Belgique / België : Dirk De Geest et Reine Meylaerts
2004
p. 197-215
Texte intégral
DE GEEST (Dirk) et MEYLAERTS (Reine), « Littératures en Belgique / Literaturen in België. Un problème, une problématique, un programme », dans DE GEEST (Dirk) et MEYLAERTS (Reine) (éd.), avec la collaboration de Gina Blanckhaert, Littératures en Belgique / Literaturen in België. Diversités culturelles et dynamiques littéraires / Culturele diversiteit en literaire dynamiek, Bruxelles, PIE - Peter Lang, 2004, p. 17-30.
1Littératures en Belgique / Literaturen in België. Le titre de ce volume met en évidence le fait que la tension entre le singulier et le pluriel – aussi bien à l’intérieur d’une littérature donnée qu’entre les diverses littératures en contact – formera un problème clé tout au long de ce livre.
2Depuis longtemps en effet, notre littérature francophone se définit systématiquement comme ‘belge’. Elle est identifiée tant par la critique littéraire que par les études littéraires académiques comme ‘littérature francophone de Belgique’, comme ‘littérature belge de langue française’ ou encore, de nos jours, tout simplement comme ‘littérature belge’. Les néerlandophones, par contre, boudent le terme ‘belge – belgisch’ et lui préfèrent l’expression ‘Vlaamsee literatuur – littérature flamande’. Certainement dans le contexte du Mouvement Flamand et de l’État fédéralisé, il semble particulièrement inhabituel (pour ne pas dire obscène) de référer à la Région flamande comme ‘la partie néerlandophone de la Belgique’. À côté de la tension entre le singulier et le pluriel, des questions de ‘symétrie’ versus ‘dissymétrie’ formeront par conséquent un aspect essentiel de notre problématique.
3En outre, tandis que le Sud s’est longtemps montré fort réticent face au concept de ‘wallon’ – traditionnellement utilisé pour désigner des phénomènes périphériques comme le folklore et la littérature dialectale – le label ‘flamand – Vlaams’ est utilisé de l’autre côté de la frontière linguistique – quelle frontière, quelle langue ? – avec beaucoup d’aisance, aussi bien par les acteurs du champ littéraire que par les milieux scientifiques.
4À cela s’ajoute que le positionnement de ‘notre’ littérature au Nord et au Sud prend une orientation fort divergente. Ainsi, en Flandre, des voix s’élèvent qui, s’appuyant sur une argumentation scientifique ou linguistico-politique, postulent une seule langue et littérature néerlandaise, commune au Nord et au Sud. Le projet récent de la Taalunie pour une historiographie littéraire renouvelée (Bekkering, 1997) tranche sur les polémiques suscitées par l’exclusion voulue ou non de la littérature flamande dans l’aperçu de Ton Anbeek (1999). Dans cette optique les différences sont ou bien réduites à des nuances secondaires, à des malentendus, à des détails, ou bien donnent lieu à des spéculations sur les différences irréductibles entre la Flandre et les Pays-Bas. La littérature francophone de Belgique par contre, tente de s’affirmer et de se légitimer vis-à-vis de la littérature française hexagonale, souvent d’ailleurs à l’intérieur du paradigme de la Francophonie.
5En d’autres termes, ce qui apparaît à première vue comme une simple discussion terminologique, un problème académique confiné au petit cercle des universitaires ou des nationalistes, se présente, tout bien considéré, comme symptomatique pour les problèmes auxquels non seulement les littératures en Belgique mais n’importe quelle littérature doit faire face. Le choix de telle ou telle terminologie (à l’exclusion d’une autre) et d’une certaine idée de ‘notre’ littérature (celle ‘de chez nous’), implique un ensemble de prises de position : politique, linguistique, littéraire. Le présent recueil nous paraît par conséquent doublement novateur. D’un côté, c’est la première fois que des spécialistes en littérature ‘belge’ néerlandophones et francophones, Belges et étrangers, vont se confronter à grande échelle. Sans doute, communication et frustration, compréhension et incompréhension se relayeront au fil des pages. Nous espérons tout de même qu’à partir de ces contacts et échanges intenses de nouvelles pistes de recherche se développeront. De l’autre côté, ce volume veut également reculer des bornes théoriques et méthodologiques en questionnant ou en critiquant l’acception et l’utilité de concepts profondément enracinés dans l’usage.
6D’emblée, il doit être clair que notre choix pour la formule ‘Littératures en Belgique’, au lieu de l’expression habituelle de ‘littérature belge’ comme thème du présent livre n’est pas un hasard mais est au contraire le fruit d’un choix délibéré. Traitons par conséquent, de façon modeste mais à l’aide de quelques accents programmatiques, les diverses composantes de notre titre : ‘littératures’, ‘en’, ‘Belgique’. Il va de soi qu’il ne s’agit pas d’un traité élaboré mais plutôt d’une incitation et invitation à la discussion.
I. ‘Literatuur – Littératures’
7Le présent livre a choisi d’aborder la ‘littérature’ comme un concept pluriel et ouvert, plutôt que comme une notion singulière et homogène. Tant les thèmes que le cadre théorique des contributions illustrent par ailleurs à suffisance l’intérêt d’approches qui rendent justice à la pluralité, l’hétérogénéité, l’altérité et la polyphonie de la littérature, sans céder à la tentation subtile de généralisation et d’homogénéisation. Cette option ne fera plus froncer autant de sourcils qu’auparavant, mais ses implications demeurent tout de même considérables et fondamentales, a fortiori lorsqu’il s’agit de littératures en Belgique.
8En premier lieu, il est vain de vouloir poser la question de l’essence littéraire ou, si l’on préfère de ‘la’ littérature. Les aléas de l’histoire littéraire démontrent assez combien les conceptions et les attentes concernant la nature, la fonction et les stratégies littéraires peuvent évoluer et comment en outre à tout moment de cette histoire, diverses conceptions littéraires, partiellement conflictuelles, coexistent (De Geest, 1996). Au lieu de partir à la recherche d’une énième définition essentialiste de la littérature, il vaut mieux étudier comment dans une certaine constellation, le concept de ‘littérature’ – et, à un niveau différent, un concept comme ‘littérature’ ‘belge’, ‘francophone’ ou ‘flamande’ – est investi aux niveaux sémantique et pragmatique d’acceptions et de connotations très variées et comment il est ensuite relié à un corpus de textes bien déterminé. De quelle façon le statut ‘littéraire’ d’un texte est-il défini et légitimé ? Quels mouvements de canonisation et de décanonisation y jouent un rôle décisif ? Qu’est-ce qui se dérobe à la communication littéraire et pour quels motifs ? De façon plus concrète : pourquoi des maisons d’édition catholiques et populaires comme Averbode et le Davidsfonds, pourquoi la littérature régionale, les nombreuses éditions à compte d’auteur ne font-elles pas, ou presque pas, l’objet de l’historiographie littéraire ?
9Pareilles questions se révèlent d’autant plus importantes qu’il faut constater combien l’image de l’historiographie traditionnelle reste dominante, du moins dans des textes vulgarisants ou par le biais de l’enseignement. Son accentuation fétichiste, presqu’exclusive d’auteurs individuels et de leur œuvre, présentés généralement comme idiosyncratiques (‘originaux’) et transhistoriques (‘de valeur universelle’), rend cette vision de la littérature largement tributaire du culte romantique du génie créateur. Son orientation fortement nationale y trouve également son origine. Ce qui peut apparaître à première vue comme un critère de sélection, fondé sur des arguments soi-disant objectifs comme la langue ou la territorialité, articule en fait souvent une vision bien déterminée de la littérature, la culture, la société et l’histoire. Une littérature nationale constitue de ce point de vue l’émanation d’une identité collective, un apport entièrement original au patrimoine littéraire international.
10L’historiographie fonctionnaliste s’y oppose diamétralement. Suite à Tynjanov, elle a avant tout accentué la multiplicité et la complexité du ‘fait littéraire’. Ainsi s’est ouvert un éventail beaucoup plus large d’approches, de points de vue et de composantes. Les domaines de recherche ne sont plus l’auteur et l’œuvre, mais… des maisons d’édition, des collections, des stratégies publicitaires, des procédés textuels, voire l’organisation des études littéraires mêmes. Ces thèmes ont par conséquent reçu une place légitime dans le présent volume. Néanmoins, même à l’intérieur du cadre fonctionnaliste, des questions cruciales persistent. Jusqu’à quel niveau ces diverses constellations d’éléments peuvent-elles être considérées comme constitutives du champ ou du système littéraire ? Comment ces types d’éléments se rapportent-ils les uns aux autres ? Faute d’un cadre méthodologique et théorique explicite, on court le risque de faire tout et rien à la fois et d’arriver à un type d’historiographie ‘autre’ mais en fait ‘identique’ : une historiographie cumulative, un amalgame éclectique où toute base d’analyse et d’explication fait défaut.
11C’est exactement par ce genre de réflexions que la question du corpus reste une question cruciale pour toute forme d’analyse historico-littéraire. En fait, toute recherche repose sur l’adoption non problématique (et par là souvent implicite) d’un corpus. Pourtant, la sélection d’un corpus codétermine de façon non négligeable les résultats de l’analyse. Les histoires littéraires classiques, et ceci vaut pour toutes nos littératures nationales, conçoivent les littératures uniquement en termes d’auteurs, de textes et de genres canoniques. Les excursions sporadiques vers d’autres phénomènes – sous des rubriques types intitulées ‘Influences et contexte’ ou encore ‘Autres Représentants’ – ne font qu’accentuer cette orientation de principe. Ce n’est pas par hasard que la critique vise à démontrer la pertinence et finalement la nécessité de l’étude d’autres corpus. Jusqu’à nouvel ordre, nombre de segments de la production littéraire restent en effet – même si nous nous plaisons à prétendre le contraire – en dehors de recherches systématisées : la littérature de jeunesse, la littérature régionale, la littérature dialectale, le poème didactique, le théâtre populaire, la littérature coloniale, le roman à thèse, la littérature allochtone… Les diverses composantes de la communication et de l’institutionnalisation littéraires subissent un sort identique. Si de tels phénomènes sont bel et bien étudiés, on continue à les considérer comme des entités isolées. Les interactions avec d’autres phénomènes littéraires sont à peine prises en compte (sans parler d’une association systématique à l’étude de la ‘littérature’).
12Comme tous ces exemples l’illustrent, la problématique dépasse largement la simple tension entre les modèles canonisés et non canonisés. Finalement il s’agit d’une vision aussi globale que possible sur la culture, sur la position, la fonction et la nature de la littérature. L’on pourrait en effet prouver que notre image actuelle de la littérature est largement déterminée par une perspective moderniste, qui privilégie des caractéristiques telles que l’innovation, la polémique et l’originalité. Des types de littérature qui ne sont pas directement axés sur des innovations (formelles) ou sur des fonctions autonomes de la littérature, tombent ainsi presque nécessairement en dehors des champs de recherche. Pourtant, Lotman et d’autres ont attiré l’attention sur le fait que la dynamique culturelle ne peut être analysée uniquement en termes d’opposition et de lutte, mais tout aussi bien en termes d’identité et de variation. À cela s’ajoute qu’à tout moment de l’histoire littéraire, diverses strates temporelles sont présentes dans un réseau complexe de relations et de tensions ; toute coupe synchronique est en d’autres termes fondamentalement caractérisée par une diachronisation, un spectacle captivant de valeurs consacrées et moins consacrées, innovatrices et moins innovatrices. À part les diverses pratiques littéraires actuellement en vigueur, il faut en effet constater que d’un côté certains segments de la tradition fournissent, activement ou passivement, une contribution essentielle au paysage littéraire, tandis que de l’autre certains éléments apparemment occasionnels, voire dysfonctionnels, peuvent être interprétés (après coup) comme des symptômes de nouvelles conceptions littéraires en voie de développement.
13Enfin, il faut à cet égard se réjouir de ce que, ces dernières années, l’analyse des conceptions littéraires s’est assouplie (Van Rees, 1994 et Brems, 1999). De plus en plus, des recherches sont menées sur la façon dont divers acteurs du système ou du champ se positionnent face à la nature, à la fonction ou aux stratégies spécifiquement littéraires. Il saute aux yeux que cette conception poétique se greffe quasi exclusivement sur des catégories et arguments internes au système littéraire : l’impact et l’acception de concepts centraux comme ‘art’ et ‘vie’, ‘homme’ et ‘personnalité’, ‘réalité’ et ‘expression’ méritent d’être analysés de manière plus précise. De même, la relation entre les composantes poétiques internes et externes demeure une question hasardeuse ; dans quelle mesure les textes littéraires constituent-ils un prolongement logique, une traduction créatrice ou une version hautement rebelle de la poétique explicite ? Et finalement, comment établir le lien entre la poétique individuelle d’écrivains et de critiques et la définition plus générale de courants littéraires ?
II. ‘In – En’
14Non moins passionnantes, mais beaucoup moins évidentes que le terme ‘littérature’ – qui en fin de compte forme un concept clé de toute réunion scientifique dans notre domaine – sont les péripéties sémantiques de la modeste préposition ‘en’. Là où, jadis, les prépositions étaient considérées comme des catégories sémantiques vides, purement relationnelles (un moyen de souder grammaticalement les composantes centrales de ‘littérature’ et ‘Belgique’), la linguistique cognitive a attiré l’attention sur le fait qu’un mot comme ‘en’ peut activer un ensemble très divers de significations.
15Ici également, notre formulation se veut explicitement programmatique. Nous optons en effet de façon stratégique pour l’expression ‘en Belgique’ et non pour celle, sans doute plus évidente, de ‘littérature belge’. L’ensemble ‘en Belgique’ offre l’avantage que le complément peut (et doit) simultanément être lu de diverses façons syntaxiques : comme une sorte d’apposition (sémantiquement comparable à un adjectif) mais tout aussi bien comme un complément circonstanciel de lieu (voire même de manière). Il se dessine, en d’autres termes, au lieu d’une assomption générale, une problématique complexe qui est cruciale pour l’étude du fonctionnement littéraire et culturel. Peut-être, la littérature n’est-elle authentique ou précieuse que lorsqu’elle se trouve ‘en Belgique’, tout comme un gendarme doit impérativement être ‘en uniforme’ pour pouvoir exercer sa fonction. Et peut-être, le complément ‘en Belgique’ n’est-il qu’une désignation accidentelle, une des nombreuses façons dont une littérature peut se manifester.
16Quoi qu’il en soit, la formule ‘en Belgique’ signifie que l’on ouvre des possibilités pour l’analyse de métaphores territoriales, politiques, historiques ou même biologiques qui sont utilisées dans le discours littéraire (et d’ailleurs également dans le discours scientifico-littéraire). ‘La Belgique’ n’est en effet, – comme les labels ‘flamand’, ‘wallon’, ‘francophone’ ou ‘anversois’ – pas une catégorie évidente, pour ainsi dire naturelle, mais au contraire une notion discursive profondément complexe.
17En outre, la formule ‘Littératures en Belgique’ offre également l’avantage que d’autres composantes que celles étroitement nationalistes de la littérature peuvent et doivent être associées à la recherche. D’un côté, nous avons affaire à toutes sortes de strates et corpus ‘internationaux’ qui forment non seulement un problème fondamental pour la conceptualisation de la notion de ‘littérature de chez nous’, mais qui sont finalement aussi primordiaux pour la manière dont nous tentons d’analyser des ‘influences’, des ‘courants’, la dynamique traductionnelle. La présence dominante des littératures française et hollandaise en Belgique reste un phénomène historico-littéraire intrigant. D’un autre côté, il y a une série de phénomènes ‘infranationaux’ qui sont largement négligés à cause de leur profil marginal ou insignifiant : la littérature dialectale, des formes littéraires régionales ou encore, la présence de composantes allochtones – auteurs et textes confondus.
18Enfin, il y a, plus spécifiquement pour la situation belge, la constatation que ‘notre’ littérature semble avoir presque nécessairement un caractère ‘marginal’ ou ‘ex-centrique’. Nous entendons dire par là que la Belgique, là où il s’agit de la production, de la réception et de l’institutionnalisation de la littérature, occupe une position intermédiaire et unique entre la France d’un côté et les Pays-Bas de l’autre ; nous faisons abstraction ici (et à tort) de la région germanophone. D’une part cette position intermédiaire donne lieu à des tentatives explicites de stabiliser l’identité propre, de la légitimer dans la différence par rapport aux systèmes voisins, perçus comme hégémoniques. D’autre part, il y a tout aussi bien un mouvement excentrique ou centrifuge (pour autant que la Belgique peut être vue comme un centre ou comme ayant un centre). Le résultat de cette dynamique est, paradoxalement, que nos écrivains les plus proéminents sont sans doute ceux qui se trouvent (publient ou vivent) le moins littéralement ‘en Belgique’, voire ceux qui prennent explicitement leurs distances par rapport à toute forme d’appropriation ‘nationaliste’.
III. ‘België’ – ‘Belgique’ – ‘Belge’ – ‘Belgisch’…
19Quel autre qualificatif, fondement de toute tentative de légitimer une littérature (nationale), a donné lieu à plus de définitions, à tant d’interrogations, voire à tant d’impasses ? Nous n’entendons nullement postuler ici une tantième opération unitariste, ni nous inscrire dans une quelconque conception évolutionniste : c’est le discours sur l’histoire qui, rétrospectivement et prospectivement, impose une vision linéaire, téléologique des phénomènes littéraires, en l’occurrence identitaires. Puisons quelques exemples dans un éventail de significations toujours partiellement chevauchantes et coexistantes. Au xviie siècle par exemple, ‘belge’ était une catégorie géographico-politique pour désigner l’ensemble des anciens Pays-Bas ainsi qu’une catégorie linguistique pour référer à la langue néerlandaise. Suite à la longévité de cette conception, Walter Scott décrit encore en 1823 Liège comme une cité flamande (Leerssen, 1992 : 281). En fait, depuis les humanistes, il existe un rapport sémantique entre ‘belge’ et ‘néerlandais’, rapport que certaines pratiques discursives perpétueront encore longtemps. Les premières décennies après la création de la Belgique, pas mal de flamingants posent l’équivalence ‘belge’-’flamand’ : en employant la langue flamande en littérature, ils entendent manifester, autant que leurs confrères francophones, leur nationalité belge. Ainsi, ‘belge’ peut référer à l’aspect bilingue et biculturel ‘flamand’ + ‘français’ sans nécessairement présupposer la soumission d’une composante à l’autre. Dans une version actualisée, contemporaine, ce biculturalisme peut donner lieu à des formules comme ‘Flamand’ + ‘Wallon’ = deux ‘Belges’ (Devoldere, 2000). Nombre d’initiatives artistiques et littéraires récentes témoignent du succès d’une telle perception. Pensons au numéro récent de Dietsche Warande en Belfort, voué à “Franstalig België”,1 à l’exposition ‘Belgisch Atelier Belge’, au numéro spécial de la revue Marginales, “La Belgique : stop ou encore ? ”, au volumineux Belgique Toujours Grande et Belle, réuni par Pickels et Sojcher, un des pères du concept de Belgitude. Pour bon nombre d’écrivains de la génération de la Jeune Belgique (fin du xixe siècle), ‘belge’ se réduit à des productions en langue française mais puisant dans un imaginaire flamand poétisé que fournissait le riche passé culturel des Flandres.2 ‘Belge’ égale ici ‘langue française + inspiration flamande’. Cette formule, résumée par J.-M. Klinkenberg (1981) sous l’expression de ‘mythe nordique’ fait abstraction de la dimension bilingue en faveur d’une vision unitaire, unilingue et francophone. Elle fonctionne comme définition identitaire d’une Belgique littéraire officielle jusque dans la première moitié du xxe siècle. La formule du mythe nordique présuppose un rapport hiérarchique inégal entre les langues, les littératures et les cultures en Belgique au profit de la seule composante francophone. Pareil sentiment de supériorité incite Maeterlinck à qualifier en 1902 le flamand de ‘jargon informe et vaseux’. Attitude pour le moins ambivalente si l’on sait que Maeterlinck admirait profondément le mystique médiéval néerlandophone Ruusbroec et était lié d’amitié avec Cyriel Buysse. Loin de subir passivement cette inféodation ou de tenir à la définition identitaire biculturelle en hommage à la jeune nation nouvellement créée, bon nombre de Flamands néerlandophones font très vite l’impasse sur le qualificatif ‘belge’ et optent pour une identité exclusivement flamande néerlandophone. Ils préfèrent le repli sur un niveau intranational, repli nourri par une identification rigoureuse à l’ethnie, mais actuellement redouté par certains comme frileux et borné. Par contre, pour certains francophones, comme en 1937 dans le Manifeste du Groupe du Lundi, ‘belge’ doit céder le pas à ‘français’ dans une tentative de répondre à la revendication culturelle autonomiste flamande : “Puisque nous ne sommes plus chez nous en Flandre, du moins nous reste-t-il Paris” (Halen, 2000 : 337). Pourtant, cet effacement identitaire en vue d’une assimilation littéraire à Paris n’est pas mené jusqu’au bout. De façon quelque peu paradoxale, il faut en effet constater avec Pierre Halen que “l’on se met à parler davantage de ‘lettres belges’ au fur et à mesure que l’idée de Belgique paraît fragilisée” (2000 : 328). Dans cet usage, ‘belge’ signifie ‘de langue française’ et ouvre parfois la voie à l’ensemble polymorphe et pluriel des littératures francophones.
20Bref, le concept ‘belge’ mobilise un éventail d’acceptions, concurrentes, coexistantes, jamais évidentes ou univoques et qui traversent comme un fil rouge les pratiques littéraires. Il s’agit de définitions polémiques et normatives qui, au moyen d’exclusions, visent à mettre de l’ordre dans notre ménage littéraire et culturel. Tous ces exemples constituent en outre autant de raisons à ne pas promouvoir d’emblée la recherche d’une réponse à la question existentielle comme objectif principal du présent volume. Or, cette question a fait couler de l’encre depuis maintenant presque deux siècles.
21“Existe-t-il une littérature belge ?” enquête La Revue Nationale en 1929 : elle n’a pas été la première ni la dernière à lancer le débat. “Existe-t-il une littérature belge ?” titre encore Pierre Bourdieu dans un article en 1985, plus de cent cinquante ans après la création de la Belgique, et un demi-siècle après la Revue Nationale. “Sire, il n’y a pas de Belges” estime Jules Destrée dans sa célèbre Lettre au Roi en 1912. “Sire, il y a des Belges” rétorque Luc Devoldere en 2000. Des interrogations identiques, sensibles s’il en est, sont invariablement relancées, parfois jusqu’aux termes près. Les réponses, quant à elles, sont plus diversifiées : elles vont d’une négation pure et simple à une affirmation inconditionnelle ; tantôt elles épousent la dynamique développée par les institutions politiques, tantôt elles s’y opposent.
22Titre oblige, La Revue Nationale est fière d’annoncer le résultat sous forme d’un oui presque unanime. Son enquête est exemplaire des nombreuses tentatives, antérieures et postérieures, à mener le débat en termes ontologiques. Prenant position à l’intérieur du champ, les divers agents s’affrontent par l’affirmation ou la négation d’une essence irréductiblement ‘belge’. Or, vu justement leur statut ontologique, pareilles prises de position se situent en deçà de l’intersubjectivité. Elles ne font que s’accumuler et donnent lieu à une masse diffuse d’opinions identiques ou antinomiques, contemporaines, passées ou futures autour des concepts de langue, de littérature, de race, de nation, de culture… L’acception de ces concepts est infléchie au gré de la position à défendre.
23Le va-et-vient d’arguments largement similaires et d’origine le plus souvent éthique ou essentialiste, ainsi que les rares nuances y apportées, mettent en évidence l’emprise du paradigme romantique de ‘littérature nationale’ sur le discours identitaire. Dans la superposition qu’il présuppose des catégories de ‘langue’, ‘littérature’ et ‘nation’, toutes en fonction du qualificatif ‘belge’, ce paradigme se base souvent sur une abstraction rigoureuse des pratiques littéraires intra- ou internationales, multilingues et multiculturelles. Il s’agit en somme d’un modèle français, exporté par la nation qui pendant plusieurs siècles donna le ton culturel et littéraire à l’ancienne Europe. Aussi n’est-il pas étonnant que surtout les agents littéraires francophones en Belgique n’aient jamais cessé de penser leur identité nationale dans la différence vis-à-vis de la France. Nation littéraire et culturelle phare, celle-ci s’est construit une identité apparemment évidente et a développé une symbolique de la langue fermement enracinée dans les dispositions mentales des agents littéraires français et étrangers.3 La recherche d’une langue ‘belge’, et plus fréquemment encore les expressions d’un malaise, d’une ‘insécurité linguistique’ (Klinkenberg 1981), sont légion dans le discours littéraire francophone. Gaston-Denys Périer en fournit une expression parmi d’autres dans son “Conte brabançon” publié en 1926 dans La Renaissance d’Occident :
Tu lui donneras la grive française, dit M. Luyck. […] Une grive française ! pensa Gilles. Tout est français quand nous parlons. Pas de gibier belge même ! Nous ne sommes donc jamais chez nous ? Pourquoi ce tourment de n’avoir pas de langue à soi ! […] Les Flamands au moins, […] possèdent les vocables de leur race. (Périer, 1926 : 136-138)
24Des expressions comparables d’envie vis-à-vis de la situation linguistique et institutionnelle plus favorable des Flamands néerlandophones constituent par moments un véritable cliché dans le discours francophone.4 À leur tour, les néerlandophones ne manquent pas d’affirmer cet avantage relatif.5 Récemment encore, dans le numéro spécial de Dietsche Warande en Belfort consacré à “Franstalig België”, le rédacteur en chef confirme que les Flamands ont réussi à défendre leur position vis-à-vis de la littérature néerlandophone des Pays-Bas (Bousset, 2001 : 3) tandis que les francophones sombrent littéralement dans l’espace français, francophone. L’envie trouve son origine dans le fait que, très tôt, les néerlandophones ont fait abstraction d’une identité littéraire ‘nationale’ ‘belge’ en associant non pas ‘langue’ et ‘nation’, mais ‘langue’ et `ethnie’. L’identité intranationale ainsi créée pouvait s’appuyer sur de solides institutions : la création de la Koninklijke Academie voor Taal- en Letterkunde en 1886 précède par exemple de plusieurs décennies la naissance d’une institution similaire francophone. Or, malgré cette affirmation précoce d’une identité moins ouvertement inscrite dans la dépendance différentielle, les perceptions et les prises de position des néerlandophones confirment également certaines caractéristiques de la domination intériorisée. Citons August Vermeylen, s’adressant en 1907 à un public francophone belge et étranger :
Il ne me sera probablement pas possible de vous faire sentir, de façon assez claire et assez vive, ce qu’a été, dans ses grandes lignes, la littérature flamande. Mais je pourrai toujours vous convaincre de son existence, et c’est déjà beaucoup. (Vermeylen, 1907 : 5)
25Quelque vingt ans plus tard, certains semblent se réjouir d’une évolution positive : “Le temps n’est plus” écrit André de Ridder dans sa Littérature flamande contemporaine, “où, sous prétexte de glorifier ‘l’âme belge’, on commençait par en négliger et en supprimer la bonne moitié” (De Ridder, 1923 : 38).
26Depuis quelques décennies, la question identitaire et les mécanismes symboliques qu’elle présuppose et mobilise, sont devenus objets de recherche à part entière.6 L’étiquette ‘belge’ y figure comme synecdoque des divers arguments sur lesquels s’est appuyée diachroniquement et synchroniquement la quête d’une légitimité littéraire nationale à l’intérieur du cadre géopolitique ‘belge’. Diverses approches systémiques, fonctionnelles, comparatistes ont étudié le phénomène.
27Ainsi, il est précieux de constater qu’elle inspire également Pierre Bourdieu (1985), celui qui a fait des recherches sur les diverses formes de domination symbolique son domaine de prédilection. Pourtant, Bourdieu, et avec lui tant d’autres abordant la problématique identitaire comme une question socio-historique, semble victime de la perception intériorisée de la relation dominant-dominé, France-Belgique. La question identitaire ‘belge’ est traitée, sinon explicitement, du moins implicitement dans sa seule relation binaire avec la France. Elle tombe par là partiellement dans le piège du paradigme romantique, c’est-à-dire de l’équivalence entre une langue, une littérature et une nation. Ces analyses interrogent les modalités d’énonciation, les causes, les récurrences de la question. Elles vont à la recherche de la façon dont les agents littéraires prennent leurs distances face à la France et avant tout vis-à-vis des instances de légitimation parisiennes. Les agents littéraires francophones belges se voient en effet toujours confrontés à une domination française intériorisée.7 Cette domination trouve son origine dans l’identité linguistique avec Paris et dans la proximité géographique de cette capitale culturelle de la francophonie. Ces deux facteurs hypothéqueraient une spécificité littéraire (francophone) ‘belge’, que depuis l’époque romantique on s’était habitué à percevoir selon la coïncidence entre un territoire, une langue et une littérature. Or, prisonnier de l’unilinguisme réducteur des études littéraires traditionnelles, ce type d’analyses confond les principales catégories intervenant dans une définition identitaire ‘belge’. Selon nous, ces catégories participent toujours, et les quelques exemples cités en témoignaient déjà, à des degrés variables certes, de la situation plurilingue et multiculturelle dans laquelle les phénomènes littéraires luttent pour l’imposition d’une identité dominante. Il n’est dès lors pas étonnant que, dans bon nombre d’analyses – comme par exemple dans l’article cité de Bourdieu –, surtout le concept ‘flamand’ sombre dans la confusion la plus totale. Les rares fois où il revêt une acception linguistique, il est d’emblée relégué dans l’oubli. Très souvent il fonctionne comme un critère de délimitation vaguement géographique pour des productions en langue française. Dans cette acception, il participe dans une des définitions identitaires les plus dominantes. Très exceptionnellement, le concept reçoit une acception socio-historique contextualisée. Or, il est clair que seule une telle contextualisation est susceptible de nous faire sortir de l’impasse.
28Il s’agit donc d’élargir les perspectives puisqu’aucune étiquette désignant l’ensemble de nos phénomènes littéraires ne mérite le monopole. Les questions identitaires appellent une approche comparatiste par le simple fait que toute culture/littérature se définit en relation avec, voire en opposition à d’autres cultures/littératures. Comme l’affirme Joep Leerssen (2000 : 268), dans le polysystème littéraire mondial la catégorie nationale occupe un statut taxinomique primordial mais profondément problématique. De plus en plus, et tant bien que mal, la littérature comparée commence à se rendre compte du caractère peu évident de la notion même de littérature nationale. Elle prend conscience de l’éventuelle non-concordance des frontières politiques, littéraires et linguistiques. À l’intérieur de la Belgique, José Lambert8 a été un des premiers à substituer au concept statique et essentialiste de la nation – comme une unité homogène et transhistorique – l’idée d’une construction discursive historiquement contingente, d’une “communauté imaginée” (Anderson 1991). Qu’il s’agisse des lettres en Afrique du Sud, dans les îles Caraïbes, en France ou en Belgique, la question inévitable désormais n’est plus ‘Y a-t-il une littérature nationale ?’, mais ‘Quels sont les différents modèles dans la dynamique des lettres ?’
29Dans une perspective mondiale comparable – mais à forte orientation française – Pascale Casanova associe les lettres ‘belges’ à une ‘petite littérature’ : un espace littéraire démuni, dominé (Casanova, 1999). Déjà en 1938, Gustave Charlier qualifiait la production littéraire francophone en Belgique de “littérature seconde : se développant dans une langue qui lui est commune avec la littérature nationale d’un autre pays, en l’occurrence la France” (Charlier, 1938 : 8-9). Ce sont Deleuze et Guattari qui proposent une définition s’appliquant tant aux productions néerlandophones que francophones : une littérature mineure est “celle qu’une minorité fait dans une langue majeure”. Cette langue y est “affectée d’un fort coefficient de déterritorialisation”. Ainsi, dans une situation de bilinguisme, voire de multilinguisme, l’étude comparée des fonctions sociales et des rapports de force entre les diverses langues littéraires s’impose. Elle révélera “une bouillie, une histoire embrouillée, une affaire politique, que les linguistes ne connaissent pas du tout, ne veulent pas connaître” (Deleuze et Guattari, 1975 : 45). Cadre géopolitique multilingue et multiculturel, la Belgique constitue un terrain de choix, un laboratoire pour l’étude comparée des interactions, des relations et des chevauchements entre les pratiques culturelles des communautés linguistiques. De telles analyses permettent d’éclairer le fonctionnement, la dynamique et l’autodéfinition des faits littéraires et leur diversité en Belgique.
30Or, depuis les années 1970 – la période du début de la fédéralisation qui coïncide avec les premiers efforts d’un élargissement des cadres théoriques – des recherches en littérature comparée ‘intra-belge’ seraient apparemment devenues “épistémologiquement impensables” (Klinkenberg, 1991 : 101). Une des causes, parmi d’autres, est l’interpénétration du politique et du littéraire, symptomatique d’une littérature mineure dans les termes de Deleuze et Guattari : “tout y est politique”. “Son espace exigu fait que chaque affaire individuelle est immédiatement branchée sur la politique” (1975 : 30). Paul Aron (1998 : 422) affirme à cet égard qu’en Belgique les logiques externes, politiques, prévalent traditionnellement sur les logiques internes, esthétiques. En termes de recherches, il faut constater une intériorisation du schéma politique dominant actuel. La fédéralisation de l’État belge et son corollaire, la scission progressive de la vie socioculturelle entre les régions néerlandophone et francophone, sont transposés sur des périodes antérieures. L’historiographie belge s’avère à cet égard prisonnière de la position institutionnelle des chercheurs. Il en résulte que l’on aborde les manifestations culturelles, in casu littéraires, de préférence sous l’angle d’une (stricte) séparation entre néerlandophones et francophones. L’étude des relations possibles entre les littératures néerlandophone et francophone en Belgique est considérée comme une question peu pertinente, sans incidence sur la compréhension du fonctionnement des champs respectifs. Bref, l’histoire de la Belgique plurilingue et pluriculturelle dans une perspective comparative de type systémique multipolaire, complexe et dynamique reste à écrire.
31Une approche comparatiste intranationale et internationale, qui questionne la superposition romantique entre une littérature, une langue et une nation dans les constructions de divers types d’identités littéraires, permet de jeter un autre éclairage sur certains aspects de la définition identitaire et du fonctionnement littéraire. C’est dans leurs oppositions et dans leurs dichotomies, dans le jeu des absences et des présences que les pratiques discursives littéraires contribuent à structurer les luttes pour une définition légitime du champ littéraire. Il faudrait par conséquent essayer d’établir une cartographie littéraire et culturelle qui ne soit pas uniquement un reflet anachronique de la carte politique de l’état-nation à l’un ou l’autre moment de son histoire.
IV. Coda
32Ainsi, “Littératures en Belgique” fonctionne comme un thème, dans tous les sens du terme, comme un symptôme, un casus, un “cas”. Peut-être chercherons-nous, dans les pages qui suivent, à délimiter les contours d’une chose amorphe, illimitée et désarticulée, comme la forme d’une omelette. Reposons-nous sur l’idée encourageante que l’irreprésentable est hautement valorisé dans l’esthétique actuelle, c’est là qu’apparaît le “sublime”. “Littératures en Belgique” représentera la juxtaposition du sérieux et de la fantaisie, la rencontre de Ulenspiegel et Lamme Goedzak, l’élévation, et l’hilarité accompagnée de toutes ses frictions, ses problèmes de communication et ses différences culturelles. Il s’agira des boules de l’Atomium, de la comédie humaine autour de Kladaradatsch, ou encore d’une portion de frites mayonnaise, avec beaucoup de mayonnaise.
Samenvatting
33Deze inleidende tekst, die een soort van programma wil zijn voor de hier verzamelde bijdragen, concentreert zich op detitel ! ‘Littératures en Belgique / Literaturen in België’. Waar de Franstalige literatuur haar eigenheid immers sedert lang consequent als ‘Belgisch’ definieert – zij wordt doorgaans geïdentificeerd als ‘de Franstalige literatuur in België’, ‘de Belgische Franstalige literatuur’, of zelfs kortweg ‘de Belgische literatuur’ –, is in het Vlaamse landsgedeelte de term ‘Belgisch’ vrijwel taboe ; hier opteert men consequent voor ‘Vlaamse literatuur’. De vraag naar symmetrie versus dissymetrie vormt bijgevolg een essentiële dimensie van onze probleemstelling. Labels als ‘Franstalig’, ‘Waals’ (hooguit gebruikt voor folklore en dialectliteratuur en dan nog met een negatieve connotatie), ‘Vlaams’ en ‘Nederlands’ zijn, in relatie tot literaire verschijnselen, geen accidentele gegevens ; integendeel, elke keuze voor een terminologie (en niet voor een andere), voor een bepaalde identificatie van ‘onze’ eigen lileratuur impliceert onvermijdelijk een specifieke politieke – taalpolitieke, maar allicht ook staatspolitieke en literair-politieke – stellingname. Daarom ook is het wenselijk even stil te staan bij de diverse componenten van de titel van deze bundel : literatuur’, ‘in’, en ‘België’.
34Door te spreken van de meervoudsvorm ‘literaturen’ wordt hier resoluut geopteerd voor een heterogene, polyfone benadering van literaire verschijnselen. De wisselvalligheden van de literatuurgeschiedenis illustreren voldoende hoezeer de opvattingen en de verwachtingen aangaande de aard, de functie en de concrete strategieën van literatuur zich doorheen de tijd fundamenteel kunnen wijzigen, en hoe daarenboven op ieder ogenblik in die geschiedenis diverse, deels complementaire, deels conflictueuze literatuuropvattingen gelden. In plaats van krampachtig op zoek te gaan naar een zoveelste wezensdefinitie van literatuur lijkt het daarom methodologisch zinvoller om nauwgezet te onderzoeken hoe in een bepaalde constellatie een concept als ‘literatuur’ – en, op een volgend niveau, een concept als ‘Belgische’ of ‘Vlaamse’ literatuur – semantisch en pragmatisch wordt ‘geladen’ met betekenissen en bijbetekenissen en aansluitend wordt verbonden met een welbepaald corpus van teksten. Hoe wordt dat ‘literaire’ gehalte gedefinieerd en gelegitimeerd ? Welke bewegingen van canonisering en decanonisering spelen daarbij een beslissende rol ? Wat valt er buiten het bereik van de literaire communicatie en de literaire institulies, en op welke gronden ?
35Even intrigerend zijn de semantische lotgevallen van het nietige voorzetsel ‘in’. Ook hier geldt dat onze formulering expliciet programmatisch is bedoeld ; wij opteren inderdaad strategisch voor de frase ‘in België’ in plaats van de misschien meer voor de hand liggende bepaling ‘Belgische literatuur’. De term ‘in België’ biedt alleszins het voordeel dat de bepaling tegelijk op diverse wijzen syntactisch gelezen kan (en moet) worden ; als een bijvoeglijke bepaling, maar evenzeer als een bijwoordelijke bepaling van plaats, of van omstandigheid, of, waarom niet, van tijd. Specifiek voor de Belgische situatie pleiten wij voor een systematisch onderzoek naar de territoriale, staatkundige, historische of zelfs biologische metaforen die in het literaire vertoog (en overigens ook in het literair-wetenschappelijke vertoog) strategisch worden aangewend. Tevens is het van belang om dat ‘nationale’ niveau voortdurend te relateren aan zowel de ‘infranationale’ als de ‘internationale’ dynamiek. Met name de dominante aanwezigheid van de Franse en de Noord-Nederlandse literatuur in België blijft een intrigerend literair-historisch fenomeen, temeer daar ‘onze’ literatuur haast per se een ‘marginaal’ en ‘ex-centrisch’ karakter lijkt te vertonen.
36Tenslotte is er uiteraard de term `Belgisch’, die, meer nog dan de voorgaande begrippen, aanleiding heeft gegeven tot eindeloze pogingen lot definiëring en afbakening, tot verhitte polemieken, tot tal van vragen en impasses. Het concept ‘Belgisch/belge’ mobiliseert een waaier aan concurrerende, naast elkaar optredende betekenissen, die weliswaar als een rode draad de literaire praktijken doorkruisen maar nooit evident of eenduidig zijn. Het gaat om normatieve definities, die erop gericht zijn orde te scheppen in ons literair en cultureel huishouden, en dit met behulp van uitsluitingsmechanismen. Het telkens weer opduiken van bijna identieke argumenten, vaak van ethische, essentialistische aard illustreert de grote impact van het romantische paradigma van een ‘nationale literatuur’ op het identitaire vertoog. In de superpositie die het veronderstelt tussen de categorieên ‘taal’, literatuur’ en ‘natie’ (alle-maal in functie van de kwalificatie ‘Belgisch’) is dit paradigma – veelal geba-seerd op een verregaande abstractie van de infra- en internationale, meertalige en multiculturele literaire praktijken.
37In die zin pleut deze bundel voor een functionalistische, intrinsiek comparatistische benadering van nationale literaturen, met oog voor alle divergenties en spanningen die net de vermeende ‘identiteit’ van een literatuur gestalte zoeken te geven. De geschiedenis van het tweetalige en bi-culturele België in een comparatistisch, multipolair, complex, dynamisch systemisch perspectief moet inderdaad nog geschreven worden. ‘Literaturen in België’ is daarom als thema, in alle betekenissen, een symptoom, een casus, een ‘geval’.
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Notes de bas de page
1 Dietsche Warande en Belfort. Franstalig België (Februari 2001) : 1.
2 Le concept ‘Flandre’ n’y réfère pas à un territoire défini de façon univoque qui coïnciderait avec la Région flamande actuelle, mais réunit un amalgame d’éléments mythiques (mysticisme, brumes nordiques, pittoresque, kermesses populaires, etc.).
3 On lira avec intérêt Bourdieu 1982 et Robyns 1995.
4 Pour des exemples contemporains à celui de Périer, voir Gyselinx 1926 et Bulletin Officiel de l’Association des Écrivains Belges (BOAEB) 1933.
5 Voir par exemple Sneyers, 1935.
6 L’on se référera à Klinkenberg 1980, Mat-Hasquin 1982, Meylaerts 1998.
7 En témoignent par exemple les textes réunis par Gross et Thomas 1989.
8 Voir entre autres : Lambert 1983 ; 1988 ; 1991.
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Principes de géographie humaine
Publiés d'après les manuscrits de l'auteur par Emmanuel de Martonne
Paul Vidal de La Blache
2015
Historiographie de la littérature belge
Une anthologie
Björn-Olav Dozo et François Provenzano (dir.)
2014