Chapitre 7
Réseaux et résonances (Montage)
p. 125-166
Texte intégral
1Ce recueil renoue de manière systématique avec le dialecte et se concentre thématiquement sur la désillusion des Africains-Américains face aux promesses d’émancipation formulées mais non tenues par le pouvoir, rejoignant ainsi à la fois les blues de The Weary Blues et de Fine Clothes to the Jew et le caractère pamphlétaire des travaux des années 1930 et 1940. Montage peut se lire comme une œuvre d’après-guerre, qui pointe avec amertume et colère le bégaiement de l’Histoire : les Africains-Américains en sont les perdants systématiques, alors même que la nation américaine sort victorieuse des deux premiers conflits mondiaux. Le recueil, telle une suite musicale, fait résonner les voix de manière dynamique d’un poème à l’autre. Les différentes personae, qui représentent la communauté noire de Harlem dans sa diversité générationnelle et sociale (au sens de la classe sociale), prennent tour à tour la parole dans une sorte de partition à entrées multiples. Chacune se fait ainsi la conteuse de sa propre histoire, dans un présent continu qui n’exclut ni les allusions au passé, ni les prédictions. Le recueil se présente ainsi comme un état des lieux, un tableau de la communauté noire urbaine.
2Par ailleurs, Montage, nous l’avons dit, dialogue avec les rythmes et l’esprit de plusieurs genres musicaux, de manière parfois conflictuelle. En effet, en plus du blues, dont nous avons largement parlé, le texte entretient des liens évidents avec le boogie-woogie (genre musical à part entière, hérité du blues et du ragtime et fondé sur un jeu de piano syncopé)1 et avec le be-bop, c’est-à-dire deux genres très différents. D’un point de vue musicologique, Steven Tracy a bien montré comment la série des poèmes boogie-woogie se rapprochait structurellement du genre musical du même nom, puisqu’y coexistent un certain nombre de motifs répétés et de variantes, qui correspondent au travail des deux mains du pianiste2. En effet, dans la technique pianistique typique du boogie-woogie, la main gauche sert de section rythmique et de basse, tandis que la main droite a pour fonction d’improviser dans les aiguës, comme Hughes lui-même le fait remarquer dans The First Book of Jazz, écrit en collaboration avec l’illustrateur Cliff Roberts et le musicologue David Martin :
« Faire triller les aigus et rouler la basse » est la définition que certains musiciens donnent du boogie-woogie. Le boogie-woogie est une sorte de bluesragtime joué au piano auquel est ajoutée une puissante et profonde basse roulante. La main gauche pilonne cette basse de marche pendant que la main droite joue un dentelé de blues par-dessus la basse, souvent sur un autre rythme. Une main fait du piano un tambour qui parle. L’autre main en fait une voix qui chante.3
3S’il y a analogie entre boogie-woogie et poème, c’est donc au sens d’un entrecroisement de « lignes » différentes, que l’alternance des caractères italiques et des caractères romains matérialise sur la feuille. Dans le be-bop, en revanche, les notions de thème et de variante sont remises en cause de manière radicale :
Ce qui est ici le plus important est la disparition progressive de la hiérarchie entre thème et variations. L’ordre ancien est balayé pour en inventer instantanément un nouveau. L’exposition du thème est remplacée par une personnalisation de la phrase qui va bien au-delà du son ou de la variation rythmique. Il s’agit plutôt d’une improvisation toujours déjà commencée. Les « fenêtres ouvertes » ont envahi l’œuvre tout entière. Chaque performance est une œuvre nouvelle qui étend le champ des possibilités.4
4On voit que tout oppose le boogie-woogie et le be-bop à la fois historiquement et structurellement. Le recueil est donc un champ d’expérimentation particulièrement composite. Pourtant, s’il existe une disparité évidente entre les éléments musicaux de l’ensemble, l’unité de Montage n’en est pas moins frappante, grâce à un procédé d’enchaînement des poèmes qui nous ramène à l’origine cinématographique du terme « montage ».
5En effet, c’est d’abord au langage du cinéma, dont il est d’ailleurs directement issu, que le montage renvoie, comme le rappelle Dominique Villain :
Le mot « montage » est […] employé aux États-Unis. Il est importé vers 1934 via l’URSS, par les cinéastes hollywoodiens pour désigner certaines opérations localisées, certaines séquences de montage à effets, à l’intérieur des films. Séquences de transition, qui doivent montrer beaucoup de choses en peu de temps, et qui font appel au pouvoir du montage de condensation dans le temps ou dans l’espace. Il s’agit d’enchaîner – le plus souvent avec des fondus – un très grand nombre de plans courts.5
6Le terme « transition » employé dans cet extrait nous indique que l’articulation des poèmes entre eux est de la plus haute importance. Autant l’ordre des poèmes était négligeable dans les recueils précédents, autant il constitue ici un véritable enjeu, car il permet, parfois à des dizaines de pages d’écart, de tisser de véritables réseaux de sens, dont l’évolution s’inscrit de manière plus ou moins déterminante dans une chronologie. Telle ou telle persona que l’on croyait oubliée réapparaît et reprend son histoire là où elle l’avait arrêtée, dans son idiolecte. Cet ancrage des voix dans une certaine linéarité donne au recueil l’aspect d’un puzzle dont chaque pièce occupe une place bien étudiée, confirmant ce que le cinéaste russe Sergueï Eisenstein disait du montage :
Quiconque a eu entre les mains un bout de film à monter sait par expérience à quel point il reste neutre, et ce même s’il fait partie d’une séquence planifiée, jusqu’à ce qu’on lui adjoigne un autre morceau, quand il acquiert soudain et véhicule une signification plus nette et assez différente de celle prévue pour lui au moment du tournage.6
7La notion même de montage nous renvoie à l’esthétique moderniste, par le biais du cinéma. Le critique américain Frederick Karl a d’ailleurs insisté avec à-propos sur le cousinage entre les techniques cinématographiques et un certain nombre d’évolutions à l’œuvre dans les différents arts au début du xxe siècle :
On peut supposer… que les premières techniques cinématographiques (le montage, le montage rapide, l’arrêt sur image, l’accéléré et le ralenti, le plan large, le gros plan, et même le flash-back et le montage alterné) se développaient parallèlement à des techniques comparables dans les autres formes d’art majeures. […] il faut avoir conscience que beaucoup de ces procédés ne sont pas intrinsèques au cinéma, mais aux formes d’art en général pendant la période du modernisme.7
8Il est intéressant de noter que si Hughes est à sa manière un moderniste, il l’est sur le tard car il a produit un recueil comme Montage (et à plus forte raison Ask Your Mama) à une date nettement ultérieure à l’apogée du modernisme. Les travaux d’un Pound8 par exemple, ou ceux d’un Vachel Lindsay, sur lesquels nous reviendrons plus tard, annoncent très à l’avance l’utilisation du montage par Hughes. Toutefois, lorsque paraît Montage en 1951, il y a bel et bien une actualité de Pound, qui s’est vu décerner le premier Bollingen Prize en 1949 pour ses Pisan Cantos. Les remarques faites par Karl sur le lien que ce recueil entretient avec la notion de montage pourraient d’ailleurs parfaitement s’appliquer à l’avant-dernier grand recueil de Hughes, même si les textes sont très différents :
Peut-être que la vraie réussite de Pound a résidé dans ses stratégies poétiques et sa stylistique, sa capacité à déplacer, brouiller, renvoyer, submerger et mélanger. À certains égards, les Cantos peuvent être comparés à un longmétrage, ou encore à un film aux innombrables séquences, comme certains de ces feuilletons du cinéma muet des origines. […] Mais, au-delà des définitions, le montage convenait à Pound pour d’autres raisons. Il s’agit au fond d’un procédé antirationnel, dans la mesure où il peut être élaboré à partir d’éléments qui n’entretiennent qu’une faible relation de cause à effet ou bien aucune, des matériaux qui ne sont pas organisés de manière séquentielle ou rationnelle. Le poète… peut créer des séquences apparemment discontinues qui sont contrôlées de manière vraiment rigoureuse : on peut donner l’impression de l’aléatoire et demeurer cohérent. (Ibid.)
9Afin d’explorer la dynamique littéraire du recueil, tout en tenant compte de la nature cinématographique et musicale de son mode de fonctionnement, il nous faut mener de front une double analyse, qui porte à la fois sur le poème en soi et sur son rapport à l’architecture globale du recueil (qui repose sur une dialectique de l’écho et de la rupture). Dans l’étude qui va suivre, nous tenterons de rendre compte de la grande diversité formelle de Montage en mettant en évidence des tendances plus ou moins fortes, des réseaux qui évoluent en parallèle. Ne pouvant prétendre à l’exhaustivité, étant donné la densité et la longueur du recueil, nous porterons notre choix sur les poèmes qui nous semblent les plus novateurs, et chercherons à déterminer ce qui caractérise à la fois leur composition et leur association.
Un motif central : le boogie-woogie
10Le recueil s’ouvre sur le poème intitulé « Dream Boogie » – dont on trouve ensuite cinq variantes : « Easy Boogie », « Boogie : 1 a.m. », « Lady’s Boogie », « Nightmare Boogie » et « Dream Boogie : Variation » – qui se pose comme une reprise9 du premier de la série. Ces poèmes, dont l’une des caractéristiques est de mettre en scène des personae des deux sexes, constituent en quelque sorte la colonne vertébrale du recueil, le recentrant constamment vers sa préoccupation majeure, à savoir le ressassement du rêve différé. Le boogie-woogie y apparaît comme un thème majeur, mais aussi, on l’a dit, comme un principe d’écriture qui fait à chaque fois alterner deux voix qui sont en concurrence, voire en opposition (sur un plan thématique, mais aussi sur le plan du ton), ce qui ne les empêche pas, de temps à autre, d’influer l’une sur l’autre.
11L’oralité de « Dream Boogie » est matérialisée, entre autres, par une utilisation très particulière des italiques :
Good morning, daddy!
Ain’t you heard
The boogie-woogie rumble
Of a dream deferred?
Listen closely:
You’ll hear their feet
Beating out and beating out a —
You think
It’s a happy beat?
Listen to it closely:
Ain’t you heard
Something underneath
Like a —
What did I say?
Sure,
I’m happy!
Take it away!
Hey, pop!
Re-bop!
Mop!
Y-e-a-h! (p. 388)
Boogie du rêve
Bonjour, chéri !
T’as pas entendu
Le grondement de boogie-woogie
D’un rêve différé
Écoute bien :
Tu entendras leurs pieds
Qui battent et qui battent la —
Tu crois que
C’est une mesure joyeuse ?
Écoute bien ça :
T’as pas entendu
Quelque chose en dessous
Comme un —
Qu’est-ce que j’ai dit ?
Bien sûr
Que je suis content !
Mais non, pas d’ça !
Hey, pop !
Re-bop !
Mop !
O-u-a-i-s !
12La première strophe, outre qu’elle fait correspondre le début de la journée au début du recueil (morning), laisse entendre que la persona est une femme puisqu’elle s’adresse à un partenaire masculin (daddy !). Elle installe également une alternance entre la voix exclamative et la voix interrogative, qui implique très directement le lecteur, en le prenant à témoin. La persona veut avant tout être entendue, comme l’indique l’omniprésence des verbes liés à l’ouïe (« Ain’t you heard / The boogie-woogie rumble / Of a dream deferred ? », vers 2 à 4 ; « Listen closely », vers 5 ; « Listen to it closely », vers 9 ; « Ain’t you heard / something underneath », vers 11, nous soulignons). L’utilisation des italiques permet un changement de ton à l’intérieur même du discours de la persona. En effet, les questions « You think / It’s a happy beat ? » et « What did I say ? », qui semblent prolonger la question de la première strophe, suivent immédiatement un tiret qui indique que la voix s’interrompt d’elle-même pour exiger de l’interlocuteur une réponse plus rapide, comme dans un jeu de devinettes (« You’ll hear their feet / Beating out and beating out a – » ; « Ain’t you heard / Something underneath / Like a – »). En d’autres termes, le tiret matérialise l’espace de la parole laissé vacant par l’autre dans le dialogue. Cette exigence de participation active du partenaire (et implicitement du lecteur), cette pédagogie de l’écoute, implique que l’on hausse la voix à la lecture. L’alternance entre voix exclamative et voix interrogative est rompue à la fin du poème, et les lettres italiques, jusqu’alors associées à la première, semblent « contaminées » par la seconde (« Hey, pop ! / Re-bop ! / Mop ! / Y-e-a-h ! »). On voit que la gravité du rumble du début, associée à l’idée du rêve différé, fait place ici à une joie sans équivoque, exprimée par l’utilisation du scat (chant en onomatopées) et la rapidité du tempo (chaque vers contient deux syllabes au maximum), en plus de la triple rime en « op », qui suggère l’harmonie. Le fait de séparer chaque lettre du dernier mot par un tiret (Y-e-a-h !) contribue à son allongement et invite à le lire avec une plus grande intensité que le reste du poème. L’utilisation des italiques permet à Hughes de mettre en avant la qualité de la voix de la persona, et non plus seulement de matérialiser le passage d’une voix à une autre comme dans The Weary Blues.
13Double nocturne du précédent poème et troisième de la série des poèmes boogie-woogie, « Boogie : 1 a.m. » est, lui aussi, un texte au féminin. Il semble répondre à distance au premier, sur un ton beaucoup plus fataliste :
Good evening, daddy!
I know you’ve heard
The boogie-woogie rumble
Of a dream deferred
Trilling the treble
And twining the bass
Into midnight ruffles
Of cat-gut lace. (p. 411)
Boogie à une heure du matin
Bonsoir, chéri !
Je sais que t’as entendu
Le grondement de boogie-woogie
D’un rêve différé
Qui fait triller les aigus
Et s’enrouler la basse
En manchettes nocturnes
De dentelle de boyau.
14Le « Good evening, daddy ! » du vers 1 est l’envers du « Good morning, daddy ! » de « Dream Boogie ». Ce qu’ouvrait le premier poème, « Boogie : 1 a.m. » semble donc le refermer. Il n’y a plus ici d’alternance dynamique entre voix exclamative et voix interrogative, mais la seule affirmation que l’autre a, cette fois, bien entendu ce qu’il y avait à entendre (« I know you’ve heard / The boogie-woogie rumble / Of a dream deferred », vers 2 à 4). L’image musicale de l’entrelacs des basses et des aiguës (« Trilling the treble/And twining the bass/Into midnight ruffles/Of cat-gut lace », vers 5 à 8) semble suggérer métaphoriquement le rapport conflictuel des Africains-Américains à la société américaine : il s’agit de concilier les inconciliables, de trouver l’harmonie entre le haut et le bas. L’allitération en t (trilling / treble / twining) signifie toute la violence de ce travail de conciliation, tandis que les expressions midnight ruffles et cat-gut lace sont en elles-mêmes ambivalentes. La première évoque certes quelque chose de délicat, mais elle renvoie aussi à la nuit et à l’instabilité, le verbe to ruffle signifiant troubler. De même, le lace de la seconde expression est comme contredit par cat-gut, qui signifie une corde grossière. La rime finale du texte (bass / lace) ouvre vers une possible résolution poétique du conflit, tout en maintenant l’opposition phonétique entre le lourd (la plosive b) et le léger (la liquide l). On voit donc ici que la signifiance du poème redouble son discours politique explicite.
15On retrouve une problématique très proche dans « Nightmare Boogie », cinquième poème de la série :
I had a dream
and I could see
a million faces
black as me!
A nightmare dream:
Quicker than light
All them faces
Turned dead white!
Boogie-woogie,
Rolling bass,
Whirling treble
of cat-gut lace. (p. 418)
Boogie du cauchemar
J’ai fait un rêve
et je voyais
un million de visages
noirs comme le mien !
Un rêve cauchemardesque :
Plus rapides que la lumière
Tous ces visages-là
Devenaient blancs comme la mort !
Boogie-woogie,
Basse roulante,
Aigus tourbillonnants
de dentelle de boyau.
16Le terme nightmare du titre renvoie thématiquement à l’expression midnight ruffles de « Boogie : 1 a.m. ». L’alliance de mots A nightmare dream suggère le conflit à l’œuvre dans l’âme des Africains-Américains. Au désir de la persona de souscrire au combat politique dans un grand rassemblement racial (« I had a dream/and I could see/a million faces/black as me ! », vers 1 à 4) s’oppose la peur de perdre son identité et de se fondre dans un modèle américain unique, qui effacerait la couleur de peau (« Quicker than light/All them faces/Turned dead white ! », vers 6 à 8). Les italiques servent ici aussi à signifier un changement de ton chez la persona. Même si cette partie du poème est à la voix exclamative, comme les quatre premiers vers, on peut supposer que le tempo s’accélère et que la lecture s’intensifie, de manière à suggérer l’effroi provoqué par le cauchemar qui nous est relaté. La fin du poème reprend l’image musicale du précédent, faisant se côtoyer le bas (« Rolling bass », vers 10) et le haut (« Whirling treble / of cat-gut lace », vers 11 et 12), sous le signe du « boogie-woogie ».
17Le poème « Dream Boogie : Variation » est l’ultime déclinaison du premier de la série, dont il inverse le ton enjoué en tirant des conclusions pessimistes :
Tinkling treble,
Rolling bass,
High noon teeth
In a midnight face,
Great long fingers
On great big hands,
Screaming pedals
Where his twelve-shoe lands,
Looks like his eyes
Are teasing pain,
A few minutes late
For the Freedom Train. (p. 425)
Variation sur le boogie du rêve
Aigus tintant,
Basse roulante,
Grandes dents de midi
Sur un visage de minuit,
Grands doigts fins
Sur de grandes et grosses mains
Pédales hurlantes
Là où ses chaussures taille 46 atterrissent
On dirait qu’ses yeux
Défient la douleur
En retard de quelques minutes
Pour le Train de la Liberté.
18D’un point de vue rythmique, ce poème prend le contre-pied de « Dream Boogie », dont la structure invitait à de brusques changements de tempo et d’intonation. Ici, les vers, très souvent ponctués de virgules, semblent fonctionner par paires. Le lecteur est incité à prendre une intonation montante sur le premier des deux vers de chaque paire, et descendante sur le deuxième, comme dans les blues à huit mesures. En installant cette régularité, le poème suggère l’immobilité sociale du pianiste de boogie-woogie, décrit ici avec le recul de la troisième personne (« Screaming pedals /Where his twelve-shoe lands, / Looks like his eyes / Are teasing pain », vers 7 à 10, nous soulignons). Confronté à la récurrente dichotomie de l’aigu et du grave (« Tinkling treble, / Rolling bass », vers 1 et 2), il porte sur son visage la marque du décalage (« High noon teeth / In a midnight face », vers 3 et 4). Les deux derniers vers du poème font directement allusion au train patriotique qui traversa les États-Unis en 1947-1948, transportant des documents historiques et des archives10. L’image du train est typique du blues, dans lequel elle est souvent synonyme de départ vers le Nord et de promesse de liberté. Le train en retard est un avatar du rêve différé, la cristallisation de toutes les frustrations d’une communauté.
19Les poèmes « Easy Boogie » et « Lady’s Boogie », respectivement deuxième et quatrième de la série, forment une sorte de couple, légèrement en décalage par rapport aux quatre autres :
Down in the bass
That steady beat
Walking walking, walking
Like marching feet.
Down in the bass
That easy roll,
Rolling like I like it
In my soul.
Riffs, smears, breaks.
Hey, Lawdy, Mama!
Do you hear what I said?
Easy like I rock it
In my bed! (p. 395)
Boogie calme
Au cœur de la basse
Ce battement constant
Qui marche, marche, marche,
Comme des pieds vers l’avant.
Au cœur de la basse
Ce roulis calme,
Qui roule comme je l’aime
Dans mon âme.
Riffs, glissandos, breaks.
Hé, bon sang, chérie !
T’entends ce que j’ai dit ?
Calme comme quand je me secoue
Dans mon lit !
See that lady
Dressed so fine?
She ain’t got boogie-woogie
On her mind —
But if she was to listen
I bet she’d hear,
Way up in the treble
The tingle of a tear.
Be-Bach! (p. 412)
Boogie de la dame
Tu vois cette dame
Si bien habillée ?
Elle pense pas au boogie-woogie
Toute la journée —
Mais si è’ devait en écouter
J’parie qu’elle entendrait,
Tout là-haut dans les aigus
Une larme frissonner.
Be-Bach !
20Dans ces deux poèmes à la persona visiblement masculine, la manière de ressentir la musique est à chaque fois fondatrice de la personnalité. Dans « Easy Boogie », le boogie-woogie est associé au bas, à quelque chose de basique et d’élémentaire (« Down in the bass », aux vers 1 et 5), et renvoie à la fois à la marche (« That steady beat / Walking, walking, walking / Like marching feet », strophe 1), à l’âme (« That easy roll, / Rolling like I like it / In my soul », strophe 2) et à une sexualité débordante (« Easy like I rock it / In my bed », strophe 3). La persona prend à parti son interlocutrice, en l’obligeant à l’écouter (« Hey, Lawdy, Mama ! / Do you hear what I said ? », vers 10 et 11), comme dans « Dream Boogie ». L’être tout entier semble se fonder sur la capacité d’écouter le monde.
21Dans « Lady’s Boogie », inversement, l’inaptitude de la femme bourgeoise (« See that lady / Dressed so fine ? », vers 1 et 2) à ressentir les vibrations de la musique (« She ain’t got boogie-woogie / On her mind », vers 3 et 4) est considérée comme un manque de sensibilité. Comme dans les précédents poèmes de la série, la persona en appelle à une pédagogie de l’écoute (« But if she was to listen / I bet she’d hear / Way up in the treble / The tingle of a tear », vers 5 à 8). Le monde semble être partagé entre ceux qui savent écouter le boogie-woogie et les autres, issus d’une autre culture et insensibles à la problématique du rêve différé. D’ailleurs, l’expression Be-Bach !, sorte d’onomatopée-valise formée sur « be-bop » et « Bach », permet d’associer la femme à une autre tradition musicale, européenne et blanche, et peut se lire à deux niveaux, selon que l’on comprend le jeu de mots comme l’équivalent français de « Sois Bach » (c’est-à-dire : reste attachée à une tradition musicale blanche et européenne) ou de « Reviens » (sous-entendu : vers la communauté noire). En refusant le boogie-woogie, la femme nie la possibilité du dialogue entre le haut et le bas musical, mais aussi entre le haut et le bas social. Être réceptif ou non au boogie-woogie est donc une affaire de conscience de classe et d’identité raciale.
22Cette série de six poèmes, qui contiennent tous le terme « boogie » dans leur titre, renvoie à ce genre musical de deux manières : d’une part comme principe rythmique, fondé sur un jeu de balancier entre deux pôles opposés (correspondant aux graves et aux aiguës du clavier du piano) et d’autre part, comme motif décliné, réapparaissant sur le mode de la reprise et non de la répétition, et faisant dériver le ton du recueil de la gaieté vers la désillusion à mesure que l’on approche du dénouement. Cela étant, le boogie-woogie est loin d’être le seul motif musical du recueil, comme nous nous proposons de le montrer dans notre développement suivant.
Spirituals / blues / jazz
23En effet, si le motif du boogie-woogie apparaît central dans Montage, il est environné d’un réseau musical plus large, qui englobe des genres que Hughes avait déjà explorés dans les années 1920, du spiritual au jazz, en passant par le blues. Dans cette étude, nous nous proposons d’examiner quelques poèmes qui désignent explicitement le genre auquel ils appartiennent et qui rendent compte, chacun à sa manière, de la vie quotidienne de la communauté africaine-américaine de Harlem.
24Ainsi, les poèmes intitulés « Mystery » et « Testimonial », par exemple, peuvent-ils se lire comme des variations sur le spiritual, soit sur le mode de la citation (dans le cas du premier), soit sur celui de l’imitation (dans le cas du second). Comme dans les années 1920, le chant religieux est pour Hughes un lieu de réflexion sur ce qui unit les Africains-Américains entre eux, sur ce qui constitue leur culture. Il est moins question de s’interroger sur le contenu du discours religieux lui-même que sur son fonctionnement.
25Le premier des deux poèmes, « Mystery », évoque tout particulièrement l’éveil d’une jeune fille à la spiritualité :
When a chile gets to be thirteen
and ain’t seen Christ yet,
she needs to set on de moaner’s bench
night and day.
Jesus, lover of my soul!
Hail, Mary, mother of God!
Let me to thy bosom fly!
Amen! Hallelujah!
Swing low, sweet chariot,
Coming for to carry me home.
Sunday morning where the rhythm flows,
how old nobody knows—
yet old as mystery,
older than creed,
basic and wondering
and lost as my need.
Eli, eli!
Te deum!
Mahomet!
Christ!
Father Bishop, Effendi, Mother Horne,
Father Divine, a Rabbi Black
as black was born,
a jack-leg preacher, a Ph.D.
The mystery
and the darkness
and the song
and me. (p. 416)
Mystère
Quand une enfant va avoir treize ans
Et n’a pas encore vu l’Christ,
Elle doit se mettre sur le banc du rouspéteur
Jour et nuit.
Jésus, qui aimes mon âme !
Je vous salue Marie, mère de Dieu !
Que je vole en ton sein !
Amen ! Alleluia !
Descends, doux chariot de feu
Qui dois m’ramener chez moi.
Dimanche matin là où le rythme coule à souhait,
S’il est vieux nul ne sait —
Pourtant, il est vieux comme le mystère,
Plus vieux que le credo,
Essentiel et songeur,
Et perdu comme mon besoin.
Eli, eli !
Te deum !
Mahomet !
Christ !
Père Bishop, Effendi, Mère Horne
Père Divine, un rabbin noir
est né comme noir,
un prêcheur amateur, un docteur
Le mystère
et l’obscurité
et le chant
et moi.11
26Le poème fait alterner la voix de la persona et les voix de croyants qui entonnent des chants religieux12. Les trois seules véritables strophes du poème sont descriptives dans leur principe. Elles mettent en scène les souvenirs de la persona et fixent en quelque sorte le décor du poème (le lieu de culte). La première fait référence, de manière quasi autobiographique13, à la découverte forcée de la spiritualité (« When a chile gets to be thirteen / And ain’t seen Christ yet, / She needs to set on de moaner’s bench / Night and day »), tandis que la seconde évoque un rythme noir ancestral dans lequel se coule le discours religieux (« Sunday morning where the rhythm flows, / How old nobody knows – / Yet old as mystery, / Older than creed »). La troisième cite les noms de figures politiques et religieuses liées de manière plus ou moins directe à Harlem (« Father Bishop, Effendi, Mother Horne, / Father Divine, a Rabbi black »14), qui sont autant de voix résonnant les unes avec les autres. Intercalés entre ces strophes, des extraits de chants religieux constituent la texture sonore du poème. Généralement à la voix exclamative, ils sont retranscrits soit en romain, soit en italique (« Jesus, lover of my soul ! / Hail, Mary, mother of God ! / Let me to thy bosom fly ! / Amen ! Hallelujah ! »). La différence typographique permet de signifier le changement de voix. Le poème enregistre dans un même mouvement la diversité des chants et la diversité des voix. En multipliant les sources sonores, ce principe d’alternance désoriente le lecteur et exprime la rumeur confuse qui s’élève des lieux de culte de Harlem. La dernière partie du poème, entièrement en italique, renvoie très directement au titre (« The mystery /and the darkness/ and the song / and me »), en faisant se rejoindre la voix de la persona et celle des croyants. L’anaphore témoigne bien du caractère incantatoire du discours religieux, que la persona semble avoir intériorisé et fait sien. Si mystère il y a ici, c’est moins dans le questionnement sur la transcendance que dans cette manière d’imiter une pratique orale qui fascine sans pour autant être comprise. Il est évident que Hughes retient moins la signification des chants que leur entrecroisement, leur oralité. « Mystery » est d’abord une réflexion sur le pouvoir émotionnel et l’expressivité des spirituals. Le mystique est avant tout une question d’acoustique chez Hughes.
27« Testimonial » est un poème en dialecte, écrit à la première personne, qui relève de l’hymne :
If I just had a piano,
if I just had a organ,
if I just had a drum,
how I could praise my Lord!
But I don’t need no piano,
neither organ
nor drum,
for to praise my Lord! (p. 417)
Témoignage
Si j’avais juste un piano,
si j’avais juste un orgue,
si j’avais juste un tambour,
comme je pourrais louer mon Seigneur !
Mais j’ai pas besoin d’piano
ni d’orgue
ni d’tambour
Pour louer mon Seigneur !
28Les deux strophes fonctionnent de manière symétrique : la seconde défait la première si l’on peut dire, en minant ses fondations. D’un point de vue rhétorique, leur construction est assez subtile. Les trois premiers vers, en plus d’être anaphoriques, sont de longueur égale (« If I just had a piano, / if I just had a organ, /if I just had a drum »), ce qui donne l’impression que la persona dresse une liste de manière mécanique. En revanche, les trois premiers vers de la deuxième strophe se caractérisent par un procédé de gradation descendante (« But I don’t need no piano / neither organ / nor drum »), qui laisse entendre que l’on n’inverse pas terme à terme les vers de la première strophe, mais que l’on procède au contraire par soustraction, en utilisant une seule forme verbale (« I don’t need ») et trois marques de négation (no, neither, et nor). Ce sens de l’économie a pour effet de suggérer la sagesse de la persona, qui semble contredire les affirmations de la première strophe en les désossant. L’autre aspect essentiel du texte, à savoir la personnalisation du rapport à Dieu (« my Lord ! », à deux reprises), est directement importé des chants religieux. Le recours à la voix exclamative dans les deux strophes exprime d’ailleurs la ferveur du croyant, qui s’approprie Dieu comme un ami. Rejoignant des poèmes des années 1920 comme « Ma Lord », « Testimonial » visite le genre de l’intérieur, là où « Mystery » le regardait comme un objet de fascination.
29Si le blues est omniprésent à l’état de trace dans le recueil, ne serait-ce que thématiquement, deux poèmes, « Blues at Dawn » et « Same in Blues », ressortissent néanmoins directement au genre. Le premier d’entre eux est formé sur un canevas de blues à douze mesures :
I don’t dare start thinking in the morning
I don’t dare start thinking in the morning.
If I thought thoughts in bed,
Them thoughts would bust my head —
So I don’t dare start thinking in the morning.
I don’t dare remember in the morning
Don’t dare remember in the morning.
If I recall the day before,
I wouldn’t get up no more —
So I don’t dare remember in the morning. (p. 420)
J’ose pas commencer à réfléchir le matin
J’ose pas commencer à réfléchir le matin.
Si j’réfléchissais à des choses au lit,
Ces choses-là m’donneraient l’tournis —
Alors j’ose pas commencer à réfléchir le matin.
J’ose pas commencer à réfléchir le matin
J’ose pas commencer à réfléchir le matin.
Si j’me rappelais le jour d’avant,
J’me lèverais plus l’jour suivant —
Alors j’ose pas commencer à réfléchir le matin.
30Les deux strophes du poème sont construites de la même manière. Le vers 1 répète le vers 2 comme le vers A’ le vers A dans un blues à douze mesures classique. Plus surprenante est la disposition de ces vers, puisqu’ils ne sont pas découpés en deux demi-vers comme dans les premiers blues de Hughes. Le vers 3, qui correspond au vers B du blues, est lui composé de deux demi-vers en revanche, légèrement en retrait par rapport au reste du texte. Mais la véritable irrégularité du texte tient à la répétition du vers 1 en toute fin de poème, avec une légère variante. Ce procédé ne fait qu’accentuer le caractère cyclique de ce qui nous est conté, d’autant que les vers 1 et 2 sont presque identiques dans les deux strophes ; seule la forme verbale utilisée est modifiée (start thinking devient remember). Le terme so, qui amorce le dernier vers de chaque strophe, signifie le caractère inéluctable de l’événement et fait de l’existence de la persona une sorte de perpétuel cercle vicieux. Le schéma tension / détente que nous avions mis en évidence dans les études précédentes de blues de Hughes se trouve ici contredit par la structure du poème. En effet, le vers 3 ne constituant pas la fin de la strophe, c’est à la tension de départ que le lecteur est ramené. En outre, la présence d’un tiret après le deuxième demi-vers 3 de chaque strophe implique une pause dans la lecture, qui donne tout son poids tragique au dernier vers, en créant une sorte de suspension. Le texte laisse le lecteur dans l’expectative, avant de le ramener vers son point de départ. On voit ici que Hughes a évacué tout humour de ce blues, et transformé la forme à douze mesures en une machine répétitive au ton uniquement désespéré.
31« Same in Blues » est un poème plus complexe, formé sur une structure à huit mesures :
I said to my baby,
Baby, take it slow.
I can’t, she said, I can’t!
I got to go!
There’s a certain
amount of traveling
in a dream deferred.
Lulu said to Leonard,
I want a diamond ring.
Leonard said to Lulu,
You won’t get a goddamn thing!
A certain
amount of nothing
in a dream deferred.
Daddy, daddy, daddy,
All I want is you.
You can have me, baby—
but my lovin’ days is through.
A certain
amount of impotence
in a dream deferred.
Three parties
On my party line—
But that third party,
Lord, ain’t mine!
There’s liable
to be confusion
in a dream deferred.
From river to river,
Uptown and down,
There’s liable to be confusion
when a dream gets kicked around. (p. 427)
Blues pour deux
J’ai dit à ma poupée :
Poupée, faut pas te presser.
J’peux pas, j’peux pas qu’elle dit.
Je dois y aller !
Y’ a une certaine
dose de voyage
dans un rêve différé.
Lulu dit à Leonard :
J’veux un diamant
Leonard dit à Lulu :
T’auras qu’du vent !
Une certaine
dose de rien
dans un rêve différé
Chéri, chéri, chéri,
Tout ce que j’veux c’est toi.
Moi, tu peux m’avoir, poupée.
Mais la saison des amours est derrière moi.
Une certaine
dose d’impuissance
dans un rêve différé.
Trois abonnements
Sur ma ligne de téléphone —
Mais ce troisième abonnement,
Seigneur, c’est pas pour ma pomme !
Il se peut
qu’ y ait de la confusion
dans un rêve différé.
De fleuve en fleuve
Du haut en bas de la cité
Il se peut qu’y ait de la confusion
Lorsqu’un rêve se fait malmener.
32Dans ce poème, Hughes fait alterner des strophes de blues à huit mesures (les vers 1 et 2 du poème correspondant au vers A du blues et les vers 3 et 4 au vers B) et des refrains de trois vers, placés en italique, qui introduisent le thème du rêve différé et fonctionnent comme des commentaires des strophes. Mais à la fin du poème, le thème du rêve différé est comme absorbé par la dernière strophe, si bien qu’on retrouve ici encore l’idée d’une contagion d’une ligne mélodique par une autre, comme dans certains poèmes de The Weary Blues.
33La force du texte tient essentiellement à l’écart de ton entre les strophes et les refrains. Alors que les vers 1 et 2 s’opposent systématiquement aux vers 3 et 4 d’un point de vue du sens dans chaque strophe, recoupant ainsi le dialogue conflictuel entre un homme et une femme, les refrains se caractérisent par leur distanciation presque ironique, comme si la voix qui s’y exprimait était celle d’un tiers désabusé par le dialogue qu’il entendait. Autant le dialogue contient quelque chose de trivial (en tant que reflet du quotidien), autant le commentaire semble empreint d’une gravité qui lui donne immanquablement une tournure contestataire. « Same in Blues » est donc un poème politique, qui tire un enseignement théorique d’une suite d’exemples. Chaque strophe de blues est ainsi synthétisée par un terme (traveling, renvoyant à l’éloignement géographique des protagonistes ; nothing à leur pauvreté ; impotence à leur désillusion amoureuse et confusion à leur incompréhension du système), qui donne au poème un ton fondamentalement fataliste. La dernière strophe semble conclure tout le poème en reprenant partiellement le refrain qui la précède immédiatement (« There’s liable to be confusion / when a dream gets kicked around », vers 31 et 32). La voix exclamative qui caractérisait trois des quatre premières strophes est ici évacuée. Le caractère généralisateur des deux premiers vers (« From river to river, / Uptown and down ») s’oppose à la composante anecdotique des autres strophes. Le ton des refrains l’emporte donc au final sur celui des strophes. La violence du verbe to kick around témoigne à elle seule de la morale amère de la persona, tirée d’un savoir empirique.
34Le poème « Up-Beat », ainsi que les poèmes « Flatted Fifths », « Jam Session », « Be-Bop Boys » et « Tag », qui se font écho dans le recueil, entretiennent un rapport évident avec le langage du be-bop, à la fois d’un point de vue thématique (la langue) et rythmique (le discours). Le premier, composé d’une seule phrase syntaxique, se caractérise par la brièveté de ses vers et sa quasi-absence de ponctuation :
In the gutter
boys who try
might meet girls
on the fly
as out of the gutter
girls who will
may meet boys
copping a thrill
while from the gutter
both can rise:
But it requires
plenty eyes. (p. 408)
Enlevé
Dans la rue
des garçons qui le tentent
pourraient rencontrer des filles
sur-le-champ
alors qu’hors de la rue
des filles qui le veulent
peuvent rencontrer des garçons
chopant un frisson
tandis que de la rue
tous peuvent se lever :
mais ça demande
plein d’yeux.
35Le titre du poème signifie à la fois « optimiste » et une certaine manière de battre la mesure en musique (up-beat correspond au levé, c’est-à-dire au moment où l’on ne frappe pas le temps avec la main ou le pied). Il définit donc en même temps la nature musicale et le ton du poème. Ce qui retient d’abord l’attention du lecteur, et qui fait penser au phrasé15 du be-bop, c’est le découpage très particulier des vers, qui fragmente à l’extrême l’unique phrase syntaxique du poème en faisant se multiplier les enjambements. Le motif constitué par la répétition du terme gutter et, plus généralement, le schéma des rimes (abcb aded afff), donnent à l’ensemble un aspect redondant et ludique qui peut rappeler la comptine, d’autant plus que le nombre pair de vers (douze) incite à lire ces derniers deux par deux, en adoptant une intonation ascendante sur le premier et descendante sur le deuxième. En outre, l’inversion de la proposition de la première moitié du poème (« boys who try / might meet girls », vers 2 et 3) dans la seconde (« girls who will / may meet boys », vers 6 et 7), ainsi que la recommandation humoristique constituée par les deux derniers vers, évoquent également la littérature pour enfants.
36Cette esthétique de la ligne brisée se retrouve dans nombre de poèmes de William Carlos Williams, dont Hughes semble s’être ici inspiré. « Philomena Andronico », par exemple, publié dans le recueil Clouds en 1948, se caractérise lui aussi par une quasi-absence de ponctuation, par une circularité thématique et une forme d’humour enfantin. Nous en reproduisons ici les neuf premières strophes :
With the boys busy
at ball
in the worn lot
nearby
She stands in
the short street
reflectively bouncing
the red ball
Slowly
Practiced
a little awkwardly
throwing one leg over
(Not as she had done
formerly
screaming and
missing
But slowly
surely) then
pausing throws
the ball
With a full slow
Very slow
And easy motion
Following through
With a slow
half-turn —
as the ball flies
and rolls gently
At the child’s feet
waiting —
and yet he misses it
and turns
And runs while she
slowly
regains her former
pose [… ]16
Alors que les garçons sont occupés
avec la balle
sur le terrain désaffecté
à côté
Elle se tient debout
dans la petite rue
renvoyant d’un air pensif
la balle rouge
Lentement
exercée
un peu gauchement
jetant une jambe en l’air
(Pas comme elle avait fait
autrefois
hurlant et
manquant
mais lentement
certainement) puis
faisant une pause jette
la balle
Avec un lent
très lent mouvement
complet et facile
qu’elle fait suivre
D’un lent
Demi-tour —
Alors que la balle vole
Et roule doucement
Au pied de l’enfant
qui attend —
et pourtant il la rate
et se retourne
Et court alors qu’elle
revient
lentement à sa précédente
pose […]
37Le poème n’est constitué que d’une seule phrase syntaxique, comme « Up-Beat ». Les pauses sont ici matérialisées par le passage d’une strophe à une autre, et non par une quelconque ponctuation. Les enjambements permettent généralement d’isoler le terme ball, qui constitue une sorte de motif, comme le terme gutter dans le poème de Hughes (« With the boys busy / at ball », première strophe ; « reflectively bouncing / the red ball », deuxième strophe ; « then / pausing throws / the ball », cinquième strophe ; « as the ball flies / and rolls gently », septième strophe), au même titre que les termes slow et slowly, qui sont systématiquement mis en valeur, soit parce qu’ils sont rejetés à la fin des vers 13, 16, 17 et 20, soit parce qu’ils constituent l’intégralité des vers 9 et 34. Plus généralement, les sonorités du texte semblent s’engendrer elles-mêmes, dans un jeu d’échos d’une strophe sur l’autre, formant ainsi des réseaux faciles à mémoriser, qui évoquent eux aussi les comptines pour enfants (boys-busy-ball-nearby-bouncing-ball ; screaming-missing-pausing-following ; half turn-turns-runs). De même que les garçons et les filles du poème de Hughes semblaient « tourner en rond », il y a ici aussi une circularité du poème, qui recoupe la circularité des mouvements de la jeune fille (« … while she / slowly / regains her former / pose », neuvième strophe). On voit que le texte de Carlos Williams, même organisé en strophes, contrairement à celui de Hughes, est lui aussi morcelé en très courtes séquences, ce qui permet à chaque vers de croquer un mouvement du personnage, dont l’aspect mécanique a quelque chose d’humoristique.
38Les poèmes « Flatted Fifths », « Jam Session », « Be-Bop Boys » et « Tag » fonctionnent sur un principe proche. Les trois derniers furent publiés séparément dans Montage, mais regroupés sous le titre « Jam Session » dans l’anthologie intitulée Langston Hughes Reader et publiée en 1958 :
Little cullud boys with beards
re-bop be-bop mop and stop.
Little cullud boys with fears,
Frantic, kick their draftee years
into flatted fifths and flatter beers
that at a sudden change become
sparkling Oriental wines
rich and strange
silken bathrobes with gold twines
and Heilbroner, Crawford,
Nat-undreamed-of Lewis combines
in silver thread and diamond notes
on trade-marks inside
Howard coats.
Little cullud boys in berets
oop pop-a-da
horse a fantasy of days
ool ya koo
and dig all plays. (p. 404)
Quintes diminuées
Des p’tits gars d’couleur barbus
Re-bop be-bop mop et stop
Des p’tits gars d’couleur avec leurs peurs
Frénétiques, noient leurs années de guerre
sous des quintes diminuées et des bières éventées
qui deviennent soudain
des vins orientaux qui pétillent
de riches et étranges
peignoirs de bain en soie avec des cordons en or
et Heilbroner, Crawford,
l’inespéré Nat Lewis se mêlent
en fil d’argent et mots de diamant
sur des marques déposées à l’intérieur
de manteaux Howard.
Des p’tits gars d’couleur avec des bérets
Oop-pop-a-da
chahutent dans une fantaisie de journées
Ool ya koo
et sont toujours prêts à jouer.
Letting midnight
out on bail
pop-a-da
having been
detained in jail
oop-pop-a-da
for sprinkling salt
on a dreamer’s tail
pop-a-da (p. 408)
Bœuf
Laisser minuit
sous caution
pop-a-da
après avoir été
détenu en prison
oop-pop-a-da
pour avoir jeté du sel
sur la queue d’un rêveur
pop-a-da
Imploring Mecca
to achieve
six discs
with Decca. (p. 409)
Les boppers
Implorer Allah
pour faire
six disques
avec Decca.
Little cullud boys
with fears
frantic,
nudge their draftee years.
Pop-a-da! (p. 409)
Des p’tits gars de couleur
avec leurs peurs
frénétiques,
Oublient leurs années de guerre.
Pop-a-da.
39Le poème « Flatted Fifths » fait clairement allusion au courant « be-bop » et à ses représentants. Le titre désigne ce qu’on appelle une quinte diminuée en musique, c’est-à-dire l’équivalent de la troisième blue note17, justement introduite par les boppers. Les allusions à la barbe (vers 1 et 3) et au béret (vers 15) renvoient très directement au pianiste Thelonious Monk et au trompettiste Dizzy Gillespie. Outre l’emploi du terme dig18 au dernier vers, typique de l’argot africain-américain, le texte introduit le scat au deuxième vers (« re-bop be-bop mop and stop ») et crée ainsi un motif sonore qui sera repris en italique, puis déformé, dans la troisième et dernière strophe du poème (« oop pop-a-da » ; « ool ya koo »). Les trois premiers vers de la deuxième strophe imposent un autre motif (matérialisé par l’allitération en f : fears-frantic-flatted-fifths-flatter), que l’on retrouve dans le poème « Tag » (« Little cullud boys / with fears, / frantic », vers 1). Le pouvoir de surprise du be-bop est suggéré par un certain nombre d’images exotiques (« sparkling oriental wines », vers 7 ; « silken bathrobes with gold twines », vers 9 ; « in silver thread and diamond notes », vers 12), qui rompent brutalement avec les trois premiers vers de la deuxième strophe (« at a sudden change », vers 4). La dernière strophe fait alterner les fragments d’une même phrase syntaxique avec un refrain en italique, placé légèrement en retrait, que l’on retrouve presque à l’identique dans les poèmes « Jam Session » (« pop-a-da », vers 3 ; « oop-pop-a-da », vers 6 ; « pop-a-da », vers 9) et « Tag » (« Pop-a-da ! », vers 5).
40Le titre « Jam Session » situe d’emblée le poème dans une problématique musicale, puisqu’il désigne, comme on l’a vu, ce qu’on appelle un « bœuf » dans le jargon musical français, à savoir une improvisation collective. Alors que l’ossature du texte est composée de trois distiques dont les rimes se font écho (ab cb db), l’improvisation est prise en charge par les courtes séquences en scat, placées en italique et en retrait par rapport aux distiques, dont elles constituent à chaque fois une excroissance. La première et la dernière séquence sont rigoureusement identiques, tandis que la seconde est composée d’une syllabe supplémentaire, dont la proximité phonétique avec l’onomatopée « oops » semble ici souligner le caractère dramatique du deuxième distique (« having been / detained in jail », vers 4 et 5). Outre que sa structure et sa langue rappellent le jazz, « Jam Session » conserve du poème « Up-Beat » un symbolisme enfantin très évocateur (« sprinkling salt / on a dreamer’s tail », vers 7 et 8).
41La musique est également inscrite dans le titre de « Be-Bop Boys », ainsi que dans son sujet, « Decca » étant le nom d’une maison de disques19. Le poème repose sur un jeu d’échos sonores simple (Imploring-Mecca ; discs-Decca), tout comme « Tag », le poème suivant (fears-frantic-draftee), qui répond à distance à « Flatted Fifths ». La disposition de ces poèmes dans le recueil, ainsi que leurs correspondances thématiques, en font les éléments constitutifs d’une même suite « be-bop » cohérente, qui fonctionne comme une vaste caisse de résonance, dans laquelle le vers est une unité très courte qui impose une lecture rapide et saccadée. Musicaux, ces poèmes le sont à la fois dans leurs thèmes (le « be-bop » comme genre et comme mode de vie) et dans leur texture (réseaux de sonorités se faisant écho les unes aux autres, alternance entre vers et refrains en italique, omniprésence du scat). Le maître mot qui lie l’esthétique et l’idéologique ici, c’est donc l’urgence. Le scat est d’ailleurs une forme d’improvisation vocale qui se soucie peu de vouloir dire, de signifier. Il est davantage question de produire du son, de manière ludique, afin de susciter la musique, que de l’accompagner ou d’élaborer un véritable langage. La quasi-absence de ponctuation dans les trois derniers poèmes renforce ce sentiment d’un désir irrépressible de liberté, qui recoupe le discours politique (kick their draftee years dans « Flatted Fifths » ; nudge their draftee years dans « Tag »). D’une certaine façon, et en forçant un peu le trait, on pourrait dire que les jeunes gens dont il est question ici cherchent à mettre à distance l’autoritarisme du pouvoir symbolisé par la conscription et la guerre comme le poète repousse l’autoritarisme de la ponctuation, c’est-à-dire de la loi linguistique.
42Si la musique est omniprésente dans le recueil, c’est de manière parfois moins directe que dans la série des poèmes boogie-woogie ou que dans les autres poèmes « musicaux » que nous avons envisagés dans nos deux premiers développements. Il nous reste en effet à étudier, dans leur diversité et leurs correspondances, un certain nombre de poèmes organisés eux aussi en réseaux, qui ne font pas explicitement référence à la musique, même s’ils conservent des modes de fonctionnement qui lui sont propres, tels que la polyphonie. Thématiquement, ces poèmes évoquent les travaux militants des deux décennies précédentes, très marqués par l’idéologie communiste.
Rêves différés, questions en suspens
43Le sens de l’apostrophe, l’une des caractéristiques majeures de la poésie de Hughes, et pas uniquement de la période militante des années 1930 et 1940, se retrouve de manière insistante dans Montage. Le rêve américain est l’objet d’un questionnement permanent, sur un mode agressif, mais légèrement différent de celui des années 1930. S’il était en effet possible de savoir à qui s’adressaient les poèmes militants de Hughes, il semble ici que les questions de principe désespérées posées par les personae soient sans véritable destinataire. Dans des poèmes comme « Tell Me », « Deferred », « Passing », « Harlem », « Good Morning » ou encore « Island », il s’agit moins de régler ses comptes avec ceux qui empêchent le rêve d’advenir, que de simplement le reformuler sous forme de questions et de ressasser son attente déçue. Montage est un recueil désabusé, fortement marqué par l’esprit « consolateur » du blues et dans lequel l’agressivité finit par se retourner contre soi. On ne croit plus au rêve envers et contre tout, on ironise sur sa disparition.
44« Tell Me » fait partie de ces poèmes miniatures pour lesquels Hughes a montré un goût prononcé pendant les années 1930, et dont la sécheresse de ton est pour beaucoup dans l’efficacité :
Why should it be my loneliness,
Why should it be my song,
Why should it be my dream
deferred
overlong? (p. 396)
Dis-moi
Pourquoi faudrait-il que ce soit ma solitude,
Pourquoi faudrait-il que ce soit ma chanson,
Pourquoi faudrait-il que ce soit mon rêve
Qui soient différés
Si longtemps?
45Même s’il est proche dans l’esprit d’un billet tel que « Note to All Nazis Fascists and Klansmen »20, par exemple, ce poème ne s’adresse pourtant à personne en particulier. En effet, le Tell Me du titre ne désigne pas l’identité de son destinataire. C’est finalement moins l’homme blanc ou le capitaliste que l’on apostrophe ici que la part d’humanité de chaque lecteur, considéré comme témoin de l’Histoire. L’anaphore, la présence de virgules à la fin des deux premiers vers et la mise en italique de l’adjectif possessif my contribuent à imprimer une cadence très régulière au poème et invitent à une lecture uniforme en termes d’intensité et de hauteur, visant à exprimer la lassitude de la persona. La mise en retrait des termes deferred et overlong casse le rythme du poème en prolongeant le dernier vers, ce qui a pour effet de ralentir la lecture. L’éparpillement du vers semble donc redoubler poétiquement celui du rêve.
46Le poème « Deferred » met en scène la confrontation de plusieurs rêves individuels, grâce à une utilisation très dynamique des italiques :
This year, maybe, do you think I can graduate?
I’m already two years late.
Dropped out six months when I was seven,
a year when I was eleven,
then got put back when we come North.
To get through high at twenty’s kind of late —
But maybe this year I can graduate.
Maybe now I can have that white enamel stove
I dreamed about when we first fell in love
eighteen years ago.
But you know,
rooming and everything
then kids,
cold-water flat and all that.
But now my daughter’s married
And my boy’s most grown —
quit school to work —
and where we’re moving
there ain’t no stove —
Maybe I can’t buy that white enamel stove!
Me, I always did want to study French.
It don’t make sense —
I’ll never go to France,
but night schools teach French
Now at last I’ve got a job
where I get off at five,
in time to wash and dress,
so, s’il vous plaît, I’ll study French!
Someday,
I’m gonna buy two new suits
at once!
All I want is
one more bottle of gin.
All I want is to see
my furniture paid for.
All I want is a wife who will
work with me and not against me. Say,
baby, could you see your way clear?
Heaven, heaven, is my home!
This world I’ll leave behind
When I set my feet in glory
I’ll have a throne for mine!
I want to pass the civil service.
I want a television set.
You know, as old as I am,
I ain’t never
owned a decent radio yet?
I’d like to take up Bach.
Montage
of a dream
deferred.
Buddy, have you heard? (p. 413)
Différé
Cette année, mon diplôme, crois-tu que je peux l’avoir ?
J’ai déjà deux ans de retard.
J’ai abandonné six mois quand j’avais sept ans
Un an quand j’avais onze ans,
Puis me suis fait recaler quand nous sommes allés dans le Nord.
Finir le lycée à vingt ans c’est un peu tard ;
Mais peut-être que mon diplôme, cette année, je peux l’avoir.
Peut-être qu’aujourd’hui je peux avoir cette cuisinière en émail blanc
Dont je rêvais au tout début où nous étions amants
Il y a dix-huit ans.
Mais tu sais,
on a partagé une chambre,
puis eu des enfants,
Plus que de l’eau froide et tout ça.
Mais aujourd’hui ma fille est mariée
Et mon fils presque élevé ;
Il a quitté l’école pour travailler ;
Et là où nous emménageons
Il n’y pas de cuisinière ;
Peut-être que je ne peux pas me payer cette cuisinière en émail blanc !
Moi, j’ai toujours vraiment voulu apprendre le français.
Ça n’a pas de sens ;
Je n’irai jamais en France
Mais aux cours du soir on peut apprendre le français
Maintenant j’ai fini par avoir un travail
Que je quitte à cinq heures,
à temps pour me laver et m’habiller
alors, s’il vous plaît, j’apprendrai le français !
Un beau jour,
Je vais acheter deux costumes
en même temps !
Tout ce que je veux, c’est
encore une bouteille de gin
Tout ce que je veux, c’est voir
mes meubles payés.
Tout ce que je veux, c’est une femme qui
travaillera avec moi et non contre moi. Dis,
chérie, t’as réussi à trouver ton chemin ?
Le ciel, le ciel est ma maison !
Ce monde-là, j’vais le laisser bien bas
Quand j’aurai mon heure de gloire
J’aurai un trône pour moi !
Je veux devenir fonctionnaire.
Je veux un poste de télévision.
Tu sais que, vieux comme je suis,
Je n’ai encore jamais eu
De radio correcte ?
J’aimerais me mettre à Bach.
Montage
d’un rêve
Différé.
Mon pote, t’as noté ?
47Si rien n’empêche de penser que chaque strophe correspond aux paroles d’une persona différente à chaque fois, la typographie laisse néanmoins entendre que « Deferred » est un dialogue entre un homme et une femme, qui s’adressent directement l’un à l’autre. Les strophes en caractères romains sont thématiquement plutôt du côté de l’être, celles en italique du côté de l’avoir. Dans la première strophe, l’accent est mis, non sans exagération, sur la désocialisation de la persona (« To get through high at twenty’s kind of late — / But maybe this year I can graduate », vers 6 et 7), tandis que la troisième et la neuvième évoquent sa volonté d’accéder à la culture ou au travail (« Me, I always did want to study French », vers 21 ; « I want to pass the civil service », vers 43). Les strophes 2, 4, 6 et 10 dépeignent en revanche un rêve matérialiste, qui se réduit à un besoin de consommer (« Maybe now I can have that white enamel stove / I dreamed about when we first fell in love / eighteen years ago », vers 8 à 10 ; « Someday / I’m gonna buy two new suits / at once ! », vers 29 à 31 ; « All I want is to see / my furniture paid for », vers 34 et 35 ; « I want a television set », vers 44). Dans la seconde moitié du poème, l’opposition thématique demeure entre les deux voix, mais sa polarité est parfois inversée. Ainsi, la huitième et la douzième strophe, en romain, révèlent une spiritualité et une soif de connaissance jusqu’alors insoupçonnées (« Heaven, heaven, is my home ! », vers 39 ; « I’d like to take up Bach », vers 48), tandis que la onzième, en italique, est exceptionnellement du côté de la possession matérielle (« You know, as old as I am, / I ain’t never / owned a decent radio yet ? », vers 45 à 47). Le thème du rêve différé est réintroduit explicitement à la fin du poème et intégré au schéma polyphonique de manière surprenante (« Montage / of a dream / deferred », vers 49 à 51), comme s’il s’agissait de paroles prononcées par la persona. Le dernier vers du poème (« Buddy, have you heard ? ») semble s’adresser directement au lecteur et ainsi lui signifier son impatience. Un tel dénouement, dont le but n’est autre que de faire se rejoindre les poèmes entre eux d’un point de vue thématique, se retrouve dans le poème « Good Morning », que nous envisagerons ultérieurement. Ce qui ressort clairement de « Deferred », c’est l’humanisme de Hughes, qui donne la parole à ceux dont les rêves n’ont finalement rien d’extraordinaire en eux-mêmes. Qu’ils relèvent de l’esprit ou de considérations économiques triviales, ils ont en commun de n’être pas inaccessibles à l’Américain moyen. C’est dans cette triste banalité du rêve que réside la force contestataire du poème, lieu de la revendication minimale et presque absurde.
48D’abord publié dans Phylon au premier trimestre de 1950, avant d’être intégré à Montage, le poème intitulé « Passing » est l’un des plus beaux du recueil. Il évoque ceux qui sont passés de l’autre côté du rêve, ceux qui ont, pour ainsi dire, franchi la color line :
On sunny summer Sunday afternoons in Harlem
when the air is one interminable ball game
and grandma cannot get her gospel hymns
from the Saints of God in Christ
on account of the Dodgers on the radio,
on sunny Sunday afternoons
when the kids look all new
and far too clean to stay that way,
and Harlem has its
washed-and-ironed-and-cleaned-best-out,
the ones who’ve crossed the line
to live downtown
miss you,
Harlem of the bitter dream,
since their dream has
come true. (p. 417)
Passer
Les dimanches après-midi d’été ensoleillés à Harlem
Lorsque l’air est un interminable jeu de balle
Et que grand-mère ne peut pas entendre ses hymnes
évangéliques
Des saints de Dieu en Jésus-Christ
À cause des Dodgers à la radio
Les dimanches après-midi ensoleillés
Quand les gamins ont l’air tout neufs
Et beaucoup trop propres pour le rester,
Et quand Harlem
Est sur son trente et un lavé, repassé et nettoyé,
Ceux qui ont passé la ligne
Pour habiter au sud de la ville
Te regrettent,
Harlem du rêve amer,
Car leur rêve
est devenu vrai.
49Après l’avoir déjà évoqué dans la nouvelle également intitulée « Passing », en 194021, Hughes aborde ici avec une certaine amertume le sort de ceux qui passent pour blancs, et qui font donc figure de traîtres à la communauté africaine-américaine. Poème de la fierté raciale par excellence, « Passing » est d’abord un portrait émouvant du Harlem dominical, décrit comme un lieu ensoleillé (voir l’allitération en s aux vers 1 et 6 : sunny summer Sunday afternoons ; sunny Sunday afternoons), sonore (« when the air is one interminable ball game », vers 2), un croisement harmonieux des générations (« and grandma cannot get her gospel hymns », vers 3 ; « when the kids look all new / and far too clean to stay that way », vers 7 et 8), avec ses codes culturels propres (« and Harlem has its / washed-and-ironed-and-cleaned-best out », vers 10). Dans les six derniers vers, ceux qui ont quitté Harlem (« the ones who’ve crossed the line », vers 11) ont finalement échangé une aliénation (être d’origine noire) pour une autre (perdre ses repères culturels). Certes, il y a bien franchissement de la color line (« since their dream has / come true », vers 15 et 16), mais il implique un déchirement irrémédiable, que le découpage des vers souligne tout particulièrement en isolant le verbe miss (vers 13). En définitive, la revanche de celui qui reste du même côté de la color line est de conserver son âme, pour ainsi dire, et de se délecter de la souffrance de celui qui est parti et qui regrette son quartier.
50Plus abstrait et plus agressif que le précédent, « Harlem » est un poème conçu comme une suite de questions qui mènent à un dénouement inattendu :
What happens to a dream deferred?
Does it dry up
like a raisin in the sun?
Or fester like a sore —
And then run?
Does it stink like rotten meat?
Or crust and sugar over —
like a syrupy sweet?
Maybe it just sags
like a heavy load.
Or does it explode? (p. 426)
Harlem
Qu’arrive-t-il à un rêve différé ?
Sèche-t-il
Comme un raisin au soleil ?
Ou suppure-t-il comme une plaie —
Avant de couler ?
Est-ce qu’il pue comme de la viande pourrie ?
Ou bien se transforme-t-il en une croûte qui se couvre de sucre —
comme un bonbon sirupeux ?
Peut-être s’affaisse-t-il
comme un poids lourd.
Ou bien explose-t-il ?
51L’originalité du poème tient d’une part à l’omniprésence de la voix interrogative, qui prend directement le lecteur à parti, et d’autre part aux multiples comparaisons qui sont ici opérées (« like a raisin in the sun », vers 2 ; « like a sore », vers 3 ; « like rotten meat », vers 5 ; « like a syrupy sweet », vers 7 ; « like a heavy load », vers 9, nous soulignons). Le dernier vers du poème, placé en italique, rompt avec les images négatives de dépérissement qui précèdent et suggèrent de manière brutale une issue imprévisible (« Or does it explode ? »). La lecture enregistrée du poème par Hughes22 est d’un grand intérêt. Les cinq premiers vers y sont dits sur un ton monocorde, tandis qu’un piano interprète une mélodie douce, sur un rythme lent. Du vers 6 au vers 8, un saxophone dissonant recouvre petit à petit le son du piano. Lorsque Hughes lit les vers 9 et 10, les instruments semblent d’abord se taire puis gronder, avant de rugir tous ensemble lorsque le poète lit le dernier vers en marquant une longue pause avant le « explode » final, qu’il prononce avec une grande intensité. On voit ici à quel point l’oralité du texte est essentielle. Les italiques sont une fois de plus destinées à signifier le changement de ton, que la musique souligne aussi à sa manière. De tous les poèmes mis en musique par Hughes, « Harlem » est certainement le plus convaincant, en grande partie grâce au travail méticuleux des musiciens, qui contribue à lui donner toute sa signifiance.
52Conçu comme un témoignage sur les migrations des Noirs de la diaspora vers New York, le poème « Good Morning », qui suit immédiatement « Harlem » dans le recueil, interroge aussi le devenir du rêve américain, en le mettant en perspective :
Good morning, daddy!
I was born here, he said,
watched Harlem grow
until colored folks spread
from river to river
across the middle of Manhattan
out of Penn Station
dark tenth of a nation
planes from Puerto Rico,
and holds of boats, chico,
up from Cuba Haiti Jamaica,
in buses marked New York
from Georgia Florida Louisiana
to Harlem Brooklyn the Bronx
but most of all to Harlem
dusky sash across Manhattan
I’ve seen them come dark
wondering
wide-eyed
dreaming
out of Penn Station —
but the trains are late.
The gates open —
Yet there’re bars
at each gate.
What happens
to a dream deferred?
Daddy, ain’t you heard? (p. 426)
Bonjour
Bonjour, chéri !
je suis né ici, a-t-il dit
j’ai vu Harlem s’agrandir
jusqu’à ce que les gens de couleur s’étendent
d’un fleuve à l’autre
à travers le centre de Manhattan
depuis Penn Station
le dixième sombre de la nation
des avions de Porto Rico
et des soutes de bateaux, chico,
de Cuba, d’Haïti, de la Jamaïque,
dans des bus affichant New York
depuis la Géorgie, la Floride, la Louisiane,
jusqu’à Harlem, Brooklyn, le Bronx,
mais surtout Harlem
ceinture noire d’un côté à l’autre de Manhattan
Je les ai vus s’assombrir
me demandant,
les yeux grands ouverts
rêvant
depuis Penn Station —
mais les trains sont en retard.
Les portes s’ouvrent —
Pourtant il y a des barreaux
à chaque porte.
Qu’arrive-t-il
À un rêve différé ?
Chéri, t’as pas entendu ?
53Si le premier vers reprend terme à terme l’amorce de « Dream Boogie », le premier poème du recueil, « Good Morning » n’évoque pourtant pas directement la musique. La persona se fait ici le relais du témoignage d’un homme qui a vu des générations de Noirs s’échouer à New York (« I was born here, he said », vers 2). C’est moins la nature du rêve qui est explorée que ses conséquences sur l’évolution du quartier de Harlem (« watched Harlem grow », vers 3). La profusion des noms propres, ainsi que l’absence de ponctuation entre chacun d’entre eux, suggèrent efficacement la multiplicité des origines géographiques des migrants (« Puerto Rico », vers 9 ; « Cuba Haiti Jamaica », vers 11 ; « from Georgia Florida Louisiana », vers 13), en même temps que leur mouvement centrifuge à l’intérieur de la ville de New York (« to Harlem Brooklyn the Bronx / but most of all to Harlem / dusky sash across Manhattan », vers 14 à 16). L’aimantation des migrants est encore mise en valeur par le découpage du vers 17 (« wondering / wide-eyed / dreaming »), qui permet d’insister sur les expressions faciales, en ralentissant la lecture. Le symbolisme de la fin du poème (« The Gates open – / Yet there’re bars / at each gate », vers 20) fait du Noir un éternel prisonnier, pris au piège de son propre mirage. Les trois derniers vers renouent avec la voix interrogative des poèmes précédents, soulignant une fois de plus la nécessité de vérifier que la transmission de la parole a bien lieu (« Daddy, ain’t you heard ? », vers 23), et mettant donc implicitement le lecteur en position de témoin lui aussi, tandis que le « What happens / to a dream deferred ? » (vers 21 et 22) fait directement écho au premier vers de « Harlem ». Le fait que la question soit reprise ici en fin de poème, comme dans le poème « Deferred », lui donne un aspect plus nettement désespéré que dans « Harlem », car si elle apparaît comme le sujet du poème, elle en est aussi l’irrémédiable conclusion.
54Le poème « Island », dernier du recueil, prolonge « Good Morning » dans son évocation explicite du quartier de Harlem, dont il fait le lieu de la cristallisation du rêve :
Between two rivers,
North of the park,
Like darker rivers
The streets are dark.
Black and white,
Gold and brown —
Chocolate-custard
Pie of a town.
Dream within a dream,
Our dream deferred.
Good morning, daddy!
Ain’t you heard? (p. 429)
Ile
Entre deux fleuves,
Au nord du parc,
Comme des fleuves plus foncés,
Les rues sont foncées.
Noir et blanc,
Doré et brun —
Une ville comme une tarte
À la crème et au chocolat.
Rêve dans le rêve
Notre rêve différé.
Bonjour, chéri !
T’as entendu ?
55La structure régulière des rimes (abab), ainsi que la brièveté des vers (aucun ne dépasse cinq syllabes) donnent l’aspect d’une chanson aux deux quatrains, que l’on peut lire comme un lointain prolongement de « The Negro Speaks of Rivers »23, au moins sur un plan thématique. En effet, l’Hudson River et l’East River qui entourent Harlem (vers 1) ont ici remplacé le Mississippi, qui lui-même s’inscrivait symboliquement dans la continuité des grands fleuves de l’Afrique. Harlem est donc l’étape ultime du voyage de la diaspora africaine, une sorte de mosaïque raciale (« Chocolate-custard / Pie of a town », vers 7 et 8). Il faut noter ici l’importance du jeu de mots sur pie : le terme signifie gâteau mais il évoque aussi l’adjectif pied qui veut dire bariolé en français, son étymologie renvoyant au plumage noir et blanc de la pie. Harlem est aussi le lieu du rêve (« Dream within a dream, / Our dream deferred », vers 9 et 10). Les deux derniers vers referment non seulement le réseau de poèmes thématiquement reliés au rêve différé, mais aussi tout le recueil, puisque celui-ci s’ouvrait sur un identique « Good morning, daddy ! ». L’expression « Ain’t you heard ? » signale, une fois encore, le souci de la persona de vérifier la qualité du canal d’émission de son message, comme s’il s’agissait là finalement de l’essentiel pour être entendu…
56On voit donc que la thématique du rêve différé, loin d’être cantonnée à la série des poèmes boogie-woogie, est très diffuse dans le recueil. Ambivalent, puisqu’il est à la fois matérialiste et idéaliste, comme l’établit clairement un poème comme « Deferred », le rêve américain est toutefois largement assimilé à la réussite sociale.
57L’étude de ces quelques réseaux majeurs nous a permis de mettre en évidence le fonctionnement global de l’œuvre, en même temps que la structure particulière des poèmes. Montage est un recueil d’une grande originalité, car il ne se conçoit que dans une continuité, qui a moins à voir avec une stricte chronologie qu’avec le retour de cycles thématiques. Le poème est ouvert au sens où il appelle nécessairement sa suite, sa reprise. Cette structure fondamentalement polyphonique du recueil se retrouve à l’échelle du poème, qui fait alterner les voix de manière dynamique. L’influence du jazz se ressent tout particulièrement dans ces changements de voix, matérialisés par des italiques, mais aussi dans les sautes de ton qui leur sont liées et dans la préférence pour un mètre court, qui implique une lecture généralement rapide et intense.
58Si Montage marque le début d’une recherche poétique qui s’inspire des rythmes du be-bop, le recueil Ask Your Mama, sous-titré 12 Moods for Jazz, révèle un même souci de polyphonie que Montage, mais à l’intérieur d’une forme encore plus complexe, supposant une véritable mise en musique du poème. Hughes continue d’y entretenir une sorte de dialogue avec le jazz le plus contemporain, et particulièrement le free-jazz, au prix d’un démantèlement du vers encore plus radical que dans le précédent recueil. C’est cette mutation qu’il nous faut maintenant envisager, en mesurant le chemin accompli par Hughes en une dizaine d’années.
Notes de bas de page
1 Sur les origines du boogie-woogie, voir K. Gert zur Heide, Deep South Piano, Londres, Studio Vista, 1970, p. 10. Voir aussi G.-C. Balmir, Du chant au poème, essai de littérature…, ouvr. cité, p. 249 et C. Pirenne, Vocabulaire des musiques afro-américaines, ouvr. cité, p. 31. Pirenne précise : « Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer l’étymologie de ce terme. Il proviendrait soit d’Afrique de l’Ouest où, dans un dialecte du Sierra Leone, “bogi-bogi” signifie danser, soit d’une référence au bruit régulier que font les bogies des wagons en passant sur les jonctions des rails. Quelle que soit son origine, c’est en 1928 qu’il est mentionné pour la première fois. »
2 Voir S. C. Tracy, Langston Hughes and the Blues, ouvr. cité, p. 226. Sur la fonction des deux mains du pianiste de boogie-woogie, voir aussi J.-P. Levet, « Talkin’ That Talk » : le langage du blues et du jazz, Paris, Hatier, 1992, p. 40 et C. Pirenne, Vocabulaire des musiques afro-américaines, ouvr. cité, p. 32.
3 L. Hughes, D. Martin, et C. Roberts, The First Book of Jazz, 3e édition, New York, Franklin Watts, 1982, p. 27.
4 G. Mouëllic, Le jazz, une esthétique du xxe siècle, ouvr. cité, p. 79.
5 D. Villain, Le montage au cinéma, Paris, Éditions Cahiers du Cinéma, 1991, p. 27.
6 S. Eisenstein, Film Form, Essays in Film Theory, traduit du russe par J. Leyda, New York, Harvest Books, 1977 (1re édition 1949), p. 10.
7 F. R. Karl, Modern and Modernism : The Sovereignty of the Artist (1885-1925), New York, Atheneum, 1988, p. 382.
8 Pound fait du reste partie des poètes qui ont entretenu une correspondance avec Hughes. Sur les relations entre les deux hommes et leurs esthétiques, se reporter à A. Rampersad, The Life of Langston Hughes, t. 1, ouvr. cité, p. 237, et t. 2, p. 184-185 notamment. Pour une étude d’un poème « imagiste » de Hughes, « Subway Rush Hour », voir F. Sylvanise, L’idéologie des formes dans le parcours poétique de Langston Hughes, thèse de doctorat sous la direction de C. Grimal, université Paris X, 2003, p. 476-477. On peut ajouter que Hughes fut le traducteur de Federico García Lorca et qu’il fut adoubé par Vachel Lindsay et Carl Sandburg. Le modernisme ne lui était donc pas étranger. Cela étant, comme le note justement Rampersad, Hughes tourna dans un premier temps le dos à l’élitisme des Pound, Stevens ou encore Eliot avant de finalement embrasser des problématiques assez proches des leurs à la fin de sa carrière.
9 Le terme anglais cover, qui traduit le mot « reprise » dans son acception musicale, est d’ailleurs très intéressant, car il fait du morceau originel une sorte de palimpseste sur lequel on réécrit. Les reprises d’un morceau sont donc comparables à des films imprimés mais transparents, qui laisseraient toujours apparaître la trace du premier.
10 Voir O. Jemie, Langston Hughes : An Introduction to the Poetry, ouvr. cité, p. 74.
11 Le spiritual cité est adapté d’une traduction de Marguerite Yourcenar (vers 9 et 10 seulement).
12 On peut remarquer qu’il ne s’agit pas uniquement de chants chrétiens, puisque Mahomet côtoie le Christ dans le poème. Ce qui intéresse Hughes ici, c’est la spiritualité du chant au sens large.
13 À ce sujet, voir L. Hughes, The Big Sea, ouvr. cité, p. 20-21.
14 Le Père Sheldon Hale Bishop était le pasteur de la St. Phillip’s Episcopal Church de Harlem. Duse Mohammed Effendi était un leader pan-africaniste britannique du début du xxe siècle. Il participait à la revue The African Times and Orient Review, un périodique panafricain de tout premier plan à Londres. Rosa Artemius Horne et Father Divine étaient à la tête de mouvements évangéliques de Harlem. Le « Rabbi black » désigne sans doute A. Wentworth Matthews, le leader spirituel des juifs noirs de Harlem.
15 Ici encore, nous établissons une analogie entre langage musical et langage poétique. Dans les deux cas, le phrasé ne se réduit pas à la phrase. Voir R. de Candé, Dictionnaire de la musique, Paris, Seuil, 1997 (1re édition 1961), p. 200 et H. Meschonnic, Pour la poétique I, Paris, Gallimard, 1970, p. 177. Le premier définit le phrasé musical comme « mise en valeur des périodes, phrases et motifs du discours musical, par l’observation et la compréhension des indications de l’auteur et de la ponctuation naturelle. […] Pour bien “phraser”, il faut d’abord reconnaître la phrase, savoir où elle commence et où elle finit ». Meschonnic, pour sa part, voit dans le phrasé littéraire un « déroulement du texte comme rythme et prosodie, en tant qu’ils sont forme-sens, par-delà l’unité de la phrase ».
16 W. Carlos Williams, Selected Poems, New York, New Directions, 1985, p. 175.
17 Sur la question, voir entre autres J. B. Hess, « Les blue notes existent-elles ? », Les Cahiers du Jazz, 3, mars 1995, p. 3-11 ; G.-C. Balmir, Du chant au poème, essai de littérature…, ouvr. cité, p. 228-231 et R. Langel, Le jazz orphelin de l’Afrique, Paris, Payot & Rivages, 2001, p. 182. Voir aussi L. Hughes, D. Martin, et C. Roberts, The First Book of Jazz, ouvr. cité, p. 49. Le poète donne une définition succincte des blue notes : « These are glissando and slurred notes, somewhere between flat and natural, derived from the blues as sung, and sliding into intervals, between major and minor. Blue notes are impossible to notate exactly, but when written down on paper they are frequently indicated by the diminished third or seventh notes of the scale. »
18 J.-P. Levet (« Talkin’ That Talk » : le langage du blues et du jazz, ouvr. cité, p. 77) indique que le terme vient de la langue wolof, dans laquelle il signifie comprendre.
19 Hughes eut affaire personnellement à cette maison de disques, puisqu’elle acheta les droits de douze de ses blues, afin qu’ils soient mis en musique. À ce sujet, voir A. Rampersad, The Life of Langston Hughes, t. 2, ouvr. cité, p. 86.
20 Ibid., p. 291. Voici ce poème dans son intégralité : You delight / Or so it would seem, / At making mince-meat / Of my dream // If you keep on / Before you’re through / I’ll make mince-meat / Out of you.
21 Voir L. Hughes, The Ways of White Folks, ouvr. cité.
22 Voir Weary Blues with Langston Hughes, Charles Mingus and Leonard Feather, ouvr. cité. Conçue comme une longue suite de trente-huit minutes, l’œuvre ne contient pas de plages numérotées. La lecture de ce poème est donc intégrée à un ensemble plus vaste.
23 Ibid., p. 23. Il s’agit du premier poème publié de Hughes, qui fit beaucoup pour sa célébrité, celui aussi qui fut lu lors de ses obsèques.
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