Introduction
p. 27-30
Texte intégral
1Dans cette première partie, nous regarderons comment l’alpinisme et, plus spécifiquement encore, le modèle d’excellence propre à l’alpinisme, ce que nous appellerons son « esprit », 1) apparaît, 2) est codifié, et 3) se diffuse. Au cœur de notre démonstration se trouve l’idée suivante : c’est dans l’Angleterre victorienne que se définit le socle d’un « esprit » de l’alpinisme, un esprit encore vivace aujourd’hui, bien que sorti de son contexte initial, à l’instar de l’esprit du capitalisme étudié par Max Weber.
2Au-delà de l’objet singulier qu’est l’alpinisme, ce sont des questionnements sociologiques plus généraux qui sont soulevés ici, en premier lieu des questionnements relatifs à la genèse d’une activité et des principes qui la sous-tendent. Comment une pratique apparaît-elle ? Comment parvient-elle à s’autonomiser, si seulement elle y parvient ? Comment se dote-elle de règles ? Pourquoi est-elle représentée, pratiquée, comprise comme elle l’est ? Comment hiérarchise-t-elle ses pratiquants ? Ils appellent une analyse fine du contexte et des configurations d’acteurs propres à ce contexte, dans la lignée des travaux de Norbert Elias1, mais aussi de Max Weber2, dont nous reprenons la notion d’esprit. Nous montrerons que ce sont les gentlemen de l’Alpine Club qui donnent à l’alpinisme ses règles, ses valeurs, son « esprit », sa forme particulière d’excellence, que l’on peut seulement comprendre en revenant sur les propriétés sociales et les idéologies de ces hommes.
3Ce sont, de ce fait, des questionnements propres à la sociologie des élites qui seront également posés. La question de « l’élite » est centrale dans l’alpinisme, car on y observe une correspondance entre l’élite sociale, qui invente et codifie l’alpinisme, et l’élite sportive constituée des « grands alpinistes ». Cette correspondance est chose courante dans les pratiques sportives au xixe siècle, pour la plupart inventées par la bourgeoisie ou l’aristocratie. Ce qui est spécifique à l’alpinisme, c’est son maintien au fil du temps et sa résistance pendant près d’un siècle à la démocratisation, avec des conséquences importantes sur la manière dont l’alpinisme, hier et encore aujourd’hui, est pensé par ses pratiquants : sport inventé, codifié, pratiqué par une élite, ce n’est pas sans raison que l’alpinisme est un sport « élitiste » (et le demeure à bien des égards).
4Un dernier questionnement sociologique émerge : une activité peut-elle sortir de son cadre culturel habituel en restant identique ? Peut-elle se diffuser en emportant avec elle son « esprit » ? Ce modèle d’excellence va, en effet, circuler en dehors de l’Alpine Club. L’apparition précoce de l’alpinisme en Angleterre, sa codification par une bourgeoisie anglaise et la domination britannique sur l’alpinisme mondial pendant plusieurs décennies rend nécessaire la prise en compte de cette influence pour étudier les autres alpinismes apparus dans son sillage, comme l’alpinisme français. Cependant, il ne s’exporte pas tel quel, par exemple en France : il est imité, redéfini, réapproprié.
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