Chapitre III
Le poème en représentation
p. 77-98
Texte intégral
Moi l’écriturier vorace et le cancre de la couvée je serais mort et enterré sans la transparence du signe
Jacques Dupin , Chansons troglodytes.
Au creux néant musicien…
Mallarmé , Poésies.
L’écrivain, de ses maux, dragons qu’il a
choyés, ou d’une allégresse, doit s’instituer, au texte, le spirituel histrion.
Mallarmé, Quant au Livre, Divagations.
1Les premiers poèmes de Mallarmé – antérieurs à l’expérience décisive d’« Hérodiade » et aux textes futurs qu’elle déterminera – s’organisent tous autour des motifs lisibles d’une fable invariable, qui met aux prises le poète et la création, autant dire le Poète face au réel et face à lui-même. Ils éclairent un acte et précipitent un destin : l’acte d’écrire, de créer dans l’éloignement nécessaire, le retrait médité de l’esprit par rapport aux choses présentes et aux sollicitations de l’immédiat – et le destin naturel qui en dépend, fait de tiraillements et de discontinuités, de frustrations et d’incomplétudes, au regard des aspirations qui dictent de s’élever, de s’arracher à la pesanteur du réel et à la monotonie de l’existence banale pour atteindre à la Beauté ou à la Pureté.
2Cette fable du poète et de la poésie s’articule sur des matériaux et des situations fortement structurés, qui ont connu, dans le champ du postromantisme récent, et notamment sous l’impulsion de Baudelaire, un net infléchissement de leur code symbolique dans le sens de la dimension métapoétique ou encore poético-critique. On est invité à y lire non tant les épisodes réitérés d’un drame individuel que les péripéties réflexives du poème dans son effectuation problématique, dans son affrontement continuel aux mécanismes de résistance qui caractérisent un ordre inflexible et normatif, par quoi l’univers communautaire – la société dans toute son autorité – assure sa valeur et sa pérennité1. Cet horizon de la banalité, qui écrase de son poids massif toute tentative d’essor et de libération, constitue le premier degré du réel, sa composante tangible. Il participe d’une représentation dramatisée du poète en lutte, que contrebalancent des projections idéales et sublimées. Mais l’équilibre est bientôt rompu, et le négatif l’emporte sur les visées naïves d’une poésie qui prétend rédimer en exhaussant : le soupçon rongeur contamine le foyer central d’une activité tenue jusque-là pour inaltérable, étant le lieu de la consolation et du salut. L’acte d’écrire, geste fondateur, se voit dès lors encerclé par ses leurres et ses simulacres : loin de promettre le rachat, il conspire à la défaite de l’idéal, à la ruine de l’espoir, par l’action d’une hantise qui révèle sa duplicité constitutive en éclairant le versant du malheur2.
3Le poème mallarméen, en cette première période de son élaboration, se fait allégorie. C’est là le mode baudelairien de l’écriture poétique, que de monnayer dans l’espace-temps du poème, le jeu tantôt resserré tantôt aéré d’une scénographie symbolique qui surimprime à l’intelligibilité première de la représentation une intelligibilité seconde, équation de fonctions et de valeurs où se noue en s’explicitant le drame de l’écriture3. Ce double mouvement du sens, qui va de la figuration à son interprétation, et de l’interprétation à l’intellection, reconduit au poème comme lieu immanent d’organisation rhéto-poétique : celui-ci parle de lui-même, c’est-à-dire qu’il se donne pour objet et origine de son propre discours. La dimension représentative ouvre ainsi sur un faire qui n’est autre qu’un dire. C’est pourquoi le poème de Mallarmé, qui pourrait sembler n’illustrer qu’un drame déjà fortement codé, nous entretient en fait du fonctionnement poétique saisi et défini dans un écart, une tension jamais relâchée, entre les pouvoirs et les limites d’une écriture indissociable de la relation conflictuelle qu’elle engage avec ce qui la nie. Par là, il dévoile son historicité, son mode d’énonciation et sa manière de signifier, dans le champ rigoureusement balisé d’une tradition lyrique dont les principes se voient contestés.
Le travail de la négation
4Étrange prérogative que celle du poète, qui possède le don de ne pas être, d’être absent toujours à l’être-là du monde, puisque c’est ailleurs qu’il entend fonder son règne et que c’est de l’ailleurs qu’il espère tirer toute sa souveraineté. L’Azur, le Rêve, la Mer, chez Mallarmé comme chez Baudelaire, sont les noms choisis pour dire cet élan, ce départ ou ce retour. À défaut de désigner le lieu ou même la destination de la parole poétique, ils en métaphorisent la puissance jaillissante, la capacité d’aération ou d’allégement, où se devine le mouvement de l’infini4. L’injonction « Fuir ! là-bas fuir ! » de « Brise marine » vaut par son aptitude à marquer l’exaltation d’un désir que tout contrarie. L’irréalisé de la forme infinitive accroît la valeur virtuelle de l’optation : il sous-entend, irrécusable, une formule constative qui a force de loi : « Rester ici ». C’est depuis cet ici et maintenant, signature du négatif, que s’élève le poème, construisant, sur la vacance totale du présent, l’hypothèse d’un séjour éclairé, et suscitant l’aperception irréelle du bonheur « d’être parmi l’écume inconnue et les cieux ». L’antagonisme du réel et de l’idéal ne se résorbe pas tout entier dans le cadre d’une thématisation codifiée ou d’une illustration statique ; il réfère bien plus à un socle de la parole poétique dont dépendent son rythme spécifique, sa visée critique et la validité même de son mouvement réflexif.
Relativité du réel et de l’idéal
5Car cet au-delà postulé par le poème est tout autant promesse qu’interdit, ouverture que clôture. Sa seule indication concourt de fait à redoubler l’angoisse de l’existence et entérine l’impossibilité pratique du désir. Le poème « Les fenêtres » témoigne de cette contradiction ou de ce retournement, par lequel les rêves d’idéal se renversent en leur contraire, neutralisant du même coup l’élan initial du désir, et invalidant l’essor même du dire poétique. Ce texte s’inscrit explicitement dans la poésie, il exhibe sa filiation, avoue ses dettes : « Anywhere out of the world », mais aussi la strophe des « Phares » consacrée à Rembrandt, scellent la transaction intertextuelle que Mallarmé passe ici avec Baudelaire, suggérant sans doute que, de l’un à l’autre, une continuité se manifeste, une transmission de signes et de valeurs se produit. Le poème – dont le titre est promesse de reflets et d’irisations – réverbère d’abord ce legs, qu’il entend bien faire fructifier, mais à sa manière. Et cette manière, seul le fonctionnement du discours poétique permet d’en reconfigurer la dynamique et l’extension – ce que le métadiscours tend souvent à ignorer. Ainsi lorsque Mallarmé présente, en le résumant succinctement, ce poème à Henri Cazalis, il s’en tient à la formule unique d’un impératif d’élévation, certes dicté par les circonstances épistolaires mêmes :
Ô mon Henri, abreuve-toi d’Idéal. Le bonheur d’ici-bas est ignoble – il faut avoir les mains bien calleuses pour le ramasser. Dire « Je suis heureux ! » c’est dire « Je suis un lâche » – et plus souvent « Je suis un niais ». Car il faut ne pas voir au-dessus de ce plafond de bonheur le ciel de l’Idéal, ou fermer les yeux exprès. J’ai fait sur ces idées un petit poème « Les fenêtres » je te l’envoie.5
6Faire provision d’Idéal suffirait donc, semble-t-il, à triompher des entraves du bonheur commun et illusoire, en vue d’un autre ciel caché sous le plafond. Voir consisterait en une percée des apparences d’ici-bas, en un dévoilement qui provoquerait miraculeusement la rupture des simulacres. Il est vrai que le poème engage une telle lecture, dans la mesure où il rend manifeste ce mouvement libérateur de la vision, ainsi que l’atteste l’abondance du champ lexical y afférent. L’épiphanie du « ciel de l’Idéal » est le produit d’un regard : ainsi, « quand le soir saigne parmi les tuiles », l’œil du « moribond sournois », « à l’horizon de lumière gorgé »
Voit des galères d’or, belles comme des cygnes,
Sur un fleuve de pourpre et de parfums dormir
En berçant l’éclair fauve et riche de leurs lignes
Dans un grand nonchaloir chargé de souvenir !
7De même, le poète révélé sous les habits du malade rêve sa transfiguration en une projection spéculaire qui vaut renaissance :
Je me mire et me vois ange ! et je meurs, et j’aime
– Que la vitre soit l’art, soit la mysticité –
À renaître, portant mon rêve en diadème,
Au ciel antérieur où fleurit la Beauté !
8Mais cette vision – loin de favoriser l’accès à un ailleurs dont elle pressent la possibilité et peut-être la proximité – se retourne en un pur jeu de reflets, illusion optique, trompe-l’œil. Si, comme le dit Paul Bénichou, « il s’agit […] du drame de l’Idéal, mais envisagé surtout à son autre pôle, celui de l’insurmontable dégoût inspiré par la vie réelle »6, tout dépend alors dans ce texte du point de vue, qui réactive la bipolarité réel/idéal en consacrant la faillite du rêve et en compromettant l’efficience de la vision. L’isotopie du reflet thématise cette réactivation en même temps qu’elle explicite la dynamique du texte. De fait, la structuration logique du discours matérialise un mouvement aux effets de symétrie trompeurs : le morphème « Ainsi », à valeur de pivot, semble introduire, à la charnière de la première et de la seconde partie du poème, une relation analogique qui superpose au profil du malade l’instance maintenant actualisée du « je ». Or, à y regarder de plus près, on s’avise qu’il n’en est rien : si le destin du « moribond » et celui du « je » ont quelques traits en commun, il reste qu’ils se distinguent très précisément par l’exercice de la vision et les effets qui en résultent. Le rapport comparant-comparé est rompu dès l’instant où le « je », au lieu de voir dans la transparence de la vitre la métaphore de la vie idéale ou du rêve (comme il advient, pour le « moribond », dans la strophe 5), se voit se voyant, en un autoportrait dédoublé et sublimé qui le reconduit à son obsession native : « la Beauté ». Le malade, « Las du triste hôpital », pouvait encore fuir l’horreur banale du réel en se réfugiant dans la nef brillante des souvenirs ; le « je » poète, quant à lui, ne fait qu’entrapercevoir un reflet fugitif, qui est l’anticipation d’une œuvre, la métaphore du poème lui-même, en puissance et en acte. D’où la seconde articulation logique du poème, au vers 33 : un « Mais » souligné d’un « hélas ! », qui vient sanctionner la vision auto-contemplative, nous dirions réflexive, qui enveloppe, avec le reflet du poète, le profil tremblé du poème. Chute inattendue, brusque baisse d’intensité qui affecte en ce lieu le discours et qui, après l’échappée glorieuse du rêve, annonce l’enregistrement des petits faits : « Ici-bas est maître. » Et cette domination écœurante s’immisce jusqu’en un lieu que l’on pouvait croire préservé, ce retrait dérobé aux assauts et aux injures du réel, que Mallarmé nomme, significativement, « cet abri sûr » : « Mais, hélas ! Ici-bas est maître : sa hantise / Vient m’écœurer parfois jusqu’en cet abri sûr. » Cet abri n’est autre que la vitre, assimilée à l’art et à la mysticité, et de ce fait même identifiée, par voie d’implication, au poème lui-même.
9Dans ces conditions, il est permis de lire la seconde partie de ce poème comme une deuxième allégorie, enchâssée dans la première (qui, comme on l’a vu, n’en est une que partiellement), aux termes de laquelle l’expérience de la vitre ressaisit deux signifiés emboîtés l’un dans l’autre : celui de la fuite, de l’évasion dans l’aire insoupçonnée de l’ailleurs, et celui de la création poétique, du poème quand, épris de pureté, il « tourne l’épaule à la vie ». Si bien que le motif de la « fenêtre », point d’ancrage d’une entreprise transfigurante, place en son centre l’enjeu même du poème mallarméen et la valeur de sa poétique : l’épreuve du seuil comme tentative de passage d’un ordre à l’autre (du réel à l’Idéal) et la réflexivité comme lieu poétique pur. La question que la seconde allégorie enveloppe et développe tout à la fois porte ainsi sur la capacité du poème à engager un processus de mort et de renaissance, une dialectique de la transsubstantiation et de l’épuration, par la vertu de laquelle le sujet – le « je » de l’énoncé – serait absorbé tout entier dans la figuration de la Beauté, dans le Rêve et le Chant, pour n’y plus revêtir que l’aspect transparent de l’ange et l’auréole de feu d’un diadème esthétique7. Mais à cette question, Mallarmé donne, pour le moment, une réponse négative.
10Le poème s’achève en effet sur un déni, qui sanctionne toute velléité d’élévation. Les deux derniers quatrains réitèrent la « hantise » de l’ici-bas et donnent lieu, du même coup, à une ultime interrogation. Si « le vomissement de la Bêtise » se répand jusqu’en cet espace resserré du poème – compromettant dès lors durablement sa validité onto-poétique – , c’est que manque l’élan nécessaire à la relève espérée, à ce dernier bond qui ferait de l’écriture et de son opération idéalisante une efficace voie de salut. Le doute exprimé par l’énonciateur s’étend à l’acte poétique lui-même, conçu comme un désastre ou une catastrophe, mais désastre ou catastrophe pleinement assumés, provoqués même par celui que vient tourmenter la lancinante platitude du réel :
Est-il moyen, ô Moi qui connais l’amertume,
D’enfoncer le cristal par le monstre insulté
Et de m’enfuir, avec mes deux ailes sans plume
– Au risque de tomber pendant l’éternité ?
11La rupture du cristal met un terme, hypothétiquement et idéalement, à l’action réfléchissante du miroir : elle suggère l’éclatement de tout reflet, l’atomisation de la figure d’ange entrevue dans les réverbérations gratifiantes de la vitre, et promet un au-delà du poème, un absolu sans nom, où l’élévation serait la chute. Ce dernier moment du texte, qui intensifie la rhétorique adversative introduite par le « Mais », s’articule sur une symbolique que sous-tend la postulation exaspérée d’une sortie de l’art, d’une échappée vers un ailleurs étranger aux régions mêmes de la poésie. Casser la vitre et passer au-delà, tel serait l’acte transgressif par excellence, susceptible d’arracher le « je » aux appétits « de l’homme à l’âme dure » –, mais telle serait, aussi bien, la perte définitive, la catastrophe consommée et la profondeur insolite de la mort. Car l’ange meurt et se disloque dans les bris du cristal : la transfiguration s’abolit dès lors que le poème se détourne de son propre miroir pour contempler dans l’abîme le lieu pur de son extinction. On ne sort pas impunément du cadre poétique.
12« Les fenêtres » nous instruisent ainsi sur le dispositif sémiotique du poème mallarméen : s’il est le tain lisse de la réflexivité totale, par laquelle le sujet se contemple en une organisation de signes qui consacrent sa transfiguration, il est aussi cette surface qui capte encore et toujours les reflets du dégoût, les crispations du négatif, les mimiques grotesques inspirées par la fétide cuisine d’ici-bas qui « force à [se] boucher le nez devant l’azur ». Le poème ne s’affranchit pas de ces assauts ; il se constitue au contraire du conflit qui oppose l’ici et l’ailleurs, le « je » et son image, l’écriture et le réel. L’au-delà du monde ne peut être appréhendé que dans une proximité maintenue avec ce monde-ci, ce théâtre dérisoire où s’agitent vainement des ombres « vautré[es] dans le bonheur ». Nul dépassement, nulle relève ne semble envisageable : le poème déploie un geste à double détente, qui inscrit d’abord l’élan exalté de l’ascension et souligne ensuite le mouvement appesanti de la chute. « Le pitre châtié » obéit à cette logique de la contrariété, où se devine, derrière les motifs transparents de la fable, la représentation du poème en acte, l’effectuation sans solution de ses figures et de son rythme. La dynamique transfigurante se heurte à la limite de ce qui est : la transaction figurative-figurale qu’elle annonce n’opère qu’à moitié, puisque c’est elle précisément qui est mise en cause par l’écriture poétique. Le châtiment du pitre, condamné d’avoir voulu quitter ses habits d’histrion pour aller vers les mirages de la vie, métaphorise, dans le pli savant de l’allégorie, le châtiment du poème lorsqu’il s’aveugle sur sa prétendue capacité à sauver l’existence banale, à lui conférer un supplément de sens ou de plénitude. Là où « Les fenêtres » semblaient retenir, délestée de toute attache avec le réel et ses objets, l’hypothèse d’un lieu hors poème, d’un inconnu qui eût été sans doute gage de libération absolue, « Le pitre châtié » propose une ouverture – une fenêtre trouée « dans le mur de toile » et donnant inversement sur la communauté des hommes. Mais dans un cas comme dans l’autre, un même interdit signale la limite à ne pas dépasser : ni le poète saltimbanque ni le poète angélique ne peuvent, sans risquer de disparaître définitivement, sortir du lieu propre qui leur est assigné. Et ce lieu n’est autre que l’espace de sémiose du poème, tréteaux noircis de « la suie ignoble des quinquets », scène circonscrite où se joue – c’est-à-dire se représente et s’actualise – la question centrale de la trans-figuration, du passage du réel à la figuration et réciproquement8. Cette relation problématique constitue sans nul doute le drame poétique de cette première période mallarméenne.
Le lieu vacant
13Nourri d’une tension insoluble, le poème se consacre à l’exploration d’un grand vide. Se dessinent en son sein les contours d’une absence, que la figuration convertit illusoirement en signes de présence. Ainsi, une même image – métaphore ou symbole – est apte à recevoir des signifiés antinomiques, neutralisés par leur seule co-occurrence. Tel est le cas de « l’Azur », dans le poème éponyme, qui proclame sa domination cruelle et implacable. Le vocable contient, par effet de citation, de reprise paraphrastique de l’ensemble de ses emplois dans la phraséologie romantique et la lexis baudelairienne, toutes les promesses virtuelles de l’ailleurs, il connote l’ouvert ou l’infini, la couleur inentamée de l’Idéal. Mallarmé choisit de renverser cette tendance ; il affecte à ce terme une valeur que la seule thématique conventionnelle de l’impuissance créatrice ne suffit pas à justifier. Si en effet l’azur se retourne en son contraire et refuse de se définir comme une aire accueillante et bénéfique, où l’esprit enfin démarré peut se mouvoir tout à son aise, c’est parce qu’il est précisément un lieu vacant, une présence-absence, une image qui comporte sa vertu d’illusion, de leurre. Le mot recouvre en fait une dualité qui maintient, en une sorte de tenaille qui ne relâche jamais sa pression, le même et son contraire, l’idéal et le réel. Car, à bien considérer l’usage que Mallarmé fait de ce mythème de la poésie moderne, on s’avise qu’il concentre à la fois les propriétés convenues de l’inspiration poétique (la région où fuir : « Où fuir ? », telle est la question que se pose l’énonciateur au vers 7) et les marques, tout aussi perceptibles, d’une interprétation novatrice, qui s’emploie à déclasser les valeurs intrinsèques de l’image poétique, à les détourner, et à les retourner. Tel est aussi le sens de la « sereine ironie » qui caractérise ce ciel de l’Idéal : non seulement il jette sous les yeux du « poëte impuissant » le spectacle d’une beauté inaccessible dont le rayonnement ne fait qu’agrandir un « désert stérile de Douleurs », mais de plus, et surtout, il matérialise dans le même temps la perspective de salut et la structure d’obstacle, l’ouverture et la limite infranchissable, l’objet du désir et l’interdit.
La transcendance interdite, fait observer à ce sujet Jean-Pierre Richard, y vient hanter, c’est-à-dire occuper négativement notre âme, paralyser nos moindres tentatives d’autonomie. La plénitude défendue y prend l’aspect d’un creux sensible qui finit par détruire de son impossible appel tout geste humain, toute solution terrestre.9
14« Transcendance interdite », « plénitude défendue »« impossible appel » : on le voit, la positivité est ici grevée d’un lourd déficit, la substance y est comme confisquée par l’acte d’une soustraction et profondément minée par l’exercice d’une négation. Mais positivité et négativité sont tenues ensemble, alignées sur un même axe au point de se confondre. L’azur est le mot qui contient cette bipolarité active, où le réel le dispute à l’illusoire, l’impossible au miracle – à cette réserve près qu’en l’occurrence, le réel occulte l’idéal, oblitère l’illusion. L’interdit est à ce point réaffirmé qu’il vide le terme de tout son contenu :
– Le Ciel est mort. – Vers toi, j’accours ! Donne, ô matière,
L’oubli de l’Idéal cruel et du Péché
À ce martyr qui vient partager la litière
Où le bétail heureux des hommes est couché […]
15Certes ce ciel défait est d’abord un ciel chrétien, dont l’évanouissement dit l’éclipse du divin, le reflux de toute transcendance. Mais c’est aussi du ciel de la poésie qu’il s’agit, en tant que celle-ci recouvre en l’occurrence l’entière extension de l’idéal. L’azur est mort – et l’azur triomphe : ces deux temps sont reliés par la locution adverbiale « En vain », qui appuie ici, d’une intonation résignée, un constat d’échec, tout se passant comme si l’assertion « Le Ciel est mort » n’était rien qu’une vue de l’esprit, une projection imaginaire naïve destinée à conjurer l’obsession tenace, et peut-être même la condition d’une résolution hypothétique qui trouve sa formulation dans le quatrain suivant, où le poète avoue ne plus posséder « l’art d’attifer la sanglotante idée » et préfère « Lugubrement bâiller vers un trépas obscur… »10.
16Or, il n’en est rien. L’azur est bien mort, vidé – à l’image de la « cervelle » du poète impuissant – et s’il revient, c’est seulement sur le mode spectral de la hantise. La poésie est dès lors livrée au désœuvrement, dont le poème retrace le procès. Le ciel ne contient plus les promesses d’assomption totale qu’un esprit encore enchanté pouvait lui prêter. Le rien l’habite, et ce rien n’est autre que la matière, cette seconde divinité à laquelle une prière est adressée, comme pour nettement suggérer qu’au sein même du concept d’azur un déplacement d’importance s’est produit, qui empêche l’avènement de la poésie en précipitant l’événement du poétique. Car le poème éclaire ce retournement qui constitue à proprement parler son contenu essentiel, c’est-à-dire aussi bien sa visée que sa signification : de même que l’azur est un mot privé de substance qui désigne un lieu vacant, une illusion pure, une image sans autre signifié que celui du néant, de même le poème se définit comme une entreprise chimérique, un acheminement impossible de la parole orientée vers une absence, vers un creux irrémédiable. C’est, manifestement, des conditions réelles de l’écriture poétique que « L’Azur » instruit son lecteur, et la hantise qui conclut le texte signe à la fois le triomphe d’une possession et le constat d’une dépossession. Habité, envoûté, le poète ne peut plus dire que ce même mot, comme mécaniquement répété : « L’Azur ! l’Azur ! l’Azur ! l’Azur. » L’achèvement du poème coïncide pour ainsi dire avec l’extinction de la parole : l’objet illusoire de la poésie – à savoir, la Poésie même – est repris en un écho qui pourrait être sans fin, mais l’écart n’est pas pour autant réduit entre cet objet et l’écriture. Bien au contraire, les mots martelés entérinent l’effacement, consacrent l’absence. Ainsi, si le poète se dit possédé, le poème quant à lui est dépossédé de son langage, puisque, aussi bien, il couronne l’impossibilité même de la poésie, qu’il désigne dès lors comme l’inlassable poursuite d’une obsession invaincue, objet insaisissable parce que résolument illusoire, à mi-chemin entre la croyance et le mythe.
Maintenant, qu’écrire ?
17Le poème en représentation déroule les épisodes visibles d’une dramaturgie allégorique qui révèle son envers pour peu à peu s’affranchir des règles mêmes de la représentation. S’il recourt en effet aux lieux communs d’une fable désormais classique, se plaçant du même coup sous le patronage tutélaire de l’inspiration baudelairienne, il porte au jour, en certaines de ces régions enclavées, l’historicité d’une écriture en dialogue avec ses modèles et en résonance intime avec ses chiffres et ses mobiles. C’est pourquoi les premiers poèmes de Mallarmé redistribuent des rôles, des emplois et des situations immédiatement assignables à un faisceau de significations prescrites, établissant comme un premier niveau de lecture où la réécriture scelle explicitement un lien de filiation et inscrit sans détour le poème dans la poésie désignée comme phénomène de transmission de signes et de valeurs, héritage et don11. Mais sous l’appareil symbolique codifié et le répertoire de ses figures transparentes, se noue le discours secret que le poème tient sur son propre procès, langage second enroulé dans la trame d’une histoire qui redit le drame du poète et de la poésie. Les structures de l’opposition, qui commandent la formation de couples antinomiques, tels que réel / idéal, au-delà / ici-bas, plénitude / impuissance, ressaisissent les termes d’une rupture et reflètent négativement l’acte d’écrire, sa virtualité, son suspens. Car c’est de l’affrontement entre les conditions réelles de sa production et les ambitions idéales qu’il se propose d’atteindre, que naît le poème : sa dynamique interne, d’où découle toute sa signifiance, en intègre le heurt continuel, la mesure conflictuelle.
18Dans ces conditions, le thème ou la fable de la poésie est l’illustration d’une crise dont le poème redéploie, selon son mouvement, les enjeux essentiellement scripturaux, la fonction poétique. Lorsque dans le premier volet de Symphonie littéraire, Mallarmé loue « la science mystérieuse du Verbe » de Gautier, « l’action de la rare poésie », il marque un temps d’arrêt et s’interroge :
Maintenant qu’écrire ? Qu’écrire, puisque je n’ai pas voulu l’ivresse, qui m’apparaît grossière et comme une injure à ma béatitude ? (Qu’on s’en souvienne, je ne jouis pas, mais je vis dans la beauté.) Je ne saurais même louer ma lecture salvatrice, bien qu’à la vérité un grand hymne sorte de cet aveu, que sans elle j’eusse été incapable de garder un instant l’harmonie surnaturelle où je m’attarde : et quel autre adjuvant terrestre, violemment, par le choc du contraste ou par une excitation étrangère, ne détruirait pas un ineffable équilibre par lequel je me perds en la divinité ? Donc je n’ai plus qu’à me taire – non que je me plaise dans une extase voisine de la passivité, mais parce que la voix humaine est ici une erreur –, comme le lac, sous l’immobile azur que ne tache pas même la blanche lune des matins d’été, se contente de refléter avec une muette admiration que troublerait brutalement un murmure de ravissement.12
19Certes, le suspens soudain de l’écriture est ici dicté par les circonstances d’une lecture et les limites mêmes d’un compte rendu d’impressions admiratives : le discours de l’éloge s’efface devant « la plus haute cime de sérénité où nous ravisse la beauté » (p. 282). Mais l’indicible de l’extase dissimule à peine une interrogation inapaisée, qui maintenant ressurgit. La question qui seule demeure, obsédante, est donc la suivante, toujours la même : « Maintenant qu’écrire ? » Elle ne s’applique pas nécessairement et exclusivement à un contenu dérobé, la Beauté même, exposée avec éclat par Gautier et de ce fait à jamais confisquée ; elle désigne un moment, le « maintenant » d’un commencement problématique, et circonscrit un acte dont elle suspend le geste, comme saisi dans la réflexion pure. De sorte qu’insensiblement, elle laisse affleurer un « qu’est-ce qu’écrire ? » abouché à un « comment écrire ? ». Tout l’édifice allégorique des premiers poèmes – publiés pour la plupart dans le Parnasse contemporain, et dont Mallarmé disait qu’ils avaient été conçus « comme autant d’intuitives révélations de [son] tempérament »13 – repose sur cette question. Comment passe-t-on de la représentation du poétique par lui-même, de la mise en abyme toujours modulée de la poésie dans le poème, à la réflexion du langage poétique tel qu’il se définit ou plutôt s’autodéfinit dans le projet d’une œuvre de beauté ?
La chose et l’effet
20Vers la fin de 1864, Mallarmé envisage « une poétique très nouvelle », qu’il résume ainsi :
[…] j’invente une langue qui doit nécessairement jaillir d’une poétique très nouvelle, que je pourrais définir en ces deux mots : Peindre, non la chose, mais l’effet qu’elle produit. Le vers ne doit donc pas, là, se composer de mots, mais d’intentions, et toutes les paroles s’effacer devant la sensation.14
21Comme l’indique Bertrand Marchal, cette poétique anticipe d’une part sur l’esthétique impressionniste, qui fait grand cas de la sensation, et prolonge d’autre part les propositions de Poe sur l’effet15. Elle écarte ce que Mallarmé nomme « la chose » au profit des vibrations qu’elle suscite, des impressions qu’elle éveille, des correspondances et des connotations qu’elle convoque. Mais de quelle chose s’agit-il au juste ? Le terme est flou : il peut désigner à la fois tout objet extérieur, tout phénomène de la nature et l’entière disposition du réel, c’est-à-dire l’étant tel qu’il s’impose, étrange, étranger aux schémas de la conscience et aux constructions de l’imaginaire. La chose serait dans ces conditions le non-langage, la présence muette : tout ce qui, par essence, se soustrait au règne du signe. Mais en tant qu’extériorité pure, la chose peut aussi condenser abstraitement les traits définitoires de toute entité dont la réalité dépend d’une description frontale et directe, objective. C’est, pour reprendre les mots de Wittgenstein, ce dont on peut parler, l’objectivable et l’objectivé : le langage en fixe la réalité, en raison d’une logique descriptiviste dont le processus de référenciation garantit pour ainsi dire la référentialité de l’objet envisagé. On conçoit que, dans le contexte du propos de Mallarmé, le terme renvoie, négativement, aux visées parallèles et aux entreprises conjointes des esthétiques naturaliste et parnassienne, dont la rhétorique référentialiste a été commentée et dénoncée par le poète16. Ainsi, loin de proposer un inventaire de phénomènes dont la nomenclature suffirait à attester la réalité, la chose témoigne davantage d’une posture, d’un point de vue. C’est donc la rectitude d’un regard et l’attitude d’un jugement qui créent au besoin l’objet, selon les exigences propres aux lois communicationnelles d’une société de locuteurs au sein de laquelle circulent des signifiés et des référents, et les valeurs différentielles qui résultent de leur ajustement, soit le sens (commun)17. C’est pourquoi, dans la phrase de Mallarmé, le terme d’« effet », qui fait écho autant que contrepoids à « chose », traduit le choix d’un point de vue opposé : celui de l’intériorité, de la réponse subjective aux manifestations et aux événements du réel.
22L’année 1864 marque ainsi le commencement d’une entreprise sans pareille qui porte le nom d’« Hérodiade », poème dont l’élaboration est ouvertement rapportée à la problématique de l’effet. Signe que la poétique s’intériorise, mettant à distance les artifices de la représentation, les procédés de la description, bref tout ce qui peut encore donner l’illusion de la présence de la chose dans son être-chose. Le poème tourne le dos, semble-t-il, aux sirènes du réel pour s’aventurer sur un terrain d’exploration encore vierge, lieu infrayé où, dans une tension extrême, le créateur envisage sa création et s’envisage lui-même par les moyens de sa création : « Devant le papier, l’artiste se fait »18, écrit Mallarmé. Formule de l’auto-contemplation active du poète face au poème en train de se faire, mais aussi bien, augure d’une indissociabilité de principe du poète et de son œuvre. Mallarmé inverse les rapports : le sujet n’est pas donné en amont du poème, à la manière d’une entité close, constituée, renfermant le trésor des ressources qui vont bientôt s’ordonner dans le texte. La rhétorique de l’expression et les mécanismes préformés de mise en ordre verbale sont ici révoqués au profit d’une poétique du sujet par laquelle l’individu empirique accède au statut de sujet de l’écriture. Ce renversement, qui coupe court à tout lyrisme naïf, sous-tend l’efficacité même de l’effet dans la mesure où se substitue à l’énonciation d’un contenu – idée ou chose – un composé d’intentions et de sensations qui forment le sens même du poème. Ce composé ne peut en aucune manière être désolidarisé du texte, de son rythme spécifique comme de ses structures élémentaires, puisque c’est là son unique matériau, le contenu d’énergie et de puissance que le poème confie au lecteur dans l’expérience de la lecture en vue de sa totale intelligibilité.
23Mais « peindre, non la chose, mais l’effet qu’elle produit », cela implique une double peinture en vérité : une première, initiale, en quoi consiste précisément le « faire » du poème, la poétique du texte, et une seconde, symétrique de la première et idéalement identique, qui est l’impression, l’empreinte que la lecture du texte laisse telle une vibration continue dans l’esprit du lecteur. Non pas l’image de la chose, mais l’image d’une image. L’effet est aussi affaire de lecture, ce dont Mallarmé ne laisse pas de se soucier, comme l’atteste, notamment, le commentaire de « L’Azur » qu’il envoie à Cazalis. Il réaffirme d’abord un credo tout entier démarqué de la Philosophy of composition d’Edgar Poe, et dont le premier bénéfice consiste à opposer aux élans désordonnés de l’inspiration lyrique, qui laisse le poème « se former au hasard en constellations imprévues » (p. 161), la rigueur d’une composition lucide et maîtrisée :
Je te jure qu’il n’y a pas un mot qui ne m’ait coûté plusieurs heures de recherche, et que le premier mot, qui revêt la première idée, outre qu’il tend par lui-même à l’effet général du poème, sert encore à préparer le dernier. L’effet produit, sans une dissonance, sans une fioriture, même adorable, qui distraie, – voilà ce que je cherche. (p. 160-161)
24L’analyse du poème qu’il développe dans la suite de la lettre entérine ce dogme absolutiste de l’effet et démontre qu’en l’occurrence tout repose sur l’art d’agencer subtilement les matériaux du poème et de « combiner, dans une juste harmonie, l’élément dramatique, hostile à l’idée de Poésie pure et subjective, avec la sérénité et le calme de lignes nécessaires à la Beauté » (p. 162). Le poème s’apparente ainsi à un mécanisme concerté, une horlogerie se suffisant à elle-même, et dont les rouages ont été soigneusement préparés : il se constitue en effet d’intentions, c’est-à-dire de choix et de décisions, qui gouvernent son allure autant que sa tournure. Cette intentionnalité ne repose cependant sur aucun fondement psychologique référable à quelque sujet empirique que ce soit : elle est celle du poème et du poète tel qu’il se fait dans le poème. Aussi participe-t-elle de son pouvoir de suggestion, de ses stratégies de guidage et d’orientation du lecteur, invité ipso facto à coopérer à l’expérience poétique telle qu’elle se réalise au plan de la lecture. Mais nous reviendrons plus longuement sur cette question de la suggestion dans le chapitre iii.
25Retenons pour le moment que l’effet est le produit d’une écriture qui cherche à provoquer l’impression de la beauté, à en offrir la réverbération mobile et comme ondulatoire, à en projeter enfin le reflet aveuglant et fascinant. Il est significatif que, dans le métadiscours théorique de Mallarmé, le concept d’effet recouvre l’opération poétique même, à savoir le poème saisi dans le procès de sa réalisation verbale. L’effet est donc effectuation de la parole, dès lors que celle-ci décide de se tourner vers la musique absolue de la beauté, qui est ensemble de rapports, tissu de résonances et de correspondances. Évoquant le travail minutieux d’« Hérodiade », Mallarmé confie à Cazalis :
J’ai, du reste, là, trouvé une façon intime et singulière de peindre et de noter les impressions très fugitives. Ajoute, pour plus de terreur, que toutes ces impressions se suivent comme dans une symphonie, et que je suis souvent des journées entières, à me demander si celle-ci peut accompagner celle-là, quelle est leur parenté et leur effet… Tu juges que je fais peu de vers en une semaine.19
26Si le poème est une « symphonie », l’effet n’est rien d’autre que la poursuite des accords, la recherche obstinée des harmoniques, et des consonances. Il donne une image qui n’est pas une figuration – une (re)production figurative de la « chose » –, mais une configuration de l’écriture comme réalisation du beau, réseau sonore, associations d’empreintes et de timbres. La poétique de l’effet conduit Mallarmé à renoncer à la représentation symbolique-allégorique, à la fable du poète en lutte avec l’ennemi, et l’incite à envisager le poème comme une opération esthétique, articulant, dans l’éloignement toujours plus reculé du réel, le versant de la beauté et celui de la sensation.
La matière et le rêve
27Mais l’approche du beau procède d’une épreuve décisive, qui ébranle l’entier édifice du Sens dans ses fondations théologiques et anthropologiques. Elle est porteuse d’une crise, qui est à la fois une négation et un suspens. « Hérodiade », dans les vicissitudes de son élaboration, retrace les étapes qui vouent l’écriture à la dépression, au creux, à l’abîme : plus le poème progresse dans son effectuation verbale et l’aperception lucide de ses fins, plus s’accusent la conscience du rien et la profondeur du vide qui le hante. L’impossible se révèle dans l’entrevision délicieuse de « vraies splendeurs »20 : le poème, comme projet et projection de l’œuvre future, est de fait l’occasion d’un rêve, la surface réfléchissante d’un idéal de beauté dont l’effet résulte de l’ajustement graduel de l’idée, de l’agencement continué des intentions. Aussi Mallarmé peut-il déclarer à Cazalis :
J’ai écrit l’ouverture musicale, presqu’encore à l’état d’ébauche, mais je puis dire sans présomption qu’elle sera d’un effet inouï, et que la scène dramatique que tu connais n’est auprès de ces vers que ce qu’est une vulgaire image d’Épinal comparée à une toile de Léonard de Vinci. Il me faudra trois ou quatre hivers encore, pour achever cette œuvre, mais j’aurai enfin fait ce que je rêve être un Poème, – digne de Poe et que les siens ne surpasseront pas. (p. 297)
28L’« effet inouï » est la somme d’une adéquation et peut-être la résultante d’une équation dont le travail « acharné » de la forme s’efforce de précipiter l’avènement ; il ressortit à la conjonction rêvée, parce que miraculeuse et de ce fait toujours différée, du poème idéal et du poème réel. Le « ciel antérieur où fleurit la beauté » n’est rien que le plan abstrait d’une composition, « ce que je rêve être un Poème », dit Mallarmé, c’est-à-dire une vision du poème conçu comme une forme pure et nécessaire. Et l’écriture du poème réel se résume au différentiel qui tient à distance en les faisant se mirer l’une l’autre, l’idée et la réalisation. L’idéal a donc migré : il a quitté les sphères préservées d’un lieu inaccessible – l’Azur de la figuration allégorique –, pour gagner l’aire redéfinie du poétique, où il installe sa hantise en un jeu affolant de reflets et de rythmes.
29C’est pourquoi le vers, matériau actif plus que support inerte, circonscrit le champ d’une pratique qui affranchit le sujet créateur de ses dernières illusions, l’entraînant à un travail de « creusement », qui aussi bien correspond, symboliquement, à l’inhumation de l’idéal, à sa liquidation définitive. Le vers creuse une tombe – un « abîme », dit Mallarmé – , du fond de laquelle surgit une révélation. Tel est le réel du poème, que d’ouvrir au rien, à la béance sans réponse : la lettre du 28 avril 1866, adressée à Cazalis, fait état de cette expérience de la désappropriation douloureuse qui rapporte la découverte du Néant – invention résolument poétique, et intellectuelle – aux souffrances physiques du corps.
Malheureusement, écrit Mallarmé, en creusant le vers à ce point, j’ai rencontré deux abîmes, qui me désespèrent. L’un est le Néant, auquel je suis arrivé sans connaître le Bouddhisme […]. L’autre vide que j’ai trouvé, est celui de ma poitrine. Je ne vais vraiment pas bien, et ne puis respirer longuement ni avec la volupté du bien-être. (p. 297-298)
30L’invasion du néant contamine la conscience, entrave le corps et plus particulièrement la respiration, le souffle. Il y a de fait obturation d’un espace, d’un interstice jusque-là maintenu, par lequel pouvait encore filtrer la lumière bénéfique de l’idéal, le rayon d’une extériorité renvoyée à l’horizon d’un ailleurs – voie de salut de la parole poétique dès lors ivre de projeter son souffle vers cet au-delà mythique, d’où elle tirait inspiration, énergie, exaltation. L’approfondissement du vers coupe la respiration ; il laisse affleurer à la surface du poème comme aux rives de la conscience l’évidence première de la matière.
Oui, je le sais, confesse Mallarmé à son épistolier, nous ne sommes que de vaines formes de la matière, – mais assez sublimes pour avoir inventé Dieu et notre âme. Si sublimes, mon ami ! que je veux me donner le spectacle de la matière ayant conscience d’elle, et, cependant, s’élançant forcénement dans le Rêve qu’elle sait n’être pas, chantant l’Âme et toutes les divines impressions pareilles qui se sont amassées en nous depuis les premiers âges, et proclamant devant le Rien qui est la vérité, ces glorieux mensonges ! (p. 297-298)
31Il y a lieu, toutefois, de s’interroger sur cette matière surgie à la faveur d’une recherche persévérante engagée dans le sens de la beauté et poursuivie, inlassable, dans l’opération poétique ramenée à ses dimensions concrètes, immanentes. Bertrand Marchal date du séjour de Mallarmé à Cannes au printemps 1866, auprès de Lefébure, la révélation capitale du règne exclusif de la matière. Tout à coup, les yeux du poète, encore aveuglés par les éclats durcis du vers d’« Hérodiade », se dessillent, sa conscience s’aère, l’univers naturel lui paraît digne de fonder, et de justifier, un séjour terrestre. Invité à découvrir « un paysage métaphysique »21, Mallarmé voit le monde pour ce qu’il est, il prend la mesure d’un lieu qui rassemble l’étant en son théâtre immanent, offert à la contemplation, soumis à l’acceptation du réel – expérience qui, notons-le, rend caduques toutes les projections de l’ailleurs, les mirages de l’au-delà, les rêves de la patrie idéale. « Lefébure m’a levé le rideau qui me voilait à jamais le décor de Nice, note-t-il dans le post-scriptum de la lettre à Cazalis, et je me suis follement enivré de la Méditerranée. Ah ! mon ami, que ce ciel terrestre est divin ! »22 Il s’agit en effet d’un véritable dévoilement, par lequel la perspective coutumière s’inverse et donne prise, en son point de fuite nouvellement éclairci, à la perception des choses immédiates. Comme le dit Bertrand Marchal,
S’il y a donc une révélation cannoise, il faut moins la chercher dans l’apprentissage intellectuel de quelque doctrine jusque-là méconnue, que dans une forme d’expérience sensible immédiate de la nature […] Le séjour méditerranéen constitue bien, pour le poète de Tournon, un lever de rideau sur la féerie du paysage, mais ce lever de rideau par la grâce du magicien Lefébure lui découvre aussi pour la première fois la nature comme le seul théâtre où se jouent désormais son destin, et le destin de l’homme.23
32Le « matérialisme » mallarméen s’enracine ainsi dans l’expérience des choses et l’ivresse d’un réel dès lors racheté, réévalué et replacé au premier plan – position et valeur que l’idéalisme métaphysique lui dénie : le lieu terrestre ne s’oppose plus à un empire supérieur, qui en serait comme la raison et le dépassement. Il est le seul terrain d’accomplissement de l’homme en quête de sens et l’espace nouvellement disponible du poète en attente de beauté. Le réel est aussi ce par quoi le spirituel advient, dans une relation non plus hiérarchisée, étagée en repères dichotomiques, mais dialectisée, enroulée et déroulée selon le rythme du discours et le mouvement de la pensée24.
33Cette « révélation », qui invalide les illusions métaphysiques de Mallarmé, on le voit, intéresse pleinement la poétique, dans la mesure où elle dicte au poème, aux mécanismes de production de l’effet et au procès réel de l’effectuation verbale, de nouvelles exigences et de nouveaux devoirs. Car la matière promue au rang d’objet de la conscience et de l’écriture est aussi la matière poétique par opposition à la matière lyrique, ensemble de procédés, de postures et d’accents qui consacrent la prééminence du rêve sur le réel. Mallarmé y insiste : le poème est l’acte assumé, c’est-à-dire la décision et la réalisation délibérées d’un « Glorieux Mensonge »25. Il dit l’irréel dans le réel, le mouvement de l’esprit dans l’inertie de la matière, l’essor du sens dans le creux du non-sens et du néant. Feinte ou paradoxe, il se constitue d’une tension qui affronte la mémoire spirituelle de l’homme – « toutes les divines impressions pareilles qui se sont amassées en nous depuis les premiers âges » (p. 298) – et la limite infranchissable de l’univers matériel. Le poème maintient l’horizon spirituel, affiche l’éclat de la divinité, que menace toujours de disperser le progrès du Rien. Au néant de tout, il oppose un autre néant, celui du Rêve, disposition anthropologique que le vide de la matière nie puissamment sans pouvoir jamais la résorber. Consciente d’elle-même, avertie de son irrémédiable insuffisance et de son artifice trompeur, la poésie est l’impossible par excellence : elle se refuse à valider la légitimité du Rien, qui est la vérité, et elle renonce à louer aveuglément le Rêve, qui est le vide de l’âme, l’absence même. Du jeu de ces refus, de leur ajustement et de leur conflit, naît le poème et se radicalise la crise de la poésie.
34Il faut revenir encore au vers « creusé », à cette profondeur insoupçonnée soudain aperçue et dont le vertige se renverse, comme pour les étouffer, dans la conscience et le corps du poète. Celui-ci avoue en « être encore trop désolé pour pouvoir croire même à [sa] poésie et [se] remettre au travail » (p. 297). Le creusement a pour effet d’immobiliser la poésie, de la neutraliser, en lui refusant le Rêve, avec quoi jusque-là elle se confondait comme par une adéquation de nature. L’abîme qui gît dans le vers, nous dit le texte de Mallarmé, est le contraire du rêve : c’est la matière, le néant, le rien, autant d’absolus négatifs auxquels s’identifie le poème comme matérialité de l’écriture, réflexion lucide du matériau poétique, affinement du corps langagier redéployé en nervures et en réseaux. C’est, pour reprendre les mots du poète, le « spectacle de la matière, ayant conscience d’elle-même » (p. 298). Structure réfléchissante et dispositif réflexif, le poème mallarméen assure grâce au discours poétique régénéré par ses ressources intrinsèques, le prolongement de l’univers matériel rassemblé en ses effets, expliqué en sa beauté. La réflexivité engage ainsi une spécularité qui associe, dans une même instrumentation, la matière et l’esprit – conjonction que traduisent, semble-t-il, la poétique de l’effet et ses implications intentionnelles, à commencer par le travail de subjectivation que suppose l’approfondissement du vers.
35La profession de foi « matérialiste » de Mallarmé pouvait le conduire au silence définitif, à l’abandon, au renoncement, et faire de la « victime éternelle du Découragement » l’incurable désespéré. Or il n’en est rien. Si le poète affirme désormais vouloir chanter en désespéré, il reconnaît toutefois que le poème est un chant en pleine conscience, qui récite, en les recombinant, les motifs d’un insoluble conflit, celui qui met aux prises la matière du monde et le Rêve, la matérialité du vers et le rythme ordonnateur de l’esprit. On comprend dès lors que la Beauté soit le contenu du poème, sa visée et son propos, puisque c’est elle qui condense, par échappées et fulgurances, les crêtes saillantes de cette lutte incessante que mène le langage contre l’obstacle muet de la matière. Le beau, c’est donc la logique du poème appliqué à rendre compte de la réalité du poétique. « Il n’y a que la Beauté, écrit Mallarmé ; – et elle n’a qu’une expression parfaite, la Poésie. Tout le reste, est mensonge. » (p. 344)
36Les années 1866 et 1867 voient ainsi se former une esthétique mallarméenne qui ne doit plus rien à l’héritage baudelairien et qui refuse tout tribut à l’endroit du beau parnassien. L’orientation est autre, radicale : elle vise la vérité même de la poésie – un peu comme il est dit que le Rien est la vérité de l’univers –, approchée dans ses « altitudes lucides » :
[…] je te dirai que je suis depuis un mois dans les plus purs glaciers de l’Esthétique – qu’après avoir trouvé le Néant, j’ai trouvé le Beau, – et que tu peux t’imaginer dans quelles altitudes lucides je m’aventure. Il en sortira un cher poème auquel je travaille, et cet hiver (ou un autre) Hérodiade, où je m’étais mis tout entier sans le savoir, d’où mes doutes et mes malaises, et dont j’ai enfin trouvé le fin mot… (p. 310)
37Le beau sort du néant : tout indique qu’il s’agit en vérité des deux facettes d’une même réalité. Le vide du vers, une fois compris comme substrat et matériau de la création, devient « instrument spirituel » : il participe dès lors d’un de ces « points de rencontre de merveilleuses dentelles » (p. 316), tissage de rapports et de résonances dont l’architecture immanente au poème réfléchit l’organisation de l’esprit face à l’univers naturel, ce Rien. « Les choses existent, nous n’avons pas à les créer : nous n’avons qu’à en saisir les rapports ; et ce sont les fils de ces rapports qui forment les vers et les orchestres. »26 Le terme de « rapports » est manifestement polysémique : il désigne l’ensemble des liens invisibles et tacites qu’entretiennent les choses entre elles comme autant de correspondances celées, mais il renvoie aussi aux relations que le sujet noue avec le monde, et dont l’effet offre la preuve, l’attestation sensible et intelligible. Tout concourt ainsi à l’invention de réseaux multiples, de liaisons et de croisements, susceptibles d’éclairer la syntaxe des choses – l’harmonie de l’univers – comme le rythme même du vers, ses combinaisons miroitantes et ses échos médités. Car la structure du monde matériel et la structure du poème se reflètent en une même symétrie, en un même pli. Le réel que désormais poursuivra le poème mallarméen n’est autre que ce pli, cette articulation qui ressortit pleinement au « creusement » du vers. Si, « dans le poème, les mots […] se reflètent les uns sur les autres jusqu’à paraître ne plus avoir leur couleur propre, mais n’être que les transitions d’une gamme »27, c’est qu’ils sont le lieu d’apparition de « la Beauté, ayant par la science de l’homme, retrouvé dans l’Univers entier ses phases corrélatives » (p. 349). Ni entrevision d’un ailleurs, ni promesse d’un au-delà, le poème se donne dans sa représentation propre.
Notes de bas de page
1 Dans son essai, Charles Baudelaire, un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, Walter Benjamin a bien montré que la « correspondance », pierre d’angle du système baudelairien et opérateur d’effraction susceptible d’ouvrir brèches et issues dans le champ immanent du réel, articule en les opposant l’historique et l’antéhistorique : « Les “correspondances” sont les données de la remémoration. Non les données de l’histoire, mais celles de la préhistoire. » (p. 191) Lorsqu’elles échappent au « domaine cultuel » qui leur est propre, elles se présentent alors comme le « beau ». « Dans le beau, note Benjamin, la valeur de culte se manifeste comme valeur d’art. » (p. 190) Ce transfert favorise le passage du préhistorique à l’historique, de l’idéal au réel : la remémoration prend la voie de l’effectuation du beau dans le poème ; elle s’inscrit au cœur du dispositif allégorique, dont elle est « la figure clé » (p. 250), afin d’allégoriser le geste poétique lui-même comme « schéma de métamorphose de la marchandise en objet » (p. 250). Sur cette allégorisation continue du poème par lui-même, voir l’étude de M. Deguy, « L’infini et sa diction », L’Impair, p. 123-133.
2 Dans Fusées, Baudelaire écrit : « J’ai trouvé la définition du Beau, – de mon Beau. C’est quelque chose d’ardent et de triste, quelque chose d’un peu vague, laissant carrière à la conjecture. » Cette définition contient « des ambitions ténébreusement refoulées, – l’idée d’une puissance grondante, et sans emploi, – quelquefois l’idée d’une insensibilité vengeresse, […] quelquefois aussi […] le mystère, et enfin […] le Malheur. Je ne prétends pas que la Joie ne puisse s’associer avec la Beauté, mais je dis que la Joie [en] est un des ornements les plus vulgaires ; – tandis que la Mélancolie en est pour ainsi dire l’illustre compagne, à ce point que je ne conçois guère […] un type de Beauté où il n’y ait du Malheur. » Fusées, X, Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard (La Pléiade), 1975, p. 657-658. La parole poétique, qui entrevoit et parfois convoque la patrie oubliée, la « vie antérieure », est aussi gouffre et abîme. « C’est là le fond de la parole, écrit Blanchot dans La Part du feu, le mouvement à partir duquel celle-ci peut vraiment parler. »
3 Voir P. Labarthe, Baudelaire et la tradition de l’allégorie, Genève, Droz, 1999.
4 « C’est, du reste, comme l’écrit Baudelaire, le caractère de la vraie poésie d’avoir le flot régulier, comme les grands fleuves qui s’approchent de la mer, leur mort et leur infini, et d’éviter la précipitation et la saccade. La poésie lyrique s’élance, mais toujours d’un mouvement élastique et ondulé. »« Théophile Gautier », Œuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard (La Pléiade), 1976, p. 126.
5 Lettre du 3 juin 1863 à Cazalis, Correspondance. Lettres sur la poésie, p. 144.
6 P. Bénichou, Selon Mallarmé, p. 69.
7 Dans l’analyse qu’il propose de ce poème, Paul Bénichou voit en ce processus la résurgence d’un schéma chrétien, dont la portée sotériologique est cependant entravée : « On reconnaît dans cette odyssée intérieure un modèle chrétien : vie du monde reniée, désir d’un autre monde, bénédiction, mort terrestre, renaissance glorieuse au ciel ; mais Dieu manque dans ce voyage, dont il était, dans la tradition, le guide et le but », ibid., p. 72.
8 « Le pitre mallarméen, observe Jean Starobinski, découvre qu’il a trahi sa “Muse” – la poésie – en cherchant à vivre une résurrection extatique ; le génie est inséparable du fard. La conscience qu’en prend le pitre est sa punition. […] Selon ce poème hautement allégorique, l’artiste, à la fois exclu de la vie et séparé de l’idéal, doit rester le prisonnier d’un espace clos : histrion, ou mauvais Hamlet, il ne doit pas quitter les tréteaux, l’univers factice où la suie des quinquets sert à représenter la plume ornant la joue de l’acteur. Le sacrilège est de vouloir abandonner le lieu de la figuration métaphorique (à la fois parodique dans ses moyens et grave dans ses effets) pour conquérir les satisfactions de la vie. » Portrait de l’artiste en saltimbanque, p. 38-39. En partie cité par Bertrand Marchal dans Mallarmé, Œuvres complètes, t. I, p. 1151.
9 J.-P. Richard, L’Univers imaginaire de Mallarmé, p. 56.
10 Dans le commentaire qu’il donne de ce poème, Mallarmé semble accréditer une telle hypothèse de lecture : il évoque ainsi cette « exclamation grotesque, d’écolier délivré. Le ciel est mort ! Et, de suite, poursuit-il, muni de cette admirable certitude, j’implore la Matière. Voilà bien la joie de l’Impuissant. Las du mal qui me ronge, je veux goûter au bonheur commun de la foule, et attendre patiemment la mort obscure… Je dis : Je veux ! Mais l’ennemi est un spectre, le ciel mort revient, et je l’entends qui chante dans les cloches bleues. » Lettre du début janvier 1864 à Cazalis, Correspondance, p. 162.
11 « Le poème est testament (Villon) ; il lègue, fait passer, descellé de son vivant. Un poème est un tombeau (Mallarmé) ; il répond, testataire, légataire, au poème testament. Les deux sont pour “moi”, lecteur, tiers qu’ils incluent depuis leur fondation. Protension testamentaire ; rétension de l’hoir qui accepte le don ; intention liseuse : les trois fils nouent la chaîne. » M. Deguy, Donnant Donnant, p. 69.
12 « Symphonie littéraire » (L’Artiste, 1er février 1865), Œuvres complètes, t. II, p. 282.
13 Mallarmé, Correspondance, p. 304.
14 Lettre du 30 octobre 1864 à Cazalis, ibid., p. 206.
15 Voir J. Lawler, Edgar Poe et les poètes français, Conférences, essais et leçons du Collège de France, Paris, Julliard, 1989, et notamment p. 32-46.
16 À propos du naturalisme et de ses naïvetés, Mallarmé fait observer : « L’enfantillage de la littérature jusqu’ici a été de croire, par exemple, que choisir un certain nombre de pierres précieuses et en mettre les noms sur le papier, même très bien, c’était faire des pierres précieuses. Eh bien, non ! » ; quant aux parnassiens, ils n’échappent pas non plus à la critique : « les parnassiens […] traitent encore leurs sujets à la façon des vieux rhéteurs, en présentant les objets directement. Je pense qu’il faut, au contraire, qu’il n’y ait qu’allusion. » Propos recueillis par Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire [1891], p. 105 et p. 103.
17 Mais la chose se tient toujours « en arrière de nous-mêmes et de notre surface », comme le dit Heidegger : « La question : Qu’est-ce qu’une chose ? est la question : Qui est l’homme ? Cela ne signifie pas que les choses se ramènent à un produit humain, mais cela veut dire au contraire : il faut comprendre l’homme comme celui qui depuis toujours saute par-dessus les choses, mais de telle sorte que ce saut n’est possible qu’en tant que les choses s’offrent et ainsi restent précisément elles-mêmes – en tant qu’elles nous renvoient nous-mêmes en arrière de nous-mêmes et de notre surface. » M. Heidegger, Qu’est-ce qu’une chose ?, p. 249-250.
18 Mallarmé, Correspondance, p. 227.
19 Lettre du début de 1865 à Cazalis, ibid., p. 220.
20 Lettre du 28 avril 1866 à Cazalis, ibid., p. 297.
21 B. Marchal, La Religion de Mallarmé, p. 60.
22 Correspondance, p. 300.
23 B. Marchal, La Religion de Mallarmé, p. 61-62.
24 Où l’on reconnaît la disposition conceptuelle de la doctrine hégélienne. Sur ce point, voir P.-O. Walzer, Essai sur Stéphane Mallarmé, p. 141-144. Et J.-L. Steinmetz, Stéphane Mallarmé. L’absolu au jour le jour, p. 111 : « Les formulations de Mallarmé à propos du Néant et de l’Être résultaient […] d’une connaissance de l’œuvre du philosophe d’Iéna. […] Convaincu par Lefébure, conseillé par Villiers, Mallarmé, pour compléter les profondes intuitions de Poe, s’est très certainement appliqué à parcourir certaines pages sur la logique et l’esthétique. On aurait tort cependant d’assujettir à la philosophie une œuvre si solitaire, comme il serait maladroit de sous-estimer une telle rencontre. »
25 Mallarmé, Correspondance, p. 298.
26 Entretien avec J. Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, p. 106.
27 Mallarmé, Correspondance, p. 329.
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