Chapitre 9
Les débats urbains
p. 237-262
Texte intégral
1La ville dans laquelle vivent et militent les socialistes britanniques et français n’est pas encore celle du « cycle haussmannien1 » ; cependant, elle suscite déjà de nombreuses interrogations et de multiples propositions de réformes, ainsi que des débuts de transformation. Les socialistes, bien sûr, se situent par rapport à tous les débats et les réalisations urbanistiques qui leur sont contemporains. La question d’une éventuelle participation socialiste à ces débats, voire de l’existence d’un projet de rénovation urbaine socialiste mérite elle aussi d’être abordée.
Un certain refus d’aborder les questions urbaines
2S’agissant de ces questions, force est de constater la quasi-absence de réflexion dans le mouvement socialiste britannique. C’est là l’une des caractéristiques majeures de cette étude ; si l’on voulait comparer les deux mouvements dans leur rapport à la ville, on trouverait ici la différence la plus nette. Les owénistes n’évoquent pas les problèmes d’édilité, les grands travaux, ne sont visiblement pas concernés par les questions pratiques que posent croissance de la population et saturation des centres. Comment expliquer ce relatif désintérêt ? On peut avancer quelques explications. Certaines tiennent à la nature du mouvement owéniste ; son apogée se situe au tournant des années 1835-1842 et se fonde sur une aspiration forte à l’expérimentation communautaire. Dans ce contexte, poser les problèmes urbanistiques n’avait d’autre sens que d’encourager les socialistes à quitter la ville. Les années qui suivent, marquées par un recul net du militantisme owéniste, voient la coïncidence d’un refus du politique et d’un refus d’aborder les problèmes concrets, dont ceux de la ville. L’owénisme se mue de plus en plus en une secte, aux effectifs limités, ressassant sans la questionner ou l’actualiser, une vulgate figée. Au contraire, le socialisme français, dans la majeure partie de ses composantes, voit son audience et son dynamisme grandir tout au long de la Monarchie de Juillet. Les années 1840 sont celles où les courants socialistes (et en ce qui nous concerne les fouriéristes) se développent et sont amenés à s’ouvrir sur le monde extérieur, à ne plus se contenter d’un discours purement théorique et fixé, mais à confronter cette théorie à des situations particulières, à des débats ponctuels. De ce point de vue, l’ouverture vers le politique et la prise en compte des grandes questions urbanistiques vont de pair. Peut-être pourrait-on envisager des raisons plus nationales à cette absence. Tout se passe comme si le débat en Grande-Bretagne se concentrait sur une ou quelques questions fondamentales, éclipsant des préoccupations jugées secondaires. Les Britanniques sont au moins autant confrontés à l’adaptation du milieu urbain à la modernité et n’ont pas attendu Haussmann pour tenter de résoudre ces problèmes2. Cependant, on pourrait, pour résumer ce propos, dire qu’en Grande-Bretagne, la question sociale s’exprime avec une clarté telle qu’elle rejette dans l’ombre toute autre préoccupation. Les mouvements pour l’abolition des « Corn Laws » ou le chartisme remettent en cause l’intégralité de l’édifice social et politique britannique et s’intègrent dans un mouvement politique questionnant directement le rôle politique que doivent et veulent jouer les classes populaires.
3Ce débat n’est guère possible en France, et n’occupe que rarement le premier plan. La nature même de la Restauration et de la Monarchie de Juillet, la perspective omniprésente d’une solution révolutionnaire, le poids de l’État et de ses serviteurs dans tous les secteurs de la société font des questions conjoncturelles (au sein desquelles les débats urbains s’insèrent) les seuls lieux de discussion et de critique. S’il n’est pas possible de remettre en cause le système politique dans la France des monarchies censitaires, on peut exprimer son opposition au travers des projets ponctuels, qui bien souvent sont dus à l’initiative du pouvoir central. Certes, la Grande-Bretagne du premier xixe siècle n’est pas une démocratie parlementaire mais force est de constater qu’il est plus facile dans ce pays à des forces sociales et politiques d’exprimer leurs revendications qu’à leurs homologues français dont le seul recours est révolutionnaire.
4Toujours est-il que les rares esquisses de débats sur l’aménagement urbain dans les ouvrages et la presse owéniste arrivent en écho de propositions émanant d’autres courants. Ainsi, The New Moral World consacre un grand article, sur deux numéros, à discuter de l’étude d’un architecte, Sydney Smirke, consacré aux améliorations à apporter à la ville de Londres3. Citant largement cet article, l’on cherche les convergences avec le système d’Owen, et l’on concentre toute l’analyse sur le problème du logement ouvrier, sur l’intérêt porté par l’auteur à l’habitat collectif. Il ne s’agit donc que de souligner que les économistes, les philanthropes lorsqu’ils prétendent apporter des solutions au problème social sont amenés à réfléchir sur des bases proches de celles du socialisme4.
5Lorsqu’il aborde les questions urbanistiques, Fourier le fait sur un mode proche de celui que nous venons d’évoquer. À travers une réalisation, il s’agit de faire la démonstration de l’absurdité et de l’inefficacité des actions civilisées. Ainsi, la démolition de l’opéra de Paris, suite à l’assassinat du duc de Berry, lui semble une erreur ; on a voulu se venger sur les pierres5. C’est un raisonnement simple, voire simpliste, qui a conduit à une telle décision ; une solution « composée » aurait été d’affecter le bâtiment à une autre fonction, de le vendre, et grâce à l’argent de tracer sur la rive gauche de Paris, à travers les quartiers pauvres, un boulevard de Berry, qui aurait honoré la mémoire du duc assassiné tout en rendant un grand service à la population.
6Les disciples et successeurs de Fourier, contrairement à ceux d’Owen, s’investissent dans les discussions qui, autour du statut de la ville, et en particulier de Paris, agitent la société française contemporaine. Il nous semble que le débat autour de la construction des fortifications de Paris constitue l’un des moments de la prise en compte des problèmes urbanistiques par le mouvement socialiste français. Par-delà la question politique, les fortifications permettent de réfléchir sur la délimitation de l’espace urbain, sur la ville ouverte ou fermée, sur l’autonomie du corps municipal, sur la circulation des biens et des personnes dans et à travers Paris.
Fortifier Paris ?
7L’édification autour de Paris d’une enceinte bastionnée en plein xixe siècle, bien que fréquemment évoquée6, mériterait à elle seule une étude approfondie7. La question des fortifications, à l’ordre du jour, dans les débats militaires, depuis le premier empire, est à l’origine d’une multitude d’études, de prises de position, de pamphlets, sans parler des articles de journaux. Les temps forts de ce débat sont la première tentative de Thiers, en 1833, qui se solde par une reculade et la discussion des années 1840-1841, lors de l’adoption du projet8.
8On connaît les cadres du débat : le projet est, dans son principe, militaire. Il s’agit de défendre Paris d’une agression étrangère. Les débats tournent autour de deux options : une enceinte continue ou des forts détachés. L’enceinte continue a les faveurs de la bourgeoisie parisienne et d’une partie des républicains, car elle renvoie à une conception de la nation armée, de la défense de Paris par sa population. Les militaires privilégient au contraire les forts détachés, que de nombreux auteurs considèrent comme un instrument surtout destiné à réprimer les mouvements de la population parisienne. Le projet de Thiers, qui profite des tensions internationales pour faire adopter ses vues, fait une synthèse des deux options ; il y aura enceinte et forts détachés9.
9Le débat fut vif, vit intervenir les leaders de l’opposition comme de la majorité, et traversa même les différentes familles politiques10. Il occupa le devant de la scène politique et journalistique pendant plusieurs mois, et les différentes phases de la construction puis de l’armement des forts et de l’enceinte furent l’occasion de relancer le débat11. Les socialistes de toutes obédiences firent bien sûr entendre leur voix12.
10Fourier intitule un article de La Réforme industrielle ou le Phalanstère, en juin 1833, « Triple omission. Au sujet des fortifications de Paris13 ». Comme à son habitude dans la première publication fouriériste14, il se livre à des attaques violentes contre les méfaits de la civilisation. Il accuse les partisans de ce projet de « vouloir remédier aux effets du mal, au lieu d’en extirper la cause ». La vraie question, « c’est le ramas d’une populace affamée qui encombre les capitales15 », et qu’il faut donc faire sortir si l’on veut éviter les révolutions. Le projet de 1833 lui semble en effet avoir pour fonction avant tout de contrôler les velléités révolutionnaires du peuple parisien. Il ne s’en offusque d’ailleurs pas. Avant de réfléchir à fortifier Paris (pour des besoins de défense extérieure), il faut régler la question sociale majeure : celle du trop-plein de population ouvrière dans cette ville. Pour ce faire, Fourier dispose d’une solution idéale : faire « refluer » 300 000 individus vers la campagne, grâce bien sûr à « l’industrie attrayante ». La capitale « désobstruée de 300 000 prolétaires16 » qui sont le ferment de toutes les émeutes, les autorités n’auront plus à s’inquiéter du maintien de l’ordre dans Paris, et pourront concentrer leur réflexion sur les questions proprement liées aux fortifications et à la défense de Paris contre une attaque étrangère. Sur ce sujet, la pensée fondamentalement contre-révolutionnaire de Fourier, clairement analysée par Jonathan Beecher17, est manifeste. Fidèle à sa démarche exclusive, Fourier ne voit dans ce débat qu’une nouvelle occasion de démontrer la justesse de ses théories ; après avoir expliqué l’importance de la trahison dans la guerre et la nécessité de réduire le nombre de forts pour y placer des hommes sûrs, il revient sur la nécessité d’expérimenter une phalange d’essai. Pour conclure sur ce sujet, Fourier, vis-à-vis des fortifications comme de tout autre débat contemporain, est incapable de produire un discours qui ne soit pas centré sur ses propres conceptions et ses propres propositions. Ce discours tourne en rond : tout problème ponctuel rend compte de la faillite de la Civilisation. Or, l’expérimentation est le recours pour sortir de la Civilisation, donc, la seule solution à un problème ponctuel consiste dans l’adoption des thèses fouriéristes et dans l’expérimentation. Ainsi Fourier s’interdit, et dans une certaine mesure interdit à ses disciples, de réfléchir aux questions pratiques qui sont d’actualité.
11Cette rhétorique simpliste, qui a le mérite de la cohérence, et que l’on pourrait qualifier, au sens propre, de sectaire, se retrouve dans l’appréciation qu’en 1841 l’organe des fouriéristes « conservateurs », Le Nouveau Monde, porte sur le débat. Intitulé « Fortifications sociales de Paris », et non signé, l’article reprend une thématique très voisine18. Si l’on consacrait le budget des fortifications à la construction de cent « établissements agrico-industriels », il n’y aurait plus de risques de voir Paris assiégé, car les habitants de ces établissements les défendraient avec ardeur.
12Le propos de Victor Considerant est différent, quand il examine dans La Phalange le débat en septembre 1840. L’officier du génie commence par discuter du bien-fondé, en matière militaire, des fortifications. Sa réflexion sur ce sujet est une adaptation des schémas fouriéristes : il se déclare favorable aux fortifications, mais sous un régime « composé19 ». Contrairement à un Cabet, et aux opposants « de gauche » au projet, il y voit un grand danger révolutionnaire : Paris fortifié serait plus que jamais le centre de tout pouvoir politique, à la merci d’un coup de main révolutionnaire. Il explique d’abord la place fondamentale que joue Paris dans une vie politique dont il réprouve les secousses :
« Paris est le grand Foyer Révolutionnaire de la Civilisation moderne. Grâce à la Prépondérance immense et si dangereuse que notre Système de Centralisation fait à la Capitale, une Faction, dans l’état actuel des choses, a déjà de grandes chances de s’imposer à la France par un seul coup de main qui la rende maîtresse de Paris. C’est depuis longtemps un axiome révolutionnaire, que la possession de l’Hôtel-de-Ville entraîne la possession de Paris, et que la possession de Paris entraîne celle de la France20. »
13Dans ce contexte, faire de Paris une « place de guerre » c’est offrir aux révolutionnaires de nouveaux moyens de dominer facilement le pays, en s’emparant du contrôle de la ville. Outre le ton franchement contre-révolutionnaire et anti-républicain que Considerant utilise ici, le fonds de sa démonstration, même si celle-ci est beaucoup plus argumentée, s’apparente au fonctionnement du raisonnement fouriériste. La conclusion de l’article souligne la contradiction dans laquelle s’est placée le gouvernement :
« Ainsi, en voulant soustraire la France par la Fortification du Centre aux conséquences d’une seule bataille perdue contre l’Étranger vers la Circonférence, vous livrez, sans retour, la France aux chances d’une seule émeute heureuse dans les rues de Paris21. »
14Le « cercle vicieux » dans lequel est enfermé le gouvernement symbolise l’impuissance de la Civilisation à se réformer. Implicitement, la conclusion est claire : toute velléité de réforme, dans quelque sens que ce soit n’aboutit qu’à démontrer que la civilisation se trouve dans une impasse. La thématique est donc bien celle du fouriérisme originel, mais elle ne s’exprime plus crûment, exclusivement. Elle vient en conclusion d’une réflexion où les termes du débat contemporain ont été pris en compte. C’est peut-être parce que, avant de développer la thématique classique, Considerant s’attache à réfléchir aux enjeux stratégiques et politiques du débat sur les fortifications qu’il s’ouvre la possibilité de moduler son discours, de le faire évoluer. Cette démarche s’inscrit dans l’évolution générale du mouvement fouriériste, et se marque en particulier par l’intention plusieurs fois réitérée d’ouvrir La Phalange sur l’actualité, et de ne plus se cantonner (c’était l’objet de la Réforme industrielle ou le Phalanstère) à l’exposition des théories sociétaires.
15Plus nettement encore, La Phalange reproduit dans son numéro du 1er novembre 1840 un article écrit par César Daly pour le numéro d’octobre de la Revue générale d’architecture22, dont le propos est exempt de toute velléité de propagande fouriériste. Pour tout dire, César Daly semble dans cet article plus influencé par son passé saint-simonien que par son attachement fouriériste23. Soulignant l’ampleur du coût des travaux (estimé par lui à 500 millions), et des dépenses d’entretien (auxquelles il ajoute le manque à gagner des terrains immobilisés), il dénonce ce qu’il appelle des « travaux improductifs24 ». Ne s’intéressant pas à l’aspect militaire de la question, il s’interroge sur les conséquences urbanistiques d’un tel projet. La demande massive de matériaux et leur raréfaction risque d’entraîner une augmentation des prix, dont la conséquence serait l’emploi de composants de moindre qualité dans la construction parisienne, et donc un recul par rapport aux progrès constatés dans l’architecture domestique. Il se fait donc l’avocat d’une conception de la ville « ouverte », défendue par les « fortifications productives » que sont les voies de communication. Pour lui, si l’on affectait aux travaux publics d’intérêt général les sommes englouties dans le projet de fortification, on développerait la puissance économique du pays. Il souligne que « l’industrie et le commerce sont les plus puissants boulevards que les sociétés puissent dresser contre la guerre, et que les voies de communication sont les agents les plus indispensables au développement industriel et commercial des peuples25 ». Ces voies de communication, en particulier les voies navigables, constituent, selon lui, des lignes de défense dont l’efficacité est avérée par les exemples flamands.
16Il est intéressant de constater que Victor Considerant dans un article de janvier 1841 fait une synthèse des deux articles précédents26. Il insiste à ce propos sur ce qu’il appelle le « sophisme » de Thiers. D’accord avec lui pour estimer que l’existence d’une enceinte parisienne forcera un éventuel agresseur à s’attaquer d’abord aux places fortes frontalières, Considerant juge que rien ne légitime, de fait, la construction des coûteux forts détachés, qui ne jouent aucun rôle dans ce schéma. Thiers ne les défend que pour obtenir une large majorité à la Chambre, en flattant à la fois les partisans de l’enceinte continue et ceux des forts détachés. L’évolution des fouriéristes se manifeste par un article signé par Cantagrel, sur « le budget et les fortifications27 ». S’intéressant aux dépassements budgétaires imputables aux travaux de fortification, il estime que les travaux réalisés à ce jour suffisent, que l’enceinte pourrait être mise en état de défense en quelques semaines, et donc qu’il convient d’arrêter les travaux : l’heure n’est pas à la préparation de la guerre, il importe de construire la paix. Cette évolution se confirme, en mai 1843, dans un article de Bourdon, intitulé « Discontinuation des fortifications28 ». S’appuyant sur le fait que la Chambre venait d’être renouvelée, il assure que les travaux vont s’interrompre, car ils coûtent trop cher et sont impopulaires. À ce propos, Bourdon reprend à Cabet le terme de Bastille et s’intègre davantage dans la thématique politique au sujet des fortifications : « Le motif apparent de ces Fortifications fut la crainte de l’étranger ; le motif plus réel fut la crainte de l’intérieur29. » Le cheminement de la réflexion fouriériste part ainsi d’une dénonciation « classique » des inepties civilisées, et d’un soutien de principe à la réalisation des fortifications, pour arriver à une analyse beaucoup plus complexe, qui se rapproche systématiquement de l’opinion défendue par une grande partie de l’opposition démocratique. La Démocratie pacifique prend parti nettement contre l’armement des fortifications, aux côtés des opposants républicains30. Comme pour d’autres questions, l’intégration de l’école fouriériste à une réflexion plus politique et plus démocratique s’incarne, au tournant des années 1840 dans son évolution à propos d’un débat urbain majeur. Pelletan, dans le numéro du 25 octobre 1844 témoigne de l’aboutissement de cette évolution, de cette marche vers une prise en compte accrue des problèmes politiques et urbains, dans un article intitulé « N’armez pas les fortifications de Paris31 ». Les fortifications lui semblent avoir été construites contre Paris ; elles sont inefficaces et ne garantissent ni la protection contre l’ennemi, ni la sécurité en cas d’émeute. En bref, « contre l’étranger, les fortifications sont une véritable absurdité ; – contre Paris, elles sont un sacrilège ».
17Le débat sur les fortifications, enjeu politique et urbain, coïncide avec une mutation fondamentale du mouvement fouriériste, et de ce fait, annonce l’évolution ultérieure, notamment, sous la Seconde République.
Perreymond : un projet global pour Paris
18La Revue générale de l’architecture et des travaux publics publie dans son numéro de décembre 1842 une lettre de Perreymond annonçant la publication d’une série d’Études sur la ville de Paris32. Cette lettre expose les grandes idées présidant à ce travail. Perreymond33 souligne la cohérence de sa réflexion, qui dépasse le simple cas parisien ; ces articles, en effet, « constituent une partie de mes études générales sur la circulation qui s’opère à la surface du pays que nous habitons34 ». La revue publia de décembre 1842 à novembre 1843 neuf études qui fournissent une analyse globale de la pensée de Perreymond sur Paris. Il s’agit d’une tentative de rendre compte dans sa globalité de la crise urbaine qui se manifeste dans la capitale et, chiffres et statistiques à l’appui, de proposer une refonte totale de l’urbanisme parisien, un gigantesque plan de travaux dont l’ampleur dépasse les réalisations haussmanniennes.
19En outre, Perreymond, collaborateur régulier de La Démocratie pacifique multiplia, sensiblement pendant la même période les articles consacrés à Paris, résumant ou explicitant ses conceptions et ses projets. De toute évidence, Perreymond est, dans les années 1840, le fouriériste le plus intéressant sur la ville. Les « études sur la ville de Paris », comme tous les travaux de Perreymond que nous avons rencontrés, brillent par la solidité et l’ampleur de leurs références. Technicien des travaux publics (il est ingénieur), Perreymond connaît toutes les grandes tendances contemporaines de la réflexion sur les sujets qui le préoccupent. Il figure, cas exceptionnel, sinon unique chez les socialistes du premier xixe siècle, l’expert capable de produire un discours pratique, sur des questions concrètes, en cohérence avec la théorie globale du mouvement fouriériste. Il aborde toutes les questions urbaines importantes dans La Démocratie pacifique. Les autres fouriéristes, d’ailleurs, lui empruntent parfois des arguments ou des analyses, aussi est-il possible de les évoquer en parallèle. La seule exception, qui n’est pas systématique, se trouve dans les questions purement politiques, où Perreymond cède en général la place à Considérant. L’accord entre les deux hommes sur la plupart des questions urbaines, sur lequel nous reviendrons, induit probablement une influence du plus qualifié sur le plus représentatif. Le début de la lettre qui inaugure la série dans la Revue générale d’Architecture rend compte de la problématique dans laquelle Perreymond se place : celle du déplacement de Paris.
Le déplacement de Paris
20La question du déplacement du centre de Paris préoccupe vivement les observateurs du fait urbain, dans ces années 184035. La thématique en est bien connue : le centre de Paris aurait quitté la vallée de la Seine et l’île de la Cité, pour « dériver » vers le nord-ouest, d’abord autour du Palais-Royal puis sur les boulevards, enfin au-delà même de ces boulevards. La suprématie de la Rive droite remettrait donc en cause l’équilibre de la métropole. Il est frappant de constater que Perreymond choisit, pour débuter ses études, de dresser un « Aperçu historique des Déplacements successifs de la Population et du Centre de la Ville de Paris36 », dans lequel il évoque les mutations de la capitale des origines au xixe siècle. Sa position fluviale en fait dès l’époque gauloise une ville commerciale, où tout est organisé autour de cette activité, dans un périmètre restreint ; du point de vue de la structure urbaine, cela constitue pour Perreymond une sorte d’Éden :
« On voit qu’à cette époque, physiquement et moralement, la Cité des Parisiens était une et compacte : tous les pouvoirs y étaient réunis dans une seule corporation, et nulle barrière matérielle ne séparait les divers éléments de la prospérité publique. Cette ville, naissante et humble encore, possédait ainsi une cause de puissance qui ne se retrouve plus dans des époques avancées : Homogénéité et Centralisation37. »
21L’histoire de Paris est ensuite celle d’un morcellement, de la disparition de cette unité fondamentale. Perreymond se situe ici totalement dans une logique fouriériste, opposant le morcellement à « l’unité universelle » que garantit l’harmonie des passions. L’installation, sur la Rive gauche, du pouvoir politique romain est à l’origine de cette rupture, et fait coexister un pouvoir politique et un pouvoir commercial dans la ville, tout en marquant la séparation physique entre les espaces. Elle marque cependant l’une des caractéristiques fondamentales de Paris, lieu commercial et siège du pouvoir. La prospérité dépend ainsi « du rapprochement du centre d’importation et du centre de consom-mation38 ». Les diverses péripéties du haut Moyen Âge – Perreymond relie en permanence la grandeur de la France avec celle de Paris –, avant l’avènement de Hugues Capet, permettent à l’auteur de tirer des enseignements généraux, quant à la prospérité parisienne :
« La navigation de la Seine fut la cause première et permanente de la prospérité de Paris ;
Le centre véritable de Paris fut toujours l’île de la Cité ;
Les autres centres, les autres foyers de mouvement, furent d’autant plus puissants, eurent une action d’autant plus régulière, qu’ils s’harmonisaient mieux entre eux et avec le premier39. »
22Ce sont ces principes que Perreymond va tenter de mettre en application dans le Paris du xixe siècle.
23La fin du Moyen Âge, catastrophique pour Paris, voit la ville divisée en trois espaces rivaux, sans relation suffisante : « Un centre complètement isolé (la Cité), un autre foyer presque éteint (l’Université), un dernier (la Cour), sans fixité et sans influence réelle40. » Le morcellement se poursuit, toujours au détriment du fonctionnement harmonieux de la ville. L’intérêt de ce préambule historique réside dans l’attention qui est portée par Perreymond aux relations très étroites qu’entretiennent la ville et le ou les pouvoirs. Pouvoir de la « Hanse des marchands », du roi, de l’Église..., chacun cherche à imprimer sur la ville sa marque, au détriment de l’unité urbaine. La conclusion que tire Perreymond frappe par sa modernité : il est temps de transformer Paris, puisque ces pouvoirs concurrents ont eu tendance à fusionner. En effet, l’industrie et le commerce sont devenus « les éléments supérieurs constitutifs de la société ». Ce que la Révolution française et l’évolution du premier xixe siècle ont fait au niveau des pouvoirs, il convient de le faire sur le théâtre urbain. La tâche en est simplifiée puisque la seule préoccupation qui doit y présider est de nature économique.
24L’analyse de Perreymond s’organise autour de la question, pour lui fondamentale, de la centralité de l’espace urbain41 ; la logique du site, et les leçons de l’histoire, imposent que l’île de la Cité et la vallée de la Seine structurent l’espace urbain. Il faut donc s’opposer, comme le fait le conseil municipal de Paris, au déplacement de Paris vers le nord-ouest, en installant dans ce centre les fonctions économiques dirigeantes, puisque l’industrie et le commerce sont le moteur essentiel de la société. Ainsi Victor Considerant se félicite, dans un article de La Démocratie pacifique42, de l’adoption à une forte majorité par le conseil municipal d’une « délibération importante sur l’emplacement de l’Opéra », qui exprime le souhait que le nouvel opéra projeté soit placé près du Palais-Royal, et non pas au-delà des boulevards. Considerant cite tous les avantages de cette solution :
« Ranimer le centre, rappeler la vie au Palais-Royal et dans les quartiers environnants, détruire plusieurs îlots effroyables qui déshonorent le voisinage de nos plus beaux monuments, donner à ceux-ci de l’espace, de l’air, et des abords, amener sur une grande place cette rue de Rivoli, qui se butte honteusement encore contre un des plus mauvais pâtés de maisons de la capitale, voilà une partie des avantages du projet de l’Hôtel-de-Ville. »
25Les préoccupations de la centralité rejoignent ici celles concernant la salubrité, le dégagement des points de vue...
26Avant de chercher à contrer ce déplacement, Perreymond prend soin de décrire précisément les formes que prennent les mutations de la centralité parisienne et les conséquences sur les quartiers délaissés. Il dénonce ainsi le déclin de la Rive gauche et du vieux centre, d’où sont partis les acteurs économiques (commerçants, banquiers, industriels) attirés par les nouveaux quartiers du nord-ouest mais aussi les populations traditionnellement résidentes. Même les étudiants, selon lui, fuiraient le Quartier latin43. Le problème du déplacement de Paris n’est pas purement économique et urbanistique mais, de ce fait, prend une dimension culturelle et intellectuelle et représente un véritable danger pour « l’intelligence » :
« Sans écoles, sans théâtre sérieux (puisque le Théâtre-Français est déjà laissé en arrière du foyer du mouvement), perdant de plus en plus de vue les musées, les bibliothèques, les grands cabinets de lecture, que devient sous le rapport moral, artistique et littéraire, ce Paris purement commercial, financier et sensuel ? Les drames du boulevard, la littérature au jour le jour, les romans, seules lectures de ce peuple pressé de vivre, doivent vous l’apprendre de reste44. »
27Nostalgie de « son » Quartier latin (il est polytechnicien), critique urbanistique et rhétorique fouriériste (qui rappelle les diatribes de Fourier contre le roman et le théâtre, summum de la vulgarité civilisée) se conjuguent chez Perreymond, pour regretter le déclin de la Rive gauche.
28Le manifeste électoral que publie cette même année 1843 Victor Considerant, sous le titre de Note sur les intérêts généraux de la ville de Paris et spécialement du dixième arrondissement45, en vue de l’élection au conseil général de la Seine, illustre la coïncidence des analyses, au sein de l’école fouriériste sur le déplacement de Paris. Candidat dans le dixième arrondissement46, Considerant se pose en défenseur de la Rive gauche, qui subit de plein fouet la crise provoquée par la croissance démesurée du nord-ouest de Paris. Il dresse un constat sévère de l’inégalité croissante qui s’installe entre les deux rives de la Seine, reprenant les analyses de Perreymond, pour souligner le contraste entre les arrondissements du nord-ouest de Paris et « toute la partie centrale du vieux Paris et les trois arrondissements de la rive gauche (qui) ou bien ressemblent à des cloaques [...], ou bien s’étiolent dans un isolement de plus en plus fâcheux47 ». Considérant ne manque pas de souligner une « partialité choquante dans la distribution des améliorations » : la Rive droite a bénéficié de beaucoup plus de travaux et d’aménagements que la Rive gauche ; et l’action des pouvoirs publics n’a fait que renforcer les dommages du déplacement de Paris. Barral en donne un exemple dans La Démocratie pacifique avec l’éclairage au gaz. La concession à des sociétés privées de l’éclairage des rues, sans contrôle des pouvoirs municipaux ou royaux, a conduit les premières installées à occuper les rues les plus riches et les plus intéressantes, ne laissant aux dernières que la Rive gauche et les quartiers moins privilégiés. Aussi celles-ci connaissent des difficultés économiques, ce qui renchérit le prix du gaz48. De plus, s’étant arrogé un monopole sur un quartier, une compagnie ne fournit le gaz que dans les rues qui lui semblent les plus rentables, laissant au cœur des quartiers desservis des zones sans lumière.
29Le programme électoral de Considerant s’inspire ainsi très largement des analyses de son ami Perreymond, comme en témoigne le « principe fondamental de la solution de la question » qu’il inscrit dans son manifeste49 :
« Les déplacements successifs des foyers d’activité de la population parisienne, ne seront définitivement arrêtés, que du jour où l’Adminsitration aura compris la nécessité de créer, sur les bords de la Seine, au centre de figure de la ville, dans le berceau même de Paris, un foyer supérieur de vie, de plaisirs et d’affaires, doué d’une force toute puissante d’attraction, et dominant en beauté, en vitalité, et en grandeur, tous les autres points de la capitale.
C’est donc, sur le centre, et sur la Cité, sur les quartiers environnants et principalement sur les rives de la Seine, que doivent se porter désormais, dans l’intérêt bien entendu de toute la ville, les efforts de l’administration et de la haute édilité parisienne, et les libéralités trop hâtivement prodiguées aux boulevarts et aux quartiers excentriques et aristocratiques du nord-ouest. »
30Plus qu’en termes de flux, de circulation, Perreymond et Considerant privilégient une approche par la centralité, par l’équilibre des espaces. Rien n’est plus aisé que de montrer les conséquences désastreuses de ces évolutions ; Perreymond s’y emploie, utilisant rapports de médecins et statistiques municipales50. Dans La Démocratie pacifique, il met même en avant leur responsabilité dans les événements révolutionnaires.
31Conséquence ultime du déplacement de Paris, le développement de la banlieue est un motif sérieux d’inquiétude pour les fouriéristes, qui se posent en défenseur du Paris central contre les communes périphériques. Considerant met l’accent sur les communes qui bénéficient de la prospérité du nord-ouest parisien comme Les Batignolles, mais aussi sur « le quasi-monopole de l’immense approvisionnement de Paris51 » qu’ont obtenu les communes périphériques de La Chapelle, La Villette ou Bercy. Il n’est plus question maintenant de simples bourgades, de « quelques cabarets, de quelques bicoques [...] ; il s’agit de villes construites avec solidité et élégance, de maisons que les 9/10 de Paris envient à la banlieue52 ». Paris, ville dépouillée de son autonomie politique, doit également se plier aux exigences du département de la Seine. Il n’est pas surprenant que des fouriéristes, soucieux de la prééminence du centre, qui font de l’unité l’un des moteurs du progrès, se fassent les défenseurs des intérêts parisiens face aux communes de banlieue, qui tirent en parasite les bénéfices de leur position proche de Paris53. Perreymond serait favorable à un renforcement des relations entre Paris et sa banlieue, afin d’harmoniser les infrastructures et d’éviter une concurrence coûteuse et inutile.
32Le débat sur le déplacement de Paris est renforcé par l’implantation des gares de chemin de fer54. La Démocratie pacifique publie de nombreux articles autour de l’implantation des « embarcadères » de chemin de fer dans des quartiers périphériques, au détriment des abords de la Seine. Ceci s’inscrit dans une réflexion globale ; d’abord réticent vis-à-vis des chemins de fer55, Considerant s’est vite persuadé qu’ils constituaient un progrès essentiel. Les critiques contre le choix d’un réseau étoilé autour de Paris et surtout contre la concession à des sociétés privées marquent l’une des premières manifestations d’opposition des fouriéristes vis-à-vis de la Monarchie de Juillet. Les critiques de Considerant contre les sociétés concessionnaires se doublent de l’hostilité de l’élu de la Rive gauche envers ce qu’il appelle l’Embargo-Rotschild sur le chemin de l’ouest56. La Rive gauche avait été choisie au départ pour abriter la gare de départ des lignes vers l’ouest, qui fut finalement récupérée par la Rive droite. La gare Saint-Lazare fait figure d’accusée ; elle renforce la supériorité du Paris du nord-ouest. Plus grave encore, le projet d’installer les gares de marchandises hors des limites de Paris, loin de l’octroi, manifeste la façon dont la banlieue tire profit de l’attraction parisienne. Ainsi, les Batignolles, « ce parvenu né d’hier, qui doit son existence parasite à la bonne ville de Paris57 », est rendu responsable par Perreymond du déclin prévisible du commerce des rives de la Seine.
33Le primat de la question du déplacement de Paris, de la centralité, rejaillit sur tous les aspects de la crise urbaine qu’évoque Perreymond. Il multiplie les exemples de la mauvaise gestion des intérêts parisiens par ceux qui en ont la charge.
Les conséquences du morcellement
34Perreymond donne une succession d’exemples de l’absence de prise en compte de l’unité parisienne, des limites de toutes les réalisations : les quais de la Seine sont inutilisables pour le transport terrestre, et l’on se prive ainsi de deux voies de communication traversant Paris dans sa plus grande largeur ; les galeries vitrées (les passages) sont mal entretenues, sentent mauvais et sont bien trop étroites pour attirer la classe élégante ; il n’y a jamais eu de plan d’ensemble pour aplanir les boulevards, en faire une vraie promenade, aussi multiplie-t-on les travaux ponctuels... Toutes les opérations urbaines, faites ou projetées, sont renvoyées à ce triste constat d’une absence de réflexion unitaire, de grand projet. L’état sanitaire déplorable des quartiers du vieux centre, tout comme l’étroitesse des ponts, illustrent le même propos. Les problèmes de circulation sont particulièrement sensibles ; outre les quais de la Seine, impraticables comme nous venons de le voir, il n’existe pas dans Paris de grandes rues qui permettent une circulation aisée du nord au sud. Connaissant l’importance attachée par tous les hygiénistes, les ingénieurs, les penseurs de la ville du premier XIXe siècle à la circulation de l’air, de l’eau, une telle attention n’est pas étonnante58. La thématique des « embarras de Paris », née sous l’Ancien Régime, s’accorde tout naturellement avec ce souci de la circulation. Il s’agit d’une attention à la circulation fort éloignée du « primat de la mobilité » que prônera le « modèle haussmannien ». En effet, les progrès de la circulation doivent servir l’objectif fondamental que nous avons déjà évoqué : le renforcement du centre. Perreymond s’indigne de la progression des décès causés par les accidents de la circulation : il n’est plus possible d’être piéton dans la capitale. Paris est une ville constamment surutilisée par les véhicules, et il suffit d’un événement extraordinaire pour que la circulation soit complètement bloquée, d’une cérémonie ou d’un feu d’artifice pour que la foule compacte se presse aux risques de créer des bousculades, dans des espaces qui ne sont pas adaptés à une telle affluence59,
35Le problème de l’octroi n’est pas fondamental pour Perreymond. Il en fait certes une cause du choix de certains habitants de s’installer hors de Paris, mais uniquement à cause de la proximité des quartiers du nord-ouest, assujettis à l’octroi. Sur ces derniers pèse donc une menace : s’ils deviennent le véritable centre, leur périphérie hors de l’octroi ne manquera pas de croître démesurément. Dans la mesure où il appelle à une harmonisation du centre avec ses périphéries, il lui semble souhaitable – et inévitable – que la zone de l’octroi soit repoussée au-delà même des limites du département de la Seine, s’il n’est pas possible de le diminuer sensiblement60. Toutes ces démonstrations du rôle néfaste joué par le morcellement dans tous les secteurs du développement urbain appellent, pour Perreymond, un projet global, cohérent, visant à unifier l’espace parisien autour d’un centre fort.
Le nouveau Paris de Perreymond
36À de multiples reprises, Perreymond souligne la nécessité, pour régler les problèmes de Paris, d’un vaste projet et s’insurge de l’incohérence qui préside aux tentatives timides d’amélioration du tissu urbain. Il est frappant de noter l’emploi du vocabulaire classique du fouriérisme61 :
« Améliorations isolées, mesures incohérentes et sans portée, absence complète d’un système général, d’une pensée unitaire pour diriger les travaux capitaux d’assainissement et d’embellissement, tels ont été jusqu’à ce jour les vices de l’œuvre administrative et de l’édilité parisienne62. »
37L’alternative, face au déplacement de Paris, est claire : on l’accepte ou on le combat63. Par-delà la prospective hasardeuse, Perreymond réaffirme constamment que sa préoccupation fondamentale est de fixer un centre, autour duquel s’organise la ville64. Si l’on est satisfait du déplacement vers le nord-ouest, il faut, dans sa conception, fixer ce nouveau centre. Cela demanderait des investissements énormes, car « tout ce que l’ancien Paris possède déjà de grands édifices utiles pour tous les services publics65 » devrait y être reconstruit. Aussi Perreymond – et Considerant avec lui – préfère-t-il « la régénération de la Cité et des quartiers qui l’environnent, le percement de voies de communication allant du centre à la circonférence, la parfaite navigabilité de la Seine, et l’embellissement productif de ses rives66 ».
38Avant de présenter son projet, Perreymond juge nécessaire d’énumérer « les principaux travaux reconnus d’urgence67 ». Il souligne que, quel que soit le sort fait à ses propositions, ces travaux sont obligatoires, en particulier à cause de la loi sur les chemins de fer qui concentre sur Paris un afflux massif de populations et de marchandise. Aussi ne doit-on pas imputer ces dépenses au futur programme de Perreymond. Il distingue les bâtiments qui doivent être construits à la charge de l’État, pour adapter ou moderniser les installations relevant du statut de capitale68. Dans une seconde rubrique, il regroupe les travaux relevant de la Ville, s’inspirant des projets de Rambuteau : il s’agit principalement d’élargir et de viabiliser un certain nombre de rues, ainsi que d’améliorer la navigation de la Seine. La troisième catégorie est plus intéressante : Perreymond y indique les « travaux réclamés, à part toute vue de système et d’ensemble, par l’opinion publique et la presse, et sur l’opportunité desquels ni l’État ni la Ville ne se sont pas encore formellement prononcés69 ». Il revendique donc, en les intégrant dans son projet, des mesures urbanistiques venant d’autres milieux70. Il faut choisir soigneusement l’emplacement des gares, percer ou élargir une grande rue perpendiculaire à la Seine, et une rue horizontale, assainir la Cité et les quartiers malsains, enfin reconstruire l’Hôtel-Dieu. Autant de mesures qui seront au centre de la démarche future d’Haussmann et qui témoignent, si besoin était71, de la prégnance de ces thèmes dès les années 1840.
39À partir de ses conceptions, Perreymond développe un projet complet de réorganisation de l’espace parisien. Le maître-mot est la cohérence : aucun édifice de prestige ne devra être placé au hasard. En effet, soucieux de perspective, mais aussi de circulation, il veut que chaque monument soit dégagé, entouré ou au moins bordé d’une place, débouchant sur une large rue. La taille de chaque place devra être calculée pour une utilisation optimale de cet espace. En garantissant une bonne utilisation de l’espace urbain et une amélioration esthétique, « l’art donc et l’économie, le grandiose et l’utile, peuvent se marier savamment dans la combinaison architectonique que nous proposons72 ». La combinaison de toutes les nécessités évoquées précédemment73 impose de disposer au centre de Paris, d’un vaste espace libre.
« Ce terrain, nous le trouvons au centre de la ville, le long de la Seine : il nous est donné :
1° Par la démolition totale des quartiers74
De la Cité,
Du Palais-de-Justice,
De l’île Saint-Louis ;
2° Par le comblement total du bras de la Seine, depuis le pont d’Austerlitz jusqu’au Pont Neuf (rive gauche), de façon à encaisser la Seine, dans sa traversée de Paris, en un seul lit75. »
40Bernard Marrey76 cite malicieusement la phrase suivante de Perreymond, en regrettant que ni Haussmann, ni « Pompidou et ces messieurs de la datar » n’en aient tenu compte :
« La démolition même et la reconstruction d’îlots tout entiers, bien qu’elles offrent un remède beaucoup plus énergique, si elles ne sont point combinées dans une vue d’ensemble pour toute la ville, n’arriveraient qu’à substituer des quartiers alignés et salubres, mais déserts comme le Marais, à des constructions irrégulières et malsaines, mais remplies au moins d’animation, comme celles du vieux Paris77. »
41En bon fouriériste, Perreymond entend favoriser le contact, la fusion des passions ; les vieux centres surpeuplés lui semblent, de ce point de vue, plus adaptés que les « villes nouvelles » rectilignes, à l’américaine, que Fourier dénonçait déjà. Ici, progressisme et culturalisme, pour reprendre les termes de F. Choay cohabitent sans réelle contradiction78.
42Perreymond divise cet espace central en deux : à l’ouest, la Nouvelle Lutèce (du pont Neuf à Notre-Dame) ; à l’est, le Bazar national (de Notre-Dame à l’extrémité de l’île Saint-Louis). La Nouvelle Lutèce est le centre administratif, culturel et religieux ; on y construira tous les bâtiments publics nécessaires. Ils seront (réminiscence du Phalanstère) tous reliés par des « hôtels à loyers, des restaurants, des cafés, de larges galeries ou des portiques vitrés, de manière à ce que l’on pût aller d’une extrémité à l’autre du nouveau centre de la capitale sans souffrir des intempéries des saisons79 ». La centralité administrative n’interdit cependant pas une vie sociale pour ce quartier, autour du nouvel Opéra, du nouveau palais de justice ou de la Bibliothèque de France qui remplacerait la Bibliothèque royale. Le plan joint à l’étude ne place pas précisément ces différents édifices ; Perreymond se contente de les situer plutôt approximativement, laissant le soin à de futurs artistes d’établir un plan détaillé. Cet espace central, tout comme l’ensemble de Paris, accueillera fort peu de population : la fonctionnalité et le précepte fouriériste du désengorgement de Paris se rejoignent ici. Paris deviendra une « vitrine », comme l’a souligné Marcel Roncayolo80, un lieu où les populations riches et temporaires l’emporteront sur des populations pauvres et fixes. On viendra à Paris pour s’amuser, s’instruire, faire du commerce, prendre des contacts. Le Bazar National, quant à lui, sera le cœur commercial de la ville. S’y trouveront les entrepôts et les halles qui concentreront tous les produits nécessaires à la vie de Paris81.
43Ce dispositif s’accompagne d’une réorganisation des axes de communication dans Paris. Il insiste sur les progrès à apporter à la navigation sur la Seine, qui constituera un axe majeur pour les marchandises. D’autre part, les lignes de chemin de fer seraient prolongées : la ligne de Paris au Havre déboucherait sur l’esplanade des Invalides (on conserverait également la gare Saint-Lazare) ; la ligne de Paris à Orléans déboucherait sur la place de France, en plein centre de l’ancienne île de la Cité (elle doublerait la gare actuelle d’Austerlitz, elle aussi conservée). Les gares de marchandises seront, pour le transit, à l’extérieur de la ville (plaine d’Ivry et plaine de Grenelle), mais il y aura une gare dans la zone du Bazar National, afin de faciliter les ruptures de charges entre le fleuve et le rail, d’écouler les productions et d’approvisionner aisément la capitale. Dans le paragraphe consacré aux « grandes communications », il n’est pas fait mention des rues. Cela marque la façon dont Perreymond focalise son projet sur une centralité économique : ingénieur du premier xixe siècle, il fait de la liaison entre les transports fluviaux et ferroviaires le moteur du développement des échanges. La route et donc pour Paris, la rue, ne sont pas fondamentales de ce point de vue. Il prévoit de créer ou de renforcer cinq ponts sur la Seine, pour faciliter l’accès à ce nouveau centre. Perreymond ne fournit guère de détails sur le tracé des nouvelles rues qu’il propose82. Outre un axe le long des quais sur la rive droite, le plan nous montre une structure orthogonale avec deux axes nord-sud (l’artère du centre entre la place des Victoires et l’église Saint-Sulpice ; l’artère de l’Est qui longeant l’arrière de l’hôtel de ville rejoint le Panthéon) et deux axes est-ouest, un sur chaque rive (l’artère du Nord suit à peu près le tracé de l’actuelle rue de Rivoli et de la rue Saint-Antoine ; l’artère du Sud beaucoup moins rectiligne relie l’église Saint-Germain des Prés au Jardin des plantes et au Museum, en passant par les Thermes). De toute évidence, tous ces axes se poursuivent jusqu’aux portes de Paris.
44La Nouvelle Lutèce est donc située au centre du carré que forme le croisement des quatre axes principaux. Elle n’est pas, comme le sera l’île de la Cité, coupée en deux par un grand axe. Le modèle de Perreymond renvoie ainsi, de façon non explicite, à l’agora ou au forum. La seule circulation semble devoir y être pédestre. Signe de la part restreinte accordée aux rues du point de vue économique, le Bazar National n’est bordé que d’un côté par un grand axe.
45Perreymond décrit en détail la façon dont se succèdent les travaux, échelonnés sur sept ans, s’intéresse également au problème de l’approvisionnement en eau, en particulier de la rive gauche (il se déclare partisan d’une canalisation de l’Yvette jusqu’à Paris, qui fournirait de l’eau et favoriserait le transport des matériaux de construction, des pavés en particulier83). De plus, il analyse en détail les finances de la ville de Paris, et explique les nouvelles ressources qui permettraient d’envisager les travaux. Les revenus tirés des installations du nouveau centre (restaurants, hôtels, cafés, magasins, entrepôts), qui seront la propriété de la ville, l’exploitation (rentable) des carrières de l’Yvette, la concession à des compagnies du réseau de transport multiplieront les ressources de la ville, financeront les travaux, sans toucher à l’impôt. On le voit, les moyens proposés par Perreymond diffèrent fondamentalement de ce qui fera le modèle haussmannien : s’il y a une forte participation du pouvoir central, il n’y a ni recours massif à l’emprunt, ni intervention de la spéculation immobilière84. Orthodoxie financière, donc, mais surtout anticapitalisme tout à fait en concordance avec les évolutions du fouriérisme dans les années 184085.
46En définitive, c’est bien la centralité qui est l’élément clé de la proposition de Perreymond ; il se contente de décrire l’organisation de ce centre dont il pense qu’il aura le dynamisme suffisant pour organiser autour de lui la métropole. Le Paris nouveau sera polarisé et il n’est nul besoin de s’étendre sur la façon dont les périphéries s’organiseront ; il suffit de se convaincre que, grâce à un centre fort et stable, elles entretiendront des relations harmonieuses. La circulation dans la ville, pour Perreymond, n’est pas fondamentale ; il s’intéresse davantage à la circulation vers ou à partir de la ville, privilégiant le chemin de fer et la voie fluviale. Dans ce contexte, le percement de nouvelles rues n’est pas efficace en soi, et ne le devient que si elles sont reliées à un centre actif : la polarité l’emporte décidemment sur la circulation : « Il ne suffit pas de créer une route dans une direction quelconque pour qu’elle devienne fréquentée, il faut surtout qu’elle conduise à un but de mouvement, d’affaires ou de plaisir86. »
47Mouvement, plaisir, unité... la modernité du discours de Perreymond n’en est pas moins fondée sur un socle authentiquement fouriériste, qui justifie les principes de son projet d’organisation urbaine. S’inscrivant dans le mouvement général de réflexion sur le devenir de la capitale qui caractérise les années 1840, Perreymond donne des réponses souvent proches de l’haussmannisation (la destruction et la reconstruction du centre, un espace administratif sur l’île de la Cité, des axes est-ouest et nord-sud structurant la ville, un primat du commercial sur la production87...) mais les principes fondamentaux sont très différents, tout comme les moyens proposés. Il n’en reste pas moins que cette étude témoigne de l’insertion des fouriéristes des années 1840 dans les grands débats urbains et de l’évolution sensible de leur rapport à la ville.
Notes de bas de page
1 Histoire de la France urbaine, t. 4, sous la direction de Georges Duby, volume dirigé par Maurice Agulhon, Paris, Le Seuil, 1983, 671 p.
2 Regent Street porte ainsi (dès 1812) en elle toutes les caractéristiques des futures opérations d’urbanisme. « Elle est la première rue percée dans un centre ville surpeuplé » (Jean-Luc Pinol, Le Monde des villes au xixe siècle, Paris, Hachette Supérieur, 1991, p. 81) et pose tous les problèmes de la réorganisation des centres urbains.
3 « Projections to improve the condition of the producing classes », The New Moral World, vol. II, n° 94, saturday, august 13, 1836, p. 329-330 et n° 95, saturday, august 20, 1836, p. 337-339.
4 The New Moral World (vol. I, n° 42, saturday, august 15, 1835, p. 334-335) reproduit sans commentaire (mais en souhaitant qu’il soit voté) le « bill » proposé par James Silk Buckingham visant à développer la diffusion de lieux d’instruction et d’amusement pour les classes populaires urbaines. Alors député pour Sheffield, Buckingham ne peut être considéré comme un socialiste, à ce moment.
5 Charles Fourier, Théorie de l’Unité universelle, 2e volume, réimpression de l’édition de Paris, Bossange, 1841 ; Paris, Anthropos, 1966, p. 230.
6 On citera la thèse de Madeleine Fernandez-Leveau : La Dernière Enceinte de Paris 1840-1970, université Paris 7, 1983, qui évoque le débat contemporain au vote de la loi. On trouve quelques éléments dans l’Histoire de l’urbanisme à Paris de Georges Lavedan, Paris, Hachette, 1975, 631 p. ou dans des ouvrages relevant de l’histoire militaire, comme ceux du colonel Rocolle : 2 000 ans de fortifications française, Paris-Limoges, Lavauzelle, 1973, 365 p. ou de Guy Le Hallé : Les Fortifications de Paris, Paris, Horvath, 1986, 272 p. Cf. également Philippe Vigier : Paris pendant la Monarchie de Juillet, Nouvelle Histoire de Paris, Paris, Hachette, 1991, p. 220 et sq. Cf. également, Frédéric Moret : « Un débat militaire, politique, économique, social et urbanistique dans la France de la Monarchie de Juillet : Fortifier Paris 1833-1845 », in Troisième Conférence internationale d’histoire urbaine, 29-31 août 1996, Budapest.
7 L’article de Marcel Roncayolo, cependant, constitue une réflexion très stimulante, et comparatiste, sur ce problème : « Le mura dopo le mura. Realtà e rappresentazione della cinta muraria fra Otto e Novecento : Marsiglia e Parigi », in La città e le mura, a cura di C. de Seta e J. Le Goff, Roma-Bari, Laterza, 1989, p. 418-435. En particulier, M. Roncayolo met l’accent sur la question de l’essor urbain à travers les fortifications et sur les incidences de l’enceinte sur les centralités.
8 Nous avons relevé plusieurs dizaines de références sur ce sujet, et il y a fort à parier qu’un inventaire systématique permettrait de constituer un corpus encore plus important.
9 Le projet de 1833 ne comportait que douze forts détachés. La chambre le condamna, ce qui poussa le gouvernement à interrompre les travaux déjà commencés. L’essentiel des thèmes que nous allons évoquer ont été avancés à cette époque. Étienne Arago publie dès 1833 sa Lettre sur les forts détachés, où il explique que la principale utilité de ces forts est le contrôle de la ville en cas d’émeutes, et que, en cas de guerre, la prise de ces forts sonnerait le glas de toute résistance parisienne. Cf. également, Société des droits de l’homme et du citoyen : Des fortifications de Paris, Paris, imp. de Herhan, sd (1833), 4 p.
10 Ainsi le National, principal organe républicain (La Réforme est publiée à partir de 1843) se prononça en faveur du projet au grand dam de nombreux républicains.
11 Le projet de loi fut voté par la Chambre des députés le 1er février 1841, puis par la Chambre des pairs et la loi fut promulguée le 3 avril 1841. Curieusement, la plupart des auteurs n’évoquent que rapidement ce débat ; Georges Weill (Histoire du parti républicain, op. cit.) l’occulte totalement.
12 On se référera en particulier à deux articles passionnants de Louis Blanc dans la Revue du progrès : « De l’embastillement de Paris », n° d’octobre 1840, p. 160-171 et « Événements du jour », n° de février 1841, p. 73-80. Cabet, de son côté, s’éleva contre la construction des « nouvelles Bastilles ».
13 Charles Fourier, « Triple omission. Au sujet des fortifications de Paris », La Réforme industrielle ou le Phalanstère, t. 2, n° 24, 14 juin 1833, p. 284-288.
14 Cf. le chapitre « La publication d’une revue » dans le livre de Jonathan Beecher, Fourier, le visionnaire et son monde, Paris, Fayard, 1993, p. 447-467.
15 C. Fourier, « Triple omission », op. cit., p. 285.
16 Ibid.
17 J. Beecher a montré l’importance du traumatisme de la Terreur lyonnaise dans la formation « politique » de Fourier (Fourier, le visionnaire et son monde, op. cit., chap. II : « La décennie révolutionnaire », p. 51-71).
18 « Fortifications sociales de Paris », Le Nouveau Monde, t. 2, n° 2, lundi 1er février 1841, p. 1.
19 Victor Considerant, « Fortification de Paris », La Phalange, 3e série, t. I, n° 7, mercredi 16 septembre 1840, p. 122 : « Le mode de fortification est simple quand la Circonférence seule du pays ou quand le Centre seul est fortifié ; il est composé quand le Centre et la Circonférence sont fortifiés l’un et l’autre. » En ce cas, l’ennemi, avant d’assiéger la capitale devra avoir pris un certain nombre de places frontières, ce qui le ralentit et permet une meilleure défense.
20 Ibid., p. 123.
21 Ibid.
22 César Daly, « Fortifications de Paris », La Phalange, 3e série, t. I, n° 27, dimanche 1er novembre 1840, p. 465-469.
23 Nous rejoignons ici l’analyse de Bernard Marrey (« Les réalisations des utopistes dans les travaux publics et l’architecture 1840-1848 », in 1848. Les utopismes sociaux : utopie et action à la veille des journées de février. Société d’histoire de la Révolution de 1848 et des révolutions du xixe siècle, Paris, Sedes-CDU, 1981, p. 193) qui souligne que, dans la revue, « le courant saint-simonien semble avoir davantage marqué les travaux publics (chemins de fer, transports maritimes), peut-être à cause du rôle prédominant que Saint-Simon reconnut le premier aux échanges, alors que le courant fouriériste semble avoir davantage marqué l’architecture... encore qu’il faille faire la place aux interactions ».
24 C. Daly, « Fortifications de Paris », La Phalange, op., cit., p. 465
25 Ibid., p. 467. Pour le contexte général de cette réflexion, cf. Bernard Lepetit, Les villes dans la France moderne (1740-1840), Paris, Albin Michel, 1988, en particulier le chapitre consacré aux « villes ouvertes », p. 69-81.
26 Victor Considerant, « Fortification de Paris. Rapport de M. Thiers », La Phalange, 3e série, t. II, n° 8, dimanche 17 janvier 1841, p. 113-118.
27 François Cantagrel, « Le budget et les fortifications », La Phalange, 3e série, t. V, n° 3, vendredi 7 janvier 1842, p. 33-36.
28 Émile Bourdon, « Discontinuation des fortifications », La Phalange, 3e série, t. VIII, n° 135, mercredi 10 mai 1843, p. 2206-2208.
29 Ibid., p. 2206. En témoigne selon lui la rapidité des travaux, alors que la conjoncture européenne est très calme.
30 Ainsi, le quotidien fouriériste publie l’intégralité des Études sur les fortifications de Paris d’Arago. La Démocratie pacifique, t. I, n° 128, mercredi 6 décembre 1843, p. 1-3 ; n° 130, vendredi 8 décembre 1843, p. 1-3 ; n° 131, samedi 9 décembre 1843, p. 2-3 ; n° 135, mercredi 13 décembre 1843, p. 1-3, n° 136, jeudi 14 décembre 1843, p. 1-3.
31 E. Pelletan, « N’armez pas les fortifications de Paris », La Démocratie pacifique,
t. III, n° 117, vendredi 25 octobre 1844, p. 1.
32 « Lettre de M. Perreymond à M. César Daly », Revue générale d’architecture et des travaux publics, 1842, n° de décembre, p. 540-541.
33 On connaît peu de choses sur Perreymond, dont nous avons déjà évoqué certains travaux. Sur cette série d’études, cf. l’article de Marcel Roncayolo, « Preludio aH’haussmannizzazione. Capitale e pensiero urbano in Francia intorno al 1840 », in Le città capitali, a cura di Cesare de Seta, Rome, Laterza, 1985, p. 133-147. L’auteur y questionne beaucoup la dimension industrialiste du projet de Perreymond. Cf. également Bernard Marrey : « Les réalisations des utopistes dans les travaux publics et l’architecture 1840-1848 », op. cit., notamment p. 214. et Michel Coste, « Perreymond, un théoricien des quartiers et de la restructuration », Les Annales de la recherche urbaine, n° 22, avril 1984, p. 47-57.
34 « Lettre de M. Perreymond à M. César Daly », op. cit., p. 541.
35 Georges Lavedan, La Question du déplacement de Paris et du transfert des halles au Conseil Municipal sous la monarchie de Juillet, Paris, Commission des travaux historiques de la ville de Paris, IX, 1969, 139 p.
36 Perreymond, « Première étude sur la ville de Paris. Aperçu historique des Déplacements successifs de la Population et du Centre de la Ville de Paris », RGA, décembre 1842, p. 541-554.
37 Ibid., p. 542.
38 Perreymond, « Première étude sur la ville de Paris. Aperçu historique des Déplacements successifs de la Population et du Centre de la Ville de Paris », RGA, op. cit., p. 543, p. 544.
39 Ibid., p. 545.
40 Ibid., ?. 547.
41 Ibid., p. 554. « Donc, le foyer principal de Paris doit être un, stable, central, et ACTIF PAR LUI-MÊME. »
42 La Démocratie pacifique, t. IV, n° 53, samedi 22 février 1845, p. 2.
43 Perreymond, « Deuxième étude sur la ville de Paris. Conséquences désastreuses de la mobilité du centre de Paris », RGA, décembre 1842, p. 572. On peut douter de l’ampleur de ce phénomène : l’époque montmartroise est encore loin, et les étudiants sont fort peu boulevardiers. (Cf. Jean-Claude Caron, Générations romantiques : les étudiants de Paris et le quartier latin 1814-1848, Paris, Armand Colin, 1991, 435 p. L’auteur, s’il note les plaintes des tailleurs de la Rive gauche inquiets de la désertion de la clientèle étudiante attirée par la mode Rive droite, souligne que les étudiants se logent pour plus des trois quarts, s’amusent Rive Gauche, p. 154 : « L’étudiant, répétons-le, ne quitte guère son quartier, y compris pour ses loisirs ».) De même, le jardin du Luxembourg est-il présenté comme désert, par rapport aux autres jardins publics parisiens.
44 Ibid., p. 572-573.
45 Victor Considerant, Note sur les intérêts généraux de la ville de Paris et spécialement du dixième arrondissement. A MM. les Électeurs du dixième arrondissement, Paris, imp. Paul Renouard, 1843, 8 p.
46 On sait qu’avant 1860, Paris compte douze arrondissements, le dixième se situant rive gauche.
47 Ibid., p. 1-2.
48 Barral, « L’éclairage au gaz dans Paris », La Démocratie pacifique, t. V, n° 152, samedi 29 novembre 1845, p. 1-2 et « Exactions des compagnies du gaz », ibid., n° 159, dimanche 7 décembre 1845, p. 1-2.
49 Victor Considerant, Note sur les intérêts généraux de la ville de Paris, op. cit., p. 2 (orthographe du texte).
50 Outre de nombreux extraits concernant l’épidémie de choléra, il dresse un tableau des densités parisiennes par quartier, donnant le nombre de mètres carrés de terrain par habitant.
51 Victor Considerant, Note sur les intérêts généraux de la ville de Paris, op. cit., p. 1.
52 Perreymond, « Intérêts départementaux et communaux de la France. De l’unité administrative du département de la Seine », La Démocratie pacifique, t. I, n° 82, samedi 21 octobre 1843, p. 1.
53 L’analyse de la croissance de la banlieue que mènent les fouriéristes n’est pas très approfondie. Là n’est pas leur problème. Sur la banlieue de Paris, parmi d’innombrables titres, cf. Gérard Jacquemet, Belleville au xixe siècle. Du faubourg à la ville, Paris, éditions de l’EHESS, 1984, 452 p., Un siècle de banlieue parisienne (1859- 1964) Guide de recherche, sous la direction d’Annie Fourcaut, Paris, l’Harmattan, 1988, 319 p. et Les Premiers Banlieusards, sous la direction d’Alain Faure, Paris, Créaphis, 1991, 284 p.
54 Sur la façon dont les fouriéristes, et les saint-simoniens, ont abordé la question des chemins de fer, cf. Bernard Marrey, « Les réalisations des utopistes dans les travaux publics et l’architecture 1840-1848 », op. cit.
55 Victor Considerant, Déraison et dangers de l’engouement pour les chemins enfer. Avis à l’opinion et aux capitaux, Paris, Aux bureaux de la Phalange, 1838, 93 p.
56 Id., Embargo-Rothschild sur le chemin de l’ouest, Paris, Lange Levy, 1847, 15 p.
57 Perreymond, « Intérêts départementaux et communaux de la France. Le commerce des rives de la Seine transporté à 8 kilomètres des quais de Paris », La Démocratie pacifique, t. II, n° 72, mardi 12 mars 1844, p. 1.
58 Cf. chap. 1. Marcel Roncayolo expose clairement cette idée dans le chapitre qu’il consacre au « Modèle haussmannien », dans l’Histoire de la France urbaine, t. 4, sous la direction de Georges Duby, volume dirigé par Maurice Agulhon, Paris, Le Seuil, 1983, en particulier p. 93 et suivantes.
59 L’existence de fossés place de la Concorde provoque ainsi des drames lors des manifestations populaires.
60 Les autres occurrences de cette question dans la mouvance fouriériste émanent de Raoul Boudon, dont l’analyse – nous l’avons vu au chap. 3 – se focalise sur les problèmes des producteurs de vin ou de viande. Ici, il n’y a pas réellement d’analyse des questions urbaines mais tentative de résoudre les problèmes agricoles en développant la consommation de vin et de viande en milieu urbain. Par exemple, Boudon propose pour garantir la qualité du vin que la ville de Paris se fasse « marchande de vins » à destination des classes populaires obligées de consommer de médiocres vins coupés. R. Boudon : « Du commerce des vins », La Phalange, 3e série, t. VI, n° 52, vendredi 28 octobre 1842, p. 850-854.
61 Comme beaucoup de ses contemporains, et comme de nombreux historiens, Perreymond a une conception assez négative des travaux menés par Rambuteau. À ce sujet, le volume de Philippe Vigier, Paris pendant la Monarchie de Juillet, Nouvelle Histoire de Paris, Paris, Hachette, 1991, 607 p. constitue une mise au point plus favorable.
62 Perreymond, « Intérêts communaux de la France. Édilité parisienne », La Démocratie pacifique, t. 1 n° 21, lundi 21 août 1843, p. 1.
63 Id., « Cinquième étude sur la ville de Paris. Conséquences des constructions au Nord-Ouest de Paris », RGA, février 1843, p. 79.
64 Il l’exprime dans le même article très nettement. Ibid. : « Nous ne reviendrons pas sur la condition absolue, inhérente à l’organisation d’une ville, la nécessité de posséder un centre de mouvement qui, de proche en proche, étende son heureuse influence sur toutes les parties de la cité. »
65 Ibid., p. 80.
66 Victor Considerant, Notes sur les intérêts..., op. cit., p. 2.
67 Perreymond, « Quatrième étude sur la ville de Paris. Travaux d’urgence à exécuter dans Paris », RGA, février 1843, p. 72-79.
68 Ibid., p. 73-74 : « 1° Embarcadères dans Paris ; 2° Un grand hôtel des Postes ; 3° Une grande bibliothèque, en remplacement de la Bibliothèque Royale ; 4° Un grand théâtre (l’Opéra) ; 5° Le Timbre ; 6° La Monnaie ; 7° Palais de l’industrie pour l’Exposition quinquennale des arts et métiers ; 8° Les Archives du royaume ; 9° L’Archevêché ; 10° L’Institut ; 11° Les Bibliothèques de l’Arsenal et de Sainte-Geneviève ; 12° Un Ministère des Affaires étrangères ; 13° L’Imprimerie Royale. » Il s’agit de travaux – dont la plupart seront réalisés – qui étaient déjà « programmés ».
69 Ibid., p. 75-76.
70 Marcel Roncayolo, dans l’Histoire de la France urbaine, op. cit., souligne que les principales tendances qui seront celles de l’haussmannisation sont fixées dès les années 1840. Perreymond utilise et cite ainsi fréquemment les mémoires écrits par des conseillers municipaux ou généraux parisiens, comme Chabrol-Chaméane ou Lanquetin (cf. au sujet de ce dernier, Georges Lavedan : La Question du déplacement de Paris et du transfert des halles au Conseil Municipal sous la monarchie de Juillet, commission des travaux historiques de la ville de Paris, IX, 1969, 139 p., qui est centré sur ses propositions).
71 Cf. bien sûr, Marcel Roncayolo, « Preludio all’haussmannizzazione. Capitale e pensiero urbano in Francia intorno al 1840 », in Le città capitali, a cura di Cesare de Seta, Rome, Laterza, 1985, p. 133-147.
72 Perreymond, « Sixième étude sur la ville de Paris. Moyen d’arrêter le déplacement de Paris », RGA, septembre 1843, p. 416. Marcel Roncayolo (« Preludio all’haussmannizzazione... », op. cit., p. 139) soulige avec justesse que ces qualificatifs et ce principe d’unité se retrouvent dans le Phalanstère.
73 Ibid., « arrêter le déplacement de Paris [...], assainir les quartiers du centre de la capitale [...], rétablir la libre navigation de la Seine dans sa traversée de la ville [...], construire ou refaire certains établissements d’utilité publique ».
74 À l’exception bien sûr de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle.
75 Ibid., p. 417.
76 Bernard Marrey, « Les réalisations des utopistes dans les travaux publics et l’architecture 1840-1848 », op. cit., p. 214.
77 Perreymond, « Deuxième étude... », RGA, op. cit., p. 579.
78 Françoise Choay, L’Urbanisme, utopies et réalités, Paris, Le Seuil, 1965, p. 15-26.
79 Perreymond, « Sixième étude sur la ville de Paris... », RGA, op. cit., p. 418.
80 Marcel Roncayolo, « Preludio all’haussmannizzazione... », op. cit., p. 141.
81 Perreymond s’inscrit ici dans la lignée des débats sur le statut de Paris comme ville de Entrepôt. Depuis 1832, le commerce parisien en fait l’un des éléments de sa prospérité. Cf. Jeanne Gaillard, Paris, la ville, Paris, Champion, 1976, p. 486 et sq.
82 Il ne les mentionne pas dans le programme des travaux, en sept ans, qu’il fournit dans la septième étude.
83 Comme à son habitude, il cite les multiples projets depuis le xviiie siècle qui vont dans ce sens.
84 On connaît la formule de Marcel Roncayolo, dans l’Histoire de la France urbaine, op. cit., p. 77, selon laquelle « l’alliance de l’intervention publique, des sociétés immobilières et du crédit [...] fonde l’haussmannisation ». Cf. également Louis Girard, La Politique des travaux publics du Second Empire, Paris, Colin, 1952. et Michel Lescure, Les Société immobilières en France au xixe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1980, 84 p. et Les Banques, l’État et le marché immobilier : en France, à l’époque contemporaine. 1820-1940, Paris, EHESS, 1982, 621 p.
85 La critique menée contre les excès des compagnies concessionnaires des lignes de chemin de fer, de ce point de vue, ne laisse aucun doute sur l’opinion des fouriéristes.
86 Perreymond, « Cinquième étude sur la ville de Paris. Conséquences des constructions au nord-ouest de Paris », RGA, op. cit., p. 81.
87 Dans le débat, qui, depuis la Restauration, oppose les tenants d’un Paris cumulant les fonctions politique, commerciale et industrielle aux partisans d’une exclusion de l’usine de Paris, Perreymond se situe plutôt aux côtés des seconds (comme Cochin) contre les premiers (parmi lesquels de nombreux saint-simoniens, M. Chevalier, E. Gouin).
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