Préface
p. 7-9
Texte intégral
1L’élaboration de figures identitaires et les modes de construction communautaire, voilà ce qui fait le fil conducteur de cette rencontre. Cette définition est sans doute trop longue et lourde, et pourtant elle exprime bien ce que fut cette rencontre des 4 et 5 octobre 2007. C’est là une heureuse initiative de l’ENS de Lyon et de son directeur, le professeur Olivier Faron. Et c’est au laboratoire EMCA que l’on doit la parfaite organisation de cette rencontre ainsi que le choix des intervenants et des thèmes abordés. Il serait injuste de ne pas citer ici Maëlys Blandenet et Clément Chillet qui ont été les chevilles ouvrières de cette belle manifestation de science et d’amitié.
2Les premières figures envisagées relèvent plus du mythe que de l’histoire. J’en veux pour exemple la figure de Brutus, examinée par Paul Marius Martin, ou encore celle de Cincinnatus, étudiée ici par Mathieu Jacotot. Or ce mythe fut encore utilisé par les Américains de la guerre d’Indépendance, avec la fameuse société des Cincinnati, toujours active après plus de deux siècles. C’est encore ce nom qui est porté par une ville des États-Unis.
3Le mythe peut aussi se construire à partir du groupe social, comme nous le montre Stavroula Kefallonitis, qui s’intéresse au tyran Aristodème de Cumes mais, au-delà, aux clichés sur la tyrannie et la pédérastie. Elle démêle avec finesse les éléments favorables et défavorables à la tyrannie dans la tradition.
4Il y a aussi des figures historiques dont les traits sont obscurcis par le mythe. C’est le cas de Caton l’Ancien, étudié ici par Michèle Ducos, et encore par Laure Hermand. Mais c’est aussi le cas du fameux Mummius Achaicus. Certainement moins connu que Caton l’Ancien, Mummius Achaicus reste dans l’histoire comme le destructeur de Corinthe, et les témoignages des Anciens sont accablants. Certains sont même passés en locutions proverbiales, comme l’image des soldats romains jouant aux dés sur des tableaux de maître convertis en tables improvisées de jeu. Mais les témoignages des inscriptions sont formels : ces documents de première main donnent une image totalement différente. On a ainsi conservé des lettres de Mummius aux cités de l’Achaïe, le nouveau nom imposé par les Romains à la Grèce. Mummius fut aussi un bon proconsul comme le montre l’étude conduite par Catherine Baroin. Comme Mummius, Caton fut pris pour ce qu’il n’était pas : cet homme rigide, incarnation de la vieille Rome, était aussi un connaisseur de langue grecque, alors qu’il était censé haïr tout ce qui provenait de l’est de l’Adriatique.
5Et si nous avançons dans le temps, nous retrouvons le même questionnement à propos d’Auguste tel que le vit Horace son contemporain, comme nous l’explique Robin Glinatsis. Ou encore Néron qu’étudie Laurie Lefebvre.
6Il ne faudrait pas croire que seules des figures aient focalisé l’attention. Le groupe social aussi est concerné. Jean-Pierre Guilhembet s’est intéressé à Plutarque qui, il ne faut jamais l’oublier, est avant tout un moraliste et non un historien, même si son œuvre est une source exceptionnelle d’informations en tous genres. Et c’est à juste titre qu’Arnaud Suspène nous donne une riche étude des guerriers à cheval sur les monnaies romaines. Aujourd’hui, alors que les piécettes sont d’une désespérante monotonie, quel que soit leur pays d’émission, nous avons du mal à concevoir la richesse et la symbolique des monnaies des Anciens. Ce fait est bien connu pour le monde des cités grecques. Il est sans doute moins évident pour les monnaies de la République romaine, injustement considérées comme monotones. Arnaud Suspène vient démentir cette idée fausse avec éclat. Mais, dans ce dernier cas, nous touchons en même temps à la religion, un domaine exceptionnellement riche dans le monde antique, que ce soit en Grèce ou à Rome, selon des modalités du reste sensiblement éloignées les unes des autres. Marie-Odile Laforge analyse le cas des Pénates et des Lares, ces figures d’autant plus intéressantes qu’elles se retrouvent partout et qu’elles traduisent un puissant courant populaire.
7Ce colloque a l’immense avantage de mettre en évidence plusieurs faits trop souvent oubliés. D’abord, notre connaissance du monde antique, d’expression grecque ou latine, se nourrit de tous les types de sources : les inscriptions et la prosopographie tiennent une place de plus en plus importante, et leur apport ne saurait plus faire de doute pour quiconque. C’est une nouvelle confirmation que ces pages vont nous donner.
8Ensuite, les textes ne sont pas seulement ceux que l’on appelle abusivement « historiques ». La littérature apporte sa contribution avec éclat, et plusieurs études nous le rappellent avec force.
9Enfin, la perspective est diachronique. Nous partons des origines de la cité grecque ou de celles de Rome pour arriver à l’Antiquité tardive avec Rutilius Namatianus, étudié ici par Bruno Bureau. Non sans s’arrêter en chemin avec Magalie Roux sur les Argonautiques de Valerius Flaccus, à la fin du ier siècle de notre ère. Ou encore, un peu plus tôt dans le temps, avec Emmanuelle Raymond, c’est sur l’Énéide de Virgile que nous nous attardons. C’est dire que toutes les périodes de l’Antiquité apparaissent, et il en ressort cette grande vérité : si l’Antiquité est une, elle a beaucoup évolué. Quoi de commun entre la période homérique et celle du ve siècle de notre ère, séparée par un espace temporel supérieur à celui qui nous sépare aujourd’hui des contemporains de Charlemagne ?
10C’est en mettant en œuvre tous ces leviers que cette rencontre a su placer le monde gréco-romain dans une perspective neuve. Il ressortira clairement de la lecture de ces pages que la conception des modèles identitaires n’est pas l’apanage d’une élite seulement, mais que toute la population a été concernée selon des modalités diverses. Cet ouvrage collectif, on le voit, n’est pas seulement l’édition de contributions toujours intéressantes mais quelquefois rapprochées de façon un peu artificielle. Ici au contraire, le fil conducteur est solide, et même si l’ensemble ne peut prétendre épuiser un thème si riche, il montre des voies nouvelles.
Auteur
De l’Institut
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