Chapitre 8
Une forme transartistique
(Ask Your Mama : 12 Moods for Jazz)
p. 167-197
Texte intégral
1À bien des égards, Ask Your Mama peut être considéré comme une suite de Montage. Il s’agit en effet d’un unique poème, très marqué par la musique, comme l’indiquent son sous-titre et sa dédicace1. En outre, ce recueil propose une lecture de l’histoire des Africains-Américains sur un mode particulièrement insolent, que l’on peut interpréter comme le prolongement radical du discours politique du précédent. Certes, la perspective historique de Montage, qui se veut d’abord la photographie d’un quartier à une époque donnée, était moins vaste que celle d’Ask Your Mama, qui permet de faire un bilan polémique de longues années de ségrégation et d’injustices, mais c’est bien un même souci de régler ses comptes avec le régime politique américain qui domine dans les deux cas. Si ces recueils diffèrent, c’est donc moins dans leur thématique que dans la manière dont leurs parties constitutives s’articulent les unes aux autres. Quand Montage fonctionnait sur une alternance cyclique de poèmes organisés en réseaux, Ask Your Mama propose une vision du monde certes répétitive, mais aussi beaucoup plus hachée. Il y a parfois alternance de thèmes à l’intérieur d’une même séquence, sans que rien n’y prépare le lecteur. Si Montage conservait une certaine cohérence, malgré l’apparente fantaisie de sa « superstructure », Ask Your Mama déroute par son refus de la linéarité, qui frise parfois le chaos, comme l’a noté Jemie :
En raison principalement de son immersion totale dans la libre association, Ask Your Mama est clairement « désorganisé ». Comparé à la clarté électrique de ses autres livres, Ask Your Mama est le seul livre difficile de Hughes. C’est le gage qu’il a donné au monde universitaire, sa réponse aux lecteurs qui veulent des surfaces complexes pour se creuser les méninges.2
2Ce goût pour le risque participe d’une recherche qui renvoie clairement aux expérimentations modernistes. En effet, Ask Your Mama, en permanence au bord de la rupture, prend acte d’une crise du langage, à laquelle le poète doit faire face en le régénérant, en lui trouvant des richesses insoupçonnées. Comme l’écrit Richard Sheppard,
… le poète moderniste cesse d’être un manipulateur de quanta déterminés et tente de libérer les énergies expressives refoulées du langage ; il cesse d’être celui qui célèbre un ordre humain et devient l’expérimentateur en quête d’une « image sauvée et salvatrice » presque impossible au sein d’un univers changeant, à l’intérieur d’un processus apparemment chaotique.3
3Avant d’envisager certaines parties du recueil qui nous semblent particulièrement intéressantes, il convient d’en rappeler précisément les fondements, tant graphiques que textuels. Ask Your Mama prend en effet sa source aussi bien dans les arts visuels (cinéma, affiches) que dans la poésie moderniste de Vachel Lindsay (pour l’utilisation des marges), la musique (à la fois comme accompagnement projeté et comme principe rythmique) et les pratiques orales du ghetto (les dozens notamment).
L’espace éclaté
4Lire Ask Your Mama est une expérience complexe, car la matérialité du texte, qui participe pleinement de la forme, est tout à fait singulière. Dans l’édition originale, Hughes utilisait deux couleurs dominantes (le bleu marine et le marron) sur un fond beige4, de manière à accentuer les contrastes entre les différents types de voix. S’il ne reste rien de cet aspect chromatique dans les éditions récentes, les autres curiosités typographiques du recueil ont, en revanche, été conservées. Tout d’abord, l’ensemble du texte est imprimé sur une partie claire, elle-même entourée de deux bandes foncées, laissant ainsi à penser que le poème défile sur la page comme un film tourné selon le procédé du cinémascope le ferait sur un écran.
5Ensuite, le texte est composé de douze séquences, dont chacune est annoncée par un panneau-titre qui occupe une page entière à lui tout seul, à la manière des intertitres dans le cinéma muet. Cette composition de la page évoque aussi le message publicitaire, dans lequel le slogan se doit d’être à la fois court et accrocheur. En toute fin de recueil, dans une section intitulée « LINER NOTES : For the Poetically Unhep », Hughes reprend ces titres un à un, et les fait suivre d’un court résumé de chaque section, qui en restitue l’esprit de manière très parodique.
6Enfin, à l’intérieur de chaque séquence, le texte est clairement divisé en deux parties : à gauche de la page, on trouve le poème à proprement parler, intégralement écrit en lettres majuscules, et à droite, en marge, des indications relatives à l’accompagnement musical du poème, en lettres minuscules. Ask Your Mama ressemble à un véritable livret d’opéra ou de comédie musicale, domaine que Hughes connaît bien pour l’avoir exploré avec plus ou moins de succès au cours des années 19405. Le lecteur, ne pouvant lire simultanément les deux parties du texte, doit pourtant sans cesse faire attention de ne pas en perdre le fil. Ce qui rend le recueil particulièrement dynamique, à l’inverse des précédentes tentatives de Hughes dans le genre, c’est la dialectique entre les marges et le poème, qui entrent parfois en conflit, comme nous le verrons. L’ironie grinçante de Hughes se fait d’ailleurs moins sentir dans le poème lui-même que dans le décalage entre marges et poème. Ce dispositif semble directement inspiré du recueil de Vachel Lindsay intitulé The Congo and Other Poems, dont la première section, « Poems Intended to Be Read Aloud, or Chanted »6, comporte aussi certains textes divisés en deux colonnes. La marge y est située à droite et contient des indications en italique sur la qualité de la voix à adopter pour lire le poème et en faire ressortir ainsi toute la musicalité. Le travail de Hughes, qui repose sur un canevas vieux d’un demi-siècle quand il entreprend l’écriture d’Ask Your Mama, consiste à radicaliser des éléments du poème de Lindsay pour suggérer un rapprochement avec le jazz, et notamment le free-jazz (genre apparu à l’orée des années 1960), non seulement au niveau rythmique, mais aussi au niveau de la « superstructure » de l’œuvre. Ask Your Mama est, dans son projet, un prolongement évident du modernisme.
Vers une « poésie free-jazz »
7L’agencement des différentes sections du texte, le travail sur le vers en général et sur les sonorités en particulier constituent aussi une nette radicalisation des audaces de Montage. Évacuant parfois toute syntaxe, multipliant les changements de ton, de tempo et parfois de langue (l’espagnol et le français sont utilisés), Ask Your Mama joue encore davantage sur le basculement et la rupture que Montage, dont on a dit qu’il était très marqué par l’esthétique du be-bop. En outre, alors même que le recueil n’est finalement qu’un long poème, chacune des sections qu’il contient est beaucoup plus volumineuse que n’importe quel poème de Montage. Il y a donc ici un étirement spatial, qui n’est pas sans évoquer l’étirement chronologique de certains morceaux de jazz de la même période, qui se donnent comme des suites7, contemporaines de l’émergence du free-jazz. À propos de l’écriture poétique d’Ask Your Mama, Arna Bontemps fait d’ailleurs référence à la musique, en évoquant le courant appelé « progressive jazz »8. Il nous apparaît cependant plus pertinent de voir dans ce recueil une transposition de certains éléments du free-jazz, eux-mêmes dérivés très directement du be-bop et du hard-bop9.
8En premier lieu, l’analogie entre le recueil et le free-jazz est pertinente sur l’essence même de l’œuvre. Le poème devient un agglomérat complexe de différents langages, qui cohabitent dans un même espace, comme on l’a dit. Ask Your Mama est une forme composite, englobante, qui semble inclure ce qui lui est radicalement étranger, tel que les lieder dans les marges. Hughes dépasse donc le cadre des référents strictement africains-américains, comme le free-jazz se caractérisera par l’« accueil de sonorités, d’instruments, d’éléments mélodiques jusqu’alors considérés comme étrangers à l’univers négro-américain »10. Le lecteur d’Ask Your Mama aborde une forme qui lui échappe partiellement, comme l’auditeur à l’écoute d’un disque de free-jazz, ce que montre indirectement cette remarque de Philippe Carles et Jean-Louis Comolli : « Ce qui frappe d’abord à l’audition d’œuvres de free-jazz, c’est leur polymorphisme, la multiplication / collision / juxtaposition, à tous niveaux et en tous sens, des matériaux, codes, sources et mo (n) des qu’utilisent ou à quoi se réfèrent les musiciens. »11
9Cette désorientation du lecteur face à l’objet esthétique qu’il appréhende est encore accentuée par le désordre thématique de l’ensemble du recueil, évoqué précédemment. De manière encore plus nette que dans Montage en effet, un certain nombre de détails relatifs aux préoccupations des personae (l’impatience face au rêve américain qui se dérobe, le manque d’argent) apparaissent et réapparaissent, tels des motifs, au mépris de tout ordre logique et de toute hiérarchie. Qui plus est, ils sont disséminés dans un discours plus général sur l’Histoire qui ne respecte pas la chronologie de manière rigoureuse. Sur le mode de l’association d’idées fulgurante ou du simple hasard, chaque poème semble faire écho à d’autres de manière anarchique, sans que le lien entre eux apparaisse clairement par ailleurs. Parallèlement, le free-jazz, après le be-bop, brouille le rapport entre thème et improvisation jusqu’à le rendre invisible. Le thème peut être comparé à une sorte de motif, qui n’aurait plus de prééminence sur le reste du morceau, dont toute l’architecture est, de ce fait, modifiée :
Déplacé, réduit jusqu’à sa plus simple expression, ou, au contraire, hypertrophié, répété jusqu’à ne plus avoir qu’une valeur de ponctuation dans le temps (i. e. rythmique), (ré) cité sans subir la moindre modification, le thème n’est plus, en tout cas, l’élément central décisif des œuvres free. […] Le thème n’est plus forcément ce qui annonce et conclut l’improvisation. Il n’en est plus le support, la matière première, la garantie mélodique ou/et harmonique ; du même coup, la notion disparaît de couple indissociable thème-improvisation sur ce thème. Il y a l’improvisation, il y a aussi – à côté – le thème (parfois les thèmes), mais celle-là ne dépend plus de celui-ci. Segment mélodique, il n’intervient plus qu’au titre de citation, élément entre autres, fragment parfaitement isolable et isolé.12
10L’analogie vaut non seulement pour le poème à proprement parler (la partie du texte située à droite de la page), mais aussi pour les marges. En effet, même si le blues intitulé « Hesitation Blues » nous est donné dans l’avertissement comme le leitmotiv du poème, il est difficile de le considérer autrement que comme un simple motif parmi d’autres, qui revient certes plus souvent, mais qui n’entretient pas vraiment de rapport hiérarchique avec les autres langages musicaux des marges, parfois très éloignés les uns des autres (les lieder coexistent en effet avec la musique africaine, le cha-cha-cha, le blues et les spirituals). Autrement dit, l’accompagnement musical d’Ask Your Mama, reflétant plus ou moins le ton du poème, est davantage conçu comme une suite de langages qui se succèdent selon un mode proche du fondu enchaîné au cinéma, que comme une structure fondée sur l’alternance entre un thème et des variations. Chaque langage correspond à une humeur propre et se développe indépendamment des autres, sans leur être soumis.
11C’est toutefois dans le domaine rythmique que l’analogie entre le langage poétique d’Ask Your Mama et le langage musical du free-jazz apparaît la plus évidente. La grande irrégularité métrique du poème, et d’une manière plus générale, le refus de toute structure préétablie, prolongent les recherches de Montage en les poussant à leur terme. En effet, alors que subsistait une ballade, certes irrégulière, dans le précédent recueil (« Ballad of the Landlord »), on ne peut plus identifier ici le moindre canevas poétique connu. De manière assez semblable, le free-jazz correspond à ce stade du développement de la musique africaine-américaine qui marque la « disparition du swing en tant que participant d’un balancement régulier (et de toute continuité ou régularité rythmique) »13. L’originalité d’Ask Your Mama, comme nous l’envisagerons en détail, tient pour beaucoup, d’une part, à un consonantisme élaboré, qui fait pour ainsi dire de la prosodie de Hughes une « prosodie free-jazz », comme Ginsberg peut parler d’une « bop prosody » à propos de la poésie de Kerouac, et, d’autre part, à une utilisation fréquente et très dynamique de l’anaphore et des répétitions. Le texte donne d’ailleurs l’impression de bégayer parfois, tel un disque rayé, évoquant ainsi lointainement l’« exacerbation de bruits parasites et [les] accidents jusqu’alors censurés »14 propres au free-jazz.
12Une telle révolution esthétique ne va pas sans implications politiques. Le free-jazz, comme le précise Christophe Pirenne, est, plus qu’un sous-genre du jazz, une « philosophie musicale, étroitement liée aux revendications du mouvement Black Power » et « s’impose comme un désir de démocratisation ultime » en niant toute hiérarchie entre les instruments15. Pourtant, contrairement à la poésie de Hughes, qui prend très directement pour cible le régime politique américain, le free-jazz ne formule pas expressément de discours politique, comme le fait remarquer Gilles Mouëllic avec beaucoup d’à-propos :
L’enjeu idéologique du jazz ne doit faire oublier que celui-ci est d’abord et avant tout musique. Il n’a ni signifié, ni référent. Il ne renvoie à aucune réalité concrète. L’identifier explicitement à une cause, aussi respectable soit-elle, revient à affirmer que le jazz est discours, et que ce discours prend le pas sur la forme. C’est lui donner un pouvoir qu’il ne revendique pas : celui de la parole, au sens propre.16
13Pour autant, l’analogie entre les deux langages ne s’arrête pas là, car la colère des musiciens du free-jazz, la contestation qu’ils incarnent, est transmise dans un au-delà de la musique qui est l’expressivité, c’est-à-dire une individuation fondamentale, qui passe par un travail sur le son. Chez le poète, ce travail correspond à la mise en œuvre pratique de l’oralité du poème, c’est-à-dire à sa performance17, qui donne vie à la parole. Dans Ask Your Mama, le ressort essentiel de cette oralité est une pratique typique du ghetto africain-américain, appelée les dozens.
L’esprit des dozens
14Le titre et le sous-titre du recueil (emploi du mode impératif, référence à la mère et au nombre douze18) évoquent clairement la pratique orale et adolescente connue dans la communauté africaine-américaine sous le nom de playing the dozens, que John Dollard définissait comme « interactive insult » dès 193919. Geneva Smitherman précise, à propos de l’origine de cette pratique : « Dans leur style populaire d’origine, les “dozens” consistent en un ensemble de répliques en vers, en général des distiques rimés. Certains font allusion à divers actes sexuels commis avec “ta mère”, c’est-à-dire la mère de celui à qui l’on s’adresse. »20 Si Hughes conserve des dozens le sens de l’insulte dirigée vers la mère de l’adversaire, il évite en revanche toute allusion sexuelle explicite, comme dans ses blues21. D’autre part, il n’y a pas d’échange d’insultes à proprement parler dans Ask Your Mama, mais plutôt une logique d’opposition entre deux discours, l’un officiel et méprisant, l’autre spontané et impertinent. Toute la force de Hughes est de nous montrer que le discours des dominants, s’il ne ressortit pas directement de l’insulte, puisqu’il échappe à la vulgarité, n’en est pas moins insultant en soi, car condescendant. Le recueil est donc placé sous le signe d’une confrontation verbale, qui recoupe une évidente confrontation raciale. Inversant le rapport de forces à l’œuvre dans la société américaine, les voix noires d’Ask Your Mama dominent les voix blanches, qui les prennent de haut, en les ridiculisant dans le dialogue. Si elles ne détiennent pas le pouvoir politique et économique, elles sont en revanche maîtresses de la parole, qu’elles manient avec davantage de virtuosité. Hughes s’inspire finalement de l’esprit des dozens, davantage que de la lettre, comme l’explique Jemie :
… il a adapté la forme en la faisant passer d’un jeu adolescent à base d’insultes et de bravades à une arme adulte d’attaque et de défense dans les combats sophistiqués de l’arène nationale et interraciale. Il a élevé les dozens de la cour de récréation à la salle du conseil et au Congrès.22
15La composante éminemment révolutionnaire d’Ask Your Mama tient donc en grande partie à ce que l’on pourrait appeler sa matrice, à savoir un schéma langagier fondé sur la violence. La verve de celui ou celle qui s’exprime désarme sans cesse son adversaire, comme elle désarme le lecteur.
16Ce descriptif de la structure du recueil inscrit ce dernier dans une démarche transartistique, qui défie les habitudes du lecteur en l’agressant. L’idéologie révolutionnaire d’Ask Your Mama se lit donc déjà dans la volonté de Hughes de ne pas produire un recueil au sens strict et d’exiger de son lecteur une véritable éducation de l’œil. Le recueil devient un labyrinthe, un jeu de pistes. Il nous reste à explorer de manière précise comment ce jeu de pistes permet de déployer un discours politique virulent, sur un ton ouvertement moqueur. C’est l’histoire même de l’Amérique que Hughes passe au crible, en s’efforçant de la replacer dans un contexte mondial. Plutôt que de recourir à une étude linéaire de l’ensemble du recueil, nous nous concentrerons sur quelques passages, dans lesquels nous mettrons en évidence le jeu de balancier permanent entre le centre et les marges.
Lectures de l’Histoire
17La première section du recueil, intitulée « Cultural Exchange », installe la problématique conflictuelle du texte en faisant se contredire le poème et l’accompagnement musical dès la deuxième strophe :
in the | The | |
in the quarter | rhythmically | |
in the quarter of the negroes | rough | |
where the doors are doors of paper | scraping | |
dust of dingy atoms | of a guira | |
blows a scratchy sound. | continues | |
amorphous jack-o’-lanterns caper | monotonously | |
and the wind won’t wait for midnight | until a lonely | |
for fun to blow doors down. | flute call, | |
high and | ||
by the river and the railroad | far away, | |
with fluid far-off going | merges | |
boundaries bind unbinding | into piano | |
a whirl of whistles blowing | variations | |
no trains or steamboats going — | on German | |
yet leontyne’s unpacking. | lieder […] | |
(p. 477) | ||
Échange culturel | ||
dans le | Le | |
dans le quartier | grattement | |
dans le quartier des noirs | rythmiquement | |
où les portes sont des portes de papier | rude | |
une poussière d’atomes miteux | d’une guira | |
fait un bruit grinçant. | se poursuit | |
d’amorphes feux follets gambadent | avec monotonie | |
et le vent n’attendra pas minuit | jusqu’à ce qu’une | |
que le rire abatte les portes. | sonnerie de flûte isolée, | |
haute et | ||
près du fleuve et de la voie ferrée | venant de très loin, | |
alors qu’un fluide lointain s’éloigne | se mêle | |
des frontières se relient déliant | à des variations | |
un tourbillon de sifflets retentissants | de piano | |
pas un train ou un bateau à vapeur qui parte — | sur des lieder | |
pourtant leontyne déballe ses affaires. | allemands […] |
18Dans la première strophe, il apparaît clairement que les marges et le poème fonctionnent en miroir. En effet, aux vers 5 et 6 (dust of dingy atoms / blows a scratchy sound) correspond le scraping des marges, tandis que l’adverbe monotonously renvoie à l’anaphore initiale. Les trois premiers vers, dans leur aspect répétitif, évoquent également un faux départ, une sorte d’accident brutal, suggéré par les termes rhythmically rough. Le vent évoqué aux vers 8 et 9 (and the wind won’t wait for midnight / for fun to blow doors down) trouve, pour sa part, un écho musical dans la partie de flûte (« a lonely / flute call, / high and / far away »). En revanche, dans la deuxième strophe, si l’évocation de la soprano Leontyne Price23 rattache thématiquement paroles et musique, les sonorités (les consonnes plosives dans boundaries bind unbinding, blowing et steamboats, aux vers 12 à 14) contredisent assez nettement les indications des marges (« merges / into piano / variations / on German / lieder »), comme si, en ouvrant une autre voie, ces dernières proposaient une lecture ironique du poème, qui continue de suggérer une violence déjà manifeste dans la première strophe. Ce que dit cette contradiction, c’est que le cultural exchange du titre ne va pas de soi, et que la succession des langages musicaux dans les marges ne corrobore pas nécessairement le discours du centre. Si échange culturel il y a, il ne va pas sans frictions.
19Plus loin dans la même section, centre et marges fonctionnent en revanche sur le mode de l’harmonie. La musique sert à annoncer une thématique ou à la souligner avec insistance, comme le montre cet extrait :
[…] | ||
in the pot behind the | ||
paper doors what’s cooking ? | ||
what’s smelling, leontyne ? | Delicate | |
lieder, lovely lieder | lieder | |
and a leaf of collard green. | on piano | |
lovely lieder leontyne. | continues | |
between verses | ||
in the shadow of the negroes | to merge | |
nkrumah | softly | |
in the shadow of the negroes | into the | |
nasser nasser | melody of the | |
in the shadow of the negroes | “Hesitation | |
zik azikiwe | Blues” asking | |
cuba castro guinea touré | its haunting | |
for need or propaganda | question, | |
kenyatta | “How long | |
and the tom dogs of the cabin | must I | |
the cocoa and the cane brake | wait ? | |
the chain gang and the slave block | Can I | |
tarred and feathered nations | get it | |
seagram’s and four roses | now — or | |
$5.00 bags a deck or dagga. | must I | |
filibuster versus veto | hesitate ?” | |
like a snapping turtle — | Suddenly | |
won’t let go until it thunders | the drums | |
won’t let go until it thunders | roll like | |
tears the body from the shadow | thunder | |
won’t let go until it thunders | as the | |
in the quarter of the negroes | music ends | |
sonorously. | ||
and they asked right at me at christmas | tacit | |
if my blackness, would i rub off ? | ||
i said, ask your mama. | Figure impishly | |
into “Dixie” | ||
dreams and nightmares... | ending in high | |
nightmares... dreams ! oh ! | shrill flute call. | |
[…] (p. 479) | ||
[…] | ||
dans la marmite derrière | ||
les portes en papier qu’est-ce qui mijote ? | ||
qu’est-ce qu’on sent, leontyne ? | De délicats | |
des lieder, de jolis lieder | lieder | |
et une feuille de chou. | au piano | |
de jolis lieder leontyne. | se poursuivent | |
entre les strophes | ||
dans l’ombre des noirs | pour se mêler | |
nkrumah | doucement | |
dans l’ombre des noirs | à la | |
nasser nasser | melodie du | |
dans l’ombre des noirs | “Hesitation | |
zik azikiwe | Blues” posant | |
cuba castro la guinée touré | son entêtante | |
par besoin ou par propagande | question, | |
kenyatta | “Combien de temps | |
et les toutous tom de la case | dois-je | |
le cacao et le plant de canne | patienter ? | |
la chaîne de forçats et le quartier des esclaves | Je peux | |
des nations passées au goudron et à la plume | l’avoir | |
seagram’s et four roses | maintenant — ou | |
des sacs de $ 5.00 un pont ou une dague. | dois-je | |
l’obstruction contre le veto | hésiter ?” | |
comme une tortue qui se brise — | Soudain | |
ne veut pas lâcher avant qu’il tonne | les tambours | |
ne veut pas lâcher avant qu’il tonne | roulent comme | |
arrache le corps de l’ombre | le tonnerre | |
ne veut pas lâcher avant qu’il tonne | alors que | |
dans le quartier des noirs | la musique prend fin | |
avec éclat. | ||
et à noël il me demande de but en blanc | silence | |
si ma noirceur je veux bien effacer | ||
j’ai répondu : et ta mère ? | La mélodie se fond | |
malicieusement en | ||
“Dixie” | ||
rêves et cauchemars... | et termine sur un son | |
cauchemars... rêves ! oh ! | de flûte aigu et | |
strident. […] |
20On remarque ici que les marges fonctionnent comme des signaux. Au « delicate lieder on piano » correspond l’évocation de Leontyne Price, tandis que le motif du poème, le morceau intitulé « Hesitation Blues », renvoie très directement à l’expression in the quarter of the negroes, qui sert de motif textuel à l’ensemble du recueil. Il est d’ailleurs intéressant de noter que deux couches textuelles se superposent ici, puisque l’accompagnement musical indiqué dans les marges inclut les paroles du blues : « “How long / must I / wait ? / Can I / get it / now – or / must I / hesitate ?” » Il existe un lien évident entre l’élément central de ces paroles, à savoir l’attente du rêve américain, et l’un des leitmotive de Montage, qui était aussi une question : « What happens to a dream deferred ? » À la fin de la deuxième strophe de l’extrait cité, le rapport entre poème et marges est de l’ordre du mimétisme, puisqu’au terme thunders du texte central, les marges font correspondre rigoureusement le même verbe : « Suddenly / the drums / roll like / thunder ». Loin de contredire le poème, la musique est donc conçue ici comme une intensification du sens, la valeur ajoutée de l’expressivité du texte. Comme indiqué en préambule, la ritournelle intitulée « Shave and a haircut, fifteen cents » fonctionne bien comme un signal du vers comportant l’expression ask your mama, qu’elle semble annoncer sur un ton très léger. Enfin, au deuxième vers de la troisième strophe de l’extrait, le « high / shrill flute call » des marges recoupe la voix exclamative du poème (nightmares... dreams oh !).
21Ce qui frappe aussi dans cet extrait, c’est le procédé du slogan politique, que Hughes avait déjà utilisé dans les années 1930. La première moitié de la deuxième strophe joue ainsi sur l’alternance de l’expression in the shadow of the negroes avec les noms de leaders politiques révolutionnaires (nkrumah, nasser nasser, castro, touré, kenyatta)24 mis en valeur par un alinéa. En établissant un lien planétaire entre les différents combats contre l’impérialisme et le colonialisme, Hughes semble appeler implicitement la communauté africaine-américaine à se mobiliser à son tour aux États-Unis25. Dans la deuxième moitié de cette strophe, des vers entiers dénués de verbes conjugués fonctionnent aussi comme des slogans (the cocoa and the cane brake / the chain gang and the slave block / tarred and feathered nations / seagram’s and four roses, vers 11 à 14) en attirant l’attention du lecteur sur l’impérialisme américain et la pauvreté du Tiers-Monde. L’utilisation des majuscules remplit ici un rôle important, car elle accentue l’aspect visuel de ces slogans, comme sur une affiche. On constate que la typographie, en plus de l’accompagnement musical, confère une grande force de persuasion au poème, en lui donnant une perspective, un relief particulier. À ces deux dimensions fondamentales du texte s’ajoutent les notes de fin de recueil, qui semblent résumer le propos des poèmes sur un ton très amer. Le dernier des trois paragraphes qui constituent les notes de « Cultural Exchange » est à ce titre exemplaire :
[…] What – wonders the African – is really happening in the shadow of world events, past and present – and of world problems, old and new – to an America that seems to understand so little about its black citizens ? Even so little about itself. Even so little.26 (p. 527).
22On voit ici que l’échange culturel du titre renvoie à la fois à la relation entre l’Afrique et l’Amérique et à celle entre Blancs et Noirs américains. L’Africain est décrit comme le sage qui est en butte à l’incompréhension des relations interraciales américaines. Hughes retourne ainsi le cliché du « fardeau de l’homme blanc » et insiste sur le caractère désespérant de la répétition de l’Histoire grâce à la répétition finale.
23Le sens de l’insolence et de l’apostrophe de Hughes se fait encore davantage sentir dans le reste du recueil, et notamment dans les sections intitulées « Ode to Dinah »27, « Horn of Plenty » et « Bird in Orbit ». Dans la première des trois, la persona s’adresse à Santa Claus sur un ton parfaitement cynique, s’attaquant de manière très virulente à la bonne conscience blanche :
[…] | |||
santa claus, forgive me, | tacit | ||
but babies born in the shadows | |||
in the shadow of the welfare | |||
if born premature | |||
bring welfare checks much sooner | |||
yet no present down the chimney. | |||
in the shadow of the welfare | |||
chocolate babies born in shadows | |||
are tribal now no longer | |||
save in memories of gangrenous icing | |||
on a twenty-story housing project | |||
the chocolate gangrenous icing of | |||
just wait. | |||
tribal now no longer papa mama | Drums | ||
in relation to the child, | alone | ||
once your brother’s keeper | softly | ||
now not even keeper to your child — | merging | ||
sheltered now no longer. | into | ||
born to grow up wild — | the | ||
tribal now no longer one for all | ever- | ||
and all for one no longer | questioning | ||
except in memories of hate | “Hesitation | ||
umbilical in sulphurous chocolate : | Blues” | ||
got to wait — | beginning | ||
this last quarter of centennial : | slowly | ||
got to wait. | but | ||
gradually | |||
i want to go to the show, mama. | building to | ||
no show fare, baby — | up-tempo | ||
not these days. | as the | ||
metronome | |||
on the big screen of the welfare check | of | ||
a lynched tomorrow sways.... | fate | ||
with all deliberate speed a | begins | ||
lynched tomorrow sways. | to | ||
tick | |||
living 20 years in 10 | faster | ||
better hurry, better hurry | and | ||
before the present becomes when | faster | ||
and you’re 50 | |||
when you’re 40 | |||
40 when you’re 30 | |||
30 when you’re 20 | as the | ||
20 when you’re 10 | music | ||
in the quarter of the negroes | dies | ||
where the pendulum is swinging | |||
to the shadow of the blues, | |||
even when you’re winning | |||
there’s no way not to lose […] (p. 491) | |||
Ode à Dinah | |||
[…] | |||
père noël, pardonne-moi | silence | ||
mais les bébés nés dans les ténèbres | |||
dans l’ombre de l’aide sociale | |||
s’ils sont nés prématurément | |||
apportent les chèques de l’assistance bien plus tôt | |||
mais pas de cadeau dans la cheminée pour autant. | |||
dans l’ombre de l’aide sociale | |||
les bébés chocolat nés dans les ténèbres | |||
ne sont plus tribaux | |||
à part dans des souvenirs de glaçage gangreneux | |||
dans une tour de 20 étages | |||
le glaçage chocolaté gangreneux de | |||
attends un peu. | |||
plus tribaux à present papa maman | Les tambours | ||
par papport à l’enfant, | seuls | ||
autrefois le gardien de ton frère | se mêlent | ||
à présent même pas celui de ton enfant — | délicatement | ||
qui n’est plus a l’abri. | au | ||
né pour devenir violent — | toujours | ||
fini la tribu à présent plus de | interro- | ||
un pour tous et tous pour un | gateur | ||
sauf dans des souvenirs de haine | “Hesitation | ||
ombilicale dans du chocolat sulfureux : | Blues” | ||
faut attendre — | qui commence | ||
ce dernier quart de centenaire : | doucement | ||
faut attendre. | mais | ||
qui évolue | |||
je veux aller au spectacle, maman. | vers un | ||
rythme | |||
pas assez pour le billet, chéri — | enlevé | ||
pas ces jours-ci. | tandis que | ||
le métronome | |||
sur le grand écran du chèque de l’assistance | du | ||
un lendemain lynché se balance... | destin | ||
avec toute la vitesse requise | commence | ||
un lendemain lynché se balance. | à | ||
faire tic-tac | |||
vivre 20 ans en 10 | de plus | ||
vaut mieux faire vite vaut mieux faire vite | en | ||
avant que le présent devienne le moment où | plus vite | ||
et tu auras 50 ans | |||
quand tu en auras 40 | |||
40 quand tu en auras 30 | |||
30 quand tu en auras 20 | alors que | ||
20 quand tu en auras 10 | la musique | ||
dans le quartier des noirs | meurt | ||
où la pendule oscille | |||
à l’ombre du blues, | |||
même quand tu gagnes | |||
y’a pas moyen que tu perdes pas. […] |
24Ce passage fait le constat de la paupérisation accrue de la population africaine-américaine (but babies born in the shadows / […] / bring welfare checks much sooner / yet no present down the chimney, vers 2, 5 et 6 de l’extrait cité) et de la perte des liens de solidarité qu’elle maintenait jusqu’alors (tribal now no longer one for all / and allforone no longer, vers 20 et 21). L’utilisation du blues à douze mesures, dont on a montré à l’envi qu’il fonctionnait sur le ressassement, nous rappelle que l’Africain-Américain est sans cesse dans l’attente d’une réponse sur son statut (« the / ever- / questioning / “Hesitation / Blues” »), tandis que la deuxième moitié de l’extrait, à cause du sentiment de résignation qu’elle véhicule, évoque le vers B des blues à douze mesures (with all deliberate speed a / lynched tomorrow sways, vers 32 et 33 de l’extrait ; even when you’re winning, there’s no way not to lose, vers 45 et 46).
25Comme dans Montage, l’utilisation de caractères romains et de caractères italiques permet de matérialiser la polyphonie du texte. Les italiques correspondent à d’autres voix que celle de la persona, qui semblent résumer le discours des dominants et celui des dominés : d’un côté les Blancs sont maîtres du temps (just wait, vers 13 de l’extrait) et de l’autre, les Noirs ne cessent de différer leurs rêves les plus simples (got to wait –, vers 24 ; i want to go to the show, mama. / no show fare, baby – / not these days, vers 27 à 29 de l’extrait). Les passages en italique fonctionnent donc comme des documents qui viennent appuyer la thèse de la persona, synthétisée de manière péremptoire dans les notes finales : « Hard times endure from slavery to freedom – to Harlem where most of the money spent goes downtown. Only a little comes back in the form of relief checks, which leaves next to nothing for show fare for children who must live in a hurry in order to live at all » (p. 528)28. On remarque ici que les notes sont dénuées de toute ironie, ce qui empêche de les interpréter seulement comme une parodie de certaines pratiques modernistes29. Ces quelques lignes expriment un réel désespoir, et constituent moins une ligne de fuite par rapport au poème qu’une amère morale.
26Dans « Horn of Plenty », la charge de la persona porte sur la ségrégation résidentielle, en même temps que sur l’émergence d’une toute nouvelle bourgeoisie noire, comme dans les strophes 5 et 6, que nous citons intégralement :
[…] | ||
living in st. albans | ||
shadow of the negroes | ||
westport and new canaan | ||
in the shadow of the negroes — | ||
highly integrated | ||
means too many negroes | ||
even for the negroes — | ||
especially for the first ones | ||
who move in unobtrusive | Gently | |
book-of-the-month in cases | yearning | |
seeking suburb with no jukebox | lieder | |
pool hall or bar on corner | on | |
seeking lawns and shade trees | piano | |
seeking peace and quiet | delicately | |
autumn leaves in autumn | sedate, | |
holland bulbs in spring | quietly | |
decent garbage service | fading | |
birds that really sing | on the | |
$ 40, 000 houses — | word | |
payments not belated — | belated… | |
the only negroes in the block | tacit | |
integrated. | ||
horn of plenty | Again | |
in escrow to joe glasser. | the old | |
the sermon on the mount | “Hesitation | |
in billington’s church of rubber. | Blues” | |
love thy neighbor as thyself | against the | |
in george sokolsky’s column. | trills | |
birds that really sing. | of birds, | |
everyday’s tomorrow | but the | |
and election time | melody | |
is always four years | ends in | |
from the other | a thin | |
and my lawn mower | high | |
new and shiny | flute call. | |
from the big glass shopping center | ||
cuts my hair on credit. […] (p. 500) | ||
Corne d’abondance | ||
[…] | ||
vivre à st. albans | ||
ombre des noirs | ||
westport et new canaan | ||
dans l’ombre des noirs — | ||
très intégré | ||
veut dire trop de noirs | ||
même pour les noirs — | ||
particulièrement pour les premiers | ||
qui déménagent discrets | Un lieder | |
le livre du mois dans les valises | doucement | |
cherchant une banlieue sans juke-box | ardent | |
sans billard ou bar au coin de la rue | sur un | |
cherchant des pelouses et de grands arbres | piano | |
cherchant la paix et le silence | délicatement | |
des feuilles d’automne en automne | calme, | |
des bulbes de tulipe au printemps | s’éteignant | |
un ramassage des ordures correct | discrètement | |
des oiseaux qui chantent vraiment | sur le | |
des maisons a $ 40 000 — | mot | |
des paiements sans retard — | retard... | |
les seuls noirs du quartier à être | silence | |
intégrés. | ||
corne d’abondance | À nouveau | |
en dépôt à joe glasser. | le vieil | |
le sermon sur la montagne | “Hesitation | |
dans l’église de caoutchouc de billington. | Blues” | |
aime ton prochain comme toi-même | contre les | |
dans la chronique de george sokolsky. | trilles | |
des oiseaux qui chantent vraiment. | des oiseaux, | |
le lendemain de tous les jours | mais la | |
et le moment des élections | mélodie | |
est toujours distant de quatre ans | s’achève sur | |
du précédent | un son | |
et ma tondeuse à gazon | de flûte | |
neuve et rutilante | aigu. | |
achetée au grand centre commercial en verre | ||
me coupe les cheveux à crédit. […] |
27La persona porte ici un regard particulièrement ironique sur la bourgeoisie africaine-américaine, qui imite la bourgeoisie blanche dans le choix de son lieu de vie (living in st. albans ; westport and new canaan ; highly integrated, vers 1, 3 et 5 de l’extrait cité) et dans ses comportements de consommateurs (and my lawn mower / newand shiny / from the big glass shopping center, vers 34 à 36 de l’extrait). Cette adoption des valeurs bourgeoises est perçue comme contre nature, car elle semble dépouiller les Africains-Américains de leur identité culturelle. C’est ainsi qu’il faut interpréter le lien entre le poème et les marges dans la cinquième strophe, puisqu’à l’absence de musique populaire dans le poème (seeking suburbwith no jukebox, vers 11 de l’extrait) répond une musique européenne dans les marges, censée être interprétée avec une faible intensité sonore (« Gently / yearning / lieder / on / piano / delicately / sedate »). La situation des Africains-Américains « intégrés » est donc très contradictoire, car elle implique un meilleur mode de vie (decent garbage service / birds that really sing, vers 17 et 18 de l’extrait), mais aussi l’acceptation d’une idéologie réactionnaire, minant les fondations mêmes de l’intégration (love thy neighbor as thyself / in george sokolsky’s column, vers 27 et 28 de l’extrait)30. Ainsi, une fois intégré à cette société qui voudrait le rejeter, l’Africain-Américain devient-il un ennemi pour les siens (means too many negroes / even for the negroes —, vers 6 et 7 de l’extrait).
28La lecture des notes finales est une nouvelle fois très instructive sur le sens à donner à cette section. En effet, Hughes y dénonce le mimétisme servile de la bourgeoisie noire, avec une subtile ironie :
Certainly there are some who make money – and others who folks think make money. It takes money to buy gas to commute to the suburbs and keep one’s lawn sheared like one’s white neighbors who wonder how on earth a Negro got a lawn mower in the face of so many ways of keeping him from getting a lawn. (p. 529)31
29Le poète, en partie grâce à la mise en italique du terme think, met ici à distance les aspirations consuméristes d’une frange de la population noire, coupable de courir après une richesse et un confort illusoires, un mirage bourgeois.
30La section intitulée « Bird in Orbit », qui constitue un prolongement de la critique de l’idéologie bourgeoise, propose une caricature du discours mccarthyste, particulièrement dans les strophes 5 à 7 :
that gentleman in expensive shoes | |||
made from the hides of blacks | |||
who tips among the shadows | |||
soaking up the music | |||
asked me right at christmas | |||
did i want to eat with white folks ? | Flute cry... | ||
those sit-in kids, he said, | tacit | ||
must be red ! | |||
kenyatta red ! castro red ! | |||
nkrumah red ! | |||
ralph bunche investigated ! | |||
mary mcleod bethune barred by | |||
the legion from englewood | |||
new jersey high school ! | |||
how about that n.a.a.c.p. | |||
and the radicals in that | |||
there southern conference ? | |||
ain’t you got no information | |||
on dr. robert weaver ? | |||
investigate that santa claus | |||
whose dolls are interracial ! | |||
investigate them negras who | |||
bought a doberman pinscher. | Flute | ||
call | |||
that gentleman in expensive shoes | into | ||
made from the hides of blacks | very | ||
tips among the shadows | far-out | ||
soaking up the music.... | boopish | ||
music.... | blues… | ||
(p. 518) | |||
Bird sur orbite | |||
ce jeune homme avec des chaussures chères | |||
fabriquées avec de la peau de noirs | |||
qui donne des pourboires dans l’obscurité | |||
et qui absorbe la musique | |||
si je voulais manger avec des blancs | cri de flûte... | ||
ces gamins qui font des sit-ins, a-t-il dit | silence | ||
doivent être rouges ! | |||
kenyatta rouge ! castro rouge ! | |||
nkrumah rouge ! | |||
ralph bunche objet d’une enquête ! | |||
mary mcleod bethune arrêtée | |||
par la patrouille du lycée | |||
d’englewood, new jersey ! | |||
et cette naacp | |||
et ces radicaux dans cette | |||
southern conference là-bas ? | |||
vous n’avez pas d’informations | |||
sur le pr. robert weaver ? | |||
ouvrez une enquête sur ce père noël | |||
aux poupées interraciales ! | |||
enquêtez sur ces négros qui | |||
ont acheté un doberman pinscher. | Son de | ||
flûte | |||
ce jeune homme avec des chaussures chères | devenant | ||
fabriquées avec de la peau de noirs | un très | ||
donne des pourboires dans l’obscurité | lointain | ||
et absorbe la musique... | blues | ||
la musique... | boppeux... |
31Si le sens du poème ne pose pas de problème particulier, il faut toutefois souligner l’importance du jeu entre le texte et l’accompagnement musical. En effet, ce dernier contribue à renforcer le caractère absurde du discours de la voix blanche. À la question did i want to eat with white folks ? du vers 6 de l’extrait correspond un strident Flute cry, qui semble souligner le caractère dissonant du propos, son incongruité. De même, le Flute call de l’avant-dernière strophe résonne comme une fausse note lorsque le caractère exagérément répressif du propos atteint des proportions ridicules (investigate them negras who / bought a doberman pinscher, vers 21 et 22 de l’extrait). Les marges constituent ici un prolongement légèrement décalé du texte, un commentaire davantage qu’une illustration.
32Ce dernier extrait, comme les deux précédents, met en scène l’opposition de deux discours : celui du préjugé d’une part, pour qui tout est suspect, et celui de l’insolence d’autre part, seule arme possible face au premier. Dans l’avant-dernière section du recueil, intitulée « Jazztet Muted », que nous citons ici intégralement, Hughes semble en appeler à la force de l’art, et particulièrement à celui des saxophonistes, pour galvaniser le peuple noir et ainsi dépasser le stade de l’insolence de la rue. L’art se pose comme le discours ultime de la contestation, ce par quoi la révolution peut advenir :
in the negroes of the quarter | Bop | ||
pressure of the blood is slightly higher | blues | ||
in the quarter of the negroes | into | ||
where black shadows move like shadows | very | ||
cut from shadows cut from shade | modern | ||
in the quarter of the negroes | jazz | ||
suddenly catching fire | burning | ||
from the wing tip of a match tip | the | ||
on the breath of ornette coleman. | air | ||
eerie | |||
in neon tombs the music | like | ||
from jukebox joints is laid | a neon | ||
and free-delivery tv sets | swamp- | ||
on gravestone dates are played. | fire | ||
extra-large the kings and queens | cooled | ||
at either side arrayed | by | ||
have doors that open outward | dry | ||
to the quarter of the negroes | ice | ||
where the pressure of the blood | until | ||
is slightly higher — | suddenly | ||
due to smoldering shadows | there is | ||
that sometimes turn to fire. | a single | ||
ear- | |||
help me, yardbird ! | piercing | ||
help me ! | flute | ||
call.... | |||
Formation de jazz en sourdine | (p. 521) | ||
chez les noirs du quartier | Du blues | ||
la tension est un peu plus élevée | bop | ||
dans le quartier des noirs | évolue vers | ||
où les ombres noires bougent comme des ombres | du jazz | ||
coupées des ombres coupées de l’ombre | très | ||
dans le quartier des noirs | moderne | ||
qui soudain prend feu | brûlant | ||
depuis le bout de l’aile du bout d’une allumette | l’ | ||
sur le souffle d’ornette coleman. | air | ||
étrange | |||
la musique dans des tombes au néon | comme | ||
est fournie par des bars à juke-box | un feu | ||
et des téléviseurs livrés gratuits | de | ||
sont allumés sur des dates de pierres tombales. | marécage | ||
les rois et les reines extra larges | refroidi | ||
disposés de chaque côté | par de | ||
ont des portes qui ouvrent sur le dehors | la neige | ||
vers le quartier des noirs | carbonique | ||
où la tension | jusqu’à ce | ||
est un peu plus élevée — | qu’on entende | ||
en raison d’ombres qui couvent | soudain | ||
qui parfois se transforment en feu. | un | ||
sifflement- | |||
aide-moi, yardbird ! | de | ||
aide-moi ! | flûte | ||
perçant… |
33Si, jusqu’ici, la vision que Hughes a de l’Histoire était essentiellement rétrospective, « Jazztet Muted » semble pointer vers un avenir proche, qui serait insurrectionnel. L’importance que le poète confère au pouvoir de la musique est considérable. Les références explicites à Ornette Coleman32 (suddenly catching fire / from the wing tip of a match tip / on the breath of ornette coleman, vers 7 à 9) et à Charlie Parker (help me, yardbird ! / help me !, vers 22 et 23) font du musicien le vecteur de la colère du peuple. On peut noter que l’accompagnement musical fonctionne ici en harmonie avec le poème, puisque le nom d’Ornette Coleman est associé à du very modern jazz dans les marges et que le nom fire du vers 7 fait écho au terme burning. Enfin, les deux derniers vers, placés en italique de manière à signaler un changement de ton, et qui expriment un déchirant appel à l’aide, sont accompagnés d’un piercing flute call dans les marges, qui implique une intensification de la lecture.
34D’un point de vue rythmique, la première strophe renvoie au free-jazz d’Ornette Coleman de plusieurs manières. Tout d’abord, l’absence de ponctuation implique une lecture rapide de toute la strophe, qui n’est pas sans évoquer le tempo endiablé des morceaux du saxophoniste. Ensuite, le jeu d’échos entre les vers 1 et 3 (in the negroes of the quarter ; in the quarter of the negroes) donne l’impression que le texte est structuré comme un chiasme et qu’il permet ainsi tous les renversements. Le sens de la phrase vaut moins ici que l’exploration des combinaisons de ses composantes. L’anaphore des vers 4 et 5 (where black shadows move like shadows / cut from shadows cut from shade) fait du vers une caisse de résonance où les sonorités s’auto-engendrent sur le mode du bégaiement, tandis que la multiplication des prépositions dans les vers 8 et 9 (from the wing tip of a match tip / on the breath of ornette coleman) renforce l’aspect ludique du texte, qui s’apparente à un jeu de construction dans lequel des fragments viendraient s’ajouter les uns aux autres.
35Dans la deuxième strophe, ce sont l’incongruité des associations de mots (neontombs, vers 10 ; smoldering shadows, vers 20) et la fulgurance des images (and free-delivery tv sets / on gravestone dates are played, vers 12 et 13 ; extra-large the kings and queens / at either side arrayed / have doors that open outward / to the quarter of the negroes, vers 14 à 17) qui frappent d’abord le lecteur. Si, d’autre part, les vers 18 et 19 (where the pressure of the blood / is slightly higher) reprennent les deux premiers vers du poème, aucune logique ne gouverne l’enchaînement des deux strophes, si ce n’est celle du coq-à-l’âne. On retrouve un même sens de la surprise dans les notes finales, qui prolongent très fidèlement l’esprit de la section :
Because grandma lost her apron with all the answers in her pocket (perhaps consumed by fire) certain grand- and great-grandsons play music burning dry ice against the ear. Forcing cries of succor from its own unheard completion – not resolved by Charlie Parker – can we look to monk or Monk ? Or let it rest with Eric Dolphy ? (p. 531)33
36En suggérant de se tourner vers les esthétiques de Thelonious Monk ou d’Eric Dolphy34, Hughes semble appeler au dépassement de celle de Parker (« not resolved by Charlie Parker ») et proposer en creux un parallèle entre Histoire et histoire de la musique : tous les mouvements esthétiques sont appelés à disparaître et à être supplantés par d’autres, au même titre que les régimes politiques.
37Cependant, Ask Your Mama en arrive aux mêmes conclusions pessimistes que Montage et propose finalement une lecture cyclique de l’histoire des États-Unis, puisqu’aucun « dépassement » n’est possible. En effet, la dernière section du poème, intitulée « Show Fare, Please », et que nous citons ici dans son intégralité, reprend presque terme à terme les interrogations de « Ode to Dinah », et signifie l’éternel retour du même :
tell me, mama, can i get my show | tacit | |
tell me fare from you ? | ||
or do you think that papa’s | ||
got change in his long pocket ? | ||
in the quarter of the negroes | ||
where the mask is placed by others | ||
ibm electric bongo drums are costly. | ||
tell me, mama, tell me, | Rhythmic | |
strip tickets still illusion ? | bop, | |
got to ask you — got to ask ! | ever | |
tell me, tell me, mama, | more | |
all that music, all that dancing | ironic, | |
concentrated to the essence | laughs | |
of the shadow of the dollar | itself | |
paid at the box office | softly | |
where the lighter is the darker | into a | |
in the quarter of the negroes | lonely | |
and the tell me of the mama | flute | |
is the answer to the child. | call.... | |
did you ever see ten negroes | ||
weaving metal from two quarters | ||
into cloth of dollars | ||
for a suit of good-time wearing ? | ||
weaving out of long-term credit | ||
interest beyond caring ? | ||
the heads on these two quarters | ||
are this or that | ||
or less or most — | ||
since but two exist | ||
beyond the holy ghost. | ||
of these three. | ||
is one | ||
me ? | ||
the tv’s still not working | ||
show fare, mama, please. | ||
show fare, mama.... | ||
show fare ! | “The Hesitation | |
Blues” very loud, | ||
lively and | ||
raucously. Two | ||
big swinging | ||
choruses — | ||
building full | ||
blast to a | ||
bursting climax. | ||
(p. 524) | ||
Billet d’entrée, s’il vous plaît | ||
dis-moi, maman, tu peux m’payer mon billet | silence | |
d’entrée, dis-moi ? | ||
où penses-tu que papa | ||
a de la monnaie dans sa grande poche ? | ||
dans le quartier des noirs | ||
où le masque est placé par les autres | ||
les bongos électriques ibm sont coûteux. | ||
dis-moi, maman, dis-moi, | Du bop | |
les coupons de tickets c’est toujours de l’illusion ? | rythmé, | |
faut que j’ te demande — faut que j’ te demande ! | encore | |
dis-moi, dis-moi, maman, | plus | |
toute cette musique, toute cette danse | ironique, | |
concentrées dans le noyau | se transforme | |
de l’ombre du dollar | doucement | |
payé au guichet | en riant | |
où le plus clair est le plus foncé | en un | |
dans le quartier des noirs | son de | |
et le dis-moi de la maman | flûte | |
est la réponse à l’enfant. | isolé... | |
avez-vous déjà vu dix noirs | ||
tisser le métal de deux pièces de 25 cents | ||
pour en faire des étoffes de dollars | ||
pour faire un costume pour passer du bon temps ? | ||
tisser à partir d’un crédit à long terme | ||
des intérêts au-delà de la bienveillance ? | ||
les têtes sur ces pièces de 25 cents | ||
sont ceci ou cela | ||
ou moins ou très — | ||
puisqu’il n’y en a que deux | ||
en plus du saint-esprit. | ||
parmi ces trois. | ||
est-ce qu’il y a | ||
moi ? | ||
la télé ne marche toujours pas | ||
un billet d’entrée, maman, s’il te plaît. | ||
un billet d’entrée, maman.... | ||
un billet d’entrée ! | Le “Hesitation | |
Blues” très fort, | ||
vif et | ||
bruyant. Deux | ||
gros | ||
solos — | ||
atteignant la pleine | ||
puissance jusqu’à | ||
un paroxysme explosif. |
38Le poème reprend la thématique du rêve différé, en l’occurrence celui d’aller au spectacle. L’argent est la préoccupation majeure de la jeune persona dont le ton impatient semble être la version exaspérée de celui de « Ode to Dinah ». Le dialogue entre le fils et la mère tourne à la répétition, la réponse de la mère ne pouvant être qu’un simple écho à la question du fils, ou bien la formulation d’autres questions. Non seulement la mère n’a pas de réponses à apporter à son fils, mais elle ne fait que creuser davantage ses interrogations.
39Ce caractère cyclique du discours se retrouve à la toute fin du poème, lorsque le cri de la persona semble se reproduire à l’infini. L’anaphore a ici un caractère tragique, car elle amplifie l’aspect mécanique de la requête de l’enfant, en même temps que la réduction du nombre de syllabes de vers en vers signifie l’amenuisement de ses forces. En outre, l’utilisation subtile de la ponctuation (le passage des points de suspension au point d’exclamation) semble faire basculer le ton du poème de la résignation à la rage et ne laisse entrevoir aucun espoir. L’accompagnement musical accentue encore ce sentiment d’impuissance. Dans la première strophe, il contredit explicitement le ton du dialogue entre la mère et le fils (« Rhythmic/bop, /ever/more/ ironic »). La gaieté qu’il suggère crée donc un décalage avec la gravité de la situation économique des Africains-Américains, sur laquelle la dernière strophe insiste à nouveau. L’ultime reprise du blues-matrice, qui conclut le poème, est déjà en elle-même une manière de souligner l’impossibilité de sortir d’une logique de la répétition. Le volume sonore semble atteindre son maximum (« very loud, / lively and / raucously » ; « building full / blast to a / bursting climax »), de manière à corroborer le cri de l’enfant. On peut entendre dans cette débauche sonore un dernier sursaut, une manière de résister à l’immuable, malgré tout. Continuer à jouer, c’est ne pas mourir.
40Prolongeant le décalage opéré par les marges, les notes finales désarment le lecteur par leur absurdité :
If the answers were on tickets in long strips like those that come from slots inside the cashier’s booth at the movies, and if I had the money for a ticket – like the man who owns all tickets, all booths, and all movies and who pays the ticket seller who in turn charges me – would I, with answer in my hand, become one of the three – the man, the ticket seller, me ? Show fare, mama, please… (p. 531)35
41Ce court texte juxtapose deux éléments fort disparates du poème, sur le mode du collage : l’allusion à la Sainte-Trinité d’une part, sous la forme d’une sorte d’énoncé de problème logique, et la réplique du fils à sa mère, récurrente dans le recueil, d’autre part. Le caractère anticlérical des notes fait clairement écho aux vers 26 à 30 du poème (the heads on these two quarters / are this or that / or less or most / since but two exist / beyond the holy ghost) et peut se lire comme un commentaire sarcastique sur la quantité croissante et la complexité des questions que les Africains-Américains sont censés résoudre au quotidien. Le show fare, mama, please… final, qui ne répond en rien à la question alambiquée qui précède, n’en apparaît que plus insolent. Que le recueil s’achève sur le mode impératif dit assez bien le mélange d’amertume et d’impatience qui caractérise Hughes en 1961. Il n’est plus temps pour lui de se poser des questions ni de croire en un quelconque dieu, mais de trouver des réponses, une fois pour toutes.
42Le dénouement du recueil apparaît largement aussi pessimiste que celui de Montage, en insistant tout autant sur le caractère répétitif et décourageant de la lutte des Africains-Américains pour leur liberté. Ask Your Mama est ainsi l’aboutissement exaspéré et insolent d’une quête permanente de la reconnaissance de l’Autre, le Blanc, le dominant. C’est aussi un recueil complexe, à plusieurs entrées (le poème, les marges, les notes), qui fait fusionner beaucoup des éléments des travaux précédents de Hughes, en particulier les expérimentations « musicales » et les techniques graphiques de l’affiche et du tract. Son rapport au free-jazz est patent, autant d’un point de vue structurel (comme prolongement du be-bop) que d’un point de vue thématique (le soutien au processus de décolonisation et à la lutte pour les droits civiques). Ainsi Hughes renoue-t-il avec le modernisme par l’entremise du free-jazz et apparaît-il en même temps comme une sorte d’activiste de la contre-culture, au sens où l’entend Sheppard :
La contre-culture semble vouloir dire que la crise du langage pourra être surmontée quand l’homme renoncera à prétendre qu’il est le seigneur de l’univers qui crée du sens au moyen du langage et quand il consentira à être un simple habitant de l’univers, à qui le sens est donné de manière imprévisible grâce à des moyens variés, parmi lesquels on trouve le langage.36
43En outre, si Hughes occupe une position si particulière dans la poésie américaine, c’est parce que tout en se permettant les expérimentations les plus avant-gardistes, surtout d’un point de vue rythmique et graphique, il a su aussi conserver tout au long de sa carrière un très grand attachement à des valeurs et un parler populaires. Si Montage a trouvé une descendance avec la poésie « be-bop » d’un Kerouac37 par exemple, Ask Your Mama, très marqué par le free-jazz, a inspiré des poètes importants comme Robert Hayden38 et Michael Harper39. Chez ces derniers cependant, l’ancrage populaire des poèmes est moins primordial que chez Hughes. En effet, l’acte poétique, en se réclamant de la tradition moderniste universitaire, ne s’adresse pas aux masses, même s’il reste paradoxalement à leur service. Les poésies de Hayden et de Harper sont probablement plus complexes que celle de Hughes, et moins directement issues d’un travail sur le blues et le jazz, mais elles recèlent néanmoins des qualités rythmiques très proches et une idéologie tout aussi anti-impérialiste.
44Il faut voir dans les poèmes jazz de Hughes et de ses descendants un désir de répondre à une actualité en même temps qu’une tentative d’inscrire les peuples noirs dans une histoire commune, de manière à leur rendre justice, dans une perspective morale. Hughes et ses héritiers, refusant la provocation pure, ont choisi l’ironie cinglante comme mode d’expression, afin d’élever le peuple africain-américain à une dignité qu’on lui avait si longtemps refusée.
Notes de bas de page
1 Ask Your Mama est dédié au trompettiste Louis Armstrong, que Hughes n’hésite pas à surnommer « Mister Jazz Himself ». Voir L. Hughes et M. Meltzer, Black Magic, A Pictorial History of the African-American in the Performing Arts, New York, Da Capo Press, 1990 (1re édition 1967), p. 75. Hughes avait à l’origine dédié le recueil au pianiste Randy Weston (toujours en activité) et au tromboniste Melba Liston, puis au seul Weston. En tous les cas, il s’agissait à chaque fois de musiciens de jazz. Voir A. Rampersad, The Life of Langston Hughes, t. 2, ouvr. cité, p. 319.
2 O. Jemie, Langston Hughes : An Introduction to the Poetry, ouvr. cité, p. 81. D’une manière générale, les remarques de Jemie sur Ask Your Mama sont bien plus pertinentes que celles qu’il formule sur Montage. Le type d’analyse auquel il a recours (séquence après séquence) s’accommode il est vrai beaucoup mieux du découpage en douze parties d’Ask Your Mama que du retour cyclique des thèmes et des personae de Montage. Toutefois, on peut lui reprocher de ne pas s’être intéressé aux marges, et d’avoir ainsi laissé de côté la dialectique du texte et de la musique.
3 R. Sheppard, « The crisis of language », M. Bradbury et J. McFarlane éd., Modernism : A Guide to European Literature (1890-1930), ouvr. cité, p. 329. Benoît Tadié écrit pour sa part : « … la norme est une forme dévaluée, et à son vieillissement constant il n’y a que la nouveauté perpétuelle qui puisse répondre. C’est en dernière analyse toute une vision de la société qui s’inscrit dans une telle dynamique : elle suppose en effet que la forme et le mot sont affectés par la dégradation continue du langage sitôt qu’ils sont mis en circulation. » Voir B. Tadié, L’expérience moderniste anglo-américaine (1908-1922) : formes, idéologies, combats, Paris, Didier Érudition, 1999, p. 168.
4 Voir J. E. Emanuel, Langston Hughes, ouvr. cité, p. 165. L’auteur fait judicieusement remarquer que le choix particulier de ces couleurs est probablement une allusion à la suite musicale de Duke Ellington intitulée Black, Brown and Beige, créée pour la première fois en janvier 1943 à la Rye High School, dans l’État de New York. Le sous-titre de l’œuvre, « A tone parallel to the history of the american negro », n’est en effet pas sans rapport avec la thématique centrale d’Ask Your Mama. Voir The Duke Ellington Carnegie Hall Concerts, January 1943, 2 CDs, Prestige, 1977. Voir aussi F. Billard et G. Tordjman, Duke Ellington, Paris, Seuil (Solfèges), 1994, p. 153-154 notamment.
5 On signalera notamment la collaboration de Hughes avec Kurt Weill pour un opéra intitulé Street Scene, tiré d’une pièce d’Elmer Rice, pour laquelle ce dernier avait obtenu le prix Pulitzer en 1929. L’opéra fut créé pour la première fois le 16 décembre 1947 à Philadelphie. À ce sujet, voir A. Rampersad, The Life of Langston Hughes, t. 2, ouvr. cité, p. 108, 124.
6 Voir V. Lindsay, The Congo and Other Poems, Mineola, Dover, 1992 (1re édition 1914), p. 3.
7 Parmi ces œuvres, on peut citer, entre autres, S. Rollins, Freedom Suite, Riverside RP-258, 1958 et M. Roach, We Insist !, Freedom Now Suite, Columbia 36390, 1960. Max Roach, qui avait participé au premier album, conçut le second comme son prolongement.
8 Voir « A. Bontemps to L. Hughes, January 26, 1961 », C. H. Nichols éd., Arna Bontemps
– Langston Hughes Letters, 1925-1967, New York, Dodd, Mead & Co., 1980, p. 406. Sur ce point, Bontemps est rejoint par Rampersad, qui renvoie au même courant musical. Voir A. Rampersad, The Life of Langston Hughes, t. 2, ouvr. cité, p. 318. Pirenne (Vocabulaire des musiques afro-américaines, ouvr. cité, p. 85) précise que le jazz progressif, apparu à la fin des années 1940, s’inscrit dans la tradition des big bands et du jazz orchestral de l’ère du swing. L’application des préceptes de ce genre (augmentation de la durée des hits traditionnels, élargissement de la palette instrumentale aux bois et aux cordes, renouvellement des rythmes par l’utilisation d’instruments latins, etc.) « engendrera des œuvres complexes faisant parfois appel à un vocabulaire harmonique très dissonant, témoignant d’une volonté de rattachement à la tradition classique européenne. Mais par bien des aspects, le jazz progressif évoque d’abord certains éléments du be-bop et du jazz afro-cubain, tout en annonçant le jazz West Coast ». Nous soulignons.
9 Sur ce dernier courant, voir notamment J. Wagner, Le guide du jazz, 5e édition revue et augmentée par F. Hofstein et J.-P. Ricard, Paris, Syros, 1998, p. 154-173. Dans les marges d’Ask Your Mama, Hughes utilise l’expression post-bop, qui semble correspondre très exactement à la même chose. Nous tenons à préciser que l’auteur du Guide du Jazz est un homonyme de celui des Poètes nègres des États-Unis, ouvrage que nous avons indiqué en bibliographie.
10 P. Carles et J.-L. Comolli, « Free jazz », P. Carles, A. Clergeat et J.-L. Comolli éd., Dictionnaire du jazz, ouvr. cité, p. 411.
11 P. Carles et J.-L. Comolli, Free Jazz/ Black Power, ouvr. cité, p. 344. La perspective des auteurs est politique. Le free-jazz est analysé en parallèle avec l’apparition du « pouvoir noir » dans la société américaine et défini comme une mise en cause d’un « ordre culturel » (p. 345). Certains critiques, comme Jean Wagner (Le guide du jazz, ouvr. cité, p. 178), trouvent cette approche « un peu trop systématique » et même « mécaniste ».
12 P. Carles et J.-L. Comolli, Free Jazz/Black Power, ouvr. cité, p. 346.
13 P. Carles et J.-L. Comolli, « Free jazz », art. cité.
14 Ibid. Le bégaiement du texte annonce aussi certaines techniques propres au rap, apparu au début des années 1970 dans le South Bronx, à New York. Voir G. Lapassade et P. Rousselot, Le rap ou la fureur de dire, Paris, Loris Talmart, 1986, p. 27. Les auteurs écrivent notamment : « Les techniques du scratch et du cut […] sont des manipulations manuelles du disque permettant d’obtenir des effets sonores répétitifs, rythmés, des ralentissements de cadence, des effets de bégaiement parfois lassants, souvent humoristiques. » Nous soulignons. Voir aussi C. Béthune, Le rap, une esthétique hors-la-loi, Paris, Autrement, 1999, p. 208. L’auteur évoque la technique de l’échantillonnage, qui consiste à « sélectionner puis insérer des échantillons dans un morceau ». Il définit ainsi l’échantillon : « Fragment musical prélevé à l’aide d’un échantillonneur et réintroduit dans un autre contexte, soit de façon ponctuelle, soit de manière aléatoire, soit monté en boucle de façon répétitive. » Nous soulignons.
15 C. Pirenne, Vocabulaire des musiques afro-américaines, ouvr. cité, p. 59.
16 G. Mouëllic, Le jazz, une esthétique du xxe siècle, ouvr. cité, p. 94.
17 S’il n’existe malheureusement pas de trace enregistrée de lectures d’Ask Your Mama, Hughes l’a bel et bien lu devant des auditoires, accompagné de musiciens. La partie musicale ne recoupait cependant pas avec exactitude les indications fournies dans les marges du texte, pour des raisons pratiques évidentes. Il aurait fallu, pour ce faire, un orchestre très hétéroclite… À ce sujet, voir C. H. Nichols éd., Arna Bontemps – Langston Hughes Letters, 1925-1967, ouvr. cité, p. 405, 408, 414.
18 Sur l’étymologie du terme dozens, voir H. L. Gates, Jr., The Signifying Monkey, ouvr. cité, p. 71. L’auteur, faisant la synthèse des recherches américaines sur le sujet, écrit : « Les “dozens” constituent une sous-catégorie du Signifyin (g) particulièrement fascinante. Leur nom vient très probablement d’un sens du xviiie siècle du verbe “dozen” qui signifie étourdir, stupéfier, abasourdir, au sens noir du terme, par la langue. » Voir aussi G.-C. Balmir, Du chant au poème, essai de littérature…, ouvr. cité, p. 289.
19 L. Green, African American English…, ouvr. cité, p. 134, citant J. Dollard, « The dozens : dialectic ofinsult », The American Imago, 1, novembre 1939, p. 11. Sur les dozens et leurs variantes, y compris les plus contemporaines, voir C. Vettorato, Un monde où l’on clashe : la joute verbale d’insultes dans la culture de rue, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2008.
20 G. Smitherman, Talkin and Testifyin : the Language of Black America, Detroit, Wayne State University Press, 1977, p. 131. Le poète H. Rap Brown introduit une subtile distinction entre playing the dozens et signifyin’ : « Les “dozens” sont un jeu méchant parce que ce que vous essayez de faire, c’est détruire complètement quelqu’un avec des mots. […] Le but réel des “dozens” était de rendre un type si furieux qu’il en aurait pleuré ou qu’il aurait pu se battre. Le “signifyin” est plus humain. Au lieu de s’en prendre à la mère de quelqu’un, vous vous en prenez à lui. » H. Rap Brown, « Street talk », Thomas Kochman éd., Rappin’ and Stylin’Out : Communication in Urban Black America, Urbana, University of Illinois Press, 1972, p. 205. Voir aussi G. Lapassade et P. Rousselot, Le rap ou la fureur de dire, ouvr. cité, p. 54-56.
21 Le parallèle avec les poèmes blues est intéressant. Dans les deux cas, Hughes, qui utilise de manière poétique un langage directement importé de la tradition orale africaine-américaine, fait figure de pionnier. Il écrit d’ailleurs, l’année de la parution d’Ask Your Mama : « The first time, to my knowledge, the Dozens have been used in poetry. » [C’est la première fois, à ma connaissance, que les dozens ont été utilisés en poésie.] Voir « L. Hughes to A. Bontemps, January 28, 1961 », C. H. Nichols éd., Arna Bontemps – Langston Hughes Letters, 1925-1967, ouvr. cité, p. 407. Mais dans les deux cas également, il se garde bien de reproduire les aspects les plus excessifs de ces langages.
22 O. Jemie, Langston Hughes : An Introduction to the Poetry, ouvr. cité, p. 83.
23 Née en 1927, elle fit ses débuts avec le New York Metropolitan Opera le 27 janvier 1961.
24 Kwame Nkrumah (1909-1972) fut le leader du mouvement pour l’indépendance du Ghana, dont il devint le président en 1960. Il fut étudiant à la Lincoln University, dont Hughes fut diplômé. Gamal Abdel Nasser (1918-1970) mena l’armée insurrectionnelle qui déposa la monarchie égyptienne en 1952. Il gouverna le pays jusqu’à sa mort. Benjamin Nnamdi Azikiwe (1904-1996) devint le premier président du Nigeria indépendant en 1960. Lui aussi fréquenta la Lincoln University. Ahmed Sékou Touré (1922-1984), leader syndical au début des années 1950, fut président de la Guinée de 1958 à 1984. Jomo Kenyatta (1894- 1978), leader du mouvement indépendantiste kenyan, fut chef du gouvernement de ce pays de 1964 à sa mort.
25 Il est d’ailleurs intéressant de noter que, quelques années plus tard, des sociologues américains forgeront le concept d’internal colony à propos du sort réservé aux Africains-Américains dans les ghettos. À ce sujet, voir entre autres K. Clark, The Dark Ghetto, New York, Harper & Row, 1965 et H. Cruse, Rebellion or Revolution ?, New York, William Morrow, 1968.
26 « Qu’est-ce qui arrive, se demande l’Africain, à l’ombre des événements du monde, passés et présents (et des problèmes du monde, anciens et nouveaux), à une Amérique qui semble comprendre aussi peu de chose de ses citoyens noirs ? Même aussi peu de chose d’elle-même. Même aussi peu de chose ».
27 Cette section est écrite en hommage à Dinah Washington (1924-1963), chanteuse de blues et de rhythm and blues, dont l’un des surnoms était « The Queen of the Blues ».
28 « Les temps difficiles se poursuivent de l’esclavage jusqu’à la liberté ; jusqu’à Harlem où la plupart de l’argent dépensé descend vers le Sud de Manhattan. Seule une petite partie de cet argent revient sous la forme d’aides sociales, ce qui ne laisse presque rien pour acheter des billets d’entrée aux spectacles pour les enfants qui doivent vivre vite s’ils veulent vivre tout court. »
29 Il n’est pas impossible en effet de voir un lien entre ces notes et celles d’Eliot dans The Waste Land.
30 George Sokolsky (1893-1962) devint chroniqueur dans le Herald Tribune en 1935, avant d’écrire dans le Sun à partir de 1940, puis dans le Journal-American après 1950. Chantre de l’anticommunisme, il soutint McCarthy avec zèle et s’attaqua directement à Hughes dans ses chroniques à l’automne 1944, puis au printemps 1953. Voir A. Rampersad, The Life of Langston Hughes, t. 2, ouvr. cité, p. 91, 96, 98, 221 notamment.
31 « Il y a des gens qui gagnent de l’argent, c’est certain, et d’autres dont on croit qu’ils en gagnent. Il faut de l’argent pour acheter de l’essence qui servira à faire les allers et retours vers la banlieue et pour préserver son gazon tondu comme ses voisins blancs qui se demandent par quel miracle il est possible qu’un Noir se soit acheté une tondeuse à gazon étant donné les multiples obstacles qui se dressent devant lui pour qu’il n’ait pas de gazon. » Ce mépris pour le conformisme des classes moyennes noires est aussi une des caractéristiques du mouvement de la négritude dès le début des années 1930, aux Antilles notamment. Voir en particulier É. Léro, R. Ménil, J.-M. Monnerot et al., Légitime défense, Paris, Jean-Michel Place, 1979 (1re édition 1932).
32 Le saxophoniste Ornette Coleman, auteur de l’album révolutionnaire intitulé Free Jazz en 1960, est considéré comme l’un des précurseurs du mouvement du même nom. Comme l’écrit Thierry Jousse : « La rupture instaurée par Ornette Coleman, musicien texan curieusement nourri aux sources du rhythm’n’blues, est en fait une radicalisation des principes du be-bop, premier chamboulement majeur du jazz moderne, mais elle va très vite provoquer de véhémentes polémiques, opposant violemment partisans et détracteurs de cette new thing. » T. Jousse, « Coleman (Ornette) », E. de Waresquiel éd., Le siècle rebelle, dictionnaire de la contestation au xxe siècle, Paris, Larousse – Bordas / HER, 1999, p. 134. Voir aussi J. Litweiler, Ornette Coleman, New York, Da Capo Press, 1992. L’expression catching fire renvoie également au free-jazz, aussi appelé Fire Music. Sur le sujet, on consultera avec intérêt D. Keenan, « The Primer : Fire Music », Wire 208, juin 2001, p. 42-49.
33 « Parce que mamie a perdu son tablier avec toutes les réponses dans sa poche (sans doute consumées par le feu), certains petits et arrière-petits-enfants jouent une musique qui brûle de la neige carbonique contre l’oreille. Alors qu’il impose des cris de secours de sa propre complétude ignorée (non résolue par Charlie Parker), doit-on regarder vers le moine ou vers Monk ? Ou bien changer de disque avec Eric Dolphy ? »
34 Eric Dolphy (1928-1964) était saxophoniste, clarinettiste et flûtiste. Sur son rôle de précurseur du free-jazz, voir notamment G. Tordjman, « Miel sauvage », Les Inrockuptibles, n° 40, 17-23 janvier 1996, p. 28-30. Voir aussi V. Simosko et B. Tepperman, Eric Dolphy : A Musical Biography and Discography, New York, DaCapo Press, 1996.
35 « Si les réponses se trouvaient sur les tickets, sur de longues bandes comme celles qui sortent des fentes aux caisses du cinéma et si j’avais assez d’argent pour me payer un ticket (comme les hommes qui possèdent tous les tickets, toutes les caisses, et tous les cinémas et qui paient le vendeur de tickets qui, en retour, me fait payer), est-ce que je deviendrais, avec la réponse en main, l’un des trois : l’homme, le vendeur de tickets, moi ? Un billet de spectacle, maman, s’il te plaît… »
36 R. Sheppard, « The crisis of language », M. Bradbury et J. McFarlane éd., Modernism : A Guide to European Literature (1890-1930), ouvr. cité, p. 334.
37 Voir notamment la très bonne édition bilingue suivante : J. Kerouac, Book of Blues, traduit de l’anglais (américain) par P. Guglielmina, Paris, Denoël, 2000.
38 Voir F. Glaysher éd., Collected Poems of Robert Hayden, présentation d’A. Rampersad, New York, Liveright Publishing, 1985.
39 M. S. Harper, Images of Kin : New and Selected Poems, Urbana, University of Illinois Press, 1977.
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