Chapitre 1
Des gentlemen anglais à l’origine de l’alpinisme
p. 31-56
Texte intégral
1Pendant des siècles, les montagnes sont considérées comme des endroits à éviter. La naissance de l’alpinisme comme discipline sportive est ainsi, en premier lieu, conditionnée par un changement de représentation des montagnes : comment passe-t-on de la vision d’une montagne fondamentalement inhospitalière à celle d’une montagne « terrain de jeu » ? Pour le dire autrement, quelles sont les conditions sociales de possibilité de l’alpinisme ? Plus encore, quelles sont les conditions sociales qui permettent, par la suite, son autonomisation, c’est-à-dire sa constitution comme activité à part entière ? Les montagnes en effet voient peu à peu des hommes s’y rendre sans autre motif avoué que de les escalader. Ces hommes sont, en grande partie, issus d’un groupe, remarquablement homogène et fermé : ce sont des gentlemen anglais1 du premier club alpin, l’Alpine Club (AC, 1857).
Vers une utilisation sportive de la montagne
2La littérature et l’art en général sont des moyens pratiques pour percevoir les changements dans les représentations. La montagne n’y échappe pas : que ce soit à travers des œuvres littéraires, philosophiques, picturales, des récits de voyages puis d’ascensions, des articles de presse, ou encore des publications scientifiques, la place et le traitement accordés à la montagne, entre le xviiie siècle et la fin du xixe siècle, changent considérablement. De l’Antiquité à la fin du Moyen Âge, la montagne, domaine du surnaturel, inspire la terreur ; à partir des xve et xvie siècles, quelques savants commencent à s’y intéresser, tels Léonard de Vinci ou Pascal. L’intérêt scientifique demeure premier jusqu’au milieu du xixe siècle. Vient s’y ajouter, à la fin du xviiie, un attrait esthétique pour les paysages influencé par le romantisme. Quant à l’utilisation « sportive » de la montagne, par la pratique de l’alpinisme, elle ne voit le jour qu’au milieu du xixe siècle2.
Des « monts affreux » aux « monts sublimes »
3Avant le xviiie siècle, la plupart des récits de montagne décrivent des contrées hostiles peuplées de créatures surnaturelles, de bandits et d’hérétiques. Ce sont aussi des lieux où l’homme rencontre l’incommensurable. Le récit de son ascension du mont Ventoux par Pétrarque en 1336 est prétexte à la métaphore métaphysique et religieuse3. Les hommes ne fréquentent les montagnes qu’en des occasions précises : pèlerinages, campagnes militaires, chasse, recherche de cristaux. Quelques entreprises scientifiques ont lieu dès le xviiie siècle4. Les voyageurs, parmi eux la jeunesse dorée anglaise du « Grand Tour », tendent à éviter les montagnes. Cette représentation des « monts affreux »5, influencée notamment par l’Église, perdure après le Siècle des lumières : même dans des ouvrages scientifiques, comme celui du naturaliste Scheuchzer (Itinera per Helvetiae Alpinas Regiones, 1723), on trouve encore des gravures de dragons.
Illustration 1. Dragon du Wangserberg, pays de Sargans, Grisons, d'après le naturaliste Johann Jakob Scheuchzer (1672-1733), Ouresiphoites Helveticus, sive itinera per Helvetiae alpinas regiones, 1723

Domaine public. Swi 607.23, Hougton Library, Harvard University.
4C’est la passion des « glacières » au milieu du xviiie siècle, consécutive au voyage des Anglais Richard Pococke et William Windham sur ce qu’ils nomment la « Mer de Glace » en 1741, qui marque le vrai début d’une exploration scientifique des montagnes6. En 1770, le Genevois Jean-André Deluc, accompagné de son frère, escalade le mont Buet et rédige sa Recherche sur les modifications de l’atmosphère (1772). Signe que les perceptions des montagnes évoluent, les deux frères publient également un récit de l’ascension7. En 1787, le Suisse Horace Bénédict de Saussure (1740-1799) gravit le mont Blanc. Bien que poussé par un intérêt scientifique, il est parfois considéré comme le précurseur de l’alpinisme. Ses Voyages dans les Alpes sont lus dans toute l’Europe. Évoquons également, dans les Pyrénées, Louis Ferdinand Ramond de Carbonnière (1755-1827). Ce professeur de sciences naturelles réalise en 1802 l’ascension du mont Perdu et publie ses Observations faites dans les Pyrénées (1789) et son Voyage au Mont-Perdu (1801). Ces récits, parmi d’autres, contribuent à un engouement nouveau pour les Alpes et pour les récits de ces voyages.
5La littérature, notamment romantique, participe également de cet engouement. Le poème Die Alpen (1729) d’Albrecht von Haller, tableau idyllique de la vie montagnarde, La nouvelle Héloïse (1761) de Jean-Jacques Rousseau, sont des ouvrages dont l’influence sur les représentations de la montagne est considérable. De manière inédite, ils décrivent leur émerveillement esthétique face aux (et dans les) montagnes, chose rare avant le milieu du xviiie siècle8. La vision esthétique des montagnes va cependant prendre des formes différentes dans la littérature française et britannique.
6D’un côté, une partie des artistes français adhère à l’idéologie rousseauiste d’une montagne régénératrice. Dans La nouvelle Héloïse, Jean-Jacques Rousseau décrit des paysages de moyenne montagne (le lac de Constance), prône un retour bénéfique à la nature et idéalise les habitants des montagnes, de « bons sauvages » au contact desquels une régénération morale et sociale devient possible9. Chez Rousseau, il n’est nullement question de s’aventurer dans les hauteurs. Cette structure imaginaire sera la base sur laquelle se grefferont les voyages aux glacières des couches aisées de la population et de nombreux écrivains. Ainsi, chez Marc-Théodore Bourrit en 1787, « les [habitants de la vallée du Castre] sont des êtres très heureux […]. C’est là encore où toutes les familles sont parentes, où tous se regardent comme des frères, où un malheur particulier intéresse toute la peuplade, et où les querelles, les procès, si fréquents ailleurs, sont absolument inconnus […]. C’est cette innocence qui rend inutile la présence d’un pasteur »10.
7En Angleterre, c’est une tout autre influence, celle d’Edmund Burke, qui s’exerce. Dans sa Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau (1757), Burke s’intéresse aux effets des « terribles objets » que sont les « sombres forêts » (gloomy forests), ou les « contrées sauvages balayées par les vents » (howling wilderness)11. La montagne, c’est le « Sublime », incontrôlable, incommensurable, démesuré, figeant l’homme dans un sentiment mélangé de terreur et de plaisir, provoqué par les avalanches, les précipices, la proximité du danger – tant que celui-ci ne « presse pas de trop près ». L’esthétique du Sublime déclenche en Angleterre un attrait fiévreux pour les paysages grandioses : mers déchaînées, déserts brûlants, montagnes glacées. Byron (Childe Harold’s Pilgrimage, Manfred), Shelley (Mont Blanc), Mary Shelley (Frankenstein), Coleridge (Hymn before Sunrise, in the Vale of Chamouni [« Hymne avant le lever du soleil dans la vallée de Chamouni »]), Wordsworth (Prelude), sont autant de poètes ayant célébré la montagne et dont les textes empruntent à l’esthétique du Sublime. « Rochers, monceaux de glace / Avalanche tonnante, et qu’un souffle déplace / Tombez, et brisez-moi !… »12, écrit Byron dans Manfred (1817).
8Si la nature sauvage attire autant les Britanniques, c’est aussi parce que le Royaume-Uni est le premier pays, dès les années 1760, à connaître la révolution industrielle. Les conséquences (croissance démographique, urbanisation, transformation du paysage agricole, pollution) sont rapidement visibles et dénoncées par certains intellectuels (John Stuart Mill, John Ruskin, etc.). L’attrait pour une nature sauvage et imprévisible s’en trouve exacerbé. À la fin du xviiie siècle, on crée en Angleterre des artefacts de nature sauvage : des jardins (à l’anglaise), des lacs et des grottes, même des collines. On peint la nature. William Turner visite les Alpes en 1802 et en tire un carnet de croquis qui sera célébré par John Ruskin et inspirera de nombreux peintres. Le voyageur au-dessus de la mer de nuages (1818), célèbre tableau de Friedrich, est reproduit en masse en Angleterre13. En peinture comme en littérature, l’esthétique du Sublime est devenue la façon conventionnelle de regarder et de décrire les montagnes.
Des montagnes regardées aux montagnes escaladées
9À la fin du xviiie siècle, les touristes britanniques affluent sur les sites alpins proches des grands glaciers, comme Chamonix ou Zermatt, mais aussi dans les massifs plus accessibles des îles Britanniques. De nombreux artistes participent de ce nouveau tourisme. C’est l’époque où Thomas Gray écrit son Journal of a Visit to the Lake District in 1769 (publié en 1775) et le Dr Johnson son Journey to the Western Islands of Scotland (1775). Dès le début du xixe siècle, certains artistes commencent à chercher l’inspiration directement dans les hauteurs. Samuel Coleridge (1772-1834), auteur de l’« Hymne avant le lever du soleil dans la vallée de Chamouni » était un adepte de la marche dans les massifs britanniques. En 1802, en redescendant du Scafell Peak (973 mètres), une erreur d’itinéraire le conduit à s’engager dans une cheminée rocheuse. Coleridge évoque l’état de « transe délicieuse »14 dans lequel il fut alors plongé : le danger réel, vécu, est décrit comme une source de plaisir.
10Il faut attendre la génération suivante pour qu’un autre Anglais, John Ruskin (1819-1900), mette en mots ce sentiment nouveau. Ruskin a lu Saussure et s’est rendu plusieurs fois dans les Alpes, dès l’âge de quatorze ans. Dans son essai Modern Painters (volume 4, 1856), il décrit les montagnes comme « début et fin de tout paysage naturel »15 et les présente comme un moyen pour l’homme de se découvrir à travers la recherche du danger. Dans une lettre à son père, il écrit en 1863 :
Si nous nous rendons dans un endroit dangereux et rebroussons chemin, quand bien même il serait parfaitement juste et sage d’agir ainsi, notre caractère a quand même souffert quelque légère détérioration ; nous sommes dans une certaine mesure plus faibles, moins vivants, plus efféminés, plus enclins aux passions et aux erreurs futures ; tandis que si nous subissons le danger, quand bien même il serait apparemment irréfléchi et stupide d’aller à sa rencontre, nous ressortons de cette rencontre en hommes meilleurs et plus forts, prêts pour toute sorte de travail et d’épreuve, et rien d’autre que le danger ne produit cet effet.16
11C’est cette partie de l’œuvre de Ruskin, la recherche du danger (surtout restée au stade théorique en ce qui le concerne) que les premiers alpinistes retiendront17. Pour Ruskin, en faisant de l’ascension leur objectif premier, ils vont cependant trop loin : conquérir une montagne, c’est la désacraliser. Dans Sesame and Lilies (« Sésame et les lys », 1865), il écrit une diatribe demeurée célèbre :
Vous avez méprisé la nature, c’est-à-dire toutes les sensations profondes et sacrées des spectacles naturels. Les révolutionnaires français ont fait des écuries des cathédrales de France ; vous avez fait des champs de courses avec les cathédrales de la terre. Votre unique conception du plaisir est de rouler dans des wagons de chemins de fer autour de leurs nefs et de prendre vos repas sur leurs autels.18
12L’alpiniste Leslie Stephen (1832-1904), un des premiers présidents de l’AC, lui répond dans son ouvrage The Playground of Europe (1871). Se démarquant à la fois de la « vieille école » (the old school) de ceux qui craignaient les montagnes, et de la « nouvelle école » (the new school) de ceux qui se contentaient, comme Ruskin, de les admirer, Stephen se place avec les autres alpinistes dans une troisième catégorie faite de ceux qui ne les apprécient que par « des heures de labeur [et] d’effort musculaire acharné »19 : « Si tous les hommes bons et sages aiment nécessairement les montagnes, ceux qui les aiment le mieux sont ceux qui ont parcouru le plus longtemps leurs moindres recoins et ont le plus mis leurs vies et celles de leurs guides en danger dans leur tentative d’y ouvrir de nouvelles voies »20.
13Une fois les premiers alpinistes apparus, un autre phénomène décisif va aider à la popularité de l’alpinisme britannique naissant : sa médiatisation. Les ascensions du mont Blanc sont de véritables expéditions qui font l’objet de récits, certains devenant des best-sellers, à l’instar de Narrative of a Journey from the Village of Chamouni to the Summit of Mont Blanc (Mark Beaufoy, 1819) ou de Narrative of an Ascent to the Summit of Mont Blanc on the 8th and 9th August, 1827 (John Auldjo, 1828). Dans les années 1820 et 1830, à Londres, on pouvait visiter un « alporama », plateforme circulaire plongée dans le noir entourée à trois cent soixante degrés d’une représentation de la chaîne du Mont-Blanc. Une pièce de théâtre, The Story of Mont Blanc, fait salle comble. Elle est tirée du récit épique de l’ascension du mont Blanc en 1851 par Albert Smith (1816-1860), un journaliste qui saura mettre en scène son « exploit » : on y trouve des crevasses terrifiantes, des gouffres sans fond et autres orages de glace21. L’historien et alpiniste Ronald Clark considère Smith comme un des « prophètes » de l’alpinisme victorien, pour avoir fait découvrir l’alpinisme au grand public, et non seulement à un petit groupe d’individus éduqués22. Pour autant, nous verrons que les alpinistes se recruteront quasi exclusivement au sein des classes supérieures.
Illustration 2. Couverture du livre The Story of Mont Blanc (1853) d'Albert Smith

Domaine public. Bibliothèque de Harvard University.
14Les Britanniques exercent une véritable hégémonie sur l’alpinisme tout au long du xixe siècle. Cette domination est d’abord visible sur le mont Blanc : d’abord escaladé par une cordée française en 1786 (le docteur Paccard et le guide Balmat), puis par le Suisse de Saussure l’année suivante, il est ensuite pris d’assaut par les Britanniques, auteurs de vingt-six des quarante ascensions effectuées entre 1786 et 1853. On ne compte pas moins de dix-neuf ascensions par des Britanniques en 1874 et en 1879 (contre quatre et huit par des Français)23. La tendance s’inverse à partir de 1880, mais, à cette date, l’ascension du mont Blanc n’est plus considérée comme un exploit et les Britanniques commencent déjà à s’attaquer à l’Himalaya. Après le mont Blanc, le second grand sommet des Alpes à être escaladé par des Français est la Meije en 1877, si l’on met de côté le Pelvoux, dont la première est généralement attribuée à l’Anglais Whymper en 1864, mais qui aurait été gravi dès 1830 par le capitaine Durand.
15Est-il pertinent de faire débuter l’alpinisme à la première ascension du mont Blanc en 1786 ? En réalité, pendant plusieurs décennies, le mont Blanc est presque l’unique sommet escaladé. L’alpinisme comme activité à part entière ne débute vraiment qu’à partir du moment où on commence à s’attaquer à d’autres montagnes, dans un but exclusif de conquête, dénué de motivations scientifiques ou artistiques. Cette période, qui commence dans les années 1840-1850, est particulièrement fructueuse pour les Britanniques, au point que ces derniers la désigneront comme l’« âge d’or » et la borneront avec précision : elle commence en 1854 (ascension du Wetterhorn par Alfred Wills) et se clôt en 1865 (ascension du Cervin par Edward Whymper)24. Au cours de ces onze années, trente-neuf ascensions de sommets alpins majeurs sont réalisées, dont trente et une par des cordées anglaises. L’Alpine Club, premier club alpin au monde, est créé en 1857. L’objectif pour les alpinistes d’alors est simple : escalader des sommets vierges (« faire une première »), par la voie la plus simple (la « voie normale »).
16L’alpinisme est d’apparition plus tardive en France : le Club alpin français (CAF) voit le jour près de vingt ans après l’AC, en 1874. C’est le dernier-né des clubs alpins européens. On parle d’ailleurs rarement d’alpinisme français avant cette période25. Les historiens ont cependant tendance à oublier une catégorie d’individus qui a pourtant pris part à presque toutes les premières avant les années 1880 : les guides, rassemblés dès 1821 dans la Compagnie des guides de Chamonix. Cette oblitération des guides est notamment due au fait qu’ils ne sont pas considérés par les Anglais, leurs principaux employeurs, comme des alpinistes à part entière. Leur nom figure en seconde place parmi les auteurs des ascensions nouvelles. Les guides vont d’ailleurs rarement en montagne sans client, préférant toucher le salaire qui récompense une « première ». Souvent paysans, ils ont saisi l’opportunité financière que constituait l’alpinisme, dans des régions en retard économique26. Nous reviendrons sur leur statut dans les chapitres suivants.
17Les points que nous avons abordés précédemment ne permettent pas de répondre entièrement à la question de savoir pourquoi les Britanniques sont les premiers à former un club alpin et à promouvoir une conception sportive, « pour elle-même », de l’alpinisme. Tout au plus fournissent-ils quelques pistes. Parmi les facteurs non encore évoqués, un contexte économique et politique favorable. Le Royaume-Uni traverse une période de paix entre 1815 et 1914 (à l’exception de la lointaine guerre de Crimée de 1854-1856). La situation est bien différente en France, où l’instabilité politique repousse la création d’un club alpin. Nous complèterons la réponse à cette question au fil de l’ouvrage. L’apparition de l’alpinisme et son succès initial au Royaume-Uni sont le résultat d’une conjonction de facteurs influençant les représentations et les goûts d’une partie de la population – des hommes éduqués, lettrés, exposés aux grandes idéologies de leur temps. Nous avons déjà évoqué précédemment le courant du romantisme. Nous aborderons d’autres influences par la suite. Parmi elles, l’impérialisme, le darwinisme social, ou encore l’athleticism.
De l’alpinisme pour la science à l’alpinisme pour lui-même
18La création de l’AC en 1857 permet de parler de l’alpinisme comme d’une activité à part entière, autonomisée, sinon en voie d’autonomisation, détachée de finalités extérieures. « Je dois reconnaître que l’alpinisme, au sens où je l’entends, est un sport […] – tout comme le sont le cricket, l’aviron ou le knurr and spell et je n’ai aucune envie de le placer sur un plan différent »27, écrit Leslie Stephen, alors président de l’AC, en 1866 : les finalités de loisir ou « sportives » de l’alpinisme sont passées au premier plan. Si la dimension scientifique pouvait encore servir à justifier cette pratique quelques années auparavant, les règles d’admission à l’AC témoignent déjà de cette dimension sportive : les nouveaux membres, pressentis par deux parrains issus du club et élus à l’unanimité, devaient avoir effectué un certain nombre d’ascensions de plus de 4 000 mètres.
19Nous pouvons observer ce changement au travers de quatre membres de l’AC de générations différentes : James D. Forbes (1809-1868) a presque cinquante ans quand le club voit le jour ; John Tyndall (1820-1893) en a trente-sept ; Leslie Stephen (1832-1904), l’un de ses créateurs et présidents, a vingt-cinq ans ; Edward Whymper (1840-1911) est encore adolescent.
James D. Forbes (1809-1868)
20James David Forbes fait partie des précurseurs qui pratiquaient encore principalement un alpinisme scientifique. Fils d’un riche banquier, il étudie à l’université d’Édimbourg. Comme nombre de jeunes bourgeois et aristocrates, il effectue son « Grand Tour » d’Europe à l’âge de seize ans, et découvre la Mer de Glace sous la direction d’un grand guide de l’époque, Cachat le Géant. Fellow à la Royal Society à vingt-trois ans et professeur de philosophie naturelle à l’université d’Édimbourg l’année suivante, il bénéficiait de longs congés annuels pour explorer les Alpes (le trajet durait environ vingt jours) et en étudier les glaciers. Ses voyages alpins font sa renommée dans le petit monde en formation de l’alpinisme. Il est l’auteur de plusieurs premières (avec guides) : des sommets du Dauphiné, le circuit du mont Viso, la première britannique de la Jungfrau. Alors que toutes ses ascensions sont effectuées dans un but scientifique – l’étude des glaciers –, ses comptes rendus, notamment son Travels through the Alps of Savoy (1843), laissent percevoir des motifs mêlés ; la conquête le dispute à la science :
Heureux le voyageur qui […], établi dans quelque abri de montagne avec ses livres, commence son premier jour de marche à travers les Alpes dans le matin tranquille d’un long jour de juillet, […] où il voit le champ de sa campagne d’été étalé devant ses yeux, ses merveilles, ses beautés, et ses difficultés [ne demandant qu’] à être expliquées, admirées, et surmontées.28
John Tyndall (1820-1893)
21John Tyndall est lui aussi un scientifique et un Fellow à la Royal Society, de onze ans le cadet de Forbes, dont il ne partage pas, cependant, les origines sociales. Fils d’un brigadier irlandais, il fait ses études secondaires dans une école publique (grammar school)29. À vingt ans, il devient ingénieur, puis reprend ses études jusqu’au doctorat et devient membre du X Club, qui regroupe des penseurs comme Huxley, Hooker, Spencer et prône une « dévotion à la Science non entravée par un quelconque dogme religieux »30. Attiré dans les Alpes avec Huxley par la controverse scientifique sur les glaciers, qui l’oppose à Forbes, Tyndall avoue en 1862 : « Les glaciers et les montagnes représentent pour moi un intérêt au-delà du scientifique ». 31À une époque où l’alpinisme est en pleine construction, la décennie qui le sépare de Forbes induit une différence significative dans leurs manières de l’envisager. Après The Glaciers of the Alps (1860), Tyndall publie Hours of Exercise in the Alps (1871) où il décrit son goût pour les ascensions en solitaire, une pratique alors condamnée :
Quand ce que vous faites est clairement en votre pouvoir, quand une longue pratique vous a permis de faire confiance à votre œil et à votre jugement pour détecter les crevasses, à votre piolet pour mater les plus sérieuses difficultés, c’est une expérience entièrement nouvelle que celle d’être seul en ces lieux.32
22Si le prétexte scientifique est ici absent, Tyndall n’allait pas encore jusqu’à considérer l’alpinisme comme un loisir à part entière : « Je ne pense pas que j’aurais pu passer tout mon temps à parcourir seul les Alpes [écrit-il en 1871]. L’alpinisme était pour moi prétexte à mille autres activités »33. Forbes était l’exemple du « scientifique-alpiniste » de la première moitié du xixe siècle. Tyndall celui de l’« alpiniste-scientifique » du milieu du xixe siècle.
Leslie Stephen (1832-1904)
23Les hommes de la génération suivante seront véritablement des « alpinistes », à l’instar de Leslie Stephen. Issu d’une grande famille d’intellectuels et d’hommes influents, fils de Sir James Stephen (sous-secrétaire aux colonies) et père de Virginia Woolf, il est professeur de philosophie à Cambridge. Pour lui, l’alpinisme est une activité à part entière et, plus encore, un « sport ». Il se brouille à ce sujet avec Tyndall, en 1866, après s’être moqué des alpinistes-scientifiques dont ce dernier faisait partie :
« Et quelles observations philosophiques avez-vous faites » ? s’inquiétera l’un de ces fanatiques qui, selon un raisonnement complètement incompréhensible à mes yeux, ont d’une manière ou d’une autre irrévocablement associé l’alpinisme à la science. Je leur réponds que la température était approximativement (je n’avais pas de thermomètre) 212 °F en dessous de zéro. Quant à l’ozone, s’il y en avait dans l’atmosphère, il m’a bien dupé. Comme nous n’avions pas, heureusement, de baromètre, je suis incapable de donner les informations habituelles sur notre déviation par rapport à l’altitude correcte, mais la carte indique 13 855 pieds.34
24Lorsque la polémique éclate entre les deux hommes, Stephen exprimait un point de vue partagé : l’alpinisme était devenu une activité à part entière et les hommes comme Tyndall les représentants d’une forme d’alpinisme en voie d’extinction. Preuve de cette autonomisation, on parle de l’alpinisme comme d’une activité singulière. En réaction au succès des différents volumes de Peaks, Passes, and Glaciers (dès 1859), le Times publie un article où sont critiquées les ambitions de « cette étrange secte dévolue à l’ascension de montagnes »35. Stephen, quelques années plus tard, se souvient de cet article qui « ridiculisait [l’AC] sans méchanceté » et qui « conduisit rapidement l’AC à devenir le synonyme d’un groupe de fous inoffensifs »36. Ces critiques initiales envers l’alpinisme, plutôt bienveillantes, contribuent aussi à singulariser le groupe des alpinistes, qui commencent à la même époque à se mettre en scène comme des individus différents, voire incompris, et à faire advenir l’alpinisme comme pratique à part.
Edward Whymper (1840-1911)
25La conception qu’en avait Edward Whymper le confirme. Dans la préface de Scrambles amongst the Alps in the Years 1860-69 (1871), il précise d’emblée que « ces escalades dans les Alpes étaient des excursions de vacances » et qu’elles « relèvent du sport, et de rien d’autre ». Whymper se décrit, en effet, « stimulé par [ses] échecs successifs » sur le Cervin et « déterminé à trouver une voie ou à le prouver vraiment inaccessible »37. Stephen, dans son compte rendu de Scrambles amongst the Alps publié dans l’Alpine Journal (AJ), la revue de l’AC, voit précisément en Whymper l’incarnation de « l’esprit » de l’alpinisme britannique et l’auteur du plus grand des livres « d’aventure alpine ». Stephen célèbre la détermination sans faille de celui qui planifiait soigneusement ses ascensions, sa « passion folle du risque, qui ne peut être justifiée que par des buts scientifiques »38.
26Si l’alpinisme en vient à être pensé comme une activité à part entière, détachée de ses finalités scientifiques et esthétiques, il ne constitue pas pour autant, à cette époque, l’activité principale de ses pratiquants. Elle le deviendra seulement après la seconde guerre mondiale. Dérivée du sport amateur, la conception en vigueur de l’excellence alpinistique faisait de l’alpinisme un loisir, un « sport » au sens de « divertissement », dans lequel il aurait été indigne d’un gentleman de trop s’investir. C’est cette filiation avec une certaine conception du sport, et les hiérarchies pratiques et symboliques qui en découlent, que nous étudierons au chapitre suivant.
L’élite de l’alpinisme : une élite sociale, sportive, masculine
27Du fait de l’hégémonie exercée pendant plusieurs décennies par les Britanniques, notamment dans les Alpes, il est indispensable de regarder du côté de l’AC pour comprendre comment s’est initialement codifié l’alpinisme, d’autant que, jusqu’à l’entre-deux-guerres, l’alpinisme anglais, centré sur l’AC, demeure très homogène tant dans son recrutement que dans son idéologie :
L’Alpine Club […] avait commencé comme un social club pour le petit groupe qui avait inventé et développé le sport qu’est l’alpinisme. Pendant presque soixante ans, au moins jusqu’en 1914, il avait compté parmi ses rangs presque tous les meilleurs et les plus intrépides alpinistes. Le récit de leurs hauts faits dans l’Alpine Journal représentait l’histoire complète des progrès généraux de l’alpinisme.39
28Ces propos, tenus par l’alpiniste Jack Longland (1905-1993), donnent une idée assez précise de l’homogénéité de l’AC, une homogénéité garantie par une triple sélection : sociale, sexuée, sportive. L’alpinisme moderne, en effet, est inventé par des gentlemen du milieu de l’ère victorienne. Du fait de cette triple fermeture, les effectifs du club restent faibles. Il ne compte que trente-quatre membres en 1858, trois cent quatre en 1870, et six cent cinquante et un en 190540. Ce nombre restreint a des conséquences importantes sur la codification de l’alpinisme, car ce petit groupe, sans être complètement monolithique, garantit un consensus quant aux manières d’envisager l’alpinisme. Cela est loin d’être le cas dans les clubs continentaux comme le CAF, qui compte plus de cinq mille membres en 1885, après dix ans d’existence, et plus de six mille en 190941. Les oppositions qui traversent l’AC sont surtout générationnelles. Cet entre-soi, qui perdure près d’un siècle, permet la cristallisation et le maintien d’une conception toute spécifique de l’alpinisme, véritable « fait social »42, dont on voit la contrainte s’exercer avec l’arrivée dans l’élite de l’alpinisme des premiers outsiders sociaux, dans l’entre-deux-guerres : ils se trouvent confrontés à cette conception ancrée qu’il n’est pas aisé de remplacer ni même d’altérer.
29Du fait de la sévérité de son recrutement, l’AC, pendant longtemps, reste réservé à l’élite de l’alpinisme (britannique, mais aussi européenne dans les années 1850-1870). Le club, en ce sens, présente un moyen idéal pour étudier l’excellence en alpinisme, puisqu’il rassemble, peu ou prou, pendant une période étendue, son élite43. Qui sont les membres de l’AC entre les années 1850 et la première guerre mondiale ? Quelle est la composition interne de ce groupe et quelle est sa place au sein de la société britannique ?
L’Alpine Club, morphologie d’un groupe fermé
30Plusieurs analyses statistiques des registres de l’AC à partir de 1857 ont permis de dresser un tableau assez précis de sa composition. Ces analyses, complexes, sont en partie explicitées dans l’addendum méthodologique en fin d’ouvrage44. Les résultats de Peter H. Hansen sur la période 1857-1890 (huit cent un alpinistes) permettent de constater que l’AC recrute uniquement parmi les classes aisées. On y trouve des juristes (avocats, juges), qui forment près d’un tiers des effectifs dans les années 1850 (et 21,7 % dans les années 1880) ; des hommes d’affaires (banquiers, industriels, etc.), 24 % dans les années 1880 ; des professeurs du secondaire et du supérieur, parmi eux les dons (professeurs) des public schools (leur part passe de 4,7 % à 11,2 %) ; des membres du clergé (9,4 % des effectifs du club dans les années 1850 et 6,8 % dans les années 1880) ; des professions médicales (médecins, chirurgiens, dentistes, etc.) ; des scientifiques (ingénieurs, cartographes, physiciens, géographes, archéologues) ; des militaires haut gradés (surtout des officiers) ; quelques professions artistiques (écrivains, peintres, architectes) ; des hauts fonctionnaires ; des rentiers ou « gentlemen sans profession déclarée » (5,3 % des effectifs en moyenne sur la période). L’évolution des parts respectives de chaque groupe professionnel au sein du club reflète en partie les reconfigurations qui ont lieu à la même époque dans la bourgeoisie anglaise45, même si certains groupes (les professions juridiques) sont surreprésentés. Tout comme l’alpinisme est une invention de la bourgeoisie46, l’AC est un club bourgeois formé de gentlemen. Seuls 10 % des membres du club (soixante-douze personnes) sont nobles (dont la moitié de naissance), essentiellement des membres de la gentry et non de la grande noblesse.
31« Bourgeoisie », « gentlemen », « middle class », ces termes, parfois utilisés de manière interchangeable, méritent d’être explicités et contextualisés, d’autant que la seconde moitié du xixe siècle voit une recomposition de la structure sociale britannique. La middle class correspond à ce que l’on appelle en français la bourgeoisie. Les frontières sont néanmoins plus floues au Royaume-Uni qu’en France, ce qui conduit Eric Hobsbawm à la définir comme « l’ensemble des groupes situés entre l’aristocratie et les classes inférieures, petite bourgeoisie et monde du travail »47. Aussi les traducteurs d’Eric Dunning et de Kenneth Sheard emploient-ils le qualificatif « bourgeois » pour désigner la « classe moyenne supérieure en ascension », qualifiée parfois de « classe dirigeante émergente », à l’opposé de la classe dirigeante établie (formée de l’aristocratie et de la gentry)48. De même, la traductrice de Leonore Davidoff et Catherine Hall choisit-elle de traduire middle class par « bourgeoisie »49. Tant Dunning et Sheard que Davidoff et Hall n’hésitent d’ailleurs pas, dans le texte original anglais, à utiliser bourgeoisie (en français) comme équivalent de middle class. Chez les premiers :
La middle class était différenciée de manière interne, par exemple en termes de propriété, entre la « grande » et la « petite » bourgeoisie, en termes d’occupations, entre les franges des affaires, cléricales et des professions, et en termes de prestige entre les strates de l’« upper middle », du « middle middle » et du « lower middle ».50
32La middle class décrite par Davidoff et Hall comprend « des artisans, des fermiers, des petits chefs d’entreprise, des enseignants, des petits fonctionnaires, des avocats, des écrivains, des pasteurs, parfois fortunés, mais toujours dans l’impossibilité d’asseoir leurs ressources sur la propriété terrienne et sur les réseaux d’interconnaissance de la noblesse »51. Par comparaison, les membres de l’AC appartiennent plutôt à la middle-middle class et à la upper-middle class, assimilées par François Bédarida à la « bonne bourgeoisie » et à la « haute bourgeoisie »52. L’analyse de Davidoff et Hall s’arrête en 1850, début de notre analyse. Pour eux, les bourgeois ont un niveau de vie élevé (en moyenne 150 livres par an), tirent un revenu d’un métier dont les principales branches sont le commerce, les professions et l’industrie. Au fil du xixe siècle, ces branches se reconfigurent. Les professions, cette catégorie hybride et propre à l’histoire britannique, formées à l’origine de trois groupes – le clergé, les professions juridiques et les professions médicales –, voient leur part dans la population active augmenter de 154 % entre 1841 et 188153. Elles incluent peu à peu les officiers, architectes, ingénieurs, comptables, professeurs, journalistes, ou encore employés de bureau54.
33L’AC tire ainsi une grande partie de son vivier de la bourgeoisie urbaine qui apparaît et se développe dans le sillage des révolutions industrielles. Si l’on additionne les membres de la gentry, des professions et de la bourgeoisie industrielle, commerciale et financière, on obtient 99 % des effectifs du club entre 1857 et 1890 (et 98 % des effectifs entre 1891 et 195755), alors que ces groupes – qui forment le gros de la upper class et upper-middle class – représentent moins de 4,5 % de la société britannique des années 187056. Certaines professions de la upper-middle et middle-middle class, comme les genteel (ou gentlemanly) professions, c’est-à-dire les métiers compatibles avec le statut de gentleman (avocat, ecclésiastique et officiers), restent néanmoins plus prestigieuses que, par exemple, les nouveaux métiers du commerce et de l’industrie. À l’AC, la sélection sociale est telle que certains sont refusés pour ces motifs. Tom G. Longstaff (1875-1964) se souvient :
Tout bon Victorien que je suis, je dois admettre qu’il y a cinquante ans, les traditions du club étaient exclusives jusqu’au snobisme. Tous ces prêtres, docteurs, professeurs d’université et d’école, avocats, étaient prompts à fermer leurs rangs aux « outsiders ». On était accepté par un vote, et les rejets étaient fréquents.57
34En particulier, un préjugé tenace contre les commerçants (tradesmen) persiste58. Aussi Albert F. Mummery (1855-1895), un des meilleurs alpinistes de sa génération, est-il débouté en 1880 : Sir Davidson, gentleman et avocat, aurait fait courir le bruit qu’il possédait un magasin de chaussures (alors qu’il dirigeait une tannerie, métier à peine plus glorieux). Arnold Lunn (1888-1974), fils du fondateur de l’agence de voyages Lunn’s Tour, est lui aussi rejeté à cause du métier de son père. Mummery et Lunn seront admis plusieurs années après leur demande initiale.
35Les différentes fractions de la bourgeoisie représentées à l’AC possèdent, outre des degrés de prestige différents, des conditions de vie variables. La bourgeoisie industrielle et commerciale est celle qui travaille le plus. « Dans cette Angleterre en redingote et en haut-de-forme [écrit François Bédarida], on est tôt levé (dès sept heures du matin le patron est à l’usine) et les journées de travail sont longues ; l’usage des week-ends est encore inconnu […] »59. Les choses semblent avoir peu changé dans l’entre-deux-guerres. On trouve dans un article de John R. Jenkins de 1941 des précisions concernant le temps libre de cette bourgeoisie. « Avant la guerre, raconte Jenkins, les jeunes alpinistes engagés dans l’industrie ou le commerce étaient chanceux s’ils pouvaient obtenir plus que deux courtes semaines de vacances l’été ; avec les jours fériés d’août, nous parvenions à dix-huit jours. Il fallait laisser les grands exploits à ceux qui avaient le temps et l’argent, et aux fonctionnaires, professional, ou universitaires »60. Mais ces derniers également bénéficiaient d’un temps de loisir réduit, en témoignent les notices nécrologiques de l’AJ. Donald Robertson (1879-1910), secrétaire à la Royal Commission on Electoral Systems, peut se rendre dans les Alpes « par intervalles, et uniquement pour quelques semaines d’affilée » (AJ, vol. 27, 1913, p. 141)61. Les séjours alpins de Sir Alfred Wills (1828-1912), juge à la Cour de justice de Londres, sont « durement gagnés par des mois de travail acharné à la Cour » (ibid., p. 47), et ceux de George T. Ewen (1879-1916), juriste et journaliste, « sont toujours courts, de deux à trois semaines » (AJ, vol. 32, 1919, p. 112).
36Si certaines fractions de la bourgeoisie n’ont pas assez de temps à consacrer à l’alpinisme pour devenir des « grands », d’autres possèdent à la fois le temps et l’argent62 nécessaires à la réalisation d’ascensions difficiles dans les Alpes, voire dans des massifs plus éloignés. Dans l’AJ de 1876, on peut lire l’appel d’un alpiniste à qui voudrait l’accompagner en Islande. Il s’agirait, écrit-il, de prendre un congé de fin mai à début septembre, et de débourser entre 100 livres et 150 livres par personne63 (soit, pour Davidoff et Hall, le salaire annuel moyen d’un membre de la middle class dans les années 1850). Parmi ces privilégiés, on trouve les membres de la gentry, 5 % du contingent de l’AC, c’est-à-dire la grande bourgeoisie (ou la petite noblesse, car comme le note François Bédarida, « l’entrée dans l’aristocratie foncière n’est pas limitée par le bas » comme cela l’était en France64), propriétaire de terres et rentière. Ce sont des gentlemen, par définition ceux qui ne travaillent pas (ou qui n’en ont pas besoin, car ils sont souvent avocats, officiers, ou membres du clergé). Parmi eux, les alpinistes-explorateurs, qui forment une petite élite sociale dans l’AC. Douglas W. Freshfield (1845-1934), Martin Conway (1856-1937), Charles G. Bruce (1866-1939), ou encore Tom G. Longstaff (1875-1964) sont tous des rentiers occupant des gentlemanly professions sans nécessairement exercer (c’est le cas de Freshfield, avocat, et de Longstaff, médecin). Cela leur laisse, par rapport à leurs contemporains, un temps considérable pour l’alpinisme.
Un club de « gentlemen qui font de l’alpinisme » : l’excellence sociale au fondement de l’excellence alpinistique
37En 1935 encore, s’adressant à une nouvelle recrue de l’AC, Sydney Spencer lui aurait dit « qu’en plus d’être le plus vieux club d’alpinisme au monde, l’Alpine Club est un club unique – un club de gentlemen qui font également de l’alpinisme ». Désignant par la fenêtre un balayeur dans la rue, il aurait ajouté : « J’entends par là que jamais nous n’élirions cette personne même s’il était le meilleur alpiniste au monde »65. Une telle fermeture sociale est consubstantielle à l’idée du « club », par définition un réseau sélectif fondé sur une exclusion juridique, idéologique, sociologique et sexuelle66. À l’AC, pour garantir que l’excellence sociale demeure le fondement de l’excellence en alpinisme, cette exclusion est triple, à la fois sportive, sociale, et sexuée.
38La sélection sexuée est évidente dans un gentlemen’s club. Elle perdure jusqu’en 1974. En attendant, les femmes créent leur propre club alpin en 1907, le Ladies’ Alpine Club (LAC). La sélection sportive est assurée par le fait que les entrants (à l’exception de 10 % recrutés pour leur renommée artistique et littéraire) doivent avoir effectué un nombre défini d’ascensions de plus de 13 000 pieds. La sélection sociale, à l’inverse de certains clubs sportifs, ne se fait pas par le biais d’une cotisation dissuasive, mais par un parrainage : la candidature se fait sur présentation par deux membres du club et est validée par un vote des membres effectué avec des boules blanches ou noires, comme il est d’usage dans les clubs de gentlemen. Pour être débouté, ou « blackboulé », il faut une boule noire pour cinq boules blanches en 1857, une pour dix l’année suivante, ce qui témoigne du durcissement des conditions d’entrée67.
39Les clubs d’alpinisme régionaux, comme le Climbers’ Club (1898), sont également des clubs de gentlemen qui partagent une partie de leurs membres avec l’AC. Dans le discours inaugural du Climbers’ Club, son président Charles E. Mathews (1834-1905) commence par affirmer que « l’alpinisme est un sport qui, pour une raison mystérieuse, attire seulement l’intellect cultivé. ‘Arry ou ‘Arriet n’iraient jamais escalader une montagne »68. Cet ancien président de l’AC se félicite d’avoir dans ses rangs tant d’hommes de la bonne société, issus des universités les plus prestigieuses et membres des meilleures professions. Mathews le dit clairement : le prestige social des membres du club vient compenser leur manque de compétences en matière d’alpinisme :
Je ne dirai pas que chacun de nos membres est amplement qualifié pour l’alpinisme. […] Mais nulle raison d’en avoir honte. Un tiers de nos membres sont aussi des hommes de l’Alpine Club – un bon signe et un signe de santé. L’université d’Oxford nous a donné un Morshead, un Prickard, un George, un Cookson, un Blunt, un Godley, et un Thompson ; la partie scientifique de Cambridge nous a envoyé Clifford, Allbut, Wherry et Wilkinson, Browning, Wilberforce, et Ewing. Le Barreau nous a rejoints en force, parmi ses membres Mr W. E. Davidson, le conseiller au Foreign Office. […] Nous avons des auteurs, journalistes, clergymen, hauts fonctionnaires, hommes d’affaires, industriels, inspecteurs scolaires. J’aperçois des étudiants d’Oxford et Cambridge […] ; et le meilleur lanceur du Onze [l’équipe de cricket] d’Oxford nous offre ses services.69
40La référence aux grandes universités et à leurs meilleurs sportifs n’est pas anodine. Le passage par les écoles de l’élite est une expérience commune aux alpinistes de l’AC comme du Climbers’ Club. Les notices nécrologiques de l’AJ, rassemblées dans la rubrique « In Memoriam », en témoignent. Étudiées entre 1880 et 1920, elles dévoilent les caractéristiques sous-jacentes à l’appartenance commune au groupe des « gentlemen qui font aussi de l’alpinisme », et s’avèrent un matériau précieux pour mettre au jour ce qui rassemble au sein d’une institution aussi fermée que l’AC. Des nécrologies aussi détaillées (elles sont loin de l’être autant dans les revues des clubs d’alpinisme français) existent parce qu’il existe un esprit de corps à l’AC, autant que pour réaffirmer cet esprit de corps. Elles nous renseignent sur les qualités valorisées des alpinistes décédés, sur des épisodes qui font sens au sein du groupe, et ainsi sur tout un ensemble de valeurs, de références et de croyances partagées. Pierre Bourdieu et Monique de Saint-Martin notaient ce que les notices nécrologiques des normaliens nés dans les années 1880 et 1890 pouvaient apporter dans l’appréhension des principes de classement propres à ce groupe spécifique : « document de premier choix pour une analyse des valeurs universitaires, les notices nécrologiques […] mettent encore en œuvre, dans le jugement dernier que le groupe porte sur l’un de ses membres disparus, les principes de classement qui ont déterminé son agrégation au groupe »70. Toutes construites sur un modèle similaire, les notices nécrologiques de l’AJ révèlent, sur le même principe, les qualités jugées importantes aux yeux des alpinistes, celles qui leur assurent une reconnaissance mutuelle en tant que gentlemen et alpinistes. Après une présentation détaillée de la carrière scolaire et professionnelle du défunt (allant, par exemple, jusqu’au développement des travaux académiques), ses hauts faits d’alpinisme sont rappelés. À côté des anecdotes mettant en scène les relations entre le défunt et l’auteur de sa nécrologie, sont notamment mis en avant des qualités et des goûts de classe. À titre d’illustration, voici ce qu’on peut lire dans la nécrologie de Walter Larden (1855-1919), instructeur au Naval Engineering College de Devonport et professeur de sciences à Cheltenham College :
En plus de son travail et de ses exploits alpins, son principal intérêt portait sur la littérature, et surtout la poésie. Il lisait Shakespeare pendant ses repas et était un grand admirateur de Tennyson. Il avait appris seul le français, l’espagnol et l’allemand […]. En art, il faisait preuve de bon goût et de discernement ; en musique, il avait une bonne idée du contrepoint, et possédait plus jeune une bonne voix de baryton […]. Il jouait de la guitare avec une grande dextérité. Ayant commencé la photographie plus récemment, il s’y était intensivement consacré, comme pour tout le reste, et avait maîtrisé cet art avec grand succès. (AJ, vol. 33, 1921, p. 116)
41Un tel extrait est loin de constituer un exemple sur mesure. Sauf exception, l’énoncé des goûts culturels du défunt constitue un poncif de ces textes. On y trouve des références aux compétences théâtrales (Anthony Adams-Reilly : « excellent critique dramatique, [à la] connaissance rare des acteurs et du jeu, [g]rand amateur d’art, membre du Arts and Arundel Club » [AJ, vol. 12, 1886, p. 258]), musicales (Henry Russell-Killough : « fervent musicien et un violoncelliste doué » [AJ, vol. 25, 1911, p. 501]), littéraires (John Sowerby : « Il pouvait citer son Virgile et son Horace, dévorait la fiction française et allemande, connaissait bien l’italien, et s’était mis à l’hébreu plus tard dans sa vie » [AJ, vol. 21, 1902, p. 321]), picturales (Thomas S. Kennedy : « Il avait une connaissance rare des beaux-arts » [AJ, vol. 17, 1895, p. 331]), mais également sportives, linguistiques, scientifiques, politiques, géographiques, philosophiques, etc. Sont en outre saluées les capacités des défunts à discourir et à débattre, leurs responsabilités sociales, autant d’éléments constitutifs de la sociabilité bourgeoise victorienne. On apprend d’Henry Woolley qu’il « pouvait parler sérieusement de sujets sérieux – scientifiques, académiques […], géographiques, littéraires, sportifs, en fonction de ce qui venait dans la conversation » (AJ, vol. 33, 1921, p. 260), de John Ball qu’il « savait raconter une histoire, et que ses relations étendues et variées avec des hommes de la politique et des sciences, en Angleterre et sur le continent […], l’avaient rendu riche en anecdotes, en allusions et en souvenirs » (AJ, vol. 15, 1891, p. 19), de Charles Pilkington (1850-1919) que « ses affaires, aussi exigeantes soient-elles, ne l’empêchaient pas de mener à bien sa part d’actions publiques, en relation avec les problèmes religieux, caritatifs, éducatifs, et autres » (AJ, vol. 32, 1919, p. 352). Horace Walker, importante personnalité de Liverpool, « était un homme charitable, en dons et en actions », apprécié « de toutes les classes du lieu où il vivait » (AJ, vol. 24, 1909, p. 94).
Des bourgeois ou des gentlemen ?
42Pourquoi, si la gentry ne forme qu’une minorité du contingent de l’AC, les alpinistes du club se considèrent-ils comme des gentlemen ? En réalité, l’appellation « gentleman » est ambigüe. Si elle désigne, à l’origine, les propriétaires terriens vivant de leurs rentes71, le terme en vient aux xviiie et xixe siècles à caractériser de manière plus large des individus au train de vie aisé, n’ayant pas besoin de travailler, puis de manière plus large ceux ayant reçu une éducation dans les public schools, c’est-à-dire les membres de la middle class. Le statut de gentleman est, avant tout, associé à des valeurs et à un caractère : discret, honnête, moral, loyal, le gentleman incarne une forme toute victorienne de masculinité des classes supérieures, au point que le « caractère » finit par devenir plus important que la naissance pour désigner le « véritable gentleman »72.
43Dans l’édition de 1820 du Dictionary of the English Language de Samuel Johnson, le gentleman est d’abord « un homme bien né, de bonne extraction, bien que n’appartenant pas à la noblesse », c’est-à-dire un « gentilhomme », mais il peut aussi être « un homme qui s’est élevé au-dessus du vulgaire par son caractère ou sa profession »73. L’édition de 1873 ne garde qu’une définition : « un homme élevé au-dessus du vulgaire par la naissance, l’éducation, ou la profession » (la naissance reste néanmoins présente). Être gentlemanlike, c’est être « honorable, poli »74 avant d’être bien né. Être un gentleman devient, au xixe siècle, l’ambition des membres des nouvelles fractions de la bourgeoisie, qui commencent à fréquenter les mêmes lieux d’éducation que la vieille aristocratie et gentry 75: les public schools et les grandes universités, lieux de formation par excellence des gentlemen, anciens ou nouveaux.
44Hippolyte Taine, dans ses Notes sur l’Angleterre (1872) rédigées suite à trois voyages consécutifs (1861, 1862, et 1871), livre son analyse de la société anglaise et la manière dont il comprend le statut si particulier de gentleman, un statut sans équivalent dans la société française :
Je cherche à bien comprendre ce mot si essentiel, a gentleman ; il revient sans cesse, et renferme une foule d’idées, tout anglaises. La question vitale à propos d’un homme se pose toujours ainsi : « Est-il un gentleman ? » […] [O]n veut dire que la personne en question est de la classe supérieure […]. Mais à quoi reconnaît-on qu’une personne est de la classe supérieure ? […] En France, nous n’avons pas le mot parce que nous n’avons pas la chose. […] Gentilhomme éveille des idées d’élégance, de finesse, de tact, de politesse exquise, de point d’honneur délicat, de tournure cavalière, de libéralité prodigue, de valeur brillante ; c’étaient les traits saillants de la classe supérieure en France. De même gentleman rassemble les traits distinctifs de la classe supérieure en Angleterre, d’abord les plus visibles, ceux qui frappent les yeux grossiers, par exemple une fortune indépendante, un train de maison, une certaine tenue extérieure, des habitudes de luxe et d’aisance ; bien souvent, aux yeux des gens du peuple, surtout aux yeux des valets, ces dehors suffisent.76
45Mais, ajoute Taine, le trait fondamental du gentleman tient plus à des manières et à un ethos qu’au fait d’être bien né. La noblesse est noblesse de caractère plus que de naissance, de principe plus que de nature :
Mais, pour les vrais juges, l’essentiel du personnage est le cœur. En me parlant d’un grand seigneur diplomate, B. médisait : « Ce n’est pas un gentleman ». Thomas Arnold77, voyageant en France, écrivait à ses amis : « Ce qui me frappe ici, c’est le manque total de gentlemen, et de toute personne ayant l’éducation et les sentiments d’un vrai gentleman… il y a ici bien peu de personnes qui en aient l’apparence et les manières […] ». Pour eux, un vrai gentleman est un vrai noble, un homme digne de commander, intègre, désintéressé, capable de s’exposer et même de se sacrifier pour ceux qu’il guide, non seulement homme d’honneur, mais homme de conscience, en qui les instincts généreux ont été confirmés par la réflexion droite, et qui, agissant bien par nature, agit encore mieux par principe. Dans ce portrait idéal, vous reconnaissez le chef accompli ; ajoutez-y les nuances anglaises, l’empire de soi, le sang-froid continu, la persévérance dans l’adversité, le sérieux naturel, la dignité des manières, la fuite de toute affectation ou jactance […].
46Nous verrons que toutes ces qualités sont primordiales chez les alpinistes victoriens. Ce sont aussi celles du soldat de l’Empire, mais aussi du capitaine d’industrie, de l’entrepreneur. Ce sont des qualités que l’on retrouve dans la description que fait Weber de l’ethos protestant, à l’origine de « l’esprit du capitalisme »78. Dans l’ascétisme puritain, écrit Weber, « on voit déjà apparaître ce contrôle actif de soi qui, de nos jours encore, valorise le type achevé du gentleman anglais »79. Weber qualifie d’ailleurs l’esprit du capitalisme « d’ethos de la bourgeoisie moderne »80.
47À l’âge de dix-sept ans, Edward Whymper, futur alpiniste emblématique de l’âge d’or, soulignait dans son journal intime, à propos du général Havelock mort en Inde, les qualités du militaire : « Il était “gentleman par nature”, véritablement religieux, sans peur et honorable »81. Ces qualités, nous les retrouvons sous la plume de grands penseurs de l’époque. En 1859, Self-Help de Samuel Smiles connaît un grand succès. L’idée générale du livre, dans la lignée du darwinisme social, est la suivante :
Ce n’est pas l’aisance, mais l’effort – pas la facilité, mais la difficulté, qui fait les hommes. […] Les plus grandes choses – les grandes idées, découvertes, inventions – ont généralement été le fruit d’épreuves, ont souvent été pensées dans la peine, et établies en détail avec difficulté.82
48Dans un chapitre intitulé « Character – the true gentleman », Smiles écrit que « ses qualités ne dépendent ni de la mode ni des manières, mais de la richesse morale – pas des possessions personnelles, mais des qualités personnelles ». Plus loin, il ajoute que « l’homme pauvre peut être un vrai gentleman – en esprit et dans sa vie quotidienne. Il peut être honnête, sincère, droit, poli, modéré, courageux, se respecter et s’aider soi-même, tout ce qui fait le vrai gentleman »83. L’alpiniste Alfred Hopkinson (1851-1939), issu d’une famille de puritains, raconte qu’on lisait cet ouvrage à voix haute en famille, ainsi que The Pilgrim’s Progress de John Bunyan (1678) et, surtout, John Halifax, Gentleman de Dinah Craik (1856)84. Halifax, orphelin sans le sou, est embauché par un tanneur quaker, puis à force de travail honnête, monte sa propre entreprise, fait fortune, et épouse la fille d’un gentleman.
49C’est une fois ces clarifications faites qu’on peut comprendre pourquoi les alpinistes de l’AC sont des gentlemen sans pour autant, comme on le croit souvent (peut-être justement à cause de ce terme), faire partie de l’aristocratie. Un gentleman, c’est par exemple Horace Walker (1838-1909), d’après sa nécrologie :
Il était humain, affectueux et chaleureux, aimé de tous ceux qui le rencontraient, droit et honnête au plus haut degré. Plus on le connaissait longtemps et intimement, plus on respectait et on admirait son excellente probité d’esprit, et plus on était attiré par sa nature déterminée et aimante. […] Avec sa mort, nous déplorons la perte d’un gentleman anglais au meilleur sens du terme, sérieux, courtois, et des plus désintéressés qui soient. (AJ, vol. 24, 1909, p. 94)
50Le statut de gentleman s’acquiert avant tout par l’éducation, en particulier celle reçue dans les public schools et les grandes universités. La plupart des membres de l’AC sont passés par ces lieux d’éducation prestigieux et y ont été socialisés d’une manière bien spécifique, qui fait l’objet du chapitre suivant.
Notes de bas de page
1 Paul Veyne, « L’alpinisme. Une invention de la bourgeoisie », L’Histoire, no 11, 1979, p. 41-49.
2 Nous reprenons la périodisation de Jacques Perret, Guide des livres sur la montagne et l’alpinisme, Grenoble, Belledonne, 1997, p. 32.
3 Enrico Camanni, « La métaphore en son jardin (alpin) », L’Alpe, no 26, 2005, p. 6-10.
4 En 1700, le géodésien Cassini II fait l’ascension du Canigou et en Équateur, l’explorateur La Condamine aurait réalisé des mesures au sommet du Pichincha (4 800 mètres). Roger Frison-Roche et Sylvain Jouty, Histoire de l’alpinisme, Paris, Arthaud, 2003, p. 26.
5 Claire-Éliane Engel et Charles Vallot, Les écrivains à la montagne. « Ces monts affreux… » (1650-1810), Paris, Delagrave, 1934 ; Claire-Éliane Engel et Charles Vallot, Les écrivains à la montagne. « Ces monts sublimes… » (1803-1895), Paris, Delagrave, 1934.
6 La découverte des glaciers remonte au xviie siècle. Dès les années 1660, on commence à parler dans les cercles scientifiques de ces « montagnes glacées et cristallines d’Helvétie » (Robert Macfarlane, Mountains of the Mind. A History of a Fascination, Londres, Granta Books, 2008, p. 110).
7 Jean André et frère Deluc, Relations de différents voyages dans les Alpes du Faucigny, s. l., s. n., 1776.
8 Robert Macfarlane, Mountains of the Mind, ouvr. cité, p. 249-250.
9 Jean-Paul Bozonnet, « Un siècle d’imaginaire dans les Alpes », L’espace alpin et la modernité. Bilans et perspectives au tournant du siècle, D. J. Grange éd., Grenoble, PUG, 2002, p. 341.
10 Marc-Théodore Bourrit, Nouvelle description des glacières, vallées de glace et glaciers qui forment la grande chaîne des Alpes, de Savoye, de Suisse et d’Italie, s. l., s. n., 1787, p. 144-145.
11 Edmund Burke, A Philosophical Enquiry into the Origin of our Ideas of the Sublime and Beautiful [1757], Oxford, Oxford University Press, 2008, p. 60.
12 Lord Byron, Manfred [1817], Paris, s. n., 1856, p. 18.
13 Robert Macfarlane, Mountains of the Mind, ouvr. cité, p. 157.
14 Samuel T. Coleridge, « Lettre à Sara », Collected Letters of Samuel Taylor Coleridge, Oxford, Clarendon Press, 1956, vol. 2, p. 842.
15 John Ruskin, Modern Painters, Londres, Smith, Elder and Co, 1856, vol. 4, p. 353.
16 John Ruskin, « “The discipline of danger”, Chamouni, October 3, 1863 », The Complete Works of John Ruskin, E. T. Cook et A. Wedderburn éd., 1903-1912, vol. 18, p. 21, note 2.
17 André Hélard, John Ruskin et les cathédrales de la Terre, Chamonix, Guérin, 2005.
18 John Ruskin, Sésame et les lys, traduction de M. Proust, Paris, Mercure de France, 1906, p. 132.
19 Leslie Stephen, The Playground of Europe, ouvr. cité, p. 321.
20 Ibid., p. 69.
21 Albert Smith, The Story of Mont Blanc, Londres, D. Bogue, 1853, p. 190-194. Sur l’influence de Smith sur la popularisation de l’alpinisme comme « sport », voir Peter H. Hansen, « Albert Smith, the Alpine Club, and the Invention of Mountaineering in Mid-Victorian Britain », Journal of British Studies, vol. 34, no 3, 1995, p. 300-324.
22 Ronald W. Clark, The Victorian Mountaineers, Londres, B. T. Batsford, 1953, p. 48.
23 Dominique Lejeune, Les « alpinistes » en France à la fin du xixe et au début du xxe siècle : vers 1875-vers 1919. Étude d’histoire sociale, étude de mentalité, Paris, Éditions du CTHS, 1988, p. 43.
24 Ces dates peuvent porter à critique : le Wetterhorn avait déjà été escaladé en 1844, tout comme d’autres grands sommets alpins : le Vélan en 1779 ; le Grossglockner en 1800 ; la Jungfrau en 1810 ; le Breithorn de Zermatt en 1813 ; le Pelvoux ; le Finsteraarhorn en 1829 ; le Galenstock en 1845 (Jacques Perret, Guide des livres sur la montagne et l’alpinisme, ouvr. cité, p. 44).
25 C’est le choix fait dans les deux thèses sur l’alpinisme français : Dominique Lejeune, Les « alpinistes » en France à la fin du xixe et au début du xxe siècle, ouvr. cité ; Olivier Hoibian, Les alpinistes en France 1870-1950, ouvr. cité.
26 Sur ce sujet, voir Françoise Loux, Guides de montagne. Mémoire et passions, Grenoble, Didier-Richard, 1988 et Renaud de Bellefon, Histoire des guides de montagne. Alpes-Pyrénées. 1760-1980, Bayonne, Cairn Milan, 2003.
27 Leslie Stephen, The Playground of Europe, ouvr. cité, p. 308.
28 James D. Forbes, Travel through the Alps of Savoy and other Parts of the Pennine Chain [1843], Londres, A. and C. Black, 1900, p. 14.
29 Arthur S. Eve et Clarence H. Creasey, Life and Work of John Tyndall, Londres, Macmillan, 1945, p. 3.
30 K. Theodore Hoppen, The Mid-Victorian Generation. 1846-1886, Oxford, Clarendon, 1998, p. 488.
31 Cité par Trevor Braham, When the Alps Cast their Spell. Mountaineers of the Alpine Golden Age, Glasgow, In Pinn, 2004, p. 52.
32 John Tyndall, The Glaciers of the Alps. Mountaineering in 1861 [1861], Londres, J. M. Dent and Sons, 1906, p. 257.
33 Préface à la première édition de John Tyndall, Hours of Exercise in the Alps, s. l., s. n., 1871.
34 Leslie Stephen, « Ascent of the Rothhorn », Alpine Journal, vol. 2, 1866, p. 67-79, ici p. 76.
35 « Alpine Travelling », The Times, 1862.
36 « It was treated with good-humoured ridicule in the Times; and the Alpine Club speedily became a byword for a set of harmless lunatics » (Leslie Stephen, « On Alpine Climbing », British Sports and Pastimes, A. Trollope éd., Londres, Virtue, 1868, p. 257‑289, ici p. 267). Stephen écrit également dans la préface de la première édition de Playground qu’il dédie le livre « à ses confrères les fous » (« those fellow lunatics »).
37 Préface de Edward Whymper, Scrambles amongst the Alps in the Years 1860-69, Londres, Murray, 1871.
38 Leslie Stephen, « Review of Scrambles amongst the Alps, by E. Whymper », Alpine Journal, vol. 5, 1872, p. 236-240, ici p. 239.
39 Jack Longland, « Between the Wars », Alpine Journal, vol. 62, 1957, p. 83-97, ici p. 93.
40 Michel Tailland, « L’Alpine Club. 1857-1914 », L’invention de l’alpinisme. La montagne et l’affirmation de la bourgeoisie cultivée, 1786-1914, O. Hoibian éd., Paris, Belin, 2008, p. 29-73, ici p. 38.
41 Pour une analyse de l’alpinisme français au même moment, voir Olivier Hoibian, Les alpinistes en France 1870-1950, ouvr. cité.
42 Émile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, 1894. En ligne : [http://classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/regles_methode/regles_methode.html], p. 15.
43 Nous avons pu le constater par nous-même : à une ou deux exceptions près, les alpinistes de notre reconstitution de l’élite sur la période antérieure à la première guerre mondiale appartiennent également à l’AC. Jusqu’aux années vingt, la structure sociale de l’AC et celle de notre reconstitution restent très similaires.
44 Pour une comparaison et une analyse fine de ces données, voir la thèse en ligne. Nous nous appuyons, dans ce paragraphe, sur l’analyse de Peter H. Hansen, British Mountaineering, 1850-1914, thèse de doctorat soutenue à l’université Harvard, 1991, p. 463‑470. Michel Tailland, Les alpinistes victoriens, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 1996, et Thomas S. Blakeney, « Some Statistics of Alpine Club membership », Alpine Journal, vol. 58, 1952, p. 127-128, fournissent, chacun de leur côté, des résultats semblables.
45 Sur ces questions, voir Eric Hobsbawm, « La middle class anglaise », Les bourgeoisies européennes au xixe siècle, J. Kocka éd., Paris, Belin, 1996, p. 101-129.
46 Paul Veyne, « L’alpinisme, une invention de la bourgeoisie », art. cité.
47 Eric Hobsbawm, « La middle class anglaise », art. cité., p. 110.
48 Eric Dunning et Kenneth Sheard, « La séparation des deux rugbys », Actes de la recherche en sciences sociales, no 79, 1989, p. 92-107.
49 Notes sur la traduction de Leonore Davidoff et Catherine Hall, Family Fortunes. Hommes et femmes de la bourgeoisie anglaise. 1780-1850, Paris, La Dispute, 2014, p. 20.
50 Eric Dunning et Kenneth Sheard, Barbarians, Gentlemen and Players. A Sociological Study of the Development of Rugby Football, New York, New York University Press, 1979, p. 131.
51 Notes sur la traduction de Leonore Davidoff et Catherine Hall, Family Fortunes, ouvr. cité, p. 20.
52 François Bédarida, La société anglaise. Du milieu du xixe siècle à nos jours, Paris, Seuil, 1990, p. 83.
53 William J. Reader, Professional Men. The Rise of the Professional Classes in Nineteenth-century England, Londres, Weidenfeld and Nicholson, 1966, p. 211.
54 Les clerks passent au fil du temps et de la dégradation du prestige associé à leur occupation de la catégorie I (1911-1921) à la catégorie II (années vingt), puis à la catégorie III (des années vingt aux années soixante-dix) de la nomenclature des classes sociales britanniques. Les quelques clerks membres de l’AC sont donc considérés comme des bourgeois et des professionals à la fin du xixe siècle. Simon Szreter, « The Official Representation of Social Classes in Britain, the United States, and France. The Professional Model and “Les Cadres” », Comparative Studies in Society and History, vol. 35, no 2, 1993, p. 285-317, ici p. 286.
55 Comptage personnel.
56 Simon Szreter, « The Genesis of the Registrar-General’s Social Classification of Occupations », The British Journal of Sociology, vol. 35, no 4, 1984, p. 522-546.
57 Tom G. Longstaff , « Fifty Years Ago », Alpine Journal, vol. 62, 1957, p. 133-136, ici p. 135.
58 François Bédarida, La société anglaise, ouvr. cité, p. 82.
59 Ibid., p. 80. Pour une description précise de la vie d’une famille de professionals et industriels de Manchester à l’époque victorienne, voir Katharine C. Chorley, Manchester Made Them, Londres, Faber, 1950.
60 John Jenkins, « Tribute to Partnership », Alpine Journal, vol. 53, 1941, p. 95-107, ici p. 95.
61 Pour les notices nécrologiques, nous avons choisi le référencement suivant : (AJ, vol. X, année, page).
62 Les coûts de tels séjours sont détaillés par Michel Tailland, Les alpinistes victoriens, ouvr. cité, p. 183.
63 W. L. Watts, « Ascent of Myrdals Jökull », Alpine Journal, vol. 7, 1876, p. 179-191, ici p. 191.
64 François Bédarida, La société anglaise, ouvr. cité, p. 70 et p. 82.
65 Tony Smythe, My Father, Frank. The Forgotten Alpinist, Seattle, Mountaineers Books, 2015, p. 13.
66 Sophie Loussouarn, « L’évolution de la sociabilité à Londres au xviiie siècle. Des coffee-houses aux clubs », Bulletin de la société d’études anglo-américaines des xviie et xviiie siècles, no 42, 1996, p. 21-44, ici p. 22.
67 Thomas S. Blakeney et D. F. O. Dangar, « The Rise of Modern Mountaineering, 1854-1865 », Alpine Journal, vol. 62, 1957, p. 16-38, ici p. 27-29.
68 Harry et Harriet sont des prénoms populaires. La suppression du h reproduit l’accent cockney. Discours inaugural du Climbers’ Club, par Charles E. Mathews (George Bryant, « The Formation of the Climbers’ Club », The Climbers’ Club Journal, vol. 1, 1898, p. 1-9, ici p. 8).
69 Ibid., p. 7.
70 Pierre Bourdieu et Monique de Saint-Martin, « Les catégories de l’entendement professoral », Actes de la recherche en sciences sociales, no 3, 1975, p. 68-93, ici p. 89.
71 Voir, sur ce point, l’explication historique de Steven Shapin, Une histoire sociale de la vérité. Science et mondanité dans l’Angleterre du xviie siècle, Paris, La Découverte, 2014, p. 91-152.
72 Marc Puel, « Le gentleman, la propriété foncière et le négoce », Bulletin de la société d’études anglo-américaines des xviie et xviiie siècles, vol. 39, no 1, 1994, p. 37-49, ici p. 39. Steven Shapin explique que « nombre d’opinions divergentes s’opposèrent sur qui était gentilhomme, ce qu’un gentilhomme devait être, et sur les bases légitimes de la noblesse » (Steven Shapin, Une histoire sociale de la vérité, ouvr. cité., p. 81).
73 Samuel Johnson, A Dictionary of the English Language, Londres, Allason, 1820, p. 801.
74 Alexander Reid, A Dictionary of the English Language, Londres, Simpkin, Marshall & Co, 1873, p. 180.
75 David Cody, « The Gentleman ». En ligne : [http://www.victorianweb.org]. Sur la notion de « caractère », voir aussi Rozenn Martinoia, « Un lieu commun sans vacuité : le caractère dans la pensée d’Alfred Marshall », Cahiers d’économie politique, no 66, 2014, p. 35-68, ici p. 37.
76 Cet extrait et les suivants : Hippolyte Taine, Notes sur l’Angleterre [1872], Paris, Hachette, 1890, p. 194-196.
77 Directeur de Rubgy de 1828 et 1841, il est celui que Coubertin présente, sans doute faussement, comme un des promoteurs du sport scolaire à travers la doctrine de la muscular christianity. Si Coubertin se trompe, c’est sans doute parce que Thomas Arnold figure dans l’ouvrage qui a initié cette doctrine, Tom Brown’s Schooldays.
78 Weber prend l’exemple, parmi d’autres, de Cecil Rhodes (1853-1902), grand capitaine d’industrie, fils de pasteur, et colonisateur (Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, ouvr. cité, p. 38).
79 Ibid., p. 137.
80 Ibid., p. 261.
81 Ian Smith, The Apprenticeship of a Mountaineer. Edward Whymper’s London Diary, 1855-1859, Londres, London Record Society, 2008, no 43, entrée de janvier 1858.
82 Samuel Smiles, Self-Help. With Illustrations of Character and Conduct, Londres, S. W. Partridge and Co., 1859, p. 275, p. 326 et p. 328.
83 Ibid., p. 326 et p. 328.
84 Alfred Hopkinson, Penultima, Londres, M. Hopkinson ltd., 1930, p. 56. The Pilgrim’s Progress, ouvrage clé de la littérature puritaine, est mentionné par Weber dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, ouvr. cité, p. 120.
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