’analyse phonétique elle-même présuppose qu’on sache différencier un morphème de ce qui n’en est pas, ce qui passe par l’identification des significations). Alors que rien n’impose de comprendre la matière physique pour l’étudier dans le cadre des sciences naturelles, on ne peut étudier les objets herméneutiques, le langage au premier chef, que si on les comprend. Sans une telle compréhension, on ne peut simplement pas établir les hypothèses préalables dont dépend toute analyse (comme, par exemple, identifier les possibles catégories lexicales – substantif, verbe, marqueur de temps, etc. –, étape essentielle dans l’analyse grammaticale). Cette compréhension est assurée soit parce que le linguiste maîtrise en tant que locuteur compétent la langue même qu’il étudie, soit parce qu’il sait traduire les expressions de la langue-objet dans une langue qu’il comprend. Dans les deux cas, la compréhension du linguiste se matérialise dans les gloses qui représentent les valeurs sémantiques attribuées aux morphèmes.
7La traduction en une langue connue par le chercheur, ne serait-ce que par le biais des gloses, constitue donc une étape incontournable de toute analyse visant à établir des rapports entre la « forme » et le « contenu ». C’est tout aussi vrai pour la linguistique descriptive, la syntaxe ou la typologie que pour la sémantique. En linguistique descriptive : comment aborder de façon théorique les démonstratifs dans une langue quelconque si on ne sait même pas comment exprimer la différence entre ceci et cela dans la langue étudiée ? En syntaxe ou en typologie : comment établir la nature des propriétés grammaticales – la transitivité, la subordination, l’anaphore – si on ne sait pas caractériser le contenu ou – ce qui revient à la même chose – les fonctions des structures morphosyntaxiques ?
8La compréhension que le linguiste a de la langue-objet, exprimée dans les gloses qu’on associe aux morphèmes, se trouve donc à la base de toute tentative de théorisation linguistique. C’est un état de fait qu’on occulte complètement dans les professions de foi disciplinaires obligatoires qui vantent le statut « empirique » ou « scientifique » de la linguistique, affirmation souvent reconduite dans l’histoire de la discipline depuis le xixe siècle, certains prétendant même que la linguistique serait une « branche des sciences de la nature » (Aikhenvald 2015, p. 1). Pour bien cerner les conséquences épistémologiques du rôle de la compréhension, ce qui permet de justifier l’analyse herméneutique de la linguistique qu’on prône ici, il faut distinguer nettement la situation du linguiste devant la langue de celle du scientifique (physicien, chimiste) devant la matière, ou devant les aspects objectivables de la personne, comme le fonctionnement des organes physiques. Le scientifique qui cherche à comprendre l’anatomie ou la physiologie du foie ou des reins – ou bien, pourquoi pas, du cerveau – sait mesurer de façon objective les paramètres de leur fonctionnement. Grâce à cette possibilité de mesure, on écarte l’interprétation, donc la variabilité et l’intuition, comme composantes de la démarche analytique, telles qu’on peut les observer en linguistique (on explorera plus avant la place de la mesure dans les sciences de la matière dans la troisième section du chapitre 3).
9Le linguiste ne mesure pas les rapports grammaticaux entre la forme et le sens de manière consensuelle, il les comprend et il les interprète. Plus important encore : ce qui caractérise ces interprétations, c’est qu’elles varient selon la personne qui les effectue. Il suffit de constater la grande variété des descriptions sémantiques ou morphosyntaxiques pour le confirmer. Cette diversité prive la linguistique de son caractère objectif. Dans les sciences de la nature, l’externalité de l’observateur vis-à-vis de l’objet étudié rend possible une démarche objective par rapport à celui-ci, c’est là tout leur intérêt. Les propriétés de l’objet étudié peuvent être établies sans recours à l’intuition ou à la compréhension de l’observateur individuel, car elles se dévoilent d’une manière tout à fait intersubjective : elles se mesurent au moyen de divers instruments (l’« observatoire »). L’objet lui-même, à travers les procédés d’objectivation qui le constituent, permet donc à tous ceux qui l’étudient de se mettre d’accord sur la ou les descriptions de ses propriétés, une fois admise la validité de l’observatoire retenu pour l’observer.
10C’est dans la sémantique, sans laquelle la typologie est impossible, qu’on peut saisir au mieux l’ancrage de la linguistique dans l’interprétation, et s’apercevoir combien on est loin d’un domaine dans lequel les propriétés de l’objet étudié peuvent être établies de façon consensuelle, intersubjective, et donc objective. En sémantique, la matière même de l’étude est constituée par les interprétations du langage-objet, matérialisées dans des traductions métalinguistiques. Quelles que soient les représentations sémantiques théoriques particulières dont il s’agit (des primitifs sémantiques, des gloses, une paraphrase en langue naturelle supposée révéler la structure sémantique de l’expression étudiée, une représentation schématique ou formelle, etc.), la théorie linguistique ne sait pas faire une analyse de la signification en des termes non sémantiques (non intentionnels).
11Quand le sémanticien donne une représentation métasémantique de la signification d’un definiendum, il mobilise une autre signification, supposée plus simple, plus explicative, etc. : on analyse célibataire comme « personne qui n’est pas dans un couple, qui pourrait l’être » ; tuer comme « faire mourir ». Dans chaque cas, c’est la signification des expressions métalinguistiques, et non pas, par exemple, leur composition phonétique, qui leur confère une force explicative : en définissant célibataire comme « personne qui n’est pas dans un couple », on affirme que la signification des deux expressions est la même. Or, les conditions de validation de cette affirmation n’ont rien d’objectif. Tout au contraire : elles dépendent du jugement subjectif d’un locuteur, et sont donc, comme en témoigne la grande variété des paraphrases définitionnelles trouvées dans les dictionnaires, hautement contestables. Les pratiques langagières quotidiennes sont très trompeuses sur ce point. Si on parvient souvent à se mettre d’accord sur la définition d’une expression en des termes très généraux, tout accord se volatilise dès qu’il s’agit de sortir de l’approximation bricolée, et qu’on entame une discussion plus fouillée et précise.
12L’explication sémantique se situe donc dans une logique tautologique ou circulaire, car le definiens en langage-objet et le definiendum en métalangage sont tous les deux des termes significatifs, se distinguant l’un de l’autre uniquement par leur statut de « langage-objet » ou « métalangage ». McGilvray (1998) appelle cette propriété de l’analyse sémantique l’autoexemplification. L’expression « personne qui n’est pas dans un couple » appartient au même langage-objet – le français – que célibataire, et pour les besoins d’une théorie exhaustive, elle exige elle aussi une explication sémantique. Or, en proposant des analyses auto-exemplificationnelles, l’analyste opère un clivage très révélateur, en faisant appel, dans le domaine métalinguistique théorique, aux compétences linguistiques – la compréhension de la signification des mots – dont il s’agit de rendre compte4. L’analyse « personne qui n’est pas dans un couple » ne vaut rien pour qui ne comprend pas le français. Pour établir la référence de l’expression célibataire à partir de la définition « personne qui n’est pas dans un couple », le théoricien engage sa propre compréhension de l’expression être dans un couple, faisant donc rentrer par la fenêtre ce qui était sorti par la porte, en insérant, au sein même de son dispositif théorique, la capacité de compréhension qu’il cherche à expliquer.
13Tout domaine d’analyse linguistique dépendant d’une interprétation sémantique participe donc à ce caractère circulaire, auto-exemplificationnel ou, pour le dire de façon moins rédhibitoire, herméneutique. On n’échappe donc jamais au domaine de l’objet même – la langue – dont on prétend, si l’on suit l’épistémologie dominante de la discipline, fournir une explication objective, à la troisième personne. C’est surtout vrai de la typologie, qui suppose, comme on le reconnaît communément, l’identité sémantique/fonctionnelle des structures morphosyntaxiques qu’on compare, et qui est donc tributaire d’une analyse sémantique. Or, la littérature typologique regorge d’affirmations de la subjectivité des catégorisations, même au stade descriptif : LaPolla (2016, p. 366) affirme que « même au niveau descriptif, il y a pas mal d’abstraction et de subjectivité dans l’étiquetage »5 ; Bickel (2014, p. 112), pour sa part, juge que « l’étendue et la nature des universels [typologiques] absolus dépendent entièrement de la nature de l’analyse et du métalangage descriptif dont on se sert pour un phénomène donné »6. L’analyse sémantique, et les disciplines tributaires comme la typologie, se placent donc dans un champ herméneutique, à savoir un espace qui résiste à la raison objectivante de la science naturelle. En cas de désaccord entre deux interprètes, il n’y a pas d’autorité épistémologique supérieure à laquelle on pourrait faire appel pour avoir des gages de validité qui confirmeraient le bien-fondé d’une interprétation par rapport à une autre. Étant donné que c’est le « mode de validation de la connaissance » qui confère à une discipline son caractère épistémologique (Auroux 1998, p. 138-139), on se trouve, dès lors, dans une logique pleinement herméneutique7.
14Les explications que je viens de donner peuvent paraître bien trop évidentes pour justifier le développement que je leur ai consacré. Si j’ai fait le choix de m’y livrer, c’est parce que revendiquer le caractère herméneutique de la recherche linguistique reste une position très minoritaire dans la discipline. Dans une contribution récente, Jürgen Bohnemeyer a traité l’affirmation du caractère herméneutique de la sémantique – affirmation faite d’ailleurs par bien moins de chercheurs qu’il ne le pense – de fallacieuse :
La tentation de croire que la sémantique est forcément fondée sur l’herméneutique est peut-être plus grande que dans les autres champs de la linguistique. Après tout, le sens ne s’observe pas directement – alors comment y accéderait-on sinon par l’interprétation ? Cette erreur est directement à l’origine […] de la supposition fréquente selon laquelle il est impossible d’étudier la sémantique des langues que le chercheur ne parle pas, ou au moins qu’il ne parle pas comme un locuteur natif. (Bohnemeyer 2015, p. 13-14)8
Bohnemeyer a parfaitement raison : il n’est pas nécessaire de maîtriser, en tant que locuteur, la langue qu’on étudie en tant que théoricien. Mais cela n’enlève rien au fait que, pour analyser une langue étrangère, il faut absolument disposer d’une traduction de celle-ci dans sa propre langue, circonstance de laquelle découlent toutes les conséquences qu’on a vues.
15Dans cette situation, la définition d’une science herméneutique d’Auroux est strictement remplie : la sémantique et toutes les disciplines qui en dépendent sont bel et bien des sciences dans lesquelles « l’état de l’objet qu’on décrit est un état possible du sujet que ce dernier ne peut connaître que pour l’avoir vécu (il ne s’agit pas d’une entité objectivement observable) » (Auroux 1998, p. 130). Les états de l’objet qu’on décrit – à savoir, les valeurs sémantiques ou fonctionnelles du langage-objet – doivent être des états possibles du sujet, parce que le sujet doit impérativement les comprendre – sinon, aucune analyse n’est possible. On est très loin ici, et il n’y a là rien de scandaleux, des conditions d’une science « objective ». Tant que l’analyse linguistique n’est pas opérationnalisée en vue de se passer de tout recours aux capacités linguistiques mêmes qu’on essaie d’expliquer, on écarte toute perspective d’objectivation définitive. On aura l’occasion d’explorer les questions d’objectivation en sémantique plus avant dans les deuxième et troisième chapitres.
2.2. Pluralisme d’une linguistique herméneutique
16Le caractère non objectif de la linguistique entraîne une conséquence importante : le savoir grammatical est intrinsèquement pluriel. Il ne peut pas y avoir qu’une seule interprétation valide de la structure grammaticale ou des propriétés sémantiques d’une langue ; on est plutôt devant ce que Paveau (2018, p. 4) appelle une « postlinguistique », une linguistique « qui se pratique de manière plurielle, à partir de positions variées et changeantes ». Cette dimension rapproche la linguistique des études littéraires ou de lettres : il est tout autant absurde d’affirmer l’exclusivité d’une interprétation quelconque d’un poème ou d’une période ou séquence historique, que d’affirmer le monopole d’une seule analyse grammaticale ou sémantique. Voilà une conclusion qui s’impose non seulement de fait, étant donné le foisonnement des théories linguistiques différentes, mais aussi de manière raisonnée, en suivant les arguments de Wittgenstein et de Quine, grands tenants de l’indétermination et donc de la variabilité intrinsèque des représentations théoriques, qu’il s’agisse des règles pour le premier ou des traductions/significations pour le second (voir la section 5 du chapitre suivant)9. Comme l’exprime Rastier, sans doute le défenseur le plus important d’une conception herméneutique de la linguistique,
au niveau proprement théorique, il importe de rompre tout à la fois avec une conception trop forte de la théorie, dérivée de la philosophie systématique, aussi bien qu’avec l’empirisme non critique aujourd’hui dominant dans ce qu’on appelle la « science normale » : l’appareil théorique ne peut pas prétendre à une systématicité complète et doit prévoir les moyens de son évolution, qu’il s’agisse de son approfondissement ou de sa simplification, dès lors que des applications le nécessitent […]. (Rastier 2009, p. vii)
Une interprétation herméneutique de la linguistique se voit renforcée par toute l’actualité de la discipline. Il est inutile d’énumérer les différentes théories et analyses qui constituent le champ de la linguistique actuelle : constater la diversité des théories linguistiques contemporaines suffit. Comme l’expriment Ilse Depraetere et Raphael Salkie au début d’une analyse des théories contemporaines du temps, « même les notions de base [de la recherche] sont controversées » (2016, p. 355)10. Cet état de choses est tout à fait analogue à celui que pointait Bourdieu dans ses Méditations pascaliennes au sujet de la philosophie, en faisant remarquer « la contradiction, vieille comme l’enseignement de la philosophie, que fait surgir l’existence d’une pluralité de visions philosophiques affirmant leur prétention à la maîtrise exclusive d’une vérité dont elles professent l’unicité » (2003 [1997], p. 67).
17Pourtant, cette surabondance d’approches théoriques donne lieu à une interprétation canonique qui va à l’encontre de l’esprit herméneutique. Pour Lazard (2006, p. 17-19), par exemple, comme pour la plupart des épistémologues qui abordent le problème, la variété et le nombre des théories linguistiques font de la discipline une « proto-science ». Peu flatteuse, cette description inscrit néanmoins la linguistique dans une trajectoire sans ambiguïté : proto-science aujourd’hui, science à juste titre demain. De façon similaire, Martin estime que la multiplication des écoles de linguistique porte atteinte à la maturité de la discipline (laquelle, il affirme, « se reconnaît surtout à sa relative unification – dans les méthodes, dans les résultats, dans les options théoriques qui la sous-tendent »), mais il juge néanmoins, à la différence de Lazard, que la linguistique a peut-être « suffisamment mûri » « pour qu’on puisse en donner, comme dans les sciences dites “dures”, un tableau systématique » (Martin 2018, p. 127). Je pense, à rebours de cette conception, qu’il est plus souhaitable de voir dans la diversité des analyses grammaticales actuelles non pas le signe annonciateur des lendemains glorieux auxquels la linguistique est vouée en tant que véritable science naturelle totalisatrice, mais plutôt un indice de son état actuel et permanent, qu’il vaudrait mieux assumer.
2.3. Caractère politique de la démarche analytique
18Troisième propriété d’une linguistique herméneutique : le caractère fondamentalement politique de la démarche analytique. Toute linguistique suppose déjà une ethnologie, car décrire les langues implique de s’intéresser aux personnes qui les parlent. L’analyse de la grammaire – autrement dit, l’analyse des capacités significatives des communautés de locuteurs – entraîne des affirmations tant sur les compétences conceptuelles des locuteurs que sur les ressources culturelles des communautés qu’ils forment. Ces analyses sont, en cela, politiques, et elles peuvent donc se prêter, voire participer, à des tentatives politiques de hiérarchisation de différentes communautés humaines dans une visée normative. Une épistémologie herméneutique se justifie dans la mesure où elle permet de congédier les déterminismes sur lesquels des dominations diverses pourraient prendre appui, en assurant, par la relativisation des acquis scientifiques, une certaine prudence, assortie d’un principe de modestie épistémologique englobante. On évite ainsi de diminuer de façon réductrice notre appréciation de la complexité des langues : la linguistique se doit d’éviter tout dogmatisme et tout absolutisme lorsqu’il s’agit d’énoncer des conclusions sur les langues, car ces conclusions-là valent aussi en tant qu’appréciations de la richesse conceptuelle et culturelle des locuteurs. Ce respect est d’autant plus de mise eu égard au nombre très restreint de domaines qui autorisent des conclusions définitives. Impossible, dans ces conditions-là, de ne pas rejoindre le raisonnement de Blanchet :
Je pense en fait qu’une science « mûre », une science suffisamment « sécure » est une science qui s’interroge sur ses concepts, les met en débat, et ne les verrouille pas dans un processus insécure de crispation identitaire (?), dont l’une des modalités tient en la croyance en une méthodologie prescriptive et une théorie générale protégée par des critères fermés de scientificité […]. Faute de quoi, on se situe hors d’une pensée scientifique (au sens large du terme) et/ou dans une démarche d’hégémonie, même inconsciente… (2007, p. 239)
On reviendra sur cette thématique dans le quatrième chapitre, qui propose une analyse idéologique de la linguistique comparative comme complément de l’épistémologie philosophique qui nous occupe ici.
3. L’objectivité de la linguistique : trois arguments fallacieux
19Comme je l’ai déjà remarqué, la thèse du caractère herméneutique de la recherche en sémantique – l’idée selon laquelle l’interprétation serait « le seul chemin vers la signification » – a récemment été critiquée par Bohnemeyer, pour lequel cette thèse présente un « obstacle sérieux » à la recherche :
Les non-initiés, comme de nombreux linguistes attitrés, continuent de partir du principe que l’interprétation est le seul chemin vers le sens et que la sémantique est donc forcément une entreprise herméneutique. Pour l’étude du sens là où les cadres herméneutiques à eux seuls sont insatisfaisants – par exemple, les recherches de terrain sur les langues indigènes, les travaux avec des patients aphasiques, et l’étude du sens dans la langue des enfants et les gestes, cette croyance présente un obstacle sérieux. Les contributeurs à ce volume ne partagent évidemment pas cette croyance – mais beaucoup d’autres collègues, qu’ils soient linguistes de terrain ou non, semblent y souscrire.11
20Si la nature exacte des théories « herméneutiques » contre lesquelles Bohnemeyer s’insurge n’est pas tout à fait claire, celui-ci est loin d’être le seul à récuser le caractère non objectif de la science linguistique. Il faut donc déblayer le terrain. Pour ce faire, nous allons rapidement passer en revue, pour les critiquer, certains des arguments les plus centraux qu’on mobilise en faveur de l’objectivité de la linguistique. On peut se servir dans un premier temps de l’exposition très complète et argumentée que donne Jean-Claude Milner dans son texte bien connu Introduction à une science du langage (Milner 1989).
3.1. L’objectivité de la grammaticalité
21L’objectivité de la linguistique – l’existence d’un noyau de réalité grammaticale abstraite qu’il reviendrait au linguiste de cerner, au-delà des aléas des énoncés attestés – est très souvent fondée sur l’existence des jugements qu’apportent les locuteurs natifs sur les phrases de leurs propres langues, les jugements de « grammaticalité » et d’« acceptabilité », distinction à maints égards malencontreuse, mais néanmoins la clé de voûte de la grammaire générative. Ainsi, selon Milner (1989, p. 69), « le fondement de la grammaire consiste […] dans le jugement que les sujets parlant une langue portent sur les données de cette langue », ces jugements étant supposés permettre de faire la différence entre phrases grammaticales et agrammaticales, légitimant ainsi toute la démarche générative. L’importance du contraste grammatical/agrammatical pour la théorie linguistique dépasse évidemment la seule grammaire générative, même si c’est à l’intérieur de celle-ci qu’il a reçu la théorisation la plus acharnée12. Personne ne nierait que les locuteurs puissent faire des jugements normatifs sur les énoncés. L’étendue de ces jugements, leur cohérence, et leur distribution à travers une communauté de locuteurs font actuellement l’objet de débats. Cette question dépasse le cadre de la présente étude, comme le suggère, de façon sans doute un peu inattendue, Bourdieu (2003 [1997]) : dans un extrait de Méditations pascaliennes qui n’aborde aucunement la linguistique, Bourdieu répond à la question de savoir si on peut fonder la linguistique sur les jugements normatifs des locuteurs. En se montrant « soucieux d’éviter de faire comme si était universelle la disposition à regarder sa propre expérience et sa propre pratique comme un objet de connaissance à propos duquel on peut penser et parler » (2003 [1997], p. 89), Bourdieu nous invite à contourner le cadre habituel dans lequel se déroule le débat sur la grammaticalité. Selon lui :
l’inconscience de tout ce qui est impliqué dans le point de vue scolastique conduit à l’erreur qui consiste à mettre « un savant dans la machine » […] en prêtant aux agents la raison raisonnante du savant raisonnant à propos de leurs pratiques (et non la raison pratique du savant agissant dans l’existence quotidienne) ; ou, plus précisément, en faisant comme si les constructions (théories, modèles ou règles) que l’on doit produire pour rendre les pratiques ou les œuvres intelligibles à un observateur qui ne peut les saisir que de l’extérieur et après coup […] étaient le principe effectif et efficient de ces pratiques. (2003 [1997], p. 90)
Il évoque ensuite « l’inégalité, éclatante, de l’accès à l’opinion dite “personnelle” », qui « heurte l’universalisme intellectualiste qui est au cœur de l’illusion scolastique », et qui touche les questions de la grammaire tout autant que celles de la participation démocratique, cible première de la phrase de Bourdieu.
22Si avec celui-ci, on remettait en question, pour ce qui concerne la linguistique, « le dogme central de la foi rationaliste […] selon lequel la faculté de “bien juger”, comme disait Descartes, c’est-à-dire de discerner le bien du mal, le vrai du faux, par un sentiment intérieur, spontané et immédiat, est une aptitude universelle d’application universelle » (2003 [1997], p. 100), on serait contraint alors de relativiser assez profondément l’importance des jugements dits « de grammaticalité » pour la théorie linguistique, en voyant dans ceux-ci non pas le rendement d’une quelconque faculté de perception grammaticale innée dont il s’agit de livrer une théorie objective, mais plutôt des performances ou des routines métalinguistiques précises, distribuées de manière inégale parmi les locuteurs, et donc inaptes à livrer des données décisives sur un état de langue supposé fixe et objectif.
23Est-ce qu’une telle remise en question de l’« opinion » grammaticale peut se justifier ? Je répondrais par l’affirmative, pour deux raisons. Tout d’abord, l’état actuel de la recherche sur la grammaticalité en grammaire générative, qui tend à attribuer à chaque locuteur son propre idiolecte, voire à délaisser la notion même de « phrase grammaticale », me semble bien autoriser une telle vision des choses (voir Schütze 2019, Ott 2017, Riemer 2009). Deuxièmement, n’importe quel cours de syntaxe, dans lequel certains étudiants, quoique « locuteurs natifs », sont nettement moins prêts à trancher des questions de grammaticalité, confirme la vision de Bourdieu de la distribution inégale de la compétence métalinguistique13. Tout, donc, donne à penser que les jugements de correction grammaticale ne relèvent en rien de la « perception » cognitive des propriétés objectives des langues, mais d’une performance culturelle, fortement marquée d’ailleurs par les pratiques scolastiques normatives. Si cela « a pour conséquence inévitable », comme l’objecte Milner, justement à l’endroit de la pensée bourdieusienne, « que la grammaire est un artéfact », c’est une conclusion qu’on pourra accepter sans rechigner (voir la section 5 plus bas), sans toutefois se voir obligé d’adhérer à la conséquence que Milner en tire, à savoir, l’affirmation selon laquelle « la linguistique, elle aussi, est illusoire » (1989, p. 72).
3.2. L’efficacité de la grammaire
24Deuxième argument de Milner pour l’objectivité de la linguistique, le « succès » supposé de l’activité grammaticale :
On a constaté que l’activité grammaticale existe depuis longtemps et pratiquement partout. On a constaté également que, malgré les grandes diversités qui séparent les diverses traditions, elle a des traits communs – et non triviaux – qui la caractérisent de manière exclusive. On a constaté enfin que l’activité qui présente de tels traits a, partout où elle existe, et nonobstant les diversités qui la divisent, rencontré les plus grands succès. Ce succès doit être expliqué par des propriétés objectives ; de plus certaines de ces propriétés doivent être communes aux langues, puisque toute langue est grammaticalisable. (Milner 1989, p. 61)14
Ce raisonnement laisse perplexe pour plusieurs raisons. L’affirmation de l’universalité de la grammaire ignore les résultats de la recherche historique, qui démontre les conditions assez précises de l’émergence de la grammaire en tant que « technologie » intellectuelle particulière, conditions dans lesquelles l’existence de l’écriture prime comme prérequis incontournable (Auroux 1994 ; Auroux 1998, p. 275 soulève la même objection contre Milner). Loin donc d’un acquis universel de l’humanité, la grammaire s’avère tributaire de conjonctures historiques bien spécifiques. Les sociétés traditionnelles de l’Australie, pour ne citer que celles-là, n’avaient rien de ce qu’on reconnaîtrait comme une tradition grammaticale, malgré un outillage conceptuel développé dans bien d’autres champs culturels. Même la catégorie « sens/signification » fait défaut dans les langues aborigènes que je connais (Riemer 2010, p. 9-10).
25Quant au prétendu « succès » de l’activité grammaticale, on ne sait pas exactement sur quels critères Milner raisonne. Il est banal de constater que l’efficacité des grammaires vaut surtout pour une gamme très réduite de pratiques langagières, surtout écrites : il n’est pas bête de faire appel à une grammaire de français si on écrit un thème. La compétence dans une langue vivante ne repose pas sur le contrôle d’un ensemble d’éléments hors contexte, comme des paradigmes ou des règles grammaticales, mais dans la maîtrise des situations sociales dans lesquelles, très souvent, la question de l’identité de la langue parlée n’est même pas pertinente, celle de sa correction encore moins. Ainsi, dans une étude très riche, Gafaranga et Torras démontrent que l’appartenance linguistique des formes utilisées n’est pas forcément « localement significative » dans des situations de codeswitching, et que ce qui importe aux participants bilingues étudiés n’est pas de savoir à quelle langue la forme choisie appartient, en l’occurrence le français ou le kinyarwanda, mais de comprendre le « travail interactionnel » que les différences sémantiques des deux choix linguistiques rendent possible (2001, p. 207, 214). Ceci permet aux auteurs de conclure que « la notion de langue n’est donc pas particulièrement utile quand on étudie l’alternance des langues chez les locuteurs bilingues » (2001, p. 208). Or, si la pertinence de la notion « langue » est remise en cause, celle de la notion de « grammaire » l’est forcément aussi, du moins dans la mesure où celle-ci ne se conçoit pas autrement que comme grammaire d’une langue précise.
26On constate le même phénomène lors de la recherche sur le terrain auprès d’informateurs multilingues, qui se soumettent parfois avec difficulté à l’injonction de n’utiliser que des mots de la langue à laquelle le linguiste s’intéresse. Dans des situations de multilinguisme « profond », se borner à une seule langue oblige l’informateur à se mettre dans un rapport d’extériorité très peu naturel envers ses propres pratiques langagières. Dans cette optique, l’objectivation d’une catégorie « langue » trahit déjà une attitude scolastique, normative, de troisième personne, très éloignée de l’assise phénoménologique de l’activité langagière, l’immersion en temps réel dans un univers interactionnel dans lequel on ne s’arrête pas pour se demander quelle langue on parle, ou quelles normes on respecte (voir Healey 1974, p. 5 pour des illustrations intéressantes)15. Soutenir le contraire, c’est faire valoir ce que dénonce Vološinov comme un parti pris bien propre à la pensée philologique traditionnelle : le fait de se concentrer sur le mot mort, étranger, monologique, soustrait de toute interaction réelle (2010 [1929], p. 269). Comme le remarque Bowern (2015, p. 148), engager une réflexion abstraite sur la langue ne relève pas de la capacité de tout le monde. Beaucoup de considérations poussent donc à remettre en question la « langue » comme catégorie « émique » pour leurs locuteurs : le fait que les locuteurs de créoles ne les reconnaissent pas souvent comme des langues à plein titre en est une preuve bien connue (voir par exemple Degraff 2005), mais c’est loin d’être la seule. Ainsi, Michael Walsh fait état d’un phénomène rencontré de temps en temps en Australie : il se trouve parfois que des locuteurs aborigènes prétendent qu’une langue donnée – la leur – n’est plus vivante, avant d’entamer une conversation dans cette langue même. En réponse aux questionnements du linguiste, on affirme qu’on ne fait que « rigoler », réponse qui témoigne de la complexité des considérations derrière le choix de la désignation « langue » pour un ensemble de pratiques langagières16.
27Il n’est peut-être pas inutile d’évoquer à ce propos un aspect de la phénoménologie de la conversation, que je suppose ne pas relever uniquement de ma propre expérience personnelle. Quand on remarque que son interlocuteur vient de commettre un lapsus ou une autre « erreur linguistique », cela engendre une réponse qui ne se situe aucunement sur le plan de la grammaire, mais sur celui du « contenu »17. On ne constate pas, dans un premier temps, une quelconque faute de langue ou de grammaire, mais simplement une déchirure dans le tissu de la parole, une rupture de compréhensibilité, une violation des attentes dont l’analyse métalinguistique est bien loin. Dans ce genre de situation, on ne se dit pas « tiens, une erreur de lexique », ou « une faute d’accord », on effectue plutôt une substitution mentale de la bonne expression, sans faire appel à la moindre catégorie grammaticale ou sémantique. La situation est comparable dans la conversation entre les locuteurs natifs, qui ne remarquent souvent même pas les nombreuses erreurs qui jalonnent le discours naturel (Ferber 1991, Noteboom et Quené 2013). Dans les deux cas, ce n’est que dans un deuxième temps, en se retirant du statut de participant pour endosser le statut d’analyste, qu’on s’aperçoit d’une faute de nature linguistique, ce qui traduit l’extériorité de la perspective linguistique à la phénoménologie de la parole.
28Le « succès » des grammaires qu’évoque Milner est avant tout imputable à la position privilégiée qu’occupe la grammaire dans le lacis de pratiques normatives, surtout scolaires et culturelles, dont elle se trouve à l’origine même, et qui ne constitue donc aucunement une preuve indépendante de la réalité de son objet. Rappelons l’« hypothèse des outils linguistiques » (OL) d’Auroux :
Une grammaire, un dictionnaire, et les autres objets de ce type, tels qu’on les rencontre, en particulier, dans la société occidentale, sont des objets techniques qui prolongent le comportement « naturel » humain et le transforment de manière analogue à ce que produisent les objets techniques matériels courants (instruments de jet, de frappe, etc.)
corollaire : Les pratiques langagières observables ne sont pas les mêmes selon que dans une culture donnée existent ou non des outils linguistiques ; elles varient également en fonction de la nature de ces outils. (1998, p. 265)
L’hypothèse OL revient à ceci : dans certains cas, l’usage linguistique n’est pas simple convention, ni simple institution, il est artefact, donc technique. Elle est, sans doute, testable empiriquement. L’école française d’histoire des sciences du langage en a fait l’hypothèse la plus plausible. (1998, p. 267)
L’activité grammaticale ayant un rôle constitutif au sein de maintes pratiques linguistiques de base, son « succès » dans ces domaines-là ne saurait guère être érigé comme preuve de l’objectivité des propriétés linguistiques qu’elle enseigne, pas plus que le « succès » d’un manuel d’harmonie comme celui de Rameau constitue une preuve de l’« objectivité » des règles musicales qu’il véhicule. On peut aller encore plus loin : si l’objectivité de l’activité grammaticale se mesurait à l’aune du succès des livres de grammaire pour les besoins de l’apprentissage des langues, on serait contraint d’aboutir à la conclusion contraire à celle que fait Milner : personne n’apprend à parler couramment une langue vivante par le biais d’une grammaire, même si une partie de la capacité acquise peut être reconstruite en termes de catégories grammaticales.
3.3. La grammaire : faculté mentale ?
29Depuis le reflux du comportementalisme en linguistique, on a souvent justifié l’objectivité de la grammaire par l’hypothèse cognitive : en tant que faculté mentale, la grammaire se prête aux mêmes techniques empiriques que toute autre propriété biologique ; le nier, c’est consentir au « dualisme méthodologique » épinglé par Chomsky (2005 ; Johnson 2007). Je ne peux pas aborder de façon détaillée cette hypothèse ici, je me bornerai tout simplement à quelques remarques. Premièrement, alors que personne ne nie la réalité objective du cerveau, une controverse notoire remet en cause la validité de l’hypothèse cognitive, c’est-à-dire le bien-fondé d’un niveau objectif de théorisation autonome pour les phénomènes mentaux, auxquels certains veulent refuser toute légitimité explicative (Patricia Churchland 1986 ; Paul Churchland 1988). Deuxièmement, on ne peut ignorer les problèmes théoriques de taille que pose une notion de base de l’hypothèse cognitive, celle de règle. Comme le reconnaît Chomsky, le paradoxe des règles dû à Wittgenstein (2004 [1953]) et à Saul Kripke (1996 [1982]) représente le défi le plus sérieux que la grammaire générative ait à affronter. Ce dernier menace tout autant les autres approches cognitives, même celles qui croient rejeter la notion même de règle. J’y reviendrai en détail dans le chapitre suivant.
30De notre point de vue, le cas de la grammaire cognitive comme la pratique Langacker est assez révélateur. En principe, la prétention de cette école à décrire des structures mentales, voire neuronales, implique d’écarter toute possibilité d’analyses multiples d’un même phénomène linguistique : si, au bout du compte, la linguistique cible des structures biologiques, elle se trouve dans l’obligation de présenter des analyses définitives et singulières de ces objets. Or, Langacker fait le contraire, en articulant un principe méthodologique novateur, le rejet de ce qu’il appelle l’exclusionary fallacy (Langacker 1987, p. 28-30), c’est-à-dire l’idée selon laquelle il ne peut y avoir qu’une seule bonne analyse d’un phénomène donné. Malgré l’affirmation du caractère « cognitif » de sa théorie, le fondateur de la grammaire cognitive se voit obligé de reconnaître la multiplicité des analyses possibles, sans pouvoir trancher entre elles. C’est une conclusion qui correspond tout à fait à la vision herméneutique de la linguistique.
4. Herméneutique et typologie
31La typologie linguistique, héritière moderne des tentatives de comparaison de langues remontant au moins au traité de 1551 de Gessner (2009), se charge d’assurer la comparaison de structures grammaticales (Feuillet 2015). Elle le fait en effectuant la « traduction » de celles-ci dans un métalangage descriptif prétendument universel, mais qui s’exprime dans une langue véhiculaire maîtrisée par le théoricien, le plus souvent l’anglais, qui sert aussi à exprimer les explications textuelles, discursives, qu’on énonce au sujet des catégories typologiques ainsi dégagées. C’est pourquoi la typologie peut être envisagée, sous bien des aspects, comme le pendant structurel de la démarche discursive de la traduction, domaine longtemps privilégié de l’herméneutique. Or c’est justement au sein de la typologie que la conception herméneutique de la linguistique a connu un tournant tout à fait intéressant. On observe ainsi l’apparition au sein de la typologie, grâce notamment à Haspelmath (par exemple 2010), de la reconnaissance d’une différence fondamentale entre les concepts « comparatifs » mobilisés pour les besoins de la typologie, et les catégories « descriptives » qu’on avance pour saisir la singularité grammaticale des langues particulières. Pour Haspelmath, on ne décrit pas les grammaires de langues diverses avec les concepts qu’on utilise pour les comparer. L’essentiel de son propos peut être résumé par deux propositions : premièrement, l’idée selon laquelle les concepts comparatifs ne sont pas objectifs, n’ayant aucune assise dans le réel des grammaires, et variant en fonction des questions abordées ; deuxièmement, l’affirmation que les catégories descriptives, elles, saisissent bien la réalité des grammaires « dans leurs propres termes ».
32Laissons provisoirement de côté la question, qu’on abordera au prochain chapitre, de savoir ce que c’est que de saisir les grammaires « dans leurs propres termes » ; on assiste ici à une illustration presque parfaite du pluralisme essentiel de l’analyse linguistique. En introduisant la notion de « concepts comparatifs », Haspelmath rompt de manière frappante avec une conception totalisante de la linguistique, dont l’ambition serait de dresser, une fois pour toutes, une liste unique de catégories grammaticales – version morphosyntaxique de l’alphabet phonétique international. Malgré leur validité et leur utilité, Haspelmath soutient que les concepts comparatifs ne jouissent pas de la moindre réalité psychologique ; ils ne sont ni vrais, ni faux. Je m’attarderai sur cette analyse dans le chapitre suivant. Pour l’instant, il suffit de constater un problème, déjà relevé par Itkonen (2010), très révélateur pour notre propos : prétendre que les catégories comparatives sont fictives revient à affirmer que les langues du monde n’affichent pas de similarités catégorielles réelles – conclusion qui donnerait à réfléchir à tout chercheur sérieux. Si les termes qui servent à la comparaison des langues ne sont pas les mêmes que ceux qu’il faut utiliser pour les décrire, cela remet en cause la validité même des comparaisons qui en résultent, car celles-ci ne mobilisent pas les concepts auxquels il faut faire appel pour décrire la véritable structure grammaticale sous-jacente des langues, « dans leurs propres termes ». Les comparaisons seraient donc en quelque sorte factices. Ceci étant, comment justifier la typologie comme domaine légitime des sciences du langage, si les analyses typologiques sont établies non pas sur la base de la véritable structure des langues étudiées, mais à partir d’un choix libre qui n’est justifié par aucun critère de validité, et qui variera certainement au gré des chercheurs ?
33C’est seulement en renonçant à soutenir une épistémologie objectiviste de l’analyse linguistique qu’on pourra rendre compte correctement de l’activité comparative, en supprimant l’écart arbitraire entre la description et la comparaison des langues. Comme je le démontrerai dans le chapitre qui suit, ni à l’intérieur de chaque langue, ni dans les comparaisons entre elles, une conception objective, non herméneutique, de l’analyse linguistique n’est soutenable. En reconnaissant la nature des concepts comparatifs, Haspelmath articule une propriété cardinale de la linguistique entière. Il faut donc se défaire de ce qui reste d’objectivisme dans ses propos, en étendant la conception herméneutique de l’analyse linguistique jusqu’à l’intérieur de la description structurale des grammaires particulières.
34Cela n’entraîne pas qu’une véritable science du comportement langagier serait à exclure ; tout au contraire. Mais elle proviendra des laboratoires des neurosciences, non pas des sciences du langage « traditionnelles », c’est-à-dire de celles qui s’appuient, que ce soit de façon assumée ou implicite, sur des catégories et des concepts « intentionnels » (significatifs) pour modéliser la structure grammaticale ou sémantique. Pour prendre position de façon expéditive sur une question centrale de l’épistémologie, on peut affirmer qu’une démarche scientifique saura sans doute saisir les faits de langue en tant que gestes physiques, mais non en tant qu’action significative.
35Dans l’ouvrage dans lequel il expose sa conception de l’écart entre la description grammaticale et la comparaison typologique, Haspelmath (2010, p. 664) soutient le cadre d’analyse qu’il appelle le « particularisme catégoriel » :
Parmi les idées les plus pénétrantes de la linguistique structurale du vingtième siècle […] était l’idée selon laquelle on décrit le mieux les langues dans leurs propres termes (par exemple Boas 1911), plutôt qu’en termes d’un ensemble de catégories préétablies supposées universelles, alors qu’en réalité on les a prises d’une tradition grammaticale influente (par exemple : la grammaire latine, ou la grammaire anglaise, ou la grammaire générative, ou la « théorie linguistique de base »).18
Cette visée relativiste – à chaque langue sa grammaire – est alimentée par la conception quasi saussurienne des langues comme des réseaux dont la valeur grammaticale des éléments découle des jeux de contrastes structurels auxquels ils participent, et qui ne se prêtent donc pas à des comparaisons interlinguistiques. Comme l’illustre cette citation, le particularisme catégoriel entend rendre aux langues leur diversité en les sortant du carcan des catégories grammaticales traditionnelles, ambition tout à fait louable, et d’une continuité évidente avec l’esprit qui animait la description des langues amérindiennes, comme le suggère l’allusion à Boas.
36Pourtant, c’est en se reportant justement à Boas et au texte fondateur du comparatisme moderne, l’introduction du Handbook of American Indian Languages, qu’on constatera une dimension subtile de la conception du rapport qu’entretient le chercheur avec la variation linguistique :
Les esquisses grammaticales qui suivent ont été préparées par des enquêteurs ayant chacun étudié de manière particulière la souche linguistique dont il traite. Nous avons tenté d’adopter, autant que cela a été faisable, une méthode uniforme de traitement, sans toutefois sacrifier la conception individuelle de chaque enquêteur.
En accord avec les conceptions exposées dans les chapitres de cette introduction, la méthode de traitement a partout été une méthode analytique. Aucune tentative n’a été faite de comparer les formes des grammaires indiennes avec les grammaires de l’anglais, du latin, ou même entre elles ; mais dans chaque cas les groupements psychologiques qui sont proposés dépendent entièrement de la forme interne de chaque langue. En d’autres termes, la grammaire a été traitée comme si un Indien intelligent était en train de développer les formes de ses propres pensées par une analyse de sa propre forme de discours. (Boas 2018 [1911], p. 81, traduction modifiée, c’est moi qui souligne)19
Observons que Boas reconnaît deux types de variation qu’il faut prendre en compte : d’une part, la variation grammaticale structurelle, qui exige une représentation respectant la « forme interne » de chaque langue, expression dont la provenance humboldtienne – probablement connue de Boas par le biais de Steinthal20 – est très claire ; d’autre part, la variation scientifique des linguistes, dont chacun détient une « conception individuelle » qu’il faut préserver, même dans le cadre d’un traitement uniforme des différentes langues étudiées21. Malgré cet effort d’uniformisation, la description linguistique n’est manifestement pas envisagée selon le modèle d’un simple enregistrement ou d’une simple transcription d’un état de fait brut et univoque. Loin d’un tel positivisme, Boas présente les esquisses grammaticales du Handbook comme les résultats d’un contact dialectique entre chaque linguiste et les locuteurs, dans lequel, des deux côtés, la variation est incontournable : non seulement les langues étudiées se distinguent l’une de l’autre, mais, de plus, chaque descripteur y apporte sa « conception individuelle » – affirmation à rapprocher des « points de vue presque innombrables et également légitimes où on peut se placer », selon Saussure, pour envisager « chaque élément du langage et de la parole » (Saussure 2002, p. 76-77)22. Chez Boas, l’idée n’est ni thématisée ni développée ; malgré le nombre des évocations chez lui du point de vue de l’observateur (Laplantine 2018, p. 36), l’idée ne trouve guère d’échos ou de développement ailleurs dans l’introduction du manuel, ni dans les discussions récentes, où seul le premier type de variabilité a été retenu. C’est surtout dans le cadre d’une certaine sociolinguistique critique qu’on trouve une réflexion importante sur la « réflexivité » de la recherche linguistique (Blanchet 2012, Calvet 2007, Moïse 2009, Robillard 2009), réflexion qui mériterait d’être encore plus poussée et généralisée en passant du domaine des pratiques langagières – surtout celles comme les créoles et les « patois » souvent considérées comme « périphériques » (Bretegnier 2009) – pour intégrer la vision de la grammaire même.
37Reconnaître la contribution capitale du linguiste à l’interprétation grammaticale d’une langue revient en quelque sorte à poser celui-ci comme le créateur d’une grammaire, en prenant le terme « grammaire » non pas dans son acception d’« ouvrage » mais dans celle d’« objet ». Cette manière de voir les choses est aux antipodes d’une épistémologie, positiviste, de la linguistique, qui soulignerait la réalité indépendante des objets grammaticaux, en oubliant que « la conception du langage qui ressort d’une théorie linguistique […] reste redevable de l’effort d’abstraction essentiel à la constitution de son objet » (Vallée 2012, p. 105). Elle renoue néanmoins avec une conception très ancienne de l’activité grammaticale, souvent méconnue dans la discipline moderne, qu’il importe de rappeler. Comme l’a démontré Sylvain Auroux (1994, 2012), entre autres, les humanistes de la Renaissance, les premiers grammairiens des langues vernaculaires européennes, y compris le français, cherchaient à doter leurs langues d’une grammaire, conçues comme n’en possédant pas encore, dans le but de les « cultiver » ou de les « illustrer » pour les transformer en rivales dignes du latin23. Cela explique pourquoi, comme l’a démontré Raby (2020), on ne faisait même pas de différence systématique entre les grammaires françaises destinées aux « locuteurs natifs » et celles destinées aux étrangers : si c’est le savant qui dote le français d’une grammaire, peu importe que le lectorat soit francophone ou non. Ce qu’on peut appeler l’idéologie « artéfactuelle » des grammairiens de la Renaissance n’était donc rien d’autre que l’équivalent, dans le domaine grammatical, des attitudes bien connues rencontrées partout ailleurs, que ce soit dans la littérature ou dans des champs plus techniques, comme l’imprimerie ou la réforme de l’orthographe – des domaines par ailleurs étroitement liés à, voire souvent non différenciés de la grammaire elle-même. Pour les auteurs des grammaires, une conception artéfactuelle de leur rôle cadrait parfaitement avec leurs autres activités humanistes. Les mêmes intellectuels écrivaient des grammaires qui développaient des orthographes, composaient des textes littéraires ou contribuaient à l’évolution de l’imprimerie. La grammaire faisait donc partie intégrante des efforts plus larges pour transformer la langue vernaculaire en moyen de communication artistique et savant comparable au latin et grec. Les grammairiens présentent donc souvent leur rôle comme revenant à constituer une version fixée et grammaticale de leur langue24. Lorsqu’un humaniste évoquait l’illustration, la réduction, ou la mise en règle de la langue française, il faisait référence à une démarche de transformation fondamentale de celle-ci, qui se verrait « mise en art », sortant du domaine du naturel pour intégrer celui de l’artificiel.
38La description classique du rôle du grammairien comme celui qui « donne des règles » à une langue résume parfaitement cette attitude, qui considère qu’influer sur l’usage n’est qu’un but secondaire, catégoriquement récusé d’ailleurs de temps en temps par certains grammairiens, ce qui entraîne une mise en cause de l’interprétation « prescriptive » des grammaires de cette époque, comme je l’ai déjà démontré (Riemer 2016a, 2017). Les humanistes étaient en plus les héritiers d’une tradition ancienne qui soulignait le statut artificiel des langues en général, et du latin en particulier. L’origine artificielle de la grammaire dans cette tradition n’est qu’une conséquence de l’origine artificielle de tous les arts. Les langues vernaculaires étaient, par nature, corrompues et irrégulières. D’un certain point de vue, on peut même soutenir que celles-ci n’étaient pas véritablement des langues (Tavoni 1984, p. 93), ce que traduisent les comparaisons récurrentes entre les langues vernaculaires et les cris d’animaux25. La tâche principale du grammairien n’était pas de décrire les langues telles quelles, ni de prôner certains choix linguistiques aux dépens d’autres. La mission du grammairien n’était donc ni descriptiviste, ni prescriptiviste, mais « artéfactuelle ». Il lui revenait de rendre un dialecte vernaculaire digne du titre de langue, tout comme les savants romains avaient transformé le latin. Cela revenait à établir une langue qui n’existait pas encore. Dans cette optique, la grammatisation doit être comprise comme activité créant les langues, selon l’acception profonde qu’avaient les humanistes de cette notion.
39Quel intérêt de remettre ainsi une conception herméneutique de la linguistique dans le temps long de l’histoire de la grammaire ? Il ne s’agit pas, bien évidemment, de prêter la moindre « corruption » aux langues « vernaculaires » contemporaines, encore moins denier leur fondement dans la « raison » humaine. En pointant le rapport entre la conception herméneutique de la structure linguistique et les attitudes intellectuelles ayant conduit aux premières grammaires des vernaculaires européens, il est plutôt question de souligner l’écart radical qui sépare les pratiques langagières quotidiennes et les constructions savantes qui prétendent, par le biais des systématisations grammaticales, en rendre compte. Pour les humanistes, constater cet écart relevait de l’évidence. Chez les spécialistes contemporains de la langue, en revanche, la prise de conscience de la non-identité des grammaires et des pratiques langagières se perd de plus en plus, à mesure que progressent les versants linguistiques de la raison instrumentale, les promesses de la traduction automatique, et les fantasmes d’une axiomatisation achevée de l’esprit dans le sillage des sciences cognitives et du comportement. Loin d’une telle conception, aux yeux des grammairiens humanistes, l’activité grammaticale savante effectuait une transformation fondamentale (de l’irrégulier au régulier, de l’irrationnel au rationnel, du non linguistique au linguistique) des vernaculaires, ce qui interdisait de revendiquer pour eux le statut purement « empirique » que l’histoire de la linguistique leur a le plus souvent attribué. Après six cents ans de tradition grammaticale, l’ampleur de la différence entre une langue « vernaculaire » et sa représentation raisonnée, sa « grammaire », est devenue bien moins évidente, expédiée de façon souvent sommaire par les bipartitions constitutives de la linguistique moderne (grammaire/usage, langue/parole, compétence/performance : à ce propos, l’analyse de Pêcheux 1975, et surtout la conclusion, sont à recommander)26. En la faisant ressortir, on récupère un trait crucial pour toute tentative de compréhension de la nature de l’activité grammaticale, et on restitue une vision qui s’inspire, de manière fort herméneutique d’ailleurs, des sources mêmes du champ grammatical savant.
5. Les points de vue de la grammaire
40Pour bien profiter des acquis d’une approche herméneutique, il ne suffit pas de rendre l’enquête linguistique « réflexive », en s’efforçant de contourner le biais du chercheur pour « saisir le réel » des pratiques langagières, et en voyant « l’autre non pas à partir de nos propres catégories construites et rationalisées, mais à partir des siennes propres telles que je peux alors les dé-couvrir » (Moïse 2009, 179). De telles affirmations risquent, par ailleurs souvent à l’encontre des intentions manifestes de leurs auteurs et peut-être aussi à leur insu, de réinscrire au sein de la recherche un souci d’objectivité qui s’oppose tout à fait à la visée herméneutique telle qu’on la défend ici. En proposant, quant à la langue et à d’autres phénomènes sociaux, de prendre « profondément en compte les significations qu’ils ont pour leurs acteurs eux-mêmes » (Blanchet 2007, p. 254) on risque d’occulter ou de manquer une reconnaissance du caractère pluriel des phénomènes de signification linguistique. Car le sens est pluriel, il est le résultat d’une interaction dialogique, et non une propriété intrinsèque et singulière qui siègerait à l’intérieur d’un sujet souverain. Cela vaut tout autant pour la signification des énoncés tels qu’on les étudie en sémantique (chapitre 3) que pour les interprétations de structure linguistique comparative dans la typologie linguistique (chapitre 2). Ainsi, Lander et Arkadiev expriment leurs doutes quant à savoir « si une approche pleinement “non aprioriste” et “sans cadres” serait productive, voire possible, dans la description et la typologie linguistique » (2016, p. 412)27. Et les auteurs d’expliquer que tout travail grammatical est tributaire des attentes et des idées préconçues des grammairiens, et que celles-ci « déterminent forcément l’éventail des questions que pose le linguiste et, au moins en partie, la catégorisation et la description des données linguistiques ou l’analyse typologique qu’il ou elle produira »28
41Impossible de donner tort à de tels propos. Il ne faut quand même pas s’arrêter là. L’affirmation des auteurs concerne surtout la démarche analytique du linguiste. Elle consiste à souligner le fait qu’on n’est jamais innocent lorsqu’on aborde l’exploration d’une langue peu familière. Selon les auteurs, les préjugés et les attentes théoriques jouent un rôle surtout en amont, en déterminant les questions que pose le chercheur. Leur argumentation présuppose l’idée selon laquelle, au fur et à mesure que l’analyse se poursuit, on réussit à épurer la description grammaticale de la plupart de ses éléments étrangers, en la libérant le plus possible des apriorismes provenant du cadre analytique de départ. Même si on n’achève jamais une telle épuration, les auteurs abordent la question de l’influence des catégories surtout comme un problème de méthode ou de technique29.
42L’idée selon laquelle on ne saisit le réel qu’en se débarrassant de ses propres préjugés est à la base même de la modernité scientifique. Toujours est-il qu’il faut savoir bien aborder le problème, surtout en faisant la différence entre les domaines qui admettent, ou pas, un regard objectif. À la différence de leurs supports dans les processus physiques, qui justifient parfaitement, eux, un traitement objectif, les dimensions intentionnelles et symboliques des langues, à savoir toutes celles qui engagent des catégories linguistiques et non biologiques, sont à ranger dans la deuxième catégorie. Plutôt donc qu’un obstacle méthodologique à repousser, il faut voir dans la situation que décrivent Lander et Arkadiev une qualité foncière de l’analyse linguistique, une condition ontologique à assumer. Pour bien penser cette condition, il faut changer de cap épistémologique. La quasi-totalité du débat autour de la notion de concepts comparatifs, évoquée plus haut, se déroule dans le courant dominant de la linguistique, une perspective tributaire, pour son épistémologie, de ce que Charles Taylor appelle la « tradition Hobbes Locke Condillac »30. Cette tradition propose de rendre compte de la langue à l’intérieur de l’épistémologie représentationnelle moderne qu’on doit surtout à Descartes, selon laquelle l’esprit est constitué d’« idées » qui représentent, tant bien que mal, la réalité, dont découle la signification des mots (Taylor 2016, p. 4). Dans une telle perspective, les langues ont bien, idéalement, malgré les « imperfections » introduites par les locuteurs, une réalité cognitive unique, reflet de la singularité du monde qu’elles représentent, et qu’il s’agit de sonder, en libérant le plus possible l’analyse des préjugés qui proviennent de l’histoire particulière du chercheur. On est donc pleinement dans un cadre objectiviste.
43Pour bien penser la matière, il faut plutôt se tourner vers des penseurs comme Dilthey, Wittgenstein, Quine, Gadamer, Taylor ou Rastier. C’est en se reportant à Hans-Georg Gadamer en particulier qu’on commencera à entrevoir les prémisses qu’il faudrait suivre pour bien penser la comparaison des langues31 :
Les préjugés ne sont pas nécessairement injustifiés et erronés en sorte qu’ils masquent la vérité. Au vrai l’historicité de notre existence implique que les préjugés constituent, au sens étymologique du terme, les lignes d’orientation préalables et provisoires rendant possible toute notre expérience. Ce sont des préventions qui marquent notre ouverture au monde, des conditions qui nous permettent d’avoir des expériences et grâce auxquelles ce que nous rencontrons nous dit quelque chose. (Gadamer 1999 [1967], p. 36)
« Nous ne chercherions pas le sens », nous explique Bouveresse (1991, p. 23), « si nous n’avions pas déjà trouvé un sens ». La question, comme l’affirme ailleurs Gadamer, revient donc finalement à se demander quels préjugés, quels sens précédemment trouvés, sont bien légitimes. Sans point de vue particulier, impossible de voir quoi que ce soit : la possibilité même de voir les détails d’un paysage de façon claire exige la stabilité d’une assise fixe, sans quoi l’impression visuelle restera floue et moirée. Survient alors le problème évident de savoir bien choisir son point de vue : de tous les points de vue qu’on pourrait imaginer, lequel permet de saisir l’objet de manière la plus juste, au ras du réel ? C’est là qu’intervient l’idée directrice d’une approche herméneutique, riche des acquis de la phénoménologie : « l’aspect sous lequel une chose se présente fait […] partie de sa propre nature »32. Soutenir une telle affirmation ne revient aucunement à adhérer à un relativisme complaisant, mais exige plutôt d’assumer, et surtout d’expliciter le point de vue depuis lequel on regarde, en s’en rendant ainsi responsable. Faire cela, c’est rejoindre l’affirmation de Blanchet (2012, p. 18) qu’« il est plus honnête – et aussi plus modeste – de dire de quel point de vue l’on parle que de neutraliser l’énonciation et de faire comme si l’on exposait une – voire la – vérité universelle ».
44Dans une telle perspective, la vocation de la grammaire descriptive et de la typologie linguistique ne serait donc pas de projeter toute la variation linguistique, qu’elle soit interlinguistique ou à l’intérieur d’une seule langue, sur le plan d’un métalangage unique, prétendument universel. Comme l’exprime Taylor, encore une fois :
Les langages scientifiques soi-disant neutres, en prétendant éviter la compréhension, finissent toujours sans le savoir par être ethnocentristes. Les termes supposés neutres qui identifient les actions de l’autre peuple […] tous reflètent le poids de la raison instrumentale dans notre civilisation depuis le xviie siècle. (1997, p. 209)
Il s’agit plutôt d’engager une réflexion plurivalente sur les grammaires et leur comparaison, dans le but d’en afficher les richesses protéiformes. Aucun intérêt, dans une telle perspective, d’aboutir à une analyse unique de la grammaire.
45Cela ne veut absolument pas dire qu’il faut abandonner l’entreprise grammaticale comme on la pratique aujourd’hui : non seulement cela serait bien dommage, étant donné le grand intérêt intellectuel de la discipline, mais cela serait sans aucune justification possible. Plutôt donc que d’exclure la plupart des descriptions pour ne retenir que celle jugée comme correspondante à la réalité supposée objective d’une langue, il s’agirait de multiplier les analyses, tout comme pour les concepts comparatifs de Haspelmath, dans deux buts : mettre au jour la diversité métalinguistique, sans laquelle on ne peut pas bien penser la diversité linguistique ; et résister à ce que François Rastier appelle « l’ambition formelle – qui – n’est peut-être alors qu’une forme non critique de l’ambition transcendantale » (Rastier 2001, p. 67). Pour la linguistique comparative, cela entraîne une critique, que le prochain chapitre assurera, de l’idée selon laquelle le but de la grammaire descriptive serait de décrire chaque langue « dans ses propres termes ».
Notes de bas de page
1 Avec l’attention qu’elle porte aux questions de contexte, d’interaction et de présupposé, la pragmatique révèle une prise de conscience de l’importance des phénomènes herméneutiques dans l’activité langagière. Mais la modélisation qu’elle propose de ces phénomènes s’inscrit le plus souvent dans la même logique « objectiviste » qui vise une analyse singulière et définitive des procédés linguistiques, à rebours d’un cadre privilégiant le pluralisme descriptif et interprétatif.
2 Autant d’arguments qui poussent Rastier (2015, p. 115) à demander si « la linguistique et les sciences de la culture sont-elles le lieu des pensées définitives ? », question à laquelle il faut répondre, comme on le verra, et comme le fait Rastier, par la négative (voir Rastier 2006, p. 16).
3 « Interpretation, in the sense relevant to hermeneutics, is an attempt to make clear, to make sense of, an object of study. This object must, therefore, be a text, or a text-analogue, which in some way is confused, incomplete, cloudy, seemingly contradictory–in one way or another, unclear » (1985, p. 15). Sauf indication contraire, toutes les traductions sont les miennes.
4 Il est à noter que la situation des sciences de la nature n’est pas du tout la même. Dans ces sciences, les théories sont mathématisées et peuvent donc être appliquées de manière automatique, comme le prouve la possibilité de les mécaniser dans des machines (technologie médicale, etc.). Il est notoire que pour le langage, les techniques visant une telle automatisation n’impliquent pas les cadres intentionnels de la grammaire.
5 « Even at the descriptive level, there is quite a bit of abstraction and subjectivity in the labelling ».
6 « As a result, the range and nature of absolute universals depends entirely on the nature of the analysis and the descriptive metalanguage that one uses for a particular phenomenon ».
7 Contrairement donc à un lieu commun, l’originalité de la linguistique ne tient pas exactement au fait qu’on se serve de la langue pour expliquer la langue : toutes les sciences ont comme support la langue naturelle. La particularité de la linguistique, c’est plutôt le fait que le linguiste ne peut pas se passer de faire appel aux significations de la langue ordinaire pour rendre compte de la structure linguistique, y compris de ces mêmes significations. Le métalangage qui constitue le support de l’explication, c’est justement le langage, retourné sur lui-même. Tout comme le langage-objet, ce métalangage exige, à son tour, une interprétation.
8 « The temptation of thinking of semantics as necessarily hermeneutically based is perhaps greater than in other subfields of linguistics. After all, meaning is not directly observable–so how else would it be accessible if not through interpretation? This fallacy is directly responsible for […] the widespread assumption that it is impossible to study the semantics of languages the researcher does not speak, or at least does not speak native-like ».
9 Comme le remarque Rastier (2001, p. 71), on observe dans le passage entre les deux Wittgenstein la transition d’une problématique logico-formelle vers une problématique herméneutique.
10 « Even the basics are controversial ».
11 « Laypeople and many trained linguists alike continue to assume that interpretation is the only route to meaning and that semantics is therefore necessarily a hermeneutic enterprise. For the study of meaning in contexts where hermeneutic approaches alone are insufficient–for example, in field research on indigenous languages, in work with aphasic patients, and in the study of meaning in child language and gesture–this belief system is presenting a serious obstacle. It is obviously not a belief system held by the contributors to this volume–but many other colleagues, both fieldworkers and non-fieldworkers, do seem to subscribe to it » (Bohnemeyer 2015, p. 16).
12 Pour une esquisse des origines de la notion de la grammaticalité en grammaire générative, voir Léon et Riemer (2015), qui démontrent que, au début, les notions « grammatical » et « acceptable » étaient confondues dans les travaux de Chomsky.
13 Voir Bowern (2015, p. 149) pour des remarques pertinentes sur la difficulté qu’ont souvent les informateurs à trancher sur les questions de correction grammaticale dans le cadre de travaux de terrain.
14 Suite de la citation : « Si la linguistique est une science, elle est en particulier la science de ces propriétés objectives et communes. Elle a donc à se demander quelles sont les propriétés qui rendent les grammaires possibles ; en ce sens, le factum grammaticae ne lui importe pas seulement comme garantie ; il lui importe aussi comme problème à résoudre : une science achevée devrait entre autres choses dire pourquoi et en quoi le langage est toujours passible de grammaire ».
15 Voir Gil (2016, p. 451) pour un commentaire sur une autre situation qui va dans le même sens.
16 Michael Walsh, conférence au département de linguistique, université de Sydney, mars 2017.
17 L’étude de Ferber (1991) tire la conclusion que seulement une proportion des lapsus est même remarquée.
18 « It was one of the major insights of structuralist linguistics of the twentieth century […] that languages are best described in their own terms (e.g. Boas 1911), rather than in terms of a set of preestablished categories that are assumed to be universal, although in fact they are merely taken from an influential grammatical tradition (e.g. Latin grammar, or English grammar, or generative grammar, or ‘basic linguistic theory’) ».
19 « The following grammatical sketches have been contributed by investigators, each of whom has made a special study of the linguistic stock of which he treats. The attempt has been made to adopt, so far as feasible, a uniform method of treatment, without, however, sacrificing the individual conception of each investigator.
In accordance with the general views expressed in the introductory chapters, the method of treatment has been throughout an analytical one. No attempt has been made to compare the forms of the Indian grammars with the grammars of English, Latin, or even among themselves; but in each case the psychological groupings which are given depend entirely upon the inner form of each language. In other words, the grammar has been treated as though an intelligent Indian was going to develop the forms of his own thoughts by an analysis of his own form of speech ».
20 Je remercie un relecteur anonyme pour cette précision.
21 On peut noter ainsi que Boas souligne souvent dans l’introduction les différences de perspective ; voir p. 14 : « Nous reconnaissons donc que toute classification de l’humanité sera plus ou moins artificielle, selon le point de vue adopté, et ici, encore plus que dans le domaine de la biologie, nous nous apercevons que la classification ne pourra qu’être un substitut de l’étude génétique et historique des types existant actuellement ». [« We recognize thus that every classification of mankind must be more or less artificial, according to the point of view selected, and here, even more than in the domain of biology, we find that classification can only be a substitute for the genesis and history of the now existing types ».]
22 En s’opposant à une affirmation similaire, Pêcheux (1975, p. 154-155) soutient qu’« [à] partir du moment où “le point de vue crée l’objet”, toute notion et, aussi bien, tout concept apparaissent comme des fictions commodes, des “façons de parler” qui, en multipliant les êtres fictifs et les mondes possibles, mettent en suspens l’existence indépendante du réel comme extérieur au sujet ». Or, à l’encontre de l’idéalisme affiché à maintes reprises par Saussure dans Double essence du langage, source du passage cité, on pourrait répondre à Pêcheux que la réalité de l’objet, son extériorité à notre égard, se révèlent précisément dans l’impossibilité de le saisir depuis un seul point de vue, dans le fait qu’il se dérobe toujours à nos tentatives de préhension.
23 Weber (1987) est à consulter pour ce qui concerne la situation en Allemagne et aux Pays-Bas, et le chapitre 5 d’Auroux (1992) pour une vue d’ensemble européenne.
24 L’idée, très répandue dans la Renaissance, selon laquelle les écrivains avaient pour mission l’illustration des langues vernaculaires n’exclut aucunement les grammairiens, beaucoup d’entre eux (Alberti, Meigret) se classant également parmi ceux-là. On associait souvent grammairiens et autres écrivains – à titre d’exemple, Fortunio fait référence à « grammatici et […] altri scrittori » (2001 [1516], p. 10, §21).
25 Voir par exemple Erasme, Dialogue sur la prononciation du grec et du latin, 1528, I.913 DE, cité par Chomarat (1981, p. 68). On attribuait même aux animaux leurs propres langues (par exemple, Gessner 2009 [1551], p. 4 ; voir Rotta 1909, p. 97 pour une discussion générale), suivant ainsi un précédent antique (Porphyre, De Abstinentia).
26 Maldidier (1990) présente les travaux de Pêcheux de manière fort utile.
27 « we doubt whether a fully “non-aprioristic” and “framework-free” approach will be productive or indeed possible both in language description and linguistic typology ».
28 « These expectations […] will necessarily determine the range of questions the linguist will ask and, at least partly, the categorization and description of the linguistic data or the typological analysis s/he will produce ».
.29 C’est pourquoi ils n’évoquent même pas la linguicité des théories grammaticales, propriété selon moi cardinale, et à l’origine de la non-objectivité de notre discipline.
30 Pour des précisions importantes sur Locke, Dawson (2007) est à consulter.
31 Sur Gadamer, Angelis (2014) est à consulter.
32 « Als was sich etwas darstellt, gehört […] zu seinem eigenem Sein ». Voir Bouveresse (1991, p. 22 et suivantes) pour un développement de l’analyse gadamerienne du préjugé.
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