La valeur d’un mot d’ordre : rendre la philosophie populaire
Der Wert einer Weisung: die Philosophie populär zu machen
The value of a watchword: making philosphy popular
El valor de una consigna: hacer popular la filosofía
p. 53-63
Résumés
Mon propos est de m’interroger sur l’expression « rendre la philosophie populaire » qui apparaît de manière récurrente sous la plume des encyclopédistes. Quelle est la valeur de ce qui semble être le mot d’ordre d’une communauté de savants et de philosophes qui participent à l’entreprise encyclopédique ? Je cherche à montrer, à partir d’une analyse d’abord littérale de l’expression, que l’impératif de rendre la philosophie populaire répond avant tout à l’exigence de fixer la langue dans des usages simples et rationnels afin de permettre une diffusion du savoir plus rapide et plus efficace. Autrement dit, la valeur de cet impératif est à la fois d’ordre terminologique et économique : en fixant la langue, on économise du temps. Mais le mot d’ordre des encyclopédistes répond aussi à une autre exigence, cette fois épistémologique et philosophique, qui est de construire non pas une philosophie du sens commun mais le sens philosophique d’une communauté d’honnêtes hommes qui entendent la langue de la raison. La valeur du mot d’ordre se présente ainsi comme la valeur d’un ordre de mots présidé par une vision encyclopédique qui organise dans une nouvelle forme de rationalité – systématique et non systématisante – les connaissances.
In this paper, I reflect on the expression « making philosophy popular » which frequently appears in the writing of the encyclopedists. What value is possessed by this seeming watchword of the community of scholars and philosophers of the encyclopédic? I attempt to show, initially on the basis of a literal analysis of the expression, that the imperative to make philosophy popular responded most of all to a desire to fix language within a system of simple and rational usage, in order to make possible a faster and more efficient dissemination of knowledge. The value of this imperative, in other words, was both terminological and economical: thus fixing language meant saving time. At the same time, the encyclopedists’ watchword responded to another need – this one epistemological and philosophical – which was to build not a philosophy, in the ordinary sense, but the philosophic meaning of a community of gentlemen who understood language through reaso. The value of the watchword [mot d’ordre] thus appears as the value of an ordering of words [ordre des mots] ruled by the encyclopedists’ vision – in which knowledge, whether systematic or non-systematic, is organized within a new form of rationality.
Meine Absicht ist es, nach dem Ausdruck « die Philosophie popular machen » zu fragen, der unter der Feder der Enzyklopädisten wiederholt auftaucht. Welchen Wert hat dieses scheinbare Weisungswort einer Gemeinschaft von Gelehrten und Philosophen, die sich am Unternehmen der Enzyklopädie beteiligen? Ich versuche, ausgehend von einer wörtlichen Untersuchung des Ausdrucks, zu zeigen, daß der Imperativ, die Philosophie populär zu machen, vor allem der Forderung entspricht, die Sprache auf eine einfache und vernünftige Verwendung festzulegen, um eine raschere und wirkungsvollere Verbreitung des Wissens zu ermöglichen. M. a. W.: Dieser Imperativ hat einen zugleich terminologischen und ökonomischen Wert; indem man die Sprache festlegt, spart man Zeit. Aber das Weisungswort der Enzyklöpadisten entspricht ebenfalls einer anderen, epistemologischen und philosophischen Forderung, welche darin besteht, keine Philosophie des Gemeinsinnes, sondern den philosophischen Sinn einer Gemeinschaft von allseitig gebildeten Weltmännern, welche die Sprache der Vernunft verstehen, zu bilden. Der Wert der Weisung stellt sich so als Wert einer Reihenfolge von Wörtern dar, die von einer enzyklopädischen Sicht bestimmt wird, welche die Kenntnisse in einer neuen – systematischen und nichtsystematischen – Form der Rationalität anordnet.
Mi propósito es plantear el sentido de la expresión « hacer popular la filosofía » que surge de manera recurrente bajo la pluma de los enciclopedistas. ¿Cuál es el valor de lo que parece ser la consigna de la comunidad de sabios y filósofos que participan en la empresa de la Enciclopedia? Intento demostrar, a partir de un análisis literal – en un primer tiempo – de la expresión, que el imperativo « hacer popular la filosofía » responde ante todo a la exigencia de fijar un uso simple y racional de la lengua, con el fin de permitir una difusión del saber más rápida y más eficaz. Dicho de otra manera, el valor de este imperativo es a la vez de orden terminológico y económico. Al fijar la lengua, se gana tiempo. Pero el lema de los enciclopedistas responde también a otra experiencia, esta vez epistemólogica y fiosófica: la de construir, no ya una filosofía del sentido comύn, sino el sentido filosófico de una comunidad de hombres « discretos » que entienden el lenguaje de la razón. El valor de esta consigna se presenta así como el valor de un orden de palabras presidido por una visión enciclopédica que organiza en una nueva forma de racionalidad – sistemática y no sistemática – los conocimientos.
Texte intégral
1L’expression « rendre la philosophie populaire » est énoncée dans le § XL du texte De l’interprétation de la nature1 de Diderot dont l’objet est de dénoncer l’affectation des grands maîtres qui se plaisent à tirer un voile entre le peuple et la nature. Le propos de Diderot est de montrer que l’intérêt de la philosophie est de s’exprimer dans des ouvrages clairs. Intérêt interne d’abord puisque c’est en se rendant accessibles au peuple que les philosophes marchent en avant, intérêt social et économique ensuite puisque la clarté de l’ouvrage épargne du temps et du travail au lecteur et favorise ainsi la rapidité de compréhension et de diffusion du savoir, du savoir et non à proprement parler de la philosophie comme en témoignent les deux contre-exemples que Diderot cite comme des ouvrages obscurs : d’une part certains ouvrages du chimiste Stahl et d’autre part les Principes mathématiques de la philosophie naturelle de Newton.
2Le mot philosophie de l’expression « rendre la philosophie populaire » ne renvoie donc pas seulement aux ouvrages de philosophie mais aux ouvrages des sciences, des arts et des métiers. L’expression est sous-tendue par une conception encyclopédique de la philosophie, c’est-à-dire par la conception des encyclopédistes qui en font la langue et la grammaire des sciences et des arts. Le mot philosophie, dans l’Encyclopédie, est en effet synonyme de langue ou de métaphysique : Diderot, dans l’article encyclopédie (t. V, 1755, p. 642) insiste sur l’idée que toute science ou tout art a sa métaphysique et que l’objet de l’ordre encyclopédique est de bien exposer la métaphysique des choses, ou leurs raisons premières et générales. De même d’Alembert, dans l’article éléments des sciences (t. V, p. 492), précise qu’il faut surtout s’attacher à bien développer ce qu’il appelle la métaphysique des propositions qui n’est autre chose que l’exposition claire et précise des vérités générales et philosophiques sur lesquelles les principes de la science sont fondés. De là s’expliquent les variantes de l’expression de Diderot Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire. J’en ai relevé deux ou trois : une de Diderot lui-même dans l’article encyclopédie (t. V, 1755 de l’Encyclopédie) où il dit p. 636 : Les expressions propres à ces sciences (Diderot parle ici des sciences expérimentales) sont déjà très communes, et le deviendront nécessairement davantage. Qu’arrivera-t-il de là ? c’est que la langue, même populaire, changera de face ; qu’elle s’étendra à mesure que nos oreilles s’accoutumeront aux mots, par les applications heureuses qu’on en fera. Autres variantes de d’Alembert cette fois, qui déclare dans les Eléments de philosophie (Paris, Fayard, 1986, chap. IV, p. 31) : On ne saurait rendre la langue de la raison trop simple et trop populaire et, dans l’article éléments des sciences, il écrit à propos de la métaphysique des propositions : Plus cette métaphysique est simple, facile, et pour ainsi dire populaire, plus elle est précieuse, et plus loin il ajoute : On ne saurait, comme nous l’avons déjà dit ailleurs, rendre la langue de chaque science trop simple, et pour ainsi dire trop populaire (t. V, p. 492 et p. 494).
3Si l’on poursuit l’analyse littérale de l’expression, on constate que si le mot philosophie ne renvoie pas strictement au domaine philosophique, l’adjectif « populaire », de même, ne renvoie pas strictement à la notion de peuple. Le terme peuple est en effet extrêmement ambigu au dix-huitième siècle : sa version positive se lit dans la notion de nation et sa version péjorative dans les notions de « vulgaire » ou de « populace ». De Jaucourt, dans l’article peuple, restreint la masse du peuple aux ouvriers et aux laboureurs et note que, sous le règne d’Henri IV, le peuple jouissait d’une considération bien plus grande que sous le règne de Louis XV : Autrefois en France, le peuple était regardé comme la partie la plus utile, la plus précieuse, et par conséquent la plus respectable de la nation. Alors on croyait que le peuple pouvait occuper une place dans les états-généraux, et les parlements du royaume ne faisaient qu’une raison de celle du peuple et de la leur. Les idées ont changé, et même la classe des hommes faits pour composer le peuple, se rétrécit tous les jours davantage. (Encyclopédie, t. XII, p. 476).
4Les encyclopédistes eux-mêmes ne sont pas exempts d’équivocité dans leur conception du peuple. Tantôt ils le considèrent avec compassion comme la victime d’une inégalité des fortunes qu’il faut dénoncer et combattre (voir articles fortune, peuple, population), tantôt avec mépris comme le souteneur de l’infâme, c’est-à-dire comme porteur de toutes les formes de superstition et de fanatisme. Dans les deux cas, ils s’en démarquent soigneusement car le peuple, ce sont aussi les ignorants qu’il leur incombe d’instruire. L’expression « rendre la philosophie populaire » signifierait alors l’exigence d’instruire le peuple ou de divulguer le savoir, et les encyclopédistes travailleraient à la racine ce terme divulguer en portant au vulgus la connaissance. L’Encyclopédie, de ce point de vue, serait à lire comme un immense ouvrage de vulgarisation.
5Pourtant on peut avoir un doute sur cette interprétation de l’Encyclopédie quand on sait par exemple que d’Alembert reprend littéralement des passages de ses traités scientifiques pour rédiger les articles scientifiques. Il s’agirait moins d’une vulgarisation que d’une reproduction, pour un public plus large que celui des académies des sciences, de ses réflexions et de ses travaux de savant. Quel est ce public ? Ce n’est pas le peuple mais plutôt l’ensemble des hommes faits pour le composer dont parle de Jaucourt et qui, selon son expression, se sont tirés de la classe de peuple, c’est-à-dire les gens de lois, les gens de lettres, ceux qui cultivent les Beaux-Arts, les artisans ou artistes maniérés qui travaillent le luxe, les négociants et enfin les financiers qui ont pris un vol si élevé, qu’ils se trouvent côte à côte des grands du royaume (…) alliés avec les nobles qu’ils pensionnent, qu’ils soutiennent, et qu’ils tirent de la misère (article peuple, p. 476). Le public de l’Encyclopédie se représente symboliquement dans la figure de l’honnête homme qui fait preuve d’un esprit philosophique et non d’un esprit de système. C’est le bon esprit décrit par Diderot dans l’article encyclopédie qui cherche à s’approprier les reflets d’une lumière générale qui tombe sur les artistes et les lettrés et à en conserver une lueur, qui saisit ici une métaphore, là un terme nouveau, ailleurs un mot relatif à un phénomène, à une observation, à une expérience, à un système, entrevoit l’état des opinions dominantes (t. V, p. 638).
6Rendre la philosophie populaire ce n’est donc pas rendre la philosophie au peuple car la philosophie appartient toujours à César, même si l’empereur que donnerait à voir l’Encyclopédie, c’est César considéré sous l’angle de sa politique sociale, défenseur de réformes populaires, homme des populares, conscient de la détresse des pauvres. Il n’y a guère de traces dans l’Encyclopédie d’un esprit révolutionnaire ou même populaire. Les Planches, de ce point de vue, sont tout à fait significatives. Il suffit de regarder celle qui représente le laboratoire de chimie : les deux savants sont au centre et discutent. Aux quatre coins de l’image, en marge, se tiennent les laborantins besogneux en bras de chemise, tête nue. Ils sont tous penchés sur leur ouvrage. Seuls les savants font valoir leur port de tête et, comme si la position des corps ne suffisait pas à instituer le rapport des inférieurs aux supérieurs, les vêtements sont là pour enfoncer le clou : les deux savants sont en habit de gentilhomme et en perruque, les manouvriers en tablier. Et si l’on observe les diverses représentations des métiers, on constate qu’il n’y a nulle part l’indice d’un mal social. Il fait clair et simple chez les artisans (Barthes, à ce propos, parle des planches comme d’un théâtre dressant une sorte de légende dorée de l’artisanat in Le degré zéro de l’écriture, Paris, Seuil, 1953, p. 92). Les hommes se sourient en travaillant, les ateliers sont toujours propres et bien éclairés.
7Dans certains articles, on trouve cependant quelques traits dénonçant l’inégalité entre les hommes (inégalité de fortunes dans l’article fortune, inégalité devant les impôts dans l’article population, inégalité devant le travail article peuple et communautés) mais ces traits ne s’achèvent pas dans la constitution d’une philosophie politique visant à promouvoir un modèle de gouvernement démocratique. Les encyclopédistes sont loin de rejeter et de dédaigner la figure du philosophe-roi, figure en partie incarnée par Frédéric de Prusse, que d’Alembert propose comme le meilleur modèle pour les gens de lettres dans l’article dictionnaire2, même s’il lui fait subir quelques accrocs dans sa correspondance avec le roi. Ainsi d’Alembert, dans les lettres qu’il écrit à Frédéric les 29 janvier et 30 avril 17703, restreint la portée du Catéchisme de morale composé par le roi à la classe de la jeune noblesse. En effet les hommes qui sont dans la nécessité absolue (d’Alembert essaie de convaincre le roi que ce cas de nécessité absolue n’est pas, comme il le croit, purement métaphysique) n’ont pas d’autre principe de morale que la loi : comment pourrait-on alors les persuader, demande-t-il dans sa lettre du 29 janvier, que leur véritable intérêt est d’être vertueux, dans le cas où ils pourraient impunément ne l’être pas ?
8Mais c’est aussi d’Alembert, enfant naturel de Mme de Tencin et du Chevalier Destouches, abandonné sur le parvis de l’église Saint-Jean le Rond et élevé par une roturière, Mme Rousseau, qui condamne comme irrecevable philosophiquement et comme dangereuse politiquement toute pensée égalitariste et révolutionnaire : C’est une grande sottise d’accuser les philosophes, au moins ceux qui méritent ce nom, de prêcher l’égalité ; cette égalité est une chimère impossible dans quelque état que ce puisse être (lettre à Frédéric du 8 juin 1770 in Œuvres, t. 5, p. 294)4. D’Alembert parle ici au nom des philosophes et non seulement en son nom. Effectivement Voltaire s’accorde avec lui sur ce point : une pensée révolutionnaire est dangereuse et inutile. Mieux vaut cultiver son jardin, bien digérer, que construire une philosophie politique. Ainsi il déclare dans sa lettre à d’Alembert du 2 septembre 17685 : il (Damilaville) doit être content, et vous aussi, du mépris où l’inf… est tombée chez tous les honnêtes gens de l’Europe. C’était tout ce qu’on voulait, et tout ce qui était nécessaire. On n’a jamais prétendu éclairer les cordonniers et les servantes ; c’est le partage des apôtres. Il est question ici d’un autre encyclopédiste : l’abbé Damilaville, et il est intéressant de noter que cet abbé écrit l’un à la suite de l’autre deux articles de l’Encyclopédie, l’article populaire où il dénonce comme trompeuse et ambiguë toute politique populaire et traite le peuple en des termes peu flatteurs6 et l’article population qui est un des articles les plus militants de l’Encyclopédie. Damilaville y opère une critique radicale de la société française régie par la coalition des prêtres et des rois qui imposent au peuple leur despotisme spirituel et matériel, et dénonce également l’esprit de conquête européen qui détruit des peuples entiers ou les réduit à l’esclavage7.
9On retrouve les mêmes ambiguïtés sous la plume de Diderot qui, dans son texte De l’interprétation de la nature, énonce le fameux mot d’ordre et, quelques pages plus loin (§ LVII, pp. 238-239), distingue le travail et la réflexion du philosophe qui doit s’écarter du bon sens des nations et examiner sévèrement tous les axiomes de la sagesse populaire. D’Alembert, lui aussi, est parfois équivoque car, même s’il se dit mépriser la part opprimée du genre humain, il veut pourtant faire progresser la raison auprès de la multitude ignorante : (…) qu’on présente en même temps et pour la première fois, même à la multitude ignorante, des absurdités d’un côté telles que nous en connaissons, et de l’autre la raison et le bon sens, votre majesté pense-t-elle que la raison n’eût pas la préférence ? je dirai plus ; la raison, lors même qu’elle arrive trop tard, n’a qu’à persévérer pour triompher un jour, et chasser sa rivale (lettre à Frédéric du 7 mars 1770 in Œuvres, t. 5, p. 290)8. Dans la même lettre, il précise que la vérité ne peut être montrée que peu à peu, avec prudence : Il me semble qu’il ne faut pas, comme Fontenelle, tenir la main fermée quand on est sûr d’y avoir la vérité ; il faut seulement ouvrir avec sagesse et avec précaution les doigts de la main l’un après l’autre, et petit à petit la main est ouverte tout à fait, et la vérité en sort toute entière. Les philosophes qui ouvrent la main trop brusquement sont des fous ; on leur coupe le poing et voilà tout ce qu’ils y gagnent : mais ceux qui la tiennent fermée absolument, ne font pas pour l’humanité ce qu’ils doivent (id., p. 291).
10D’Alembert écrit cela en 1770, c’est-à-dire cinq ans après la levée de l’interdiction d’imprimer l’Encyclopédie. Rappelons que l’édition de l’ouvrage commencée en 1751 s’est interrompue pendant huit ans, de 1757 à 1765, suite à la parution du septième volume9. Entre temps, et même déjà avant 1757 par l’usage des renvois, les encyclopédistes ont appris à ne pas attaquer de front les formes de pouvoir qu’ils combattent. D’Alembert n’écrit plus de préfaces. Les analyses critiques des gouvernements et de la religion sont moins au jour. Ceci explique par exemple la différence de ton qui se lit dans les articles peuple et population : l’analyse critique de la société, qu’on attendrait dans l’article peuple, est différée et dissimulée dans l’article population. De fait, l’Encyclopédie présente différents niveaux de lecture. Diderot, dans l’article encyclopédie, explique que les renvois sont les chiquenaudes du texte10. Ils servent de couverture à la critique sociale, politique et religieuse, à la vérité bonne à dire mais avec prudence si l’on veut pouvoir la dire. Les renvois sont les mots couverts de la philosophie populaire, c’est-à-dire de la langue simple où l’on veut faire entendre raison, ou du moins donner aux hommes les moyens de l’entendre.
11 En effet, la valeur du mot d’ordre « rendre la philosophie populaire » est moins d’ordre politique que terminologique. La valeur du mot d’ordre est avant tout valeur de mots : et le terme valeur est ici à comprendre dans son sens étymologique (valere : se porter bien). Toute l’entreprise encyclopédique est guidée par le projet de redonner une santé au savoir et donc aux mots qui permettent sa diffusion. Rendre la philosophie ou le savoir populaire, cela signifie changer la façon commune aux gens de lettres et aux savants de parler. Les encyclopédistes cherchent à imposer un mode voire un modèle d’expression simple et rationnel (termes synonymes de populaire). Il s’agit pour eux de livrer un combat contre la langue du savoir qui présidait jusque-là à sa diffusion, à savoir la langue de l’Ecole. Il s’agit de substituer aux tics du langage scolastique des définitions nettes et précises, accessibles à tous, parce qu’elles se composent de termes vulgaires ou dérivés de ces termes. La langue promue par l’Encyclopédie est simple et rationnelle parce qu’elle est sous-tendue par une théorie de la définition proche de celle que propose Pascal dans l’Esprit géométrique. Comme on ne peut pas tout définir et tout prouver, le premier objet que doit se proposer l’auteur d’un dictionnaire raisonné ou d’une encyclopédie, c’est de former la liste des mots originaux et primitifs qui constituent les racines philosophiques de la langue11. Ces termes sont indéfinissables mais désignent naturellement les choses qu’ils signifient à ceux qui entendent la langue et leur sens est donc reçu par tous les hommes parlant la langue. Cela ne veut pas dire que les hommes connaissent l’essence même de la chose désignée par le mot car le terme primitif ou l’idée simple ne fait connaître que le rapport du nom à la chose. Ces idées simples ou termes primitifs sont par exemple le mot temps ou espace ou égalité ou existence. Ces mots originaux dont le sens est commun à tous les hommes qui connaissent la langue, s’enchaînent en définitions qui explicitent la composition d’une idée à partir de ces termes primitifs ou des termes vulgaires qui en dérivent et qui ont été préalablement définis. Elles permettent ainsi d’arriver à la formulation des principes ou éléments des sciences qui ne sont rien d’autre que des enchaînements rigoureux et démonstratifs de définitions. La théorie de la définition12 est donc l’outil méthodologique qui permet de bien développer ce que d’Alembert appelle, dans l’article éléments des sciences, la métaphysique de propositions. En d’autres termes, cette théorie commande la langue de la raison encyclopédique, la langue de la systématisation des éléments des sciences et des arts.
12La théorie de la définition est non seulement l’outil méthodologique de l’organisation des connaissances dans l’Encyclopédie mais c’est aussi l’outil critique qui permet de dénoncer d’une part le jargon scolastique qui réalise des abstractions et que les encyclopédistes présentent comme un asile de l’ignorance13 et, d’une manière générale, toute forme de jargon y compris le jargon scientifique : Les termes scientifiques n’étant inventés que pour la nécessité, il est clair que l’on ne doit pas au hasard charger une science de termes particuliers. Il serait donc à souhaiter qu’on abolît ces termes scientifiques et pour ainsi dire barbares, qui ne servent qu’à en imposer ; qu’en géométrie, par exemple, on dît simplement proposition au lieu de théorème, conséquence au lieu de corollaire, remarque au lieu de scholie, et ainsi des autres (éléments des sciences, p. 494)14. La volonté d’une vaste diffusion du savoir passe par la nécessité de réformer la langue de la raison, de la débarrasser de ses scories métaphysiques ou scolastiques et de la bien fixer dans ses usages, autant que faire se peut15. La réforme de la langue offre en effet deux avantages : d’une part elle permet de faciliter l’étude par la définition des termes particuliers à une science en d’autres termes plus vulgaires et plus simples, d’autre part elle tend à modifier le rapport des ignorants au savoir. Le travail de définition qui s’exerce sur les termes techniques ou scientifiques enlève à la langue d’une science son caractère trop particulier qui pouvait rebuter les ignorants et, ainsi, en aplanit l’abord16.
13D’Alembert et Diderot insistent sur la nécessité de reconstruire, à partir de cette théorie de la définition, un ordre d’invention dans la présentation des éléments des sciences et des arts. Ce qu’ils appellent l’ordre d’invention est une reconstruction de l’histoire des sciences et des arts, c’est-à-dire l’instauration d’un ordre fictif ou d’une histoire hypothétique dont l’intérêt est avant tout pédagogique, heuristique et méthodologique, et non de l’ordre réellement suivi par les inventeurs17. Pourquoi substituer ainsi un ordre fictif d’invention à l’ordre des inventeurs ? Précisément pour rendre la philosophie populaire, c’est-à-dire pour faciliter méthodologiquement l’acquisition et l’étude d’une science ou d’un art. C’est en effet après avoir dénoncé dans le § XL du texte De l’interprétation de la nature « l’affectation des grands maîtres que Diderot propose d’y remédier en rendant la philosophie populaire. De même d’Alembert, dans l’article éléments des sciences, reproche aux inventeurs d’avoir masqué volontairement ou involontairement les principes philosophiques sur lesquels s’appuyaient leurs découvertes18, et présente la méthode des éléments ou l’ordre d’invention proposé dans le système encyclopédique des connaissances humaines figuré par l’arbre encyclopédique19, comme le moyen de réordonner les connaissances. Cette réorganisation du savoir est vitale pour lutter contre la fureur du bel esprit ou de l’esprit faux qui prétend pouvoir parler de tout, de manière souvent pédante et ridicule, en empruntant aux savants ou aux artisans des termes scientifiques ou techniques qu’il transpose de manière métaphorique et abusive dans les matières de goût ou de théologie20. Il s’agit donc bien de redonner une santé et une popularité au savoir, c’est-à-dire de lui refaire un visage sans le maquillage déformant du bel esprit qui a pour effet néfaste de diminuer le goût de l’étude chez les savants ou de l’empêcher d’apparaître chez les ignorants, autrement dit chez le peuple21. Rendre la philosophie populaire, cela signifie donc donner un nouveau style22 à la présentation des connaissances car, pour d’Alembert comme pour Diderot, fixer la langue, changer la façon commune de parler (commune aux savants et non au peuple), c’est donner à l’Encyclopédie le caractère que doit avoir un bon dictionnaire qui est de changer la façon commune de penser (article encyclopédie, p. 643).
14« Rendre la philosophie populaire » : la valeur du mot d’ordre est la valeur d’un ordre de mots. L’Encyclopédie vise à élargir la communauté des savants par l’institution d’une langue populaire, c’est-à-dire simple et rationnelle, composée de termes scientifiques ou techniques mais dûment définis à partir des termes vulgaires ou de leurs dérivés. La théorie de la définition est donc la clef de voûte de toute l’entreprise encyclopédique, c’est elle qui permet de rendre la langue commune aux savants et aux ignorants. Ainsi pourra être constituée une communauté d’hommes dirigés par la raison, ou plus exactement par la langue de la raison23. Rendre la philosophie populaire, cela ne veut pas dire construire une philosophie du sens commun, mais cela signifie construire philosophiquement, à l’aide d’une théorie de la définition rigoureuse, une communauté de sens. Reste pourtant le problème du fondement de la théorie de la définition. Celle-ci suppose en effet l’accord des esprits sur le sens commun d’un petit nombre de mots primitifs et originaux, sens commun qui ne livre pas la connaissance de la chose même désignée par le mot mais simplement la connaissance du rapport du mot à la chose. Toutefois, pour pouvoir construire la théorie de la définition, il faut postuler que cette connaissance du sens des termes primitifs est commune à tous ceux qui entendent la langue. Autrement dit, la constitution d’une communauté de sens repose en dernière instance sur le postulat d’un sens commun fondé sur l’accord des esprits.
15Il serait faux de dire que les encyclopédistes n’ont pas questionné ce postulat. Au contraire, le sensualisme dans lequel d’Alembert, par exemple, propose de fonder les notions premières est une tentative de répondre à la question du fondement de la théorie de la définition. Mais cette réponse ne le satisfait pas vraiment : la conception sensualiste du langage pose en effet problème quand on est savant et qu’on veut imposer comme notion primitive du temps que, par sa nature, il coule uniformément (sens « commun » qui se réfère déjà à un état très structuré du savoir et qui entre en contradiction avec une perception primitive du temps à partir, par exemple, de la succession des idées dans la conscience et selon laquelle le temps est discontinu, entrecoupé d’états de veille et de sommeil). La solution qui consiste à qualifier de naturelles, de simples, de claires, de vulgaires ou de populaires, les notions dites primitives qui sont parfois les plus éloignées de l’expérience commune, est pourtant celle qui est retenue même si elle est problématique. En dernier ressort, le postulat d’une raison naturelle pourvoyeuse des notions primitives (fondées en nature) introduit certes une conception métaphysique de la naturalité du langage qui offre à tous les hommes un sens commun minime, mais suffit à fonder la démarche encyclopédique et donc à rendre la philosophie populaire. Car même si, selon Diderot, il faut se méfier des axiomes de la sagesse populaire (§ LVII in De l’interprétation de la nature), ce sont pourtant les notions primitives de la métaphysique populaire, ou, en d’autres termes, les axiomes populaires24, qui viennent fonder la théorie de la définition et donc le projet encyclopédique de construire une communauté de sens.
Notes de bas de page
1 Voir Œuvres philosophiques, Paris, Garnier, 1964, p. 216.
2 Voir Encyclopédie, t. IV, 1754, p. 969 : Occupés désormais uniquement de notre travail, nous suivrons par rapport aux critiques (quels qu’ils puissent être), l’exemple d’un grand monarque de nos jours, qui n’a jamais voulu répondre ni souffrir qu’on répondît à une satire absurde et scandaleuse publiée il y a quelques mois contre lui : c’est à moi, dit-il, à mépriser ce qui est faux dans cette satire, et à me corriger s’il y a du vrai. Parole bien digne d’être conservée à la postérité, comme le plus grand éloge de ce monarque, et le plus beau modèle que puissent se proposer les gens de lettres.
3 Voir Œuvres, Paris, Belin, 1821-1822, t. 5, p. 289 et pp. 292-293.
4 Voir aussi la lettre de d’Alembert à Voltaire du 18 novembre 1771 in Œuvres, t. 5, p. 211 : Je fais du genre humain deux parts, l’opprimante et l’opprimée ; je hais l’une et je méprise l’autre.
5 Voir Œuvres complètes, Paris, Lefèvre, en 41 vol., 1817-1818, t. 41, p. 395.
6 Voir Encyclopédie, t. XIII, 1765, p. 87 : On nomme populaires, ceux qui cherchent à s’attirer la bienveillance du peuple. Dans tous les états libres, on s’est toujours défié des hommes trop populaires ; nous voyons que dans les temps de la république romaine, plusieurs citoyens illustres ont été punis pour s’être rendus trop agréables au peuple. Ce traitement paraîtra sans doute injuste, ou trop rigoureux ; mais, si l’on y fait attention, on sentira que dans un état républicain, toute distinction fait ombrage ; qu’il est dangereux de montrer au peuple un chef, à qui il puisse s’adresser dans ses mécontentements ; enfin, que comme le peuple n’est point aimable, il faut supposer des vues secrètes à ceux qui le caressent.
7 Voir Encyclopédie, t. 13, pp. 88-103.
8 Voir aussi la lettre à Frédéric du 30 novembre 1770 in Œuvres, t. 5, p. 305 : Le peuple est sans doute un animal imbécile qui se laisse conduire dans les ténèbres, quand on ne lui présente pas quelque chose de mieux ; mais offrez-lui la vérité ; si cette vérité est simple, et surtout si elle va droit à son cœur, comme la religion que je lui propose de lui prêcher, il me paraît infaillible qu’il la saisira, et qu’il n’en voudra plus d’autre.
9 Ce septième volume (Fo-Gy) est, selon les lettres de la fin 1757 et du début 1758 que d’Alembert écrit à Voltaire, très subversif (il contient notamment les articles forme substantielle, fortuit, fornication, futur contingent, frères de la charité, fortune et Genève, et attire les libelles et les satires de toutes sortes (dont une pièce satirique les Cacouacs, du nom péjoratif donné aux encyclopédistes).
10 Voir article encyclopédie, t. V, p. 642 : Il y aurait un grand art et un avantage infini dans ces derniers renvois (Diderot parle ici des renvois d’ordre subversif). L’ouvrage entier en recevrait une force interne et une utilité secrète, dont les effets sourds seraient nécessairement sensibles avec le temps. Toutes les fois, par exemple, qu’un préjugé national mériterait du respect, il faudrait à son article particulier l’exposer respectueusement, et avec tout son cortège de vraisemblance et de séduction ; mais renverser l’édifice de fange, dissiper un vain amas de poussière, en renvoyant aux articles où des principes solides servent de base aux vérités opposées. Cette manière de détromper les hommes opère très promptement sur les bons esprits, et elle opère infailliblement et sans aucune fâcheuse conséquence, fortement et sans éclat, sur tous les esprits. C’est l’art de déduire tacitement les conséquences les plus fortes. Si ces renvois de confirmation et de réfutation sont prévus de loin, et préparés avec adresse, ils donneront à une Encyclopédie le caractère que doit avoir un bon dictionnaire ; ce caractère est de changer la façon commune de penser.
11 Voir article dictionnaire de d’Alembert, t. IV, p. 959.
12 Cette théorie est présentée de manière systématique par d’Alembert dans ses Eléments de philosophie au chapitre IV, pp. 25-32, et dans les éclaircissements qui complètent le chapitre IV, c’est-à-dire les éclaircissements II à V, pp. 203-227 in Eléments de philosophie. On en trouve des bribes dans les articles définition, dictionnaire et éléments des sciences.
13 Voir l’article définition, t. IV, 1754, p. 747 où d’Alembert reproche aux scolastiques de réaliser des abstractions et de croire que pour avoir des noms qui exprimassent les essences des substances, ils n’avaient qu’à suivre l’analogie du langage ; ainsi ils ont fait les mots de corporéité, d’animalité et d’humanité, pour désigner les essences du corps, de l’animal et de l’homme : ces termes leur étant devenus familiers, il est bien difficile de leur persuader qu’ils sont vides de sens. Voir aussi l’article éléments des sciences, p. 493.
14 Voir aussi les Eléments de philosophie, p. 31 et pp. 34-35, et l’article encyclopédie qui, en son entier, offre une réflexion sur ce que doit être la langue d’un dictionnaire.
15 Voir article dictionnaire, p. 961 : Ce qu’il ne faut pas oublier surtout, c’est de tâcher, autant qu’il est possible, de fixer la langue dans un dictionnaire. Voir aussi article encyclopédie, p. 637 : (…) la connaissance de la langue est le fondement de toutes ces grandes espérances (Diderot parle ici des rêves de gloire des encyclopédistes et de leurs espoirs de voir leur travail reconnu par la postérité) ; elles resteront incertaines, si la langue n’est fixée et transmise à la postérité dans toute sa perfection ; et cet objet est le premier de ceux dont il convenait à des encyclopédistes de s’occuper profondément.
16 Le souci d’aplanir l’abord des sciences a été une préoccupation constante de d’Alembert : dès 1743, dans la préface de son premier traité scientifique, le Traité de dynamique, il insiste sur le double propos de son traité qui est de reculer les limites de la mécanique et d’en aplanir l’abord (voir Traité de dynamique, Paris, David, 1e éd., 1743, reprise par Culture et civilisation, Bruxelles, 1967, p. IV). Dans l’article éléments des sciences (t. V, p. 494), il montre que la clarification des principes et des termes particuliers à une science est le moyen d’ôter au peuple un prétexte de se réfugier dans la misologie : « (…) c’est ôter encore un prétexte de la (d’Alembert parle de la science) décrier au peuple, qui s’imagine ou qui voudrait se persuader que la langue particulière d’une science en fait tout le mérite, que c’est une espèce de rempart inventé pour défendre les approches : les ignorants ressemblent en cela à ces généraux malheureux ou malhabiles, qui ne pouvant forcer une place se vengent en insultant les dehors (voir aussi, sur ce point, les Eléments de philosophie, chap. IV, p. 31).
17 Voir article éléments des sciences, p. 495 : (…) il ne s’agit point ici de l’ordre que les inventeurs ont pour l’ordinaire réellement suivi, et qui était sans règle et quelquefois sans objet, mais de celui qu’ils auraient pu suivre en procédant avec méthode. On ne peut douter que cet ordre ne soit en général le plus avantageux à suivre ; parce qu’il est le plus conforme à la marche de l’esprit, qu’il éclaire en instruisant, qu’il met sur la voie pour aller plus loin, et qu’il fait pour ainsi dire pressentir à chaque pas celui qui doit le suivre : c’est ce qu’on appelle autrement la méthode analytique, qui procède des idées composées aux idées abstraites, qui remonte des conséquences connues aux principes inconnus, et qui en généralisant celles-là, parvient à découvrir ceux-ci ; mais il faut que cette méthode réunisse encore la simplicité et la clarté, qui sont les qualités les plus essentielles que doivent avoir les éléments d’une science. Il faut bien se garder surtout, sous prétexte de suivre la méthode des inventeurs, de supposer comme vraies des propositions qui ont besoin d’être prouvées, sous prétexte que les inventeurs, par la force de leur génie, ont dû apercevoir d’un coup d’œil et comme à vue d’oiseau la vérité de ces propositions. Voir aussi article encyclopédie, p. 647.
18 Voir éléments des sciences, p. 492 : (…) les principes philosophiques sur lesquels la découverte d’une science est appuyée, n’ont souvent une certaine netteté que dans l’esprit des inventeurs ; car soit par négligence, soit pour déguiser leurs découvertes, soit pour en faciliter aux autres le fruit, ils les couvrent d’un langage particulier, qui sert ou à leur donner un air de mystère, ou à en simplifier l’usage : or ce langage ne peut être mieux traduit que par ceux mêmes qui l’ont inventé, ou qui du moins auraient pu l’inventer. Il est enfin des cas où les inventeurs mêmes n’auraient pu réduire en ordre convenable leurs connaissances ; c’est lorsqu’ayant été guidés moins par le raisonnement que par une espèce d’instinct, ils sont hors d’état de pouvoir les transmettre aux autres. C’est encore lorsque le nombre des vérités se trouve assez grand pour être recueilli, et pour qu’il soit difficile d’y ajouter, mais non assez complet pour former un corps ou un ensemble. Ce dernier cas envisagé s’applique, pour d’Alembert, aux sciences expérimentales et surtout aux sciences de la vie qui souffrent, à ses yeux, d’un manque de systématisation.
19 Voir Discours préliminaire de l’Encyclopédie, Paris, Vrin, 1984, pp. 163-182.
20 Diderot et d’Alembert critiquent, à plusieurs reprises, les abus de langage et de mots et proposent comme palliatif la mise en œuvre de définitions rigoureuses (voir, par exemple, l’article encyclopédie, p. 642 où Diderot condamne l’abus des métaphores, qui transporte un même mot de la boutique d’un artisan sur les bancs de la Sorbonne, et qui rassemble les choses les plus hétérogènes sous une commune dénomination).
21 Voir article dictionnaire, p. 968 : C’est la fureur du bel esprit qui a diminué le goût de l’étude, et par conséquent les savants ; c’est la diminution de ce goût qui a obligé de multiplier et de faciliter les moyens de s’instruire. Ces moyens, ce sont précisément des ouvrages comme l’Encyclopédie qui sont un secours pour les savants, et sont pour les ignorants un moyen de ne l’être pas tout à fait (id). Voir aussi, sur le rapport que peuvent avoir les savants et le peuple à l’Encyclopédie, l’article encyclopédie, p. 637.
22 D’Alembert précise dans l’article dictionnaire, p. 969, quel doit être ce style : (…) le style d’un dictionnaire doit être simple comme celui de la conversation, mais précis et correct. Il doit aussi être varié suivant les matières que l’on traite, comme le ton de la conversation varie lui-même suivant les matières dont on parle.
23 Ce souci philosophique de penser une communauté d’hommes dirigés par la raison n’est pas sans rappeler la proposition LXXIII de la partie IV de l’Ethique de Spinoza (Paris, 1965, trad. Appuhn, G. F, p. 290) : L’homme qui est dirigé par la raison, est plus libre dans la Cité où il vit selon le décret commun, que dans la solitude où il n’obéit qu’à lui-même. Mais, à la différence de Spinoza dont le style more geometrico est âprement critiqué, les encyclopédistes pensent que la condition d’apparition de cette communauté réside d’abord dans la constitution d’une langue commune et non dans l’acquisition des connaissances rationnelles. L’acquisition des connaissances rationnelles certes est indispensable pour penser une communauté d’hommes dirigés par la raison mais elle en est la condition seconde qui suppose et même demande que la première condition soit remplie.
24 Voir Discours préliminaire de l’Encyclopédie, p. 104 : En un mot les principes de la métaphysique, aussi simples que les axiomes, sont les mêmes pour les philosophes et pour le peuple. Voir aussi les Eléments de philosophie, p. 40 : Le vrai en métaphysique ressemble au vrai en matière de goût ; c’est un vrai dont tous les esprits ont le germe en eux-mêmes, auquel la plupart ne font point d’attention mais qu’ils reconnaissent dès qu’on le leur montre.
Auteur
Maître de Conférences à Reims
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