Avant-propos
p. 11-15
Texte intégral
J’ai profité dans Voiture,
Et Marot par sa lecture
M’a fort aidé, j’en conviens.
Je ne sais qui fut son maître :
Que ce soit qui ce peut être,
Vous êtes tous trois les miens.
J’oubliais maître François, dont je me dis encore le disciple, aussi bien que celui à maître Vincent, et celui de maître Clément. Voilà bien des maîtres pour un écolier de mon âge.
La Fontaine, « Epître à M. de Saint-Evremond », Œuvres complètes, Seuil, L’Intégrale, 1996, p. 41.
1La journée d’études du 7 décembre 1996, qui a réuni un certain nombre de chercheurs autour de Marot et La Fontaine à l’ENS de Fontenay/Saint-Cloud et dont les actes sont présentés ici, a pour origine une triple motivation. La première, fortuite, est celle du programme d’agrégation 1996-1997 qui offrait à la lecture, parmi d’autres, L’Adolescence clémentine et Les Amours de Psyché et de Cupidon, et proposait de fait à l’investigation stylistique un terrain privilégié : La Fontaine a toujours affiché ce qu’il devait à « maître Clément », et plus précisément ce qu’il devait à la langue et à l’écriture marotiques. La seconde motivation venait du désir de réunir des chercheurs qui pouvaient tous, qu’ils viennent d’horizons plus spécifiquement littéraires, linguistiques ou grammairiens, se retrouver autour de cette « chorégraphie » dont parle M. Fumaroli, unissant « langue et style », « grammaire et mœurs1 ». Chorégraphie qui pouvait d’une certaine manière recouper la démarche stylistique telle qu’elle se définit depuis quelques années comme manière d’approcher la littérarité des textes littéraires, comme pratique résolument interprétative. Enfin, l’idée de cette journée s’est trouvée justifiée, affinée aussi par la lecture des travaux de M. Fumaroli sur la notion de « génie de la langue française ». Marot et La Fontaine y apparaissent comme les jalons essentiels d’un parcours, qui permet d’entrevoir une continuité d’ordre esthético-idéologique entre deux illustrations de ce que la France a voulu penser comme son proprium poétique, voire linguistique. Pour le XVIIe siècle, l’ingenium, le naïf de la langue française trouve son origine chez Marot. L’ère classique lit son printemps langagier chez le poète de Cahors, ou découvre son adolescence dans celle de Clément.
2Qu’ils émanent des Anciens ou des Modernes, les textes du XVIIe siècle donnent en effet tous à lire cette même histoire : le naturel, si recherché par le Grand Siècle et qui définit pour lui l’essence même du génie français, a connu une première efflorescence dans la génération des poètes de 1530 autour du doux et piquant Marot, et du suave Melin de Saint-Gelais au nom programmatique. Ce naturel que les auteurs du XVIIe siècle veulent reconnaître s’exprime à la fois dans un esprit gaulois – que Rabelais radicalise souvent trop pour qu’on puisse en faire un allié de marque – et une écriture transparente, non savante, à l’opposé de l’artificieuse et docte poésie de la Pléiade rejetée par l’ère classique comme un accident regrettable dans l’histoire des formes. Ainsi La Bruyère dans Des ouvrages de l’esprit, 42, écrit :
« Ronsard et les auteurs ses contemporains ont plus nui au style qu’ils ne lui ont servi ; ils l’ont retardé dans le chemin de la perfection ; ils l’ont exposé à la manquer pour toujours et à n’y plus revenir. Il est étonnant que les ouvrages de Marot, si naturels et si faciles, n’aient su faire de Ronsard, d’ailleurs plein de verve et d’enthousiasme, un plus grand poète que Ronsard et que Marot ; et au contraire, que Belleau, Jodelle et Saint-Gelais, aient été sitôt suivis d’un Racan et d’un Malherbe, et que notre langue, à peine corrompue, se soit vue réparée. »
3A la différence de Ronsard, qui en aurait freiné le développement, Marot a contribué à l’épanouissement du génie de la langue française. La Bruyère ici rejoint Boileau, auteur d’une étiquette à jamais accolée au poète de Cahors, celle de « l’élégant badinage », qui n’est pas sans rappeler le programme esthétique défini à l’orée des Amours de Psyché par La Fontaine2. Perrault précise peut-être ce qu’il faut entendre par là. L’auteur des Contes admire en La Fontaine « une simplicité ingénieuse, une naïveté spirituelle et une plaisanterie originale, qui, n’ayant jamais rien de froid, cause une surprise toujours nouvelle », toutes qualités que l’auteur des Fables tire, selon Perrault, du style marotique3. C’est ici par le truchement des qualifications épithétiques, adjectives ou relatives, que l’idéal de transparence se trouve mâtiné d’une veine épigrammatique et capricieuse. Le style de La Fontaine se définit alors comme cette rhétorique médiane savamment calculée, tempérance de la rhétorique des arabesques baroques et manière d’aiguillonner l’éloquence par trop diaphane du classicisme. Il s’agit sans doute là d’une des définitions du style galant. Précisons encore notre propos, en citant Boileau :
« Le vrai tour de l’Epigramme, du Rondeau et des Epistres naïves ayant été trouvé, mesme avant Ronsard, par Marot, par Saint-Gelays et par d’autres, non seulement leurs ouvrages en ce genre ne sont point tombés dans le mépris, mais ils sont encore aujourd’hui généralement estimés ; jusques-là mesme, que pour trouver l’air naïf en françois, on a quelquefois encore recours à leur stile ; et c’est ce qui a si bien réussi au célèbre Monsieur de la Fontaine4. »
4Au-delà du brillant faiseur d’épigrammes, Boileau insiste sur ce que Perrault disait peut-être d’une manière moins explicite, sur la naïveté du langage, qu’il ne faudrait pas réduire à la pure simplicité. La naïveté du langage marotique va de pair avec le sentiment d’une naissance du langage français. Les hommes du XVIIe siècle y trouvent une antiquité, mais une antiquité domesticable, ne sentant pas sa poussière mais les fraîches saveurs aurorales. Marotique devient alors progressivement synonyme d’archaïque, comme le montre Isabelle Landy ; mais ce langage aux colorations anciennes est porteur d’une histoire ou d’une culture de la langue5.
5Il s’agit sans doute là d’une vision réductrice, dix-septiémisée, de Marot qui a pu nuire à la compréhension de ce dernier. La critique moderne a, par contraste, reconnu dans le poète de Cahors, un esprit secret, anxieux, au cœur des débats évangéliques du premier xvie siècle. Le vrai Marot est sûrement à rechercher au carrefour de ces deux interprétations extrêmes ; comme La Fontaine, au demeurant, que l’on ne peut réduire au modèle achevé de l’esthétique galante. Saluons, à ce titre, le cri salvateur d’André Toumon qui vise à refuser, sous le mode de l’ingénieuse simplicité, les deux jugements critiques qui ont prévalu sur l’auteur de L’Adolescence clémentine, celui de Boileau, « Imitons de Marot l’élégant badinage » et celui, plus récent, prêté à une certaine critique, « Méditons de Marot l’austère pèlerinage6 ».
6 Il n’empêche que le jugement du siècle classique sur Marot a le mérite de nous rappeler que Marot avait une conscience très forte des faits linguistiques et que si l’on a pu parler d’un « Rabelais grammairien » on peut aussi retrouver derrière le poète de Cahors les traces d’un grammairien accompli. Il a en outre le mérite de nous faire revenir sur l’épineuse question du style naturel.
Notes de bas de page
1 Voir la citation de M. Fumaroli qui sert d’épigraphe à notre recueil.
2 La Fontaine, Œuvres complètes, Seuil, L’Intégrale, 1996, p. 404 : « Dans un conte comme celui-ci, qui est plein de merveilleux, à la vérité, mais d’un merveilleux accompagné de badineries et propre à amuser des enfants, il a fallu badiner depuis le commencement jusqu’à la fin ; il a fallu chercher du galant et de la plaisanterie. »
3 Voir Charles Perrault, Les Hommes illustres, 1696, cité in La Fontaine, Œuvres complètes, Seuil, L’Intégrale, 1996, p. 8 : « Ces vers [ceux de La Fontaine] se ressentaient, comme la plupart qu’il a fait depuis, de la lecture de Marot et de Rabelais, qu’il aimait et qu’il estimait infiniment. Le talent merveilleux que la nature lui donna, n’a pas été inférieur à celui de ces deux auteurs, et lui a fait produire des ouvrages d’un agrément incomparable. Il s’y rencontre une simplicité ingénieuse, une naïveté spirituelle, et une plaisanterie originale, qui, n’ayant jamais rien de froid, cause une surprise toujours nouvelle. »
4 Boileau, Réflexion VII sur le Traité du Sublime in Œuvres complètes, Paris, NRF, Pléiade, 1966, p. 524.
5 Voir La Fontaine, Clymène, éd. cit., p. 250 :
« C’est trop ! vous nous deviez proposer un distique !
Au reste, n’allez pas chercher ce style antique
Dont à peine les mots s’entendent aujourd’hui :
Montez jusqu’à Marot, et point par delà lui. »
6 A. Tournon, communication faite à la journée d’agrégation organisée par S. Perrier à l’université Paris VII, à paraître dans Cahiers Textuel, n° 16,janv. 1997.
Auteur
Agrégé répétiteur à l’École Normale Supérieure de Fontenay/Saint-Cloud.
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