Canonisation du poète en saint urbain
p. 375-418
Texte intégral
1Une figure quasi héroïque émerge : celle d’un poète confronté au réel d’un espace nouveau. Que cette figure relève d’une réalité, d’un état « naturel », objectif du poète n’est pas contestable, mais qu’elle relève également du mythe (compris, par exemple, au sens de « seconde nature » que lui donne Barthes) n’est pas contestable non plus, tant l’hagiographie littéraire s’ingénie à produire une sainteté de l’artiste. Car l’hagiographie – comme élément du « fait littéraire » et comme métalangage, parfois dérisoire, du mythe – participe elle aussi au mythe.
2C’est par le corps du poète que s’effectue le passage à une dimension légendaire : son corps physique, lancé dans le chaos des rues, mais aussi son corps créateur (dans les labyrinthes duquel s’achemine l’écriture) et son corps de créateur, pris dans l’espace social où il cherche à se situer. D’autre part, si c’est du côté de la production poétique que la légende trouve ses premières sources, c’est bien du côté de la réception du texte poétique et des différentes instances ou institutions qui l’environnent que la légende trouvera l’occasion de se constituer en véritable discours. Pour schématiser, nous aurions donc d’un côté une dimension interne du mythe (autoportrait de l’artiste en saint urbain) dont le dessein serait de reconquérir un capital symbolique perdu dans l’expérience de la ville, et de l’autre, une dimension externe (portrait de l’artiste en saint urbain), dont le dessein serait idéologique au sens large.
L’héroïsme moderne
3Comme personne réelle, le poète fait l’épreuve d’une double expérience des temps modernes : une traversée physique, faite de chocs, de heurts, de ruptures, de perceptions parcellaires, et une expérience créatrice, faite de tentatives figuratives, d’expérimentations poétiques, de tâtonnements formels. Cette double expérience fait de lui un véritable héros.
4Un combat s’engage entre les modes de production de l’âge capitaliste (auxquels on peut joindre le fétichisme de la marchandise) et les modes traditionnels de l’écriture lyrique. Benjamin a largement exploré cette confrontation féconde, notamment dans son Baudelaire, un poète lyrique à l’apogée du capitalisme. On peut également lui associer les travaux de L. Goldmann1. L’environnement contextuel que constitue la ville (comme vitrine, machine d’exposition du système capitaliste) devait nécessairement modifier les modes de production du texte poétique. L’éclatement des formes du message poétique, le Babel générique qu’il provoque, le rapport à la discontinuité spatiale et temporelle qui constituent l’essentiel de la pratique de la ville moderne, toutes ces dimensions de l’expérience des villes énormes contribuent à l’éclatement du sujet de parole, qui a perdu sa centralité et sa « verticalité », et modifient considérablement le statut du poète lyrique dans une société où tout acquiert le statut d’une marchandise. Parce qu’elle impose une loi de la mobilité et de l’échange permanents, la ville de l’âge capitaliste place le poète à un carrefour : ou bien refuser de s’intégrer au circuit de la production (attitude extrémiste du poète qui n’écrit que pour lui et ne publie jamais, ou cesse d’écrire pour devenir un vrai négociant), ou bien adopter une série variée de stratégies pour transiger avec ce marché (du refus ambigu de la compromission avec le « public » repérable chez les symbolistes, jusqu’à l’apologie du système, en passant par des attitudes intermédiaires : stratégies de « captation d’un capital symbolique » comme chez les Parnassiens (Académie, pensions, sinécures, etc.), révolte, anomie, tentatives d’autonomisation du champ poétique dans la plupart des cas). Toutes ces stratégies révèlent, chez le poète, une conscience plus ou moins aiguë d’une mutation de son statut : comment peut-on être poète à l’âge où tout est marchandise ? Sans céder à un déterminisme économique outrancier, on pourra tout de même affirmer que les conditions objectives de vie du poète ne sont pas étrangères au statut qu’il accorde à sa création.
5Ainsi de Baudelaire, pour qui la production du texte poétique est devenue indissociable d’une mobilité corporelle. Mais cette mobilité est à lire à un autre niveau : celui des conditions de production et du marché du texte poétique. Il fait remarquer dans sa correspondance :
« Je suis obligé de travailler la nuit pour avoir du calme et éviter les insupportables tracasseries de la femme avec laquelle je vis. Quelquefois, je me sauve de chez moi, afin de pouvoir écrire et je vais à la bibliothèque, ou dans un cabinet de lecture, ou chez un marchand de vin ou dans un café comme aujourd’hui. [...] Certes ce n’est pas ainsi que l’on peut faire de longues œuvres,2 »
6et plus loin :
« J’emporte même mes livres avec moi pour travailler au cabinet de lecture, car je ne sais pas rentrer quand je suis sorti3. [Ou bien encore : ] Je travaille au hasard sur des tables d’auberge4. »
7Prarond disait à peu près la même chose :
« Nous connaissions peu l’usage des tables pour travailler, penser, composer ; [...] Pour ma part, je le voyais bien arrêtant au vol des vers le long des rues, je ne le voyais pas assis devant une main de papier5. »
8Nous avons également cité ce passage des Conseils aux jeunes littérateurs, dans lequel Baudelaire déclare qu’« aujourd’hui, il faut produire beaucoup, il faut donc aller vite ».
9Une telle série de constats révoque toute une mythologie de la création littéraire contemplative, confinée, assise. C’est aussi une prise de conscience du statut nouveau du poète lyrique à un moment où l’une des valeurs essentielles de la société capitaliste est le concept de production de masse. Comment peut-on être un flâneur, et afficher une oisiveté musarde à l’ère du marché, qui est aussi celui du texte littéraire lui-même ? Les incessantes tractations de Baudelaire avec ses éditeurs, les démarches, voire les démarchages fastidieux pour placer sa copie prouvent assez l’importance de cette dimension de la production du texte. On voit combien Baudelaire peut encore hésiter entre deux modes de production : l’un heurté, laborieux, « à la pièce » ; l’autre nonchalant, souple, et « gratuit ». Il lui arrive même de regretter le temps de l’oisive flânerie :
« En 1846 ou 47, Pierre Dupont, dans une de nos longues flâneries (heureuses flâneries d’un temps où nous n’écrivions pas encore, l’œil fixé sur une pendule, délices d’une jeunesse prodigue [...] me parla d’un poème, [etc.]6. »
10Entre-temps, une conception « productiviste » de l’écriture est donc venue harceler le « moi social » du poète, modifiant sensiblement son « moi créateur », pour lui faire adopter une démarche physique et littéraire heurtée, haletante, inquiète, héroïque, qui n’a plus rien à voir avec l’euphorie diffuse d’une flânerie. De sorte que l’écriture doit désormais mimer le flot pléthorique, rhapsodique, éclaté, de la marchandise pour accéder elle-même au rang de marchandise et, tout bonnement, faire vivre son auteur.
11Pour « terre à terre » qu’elle soit, cette remarque n’exclut pas une réflexion sur les répercussions d’une telle mutation sur les procédés d’écriture eux-mêmes. Baudelaire oscille sans cesse entre une concentration et une vaporisation de sa force de travail. Par exemple, il se plaindra de ne pouvoir se concentrer sur l’écriture, à cause de toutes les tracasseries matérielles qui l’assaillent :
« Ce n’est pas seulement les dépenses qui m’affligent, mais, ce qui est bien plus grave, l’impossibilité de clairvoyance et de concentration de ma pensée. Je suis étourdi, abruti, abêti ; tu sais que j’avais pris l’habitude d’une pensée lente et patiente, l’habitude des journées heureuses7. »
12Mais ailleurs, il va suivre Poe dans sa conception du poème comme forme courte, voire comme fragment condensé :
« Avez-vous observé qu’un morceau de ciel, aperçu par un soupirail, ou entre deux cheminées, deux rochers, ou par une arcade, etc. donnait une idée plus profonde de l’infini que le grand panorama vu du haut d’une montagne ? Quant aux longs poèmes, nous savons ce qu’il en faut penser ; c’est la ressource de ceux qui sont incapables d’en faire de courts.
Tout ce qui dépasse la longueur de l’attention que l’être humain peut prêter à la forme poétique n’est pas un poème8. »
13La lettre préface au Spleen de Paris va dans le même sens : la structure éclatée, « sans queue ni tête », fragmentée, sécable, est prônée au nom d’une correspondance avec les structures mêmes de la « fréquentation des villes énormes ». Cela signifie que la perception du poème par le lecteur doit reproduire les perceptions d’une ville par un citadin. Toutes deux sont faites d’une alternance d’ellipses et de condensations de sens, et l’œuvre doit être rhapsodique à la manière d’une flânerie ou d’un cheminement heurté. Le lecteur comme le citadin peuvent « couper », entrecouper, fragmenter, leur lecture. Parlant de ses petits poèmes en prose, dans un brouillon de préface, Baudelaire, note même son refus de suspendre « la volonté rétive au fil interminable d’une intrigue superflue [...] Cela vaut mieux qu’une intrigue de 6 000 pages. Qu’on me sache donc gré de ma modération9 ». En fait, Baudelaire est pris entre deux conceptions des modes de production du texte : il est parfaitement conscient du fait qu’il faut « produire beaucoup et vite », mais il ne peut tout à fait s’y résoudre. C’est pourquoi le choix du poème en prose pourrait être considéré comme un choix de compromis – de modération, de commodité (pour l’auteur, pour le lecteur) – entre la production pléthorique (les intrigues panoramiques et romanesques de 6 000 pages) et un discours lyrique devenu anachronique, inapte à rendre la discontinuité urbaine.
14Dans le commentaire esquissé plus haut du poème en prose « La corde », les tronçons de la corde vendus par la mère du pendu peuvent être rapprochés des tronçons de texte vendus par l’auteur du Spleen de Paris. Tous deux, comme matière sécable, quantifiable, nombrable, mais aussi comme matière investie d’un pouvoir talismanique ou symbolique, peuvent être comparés à des marchandises devenues fétiches (définies par la superposition de leur valeur d’usage et de leur valeur d’échange). De même, par exemple, que les Expositions universelles avaient pu transfigurer la marchandise en objet féerique, voire transformer la ville tout entière en marchandise consommable d’un seul coup d’œil (« La marchandise la plus précieuse qu’exhibait l’Exposition de 1889 c’était la ville même », écrit G. Agamben10), de même on peut penser que l’objet féerique qu’est le texte a pu être, inversement, transformé en marchandise consommable et monnayable, donc en fétiche. Ce caractère fétiche de l’objet littéraire assure à l’artiste une possibilité de riposte (fort paradoxale et ambiguë, il est vrai) aux mécanismes du marché économique en général et littéraire en particulier. L’idéologie du « créateur », comme héros-hérault de la modernité, semble donc être une réponse aux valeurs dominantes d’une société où tout s’expose et tout se vend. Il faut citer ici une réflexion capitale de P. Bourdieu :
« La constitution de l’œuvre d’art comme marchandise et l’apparition, liée aux progrès de la division du travail, d’une catégorie nombreuse de producteurs de biens symboliques spécifiquement destinés au marché préparaient en quelque sorte le terrain à une théorie pure de l’art, c’est-à-dire de l’art en tant qu’art, en instaurant une dissociation entre l’art comme simple marchandise et l’art comme pure signification, produite par une intention purement symbolique, et destinée à l’appropriation symbolique, c’est-à-dire à la délectation désintéressée, irréductible à la simple possession matérielle11. »
15On voit immédiatement comment les choix esthétiques ont pu s’orienter en fonction de cette dissociation : les parnassiens, mais aussi les symbolistes dans leur grande majorité, ainsi que toutes les écoles du néo-classicisme (romanisme, naturisme, etc.), voire les « Maudits », Dada et le surréalisme dans une certaine mesure, n’ont eu de cesse d’affirmer leur autonomie par rapport à une société matérialiste. Pour ce qui concerne les écoles modernistes (celles de la crise des valeurs symbolistes : unanimisme, futurisme, cubisme, paroxysme...), le rapport à la société matérialiste est beaucoup plus ambigu, tant le héros du monde réel est proche du chantre de valeurs dominantes du système de production : des poètes comme Verhaeren, Romains, Marinetti, Morand, pourraient être rangés dans cette catégorie d’un certain retour à la réalité. Aragon, jouant sur l’ambiguïté de ce réalisme-là, et justifiant du même coup son basculement romanesque vers le « monde réel », écrit ainsi en 1935 :
« La machine est entrée dans l’art. L’affiche, la réclame se sont faites poèmes. Le voyant, selon Rimbaud, rivalise avec le bonisseur de foires, l’agent de publicité, le haut-parleur de la radio, le refrain des voûtes du métro : “Dubo... Dubon... Dubonnet.” Dans l’univers affolé de la production capitaliste, c’est par le réalisme, et par le réalisme seul que valent l’humour sinistre d’un Alfred Jarry, le lyrisme de Guillaume Apollinaire12. »
16On s’étonnera de voir Jarry et Apollinaire classés comme « réalistes » (après tout Baudelaire lui-même ne fut-il pas accusé de « réalisme » pour ses Fleurs du Mal ?), mais selon la conception exposée ici par Aragon, tout auteur qui s’attache à la modernité et à la nouveauté du monde, c’est-à-dire au contexte historique du capitalisme, peut être qualifié ainsi.
17D’autre part, et dès les premières années du xixe siècle d’ailleurs, on assiste à une division progressive du travail. Le premier exemple en serait les ouvrages collectifs consacrés à la ville (type Paris Guide, Le Livre des Cent un). Cette littérature « panoramique », proche du travail journalistique, est fondée sur une certaine forme de « taylorisme » de l’écriture. Plus tard, bien sûr, les productions collectives (type Le Parnasse contemporain, L’Album Zutique, les œuvres écrites à quatre ou à six main : Les Champs magnétiques, Ralentir-travaux, etc.) illustreront parfaitement soit une division du travail, soit une collectivisation des moyens de production (par exemple, le groupe de l’Abbaye, autour de Duhamel, Arcos, Vildrac, Chennevière, se présente comme une sorte de phalanstère capable d’assurer de façon « autogestionnaire », autonome en tout cas, la production d’œuvres poétiques13). Par ailleurs, l’utilisation de « nègres » (mais pas dans le domaine poétique, à notre connaissance) manifeste, comme le souligne malicieusement Apollinaire, une tendance assez nette à la division du travail, même en matière littéraire :
« La nouvelle mode pour les écrivains, c’est d’être très peu les auteurs de leurs livres. Ainsi, M.F... écrit volontiers d’après un canevas que lui apporte son éditeur. Il ne reste à l’éminent critique qu’à amplifier. C’est en cela qu’il excelle.
Je connais un éditeur qui vient d’apporter un plan à l’illustre amplificateur. “Le jeune auteur du canevas, m’a-t-il dit, attend avec curiosité l’issue de cette collaboration. Il n’attendra pas longtemps. Il faut à M.F... deux jours pour écrire un livre, il en faut quinze pour qu’on l’imprime... Dans vingt jours, mon jeune homme lira cet ouvrage qu’il a conçu et n’a point écrit.” C’est le commencement de la division du travail, en littérature14. »
18L’importance croissante du pastiche, involontaire ou non (par exemple, les villes rimbaldiennes d’Aragon), la pratique de la réécriture, le plagiat, la parodie, le détournement de textes canoniques (Lautréamont et Les Pensées de Pascal), voire le canular littéraire (Les Déliquescences d’Adoré Floupette), le recours à la pseudonymie (Les Poésies d’A.O. Barnabooth, etc.), toutes ces pratiques semblent substituer à la notion d’auteur singulier celle d’« amplificateur », d’« augmenteur » de canevas préfabriqués. Le statut de l’auteur est donc fortement mis à mal par les lois du marché littéraire et par la fétichisation de la marchandise textuelle. De sorte que l’on aboutit à une forme de paradoxe, mais significatif, énoncé pour la première fois par Baudelaire :
« Créer un poncif, c’est le génie.
Je dois créer un poncif15. »
19Sans vouloir donner une importance démesurée à cette remarque, on peut cependant y voir la fugitive ou fulgurante prise de conscience chez Baudelaire d’une nécessité de la nouveauté permanente en matière d’invention poétique. Baudelaire veut être le premier à créer une forme qui pourra être amplifiée par d’autres (quoique Benjamin suggère que « ses poèmes contenaient des dispositions particulières destinées à refouler les poèmes concurrents16 »). De même Baudelaire enchaîne : « Le concetto est un chef-d’œuvre. » Ce à quoi semble donc aspirer Baudelaire, c’est à une forme suffisamment brève, puissante, exemplaire, pour être reprise : ce que Apollinaire nomme un « canevas ». Baudelaire n’est pas intéressé par la production en série, mais par l’invention de modèles sous forme d’objets poétiques. Si le texte est une marchandise, il faut donc se demander si l’existence de textes modèles (canevas, poncifs, au sens technique du terme) n’entre pas dans un système de production nouveau, calqué sur celui de la production des objets industriels. A l’ère de la « reproductibilité technique », selon l’expression de Benjamin, pour être un « génie » et accéder à la « gloire », la question n’est pas de produire beaucoup, mais de créer les modèles des objets littéraires à venir. C’est dans son idéalité principielle, originelle, que le modèle peut accéder au statut de création à part entière et constituer un objet singulier, unique en son genre. De sorte que l’on assiste en fait à une surenchère dans la revendication de la nouveauté : en témoigne la floraison des manifestes, des programmes esthétiques aux allures publicitaires, dès la fin du xixe siècle17. Souvent, les modèles exposés restent en l’état et ne sont guère suivis de « séries textuelles », susceptibles de devenir un genre à part entière, mais la rhétorique manifestaire, fortement programmatique, péremptoire, « techniciste », revendicative, etc., s’apparente bien souvent au discours de l’utopiste ou du programme esthétique de l’architecte. La lyre est devenue plus que jamais un instrument anachronique et inadapté aux modes de production, et l’on comprend pourquoi Baudelaire ne pouvait que tirer parti de la perte de son auréole : « Combien prête-t-on sur une lyre au Mont-de-Piété ? », demande-t-il pour manifester son agacement devant le retour d’une mythologie « païenne » de pacotille18, formule que Benjamin voit comme « l’expression très heureuse de sa recherche d’un art qui puisse prouver son identité à la société19 ». La chute de l’auréole du poète dans la boue du boulevard ne proclame pas la « fin de l’art », mais plutôt sa reconversion sous la forme d’une évidence qualifiée par Eluard de « poétique » :
« Depuis plus de cent ans, les poètes sont descendus des sommets sur lesquels ils se croyaient. Ils sont allés dans les rues, ils ont insulté leurs maîtres, ils n’ont plus de dieux, ils osent embrasser la beauté et l’amour sur la bouche, ils ont appris les chants de révolte de la foule malheureuse et, sans se rebuter, essayent de lui apprendre les leurs20. »
20Ainsi, à cette seule condition, la poésie peut-elle devenir « sociale » ou « de circonstance », au sens fort des termes, comme inscription de l’art dans la société réelle.
21Cette descente dans l’univers de la rue implique l’acceptation d’une certaine déchéance de l’artiste, déchéance aussitôt inversée par l’artiste en mythe positif. Aux côtés des figures déchues de la société (chiffonniers, clochards, ivrognes, prostituées, prolétaires, « éclopés de la vie » en tous genres), le poète construira sa figure de héros moderne. La théorie de l’art comme prostitution, ébauchée par Baudelaire, verra donc son développement favorisé par une crise progressive de la production et une prolétarisation croissante du monde des poètes. Comme histrion déchu, le poète a le choix entre deux stratégies : d’une part nier sa déchéance par la recherche d’un idéal superbe, d’autre part assumer cette déchéance en l’instituant comme héroïsme. Pour caricaturale qu’elle soit, cette distinction recouvre en fait bien des choix existentiels et esthétiques : on verra par exemple les symbolistes proclamer fièrement leur autonomie, et notamment leur indifférence à l’égard du public, ainsi de Charles Guérin :
« Ferme ton cœur à la rumeur saoule des villes
Hors la cité des rois repus, tueurs d’esclaves
Sache une île déserte où ton orgueil s’exile21. »
22Au point que cette indifférence constitue presque, pour Valéry, l’élément essentiel de définition du mouvement22. Le dandysme, la bohème, le misérabilisme et les provocations dans lesquelles se complaisent bon nombre de poètes illustrent à leur manière cette protestation contre les processus de production. C’est ainsi que l’on verra par ailleurs des poètes exalter leur « gueuserie » héroïque, comme Corbière :
« Là, sa pauvre Muse pucelle
Fit le trottoir en demoiselle,
Ils disaient : Qu’est-ce qu’elle vend ?
Rien. – Elle restait là, stupide,
N’entendant pas sonner le vide
Et regardant passer le vent23. »
23Fort significativement, le recours à l’archaïsme traduit un mouvement de régression vers un stade originel, voire un « âge d’or » de l’activité poétique. Cette recherche d’illustres prédécesseurs en gueuserie confère au poète moderne une forme de légitimité et lui permet de reconquérir un capital symbolique perdu. « Les malheurs des gens de Lettres et la grande misère du métier poétique étaient des lieux communs au moins depuis la Renaissance », et dès le début du xixe siècle on avait ainsi assisté à « une laïcisation du dolorisme chrétien24 ». L’utilisation du topos du « poète crotté » (Régnier, Saint-Amant, Racan, Sigogne), particulièrement fréquente dans le mouvement archaïsant de la fin du symbolisme, prouve combien l’appel à des aïeux « historiques » pouvait être une voie de salut au moins symbolique : ainsi de Léon Vérane, poète mineur s’il en fut :
« Signer pour vingt écus un morne feuilleton
Voir Crès et Boutteleau vous refuser l’in-seize
Sous un feutre sans poils, sous un veston de serge
Promener dans Paris une maigreur d’asperge ;
Sans crédit au buffet, sans rentrée au salon,
Ignoré de Fortune et méprisé de Gloire
[...]
C’est le loyer de ceux qui servent Apollon25. »
24Toute une hagiographie littéraire se met alors en place pour construire la figure du poète mendiant, errant, exclu, maudit, etc. Nous n’en proposerons ici qu’un exemple, mais tout à fait révélateur, à propos de Léon Deubel, jeune poète franc-comtois « monté » à Paris :
« Les souliers du poète à eux seuls étaient un symbole hurlant de la misère. Souillés, crevés, sans talons [...] ils bâillaient du bout aérant des orteils nus. Aussi racontaient-ils les démarches vaines en quête d’un incertain travail, les randonnées inutiles à travers l’immense Paris indifférent et les sollicitations humiliantes. Le trimardeur qui les portait avait sonné à des portes...[etc.]26. »
25On sait par exemple, grâce à des enquêtes très précises, que vers la fin des années 1850 et le milieu des années 1860, la production littéraire vécut une forte expansion, illustrant en cela un parallélisme assez net entre les phases de la conjoncture économique générale et celles de la production littéraire. Cette expansion s’accompagne d’un accroissement considérable de la population des producteurs, liée en particulier à l’accroissement de la population étudiante au Quartier latin et à l’arrivée des Provinciaux. Le nombre des poètes nouveaux venus est multiplié par trois vers 1885, la poésie étant un genre de « débutants » en littérature27. Or, vers 1893, l’édition vit une forte crise, liée notamment à une surproduction littéraire : deux tiers des auteurs ne touchent aucun droit. On peut dire alors que la population poétique se prolétarise. Le poète se voit donc condamné ainsi à se faire son propre impresario, selon l’expression de Benjamin à propos de Baudelaire28. Mais, en même temps (et c’est en quoi à quelque chose malheur est bon), cette prolétarisation « suscite une conscience de groupe et sécrète une idéologie avec ses croyances, ses représentations mythiques, ses rites29 ». Ces mythes et ces rites ont très certainement partie liée avec une forme de sociabilité, dont la fonction serait pratique (liens de solidarité, entraides diverses) mais surtout symbolique, dans la mesure où elle permet la reconstitution d’une sacralité des groupes poétiques et aussi de leurs lieux de prédilection.
26On a souvent souligné le fait que l’étude de la sociabilité littéraire présentait des parentés troublantes avec une sociologie du fait religieux30. La notion de groupe littéraire est ainsi définie par C. Charle : « structure d’accumulation de capital symbolique et social, instrument essentiel dans la lutte pour la conquête du pouvoir symbolique et la consécration dans le champ littéraire31. »
27La notion d’urbanité semble parfaitement définir l’inscription du poète dans ce que l’on nomme « l’espace du social ». Pour reconquérir une certaine centralité de parole, le poète n’a, très paradoxalement, comme ressource que l’association, l’insertion dans un groupe qui lui permettra de se sentir plus fort. Cette pratique du regroupement s’apparente quelque peu à ce que l’ethnologie désigne sous le terme de structures « claniques », voire de parenté. « Une ville n’acquiert toute sa vérité que dans la mesure où elle gravite autour d’une société relativement inaccessible (hauts-lieux des valeurs culturelles) [...] L’Urbanité serait donc la ville d’avant la ville, au-dessus de la ville, la ville haute et le paradigme de la ville32. »
28Deux types de sociabilité urbaine peuvent alors être distingués : l’une mondaine, aristocratique, centrée sur le Salon, l’autre plus populaire, démocratique, centrée sur le Café. Mais dans les deux cas, c’est le commerce, l’échange, la palabre, qui prévalent pour dégager l’idée d’une élite culturelle, au capital économique parfois très faible, mais au capital culturel et symbolique plutôt fort. Que l’on boive du thé ou des bocks, l’on cause, on distille ou on brasse des idées... Il n’est pas rare, d’ailleurs que ceux qui fréquentent les salons se plaisent à s’encanailler ici et là, troquant le frac pour le paletot et la fine cigarette pour la pipe et le gros tabac (plus rares sont les mouvements inverses). Cette distinction recoupe bien sûr non seulement celles des origines sociales et géographiques des poètes mais aussi celles des programmes esthétiques qui vont de pair avec les stratégies de captation et d’accumulation de capital symbolique.
29Ainsi du côté du Salon, on trouvera les parnassiens : salon de Leconte de Lisle, le samedi boulevard des Invalides, vers 1860, salon de Coppée, le dimanche, rue de Balzac, entre 1885 et 1901, mais aussi des symbolistes « aristocratiques » : salon de Mallarmé, le mardi, rue de Rome, vers 1885, et, plus tard, des « mondains » comme Cocteau, voire Fargue, fréquenteront ceux des aristocrates parisiens.
30Du côté du Café, l’ambiance est plus « démocratique », plus « bohème ». « À la fin du xixe siècle, le cabaret remplace le salon. Signe d’une transformation sociale : la littérature s’est démocratisée, et c’est dans les cafés que se préparent maintenant les révolutions littéraires33. » Combien de manifestes sont nés dans la brume de l’ivresse et du tabac, dans cette atmosphère quasi carnavalesque ? Paul Fort nous raconte par exemple les soirées de la revue Vers et prose, à la Closerie des Lilas, vers 1905 :
« C’était là en partie que se rêvaient ou s’élaboraient les œuvres, les essais et les illusions artistiques et littéraires de l’avenir, et que l’esprit nouveau [...] agitait ses nouveaux costumes34. »
31Baudelaire déjà fréquentait les cafés littéraires et politiques, vers 185135. Goudeau fonde le Club des Hydropathes dans un café de la rive gauche, à l’angle du Boul’Mich’ et de la rue Cujas, vers 1878 et crée la revue Les Hydropathes (vingt-quatre numéros jusqu’à fin 1888), de même pour les Hirsutes, Le Chat Noir, les Décadents, les Zutistes, les Jemenfoutistes, etc.36 La revue Le Festin d’Esope fut fondée au café « Au Père Jean », en novembre 190337. Le mouvement Dada est créé en 1919 au « Cabaret Voltaire » de Zurich. Aragon raconte dans Le Paysan de Paris, comment fut choisi le lieu des assises de Dada, au café Certà38 et décrit largement dans Anicet ou le panorama, roman, et notamment à travers le portrait de Baptiste Ajamais (André Breton), comment la parisianité du mouvement surréaliste s’épanouit. Certes on peut montrer que « le café des dadaïstes et des surréalistes [lieu centrifuge, poste d’observation] ne répond pas aux mêmes conceptions que le café des symbolistes [centre d’échanges, refuge, cabinet d’écriture]39 », il n’en reste pas moins que le tropisme de ce lieu reste très puissant (et vivace). Chaque mouvement regroupe un nombre plus ou moins élevé de participants, publie une revue, a son chef, ses mots d’ordre, ses slogans. « Le café devient l’académie, l’institut, l’Olympe. Dis-moi où tu bois, je te dirai ce que tu écris, ou plutôt comment tu écris ce que tu écris40. » Mais c’est peut-être Valéry qui a le mieux montré l’importance quasi institutionnelle du café et son rôle dans le mouvement poétique en général. Il écrit notamment :
« Une histoire de la Littérature qui ne mentionne pas l’existence et la fonction de ces établissements à cette époque est une histoire morte et sans valeur. Comme les salons, les cafés ont été de véritables laboratoires d’idées, des lieux d’échanges et de chocs, des moyens de groupement et de différenciation où la plus grande activité intellectuelle, le désordre le plus fécond, la liberté extrême des opinions, le heurt des personnalités, l’esprit, la jalousie, l’enthousiasme, la critique la plus acide, le rire, l’injure, composaient une atmosphère parfois insupportable, toujours excitante, et curieusement mêlée41... »
32Cette évocation remplacera avantageusement toutes les chroniques, parfois très anecdotiques (et répétitives) qui dressent le tableau de cette effervescence artistique. Le café apparaît nettement comme un « creuset des esthétiques nouvelles42 » et surtout se présente comme une sorte de lieu magique (un laboratoire, un alambic) où s’opère cette sorte d’alchimie héroïque de la création.
33Mais le café apparaît également comme un emblème spatial. Il inscrit clairement les processus de production créatrice dans un espace. Que l’on envisage cette question d’un point de vue purement sociologique, comme l’a fait Christophe Charle43, ou d’un point de vue plutôt ethnologique et anthropologique44, on voit que chaque groupe s’approprie un territoire découpé dans l’étendue urbaine, et se définit par lui. « Le territoire est vécu à la fois comme un espace de sécurité et d’identité, chargé de signification, de pouvoirs magiques et de lieux sacrés. [...] Chaque groupe fait plus que coïncider avec son territoire : il “est” ce territoire45. » Pour pallier la perte d’identité due à la pratique de l’errance et du nomadisme (« marcher c’est manquer de lieu », écrit M. de Certeau), et pour réinvestir l’espace urbain de valeurs (historiques, légendaires, sacrées), l’activité poétique cherchera à tracer des limites, à morceler l’étendue indifférenciée, afin de s’établir, de s’enraciner dans un espace concret. Le groupe semble constituer l’instrument privilégié de cette appropriation des lieux, et le café, ou le quartier, les points d’ancrage de cette activité d’ordre symbolique.
34De ces marquages de territoires, nous avons de très nombreux exemples, en particulier avec les déplacements des centres d’animation dans Paris : le Quartier latin, la butte Montmartre, Montparnasse, Saint-Germain-des-Prés, etc. L’exemple le plus parlant serait celui de « la guerre des deux rives » qui anima le monde intellectuel en 1912. Les principaux épisodes de cette guerre tribale ont été exposés par Léon Somville, qui cite en particulier cette remarque significative de R. Devigne : « La rive gauche n’est pas une question géographique, mais un état d’âme. Le boulevard serait un état social46. » En 1913, la revue Les Marges, publia une vaste enquête sur la question, et chacun s’efforça tant bien que mal de relativiser le choc des deux clans. La réponse de Fernand Gregh, à ce titre, ne manque pas d’onctuosité évasive : « Tout ça, comme disait Moréas, “c’est des bêtises...” Entre la rive gauche et la rive droite, il n’y a qu’à suivre en paix son chemin, – comme la Seine. » Mais Ernest Raynaud est beaucoup plus péremptoire :
« La distinction entre les poètes du boulevard et les poètes de la rive gauche est assez subtile. J’imagine qu’il faut entendre par poètes du boulevard, les poètes de salon, les arrivistes pour qui l’Art est un moyen, tandis qu’il est le but unique pour les autres. Il y a les “faiseurs” et les convaincus, [et de poursuivre : ] l’honneur du poète digne de ce nom est de souffrir pour sa foi. Celui qui n’a pas reçu le baptême des insultes, de la Misère et de la Douleur, ne sera jamais parmi les élus47. »
35« Foi, souffrance, baptême, élus » : autant de termes qui renvoient à une véritable martyrologie, à un héroïsme proche du dolorisme chrétien, assez révélateurs d’un besoin criant de légitimité symbolique, du côté de la rive gauche. C’est donc ainsi que ce territoire se délimite de lui-même, s’auto-proclame « royaume de Chimérie », sous la houlette de Verlaine surtout, qui en apparaît comme le dieu tutélaire : Fargue le nomme « Jupiter des banquettes, Neptune de l’absinthe48 ». Comme le remarque I. Joseph, « il n’y a pas de territoire sans proclamation, marqué par des cérémonies de territorialisation, des rituels ou par des auto-proclamations qui pallient le manque de légitimité symbolique de la relation par une emphase et une grandiloquence ornementale [...] C’est ce qui explique que les territoires demeurent des représentations plus ou moins métaphoriques de la parenté49 ». Confréries ou fratries, pères spirituels : autant de structures qui organisent le champ littéraire parisien en territoires « familiaux » séparés, qui se chevauchent parfois et s’opposent le plus souvent. Avec la guerre des deux rives, on voit à l’œuvre de façon presque caricaturale, une théâtralité généralisée de la ville, théâtralité qui renoue avec la polis grecque, notamment par la pratique d’un combat rituel (ou agori), de joutes oratoires, de logomachies diverses50. De sorte que la création de territoires intra-urbains relève d’une pratique légendaire, puisqu’il s’agit pour chaque micro-société d’écrire dans l’espace sa propre histoire. Cette dimension narrative de l’espace, par l’intermédiaire du mémorable, est créatrice de mythes propres à la ville. Les aèdes de tels récits mythiques sont parfois les poètes eux-mêmes, mais encore plus souvent les poètes dits « de second ordre », qui escomptent de cette activité un retour, une gratification symbolique par délégation en quelque sorte. C’est ainsi que le commentaire des acta sanctorum s’intégre pleinement dans le vaste discours mythique qui fait de la ville en poésie un mythe moderne à part entière.
36L’héroïsme poétique est d’abord un héroïsme physique : effort corporel d’une marche qui prend souvent les allures d’un calvaire, rythmé par les différentes épreuves d’un parcours labyrinthique ou initiatique, vécu quotidien d’une situation économique souvent désastreuse : misère, famine, alcoolisme, haillons (figures du mendiant ou du poète crotté). Il s’agit ensuite d’un héroïsme langagier : pratiques innovatrices et tentatives de « commercialisation » d’une écriture qui cherche à s’adapter aux lois du marché (figures du démarcheur, de l’incompris, du maudit), pratique enfin d’une logomachie sur le théâtre de la scène littéraire et sociale (figures du prophète déchu, de l’anomique, du révolté, du provocateur).
37Ces quatre types d’attitudes se superposent le plus souvent mais peuvent être ramenées à la question de l’inscription corporelle (le geste, l’apparence physique, la voix, la conversation, la harangue, le manifeste) et des positions réelles comme symboliques (territoires géographiques, positions esthétiques) dans l’espace du social. Alors, l’écriture est indissociable de la vie. Et l’on pourrait appliquer à l’idéal-type du poète urbain la définition que Blanchot donne du « piéton de Paris » par excellence qu’est Fargue : « Il représente la littérature non seulement telle qu’elle s’écrit, mais telle qu’elle se vit51. » Carco va dans le même sens, tout en feignant de considérer comme dangereuse l’incitation à vivre et souffrir comme les poètes :
« Cependant, c’est l’homme qui nous fait aimer l’œuvre, et toute l’erreur consiste à provoquer chez des jeunes gens une vocation dont ils ignorent, neuf fois sur dix, les souffrances et les sacrifices qu’elle exige, en dehors du talent52. »
38Ce n’est peut-être pas un hasard, d’ailleurs, si la critique contemporaine de l’émergence de cette figure du poète s’est tant attardée sur les rapports de « l’homme et de l’œuvre », ou plus précisément sur le lien qui relie une écriture à son contexte : elle avait sous les yeux, pour ainsi dire, un poète qui ne cessait – volontairement ou non – d’affirmer l’importance de ces rapports et ce lien. De sorte que l’on a bien affaire à une forme de « transfert de poéticité » du poète sur l’œuvre, mais, « pour nous qui ne sommes pas poètes, le poétique est tout d’abord une qualité du poème ; et c’est ensuite seulement que nous pouvons nous interroger sur l’être poétique du poète et le transférer au poète la qualité du poème53 ». Le propre d’une certaine critique « externe » serait donc en quelque sorte de « mettre la charrue devant les bœufs » en inversant ce mouvement de transfert en privilégiant d’abord le poétique du poète, et en considérant seulement ensuite le poétique du poème. Certes l’autoreprésentation du poète en sujet singulier « doté d’une originalité irréductible et d’une existence incomparable » fait du « moi fantasmé » du poète « un signifié profond des textes54 », mais on pourrait qualifier également ce signifié de second (et non forcément secondaire) : il est comme superposé, aux textes, à la manière d’une aura, ou d’une nouvelle auréole de sainteté.
Le héros canonisé
39La définition de la légende comme « forme simple » élaborée par A. Jolies nous servira ici de guide55. L’auteur étudie les procès en canonisation de la légende chrétienne, mais cette structure peut être aisément transposée dans la légende laïque et littéraire. Cette structure s’organise, semble-t-il, en six points principaux :
Un « corpus » : les matériaux ne seront pas les Acta sanctorum, mais un ensemble composé des poèmes eux-mêmes dans lesquels le poète compose sa propre représentation légendaire et, bien sûr, de toute l’hagiographie littéraire qui prolifère au même moment (chroniques, anecdotes, mémoires, souvenirs littéraires, presse, etc.).
Un Procès : en effet, « on ne devient saint que si cette sainteté est liée à l’institution écclésiale56 » : le procès en canonisation se présente donc comme une procédure (de type juridique) et comme un processus (dans sa dimension temporelle : un certain recul est nécessaire), menée par une institution collective, sociale, pourvue d’une légitimité incontestable. Pour le poète, ce sera, par exemple, la critique, le public, les instances de légitimation (Académie, mais aussi plus généralement, la « postérité », le prestige57).
Des preuves : lors du procès, on doit faire la preuve que le « candidat » a bien pratiqué des vertus héroïques et opéré des miracles (Jolies, p. 29). Pour le poète, ce seront les pratiques héroïques (la souffrance principalement) et les « miracles » esthétiques produits qui tiendront lieu de vertus. La vertu en acte doit s’objectiver sous forme de miracle et / ou de relique : ce seront les livres, vénérés comme des fétiches (voir Des Esseintes et ses livres), mais aussi des vêtements (les souliers de Deubel), des lieux, des représentations, des images.
Des témoins : comme le procès judiciaire, le procès en canonisation s’appuie sur l’intervention de témoins, assurant ce que la sémiotique nomme « véridiction » : « Un croire-vrai doit être installé aux deux extrémités du canal de la communication, et c’est cet équilibre, plus ou moins stable, cette entente tacite de deux complices que nous dénommons contrat de véridiction58. » L’efficacité symbolique du discours légendaire est donc d’emblée liée au respect de ce contrat.
Une disposition mentale fondée sur l’imitation : le saint est un modèle (imitabile) : « Le saint est l’individu dans lequel la vertu s’objective et le personnage qui permet à un entourage plus ou moins proche de faire acte d’initiation » (Jolles, p. 34).
Un geste verbal exemplaire : la réalisation de la légende dans la langue recompose une vie, une expérience pour en cristalliser la multiplicité autour d’une figure et d’une vie, donc, d’une certaine manière, d’un récit mythique.
« Ah ! oui, devenir légendaire
Au seuil des siècles charlatans59 ! »,
40s’exclame Laforgue. La mise en scène du poète héroïque par lui-même contribue à sa canonisation. Elle en constitue même le fondement. Dès lors qu’une dimension narrative intervient dans le poème, un actant principal émerge comme figure centrale sur laquelle se focalisent toutes les valeurs, qu’elles soient positives ou négatives. Le souhait émis par Laforgue paraît tout à fait significatif d’une volonté, implicite le plus souvent, de se représenter sous une forme légendaire. C’est là une riposte évidente à la perte de sacralité que vivent les villes énormes. Cendrars (mythographe-mythomane, ou hagiographe de lui-même) n’hésite pas à l’affirmer :
« C’est peut-être un des traits les plus caractéristiques du génie que ce besoin de se créer une légende. Comme les enfants, le génie, ce suprême enfant, veut rêver à des histoires dont il est le héros60. »
41Cette auto-canonisation a une valeur interne, réflexive, comme gratification narcissique, mais aussi une valeur externe, comme anticipation de la réception, comme si elle venait combler d’avance une attente du public. Ce mouvement de projection et de retour d’images semble être un des traits fondamentaux de la modernité poétique qui éclôt au sein des villes énormes.
42La formule qui pourrait le mieux synthétiser cette représentation du poète par lui-même en héros errant serait le Et je m’en vais verlainien. Il s’agit là d’un véritable cliché, un syntagme figé qui prend une valeur exemplaire, paradigmatique. On le retrouve fréquemment chez Verlaine lui-même, dans un « Croquis parisien » :
« Moi, j’allais, rêvant du divin Platon
Et de Phidias,
Et de Salamine et de Marathon,
Sous l’œil clignotant des bleus becs de gaz61 ».
43L’emploi absolu du verbe « aller », l’emploi cataphorique du pronom sujet mis en apposition immobilise en quelque sorte la posture errante du poète en une forme de cliché photographique. Mais, en même temps, une certaine ironie amusée et dirigée sur soi (les clins d’œil des réverbères en sont les complices attendris, les distorsions de registre entre « moi » et « Platon et Phidias » ou entre les lieux Grèce antique / Paris actuel, la rime « Phidias / gaz », etc.) estompe le hiératisme un peu fier de cette progression.
44Chez Baudelaire, on relève également, une structure récurrente du même type, avec une séquence narrative minimale « comme je + verbe de mouvement ou de description à l’imparfait + je + verbe de perception au passé simple » : par exemple dans « Mademoiselle Bistouri » : « Comme j’arrivais à l’extrémité du faubourg [...] je sentis un bras » [...]62. » Cette tournure n’a rien, en soi, de très original, cependant, il s’agit là d’un véritable poncif, c’est-à-dire d’une structure vide, d’un canevas formel, particulièrement adéquat à la représentation (narrative, mais ramassée) d’une errance urbaine. On la retrouve chez Mallarmé : « J’allais comme eux [les chiffonniers] [...] et je vis...63 » ou ailleurs : « J’errais donc [...] quand [...] tu m’es apparue...64 », chez Nouveau : « Comme j’errais le nez au vent [...] je vis [...] une Parisienne65 », chez Apollinaire : « Comme c’était la veille du quatorze juillet [...] Je descendis dans la rue66 », chez Limbour : « Comme je remontais une de ces rues [...] j’aperçus [...] un manteau rouge...67 », et fréquemment chez Breton : « Je passe le soir dans une rue déserte du quartier des Grands-Augustins quand mon attention est arrêtée par un écriteau68... », « j’étais assis dans le métropolitain [...] lorsqu’à l’arrêt69..., Comme je m’acheminais lentement vers la Madeleine, un homme [...] s’approcha de moi70... », « je flânais vers six heures dans la rue de Paradis, quand l’impression que je venais de passer sans bien le voir devant un objet insolite me fit revenir sur mes pas71... ». On pourrait ainsi multiplier les exemples : ils nous montreraient tous combien ce syntagme figé débouche sur une exemplarité canonique de la marche en ville.
45Laforgue également se présente sous cette figure :
« Bon breton né sous les Tropiques, chaque soir
J’allais le long d’un quai bien nommé mon rêvoir72. »
46L’image du poète devient indissociable de celle de l’errant, du pèlerin (passionné), du noctambule. On ne peut plus exactement parler de posture – dans la mesure où le poète est ici en mouvement – peut-être pourrait-on avancer l’expression de « pose gestuelle » pour définir cette figure de poète. Cette pose, l’hagiographie ne manque pas de la reproduire. Ainsi de J.-L. Vallas à propos de Fargue :
« Ô, vivant, verbe accompli
D’un Paris vivant aussi
[...] Ambulant
Sans cesse y déménageant
Et sans cesse y voyageant73 »,
47et de Fargue à propos des poètes urbains en général :
« S’ils [les Parisiens] participent au luisant de Paris ou à l’agitation couverte de la nuit, c’est principalement encore en qualité de travailleurs. C’est la Province et c’est l’Étranger qui ont joui véritablement des pompes de la Capitale. Je ne parle pas des poètes, des piétons qui rêvent en marchant. Ceux-ci non plus ne sont pas de la fête. Ils cheminent, illuminés, dans le tunnel de leurs songes74... »
48Quand un poète se promène, c’est toute la poésie qui se diffuse sur la ville.
« Lamentable et correct il va, c’est un poète.
Oh ! mon Dieu, c’est un homme comme les autres,
Quelque chose de très semblable aux choses les plus honnêtes
Un chapeau d’employé qui couvre son cœur d’apôtre.
Il passe dans la foule sans qu’un passant remarque
Qu’il ne s’y mêle pas.
Le pauvre ! Il voudrait bien quelquefois, mais ses pas
Ne sont guère à lui, il va, les autres marchent.
Il fume, portant sa pipe comme un temple
À l’heure de la grand-messe
[...]75 »
49On pourrait rapprocher ce texte de Salmon d’un poème de Carco et d’une prose narrative de Valéry, intitulée « Passage de Verlaine76 ». Un certain nombre d’invariants de la légende du poète piéton apparaissent.
50Premièrement, l’ambulation absolue : le poète est figuré en marche. Cette insistance sur l’activité ambulatoire montre que, désormais, la marche est consubstantielle à l’activité poétique : « Il va, c’est un poète », « Il va, les autres marchent » (Salmon). Chez Carco, la Muse ne peut être qu’errante (épithète de nature), « Regarde, ce sont des artistes / Ils s’en allaient le long des quais », association quasi automatique entre l’identité (artistes) et l’activité (s’en aller). Chez Valéry, enfin, Verlaine est presque réduit à son « passage » (il passe en gesticulant, en boitant et bat le sol « du lourd bâton des vagabonds et des infirmes »), dans un autre texte, Verlaine est qualifié de chemineau77. Si bien que la marche est présentée comme une « seconde nature » du poète, au point que tout poète est un spécialiste des pèlerinages, comme l’écrit Soupault de lui-même dans sa « Chanson du pèlerin78 ».
51Deuxièmement, misère et maladresse : comme dans la tradition du misérabilisme ou du dolorisme, le poète est forcément associé à son état de misère, physique ou morale, et à une certaine maladresse, symbole d’une inadaptation aux lois du monde réel. Le poète « lamentable » de Salmon en arrive à se cogner, il n’« aime pas la Terre », mais se sait « terre à terre », le poète de Carco n’a « plus de papier blanc », sa Muse est une « pauvresse », Verlaine est présenté par Valéry comme « lamentable » aussi, et ailleurs comme « brutal, sordide, inquiétant », pitoyable. Il est fait référence à sa carrière « affreusement accidentée ». Cet héroïsme à rebours est lui aussi une « seconde nature ».
52Troisièmement, apparence physique : dans le même ordre d’idée, une grande importance est accordée à l’apparence physique, et vestimentaire surtout, du poète : chapeau et pipe pour Salmon, monocle, moustache, air lunaire pour Carco, bâton, casquette, foulard rouge, gourdin pour Valéry79.
53Quatrièmement, absence au monde : les évocations insistent également sur une sorte de marginalité, ou d’état d’absence : le poète de Salmon « passe dans la foule sans qu’un passant remarque / Qu’il ne s’y mêle pas, il est perdu dans ses pensées, dans l’amour des cieux », celui de Carco marche « à contrecœur, à contresens », et chez Valéry ce sera le savant Poincaré, auquel Verlaine est associé, qui marchera perdu dans ses méditations : « Son regard était vide et fixe, à travers le tremblement de cristal de son binocle. Il marchait, vaguement conduit par son front lourd et penché. » Savant ou poète marchent dans deux mondes à la fois : celui de la rue (déplacement fonctionnel), celui des pensées (déplacement spirituel).
54Cinquièmement, sacralité : la figure du poète en marche est associée à la sphère du sacré : chez Salmon, le chapeau d’employé du poète couvre « un cœur d’apôtre », qui « fume, portant sa pipe comme un temple / À l’heure de la grand-messe » ; chez Carco, Moréas est présenté pérorant du haut d’un socle, et les autres poètes mentionnés sont entourés d’un halo de sainteté ; chez Valéry, enfin, Verlaine inspire une « horreur sacrée », il siège dans un arrière-café qui s’achève en une grotte de rocaille, il porte des « flammes dans ses yeux », son apparition est comparée à celle d’un astre dans un quartier « peuplé de dieux et de demi-dieux ». De sorte que ces figures sont à rapprocher des représentations traditionnelles des saints ou des prêtres, comme si les poètes étaient investis d’un pouvoir sacré.
55Sixièmement, distance, humour : cependant, toutes ces évocations adoptent un ton mi attendri mi ironique. Le poète de Salmon est « lamentable et correct », ceux de Carco sont tantôt « piteux », tantôt « grotesques, burlesques », et Valéry s’amuse à constater que toute légendaire que se présente l’apparition de Verlaine, comme de Poincaré, « ils sont mus par la loi de se mettre à table »... Cette distance ironique revêt certainement des fonctions différentes : exploitation du registre héroïco-burlesque chez Salmon ou Carco, et vague réticence chez Valéry, qui introduit son portrait de Verlaine ainsi : « Quelque chose d’invincible m’a toujours retenu d’aller faire la connaissance de Verlaine », affirmant par là un certain recul par rapport au personnage et à sa légende (tout en y contribuant malgré tout par l’évocation qui suit). On voit ainsi que toute représentation stéréotypée du poète en marche introduit, explicitement ou implicitement, l’idée d’une séduction, avec toutes ses ambiguïtés.
56C’est ainsi qu’un poète comme Fargue se canonise lui-même, notamment en exhibant ostensiblement les stigmates de sa propre sainteté de poète piéton. Ces stigmates sont les signatures d’une autre dimension de sa personne : comme des tatouages ou des scarifications, ils désignent presque concrètement un au-delà de son existence ordinaire (Breton dirait « la vie hors de son plan organique »). Ils s’inscrivent littéralement des pieds à la tête, c’est-à-dire sur les deux pôles corporels essentiels du poète-piéton : les pieds pour la marche :
« Je suis enceint, marqué, repéré. J’ai un compteur dans les poumons, une balance dans l’œil, un calendrier dans l’oreille, une carte Michelin sous la plante des pieds, des miroirs, des atlas, des trousseaux de clefs, des chronomètres sur tout le corps80 »,
57et la tête pour la poésie :
« Le retentissement des pèlerinages de tous les jours mijote comme une fumerolle de cauchemar sous mes paupières, et doit briller, ce me semble, comme un feu Saint-Elme au-dessus de ma vieille tête81. »
58Le corps du saint se trouve donc marqué de signatures indélébiles, qui constituent sans aucun doute une nouvelle auréole pour le poète. On pourrait même dire que Fargue retrouve ici l’auréole que Baudelaire, presque un siècle avant lui, avait perdue dans la boue du boulevard.
59Mais ces marques renvoient également à un moment du passé, par lequel s’est décidé le destin héroïque du saint urbain. Ce sont des traces et des preuves. Les évocations de scènes originaires (réelles ou fantasmées) de révélation seront des récits fondateurs. Pour que le saint accède à la canonisation, il lui est en effet nécessaire de justifier d’un épisode stratégique de sa vie, au cours duquel il est littéralement né à la ville. Comme le dit Valéry, « l’histoire littéraire est tissue comme l’autre de légendes diversement dorées82 ».
Scènes fondatrices
60Et Valéry enchaîne : « Les plus fallacieuses sont nécessairement dues aux témoins les plus fidèles. Quoi de plus trompeur que ces hommes véridiques qui se réduisent à nous dire ce qu’ils ont vu, comme nous l’eussions vu nous-mêmes ? » L’accès à la révélation est toujours précédé d’une période de doute et d’errements. Nous avons déjà évoqué ces tâtonnements à propos de Fargue (« Une question mal posée »). Grâce à un appel diffus, le poète se mettait en marche dans le labyrinthe urbain, en quête d’un savoir sur son propre passé. Dans le chapitre VI, intitulé « La crise », de son ouvrage sur Verhaeren, Stefan Zweig exploite cette veine du récit fondateur. Il présente cette crise comme une sorte d’épreuve initiatique, au cours de laquelle le héros est frappé jusque dans son corps par les atteintes de la grande ville. C’est encore le modèle Question / Réponse, étudié par H.R. Jauss qui préside à l’ouverture et au développement de cette crise :
« Mille impressions l’abordent et réclament chacune une réponse. Les grandes villes ténébreuses déchargent toute leur électricité sur lui et ses nerfs se chargent d’étincelles.
[...] À Londres, il erre comme dans une forêt perdue
[...] sentant grandir sa solitude d’autant que lui restent incompréhensibles les manifestations de toute cette nouveauté qui composent la vie des grandes cités. Il ne sait pas encore capter la poésie qui est en elles.
[...] Tout son organisme est miné. [...] À ce malaise psychique vient s’ajouter et correspondre une souffrance physique », etc.83
61Un tel récit est l’exemple type d’une rhétorique hagiographique dont le fondement serait le récit héroïque. Comme les récits mythiques, il insiste sur l’inscription de l’épreuve dans le corps même du héros, notamment par l’emploi d’une métaphore filée qui emprunte son lexique au domaine des sciences de l’électricité et des fluides magnétiques. La naissance à la création poétique urbaine est conçue en termes quasi magiques : le héros reçoit un fluide, un choc électrique, une étincelle qui le révèle à la sacralité moderne.
62Un autre exemple va dans le même sens : celui de la fameuse soirée d’octobre 1903, au cours de laquelle Romains a la soudaine révélation des « unanimes ». Son ami André Cuisenier raconte la scène en ces termes : « Un soir d’octobre 1903, Jules Romains, encore élève au lycée Condorcet, remontait avec Georges Chennevière la grouillante rue d’Amsterdam : il eut subitement l’intuition d’un être vaste et élémentaire », etc.84 On en retrouve un récit semblable dans un hommage à Romains pour ses soixante ans : « Remontant la rue d’Amsterdam, un soir d’octobre 1903, le jeune homme de dix-huit ans sentit croître en lui un sentiment de fraternité fort et doux85... » R. Lalou usant d’une prétérition significative va dans le même sens : « Je m’en voudrais de représenter comme une scène d’hagiographie cette fin d’après-midi, rue d’Amsterdam où il eut la pleine vision d’un univers de frémissantes solidarités [...] Il n’en est pas moins incontestable que l’ébranlement décisif de son intelligence et de sa sensibilité doit être inscrit au crédit de la poésie86. » Comme l’écrit A. Guyon, « il est bien embarrassant de ne disposer que d’un témoignage indirect sur un événement de cet ordre87 », et l’on en voit le danger : la « fétichisation » d’une telle scène risque en effet de détourner le lecteur d’une étude organique, selon l’expression de Valéry, de la poésie de Romains. Les témoins qui participent au procès en canonisation du poète viennent en quelque sorte superposer à la matérialité de l’œuvre l’idéalité d’une scène fondatrice, dont le propre est d’être incontestable, c’est-à-dire de subsituer une « seconde nature » à la « nature » du héros. Dès lors que le récit s’effectue sur le mode mythique d’un in illo tempore, toute tentative de véridiction est rendue caduque. Ainsi toute œuvre d’importance doit-elle, pour être reconnue comme telle, trouver sa naissance dans le recul dans un « temps héroïque ». Ce mécanisme, qui est l’un des procédés les plus employés par la critique biographique, fonctionne également pour les poètes eux-mêmes, lorsqu’ils évoquent d’autres poètes, de sorte que, à la perception de tel élément du paysage urbain (un réverbère, par exemple) est superposée une autre perception et qui est de l’ordre d’une mémoire culturelle involontaire (ce réverbère ramène à Nerval) : « A ta lueur imbécile [Limbour s’adresse ici à un réverbère africain] je rêve à tous ceux de l’Europe et me souviens que Gérard de Nerval, prince de la Nuit, noctambule et somnambule, météore enchanteur, une nuit de désespoir, se pendit au bras tendu d’un bec de gaz, comme au poing surhumain d’un Dieu88. » Puisque les poètes sont aussi lecteurs d’autres poètes, leur perception de la ville est presque toujours doublée de cette perception seconde, que l’on peut qualifier d’a priorique. Entre récit de la naissance du héros et récit de la mort du héros, le récit hagiographique est toujours un récit de fondation. Comme l’écrit M. Eliade, « la connaissance de l’origine et de l’histoire exemplaire des choses confère une sorte de maîtrise magique sur les choses89 et en “vivant” les mythes, on sort du temps profane, chronologique, et on débouche dans un temps qualitativement différent, un temps “sacré” à la fois primordial et indéfiniment récupérable90 ». Cette plongée dans le non-temps mythique de l’origine est ainsi une façon de répéter les gestes exemplaires des héros, qui sont à la fois des « pères fondateurs » et des « pairs ». Cette alliance de la paternité et de la parité poétiques joue un rôle éminent dans l’élaboration et dans la transmission de la légende du poète urbain.
Paternité et parité. Aïeux et alter ego
63Lorsqu’il est possible à un poète de se reconnaître dans un autre poète, lorsqu’il lui est possible de travailler à partir des poncifs élaborés par cet ancêtre, on peut parler d’identification héroïque, car, rappelons-le, la disposition mentale fondamentale de la légende est la notion d’imitation. Selon D. Anzieu, « créer requiert, comme première condition, une filiation symbolique à un créateur reconnu. Le jeune créateur s’identifie à un créateur antérieur héroïque91 ». De façon tout à fait terre à terre, pour commencer, ce processus d’identification peut passer par une imitation directe, notamment vestimentaire. Follain, arrivant dans une grande ville s’imagine déjà « revêtu » d’un certain pouvoir : « Je songeais aux futurs vêtements que j’aurais et aux gens à qui j’en imposerais, tout cela dans un halo de ville remplie d’éclairages à la brume de l’hiver92 », car, comme le note Paul Schilder, « nos vêtements nous servent aussi à nous identifier aux autres : par eux, nous devenons comme les autres. En imitant leur façon de s’habiller, nous changeons l’image posturale que nous avons de notre corps en acquérant la leur93 ».
64Mais c’est peut-être en rester à niveau assez anecdotique, car l’identification est plus profonde : c’est bien au père qu’elle renvoie. Ainsi, par exemple, Ch. Mauron émet-il l’hypothèse que si Baudelaire s’est fait flâneur, c’est en fonction de François Baudelaire : « Bien entendu, ce personnage de badaud et de spectateur ironique a toujours existé en Baudelaire. J’y vois l’une des formes de son identification au père, François Baudelaire, artiste curieux et grand promeneur94. » Ce père que Baudelaire n’a que peu connu, c’est celui que l’on veut imiter, dont on veut devenir le pair, selon le processus de la rivalité mimétique mis au jour par René Girard. Un héritage symbolique permet ainsi d’établir une filiation. Par la transmission d’attributs ou de vertus, le saint exemplaire crée une sorte de famille symbolique. Leconte de Lisle avait légué sa tenue d’académicien, « comme pour lui transmettre son charisme », à Heredia95 (en quoi l’on voit que la question vestimentaire n’est pas si anodine que cela). P. Bourdieu nous éclaire sur le fonctionnement de ce système de paternité / parité : « L’affirmation de l’autonomie absolue du “créateur” est inséparable de sa prétention à ne reconnaître d’autre destinataire de son art qu’un alter ego, c’est-à-dire un autre “créateur”, contemporain ou futur, capable d’engager dans sa compréhension des œuvres la même disposition “créatrice” que lui-même dans sa création96. » On voit que la poésie fonctionne à la manière d’un code restreint, à usage presque interne, et valant à l’intérieur du champ fermement délimité d’une population constituée exclusivement de poètes. D’un autre point de vue, la pratique de la référence à des « pères fondateurs » contribue elle aussi à la création d’une parenté ou d’une communauté symbolique. Sur la scène et le marché des productions poétiques, aïeux et alter ego fonctionnent à la manière de puissances tutélaires et sur le mode de la connivence. L’émergence de « sociétés de poètes », voire de corporations ou de confréries (avec leurs rituels : banquets, réunions, assemblées, revues, hommages, élections de « princes des poètes », funérailles, rixes, rivalités, provocations, etc.) prouve combien, dans l’espace de la ville, l’activité poétique est indissociable d’un sentiment d’appartenance à une communauté. Cette connivence fraternelle, ou cette allégeance filiale est d’ailleurs parfois teintée d’une certaine dimension homosexuelle. Ainsi, à propos de Verlaine, qui remplit manifestement ce double rôle de père et de pair, Laurent Tailhade peut-il écrire :
« On aime les autres poètes comme des amis, des confidents. Mais Verlaine, tous, nous l’aimons à la fois comme une maîtresse et comme un dieu97. »
65De sorte que, de poète en poète, on peut établir une sorte de généalogie, dans laquelle la position de père absolu des poètes urbains serait très certainement occupée par Villon :
« Villon, pour avoir été le pire des voyous, n’en demeure pas moins notre Père à tous et notre Maître98 »
66Affirmation qui vaut pour Verlaine (Valéry, dans Variété, les associe tout naturellement), mais pour bien d’autres. Ainsi Follain peut-il en apparaître comme la réincarnation, comme le raconte J. Rousselot, voyant Follain à Paris en 1933 ou 1934 :
« Jean Follain m’apparut comme une résurrection de Villon : dégingandé, sinueux et maigre. Il portait un chapeau melon, un col à coins cassés, des gants de filoselle grise, une chemise blanche, un costume et une cravate noirs99. »
67Ailleurs, c’est Paul Fort qui est qualifié de « moineau de Paris, comme Villon100 ». Carco, Mac Orlan, n’ont cessé d’ériger la statue héroïque de Villon, cédant bien souvent à une sorte de complaisance archaïsante, fort en vogue sur la butte Montmartre. Précurseurs, personnages de référence, pères, maîtres, frères en poésie ou en gueuserie : toute une mythologie familiale se met en place, pour créer une sorte de folklore sympathique, mais souvent approximatif, gratifiant et rassurant sans doute. Mais cette filiation est parfois présentée comme une véritable obsession, comme l’avoue Fargue lui-même :
« Toutes ces légendes dorées, ces vies d’hommes illustres m’obsédaient. J’attendais ardemment l’heure de faire mon entrée dans cette cité familière et féerique101. »
68Digne des ses pères, Fargue n’a pas déçu la légende. D’abord parce qu’il en possédait à l’avance tous les arcanes, ayant traversé plus d’un demi-siècle de vie parisienne, ensuite parce qu’il s’est ingénié à construire sa propre légende, en quelque sorte, à s’autocanoniser. R. Francès, dans une étude sur les « limites et la nature des effets de prestige », nomme « kodakisation le stade ultime de la notoriété : celui où le nom propre est devenu un nom commun servant à désigner tous les objets de la classe à laquelle il appartient et dont il n’était qu’un élément102 ». En rhétorique, on nommerait cette démarche « schématisation métonymique ». À la limite, plus la notoriété est grande, plus la schématisation est excessive : « L’élément notoire devient un paradigme et perd de sa singularité pour devenir un symbole. » Fargue se sacre « piéton de Paris » : le titre de son ouvrage le plus fameux fait manifestement référence à celui d’Aragon : Le Paysan de Paris, il en conserve l’allitération expressive, « martelante », et insiste sur ce que Fargue appelle ailleurs le « piétonnement ». Ce titre, à la manière des marques publicitaires, va se lexicaliser. L’article défini « le » le surdétermine, et isole Fargue comme le type même de « piéton de Paris ». « Le piéton de Paris, c’est moi », pourrait dire Fargue. D’autres procédés sont employés par Fargue pour s’assimiler « naturellement » à cette fonction de piéton : ainsi « le printemps incline à la flânerie le piéton impénitent qu’il me souvient avoir été naguère103 » [...] « Or, sans doute parce que je suis poète et peut-être parce que je suis assez parisien104 », etc. [...] « mon, atelier secret d’imagier et de parisien105 » [...] « à l’époque où j’étais déjà un antique piéton des huitième, sixième et dixième arrondissements106... » [...] « moi qu’on présente comme un Parisien irréductible, je me suis en effet promené un peu partout dans le vieux monde107 ». De son vivant, Fargue était donc conscient de sa qualité de piéton légendaire, et n’a pas cherché à démentir. Dans la bibliographie hagiographique farguienne, cette étiquette est apparue très tôt. Nous citerons ici une série de formules significatives d’une définition métonymique de Fargue : « Parisien professionnel, piéton en titre de Paris », « chantre breveté de Paris », « piéton du pavé poétique », « ce pique-assiette de la flânerie, cet écomifleur du charme parisien [?], ce La Fontaine de Saint-Germain-des-Prés », « ce déambulateur des nuits de Paris, piéton du souvenir », « il fait partie des nuits de Paris comme Gérard de Nerval », etc. Cette série d’expressions fonctionne sur un nombre limité de procédés rhétoriques : la référence (ou exemplum), l’antonomase (ou synecdoque d’individu), le démonstratif de notoriété (le illus latin). Toutes ces figures instaurent et perpétuent la légende. De même que « orateur romain » renvoie automatiquement à Cicéron, « piéton de Paris » renvoie nécessairement à Fargue108. Cette stylistique de l’hagiographie est donc à la fois didactique (elle définit de façon gnomique ou concentrée la qualité essentielle de l’auteur concerné) et commémorative (elle restitue une présence). Le discours mythique fonctionne bien souvent sur des syntagmes figés du même ordre, pour désigner le noyau, le motif central, d’un ensemble mythique (« la potière jalouse », par exemple). Une fois un type ainsi isolé, et institué comme exemplaire ou canonique (canonisé), l’imitation peut se trouver un point de référence (un modèle, un poncif) pour s’exercer. La légende rend le saint plus proche, afin que l’ensemble de la communauté puisse en reproduire les gestes (ou la geste) pour s’en approprier les vertus.
Dans le sillage des fantômes
69Lorsque le saint est encore de ce monde, on peut l’approcher et presque toucher sa statue vivante, comme si elle émettait un pouvoir talismanique. Ainsi à dix-sept ans, Paul Fort et des compagnons pénètrent dans le café Voltaire :
« Timidement nous y fûmes, et c’étais, je crois, autant que pour nous initier aux mystères de la poésie, pour admirer de près l’éclatante beauté de Madame Rachilde, le monocle de Régnier [...] mais combien nous paraissait encore plus fantastiquement bel et vénérable le crâne socratique de Paul Verlaine : penché sur une absinthe et réfractant la lumière, c’était à nos yeux le dôme sous quoi voltigeaient toutes les Muses, le dôme sacré de la Poésie109. »
70L’objectivation des vertus poétiques, sous la forme d’un crâne quasi surnaturel, illustre le caractère magique d’une telle séduction (la laideur est un des attributs du charisme). Toucher le corps du saint est presque un signe d’élection, comme l’écrit Salmon :
« [...] Et d’autres s’émerveillent,
Plus jeunes, d’avoir eu l’adorable faveur,
Un soir de temps affreux, d’offrir leur main virile
À Verlaine malade et tramant par la ville
Son génie infini et sa vaste douleur110 »
71Mais lorsque le saint est mort et qu’il est réduit à l’état de fantôme omniprésent, ce sera par la promenade que l’imitation, à la manière du pèlerinage, pourra perpétuer la légende et ouvrir dans la pratique de la ville une autre dimension que l’on pourrait qualifier de « citationnelle » ou de « mémorielle ». Se promener, c’est répéter les actes paradigmatiques des héros anciens et le pèlerinage ouvre un espace de la mémoire collective dans les rues réelles, comme le dit Maurice Halbwachs « à quelques souvenirs réels, s’ajoute une masse de souvenirs fictifs », à une mémoire personnelle, interne, se superpose une mémoire sociale, externe111. C’est par l’addition de ces deux mémoires, ou de ces deux pratiques mentales de la ville, que le marcheur peut être à la fois lui-même, ici, maintenant, inscrit dans une histoire, et quelqu’un d’autre, dont il s’approprie les vertus. Fargue, pour qui la mémoire est le principal moteur du piétonnement, fait même un rêve étrange :
« J’ai eu l’âme d’un hagiographe, et celle d’Osmond le métalliste, et celle de Fargue l’émailleur.
Ce soir-là, j’étais à la fois Villon, Gringoire, Coquillart et Jacquemin Gringonneur112. »
72Pour être l’autre, rien de meilleur qu’une promenade dont on attendra une sorte de résurrection magique, ainsi de Jean Gallotti à propos de Baudelaire : « La curiosité m’est venue de voir les demeures qui ont alors abrité ses soirées et ses nuits de travail, de suivre les rues où il a promené ses mélancolies au balancement de confuses mesures et au tintement de rimes éparses, de toucher les murs où s’appuya parfois sa main fiévreuse [...] c’est au long de ce trajet que nous pouvons avec le plus de certitude marcher sur l’empreinte invisible de ses pas113... » Pour Carco, les ombres de Moréas, Verlaine, Guérin, Bataille sont des puissances tutélaires : « Leurs ombres que j’évoquais, la nuit, me consolaient, me guidaient par les rues et, lorsque, au petit jour, je regagnais Montmartre, c’est avec elles qu’en toute candeur je conversais114. » Paul Fort suit Moréas dans ses errances nocturnes : « Son noctambulisme me fut, à moi, sacré. Je me fis noctambule pour le suivre et l’écouter115. » René Daumal peut ainsi suivre Nerval : « J’y ai suivi Gérard de Nerval, j’ai vu par ses yeux comme j’avais vu par les miens, les mêmes spectacles116. » Plus près de nous, Julien Gracq décrit ce type de parcours chargé d’un pouvoir de transfiguration : « À travers les rues de Nantes, Rimbaud me possédait entièrement : ce qu’il a vu, tout à fait ailleurs, interfère avec ce que je vois et va même jusqu’à s’y substituer117. »
73La légende n’est pas une forme aussi « simple ». Tant de récits, de livres, de témoignages, nourrissent le mythe, le confirment, le brouillent, ne parviendront jamais à épuiser la réalité de ce mythe-légende du poète piéton.
74Le terme de « légende » est à comprendre presque au sens que lui donnent les géographes : le corpus des textes ici envisagé a pour principale fonction de permettre de lire un paysage textuel dont nous pressentons qu’il est mythique, mais dont nous nous contentons de tracer quelques figures, des petites cartographies : des dizaines d’autres sont possibles, tout comme dans le labyrinthe mille parcours s’ouvrent au marcheur. Nous savons cependant, grâce à Lévi-Strauss, qu’un mythe est composé de l’ensemble de ses variantes : ce qui signifie qu’aucun commentaire d’un mythe n’est à l’abri, finalement, d’une annexion par le mythe dans son champ d’action. La force de séduction d’un mythe n’est pas réductible à son interprétation, et il faut semble-t-il se résoudre à cette part de mystère qui l’entoure d’un halo de résistance. S’y résoudre et peut-être même s’en féliciter, victime consentante de son efficacité symbolique :
« Tu es depuis longtemps
Tu es jour après jour
Dans la mythologie
Et c’est aussi pourquoi
Tu es vivable
Pour ces millons qui savent
Vivre aujourd’hui cette légende
Que tu seras »,
75écrit fort justement Guillevic à propos de la ville118
76C’est sans doute par l’intermédiaire de cet héroïsme particulier de l’errance que le poète accède au statut de légende littéraire, et peut-être même la ville à celui de mythe. En dernière instance, c’est bien à la question d’un croire que se relie celle du légendaire, dans la mesure où elle s’inscrit dans une sorte de contrat idéologique.
Notes de bas de page
1 Notamment La Création culturelle dans la société moderne, Denoël-Gonthier, 1971.
2 À Madame Aupick, 27 mars 1852, Correspondance, T. I, p. 191.
3 À Madame Aupick, 3 janvier 1854, Correspondance, T. I, p. 253.
4 À Madame Aupick, 4 juillet 1859, Correspondance, T. I, p. 587.
5 Cité par Benjamin, Charles Baudelaire, un poète lyrique..., op. cit., p. 103.
6 Sur mes contemporains : Pierre Dupont, (II), Critique littéraire, T. II, p. 171.
7 À Madame Aupick, 20 juillet 1859, Correspondance, T. I, p. 588.
8 À Armand Fraisse, 18 février 1860, Correspondance, T. I, p. 676.
9 Carnet, 42-44, T. I, p. 738.
10 G. Agamben, « Le caractère fétiche de la marchandise et son secret », Stanze, Bourgois, 1981, p. 77.
11 P. Bourdieu, « Le marché des biens symboliques », L’Année sociologique, 1971, p. 53.
12 « Retour à la réalité », L’Œuvre poétique, T. VI, op. cit., p. 318.
13 Voir J. Faraud, « L’unanimisme et le groupe de l’Abbaye », Bulletin des amis de Jules Romains, n° 11, janvier 1978, p. 19 sq, et G. Taillade, « Unanimisme, futurisme, abbaye de Créteil », Bulletin des amis de Jules Romains, n° 23, mars 1981, p. 15 sq.
14 Anecdotiques [1911], NRF, Gallimard, 1955, p. 17.
15 Fusées, T. I, p. 662.
16 Zentralpark, fragments sur Baudelaire, Charles Baudelaire..., op. cit., p. 220.
17 Quant aux Manifestes littéraires de la Belle Époque (1886-1914), on se reportera à l’ouvrage de Bonner Mitchell, qui les cite tous, du « Manifeste décadent » d’Anatole Baju, le 10 avril 1886 au « Manifeste cérébriste » de Canudo, le 9 février 1914. R. Walch, dans son Anthologie des poètes nouveaux, cite tous les manifestes futuristes. Léon Somville, dans Devanciers du surréalisme, énumère également toutes les poétiques qui éclosent entre 1900 et 1914 : Futurisme (Marinetti), Unanimisme (Romains) Intégralisme (Lacuzon, 1904), Impulsionnisme (Florian-Parmentier, 1906) Dynamisme (Gossez, 1910), Paroxysme (Beauduin, 1911), Dramatisme (Barzun, 1912), Synchronisme (Marcello-Fabri, 1919).
18 « L’école païenne », Critique littéraire, T. II, p. 47.
19 Le Livre des passages, op. cit., p. 329.
20 L’Évidence poétique (1937), op. cit., T. I, p. 521.
21 Ch. Guérin, Le Sang des crépuscules, Premiers et derniers vers, Mercure de France, 1923, p. 89. On pourrait dire méchamment que le public a bien rendu à la plupart des symbolistes leur fière indifférence : qui lit, aujourd’hui, Charles Guérin ?
22 « Existence du symbolisme », Variété, T. I, p. 686 sq : « Ils s’accordaient dans une résolution commune de renoncement au suffrage du nombre : ils dédaignent la conquête du grand public. [...] Ils déprécient les honneurs, mais, au contraire, ils exaltent leurs saints et leurs héros, qui sont aussi leurs martyrs et les modèles de leurs vertus. »
23 Les Amours jaunes, Pléiade, p. 705.
24 P. Bénichou, Le Sacre de l’écrivain, p. 331.
25 Le Promenoir des amis, Garnier éditeur, 1914, p. 16.
26 Léon Bocquet, Léon Deubel, roi de chimérie, Collection « La vie de Bohème », sous la direction de Carco, Grasset, 1930, p. 89.
27 Ch. Charle, « L’expansion et la crise de la production littéraire. Deuxième moitié du xixe siècle », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 4, 1975, p. 44 sq.
28 Le Livre des passages, « La “perte d’auréole” concerne en tout premier lieu le poète, qui est contraint de s’exposer personnellement sur le marché. Baudelaire s’y est employé avec énergie. Sa célèbre mythomanie a été une astuce publicitaire », op. cit., p. 349.
29 C. Abastado, op. cit., p. 119.
30 On lira en ce sens l’article de Rémy Ponton, « Programme esthétique et accumulation de capital symbolique. L’exemple du Parnasse », Revue française de sociologie, xiv, 1973, p. 202-220.
31 Ch. Charle, La Crise littéraire à l’époque du Naturalisme, roman, théâtre, politique, Presse de l’ENS (Ulm), 1979, p. 18.
32 I. Joseph, Le Passant considérable, Essai sur la dispersion de l’espace public, Librairie des Méridiens, 1984, p. 24.
33 G. Michaud, Message poétique du symbolisme, Nizet, 1947, p. 225. Voir également C. Abastado, op. cit., p. 260 et toutes les évocations de la vie de Bohème : L. Aressy, La Dernière Bohème, E. Raynaud, La Bohème sous le Second Empire, etc.
34 P. Fort, Mes mémoires, 1872-1944, toute la vie d’un poète, Flammarion, 1944, p. 85-86.
35 C. Pichois, Baudelaire à Paris, Hachette, 1967, p. 21.
36 A. Barre, Le Symbolisme, essai historique sur le mouvement poétique en France de 1855 à 1900 (1912) Slatkine reprints, Genève, 1970, p. 68, et Labracherie, La Vie quotidienne de la Bohème au xixe siècle, Hachette, 1967.
37 M. Adéma, Guillaume Apollinaire le mal aimé ? Plon, 1952, p. 64.
38 Le Paysan de Paris, p. 92.
39 M.-C. Bancquart, Paris des surréalistes, Seghers, 1972, p. 8.
40 H. Juin, Écrivains de l’avant-siècle, Seghers, 1972, p. 23.
41 Variété, op. cit., T. I, p. 700-701.
42 Abastado, op. cit., p. 260.
43 « Situation spatiale et position sociale, essai de géographie sociale du champ littéraire à la fin du xixe siècle », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 13, février 1977, p. 45 sq.
44 Voir J. Bonnemaison, « Les voyages et l’enracinement. Formes de fixation et de mobilité dans les sociétés traditionnelles des Nouvelles-Hébrides », L’Espace géographique, n° 4, 1979, p. 303-318.
45 Ibid.
46 L. Somville, Devanciers du surréalisme, Les groupes d’avant-garde et mouvement poétique 1912-1925, deuxième partie, « La guerre des deux rives », Genève, Droz, 1971.
47 Les Marges, xi et xii, 1913.
48 Refuges, p. 85.
49 Joseph, op. cit., p. 24.
50 L. Mumford écrit à propos de la cité grecque : « La cité antique devenait une sorte de vaste théâtre, où l’existence quotidienne prenait une résonance dramatique, où le décor lui-même et la présentation semblaient soutenir la voix et grandir les protagonistes. » La Cité à travers l’histoire, « Personnalité de la cité grecque (1951) », Seuil, 1964, p. 151 sq.
51 M. Blanchot, Fauxpas, NRF, Gallimard, 1943, p. 170.
52 Carco, Montmartre à vingt ans, Mémoires d’une autre vie, Genève, éd. du Milieu du Monde, 1942, p. 319.
53 M. Dufrenne, Le Poétique, op. cit.
54 C. Abastado, op. cit., p. 59.
55 A. Jolies « La légende », Formes simples, Seuil, 1972, pp. 27-54.
56 Op. cit., p. 29.
57 Le rôle de la presse dans ce procès est éminent car elle est une véritable instance de consécration : Rémy Ponton (art. cit., p. 214) illustre ce pouvoir d’une exemple parlant : en mars 1884, un seul article de Coppée dans Le Journal suffit à faire la gloire d’Albert Samain : « Ce fut pour Samain, du jour au lendemain, presque la célébrité. »
58 Greimas et Courtès, Sémiotique, dictionnaire, op. cit., p. 417.
59 Imitation de Notre-Dame de la Lune, Œuvres complètes, op. cit., p. 160.
60 « Inédit secret » cité par Claude Leroy, « Cendrars bourlingueur, ou une malle à double fond », Cahiers du xxe siècle, n° 2, 1974, p. 124.
61 Œuvres poétiques, p. 65.
62 SP, T. I, p. 353. En voici d’autres exemples chez Baudelaire : « Le Cygne », FM, p. 85-86 : « Comme je traversais le nouveau Carrousel », « Les sept vieillards », FM, p. 87 : « Je suivais [...] le faubourg [...] Tout à coup, un vieillard [...] m’apparut », « À une passante », FM : « La rue hurlait [...] une femme passa »... « Un plaisant », SP : « Comme l’âne allait tourner l’angle d’un trottoir [...] un beau monsieur [...] s’inclina »... p. 279 ; « Le mauvais vitrier », (p. 386 : « Un matin, je m’étais levé maussade [...] j’ouvris la fenêtre [...] j’aperçus »..., « Le vieux saltimbanque », « Les projets », « La fausse monnaie, « Le galant tireur », « Perte d’aurole ».
63 Op. cit., p. 15.
64 Ibid., p. 30.
65 Premiers Poèmes, Pléiade, p. 360.
66 Calligrammes, Pléiade, p. 193.
67 Soleils bas, op. cit., p. 42.
68 Clair de terre, op. cit., p. 37.
69 Ibid., p. 39.
70 Les Vases communicants, op. cit., p. 106.
71 Ibid., p. 117.
72 Les Complaintes, op. cit., p. 30.
73 Au Piéton de Paris, H. Levebre, 1965, p. 18.
74 Refuges, p. 193.
75 Salmon, « Un poète se promène », Féeries (1907), Créances suivi de Carreaux, NRF Gallimard, 1968, pp. 67-68 ; voir aussi Carco, « À l’amitié » (extrait), Petite suite sentimentale (1936), La Bohème et mon cœur, rééd. Albin Michel (1951), 1986, pp. 231-233.
76 Variété, op. cit., pp. 710 sq.
77 « Villon et Verlaine », Variété, op. cit., p. 440.
78 Poésies, op. cit. « Spécialiste des pèlerinages / je cours pour toujours souffrir [...] »
79 Autre évocation de Verlaine dans « Souvenirs littéraires », Variété, op. cit., p. 777.
80 Haute solitude, p. 71.
81 Refuges, p. 14.
82 Variété, p. 482.
83 S. Zweig, Émile Verhaeren, op. cit., p. 52.
84 A. Cuisenier, Jules Romains et l’unanimisme, Flammarion, 1935.
85 Madeleine Israël, Hommage à J. Romains pour ses soixante ans, Flammarion, 1945, p. 72.
86 Ibid., p. 81.
87 A. Guyon, « Le souvenir de la rue d’Amsterdam », Bulletin des amis de Jules Romains, n° 8-9, avril-juin 1977, p. 13.
88 Soleils bas, p. 130.
89 M. Eliade, Aspects du mythe, Folio, p. 116.
90 Ibid., p. 31.
91 D. Anzieu, Le Corps de l’œuvre, Gallimard, 1981, p. 16.
92 Follain, Collège, Gallimard, 1973, p. 4.
93 « Influence du vêtement sur l’image du corps et psychologie du vêtement », L’Image du corps, Gallimard, 1968, p. 221.
94 Le Dernier Baudelaire, Corti, 1966, p. 44.
95 R. Ponton, art. cit., p. 218.
96 « Le marché des biens symboliques », art. cit., p. 54.
97 L. Tailhade, Quelques fantômes de jadis, Messein, 1913, p. 34.
98 Verlaine, « Chroniques de l’hôpital, I », Œuvres en prose complètes, Pléiade, p. 252.
99 J. Rousselot, « Jean Follain sur son orbite », Lire Follain, Presses Universitaires de Lyon, 1981, p. 13. L’auteur ajoute : « Cette tenue était tout à fait celle des avocats ou magistrats de l’époque » : on ne voit pas très bien alors ce qui peut motiver cette parenté avec Villon, qui dans la légende, s’est toujours placé de l’autre côté de la barre au tribunal !...
100 J. Gallotti, op. cit., p. 126.
101 Fargue, « Montmartre-le-Vieux », Refuges, op. cit., p. 19.
102 R. Francès, « Limites et nature des effets de prestige », Journal de psychologie normale et pathologique, n° 3 et 7, 1963.
103 Lanterne magique, p. 113.
104 Méandres, p. 41.
105 Déjeuners de soleil, p. 154.
106 Lanterne magique, p. 135.
107 Déjeuners de soleil, p. 15.
108 Barthes définit l’exemplum comme l’incarnation « d’une vertu dans une figure », Communications, n° 16, « L’ancienne rhétorique », p. 201.
109 Mes mémoires, op. cit., p. 10.
110 Créances, op. cit., p. 118.
111 M. Halbwachs, La Mémoire collective, PUF, 1950, p. 37.
112 D’après Paris, op. cit., p. 286.
113 Gallotti, op. cit., p. 81-83.
114 Carco, Préface à La Bohème et mon cœur, op. cit., p. 23.
115 Mes mémoires, op. cit., p. 87.
116 Nerval le nyctalope, L’Évidence absurde, Gallimard, 1972.
117 La Forme d’une ville, Corti, 1985, p. 63.
118 Ville, Poème, Gallimard, 1969, p. 103.
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