Algarotti
Le newtonianisme pour les dames (1738)
p. 359-366
Note de l’éditeur
Extrait de la 3e journée, traduction de Duperron de Castera, Paris, chez Montalant, 1738, pp. 248- 259, 263-266, 271-279 (NB : l’orthographe et la ponctuation du traducteur ont été respectées).
Texte intégral
1Un mot, que l’expérience et l’éxamen vérifieront de plus en plus, c’est qu’il n’est rien de plus rare que le sens commun.
2Mais vous-même, Monsieur, ne me l’auriez-vous point ôté ? J’en ai quelqu’inquiétude, et je me sens tout autre, que je n’étois. J’ai la tête pleine de Tourbillons ; avec les Globules du second élement je produis la Lumiere ; avec leur rotation, je fais naître les Couleurs. J’ai renoncé aux qualités qui me paroissoient les plus agréables ; je n’ai gardé pour moi qu’un peu d’étenduë et d’infiniment petits ; je n’oserois assurer que tous tant que nous sommes, nous voyons le monde sous le même aspect ; j’explique quelques Phénomenes ; j’apperçois les difficultés des autres ; il me paraît que j’ai peu de vénération pour la Philosophie des Anciens ; et je crois qu’on ne dira point que tout cela m’ait renduë plus sage. Hé, que me faudroit-il encore pour être Philosophe à la Moderne ?
3Il vous manque, lui repliquai-je, d’être un peu moins belle, ou de faire un meilleur usage de votre beauté ; tant de sens commun ne s’accorde ni avec tant d’attraits, ni avec l’humeur de la Philosophie. Mais sçavez-vous que votre Philosophie Cartésienne a besoin de reforme ? Et plaise à Dieu que cette réforme soit la derniere.
4Qu’est-ce à dire, Monsieur ; prétendriez-vous maintenant me montrer que la Vision ne se fait pas, comme vous me l’avez enseigné d’abord ? Il y aurait une trahison marquée. Quoi, m’engager sur votre parole à croire des faussetés ! vous n’avez guéres de conscience.
5Calmez vos inquiétudes, Madame, je suis un Maître fidele, et je me garderois bien de vous donner des leçons, dont je ne serais pas convaincu ; la Vision demeurera dans son entier ; votre généreuse abdication des Couleurs deviendra autentique ; vos doutes sur les différentes manieres, dont chacun peut voir les mêmes objets, auront l’air raisonnable ; et l’inclination, que vous témoignez pour les découvertes des Modernes, annoncera votre bon goût.
6La réforme ne tombera que sur les Globules de Descartes, et sur la maniere dont s’excitent en nous les sensations des Couleurs. Vous ne verrez désormais dans la grande machine des tourbillons, qu’un beau Poëme Philosophique ; c’est à peu près l’aspect sous lequel je vous l’ai présenté.
7Cela s’appelle toujours déranger les idées, reprit la Marquise, d’un ton chagrin. J’aurois voulu regarder le Système des Tourbillons, comme quelque chose de plus qu’un Roman, quelqu’agréable qu’il soit d’ailleurs. Pourrai-je quitter les Globules ? ils me donnoient la Lumiere et les Couleurs avec tant de facilité. Dieu sçait combien il m’en coûtera de travail et d’efforts, pour avoir dans la suite une malheureuse demi teinte.
8Elle ne vous coûtera pas plus, Madame, qu’avec les Globules, soyez-en persuadée. La réforme est l’ouvrage du Pere Mallebranche, l’un des plus illustres Cartésiens, que l’Europe ait vû naître.
9Outre que le nom d’un Auteur si fameux suffit pour vous annoncer que cette réforme étoit nécessaire, vous pouvez encore vous flatter que la simplicité y regnera. La simplicité fut toujours l’idole des Cartésiens ; quelquefois ils lui sacrifient la vérité même, qu’un Ancien appelloit la Citoyenne du Ciel et les Compagne des Dieux.
10Mais avant que d’en venir à cette réforme, il faut, je crois, vous proposer la grande difficulté qui doit ruiner pour jamais les Globules dans votre esprit.
11Tel que l’Hercule de la Fable, ce système eut presque dès sa naissance une infinité d’assauts à soutenir ; mais il ne triompha pas toujours avec la même gloire.
12Quelques-uns objectoient aux Cartésiens que suivant les loix des Tourbillons, et suivant les principes de leur Inventeur, les Etoiles ne devoient pas être composées de matiere subtile, mais plûtôt de la matiere du troisiéme Elément ; qu’ainsi loin d’être lumineuses elles seraient opaques et couvertes de croute ; et que quand même elles auraient tout l’éclat imaginable, on ne pourrait les voir à cause de l’égale pression des Tourbillons.
13Ces objections et plusieurs autres qui n’étoient pas moins graves, n’ont pû ébranler la foi des bons Cartésiens ; mais voici une difficulté qui sera toujours le nœud-gordien pour les plus fervens d’entr’eux.
14Vous avez l’ennemi du Cartésianisme dans votre maison, je le vois même dans cette galerie, et vous ne l’appercevez pas. Considérez ces murailles peintes à fresque, vous y trouverez dequoi faire la guerre au système que vous aimez tant…
15Monsieur, tirez-moi d’embarras, je vous en supplie, et ne tardez point, ou bien je fais effacer cette peinture ; quelle est votre cruauté ? Vous voulez, sans doute, que j’abhorre ma maison !…
16Bien loin de-là, je souhaite, Madame, que désormais vous en estimiez tous les coins, comme autant de monumens Philosophiques.
17Marquons dans l’aire un point commun, vers lequel votre œil et le mien soient toujours dressés, pendant que nous examinerons en même-tems les différentes parties, et les diverses Couleurs de cette muraille.
18Appuyez-vous contre ce pilastre, et regardez le rouge du Manteau d’Achille, moi je me mettrai auprès de cette fenêtre, d’où je regarderai l’azur de mer que voilà plus loin. N’oubliez pas surtout qu’il faut que nos regards se croisent dans le point commun, que nous avons établi.
19Il est hors de doute que deux Rayons passeront par ce point, l’un venant du Manteau d’Achille jusqu’à vous, et l’autre de la mer jusqu’à moi.
20Ces Rayons, vous le sçavez déjà, ne sont, suivant le système des Cartésiens, que deux filets de Globules, et ces Globules s’entretouchent immédiatement l’un l’autre depuis l’objet jusqu’à l’œil.
21N’est-il pas sensible que nos deux filets doivent s’entrecouper au point marqué ? Ils s’entrecouperont certainement, et par conséquent il y aura dans ce point d’intersection un Globule commun à votre Rayon et au mien. Vous figurez-vous bien toutes ces choses ?
22Que trop, Monsieur, et je commence à trembler !… Vous sentez donc, poursuivis-je en riant, qu’afin que ces deux filets fassent naître en nous la Vision, il faut que de part et d’autre la pression des Globules soit continuée dans toute la longueur de nos Rayons différens.
23Mais afin que cette pression fut effectivement continuée de part et d’autre, il faudrait que le Globule placé au point d’intersection pressât en même-tems vers votre œil et vers le mien.
24Cela n’est possible en aucune maniere, si les Globules sont durs, comme Descartes le soutient ; car un corps dur ne sçauroit presser en même-temps par deux différens cotés, l’étroite union de ses parties s’y oppose. Encore n’est ce pas tout…
25Hé, mon Dieu ! interrompit-elle, en voilà bien assez pour exterminer mes Globules ! que voulez-vous donc davantage ?
26Il faudroit outre cela, Madame, que le Globule commun eut deux mouvemens divers de rotation, l’un pour exciter en vous l’idée du rouge, et l’autre pour faire naître en moi l’idée de l’azur.
27L’embarras deviendrait bien plus grand, si nous allions placer une vingtaine d’Observateurs dans cette galerie, et si tous leurs regards se croisoient dans le point d’intersection, dont nous sommes convenus.
28Alors une foule de Rayons chargés d’une infinité de couleurs traverseraient ce même point, l’un annonceroit les cheveux blonds d’Achille, l’autre le teint de Minerve, qui tâche de l’appaiser. L’autre une prairie verdissante, enfin toute la varieté, que cette peinture offre à nos yeux.
29Quel rôle terrible pour le Globule commun ! l’imagination la plus déreglée n’oseroit lui prêter tous les mouvemens de rotation qu’il auroit besoin de transmettre aux Globules suivans ; cela blesse trop les loix de la Nature.
30Ainsi vous comprenez bien qu’en supposant les Globules, nous ne pourrions voir dans la situation où nous sommes présentement, ce que nous voyons en effet.
31J’en tombe d’accord et j’en suis désespérée. Ne me parlez plus des Globules, puisqu’ils cedent si lâchement le champ de bataille, non je n’y veux plus penser, ils ne valent pas mieux que certains galans, qui n’ayant ni expérience ni fermeté, songent à la retraite dès les premieres rigueurs d’une Belle ; ayions recours au Pere Mallebranche ; peut être qu’il nous donnera quelque chose de plus solide.
32Ce Philosophe s’est broüillé avec les Globules aussi bien que vous, Madame ; il les a répudiés pour leur substituer une infinité de Tourbillons extrêmément petits, qui remplissent tous les plus grands Tourbillons, comme les grands remplissent tout l’Univers.
33Au surplus, ces vorticules ou ces petits Tourbillons sont composés d’une maniere etherée très-subtible et très-fluide ; la force qu’ils ont de se dilater, et de se presser mutuellement, les maintient dans un équilibre perpetuel, tout de même que les grands Tourbillons y sont maintenus par leur pression réciproque.
34L’action du corps radieux sur les vorticule, et la réaction soudaine des vorticules sur le corps radieux, leur donne un mouvement d’ondulation ou de vibration qu’ils s’entre-communiquent jusqu’à nous ; ce mouvement fait la Lumiere, et la Lumiere est plus ou moins forte, suivant qu’il est plus ou moins fort lui même.
35A l’égard des Couleurs, c’est aux divers degrés de promptitude dans les vibrations, ou dans les secousses, qu’elles doivent leur naissance ; en sorte que si la matiere des vorticules vient exciter, par exemple, cinquante vibrations sur notre rétine dans un tems déterminé, une certaine couleur nous frappera, au lieu que nous en verrions une autre, si dans le même instant le nombre des vibrations étoit plus grand ou plus petit.* […]
36N’importe, Monsieur, ces tableaux du Son et de la Lumiere me paraissent fidelement copiés l’un sur l’autre ; Ceux d’Apelle n’exprimoient pas mieux la nature, quoiqu’on ait dit qu’en les examinant un Astrologue prévoyoit la destinée des personnages qu’ils représentoient.
37Nouvelle ressemblance, ajoûtai-je ; un objet placé entre deux Miroirs qui sont vis-à-vis l’un de l’autre, est répété mille et mille fois ; une seule bougie paraît tellement multipliée qu’elle forme une vaste illumination et rappelle ces fêtes fameuses, où les Egyptiens allumoient tant de flambeaux :
Par cette innocente Magie,
Un simple Cabinet se change en Galerie.
38La même chose n’arrive t’elle pas au Son dans le Château de la Simonette, auprès de Milan ? un coup de pistolet s’y compte répété jusqu’à près de quarante fois, et les moindres accords de Musique y forment un plein qu’on chercheroit inutilement dans les plus nombreux Concerts.
39Cet écho provient de deux grandes aîles de bâtiment posées en face l’une de l’autre, construites d’une matiere propre à répercuter les vibrations, et toutes ornées d’une quantité prodigieuse de fausses fenêtres ; car il n’y en a qu’une qui s’ouvre. L’architecture a si bien disposé les choses, que les deux murs paralleles renvoyent et multiplient le son, comme plusieurs glaces multiplient un flambeau…
40Bacon de Vérulam, cet illustre Anglois, qui fut le Précurseur de la bonne Philosophie proposoit aux Physiciens d’examiner l’affinité du Son avec la Lumiere, sans doute qu’il auroit été content des découvertes du Pere Mallebranche et de ses Disciples.
41Mais il ne suffit pas d’avoir trouvé cette affinité du Son et de la Lumiere, il faut encore examiner leurs différences ; Bacon le recommandoit, et les conseils d’un homme tel que Bacon, ne peuvent qu’avancer nos études.
42Or la voici cette différence dont j’ai déjà eu l’honneur de vous parler ; l’air est le canal du Son, la matière etherée est le vehicule de la Lumiere ; vous sentez par là que le Son doit se répandre avec moins de vitesse, car les parties de l’air étant séparées l’une de l’autre ont besoin d’une certaine quantité de temps pour s’entre-communiquer leurs vibrations ; l’essor de la Lumière paroît bien plus rapide un instant la fait briller à nos yeux, rien ne l’interrompt dans sa course, parce que tout le Monde est plein de Matiere subtile et de vorticules, qui agissent immédiatement l’un sur l’autre.
43Moyennant cette inégalité le Son et la Lumiere ne se ressemblent que comme les Nereïdes sculptées par Vulcain sur la porte du Palais du Soleil ; leurs traits n’étoient pas tous les mêmes, mais ils n’étoient pas non plus si différens qu’on ne devinât sans peine qu’elles étoient sœurs. […]
44Tout cela va fort bien, Monsieur ; j’admire l’esprit d’invention qui regne dans notre siecle ; peut-être qu’un jour le Clavecin nous donnera de quoi dîner, et que nous aurons la Musique des ragoûts.
45A ces mots nous descendîmes dans le Jardin pour prendre un peu l’air ; mais à peine y fûmes-nous entrez, que la Marquise s’écria : Mon Dieu ! qu’allons-nous devenir ? J’apperçois de loin un Gentilhomme du voisinage qui me fait ordinairement la grâce de me reciter ses Sonnets par centaines, encore trouve-t’il le moyen d’y ajoûter des Odes, qui ne sont pas courtes ; c’est un Poëte éternel ; comment ferons-nous pour nous en délivrer, n’y aura-t’il pas quelque Tourbillon secourable qui l’enleve d’ici ?
46Faute de Tourbillons, Madame nous ferons ce que j’ai fait une fois à un Mathématicien, qui étoit un déterminé babillard, et qui avoit la fureur de parler Géométrie, lorsqu’on ne vouloit que s’amuser des nouvelles de Thamas Koulican, ou d’autres matieres incapables de fatiguer l’attention.
47Un jour cet homme vint nous trouver dans un Jardin plusieurs de mes amis et moi ; nous tremblâmes en le voyant ; sa figure nous annonçoit qu’il alloit nous accabler de démonstrations et de corollaires, mais comme nous n’étions pas d’humeur à souffrir le martyre, nous le martyrisames lui-même en ne l’entretenant que de Poësie. Vers galans, Vers sérieux, tout nous étoit bon ; une citation suivoit rapidement l’autre, jamais il n’eut le tems d’ouvrir la bouche. Par ce moyen nous eûmes le bonheur d’ennuyer le plus ennuyeux personnage de la terre, et nous nous preservâmes de l’ennui qu’il nous apportoit.
48Poursuivons notre conversation, Madame, parlons Philosophie, et tenons-nous fermes ; je vous réponds que votre faiseur de Sonnets aura le sort de mon Mathématicien. Ainsi dit, ainsi fait.
49Dès les premieres politesses notre Gentilhomme, qui ne se doutoit pas de la conjuration, trouva jour à nous témoigner que les Muses le maltraitoient depuis quelque-temps, et qu’il vouloit les abandonner pour jamais.
50Nous ne pûmes nous dispenser d’abord de le contredire civilement ; il nous répliqua qu’il étoit prêt à nous prouver l’équité de ses plaintes par un bon nombre de Sonnets qu’il avoit faits la semaine derniere, et qui nous montreroient combien il avoit peu sujet de se loüer des faveurs du Parnasse.
51Alors la Marquise le prenant au mot ; s’il est vrai, Monsieur, lui dit-elle, que ces Déesses capricieuses ne vous traitent pas comme vous le méritez, vous faites fort bien de leur retrancher vos hommages. Joignez-vous avec nous, nous parlions de Philosophie et d’Optique, votre desertion vous vangera.
52Il s’excusa sous prétexte qu’il n’avoit pas les talents nécessaires pour entrer dans des Sciences si sublimes ; il ajoûta que l’on pouvoit bien quelquesfois se fâcher un peu contres les Muses, mais qu’il convenoit que le dépit fût moderé, parce que sans cela elles romproient infailliblement tout commerce.
53Ensuite il observa galamment que nous-mêmes nous ne devions pas faire divorce avec elles, puisque leur entretien étoit capable d’égayer l’austérité de nos recherches ; et pour nous en convaincre, il nous cita l’exemple de Platon, qui de cette main dont il traçoit le plan d’une sage République, écrivoit des Vers tendres, animoit un Luth, et sculptoit les trois Grâces dans la Citadelle d’Athenes, tellement qu’il se partageoit entre la Philosophie et les beaux Arts.
54Tout cet étalage d’érudition ne gagna rien sur nous ; les Sonnets n’eurent point audience, quoique l’Auteur brûlat de nous les reciter. La Marquise me proposoit continuellement diverses questions, qu’il trouvoit sans doute assez frivoles, et je crois que mes réponses ne le satisfaisoient pas davantage.
55Entr’autres choses elle me demanda si elle pouvoit s’en rapporter au Système de Mallebranche sur la Lumiere et sur les Couleurs ; témoignant que le mauvais succès des Globules la faisoit trembler pour les petits Tourbillons, et que le nouveau Clavecin lui donnoit beaucoup à penser.
56Je lui dis que les choses humaines étoient furieusement sujettes aux revers de la fortune, et que son illustre voisin pourroit le lui prouver par plusieurs citations tirées des plus grands Poëtes, et peut-être encore par quelque échantillon de ses propres Ouvrages.
57Comme il ouvroit la bouche en soûriant d’un air gracieux, j’ajoûtai promptement que j’étois charmé de la circonspection qu’elle montroit ; que ce qu’il y avoit de plus fatal pour la reforme du Cartésianisme, c’étoit qu’on la voyoit tomber par l’analogie même du Son et de la Lumiere ; en un mot, par l’endroit qui sembloit d’abord lui donner le plus d’éclat.
58Cette analogie, continuai-je, manque dans un des points les plus nécessaires ; il n’en faut pas davantage pour ruiner le Systême de la réforme ; tant d’autres rapports merveilleux que vous lui connoissez, et que vous venez d’observer avec surprise, ne sçauroient empêcher sa chute.
59Quoiqu’un mouvement d’ondulation rencontre quelqu’obstacle dans son chemin, il ne s’arrête pas, il se plie de tous côtés, et trouve le moyen de s’étendre au-delà de l’obstacle même. Un exemple des plus familiers va vous faire concevoir ce que je veux dire.
60Si nous étions au pied de cette Colline, et que de l’autre côté quelque Chasseur donnât du Cor pour déclarer la guerre aux habitans des Forêts ; n’est-il pas vrai que nous entendrions le Son malgré l’étenduë de toute la Colline qui seroit entre le Cor et notre oreille ?
61Sçavez vous pourquoi nous entendrions le Son dans cette conjoncture ? C’est parce que les ondulations de l’air excitées par le Cor de Chasse, ne s’arrêteraient pas en frappant la Colline, elles se plieraient de tous côtés, elles réflueroient à l’entour, et communiqueraient un semblable mouvement aux particules de l’air qu’elles rencontreroient à droite, à gauche, et au-dessus, ensorte que le bruit viendroit jusqu’à nous.
62Jettez une pierre dans ce Bassin, vous verrez que les ondulations qui se formeront dans l’eau, ne seront point arrêtées par le tuyau du milieu ; elles franchiront l’obstacle en se pliant sur les côtés ; toute l’eau s’en ressentira.
63Présentement, Madame, vous jugez bien que si la Lumière n’étoit qu’une ondulation communiquée à la matiere subtile par l’action d’un corps rayonnant, nul objet interposé ne pourroit nous dérober la vuë du Soleil, ni de tout autre corps brillant de son propre éclat, ou bien même d’un éclat d’emprunt ; et par conséquent nous n’aurions jamais d’ombre.
64N’avoir jamais d’ombre, insistai-je ; quelle incommodité terrible ! Assurement dans cette saisons vous vous plaindriez du mauvais tour que les vorticules vous joüeroient. Les Globules ne vous promettoient pas plus de fraîcheur. Rendons graces au sçavant Newton d’avoir abatu d’un seul coup les deux principales têtes de l’hydre Cartésienne ; son aversion pour les Systêmes imaginaires vous ouvrira bien-tôt le sentier de la vérité.
65Quoique la Marquise connut toute la force de ce raisonnement, elle n’en témoigna aucun chagrin. S’étant broüillée avec les Globules, il ne lui coüta guére d’abandonner les petits Tourbillons. Notre Gentilhomme n’étoit pas si tranquille ; sa tristesse, et son embarras paroissoient dans ses yeux. Enfin il prit congé de nous, et s’en alla chercher peut-être des Auditeurs pour quelque Satyre qu’il faisoit déjà contre la Philosophie et contre les Philosophes.
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