2. Entretien avec Georges Straka (1910-1993)
p. 65-81
Texte intégral
De Prague à Paris, parcours d’un romaniste tchèque, phonéticien de surcroît : défense et illustration de la linguistique à Strasbourg
1Dans l’époque qui nous occupe, Georges Straka est un personnage éminent. D’origine tchèque, il est de ces étrangers qui se sont installés en France parce qu’ils avaient épousé une Française ; ou qui ont épousé une Française parce qu’ils se sentaient bien en France. Comme on voudra. Un solide accent tchèque, massif, pénétré de ses responsabilités universitaires, courtois, scrupuleux pour l’exactitude de ses souvenirs, assurément, il représente bien cette puissante université de Strasbourg, solidement établie à la frontière allemande et dans la tradition française à l’allemande ; qui prend la science au sérieux et respecte les hommes de science.
Années de formation. L’Université et le cercle de Prague
2Il a fait ses études à Prague. Dans les années 1930, il se forme en philologie romane et en phonétique, générale et expérimentale. Le devenu prestigieux Cercle linguistique de Prague, déjà célèbre à l’époque, devrait le fasciner. C’est ce qu’il nous semble aujourd’hui. Mais les conduites sociales d’un moment déterminé sont très différentes de ce qu’on imagine aujourd’hui. Un étudiant, comme le jeune Georges Straka, suit les voies de sa spécialité, en l’espèce, la romanistique (inscrit en slavistique, il aurait peut-être eu une conduite différente, mais pas forcément enthousiaste, comme on va le voir), se situe dans l’état d’esprit de son groupe, de ses maîtres, en reconnaît les habitudes et les trajets. Au reste, si l’intervention des phonologues au congrès de La Haye, en 1928, et leurs propositions provocantes avaient fasciné les participants, les linguistes, depuis lors, avaient, de plus en plus, émis des critiques qui avaient fait boule de neige comme le montre l’attitude plus réservée qui se manifestera, trois ans plus tard, au congrès de Genève. Georges Straka explique sa position :
Nous allions très peu au Cercle linguistique de Prague, sauf quand Troubetzkoy venait. Je dis « nous », ça veut dire étudiants ou jeunes chercheurs en phonétique et en linguistique romane. On se méfiait un peu. J’y avais pourtant des amis comme Vachek.
3Pierre Encrevé — Mais Troubetzkoy lui-même, vous l’avez connu ?
Je l’ai vu, je crois, trois fois. J’étais encore trop jeune pour lui parler, mais je l’ai écouté. J’avais à ce moment-là vingt-deux ou vingt-trois ans ; il était donc nettement plus âgé que moi [1890-1938].
4P. E. — Est-ce que vous avez connu aussi Karcevski, Jakobson ?
Jakobson, oui, mais n’en parlons pas, parce que Jakobson et Troubetzkoy, ça ne marchait pas ensemble. J’avais une grande admiration pour Troubetzkoy et je n’ai parlé à Jakobson qu’une seule fois, très tard, à un congrès linguistique, à Aix.
5Témoignage de défiance sur Jakobson, l’insaisissable, l’intrigant perpétuel, le coureur de femmes et de théories ; à New York, dit Martinet, on le prendra d’abord pour un « clown » ; peut-être aussi se défiait-on à l’époque à Prague de ses positions politiques ambiguës puisqu’il avait longtemps représenté le gouvernement des Soviets.
Donc, j’ai connu Jakobson à Prague, mais relativement peu. Je connaissais le patron du Cercle, Mathesius, très bien, et encore plus, le jeune Trnka ; il était tout à fait de ma génération, du même âge, je crois, que Vachek.
6P. E. — J’évoquais Karcevski ; il est passé, à ce moment-là, à Prague ?
Je n’en sais rien. Je ne peux rien vous dire. Il me semble que je l’ai vu au Cercle linguistique. Je crois qu’il était à Genève. Je n’en sais pas plus.
Le Cercle avait été fondé par un angliciste, Mathesius. Et surtout par les slavistes. Mais attention, le Cercle était loin de faire l’unanimité chez les slavistes. Le personnage important était Troubetzkoy qui venait de Vienne. Jakobson avait d’abord travaillé à Prague ; il a quitté, sans doute un peu avant, je ne sais plus, l’ambassade ou le consulat d’URSS où il était attaché ou conseiller, commercial, je crois, mais je ne peux pas le dire. Il a donc rompu avec son gouvernement et il a été nommé, comme on dit en Allemagne, dozent à l’université de Brno. Et puis professeur extraordinaire ; jusqu’à la guerre, jusqu’à son départ pour le Danemark, la Norvège et les États-Unis. Quand les Allemands ont envahi la T chécoslovaquie. Je sais qu’en 1945 l’université de Brno l’a supplié de revenir ; mais il n’en était plus question.
Moi, j’ai fréquenté le Cercle dans les années 32-34 et surtout en 32-33. Même une fois, je ne sais pas si ç’avait été bien annoncé, je l’ai raté. Troubetzkoy ne parlait pas toujours, il venait irrégulièrement. C’était un peu comme Meillet à la SLP, à la fin de sa vie.
Vous savez, à Prague, j’étais élève de Chlumský et de Křepinský qui se tenaient tout à fait en dehors du Cercle linguistique. J’ai été assistant de l’un et de l’autre ; et quand j’allais au Cercle, je ne le leur disais pas.
7Jean-Claude Chevalier — Donc, à Prague, le Cercle n’était pas…
Universellement reconnu. Non.
8J.-C. C. — Ni même pragoisement reconnu.
Il était connu, c’est tout. Il avait été fondé en 26, juste avant le congrès de La Haye, en 1928. Juste l’année où je suis entré à la faculté. Et tous ces gens, Křepinský, Chlumský, les slavistes, ils étaient plutôt contre ou seulement indifférents. Chlumský et Křepinský étaient plutôt hostiles.
9Par sa formation, ses goûts, Straka est tourné vers la France qui a formé ses maîtres et vers la romanistique française ; quand il s’installera à Paris, en 1934, il retrouvera une ambiance familière :
10J.-C. C. — Vous n’avez pas été étonné de ce que vous avez trouvé en France ?
Non, je n’étais pas étonné parce que Chlumský était un ancien Parisien ; il y avait passé d’abord deux ans, puis quatre ans. Avant la Première Guerre mondiale, vers 1898-1900, par là ; et puis de 1910 à 1914. Il était élève et plus ou moins assistant de Rousselot. C’était la mentalité de ceux dont je suivais les cours.
11P. E. — Mais quand vous êtes arrivé à Paris, est-ce que vous avez pu constater que la France était assez peu au courant du structuralisme pragois ? On ne le connaissait à peu près pas à Paris, mis à part Martinet, Benveniste, Gougenheim, Tesnière et une poignée d’autres. Est-ce que vous n’aviez pas le sentiment que c’était à vous, tchèques, de le faire connaître ?
Non, parce que j’avais trop d’admiration scientifique pour des gens qui n’étaient pas de l’école de Prague. Je veux dire : Rousselot, Grammont, Meillet ; voilà.
12P.E. — Donc, pour vous, l’enseignement de Grammont, Rousselot et Meillet était plus important que celui du Cercle.
Assurément.
13P. E. — Mais est-ce que vous aviez lu le CLG de Saussure ? Et quand ?
Très tôt, pendant que j’étais étudiant ou à la fin de mes études, vers 32-33. Mais plutôt avant que j’aille au CLP, sans doute vers 1930.
14P. E. — Donc vraiment plus tôt que beaucoup de linguistes français et surtout de philologues.
Et pourquoi ? Parce que j’étais attiré par certaines remarques de Grammont. À travers Grammont, j’ai su qu’il y avait un de Saussure.
15P. E. — Il vous est arrivé de venir à Paris à cette époque, vers 1930 ?
Je suis arrivé à Paris en 34, pour un an, comme boursier du gouvernement français. La question du structuralisme ne se posait pas tellement.
16L’évidence saussurienne n’en était pas une à Paris :
17P. E. — Est-ce qu’au cercle de Prague, ils se disaient saussuriens à cette date ?
Oui, bien sûr, bien sûr.
18P. E. — En France, alors, vers 1930, il n’y a pas d’équivalent. Grammont se disait parfois saussurien, mais il ne se disait pas structuraliste.
Et quand Grammont disait qu’il était saussurien, on se demandait s’il ne se trompait pas.
Boursier à Paris
19P. E. — Quand vous êtes arrivé en France, est-ce que vous n’avez pas eu l’impression que la France était en retard linguistiquement ?
Elle était du moins en avance en linguistique romane, en philologie romane. Il y avait des personnages qui étaient mes professeurs comme Mario Roques, mais il n’était pas linguiste, il était philologue. Il ne s’intéressait pas du tout à ces divers mouvements. Il y avait aussi Charles Bruneau ; mais enfin… Ses premiers travaux, en dialectologie, étaient remarquables.
20À Paris, Straka assiste à la disparition des deux génies qui depuis cinquante ans dominent de la Sorbonne et du Collège les recherches sur le langage : Meillet, malade, qui va mourir après plusieurs attaques (1936), le vieux Brunot qui consacre ses dernières forces (il est mort en 1938, à soixante-dix-huit ans) à pousser l’Histoire de la langue française jusqu’en 1815, la borne magique fixée par Michelet, et à préciser la méthode qu’il élabore au fil de sa rédaction. Ne reste que notre Jakobson à nous, le ludion de génie, l’amant d’une reine, Mario Roques, qui n’a que cinquante-neuf ans. Pour avoir la prestigieuse chaire de Sorbonne en succédant à Ferdinand Brunot, le malheureux Charles Bruneau a dû jurer qu’il ferait uniquement des leçons de « langue et style » pour préparer les étudiants à la licence et à l’agrégation. La prééminence de la littérature, la sanctification de la triade français-latin-grec étaient tenues par la société bourgeoise française pour les piliers de l’humanisme que tous les enseignants, du plus titré au moins gratifié, devaient respecter.
21Au reste, il n’y entend rien, Charles Bruneau, à la stylistique ; et à part les membres des jurys d’agrégation qui faisaient semblant, personne n’a jamais su ce qu’on entendait exactement par ce terme, sinon une rhétorique dégénérée ; en tout cas, rien de linguistique.
22La discussion se poursuit :
23J.-C. C. — Mais pourquoi, à votre avis, a-t-il abandonné la dialectologie où il excellait ?
Georges Straka — Il me l’a dit. Il m’a dit – vous l’avez connu avec ses grands gestes –, il m’a dit : « Que voulez-vous, quand Ferdinand Brunot m’a demandé de poser ma candidature à la Sorbonne, il a exigé : “Plus de dialectologie, vous ferez de la stylistique.” Alors, j’ai fait de la stylistique. »
24Plus grave, il enregistre de nombreux sujets de thèse du type « langue et style », ici aussi selon la tradition. La Sorbonne des années 1930 vit sur des souvenirs glorieux ; elle est conservatrice et se sclérose. À l’image d’une France qui s’enfonce dans la médiocrité et la tradition et se résigne déjà à la défaite de mai 1940 et à la morale de l’État français.
25Faute de trouver intérêt à suivre les cours de Bruneau, le jeune boursier tchèque regarde autour de lui. Il tâtonne :
26P. E. — Mais vous-même, vous suiviez des cours au Collège de France, les cours de Meillet.
Non, il ne faisait plus de cours à ce moment-là. C’est Benveniste qui commençait à le remplacer.
27P. E. — Vous avez suivi les cours de Benveniste ?
Non, j’ai assisté à quelques leçons à l’École des hautes études. Je m’intéressais surtout à la romanistique. J’avais fait un peu de linguistique générale et comparée à Prague, mais à Paris je n’ai pas tellement continué. J’ai suivi les cours de Mario Roques aux Hautes Études, à l’École des langues orientales où il faisait du roumain et de l’albanais, à l’ENS je suivais des cours d’ancien français, à la Sorbonne des cours de roumain.
28J.-C. C. — Je l’ai connu très vieux ; il avait une vitalité extraordinaire et une férocité non moins extraordinaire.
29P. E. — Donc, vous suiviez les cours de Roques et ça suffisait à vous occuper.
Je suivais ses cours à l’ENS-Ulm, une ou deux heures à la Sorbonne, une heure de roumain à l’École des langues O, une ou deux heures son séminaire. À ce moment-là, il préparait l’édition des anciens glossaires à l’École des hautes études. Je m’entendais très bien avec lui malgré son caractère un peu difficile. J’allais chez Millardet faire de l’ancien provençal, langue et littérature ; nous avons travaillé sur Flamenca, revue littéraire qu’il a publiée. Et j’ai fait aussi de l’ancien français, de l’ancien espagnol, de l’ancien italien. Ajoutez que j’ai fait aussi de la dialectologie avec Oscar Bloch aux Hautes Études.
30Riche programme. On pouvait devenir un excellent romaniste à la Sorbonne.
31P. E. — Et Fouché ? Il était à la Sorbonne, à cette époque ?
Il était professeur à la Sorbonne, mais il faisait cours rue des Bernardins [à l’Institut de phonétique].
32P. E. — Qu’est-ce que vous prépariez comme examen à ce moment-là ? Un doctorat ?
J’avais un doctorat à Prague et j’avais ce qui correspond ici et en Tchécoslovaquie au Staatsexam allemand ; mettons licence et maîtrise ensemble. Docteur en philosophie, comme on dit là-bas. À Paris, je suis venu pour suivre des cours, pas pour obtenir un examen ; j’ai seulement commencé à travailler, à préparer un travail d’habilitation pour Pâques sur l’ancien français.
33En somme, un boursier étranger pouvait acquérir à Paris une excellente formation de romaniste, comme il en existe dans les pays étrangers et particulièrement en Allemagne. Mais les Français ne la recherchaient pas pour la bonne raison qu’elle n’offrait pas de débouchés. Le système universitaire d’étude du français était bloqué par une préparation aux examens et concours de recrutement qui observait les mêmes formes de sélection de la classe de première à la licence et l’agrégation, fondées sur la triplette – comme on dit aux concours de boules – français, latin et grec ancien (thèmes et versions) et sur deux types d’épreuves : la dissertation et l’explication de textes. Une étude historique du fonctionnement des lycées et collèges depuis la fondation napoléonienne en 1802 explique comment s’est monté un tel engrenage qui, partant des collèges jésuites, avait pour finalité première de former des fonctionnaires et des cadres obéissants au pouvoir. L’étonnant est qu’un tel système ait pu durer si longtemps.
34Une deuxième année de bourse à Paris lui permet de compléter sa formation et de connaître sa future femme. Enfin, il se marie et rentre à Prague pour enseigner dans un lycée tchèque, puis en 1938 au lycée français de Prague. Bénéficiaire individuel de l’immense effort que la France avait développé, après la victoire de 1918, pour élargir son influence à l’Est. Et qui devait refluer quand l’Allemagne nazie lance ses troupes pour réoccuper l’Est et en premier, après l’Autriche, les Sudètes et la T chécoslovaquie tout entière. Un assaut qui repousse les Straka : en 1939, ils reviennent à Paris, « emportant tout ce qu’ils pouvaient parce qu’ils devinaient qu’ils ne retourneraient pas à Prague ».
1939-1940. L’installation en France. Clermont-Ferrand
35Ils sont donc revenus ; pendant la guerre, Straka est chef de service du gouvernement tchèque à Paris. Puis c’est la débandade de mai 1940 et Straka se retrouve avec sa femme, chez un oncle, à Forain. Sans perdre de temps, l’exilé commence à étudier les dialectes foreziens et aussi des textes stéphanois de la fin xviiie - début xixe siècle. Et, très vite, en janvier 1941, obtient un poste de lecteur de tchèque à la faculté de Strasbourg, repliée à Clermont-Ferrand. Pour le second semestre, il est chargé d’un cours de phonétique générale. Dans des conditions difficiles. Il raconte :
J’avais parmi mes auditeurs cinq ou six collègues bien plus âgés que moi, Hoepfner, romaniste, Fourquet, germaniste, mais que tous les linguistes connaissent, deux anglicistes, Consul et Pons, le slaviste Unbegaun qui était linguiste. Ils venaient pour voir ce que je faisais, je m’imagine ; mais ça avait l’air de les intéresser. Au début, la salle, où il y avait une centaine de personnes, était pleine, parce que tous les professeurs disaient aux étudiants : « Il faut y aller. On n’a jamais eu ici de la phonétique. » Mais à la fin de l’année, il y avait les cinq professeurs qui étaient toujours là, plus trois ou quatre étudiants dont les enquêteurs de Dauzat, parce que ça n’apportait rien, aucun diplôme. Et en plus, je crois que je faisais ce cours vraiment barbant ; je le préparais pendant toute la semaine et puis je lisais. Mon cours était très documenté, mais absolument embêtant.
36P. E. — Est-ce que vous enseigniez Troubetzkoy et la phonologie pragoise dès cette époque ?
Pas spécialement. J’ai toujours tenu compte en faisant de la phonétique de l’aspect phonologique, des oppositions en face des variables phonétiques quelles qu’elles soient, n’est-ce pas ; j’ai parlé aux étudiants de Troubetzkoy, mais beaucoup plus de Rousselot ou de Grammont. Troubetzkoy venait en troisième lieu.
37Paradoxe encore plus fort : ce Pragois vient en France enseigner une phonétique très mal connue, mais il enseigne la phonétique de ses maîtres français ; très mal connue aussi, car la phonétique était affaire de spécialistes et ne figurait pas comme matière nécessaire dans le cursus universitaire. Encore moins la phonologie. Même refrain : la dévolution de l’enseignement supérieur en France à la préparation des enseignants tue la science. Confirmation dans la suite de l’entretien.
38J.-C. C. — Il y avait un laboratoire à Clermont ?
Non. Tout simplement, j’ai été obligé d’organiser quelque chose. Je ne sais pas par quel dentiste j’ai eu de la pâte et j’ai pu faire des palatogrammes ; il y avait un vieux kimographe de Georges Lote, mais qui ne marchait pas. J’ai commencé à faire des radiographies, des coupes avec un médecin radiologue de là-bas. J’ai même la tête de Dauzat en radiographie.
39Plus français que les Français, Straka endosse la vieille tradition du bricolage et des bouts de ficelle dans l’Université d’avant 1945. Du moins, cet exil lui permet de connaître Dauzat ; intéressé par l’homme et par la dialectologie, étude de terrain, comme celle du phonéticien :
Je le connaissais très bien, mais je l’ai surtout connu pendant la guerre à Clermont-Ferrand ; et j’ai fait avec lui deux ou trois enquêtes préliminaires ; je me souviens de peu de choses. Il commençait à faire ses enquêtes pour les atlas régionaux. Et là j’ai eu parmi mes auditeurs à Clermont deux de ses enquêteurs : l’un, l’abbé Nauton, a fait vraiment un atlas, l’autre a disparu. J’ai retrouvé Dauzat après la guerre, la première année où nous habitions Paris chez ma belle-mère après mon retour de Buchenwald. C’était une amitié personnelle, mais je n’ai jamais été vraiment son élève. J’ai collaboré à l’élaboration de la transcription phonétique en partant de celle de Gilliéron-Rousselot.
40Position remarquable à l’époque dans un domaine où s’affrontent beaucoup d’agressivités. La plupart des spécialistes de phonétique historique dénigrent la phonologie et les Pragois et sont d’autant plus violents qu’ils sentent leur parti pris d’ignorance plus inconfortable. Les autres, dès avant 1940, crieront au miracle, plus assurés, quand ils se seront constitués en Société française de phonologie, en 1938, sous la présidence vacillante de Vendryès, maigre milice combattante : Babin, Martinet, Tesnière, une dizaine ; plus entreprenants dès qu’ils auront lu les Principes de phonologie de Troubetzkoy en 1939 dans l’original d’abord, dans la traduction de Cantineau ensuite. Avec tranquillité, en phonéticien compétent, Straka accepte les uns et les autres, les articule, les organise en ensemble dont il prend la responsabilité scientifique ; jusqu’au bricolage inclus, avec la pâte à modeler du dentiste. En outre, il lie phonétique et enquêtes de terrain, même si ses études dialectologiques se sont assez vite arrêtées. Mais ces diverses orientations permettent de proposer des vues d’ensemble.
41C’est aussi la vieille tradition du positivisme : la théorie n’a de sens que par rapport à l’organisation des faits. Interrogé sur Guillaume, Straka formule ses réserves. Il ne laisse pas Guillaume parce qu’il n’est rien de notoire en linguistique qui lui soit étranger ; mais étranger pourtant à ces démarches abstraites qui piochent dans les faits sans précaution ; il juge qu’il a mieux à faire en recueillant et interprétant les données élémentaires ; l’appel d’air guillaumien ne l’enrhume pas :
42J.-C. C. — Et les gens comme Guillaume, les avez-vous fréquentés ?
J’y suis allé une fois. Et ce cours m’est resté assez incompréhensible, autant le vocabulaire que les concepts. Je comprenais très bien Saussure, il m’attirait, mais Guillaume, non. Je n’ai jamais osé le dire à mes amis guillaumiens comme Roch Valin ou le regretté Gérard Moignet. J’étais comme ça. Depuis, c’est autre chose.
43P. E. — On dit qu’il n’y avait presque personne à ses cours.
Très peu, en tout cas. Nous étions peut-être huit à la salle Gaston-Paris.
44J.-C. C. — Dont beaucoup d’étrangers.
La plupart. J’avais même des scrupules de ne pas continuer. Mais je me suis dit : je ne peux pas tout faire ; j’ai déjà assez de cours. Avec ça, j’allais travailler à la Nationale ; je n’avais encore jamais vu un manuscrit médiéval français ; ça me faisait beaucoup travailler. Donc Guillaume… Cette défiance m’est restée jusqu’à maintenant ; vous savez, les vecteurs, je n’y mords pas. Pour moi, c’est trop subjectif. Quand on met la saisie ici, moi je la sens quelquefois de l’autre côté. Alors je dis : si on accepte la saisie, tout le reste est formidable.
45Politesse parfaite, réserve de savant, distante ironie. Le guillaumisme, il aura à le prendre en charge quand il reviendra à Strasbourg après la guerre, après avoir été déporté en camp de concentration, à Buchenwald. Discret, Straka n’insiste pas sur cet épisode de sa vie personnelle.
1947. L’installation en France. Strasbourg
46Donc, il revient à Strasbourg :
47P. E. — Vos collègues linguistes connaissaient-ils la linguistique moderne et notamment le structuralisme ?
G. S. — Pottier très bien. Imbs aussi. Imbs avait été et est resté guillaumien. Pendant la guerre, il était professeur dans un lycée près de Paris, au même endroit où était Senghor ; mais peu importe. Il avait suivi régulièrement les cours de Guillaume et il nous en a parlé, vers 48-50, dans le groupe de linguistique que nous avions formé, mes collègues et moi. Alors j’ai lu certaines choses de Guillaume ; dans la suite, j’ai connu Roch Valin que j’ai fait venir une année à Strasbourg comme professeur associé.
48P. E. — Il y avait sans doute aussi Charles Muller.
Non, il est arrivé beaucoup plus tard, comme chef de travaux, vers 58, il me semble. Je lui ai demandé de faire un séminaire sur la statistique avant même qu’il ne soit docteur. Ça m’a beaucoup intéressé. Pour Saussure, il était au courant ; mais je ne crois pas qu’il connaissait les autres mouvements de linguistique. Après, il s’y est mis ; et surtout en sémantique. Beaucoup plus tard, moi-même je faisais carrément à la fois phonétique et phonologie, mais je faisais également, comme Imbs et Pottier, de la philologie : l’étude des anciens textes ou même la préparation de petites éditions, des choses comme cela.
49J.-C.C. — Et vous étiez contraint par le programme de licence ?
Non, c’était au Centre, en dehors de la licence.
50Straka est donc l’exemple du professeur sérieux et pragmatique qui s’appuie sur une université riche en ressources scientifiques. L’éclectisme est admis. La philologie a bon dos, elle est extensible : Guillaume et la statistique cohabitent. Guillaume, c’est le maître à penser d’Imbs, mais, de façon plus oblique, certaine pourtant, de Pottier. Muller véhicule la statistique : cette discipline est répandue depuis une dizaine d’années, mais des cours deviennent urgents avec les activités du Centre de vocabulaire qui doit s’installer à Nancy. Et on est volontiers pragmatique dans cette université traditionnelle, mais très active, à l’écoute des mouvements nouveaux qui se dessinent.
1955. Fondation du Centre de linguistique romane
51Mais l’élément moteur déterminant est un élément institutionnel : le Centre de philologie romane, comme on disait, qui, en tout premier, s’inscrit dans le programme de Gaston Berger, s’installe à Strasbourg – en même temps qu’est créé le centre de Besançon ; en 1955, donc. Cette création va donner un extraordinaire coup de fouet à la recherche ; et le Centre deviendra très vite célèbre ; et très fréquenté. Dans les séminaires, on invite beaucoup, des Français et des étrangers. Ces chercheurs-enseignants ne sont plus asservis à la sclérose des programmes universitaires. Le pilotage est fait par des brochures régulièrement publiées. Se développe une philologie qui conjoint les modes française et allemande ; et se renforce au besoin de la théorisation qu’induit la systématique de la linguistique. Ce n’est pas une conversion brutale, comme à Besançon ; c’est une lente intégration, avec toute la prudence universitaire.
52Des liens privilégiés sont établis avec le Québec et particulièrement avec la vieille université catholique, l’université Laval. Il y règne un américanisme mitigé ; en même temps qu’un disciple de Guillaume, Roch Valin, répand la bonne parole et l’appuie à Quebec City de riches fondations. Straka y enseignera beaucoup ; c’est là que je l’ai connu quand moi-même j’enseignais à Toronto. Le récit de Straka :
Le Centre n’acceptait pas les étudiants de licence ; on commençait à la maîtrise. Mais nous avions surtout des doctorants d’université et c’était le plus souvent des étrangers. Aussi des gens qui préparaient le doctorat d’État. À partir de 65, beaucoup d’étudiants ont préparé un troisième cycle ; c’était la nouveauté. C’étaient des cours de recherche, des séminaires. La majorité des étudiants étaient étrangers, beaucoup de Canadiens, anglophones, mais surtout francophones. Une bonne moitié des enseignants de français de Laval et de Montréal sont des anciens du Centre.
53J.-C. C. — Vous en avez attiré beaucoup vous-même puisque vous opériez à l’université Laval.
D’abord, c’est Gendron qui est venu à Strasbourg, envoyé par Roch Valin.
54P. E. — Quand vous tenez le colloque sur le structuralisme, en 1966, qui est-ce qui l’organise ?
À ce moment-là, Imbs était directeur du Centre ; mais nous organisions tout ensemble. On a parlé d’abord de dialectologie, puis du structuralisme ; et ce colloque n’a duré qu’une journée. Il y en a eu un sur les plus anciens textes provinciaux. Et je note surtout le grand colloque de Lexicologie et Lexicographie en 57. Imbs était toujours directeur et, moi, je l’ai aidé de mon mieux. Bien sûr, quand il s’agissait de lexicologie, c’était plutôt moi qui m’en occupais. Un autre professeur, Mlle Parent, était aussi au courant des nouvelles orientations de la linguistique ; mais elle essayait de les appliquer à la stylistique. Et puis elle a eu recours au guillaumisme ; elle a écrit un article sur l’application du guillaumisme à la stylistique. Je ne sais plus très bien comment elle a fait.
L’un des piliers du Centre était Pottier ; il avait soutenu sa thèse en 54, par là ; il a été nommé à Strasbourg vers 57-58. Il était tout jeune. Kohler faisait des cours de linguistique espagnole. Le Centre visait surtout la linguistique romane, mais les frontières étaient assez floues.
On faisait aussi de la phonétique. Pas tellement la phonétique générale, parce que ça n’entrait pas dans le cadre du Centre, mais phonétique historique des langues romanes et phonétique descriptive des mêmes langues. C’était moi, à ce moment-là. Je faisais des cours de séminaire sur les plus anciens textes romans ; c’était beaucoup plus linguistique que philologique ; mais je tenais compte du texte.
55P. E. — Est-ce que vous vous inspiriez de Fouché ?
Comme un ancien élève qui est arrivé chez Fouché avec une certaine expérience en phonétique. Déjà, à ce moment-là, je ne pouvais pas être d’accord avec toutes les théories qu’il construisait.
56J.-C.C. — Quand on regarde les brochures relatant les activités du Centre, on relève beaucoup de noms de Français, des Parisiens surtout ; mais aussi des Canadiens et des Allemands.
Aussi des Belges, des Italiens, au moins une dizaine, pas beaucoup d’Espagnols parce que c’était trop cher. On a fait venir aussi quelques Anglais comme Macmillan ou John Orr.
57P. E. — Est-ce que vous aviez des relations avec ceux qui étaient titulaires des chaires de linguistique à Paris, par exemple Jean Perrot ou André Martinet ?
J’ai même invité deux fois Martinet à faire des cours.
58P. E. — En somme, vous étiez très largement ouverts et vous multipliiez les invitations.
C’était le but du Centre, déjà du temps de Imbs. Pour ma part, j’ai tenté d’ouvrir encore plus largement, du moment qu’il ne s’agissait pas de choses farfelues.
59P. E. — Le Centre n’était pas sectaire.
C’était ouvert aussi bien à la linguistique qu’à la philologie ; la littérature, c’est à part.
60Les deux groupes de pointe, celui de Quemada et le couple Imbs-Straka, ont les mêmes réactions, suivent le même itinéraire, profitent des mêmes avantages. L’époque est portée par une grande excitation scientifique, par les mêmes créations de l’institution répondant à l’expansion économique et démographique. Et par son expression nécessaire en moyens de communication, dont les revues sont l’exemple le plus remarquable ; car la revue colle à l’actualité, dessine le champ des modulations scientifiques. En un mot, le parallélisme des créations de revue à Besançon et à Strasbourg est assez impressionnant, d’autant plus impressionnant que les domaines scientifiques sont plus complémentaires que parallèles, que la formation des savants est plus complémentaire que parallèle : à Besançon, lexique et didactique du français surtout moderne, innovations et équipes de formation faible, éclatement des théories ; à Strasbourg, morphologie et syntaxe du français ancien, moyen et moderne, équipes de chercheurs titrés fondées sur une culture classique et une théorisation homogénéisante (celle de Guillaume, par exemple). Mais à l’intérieur de cadres identiques se fondent, à Besançon et à Strasbourg, des groupes de recherche antithétiques, qui visent à l’homogénéisation, capables de résoudre les exceptions dangereuses pour leur vie. Deux exemples :
Le centre de Besançon est fondé sur un « groupe des non-agrégés » assez aventureux. Quemada recrutera pourtant Henri Mitterand, normalien et agrégé. Mitterand qui poursuit des recherches sur les romans de Zola saura contribuer discrètement aux recherches du Centre sans jamais tenter d’en infléchir le cours. Une merveille de diplomatie !
Le centre de Strasbourg est fondé comme Centre de philologie romane, dans la tradition allemande, forte à Strasbourg. Pour des raisons conjoncturelles, le Centre s’adjoint les titulaires d’une chaire de littérature moderne et contemporaine. L’assemblage sera toujours plus ou moins bancal, comme il arrive souvent dans les universités françaises. Il fonctionne néanmoins, soudé par la communauté des titres et des formations. Le normalien et agrégé Marius-François Guyard fonctionne certainement mieux dans ce Centre de philologie romane, animé par des agrégés et des savants formés classiquement, que s’il avait été parachuté dans le centre de Besançon qui coagule des expériences assez anarchiques.
61Georges Straka met bien en place les divers éléments qui permettent au Centre de fonctionner et souligne le côté unificateur de la revue. La revue est indispensable, car elle configure un milieu de connaissance.
62J.-C. C. — Juste une petite question. C’est Marius-François Guyard qui est le responsable nommé pour la littérature. Or Guyard n’était pas un spécialiste de littérature romane ; c’était un comparatiste, spécialiste de questions anglaises.
C’est ça. On a ajouté, peut-être un an après la fondation du Centre : « Centre de philologie romane et de langue et littérature française contemporaine ». Mais c’était trop long ; et d’autre part, il y a eu des collègues très bien qui étaient prêts à faire des cours sur la littérature classique, sur les littératures espagnole et italienne. Alors, une nouvelle fois, j’ai changé le titre.
63J.-C. C. — C’était très intéressant ; mais ça compromettait un peu l’unité d’origine. La littérature contemporaine, c’était autre chose.
C’est exact. Mais Imbs avait obtenu cette chaire qu’ont occupée Guyard, puis Vernois. Il fallait en tenir compte.
64On touche ici à la difficulté de faire fonctionner un centre de recherche en symbiose avec l’Université : il ne faut pas reculer devant la nécessité du grand écart qui compromet la vigueur de l’image que le centre donne de lui-même.
Le Bulletin et les Tralili
65L’entretien porte donc alors sur la revue, qui succède au Bulletin :
66J.-C. C. — Et le Bulletin dont vous parliez tout à l’heure, celui qui rendait compte des activités du Centre, résumait les interventions des conférenciers.
Il n’était pas vendu. On est arrivés au numéro 25.
67P. E. — Vous pensiez sans doute à publier les conférences qui se tenaient au Centre.
On y avait réfléchi à plusieurs reprises. À un moment donné, Imbs avait imaginé de demander aux collègues de Montpellier s’il pourrait prendre la Revue des langues romanes qui avait l’air de végéter un peu et la transférer au Centre de philologie romane de Strasbourg. Mais elle appartenait à l’université de Montpellier et l’affaire a avorté.
68Ici encore, on retrouve des similitudes de fonctionnement avec d’autres entreprises. Après la publication de Langages, en 1965, Jean-Claude Chevalier et Jean Dubois pensaient à une revue de langue française qui diffuserait les théories nouvelles concernant le traitement du français. La première idée a été de contacter les responsables du Français moderne, seule revue de ce genre à l’époque, et de leur proposer une refonte et l’introduction de nouveaux auteurs. Nous avions même rédigé un mémorandum détaillé que nous avons remis aux deux responsables du Français moderne, Gérald Antoine et Raymond Arveiller. Le mémorandum a fait peur ; les négociations ont été rompues, comme celles de Strasbourg avec les responsables de Montpellier. Dans les deux cas, on retrouve la même crainte, pour la vieille revue, un peu frissonnante, d’être dévorée par des prédateurs entreprenants. Ses dirigeants préfèrent vivoter et bricoler. La Revue des langues romanes a persisté dans sa désolante médiocrité, à quelques exceptions près ; les lecteurs du Français moderne ont eu plus de chance : quelques années plus tard, la revue s’est réformée d’elle-même et a fait appel à des concours de spécialistes des théories nouvelles, qui, pour des raisons diverses, n’avaient pas participé à la création de Langue française. Le nombre de publications a donc été augmenté ; et c’était possible en un temps d’expansion et de multiplication des ressources financières des Universités, qui autorisait ces doublons et qui répondait à l’ambition de chaque groupe de pensée d’avoir son propre organe de recherche, même si les conditions de publication étaient très difficiles.
69J.-C.C. – En somme, à Strasbourg, l’existence d’une forte équipe d’enseignants-chercheurs, d’un public d’étudiants, appuyés par une université prestigieuse, conduit à la seule issue désirable, la création d’une nouvelle revue :
G. S. — C’est ça. À une réunion, on s’est dit : « C’est pas suffisant, ces petits articles à la fin de la brochure. On va publier. » Et on se demande : « Qu’est-ce qu’on pourrait publier ? » C’était en janvier, je crois, ou au début de février. Le 15 mai, a paru le premier volume des Travaux de linguistique et de littérature. Il y avait un seul article de littérature, fourni par Gaulmier. Le reste, c’était linguistique et philologie. La deuxième année, on a divisé la revue en deux.
70J.-C. C. — Et comment avez-vous publié ?
Nous étions partis sans un sou. Je ne voulais pas solliciter le CNRS avant de pouvoir faire voir un premier volume. Et je n’ai rien demandé à l’université alors que le doyen était un ami à moi. Ensuite nous nous sommes adressés à Klincksieck qui éditait les productions de Strasbourg. Pour payer les factures d’imprimerie, Klincksieck achetait mille exemplaires. Je rectifie : pas tout de suite mille ; d’abord, trois cents. Et ce système bricolé a continué comme ça : un tiers du CNRS, un tiers de Klincksieck qui achetait des volumes parus, un tiers par commande de volumes anciens auprès de Klincksieck. Klincksieck n’était pas l’éditeur des Tralili, il avait la revue en dépôt et la distribuait.
71P. E. — Et ces mille exemplaires, de façon générale, vous les avez épuisés.
C’était très inégal. Certains numéros sont totalement épuisés, pour d’autres il en reste trois ou quatre cents.
72P. E. — Vous tirez toujours à mille ?
Les tirages ont varié. Pendant plusieurs années, j’ai tiré les numéros de linguistique et philologie à mille deux cents et baissé à huit cents pour la littérature qui se vendait mal. Puis j’ai baissé l’ensemble pour des raisons de stockage.
73J.-C. C. — Toutes les revues ont les mêmes problèmes et la linguistique aujourd’hui se vend de moins en moins bien. Et pour le choix des articles ?
Nous y avons tous publié, nous tous les Strasbourgeois : Imbs, moi-même, Pottier beaucoup, Moignet ensuite qui était un grand pilier du Centre après le départ d’Imbs ; Mlle Parent aussi. Mais je souhaitais une large ouverture, particulièrement géographique ; éviter ce qui se passe dans beaucoup de revues d’université qui publient des choses que les membres de l’université en question ne pourraient pas publier ailleurs. Je pense par exemple à nos anglicistes et à nos sociologues.
74P. E. — Derrière ce nom « philologie romane », qui reprenait le terme traditionnel de « philologie », est-ce qu’il y avait à cette époque des gens qui se pensaient comme « linguistes » ? Quel est le moment où, en France, des gens qui se pensaient philologues ou grammairiens se définissent eux-mêmes comme « linguistes » ? Quel est le contenu du terme « linguistique » dans le titre de votre revue ?
Je parle un peu de la question dans une des brochures, dans un article qui est intitulé « Philologie romane » ; Imbs en parle aussi dans le premier article. Pour nous, « philologie » couvrait tout, un peu au sens allemand, au sens de l’Europe centrale, la Suisse, et d’ailleurs aussi l’Espagne et l’Italie. C’est-à-dire, non seulement étude de textes, éditions, commentaires, mais aussi étude de la langue pour la langue, ce qu’on appelle aujourd’hui la linguistique. Nous parlions de tout dans les cours, de provençal, d’ancien français aussi bien que de linguistique au sens actuel du mot.
75P. E. — Mais est-ce qu’il y avait au Centre un enseignement sur Saussure ou sur le structuralisme ?
Pas spécialement sur Saussure. Mais dans l’enseignement d’Imbs, par exemple, les théories saussuriennes étaient sous-jacentes. Il était aussi guillaumien. Et on parlait aussi bien de Hjelmslev.
Épilogue
76Démarches méthodiques menées par des gens compétents qui s’appuient sur une réforme efficace pour la recherche, la réforme Gaston-Berger. Mais qui rencontrent un ordre – ou un désordre, comme on voudra – spécifique : l’organisation d’un enseignement de faculté, radicalement différente de ce qui conviendrait pour des organismes de recherche. Les personnages de cette action composent, comme ils peuvent, avec cette double postulation, l’une fondée sur l’histoire et les exigences des examens et concours, l’autre qui s’appuie sur des institutions nouvelles et tente de les intégrer. La rivalité entre l’une et l’autre branche, les succès relatifs, les empiètements présentent des homologies d’un centre à l’autre et permettent des comparaisons. Permettent aussi d’apprécier les résultats de la recherche en France.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un dialogue atlantique
Production des sciences du langage au Brésil
Eni Puccinelli Orlandi et Eduardo Guimarães (dir.)
2007
Des sons et des sens
La physionomie acoustique des mots
Frederico Albano Leoni Philippe-Marie Théveny (trad.)
2014
Entre expression et expressivité : l’école linguistique de Genève de 1900 à 1940
Charles Bally, Albert Sechehaye, Henri Frei
Anamaria Curea
2015
Voix et marqueurs du discours : des connecteurs à l'argument d'autorité
Jean-Claude Anscombre, Amalia Rodríguez Somolinos et Sonia Gómez-Jordana Ferary (dir.)
2012