De l’Eubée à la Campanie, pédérastie héroïque et mollesse tyrannique
p. 51-69
Texte intégral
L’Histoire, dit-on, est toujours écrite par les vainqueurs ; c’est vrai, mais il arrive que le fantôme du vaincu tienne la main du vainqueur qui l’écrit.1
1Les contradictions de la figure historique d’Aristodème, tyran de Cumes également connu par son surnom Μαλακός, mettent en lumière la rencontre italiote de deux modèles identitaires, l’un venu de l’île grecque d’Eubée et l’autre issu de la tradition romaine. Placée dans cette perspective, notre étude semble s’inscrire à rebours de la problématique des journées organisées par le laboratoire Étude des modèles culturels dans l’Antiquité, ou du moins à l’inverse de sa formulation, puisqu’il ne s’agit pas de considérer comment naît et évolue en soi un modèle communautaire, mais plutôt d’observer comment les discours qui le transmettent le travestissent et, en l’occurrence, lui imposent un autre système identitaire.
2Selon une image utilisée par Paul Marius Martin dans l’article auquel est empruntée l’épigraphe de cette étude, ce phénomène propre à l’écriture historique pourrait être comparé à une surimpression photographique. Ainsi, lorsqu’un cliché vient se fondre dans celui qui le précède, certaines transitions graphiques peuvent créer l’illusion visuelle d’une adéquation et devenir imperceptibles, tandis que d’autres apparaissent néanmoins dans un décalage et laissent ainsi deviner l’effet de « montage ». Or l’histoire d’Aristodème fait paraître plusieurs de ces décalages révélateurs.
3 Tyran de Cumes2, Aristodème est décrit à la fois comme un généreux défenseur du peuple et un impitoyable tyran, comme un guerrier exceptionnel et un despote incitant ses concitoyens à la mollesse. Comment une même figure historique peut-elle réunir des profils si différents, voire antinomiques ? Son surnom lui-même, Malakos, est soumis à des interprétations discordantes3. Les historiens antiques expliquent qu’il serait dû :
- à son jeune âge lors de ses premiers exploits (Aristodème le Tendre ?) ;
- à sa pratique de l’homosexualité passive (Aristodème l’Efféminé4, voire Aristodème « le pédé »5 ?) ;
- à sa mollesse en matière politique (Aristodème « le Mol »6 ?).
4Présentes notamment chez Tite-Live, Denys d’Halicarnasse et Plutarque, les grandes lignes de la trajectoire d’Aristodème sont les suivantes :
- en 5247, alors que Cumes est assiégée par les Tyrrhéniens, Aristodème mène ses concitoyens à la victoire ;
- en 504, comme la ville d’Aricie se trouve à son tour assiégée par les Tyrrhéniens, Aristodème conduit des renforts cumains à son secours ; Aricie est libérée ; à son retour à Cumes, Aristodème renverse le pouvoir oligarchique et installe une tyrannie ;
- en 496-495, après avoir échoué dans ses tentatives de retour au pouvoir et s’être réfugié à Cumes, Tarquin y achève sa vie ;
- en 492, Aristodème reçoit une ambassade romaine en quête de blé (Rome étant en proie à la famine) ; les anciens compagnons de Tarquin demandent vengeance contre Rome ; les ambassadeurs rentrent à Rome bredouilles ;
- dans les années 480, Aristodème est assassiné par le parti oligarchique qui reconquiert ainsi le pouvoir sur Cumes.
5Au-delà de cette rapide chronologie, qui est donc cet Aristodème de Cumes, demeuré à l’écart de l’histoire de Rome, bien qu’il se trouve présenté comme l’héritier de Tarquin le Superbe ? Quel est ce personnage historique qui s’affirme à la fois comme le légataire d’une filiation tyrannique et hellénique8 et comme une des figures premières du fantasme tyrannique romain ?
6En effet, telle qu’elle est rapportée, dans toutes les versions, son histoire offre un exemple édifiant d’odieux tyran assassiné par de vaillants oligarques venus rétablir la liberté. Aristodème de Cumes semble avoir toutes les caractéristiques du tyran.
7Cette exemplarité tyrannique répond à un contexte idéal, à plusieurs points de vue, chronologique et géographique, mais aussi ethnique et culturel. Tout d’abord, les dates fournies par les récits affirment unanimement que l’histoire d’Aristodème se déploie sur la fin du ve siècle et le début du ive siècle avant Jésus-Christ, ce qui fait de lui un parfait contemporain de la fin de la royauté et de la naissance de la République romaine, la royauté (regnum) étant traditionnellement assimilée à une tyrannie par l’historiographie romaine et le gouvernement appelé res publica étant en fait une forme d’oligarchie. Cette exemplarité répond aussi à un contexte géographique, à savoir une floraison de tyrannies dans l’Italie du Sud et la Sicile9 – à Léontinoi10, à Agrigente11, à Géla12, à Rhégion13 et à Syracuse14. Le contexte ethnique et culturel a aussi son poids : ville de Campanie, Cumes est avant tout, au sein de la Grande Grèce, une cité grecque, zone de contact entre la culture grecque et le monde romain, par où l’idée grecque de tyrannie gagne la péninsule italienne15, même si sa théorisation attendra Platon et Aristote16.
8Toutefois, bien que la figure d’Aristodème semble correspondre parfaitement au fantasme tyrannique républicain, le corpus brosse aussi le portrait d’un héros positif. Bien plus, certains aspects de sa personnalité semblent totalement décalés, telle la manière dont il traite la jeunesse de la cité, envoyant les fils des oligarques à la campagne et livrant les petits citadins à une éducation dévirilisante.
9Il s’agira donc dans cette étude de comparer les différentes versions du corpus, pour tenter de remonter vers une hypothèse plausible sur la transmission de l’histoire d’Aristodème et les particularités originelles du personnage. Ce travail de critique des sources permettra de se demander si les contradictions de cette figure historique ne cachent pas la présence d’un modèle originellement positif derrière la figure négative parvenue jusqu’à nous, si la complexité particulière de ce personnage n’est pas due à la surimpression de deux figures historiographiques : guerrier héroïque et efféminé prosélyte, politique doux et impitoyable tyran, Docteur Jekyll et Mister Hyde, Aristodème et Malakos.
10Les sources dont nous disposons au sujet du parcours d’Aristodème sont variées et parcellaires :
11Sur la bataille de Cumes (524) :
- Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, VII, 3-4 ;
- par allusion seulement : Plutarque, Conduites méritoires des femmes, 261E (« Xénocritè »).
12Sur le siège d’Aricie (508-507) :
- Tite-Live, II, 14, 5-9 ;
- Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, V, 36, 1-4 ; VII, 5-6, 2.
13Sur l’exil et la mort de Tarquin à Cumes (496-495) :
- Tite-Live, II, 21, 5 ;
- Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, VI, 21, 3.
14Sur l’ambassade romaine de frumentatio (492) :
- Tite-Live, II, 34, 4 ;
- Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, VII, 2, 3-5, et 12, 1-3.
15 Sur Aristodème lui-même, son règne et sa mort :
- Diodore de Sicile, VII, 10 [= Excerpta de uirtutibus et uitiis, vol. 1, p. 212] ;
- Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, VII, 2, 3 à 12, 2 ;
- Plutarque, Conduites méritoires des femmes, 261D-262D (« Xénocritè ») ;
- Lexique de la Souda, s. u. Ἀριστόδημος (= DH., Ant. rom., VII, 2, 4).
16On dispose donc d’un corpus faisant appel à quatre auteurs : un Romain, Tite-Live, et trois historiens grecs de Rome, Diodore de Sicile, Denys d’Halicarnasse et Plutarque.
17Du premier auteur par ordre chronologique, Diodore de Sicile, notre corpus ne contient qu’un fragment issu des excerpta constantiniens17. Le passage est clairement centré sur Aristodème, qui est qualifié de tyran et appelé Malakos. Le regard porté sur le tyran est totalement négatif : Aristodème accède au pouvoir par la démagogie et la calomnie, puis il s’y maintient par l’assassinat, le vol et l’entretien de mercenaires. Ainsi la tyrannie de Malakos est décrite comme un règne de violence et de terreur, figurant manifestement au nombre des uitia dénoncés par la compilation constantinienne qui nous a transmis ce passage.
18Après Diodore de Sicile, Tite-Live évoque par trois fois des événements de la biographie d’Aristodème. Le premier passage relatif à la carrière d’Aristodème est un récit de la bataille d’Aricie18. Aristodème n’y est pas même nommé. Il est seulement question de renforts cumains, cités en seconde position, derrière des renforts latins19. Leur arrivée redonne confiance à Aricie et lui permet de livrer la bataille de sa victoire. C’est l’intervention des troupes cumaines qui décide de la victoire20. Les seuls noms propres et individus apparaissant dans le récit de cet épisode sont Porsenna et Arruns. Les chefs des troupes alliées d’Aricie n’émergent pas, pas même Aristodème.
19Deuxième passage livien concernant Aristodème, quelques lignes du livre II21 signalent brièvement la mort de Tarquin à Cumes. La mention de la mort de Tarquin est lapidaire : aucun détail n’est donné sur les circonstances, sinon le lieu, Cumes. Tite-Live éprouve néanmoins la nécessité d’expliquer la raison de ce lieu en indiquant que Tarquin avait trouvé refuge chez « le tyran Aristodème ». Aristodème n’est donc mentionné qu’en tant que dernier hôte de Tarquin et simplement qualifié de tyran.
20Le troisième texte de notre corpus livien est le récit de l’ambassade romaine à Cumes de 49222. Aristodème est ici nommé et immédiatement qualifié de tyran, comme dans le passage précédent. Il apparaît comme un fourbe et un voleur qui commence par vendre du blé aux émissaires romains et donc par recueillir l’argent de la cargaison avant de la reprendre de force à ceux qui l’ont honnêtement achetée. Sa situation d’héritier n’est ni remise en question ni évoquée comme un prétexte : à l’inverse, la relative causale qui heres erat explique son geste. Tite-Live prend donc à son compte la filiation Tarquin-Aristodème.
21 Denys d’Halicarnasse propose lui aussi trois passages concernant Aristodème. Le premier est son récit de la bataille d’Aricie23. Les Ariciens reçoivent des renforts d’Antium, de Tusculum et de Cumes. Le personnage d’Aristodème surgit ici explicitement comme l’auteur de la victoire contre les Étrusques. Le récit de Denys est centré sur Arruns, mais la victoire n’en est pas moins attribuée nommément à Aristodème, auquel Denys associe son surnom Malakos – mais sans en dire plus à ce stade de son œuvre.
22Le deuxième passage des Antiquités romaines où il est question d’Aristodème concerne la mort de Tarquin24. Celui-ci est au premier plan. Denys souligne qu’il est le seul survivant de sa famille. Âgé d’environ quatre-vingt-dix ans, il a vu disparaître tous ses descendants. Alors que l’ensemble des cités semble rejeter l’ancien souverain de Rome, Aristodème est le seul à l’accueillir. À la mort du vieillard, il lui rend les derniers honneurs. Comme toujours chez Denys, Aristodème est pourvu de son surnom Malakos, mais il est cette fois-ci précisé qu’il règne en tyran sur Cumes, indication chronologiquement et diégétiquement justifiée par sa nouveauté, puisque le passage où Aristodème est précédemment mentionné dans les Antiquités romaines – celui qui, dans le livre V, est consacré à la bataille d’Aricie – est situé avant l’installation de sa tyrannie. Sans dire explicitement qu’Aristodème est l’héritier de Tarquin, Denys le décrit dans une attitude noble et presque filiale : recueillir un vieillard abandonné et sans protection, lui rendre les derniers honneurs à sa mort, autant d’actions qui évoquent celles d’un fils, ou du moins d’un héritier. De fait, logiquement, en l’absence de toute descendance familiale, c’est une filiation politique qui s’impose.
23Mais le texte le plus long que nous possédons sur Aristodème est le grand excursus que lui consacre Denys dans le livre VII (chapitres 3 à 11) des Antiquités romaines, interrompant son récit de l’année 492 pour proposer une biographie du personnage allant de la bataille de Cumes, en 524, à sa mort, située dans les années 480, et qui occupe près de dix chapitres, honneur historiographique tout à fait exceptionnel chez un auteur qui se contente généralement de notices précises, mais rapides. Dans les chapitres 3 et 4, Denys nomme le père d’Aristodème, Aristocratès, puis propose deux explications du surnom Malakos : il serait dû à des pratiques efféminées ou à une trop grande douceur en politique. Suit le récit de la bataille de Cumes, qui se déroule en 524-523, et de ses conséquences politiques : à la suite de cette victoire, Aristodème devient le champion du peuple, ce qui commence à inquiéter le parti oligarchique. Le chapitre 5 expose comment, dix-neuf ans plus tard, en 505-504, les oligarques cumains espèrent causer la perte d’Aristodème en l’envoyant au secours des Ariciens assiégés par les Tyrrhéniens. Dans les chapitres 6, 7 et 8, le lecteur découvre que, contre toute attente, Aristodème l’emporte et, à son retour, renverse le pouvoir en place, installe sa tyrannie et fait mettre à mort les oligarques. Dans le chapitre 9, Denys rapporte qu’Aristodème impose aux descendants de ses ennemis assassinés de vivre en esclaves dans les champs et réduit la jeunesse citadine à la mollesse par une éducation efféminée. Les chapitres 10 et 11 concluent le récit en narrant comment, quelques années plus tard, les fils des oligarques et les exilés de Cumes se rebellent contre la tyrannie, mettent à mort Aristodème et réinstallent l’oligarchie de leurs pères. Au début du chapitre 12, Denys revient au récit de l’ambassade romaine à Cumes qui, profitant d’une libération sous caution, rentre clandestinement à Rome, sans résultats25.
24À son tour, Plutarque propose le second grand récit de la vie d’Aristodème parvenu jusqu’à nous, même s’il trouve sa place au sein d’un ouvrage consacré aux vertus des femmes26, en s’attachant au personnage de Xénocritè, l’épouse d’Aristodème, figure qui n’apparaît dans aucune autre de nos sources et humanise la figure du tyran en le montrant épris de la fille de l’un de ses adversaires politiques. À propos du surnom Malakos, Plutarque s’insurge contre son interprétation au sens d’« efféminé » et lui attribue une étymologie soulignant la jeunesse d’un héros très tôt connu pour ses exploits dans les guerres contre les Barbares27, ainsi que pour une intelligence et une prévoyance hors du commun qui lui permettent d’accéder rapidement à de hautes charges politiques. C’est donc lui que l’on envoie aux côtés des Romains assiégés par les Tyrrhéniens voulant remettre Tarquin le Superbe sur le trône28. Au terme de l’expédition, Aristodème pousse ses hommes à le débarrasser des nobles de Cumes et à l’installer comme tyran. Dès lors, il outrage femmes et enfants en instaurant une éducation inversée : les garçons sont coiffés et parés comme des filles et vice versa. S’étant épris de Xénocritè, la fille d’un opposant exilé, il en fait sa maîtresse. Alors que le tyran passe devant un des chantiers imposés à ses concitoyens pour anéantir chez eux toute faculté de résistance, la jeune Thymotélès se voile la face, puis explique son geste de pudeur à ses compagnons de travail : Aristodème est désormais le seul homme de la cité. Ces paroles réveillent l’honneur viril de ses concitoyens et stimulent une conspiration qui reçoit l’aide de Xénocritè. Cette dernière révèle comment surprendre le tyran sans défense. Aristodème est assassiné. Refusant les honneurs, Xénocritè réclame et obtient le droit de donner une sépulture à Aristodème. Elle est alors nommée prêtresse de Déméter.
25 De prime abord, il apparaît clairement que la répartition des sources dépend du fait que le point de vue est romain, grec, ou plus spécifiquement cumain. Ainsi Tite-Live rapporte uniquement les événements intéressant Rome : la bataille d’Aricie, la mort de Tarquin à Cumes, l’ambassade malheureuse de 492. À l’inverse, le récit de Plutarque se concentre essentiellement sur les éléments relatifs à la cité grecque, avec le récit du règne d’Aristodème, sans référence ni à la mort de Tarquin ni à l’ambassade de 492. Quant à Denys, émigré grec à Rome, il rapporte à la fois les épisodes concernant Rome et les éléments plus proprement cumains. Ces distinctions sont-elles dues à des choix des auteurs, ou dépendent-elles avant tout de la nature des sources auxquelles ils ont eu accès ?
26Ces sources ont fait l’objet de plusieurs études, notamment celles d’Andreas Alföldi29 et d’Alfonso Mele30, qui ont révélé l’existence de deux filiations historiques avec, d’une part, une version annalistique patriotique romaine, utilisée par Tite-Live et Denys, et d’autre part, une chronique locale cumaine, dont la tradition bifide est à l’origine des ressemblances et des divergences des versions de Denys et de Plutarque. Ce dernier aurait travaillé à partir d’une tradition favorable à la tyrannie et susceptible d’être attribuée à Éphore ou à Philistos, tandis que le texte de Denys serait tributaire d’une version anti-tyrannique qui pourrait être l’œuvre de Timée. Dans ce contexte historiographique, l’existence d’une source locale hellénophone indépendante de la tradition romaine constitue un document exceptionnel, non seulement par sa rareté, mais aussi parce qu’elle permet d’éclairer ces âges anciens d’un double faisceau et de donner, pour une fois, la réplique à la version officielle romaine. Ainsi la position du texte de Denys d’Halicarnasse est évidemment déterminante, puisqu’il se trouve à la croisée des deux traditions, utilisant à la fois les annales romaines et la chronique cumaine, et qu’il livre en outre le texte le plus dense. Or c’est dans cette configuration historiographique particulière que l’on voit émerger avec Aristodème la figure menaçante d’un tyran répondant aux caractéristiques grecques et romaines de cet archétype des récits historiques anciens. Aussi est-ce à travers le prisme de cette figure que nous nous proposons d’étudier les enjeux historiques des différentes versions proposées et, par ce biais, la rencontre de différents modèles identitaires.
27Si l’on associe l’ensemble des versions, le personnage d’Aristodème semble concentrer tous les éléments du fantasme du tyran. Il est d’abord un personnage populaire, d’après Denys et Tite-Live. Il arrive au pouvoir par la démagogie et le crime, chez Diodore et Denys, avec les éléments structurels de ces récits de prise de pouvoir que constituent le poignard caché sous le manteau, l’attaque surprise et l’assassinat des opposants. Il maintient son pouvoir avec des hommes de main, chez Diodore et Denys. Il instaure un climat de vice et d’outrage, d’après les auteurs grecs qui s’attachent tous trois à citer son surnom ambigu. Il pratique la tromperie et le vol, sans foi ni loi, chez les quatre auteurs. Les descendants des nobles qu’il avait évincés du pouvoir finissent par se rebeller et l’assassiner, chez Denys et Plutarque, où sa mort est vécue comme une libération et où ses assassins prennent le pouvoir. Ainsi, la figure historiographique d’Aristodème réunit tous les traits du tyran, d’après une longue tradition grecque, mais aussi selon une filiation romaine, apparue précisément avec la chute de Tarquin dont Aristodème est présenté comme le légataire.
28La tradition romaine ne retient de l’héritier des Tarquins que le fait que, par son vol du blé vendu aux Romains en 492, il a lavé Rome de toute dette vis-à-vis de la dynastie des tyrans étrusques31. Pour le reste, mieux vaut l’oublier – et ainsi écarter tout risque de renouveau de la tyrannie des Tarquins. À l’inverse, Plutarque n’évoque même pas cet épisode décisif pour Rome et se concentre sur les figures des libératrices Thymotélès et Xénocritè, héritières d’une tradition grecque de tyrannoctones souvent associée à Harmodios et Aristogiton32. En position médiane, écrivant une histoire de Rome en grec, Denys ne se contente pas de rapporter les événements relatifs à la frumentatio de 492, mais diffuse le fantasme antique du tyran à travers la figure d’Aristodème, pour laquelle il puise dans une documentation à la fois grecque et romaine, vraisemblablement beaucoup plus riche que celle de Tite-Live ou de Plutarque.
29Malgré leurs différences, placés tous deux en contexte romain, les récits de Tite-Live et de Denys révèlent combien la défaite de Tarquin ne suffit pas à faire disparaître la peur du retour du tyran, ou de son fantôme, qu’on l’appréhende à travers l’esprit séditieux de la plèbe, les manœuvres d’un homme politique ambitieux, ou encore les agissements d’un héritier de Tarquin. Ainsi, dans le livre II de Tite-Live, Coriolan s’écrie :
Tarquinium regem qui non tulerim, Sicinium feram ? Secedat nunc ; auocet plebem : patet uia in Sacrum montem aliosque colles.
La tyrannie d’un Tarquin m’a été intolérable, et je souffrirais celle d’un Sicinius ? Qu’il se retire aujourd’hui ! Qu’il emmène la plèbe ! La route est libre vers le mont Sacré et les autres collines. (II, 34, 10)
30Au lendemain de la première sécession de la plèbe, c’est bien la même atmosphère de suspicion et de terreur qui règne dans le livre VII des Antiquités romaines : les revendications de la plèbe ont obtenu gain de cause avec des modifications de la constitution et la République naissante redoute un nouvel assaut de la tyrannie par ce biais. Enfin, lorsque Tite-Live et Denys composent leurs ouvrages, sur les ruines de la République, Rome vit une période qui fait à nouveau résonner l’écho de cette crainte ancestrale du monarque tyrannique.
31Mais l’ampleur du récit dionysien sur le tyran Aristodème résulte aussi d’un projet d’écriture historique particulier. De fait, le livre VII des Antiquités romaines est tout entier consacré à la question de la constitution de la République : τὸν περὶ τῆς πολιτείας αὐτῶν συγγραφησόμενον λόγον, « le livre qui sera composé sur leur [des Romains] constitution », voilà comment celui-ci est évoqué à la toute fin du livre I (90, 2). C’est effectivement dans le livre VII que Denys a placé le fameux discours de Manius Valerius sur la constitution mixte, organisant toute la matière de cette unité autour de questions politiques et constitutionnelles qui opposent notamment les dangers de la tyrannie aux bienfaits de la constitution mixte33. Il apparaît ainsi que Denys a délibérément réservé le morceau de choix que constituait la chronique cumaine pour cet excursus du livre VII, où Aristodème, en incarnant la figure du tyran maléfique, constitue le pendant négatif du protagoniste du récit chronologique principal, Coriolan, condamné à tort pour des menées tyranniques qui lui sont injustement imputées34. De fait, les débuts de la République sont marqués par l’émergence de cette crainte romaine du tyran à laquelle renvoient la figure d’Aristodème et le procès de Coriolan. Ce contexte politique justifie que Denys ait réservé l’excursus cumain et la biographie d’Aristodème pour ce livre, ne donnant par exemple que les grandes lignes de la bataille d’Aricie dans le livre V35.
32Toutefois, outre ces aspects cohérents de l’écriture historique que nous venons d’évoquer, à savoir la densité des sources, le contexte des événements rapportés ou celui de la rédaction, ainsi que les enjeux diégétiques de la composition historique, il n’en demeure pas moins que la combinaison particulière de notre corpus permet aussi d’observer des aspects plus ambigus de la biographie d’Aristodème et de défaire le masque de l’archétype tyrannique. Ainsi, lorsque la superposition des versions étire et déforme les traits du tyran, un peu comme la technique du morphing – ou « morphage », si l’on préfère le mot français –, il est parfois donné au lecteur d’entrevoir des caractéristiques particulières du personnage.
33L’aspect le plus surprenant de la figure d’Aristodème réside dans les deux thèmes de l’inversion sexuelle, qui apparaît avec le surnom Malakos, et de l’éducation efféminée donnée aux garçons de la cité. Trois motifs communs s’imposent dans les versions de Denys et de Plutarque : des garçons doivent adopter l’apparence et le comportement de filles, des enfants de citoyens sont soumis à des travaux pénibles dignes d’esclaves (chez Denys, les fils des oligarques sont astreints aux travaux des champs), des adolescents exclus ou maltraités deviennent des guerriers et recouvrent leurs droits de citoyens.
34Il s’agit de toute évidence des caractéristiques d’une initiation pédérastique des jeunes guerriers de la cité36, vraisemblablement transformée en institution dévirilisante par un discours postérieur et dont les arguments, nombreux chez Denys, appartiennent à une image de l’homosexualité qui relève de la culture hellénistique37. Chez Denys38, les jeunes gens doivent porter les cheveux longs, teints, frisés et relevés avec des résilles39 ; ils sont vêtus de tuniques bigarrées et de petits manteaux, restent à l’ombre loin du soleil de la palestre, se rendent à des cours de musique et de danse, accompagnés de femmes qui les éventent, les maquillent et les parfument.
35Ces éléments de rituel initiatique peuvent-ils être liés à des pratiques héritées de Chalcis, l’une des métropoles grecques de Cumes selon Denys40 ? De fait, la pédérastie faisait partie des pratiques associées à la cité eubéenne de Chalcis41. Cette réputation était telle que le verbe χαλκιδίζειν42 est expliqué ainsi par Hésychius :
Ἀπὸ τῶν κατ’ Εὔβοιαν Χαλκιδέων. Τίθεται δὲ καὶ ἐπὶ τῶν παιδεραστούντων, ἐπεὶ ἐπλεόναζον παρ’ αὐτοῖς οἱ παιδικοὶ ἔρωτες.
D’après les Chalcidiens d’Eubée. Mais s’applique aussi aux amateurs de jeunes garçons, comme les amours garçonnières étaient nombreuses chez eux.43
36C’est cette occurrence qui est citée dans le dictionnaire d’Anatole Bailly et dans celui de Henry George Liddel, Robert Scott et Henry Stuart Jones, qui proposent respectivement les traductions suivantes : « imiter les mauvaises mœurs des Chalcidiens » et « imitate the Chalcidians in παιδεραστία ».
37Deux autres références sont à mettre au crédit de cette interprétation. Dans le Dialogue sur l’amour44, Plutarque impute l’origine de cette particularité de mœurs à un épisode de la guerre ayant opposé Chalcis à Érétrie pour la possession de la plaine de Lélantos : Cléomaque de Pharsale, accompagné de son éromène, vint combattre aux côtés de Chalcidiens et leur apporta la victoire au prix de sa vie. C’est à la suite de cet exploit que les Chalcidiens, qui blâmaient auparavant la pédérastie, auraient adopté les mœurs de leur sauveur. Plutarque signale même qu’à son époque les Chalcidiens montrent encore sur leur agora une tombe surmontée d’une grande colonne funéraire, monument qui serait la sépulture de Cléomaque, selon eux. Enfin, il note les paroles d’une chanson d’amour pédérastique chalcidienne. Dans les Deipnosophistes45, Athénée présente Chalcis comme une terre d’élection de la pédérastie, revendiquant l’honneur d’avoir été le lieu du rapt de Ganymède, dont les Chalcidiens montraient l’endroit, appelé Ἁρπάγιον.
38Or ces traits pédérastiques propres à Chalcis rappellent que ces pratiques citoyennes connaissent de nombreuses variantes, incarnant un aspect de l’identité régionale. Ainsi le Pausanias du Banquet46 de Platon propose un exposé sur les particularismes locaux de la pédérastie, chaque cité ou région ayant ses propres modèles en la matière. Il est donc possible que la colonie campanienne de Cumes ait hérité d’une tradition pédérastique de Chalcis et que l’association du thème de la pédérastie au personnage d’Aristodème ait un lien avec cette tradition.
39Toutefois, les contradictions de la figure d’Aristodème subsistent. Malgré son surnom Malakos, il est présenté comme un héros de guerre et un homme d’action, sans qu’une association intime à des mœurs efféminées soit jamais affirmée à son sujet. Diodore utilise seulement Μαλακός pour désigner le personnage, mais sans fournir aucune explication sur ce point. Chez Tite-Live, il s’agit d’« Aristodème » et le surnom Malakos n’est pas même mentionné. Quant à la version dionysienne, bien qu’elle soit manifestement hostile à la tyrannie, elle ne présente jamais directement Aristodème comme un inverti et se contente d’évoquer des pratiques homosexuelles passives à propos de l’une des interprétations de son surnom. Denys présente Aristodème comme un vaillant guerrier, et lorsque, une fois au pouvoir, il fait imposer une éducation molle et dévirilisante aux garçons de Cumes, il n’est jamais personnellement impliqué. Quant au texte de Plutarque, vraisemblablement issu d’une tradition favorable à Aristodème, il présente le tyran comme « le seul des Cumains à être un homme »47 durant cette période de tyrannie où les jeunes gens sont coiffés et habillés comme des filles et où, inversement, les filles adoptent une apparence de garçon. Il apparaît ainsi que l’on retrouve dans ces différents récits, autour du thème de la pédérastie et de la mollesse, plusieurs modèles d’interprétation imbriqués de manière complexe, à la croisée de repères identitaires différents, dont les critères a priori identifiables sont conjointement culturels, historiques et politiques.
40Il semble qu’il coexiste dans les différents récits de l’histoire d’Aristodème les traces d’interprétations radicalement différentes du rapport entre homosexualité masculine et pouvoir politique. En effet, deux époques et deux cultures politiques s’opposent sur ce sujet : l’âge grec classique voit dans la pédérastie une école de liberté, tandis que l’époque hellénistique associe tyrannie et mollesse (τρυφή). Ainsi, dans Le Banquet, Pausanias rappelle que les régimes tyranniques barbares réprouvent les amours masculines parce qu’ils redoutent les hautes pensées qui pourraient en naître, rappelant les figures tutélaires d’Harmodios et d’Aristogiton. À l’inverse, la culture hellénistique adopte majoritairement une interprétation négative de l’homosexualité masculine qui, jugée dévirilisante et lénifiante, est alors associée aux gouvernements tyranniques. Quant à la littérature latine, Florence Dupont et Thierry Éloi décrivent ainsi la figure du tyran telle qu’elle y apparaît :
Dans la mesure où la masculinité (uirtus) est une des formes de la liberté dans la cité, le tyran logiquement ne peut être qu’efféminé, c’est-à-dire s’adonner excessivement à tous les plaisirs, à la mollitia.48
41Ces différents repères nous semblent permettre de supposer que la source cumaine commune à Denys et Plutarque décrivait l’éducation inversée promue par Aristodème selon un modèle d’interprétation où tyrannie et pédérastie n’étaient pas associées négativement. Il est donc possible de formuler l’hypothèse que les contradictions si particulières du personnage d’Aristodème soient dues au chevauchement d’une version cumaine antérieure – dans laquelle la pédérastie n’était pas associée négativement à la tyrannie – et d’un récit postérieur présentant à l’inverse la pédérastie comme un indice de décadence politique, en accord avec les conceptions dominantes hellénistiques et romaines sur ces sujets. Il semble aussi que le décalage entre, d’une part, l’absence d’allusion directe à une τρυφή propre au tyran lui-même et, d’autre part, le surnom Malakos et la politique éducative d’inversion sexuelle mise en place puisse être imputé au tissage historiographique d’une chronique ancienne d’origine cumaine, source de la tradition commune aux textes de Denys et de Plutarque, avec des interprétations postérieures ignorant les fonctions initiatiques de la pédérastie pour interpréter l’inversion sexuelle comme le symbole de l’inversion politique tyrannique.
42Ainsi, grâce à la confrontation des différentes traditions historiques présentes dans le corpus étudié, il apparaît que le personnage d’Aristodème illustre plusieurs aspects de la problématique soulevée par le thème des figures de l’identité dans l’Antiquité. Héritier de Tarquin, il reçoit les attributs de la figure du tyran, son personnage mêlant ainsi tradition grecque et fantasme romain. Or, au-delà de ce rôle archétypal, un palimpseste de versions successives laisse encore transparaître les vestiges d’une chronique locale cumaine, dont l’élément le plus décalé est sans doute le thème de l’inversion sexuelle, que nous interprétons comme la trace d’un modèle communautaire d’initiation pédérastique transmis de l’Eubée à la Campanie, présenté par les différentes traditions historiques tantôt comme un vecteur de virilité et de liberté, tantôt comme un symbole de mollesse et de tyrannie.
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Bibliographie
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Notes de bas de page
1 P. M. Martin, « La mort du tyran, fantasme républicain », p. 199.
2 Non pas la Cumes grecque d’Eubée, mais la Cumes italiote de Campanie.
3 Sur les différentes explications de ce surnom, voir d’abord M. Pallottino, « Il filoetruschismo di Aristodemo », p. 81-88, qui associe ce surnom à une mollesse philoétrusque adoptée par Aristodème et sa cité ; puis M. Pallottino, « Scavi nel santuario etrusco di Pyrgi », p. 49-117, rapprochant Μαλακός d’une transcription du punique mlk, « souverain », idée reprise par E. Manni, « Aristodemo di Cuma, detto il Malaco », p. 63-78. M. Caccamo Caltabiano, « Aristodemo di Cuma e la religione », p. 271-279, avance ensuite l’hypothèse que ce surnom montrerait qu’Aristodème était initié à un culte dionysiaque ; enfin L. Antonelli, « Aristodemo Μαλακός e la dea dell’Averno », p. 97-121, revient vers l’idée d’une correspondance entre Μαλακός et une transcription grecque du punique mlk.
4 Dans l’édition des Antiquités romaines de la collection Loeb, E. Cary traduit Μαλακός par « Effeminate ».
5 Selon une traduction proposée par P. M. Martin, « La mort du tyran, fantasme républicain », p. 195.
6 Version proposée par F. Bellanger, dans sa traduction anonyme de 1723.
7 Nous indiquons ici les dates varroniennes communément adoptées, celles de Denys d’Halicarnasse étant postérieures de deux ans. Sur ce point, voir l’édition de V. Fromentin, Antiquités romaines. Introduction générale et Livre I, dans la Collection des universités de France, p. 43-44.
8 L’ascendance grecque de la dynastie des Tarquins est une version bien connue. D’après Tite-Live (I, 34), Lucumon, alias Tarquin l’Ancien, était le fils de Demaratus, un Grec originaire de Corinthe et émigré à Tarquinii. C’est notamment grâce aux biens hérités de ce père grec que Tarquin l’Ancien aurait réussi à prendre le pouvoir à Rome. Ainsi, selon le récit de Tite-Live, la fortune des Tarquins venait d’un Grec. Liv., I, 34, 2 : Demarati Corinthii filius erat, qui, ob seditiones domo profugus cum Tarquiniis forte consedisset, uxore ibi ducta duos filios genuit. Nomina his Lucumo atque Arruns fuerunt. Lucumo superfuit patri bonorum omnium heres, « Il était fils de Démarate de Corinthe. Son père, chassé de sa patrie par des troubles politiques, était venu échouer à Tarquinies, s’y était marié et avait eu deux fils, Lucumon et Arruns. Survivant à son père, Lucumon hérita de tous ses biens ».
9 Voir C. Mossé, La tyrannie dans la Grèce antique, chap. 5, p. 79-86.
10 Panaitios (règne : fin du viie siècle).
11 Phalaris (règne : 573-554) et Théron (règne : 488-472).
12 Cléandros (règne : 505-498) et Hippocratès (règne : 498).
13 Anaxilas (règne : 494-476).
14 Les Deinoménides, les trois frères Gélon (règne : 485-478), Hiéron (règne : 478-466) et Thrasyboulos (règne : 466-465) – mais cette tyrannie sicilienne semble se distinguer des autres en ceci qu’elle s’affirme contre le δῆμος plutôt qu’en sa faveur.
15 Installée à Métaponte, puis à Tarente, la secte de Pythagore (qui aurait lui-même quitté Samos pour s’éloigner de la tyrannie de Polycrate) affirme son hostilité envers la tyrannie en l’opposant à la liberté.
16 Plat., Rsp., livre VIII ; Arstt., Pol., livres III, VI, VIII (ou V, selon les classements).
17 DS., VII, 10, 1-6 [Excerpta de uirtutibus et uitiis, vol. 1, p. 212] : Ὅτι ἐγένετο τύραννος κατὰ τὴν Κύμην τὴν πόλιν ὄνομα Μάλακος, ὃς εὐδοκιμῶν παρὰ τοῖς πλήθεσι καὶ τοὺς δυνατωτάτους ἀεὶ διαβάλλων περιεποιήσατο τὴν δυναστείαν, καὶ τοὺς μὲν εὐπορωτάτους τῶν πολιτῶν ἀπέσφαξε, τὰς δὲ οὐσίας ἀναλαβὼν μισθοφόρους ἔτρεφε καὶ φοβερὸς ἦν τοῖς Κυμαίοις, « Qu’il y eut un tyran dans la ville de Cumes du nom de Malakos, qui établit son gouvernement en s’attirant la faveur des foules et en calomniant sans cesse les hommes les plus puissants, et qui fit égorger les plus riches de ses concitoyens puis, s’emparant de leurs biens, entretenait des mercenaires et était terrible pour les Cumains » (texte édité par T. Büttner-Wobst et A. G. Roos ; notre traduction).
18 Liv., II, 14, 5-9 : 5. Omisso Romano bello Porsinna, ne frustra in ea loca exercitus adductus uideretur, cum parte copiarum filium Arruntem Ariciam oppugnatum mittit. 6. Primo Aricinos res necopinata perculerat ; arcessita deinde auxilia et a Latinis populis et a Cumis tantum spei fecere ut acie decernere auderent. Proelio inito, adeo concitato impetu se intulerant Etrusci ut funderent ipso incursu Aricinos ; 7. Cumanae cohortes arte aduersus uim usae declinauere paululum, effuseque praelatos hostes conuersis signis ab tergo adortae sunt. Ita in medio prope iam uictores caesi Etrusci. 8. Pars perexigua, duce amisso, quia nullum propius perfugium erat, Romam inermes et fortuna et specie supplicum delati sunt. Ibi benigne excepti diuisique in hospitia. 9. Curatis uolneribus, alii profecti domos, nuntii hospitalium beneficiorum ; multos Romae hospitum urbisque caritas tenuit : his locus ad habitandum datus, quem deinde Tuscum uicum appellarunt, « Après avoir renoncé à combattre Rome, Porsenna ne voulut pas paraître avoir amené pour rien ses troupes dans cette contrée, et envoya son fils Arruns, avec une partie de son armée, attaquer Aricie. Tout d’abord, les habitants furent démoralisés par cette attaque inopinée ; mais ensuite les secours qui leur vinrent tant des États latins que de Cumes leur rendirent assez de confiance pour oser livrer une bataille décisive. Dès le premier contact, les Étrusques firent une charge si furieuse qu’ils mirent en déroute du coup les troupes d’Aricie ; mais les bataillons de Cumes, opposant la tactique à la force, se tirèrent un peu de côté pour laisser passer l’ennemi en désordre, puis firent volte-face et l’attaquèrent par derrière. Ainsi enveloppés, les Étrusques, sur le point d’être vainqueurs, furent taillés en pièces : une poignée d’hommes, sans chef et sans autre refuge dans le voisinage, vinrent échouer à Rome, sans armes, et ayant des suppliants les malheurs et l’aspect. Ils furent bien reçus et logés chez les particuliers. Guéris de leurs blessures, certains rentrèrent dans leurs foyers et y témoignèrent de notre généreuse hospitalité ; beaucoup d’autres se fixèrent à Rome par affection pour leurs hôtes et pour la ville. Ils s’établirent dans un quartier qu’on leur assigna et qui prit dès lors le nom de “Faubourg Étrusque” ».
19 Liv., II, 14, 6 : voir supra, note 18.
20 Liv., II, 14, 7 : voir supra, note 18.
21 Liv., II, 21, 5 : Insignis hic annus est nuntio Tarquini mortis. Mortuus Cumis, quo se post fractas opes Latinorum ad Aristodemum tyrannum contulerat, « À noter cette année-là la nouvelle de la mort de Tarquin. Il mourut à Cumes : c’est là qu’il s’était réfugié après l’effondrement des forces latines, près du tyran Aristodème ».
22 Liv., II, 34, 4 : Frumentum Cumis cum coemptum esset, naues pro bonis Tarquiniorum ab Aristodemo tyranno, qui heres erat, retentae sunt, « À Cumes, le marché une fois conclu, le tyran Aristodème saisit la cargaison, en remplacement de la fortune des Tarquins dont il était l’héritier ».
23 DH., V, 36, 1-2 : Οἱ δὲ τὸν τέταρτον ἐνιαυτὸν ἄρξαντες ὕπατοι Σπόριος Λάρκιος καὶ Τῖτος Ἑρμίνιος ἄνευ πολέμου τὴν ἀρχὴν διετέλεσαν. Ἐπὶ τούτων Ἄρρος ὁ Πορσίνου τοῦ Τυρρηνῶν βασιλέως υἱὸς τὴν Ἀρικηνῶν πόλιν δεύτερον ἔτος ἤδη πολιορκῶν ἐτελεύτησεν. Εὐθὺς γὰρ ἅμα τῷ γενέσθαι τὰς Ῥωμαίων σπονδὰς τὴν ἡμίσειαν τῆς στρατιᾶς μοῖραν παρὰ τοῦ πατρὸς λαβὼν ἐστράτευσεν ἐπὶ τοὺς Ἀρικηνοὺς ἰδίαν κατασκευαζόμενος ἀρχὴν καὶ μικροῦ δεήσας τὴν πόλιν ἑλεῖν, ἐλθούσης τοῖς Ἀρικηνοῖς ἐπικουρίας ἔκ τ’ Ἀντίου καὶ Τύσκλου καὶ τῆς Καμπανίδος Κύμης, παραταξάμενος ἐλάττονι δυνάμει πρὸς μείζονα τοὺς μὲν ἄλλους ἐτρέψατο καὶ μέχρι τῆς πόλεως ἤλασεν, ὑπὸ δὲ Κυμαίων, οὓς ἦγεν Ἀριστόδημος ὁ Μαλακὸς ἐπικαλούμενος, νικηθεὶς ἀποθνήσκει, καὶ ἡ στρατιὰ τῶν Τυρρηνῶν μετὰ τὴν ἐκείνου τελευτὴν οὐκέτι ὑπομείνασα τρέπεται πρὸς φυγήν, « Les consuls qui gouvernèrent durant la quatrième année, Spurius Larcius et Titus Herminius, menèrent à terme leur magistrature sans guerre. Sous leur consulat, Arruns, le fils de Porsenna, le roi des Tyrrhéniens, mourut alors qu’il faisait le siège d’Aricie pour la seconde année. De fait, dès qu’avaient été passés les accords avec les Romains, comme il avait reçu de son père la moitié de son armée, il avait lancé une expédition contre les Ariciens, dans l’idée d’établir son propre pouvoir et c’est alors qu’il était près de prendre la ville que, les Ariciens ayant reçu du renfort d’Antium, de Tusculum et de la Cumes de Campanie, il fit ranger en ligne de bataille son armée, qui était en infériorité numérique face aux ennemis, fit rebrousser chemin à une partie d’entre eux et les repoussa jusqu’à la ville, mais, vaincu par les Cumains, que conduisait Aristodème, dit Malakos, il meurt, et l’armée des Tyrrhéniens, ne s’attardant pas après sa mort, prend la fuite » (texte édité par C. Jacoby, édition de référence pour les livres V et VI des Antiquités romaines dans cet article ; notre traduction).
24 DH., VI, 21, 3 : Ταρκύνιος δ᾽ ὁ βασιλεύς, οὗτος γὰρ ἔτι λοιπὸς ἐκ τοῦ γένους ἦν, ὁμοῦ τι γεγονὼς ἐνενηκονταέτης κατὰ τὸν χρόνον τοῦτον, ἀπολωλεκὼς τὰ τέκνα καὶ τὸν τῶν κηδεστῶν οἶκον καὶ γῆρας ἐλεεινὸν καὶ παρ᾽ ἐχθροῖς διαντλῶν, οὔτε Λατίνων ὑποδεχομένων αὐτὸν ἔτι ταῖς πόλεσιν, οὔτε Τυρρηνῶν οὔτε Σαβίνων οὔτ᾽ ἄλλης πλησιοχώρου πόλεως ἐλευθέρας οὐδεμιᾶς, εἰς τὴν Καμπανίδα Κύμην ᾤχετο πρὸς Ἀριστόδημον τὸν ἐπικληθέντα Μαλακὸν τυραννοῦντα τότε Κυμαίων·παρ᾽ ᾧ βραχύν τινα ἡμερῶν ἀριθμὸν ἐπιβιοὺς ἀποθνήσκει καὶ θάπτεται ὑπ᾽ αὐτοῦ. Τῶν δὲ σὺν ἐκείνῳ φυγάδων οἱ μὲν ἐν τῇ Κύμῃ κατέμειναν, οἱ δ᾽ εἰς ἄλλας τινὰς πόλεις σκεδασθέντες ἐπὶ ξένης τὸν βίον κατέστρεψαν, « Quant au roi Tarquin – il survivait encore à sa famille –, alors qu’âgé d’environ quatre-vingt-dix ans à cette époque et ayant perdu ses enfants et ses parents par alliance, il traînait une vieillesse pitoyable et cela au milieu d’ennemis, comme ni les Latins, ni les Tyrrhènes, ni les Sabins ne le recevaient plus dans leurs cités, ni aucune autre cité voisine, il se retira dans la Cumes de Campanie, auprès d’Aristodème, celui qui, surnommé Malakos, régnait alors en tyran sur les Cumains ; et après avoir survécu un petit nombre de jours chez ce dernier, il y meurt et les honneurs funèbres lui sont rendus par lui. Quant aux exilés qui l’avaient accompagné, tandis que les uns restèrent à Cumes, les autres, dispersés dans d’autres cités, achevèrent leur vie en terre étrangère » (notre traduction).
25 Contrairement à la version livienne, il n’est nulle part question dans le récit dionysien ni d’un marché conclu entre Aristodème et les Romains, ni d’un vol du blé vendu par le tyran. Le lecteur y apprend seulement que les anciens compagnons de Tarquin réfugiés à Cumes réclament la fortune de la dynastie étrusque dont ils se disent spoliés par Rome et saisissent l’occasion de cette ambassade de frumentatio pour demander au tyran cumain d’intervenir en leur faveur.
26 Conduites méritoires des femmes, 261D-262D (« Xénocritè »).
27 La bataille de Cumes n’est ici ni décrite, ni même explicitement nommée.
28 Chez Plutarque, ce n’est pas Aricie, mais Rome qui se trouve assiégée par les Étrusques et reçoit le secours d’Aristodème.
29 A. Alföldi, Early Rome and the Latins, chap. 2 : « At the crossroads of truth and fiction : the last decade of the sixth century in Latium », p. 47-72.
30 A. Mele, « Aristodemo, Cuma e il Lazio », en particulier p. 156 et p. 159.
31 Sur l’héritage des Tarquins, voir D. Briquel, « La question des biens des Tarquins », p. 60-75.
32 Hdt., V, 55-57, et VI, 123 ; Thc., VI, 53-59 ; Arstt., Ath., 18.
33 Sur ce point, voir notre article « Unité du livre VII des Antiquités romaines de Denys d’Halicarnasse ».
34 Sur ce point, voir notre article « Les Antiquités romaines de Denys d’Halicarnasse, un laboratoire d’histoire ».
35 Voir supra, note 23.
36 A. Mele, « Aristodemo, Cuma e il Lazio », p. 156-157.
37 Voir K. J. Dover, Greek homosexuality, p. 79-81.
38 DH., VII, 9 : 1. Γενεὰν δὲ τῶν πεφονευμένων τὴν ἄρρενα κατ’ ἀρχὰς ἐν οὐθενὶ λόγῳ ποιησάμενος, ὕστερον εἴτ’ ἐκ θεοπροπίου τινὸς εἴτε καὶ κατὰ τὸν εἰκότα λογισμὸν οὐ μικρὸν αὐτῷ δέος ἐπιτρέφεσθαι νομίσας ἐπεχείρησε μὲν ἐν ἡμέρᾳ μιᾷ πᾶσαν ἀπολέσαι · 2. δεήσει δὲ πολλῇ χρησαμένων ἁπάντων, παρ’ οἷς ἔτυχον αἵ τε μητέρες αὐτῶν οὖσαι καὶ οἱ παῖδες τρεφόμενοι, χαρίσασθαι βουλόμενος αὐτοῖς καὶ ταύτην τὴν δωρεὰν θανάτου μὲν ἀπολύει παρὰ γνώμην, φυλακὴν δὲ ποιούμενος αὐτῶν, μή τι συστάντες μετ’ ἀλλήλων βουλεύσωσι κατὰ τῆς τυραννίδος, ἀπιέναι πάντας ἐκέλευσεν ἐκ τῆς πόλεως ἄλλον ἄλλῃ καὶ δίαιταν ἔχειν ἐν τοῖς ἀγροῖς μηθενὸς τῶν προσηκόντων ἐλευθέροις παισὶ μήτ’ ἐπιτηδεύματος μήτε μαθήματος μεταλαμβάνοντας, ἀλλὰ ποιμαίνοντάς τε καὶ τἆλλα τὰ κατὰ τοὺς ἀγροὺς ἔργα πράττοντας, θάνατον ἀπειλήσας, εἴ τις ἐξ αὐτῶν εὑρεθείη παρελθὼν εἰς τὴν πόλιν. 3. Οἱ δὲ καταλιπόντες τὰς πατρῴας ἑστίας ἐν τοῖς ἀγροῖς ὥσπερ δοῦλοι διετρέφοντο τοῖς ἀποκτείνασι τοὺς πατέρας αὐτῶν λατρεύοντες. Ἵνα δὲ μηδὲ τῶν ἄλλων πολιτῶν ἐν μηθενὶ γένηται μήτε γενναῖον μήτ’ ἀνδρῶδες φρόνημα, πᾶσαν ἐκθηλῦναι ταῖς ἀγωγαῖς τὴν ἐπιτρεφομένην νεότητα τῆς πόλεως ἐπεβάλετο ἀνελὼν μὲν τὰ γυμνάσια καὶ τὰς ἐνοπλίους μελέτας, ἀλλάξας δὲ τὴν δίαιταν, ᾗ πρότερον οἱ παῖδες ἐχρῶντο. 4. Κομᾶν τε γὰρ τοὺς ἄρρενας ὥσπερ τὰς παρθένους ἐκέλευσεν ἐξανθιζομένους καὶ βοστρυχιζομένους καὶ κεκρυφάλοις τὰς πλοκαμίδας ἀναδοῦντας ἐνδύεσθαί τε ποικίλους καὶ ποδήρεις χιτωνίσκους, καὶ χλανιδίοις ἀμπέχεσθαι λεπτοῖς καὶ μαλακοῖς, καὶ δίαιταν ἔχειν ὑπὸ σκιαῖς · ἠκολούθουν τ’ αὐτοῖς εἰς τὰ διδασκαλεῖα τῶν ὀρχηστῶν καὶ αὐλητῶν καὶ τῶν παραπλησίων τούτοις μουσοκολάκων παραπορευόμεναι παιδαγωγοὶ γυναῖκες σκιάδεια καὶ ῥιπίδας κομίζουσαι, καὶ ἔλουον αὐτοὺς αὗται κτένας εἰς τὰ βαλανεῖα φέρουσαι καὶ μύρων ἀλαβάστρους καὶ κάτοπτρα. 5. Τοιαύτῃ διαφθείρων ἀγωγῇ τοὺς παῖδας, ἕως ἐκπληρώσωσιν εἰκοστὸν ἔτος, τὸν ἀπὸ τοῦδε χρόνον εἰς ἄνδρας εἴα τελεῖν. Πολλὰ δὲ καὶ ἄλλα τοῖς Κυμαίοις ἐνυβρίσας καὶ λωβησάμενος καὶ οὔτ’ ἀσελγείας οὔτ’ ὠμότητος οὐδεμιᾶς ἀποσχόμενος, ὅτ’ ἀσφαλῶς κατέχειν ὑπελάμβανε τὴν τυραννίδα, γηραιὸς ὢν ἤδη δίκας ἔτισεν οὐ μεμπτὰς θεοῖς τε καὶ ἀνθρώποις πρόρριζος ἀπολόμενος, « 1. Quant à la descendance mâle de ceux qu’il avait assassinés, au début, il n’en tint aucun compte, mais ensuite, soit qu’il se fiât à quelque prédiction, soit qu’il suivît le raisonnement naturel, il considéra qu’avec elle grandissait une menace non négligeable pour sa personne et entreprit de l’exterminer en une seule journée ; 2. mais comme une prière instante lui avait été adressée par tous ceux chez qui les mères vivaient et les enfants étaient nourris, voulant leur complaire par cette nouvelle faveur, il accorda sa grâce en dépit de son propre avis, mais, les tenant sous surveillance, de peur qu’ils ne s’accordassent les uns avec les autres et ne complotassent contre la tyrannie, il ordonna qu’ils s’éloignassent tous de la ville, chacun par un chemin différent, et qu’ils passassent leur vie dans les champs, sans rien recevoir de l’éducation qui convient à des enfants libres, ni pratique ni connaissance, mais en étant pâtres et en accomplissant de plus les travaux des champs, menaçant de mort quiconque parmi eux serait surpris en train de s’approcher de la ville. 3. Ayant quitté les foyers de leurs pères, les enfants étaient élevés à la campagne comme des esclaves, au service de ceux qui avaient tué leurs pères. En outre, afin d’anéantir aussi tout sentiment noble ou viril chez les autres citoyens, il s’évertua à efféminer par l’éducation tous les jeunes gens qui grandissaient dans la ville, en supprimant les gymnases et les entraînements aux armes et en changeant le mode de vie que les enfants avaient auparavant. 4. Et de fait, il ordonna aux garçons de porter les cheveux longs, comme les vierges, en les teignant, en les frisant et en tenant leurs boucles relevées avec des résilles, de revêtir des tuniques bigarrées descendant jusqu’aux pieds, de s’envelopper dans de petits manteaux fins et moelleux et de passer leur temps à l’ombre ; lorsqu’ils se rendaient aux cours des maîtres de danse, des maîtres d’aulos et des flatteurs de Muses de cet acabit, ils étaient accompagnés par des gouvernantes, qui marchaient à leurs côtés en portant des ombrelles et des éventails, et ces femmes les lavaient, emportant aux bains peignes, flacons d’albâtre remplis de parfums et miroirs. 5. C’est seulement une fois qu’il avait perverti les enfants par cette éducation, jusqu’à leurs vingt ans révolus, qu’il leur permettait d’être comptés parmi les hommes. Ayant en outre imposé de nombreux autres outrages aux Cuméens, les ayant maltraités et ne s’étant abstenu ni d’aucun dérèglement, ni d’aucune cruauté, c’est au moment où il croyait sa tyrannie à l’abri de toute menace, que, déjà âgé, il reçut un châtiment qui ne fut blâmé ni par les dieux ni par les hommes, comme il fut arraché à la vie avec toute sa famille » (texte édité et traduit par S. Kefallonitis).
39 Selon une coiffure que nous avons par ailleurs identifiée sur une représentation iconographique locale contemporaine : voir la coiffure attachée à l’arrière par un κεκρύφαλος sur le profil féminin représenté sur un oscillum de forme circulaire trouvé à Cumes (ø max. : 10 cm ; prof. max. : 1,3 cm ; num. inv. 84925), dans L. A. Scatozza Höricht, Le Terrecotte figurate di Cume, table XXIV, S Ia1.
40 DH., VII, 3, 1. Cumes est aussi décrite comme une colonie d’Érétrie et de Chalcis par Strabon (V, 4, 4). Cette indication est rapprochée des témoignages livrés par Timée sur sa voisine Pithécusses (frg. 58 dans l’édition de K. Jacoby = Strabon, Géographie, V, 9, 4) par A. Mele, qui lui attribue également cette présentation de Cumes (« Aristodemo, Cuma e il Lazio », p. 161 ; U. Cozzoli, « Aristodemo Malaco », p. 24). La fondation de Pithécusses, puis de Cumes sur le continent, par des colons grecs venus de Chalcis et d’Érétrie est historiquement certaine.
41 F. Buffière, Éros adolescent, p. 103-106.
42 Le verbe λακωνίζειν au sens de παιδικοῖς χρῆσθαι (Aristophane, frg. 338, selon Hsch., s. u. λακωνίζειν = lambda 224) témoigne de la même réputation à propos de Lacédémone.
43 Hsch., s. u. χαλκιδίζειν = chi 85 (texte édité par K. Latte ; notre traduction).
44 Plut., Dialogue sur l’amour, 760e-761a.
45 Ath., XIII, 77.
46 Plat., Conv., section 182.
47 Thymotélès déclare à ses camarades masculins : « μόνος γάρ » ἔφη « Κυμαίων Ἀριστόδημος ἀνήρ ἐστι » (Plut., Conduites méritoires des femmes, 262B).
48 F. Dupont et T. Éloi, L’érotisme masculin dans la Rome antique, p. 267.
Auteur
Est maître de conférences en langues et littératures anciennes à l’université de Saint-Étienne (PRES Université de Lyon) et membre de l’UMR CNRS 5189 Histoire et sources des mondes antiques (HiSoMA). Elle prépare l’édition critique du livre VII des Antiquités romaines de Denys d’Halicarnasse dans la Collection des universités de France. Ses travaux concernent les historiens grecs, les orignies de Rome, la pragmatique de l’écriture historique antique et l’espace urbain hellénistique.
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