Chapitre 5
Race et religion : les « bons » et les « mauvais » sujets du féminisme en France
p. 121-140
Texte intégral
1La France fait figure de pays précurseur en Europe dans le domaine des restrictions de pratique religieuse visant principalement l’islam. En effet, si aujourd’hui plusieurs pays européens tels que la Belgique, l’Allemagne, le Danemark, l’Italie et l’Espagne ont adopté des législations nationales ou des règlements municipaux ou régionaux restrictifs sur le port de vêtements religieux, en particulier ceux permettant de cacher une partie du visage, la France fut la première à adopter une loi interdisant le port du voile islamique (hijab) dans les écoles publiques en 20041, suivi en 2010 d’une loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public2. De nombreux facteurs contribuent à expliquer l’adoption de dispositions limitant l’expression de la liberté de religion qui, bien que formulées de façon neutre, visent expressément – comme en témoignent les débats parlementaires auxquels elles ont donné lieu – à prohiber une pratique religieuse islamique genrée. En effet, comme l’ont montré de nombreux travaux sur le sujet, ces lois traduisent en France une redéfinition de la laïcité3. Elles sont aussi le produit de luttes politiques partisanes dans le contexte d’une montée en puissance du Front national4 et de la construction d’un consensus sur le « problème » musulman par les élites françaises5. Ainsi, ces lois reflètent le déplacement sur le terrain de la laïcité d’enjeux politiques liés à l’immigration, à l’intégration des immigré.es et aux minorités postcoloniales racialisées6, et une forme d’instrumentalisation du discours de l’égalité des sexes contribuant à racialiser le sexisme en le présentant comme une caractéristique particulière à certains groupes sociaux, en particulier les populations musulmanes7. Cette dernière dimension des débats n’est pas propre à la France : dans les différents pays européens où des mesures prohibitives ciblant des formes de vêtement islamique ont été discutées, la question de l’égalité des sexes a été omniprésente dans les débats et a suscité des prises de positions divergentes de la part des représentant.es politiques et gouvernementaux, des figures publiques et des actrices associatives se réclamant du féminisme8. C’est bien, entre autres, au nom de l’égalité des sexes, et/ou de la protection de la dignité de la personne – ici féminine – que ces lois restrictives ont été adoptées, et soutenues par des organisations importantes au sein des mouvements féministes français.
2Avec ces deux lois en particulier, on assiste donc à un processus, qui n’est pas limité à la France – comme en attestent plusieurs chapitres de cet ouvrage9 –, d’enrôlement des discours féministes dans des projets politiques contribuant à nourrir et légitimer l’islamophobie. En justifiant juridiquement des prohibitions sur la liberté d’expression et de pratique religieuse par le biais de discours qui présentent ces pratiques comme antithétiques avec l’égalité des sexes, l’identité nationale se trouve reconfigurée grâce et autour de la valeur d’égalité des sexes. Mais quel rôle jouent à proprement parler les féministes dans ce projet d’enrôlement des discours féministes dans une reconfiguration de l’identité nationale produisant des discours politiques et juridiques islamophobes ? On peut s’interroger sur le rôle effectif des prises de positions énoncées au nom du féminisme lors des débats législatifs et devant les commissions parlementaires ayant recommandé ces lois : les parlementaires avaient-ils vraiment besoin du soutien des féministes pour faire aboutir leurs projets législatifs ? On peut également relativiser le poids juridique accordé à la valeur d’égalité des sexes dans les raisonnements juridiques élaborés pour justifier ces restrictions à la liberté religieuse : d’autres arguments juridiques, en particulier la protection de l’ordre public, ont joué un rôle probablement plus central dans cette entreprise de redéfinition juridique de la laïcité. En un sens, l’instrumentalisation de l’égalité des sexes dans ces entreprises législatives reste accessoire, et principalement discursive, au regard des enjeux politiques et électoraux qui les ont motivées.
3Toutefois, on peut aussi s’interroger sur les motivations d’une partie des actrices des mouvements féministes français à participer à ces entreprises législatives, et sur les effets de ces discours instrumentalisant l’égalité des sexes sur les organisations féministes en France. Quand l’égalité des sexes contribue à des entreprises politiques teintées d’islamophobie, comment certaines actrices s’identifiant comme féministes jugent-elles cette instrumentalisation et légitiment-elles leur éventuel soutien à ces mesures ?
4Pour répondre à cette question, ce chapitre propose de centrer l’analyse des discours féministes favorables aux lois de 2004 et 2010 sur ce que j’appelle la blanchité féministe, à savoir une position de privilège épistémique, social et politique produite et maintenue par et pour les féministes blanches grâce à l’asymétrie des rapports raciaux au sein des organisations et mouvements féministes. L’objectif de ce chapitre est ainsi de montrer comment l’enrôlement des discours féministes – et de certaines organisations féministes – dans le projet nationaliste et islamophobe est rendu possible et soutenu par cette position de privilège non interrogée par une partie des féministes blanches.
5En centrant l’analyse sur le concept de blanchité féministe, il s’agit de donner à voir d’une part les discours par lesquels les féministes blanches maintiennent leur position comme sujet privilégié du féminisme, et d’autre part, ceux qui produisent les femmes et les féministes non blanches comme des « autres », différentes, des sujets féministes incomplets, à réformer pour pouvoir être reconnus pleinement comme tels – rendus semblables – ou à exclure car considérés comme inassimilables au projet féministe. Dans cette deuxième catégorie de discours, la religion, et en particulier l’islam10, tient une place centrale. Ainsi, dans l’entreprise de conceptualisation de la blanchité féministe, il convient d’articuler ce qui relève de la race et du racisme, et ce qui relève plus particulièrement de l’islam. Il faut donc analyser précisement les raisons et justifications qu’une partie des féministes blanches peut donner non seulement à son soutien formel aux entreprises législatives de prohibition des vêtements religieux féminins islamiques, mais aussi à ses entreprises de réforme et d’éducation des femmes musulmanes, considérées comme un préalable pour les inclure dans le projet féministe. En ce sens, ce cas précis permet d’opérer une distinction conceptuelle importante entre racisme et islamophobie. Il faut bien sûr souligner d’entrée de jeu que la blanchité féministe n’est pas homogène : elle est variable et contextuelle. Aussi, il existe de nombreux exemples de prises de positions féministes refusant l’enrôlement de la valeur d’égalité des sexes dans des projets politiques islamophobes11. Cependant, ce que l’on cherche à expliquer ici c’est bien les processus par lesquels la blanchité peut permettre de garantir les privilèges particuliers qu’elle confère au sein du discours féministe.
6Une première section de ce chapitre développe et précise le concept de blanchité féministe dans le contexte français en montrant sa portée explicative, en particulier au regard de celle du concept de fémonationalisme, également mobilisée pour expliquer l’instrumentalisation du discours d’égalité des sexes dans des projets xénophobes. Cette première section revient également sur l’articulation entre race et islam que l’analyse vise à explorer. J’y présente enfin la méthodologie de recueil des données qualitatives utilisée. Dans les deux sections suivantes j’illustre ce cadre conceptuel en montrant tout d’abord par quels discours les féministes blanches interrogées parviennent à maintenir leur position de sujet privilégié du féminisme, et, d’autre part, les discours par lesquels elles transforment, en particulier les femmes musulmanes, comme des « autres » non féministes devant être aidées ou réformées. Je reviens dans la conclusion sur la façon dont cette analyse permet d’éclairer le développement du fémonationalisme dans le contexte français, et de complexifier ce cadre conceptuel.
Penser le privilège : la blanchité féministe
7Dans son analyse du développement de ce qu’elle nomme le fémonationalisme, à savoir l’utilisation de l’égalité des sexes comme une valeur mise au service d’un agenda politique xénophobe porté aussi bien par les partis de droite et d’extrême droite que les politiques néolibérales et une partie des mouvements féministes et des fémocrates, Sara Farris considère qu’il s’agit non pas d’une instrumentalisation à proprement parler mais d’une convergence, rendue possible par une matrice idéologique commune centrée sur la conviction partagée, ancrée dans le passé colonial et nourrie d’une islamophobie contemporaine, que les relations de genre et l’égalité des sexes connaissent un stade plus avancé en Europe / dans les pays occidentaux que dans les pays musulmans12. Dans ce cadre conceptuel, une partie des actrices du mouvement féministe aurait donc adopté une matrice idéologique islamophobe, un ensemble de discours anti-Islam saturant l’espace public et construisant le « problème musulman »13 en France, et cette conviction idéologique expliquerait leur adhésion et leur soutien à des lois largement teintées d’islamophobie.
8Si l’on peut reconnaître dans cette analyse la posture de certaines personnalités féministes dont les prises de positions reflètent une conception « laïcarde » du féminisme ouvertement islamophobe14, la notion de convergence peine à expliquer les discours d’associations de féministes blanches ayant une longue tradition de lutte contre le racisme ou de soutien aux femmes issues de l’immigration, et qui pourtant ont, pour nombre d’entre elles, soutenu formellement la loi de 2010, et souvent aussi celle de 200415. Ainsi, un des problèmes du modèle conceptuel proposé par la notion de fémonationalisme et son explication par la convergence est l’importance accordée à la dimension idéologique perçue comme un ensemble de discours homogènes, plutôt que traversée par des contradictions, par exemple entre des discours teintés d’islamophobie et l’adhésion forte à des principes et des actions de lutte contre le racisme. Le biais de l’analyse de Sara Farris, centrée sur des figures féministes publiques, rarement engagées concrètement dans du travail associatif de terrain, induit également une faible documentation empirique auprès d’associations féministes qui, au quotidien, fournissent des services à une diversité de femmes dans le besoin. Ce féminisme « de terrain » porte-t-il lui aussi un discours fémonationaliste ?
9Pour dépasser une explication s’appuyant principalement sur des ressorts idéologiques16, et pouvoir rendre compte des motivations et discours des féministes françaises, engagées sur le terrain, à propos de l’islam et des débats sur le voile islamique, je propose une approche centrée sur l’analyse des rapports de pouvoir et de privilège au sein des organisations féministes. Les questions de conflits, qu’ils se nouent autour d’inégalités raciales, de classe ou de sexualité, au sein des mouvements féministes sont largement pensées à partir du cadre conceptuel de l’intersectionnalité. Si ce concept permet effectivement d’éclairer les dynamiques d’invisibilisation et d’exclusion des femmes à la croisée de multiples marginalisations sociales au sein des organisations féministes17, il reste souvent axé sur des enjeux de représentation (à savoir qui peut parler au nom de qui au sein des mouvements féministes), d’identité et de visibilisation (à savoir permettre l’auto-organisation des féministes de couleur par exemple)18. Pourtant, la généalogie complexe du concept d’intersectionnalité nous rappelle que la revendication d’une approche intersectionnelle du féminisme est largement ancrée dans la dénonciation d’un privilège, celui des féministes blanches des classes moyennes et supérieures, qui ne s’énonce jamais comme tel et permet à ces féministes d’occuper des positions épistémiques, sociales et politiques privilégiées au sein du mouvement19. La critique de la blanchité est donc centrale dans la dénonciation de l’invisibilisation subie par les femmes de couleur au sein des mouvements féministes de la seconde vague aux États-Unis.
10En forgeant le concept de blanchité féministe, il s’agit de prolonger cette réflexion en bénéficiant des apports conceptuels des études critiques de la blanchité20. En effet, le concept de blanchité vise à rendre visible une position de privilège qui se caractérise par sa propre ignorance : le privilège de la blanchité, pour ceux et celles qui en bénéficient, passe avant toute chose par la possibilité d’ignorer ce privilège21. Ainsi la blanchité est-elle en un sens invisible, bien sûr uniquement pour celles et ceux qui l’occupent, pas pour celles et ceux qu’elle contribue à marquer comme non blanc.hes et « autres »22. Elle est, elle aussi, un effet des processus de racialisation qui marquent certains corps comme « autres ». Produit des rapports de racialisation, la blanchité est un processus de subjectivation plutôt qu’une identité donnée. En ce sens, la blanchité est, pour reprendre les termes de Ruth Frankenberg, une position, matérielle, culturelle et subjective, « le produit complexe de relations sociales locales, régionales, nationales et globales, passées et présentes. […] il s’agit d’une catégorie relationnelle co-construite avec un ensemble d’autres catégories raciales et culturelles, avec la classe et la race »23.
11Ainsi, selon Frankenberg la blanchité est socialement construite et donc fortement contextuelle et historique. Elle varie dans le temps et dans l’espace, et en fonction de la façon dont elle s’articule à de nombreux autres rapports sociaux. Il ne s’agit donc en aucun cas d’un concept visant à essentialiser une identité. Dans son exploration de la blanchité des femmes blanches américaines dans les années 1980, Frankenberg montre ainsi – par une analyse fine des discours des interviewées sur leurs histoires, leurs positions sociales et leurs relations avec des personnes non blanches au cours de leurs vies – que si les discours les plus présents sont ceux qui affirment la non-pertinence sociale de la couleur de peau (color-blindness), une minorité de femmes, en particulier celles engagées dans le militantisme féministe de la décennie précédente, affichent une forme de conscience raciale (race cognizance) aussi bien de la prévalence du racisme dans la société que de leur position sociale privilégiée24.
12Les différents répertoires de la blanchité étudiés par Frankenberg sont donc centrés sur une analyse des façons dont les femmes blanches perçoivent leur identité raciale et leur position privilégiée. Pour la plupart d’entre elles, ces deux dimensions restent des impensés et c’est bien l’ignorance du privilège, alliée à une vision de la société qui euphémise les rapports raciaux, qui prévaut. Cette perspective sur la blanchité axée sur les personnes blanches, est complétée et nuancée par Sara Ahmed qui insiste sur le caractère relationnel de la blanchité et son articulation avec le racisme. En effet, Ahmed souligne que les effets sociaux liés à la blanchité consistent à marquer les corps non blancs comme « autres »25. La blanchité est ainsi produite aussi à travers des opérations de marquage et d’altérisation des personnes non blanches.
13Le concept de blanchité féministe a pour objectif d’utiliser ces prémisses conceptuelles permettant de définir la blanchité afin d’analyser comment, au sein des organisations et mouvements féministes, la blanchité façonne l’engagement des féministes blanches et les relations qu’elles entretiennent avec les femmes et féministes de couleur. Le concept de blanchité féministe vise donc à mettre au jour la façon dont la race participe à la subjectivation politique des féministes blanches ; comment elle influence la définition du féminisme et des valeurs qu’il devrait incarner que les féministes blanches adoptent ; et comment elle détermine le type de relations que les féministes blanches construisent avec les sujets féministes non blancs. Dans le contexte français cependant, la blanchité n’est pas juste affaire de race. En tant que catégorisation permettant de désigner une position de privilège, la blanchité doit aussi être pensée en rapport avec l’islam et l’islamophobie. En effet, dans le contexte français ce sont bien des débats sur des signes religieux islamiques qui ont mis au jour des impensés postcoloniaux au sein du féminisme26. Dans ce contexte, l’islam peut-il être réduit à sa racialisation ? Autrement dit, l’islamophobie procède-t-elle exactement à la façon du racisme ? Documenter les contours de la blanchité féministe permet en partie de répondre à cette question : en observant vis-à-vis de qui et de quoi la position de privilège des féministes blanches se constitue et se maintient, on dévoile également une partie des processus sociaux qui altérisent spécifiquement les musulmanes dans les mouvements et les pratiques féministes.
14Les théorisations des féministes de couleur et les recherches sur la blanchité suggèrent que la capacité à universaliser une position privilégiée pour l’imposer comme centrale au mouvement d’une part, et l’ignorance du privilège lié à la couleur et la forme d’innocence27 que cette ignorance permet de préserver d’autre part, structurent probablement la blanchité féministe. Cependant, c’est à travers une exploration empirique que les contours de la blanchité féministe dominante en France peuvent être tracés. Pour ce faire, j’ai utilisé des entretiens qualitatifs avec des féministes, employées ou militantes dans des organisations féministes de Paris et de la région parisienne (n = 13) dans le cadre d’une recherche plus large sur le féminisme en France et au Québec, pour laquelle j’ai également interviewé des féministes racisées28. Les entretiens ont été réalisés entre 2011 et 2015, à une période où les organisations féministes françaises avaient dû prendre position sur les différentes initiatives législatives pour prohiber les vêtements religieux féminins musulmans. Dans ce contexte où les tensions raciales et postcoloniales se sont exprimées avec force au sein du mouvement féministe, j’ai réalisé des entretiens avec des féministes blanches de différentes générations et actives dans des organisations féministes – refuges, associations locales, associations nationales – généralistes ou spécialisées dans certaines problématiques telles que les violences faites aux femmes ou la santé des femmes. Cet échantillon n’épuise bien sûr pas l’ensemble des trajectoires, positions et discours des féministes blanches. En particulier, en choisissant de limiter la récolte de données à des organisations féministes établies et reconnues par la loi, cet échantillon laisse de côté nombre de militantes féministes faisant partie de groupes ou collectifs, en particulier dans les générations plus jeunes. Cependant, l’objectif était bien ici de s’intéresser aux organisations féministes qui fournissent des prestations et services aux femmes (en termes de santé, droits, etc.), tentent de bénéficier de subventions publiques, et constituent le tissu associatif relativement pérenne et légitime, aux yeux des institutions, du féminisme français.
15Les entretiens ont été analysés de façon inductive avec un logiciel de codage, pour identifier et systématiquement catégoriser les différents discours permettant de repérer et de dessiner les contours de la blanchité féministe. Dans les deux sections suivantes de ce chapitre j’analyse la blanchité féministe à partir des deux perspectives tracées dans cette partie : tout d’abord comme position de privilège qui s’ignore – ignorance du privilège qui permet de le perpétuer – et, dans un second temps, comme un ensemble de discours marquant les femmes et féministes non blanches comme « autres ». Dans cette dernière section, je documente les façons spécifiques dont les femmes musulmanes sont altérisées, en tant que femmes musulmanes, par les féministes blanches. Ces processus donnent ainsi à voir ce qui peut être spécifique dans l’islamophobie au regard du racisme au sein des mouvements féministes.
La blanchité comme préservation du privilège
16Je présente ici deux répertoires principaux, les plus fréquents, utilisés par les féministes blanches pour universaliser leur position et considérer celle-ci comme incarnant les priorités des organisations féministes et le « bon » féminisme. Le premier répertoire consiste à insister sur les inégalités liées au genre comme étant plus importantes et plus transversales socialement que d’autres rapports sociaux. Ce primat accordé au genre, conçu comme universel et commun à toutes les femmes, minorise les intérêts et les luttes des femmes discriminées par d’autres rapports sociaux que le genre et les relègue à des formes de luttes « particulières ». Le deuxième répertoire tend à délégitimer, pour différentes raisons, l’auto-organisation des féministes sur une base ethnique, et donc aussi la politisation de la question raciale. D’autres répertoires, par exemple celui qui privilégie la classe sur la race, propre aux féministes héritières de la tendance « lutte des classes » de la seconde vague du féminisme, ou encore des discours qui situent toujours la race « chez les autres » (aux États-Unis par exemple), sont présents dans les entretiens et contribuent à délégitimer la question raciale telle qu’elle peut être politisée par des féministes non blanches en France, et, de ce fait, participent à sauvegarder le privilège associé à la blanchité. Cependant je me concentre ici sur les deux répertoires qui ont directement trait à ce qui est conçu comme la bonne façon d’être et de revendiquer le féminisme, c’est-à-dire à travers une posture qui privilégie l’universalité des inégalités de genre, et une organisation elle aussi fondée sur l’identité de femmes plutôt que sur une base ethnique ou communautaire.
17Le premier répertoire consiste donc, de façon classique car maintes fois observée dans les mouvements féministes, à universaliser le genre29. Ainsi Catherine, la quarantaine et issue d’un milieu plutôt aisé, qui milite dans une association issue de la seconde vague et axée sur la défense des droits des femmes, réagit à une question sur le positionnement de l’association en faveur des lois interdisant le port du voile, lui demandant si elle ne craignait pas d’aliéner le soutien des femmes musulmanes au projet de l’association :
Peut-être que la position est tranchée sur la question du voile, mais on se retrouve largement sur d’autres terrains et le grand combat, c’est quand même l’égalité hommes-femmes et c’est quand même la parité, l’égalité salariale… On est largement plus là-dessus, les violences faites aux femmes… Je crois qu’au-delà du voile, on se retrouve largement sur des points qui ne sont pas réglés pour les femmes à l’heure actuelle. Ce sont des points particuliers, mais il y a des problèmes largement plus graves.
18La distinction qu’elle établit clairement entre les thématiques « universelles » liées uniquement au genre, celle de l’égalité salariale ou de la parité, et celle de l’accès des femmes voilées à l’emploi et l’éducation, sujet considéré comme « points particuliers », constitue une hiérarchie entre les intérêts des femmes blanches et ceux des femmes musulmanes qui n’est pas dite comme telle, puisque l’égalité salariale et la parité sont des thématiques présentées comme universelles, et non pas comme concernant avant tout les femmes bénéficiant de certains privilèges sociaux. On retrouve ici typiquement une analyse non intersectionnelle permettant à Catherine d’universaliser son point de vue féministe particulier.
19De façon similaire, Chantal, la cinquantaine, employée dans une association de lutte contre les mutilations génitales, assure que le fait qu’elle soit blanche n’est pas un problème quand elle s’adresse prioritairement à des groupes de femmes immigrées ou issues de l’immigration :
Mais en fait, quand on aborde les choses de façon transversale en montrant que tous les peuples sont victimes de violence, que la femme occidentale n’est pas celle qu’ils voient dans Dynastie et que ce qu’ils voient sur les couvertures des magazines, ce n’est pas aussi évident que ça. Quand elles comprennent que tous les deux jours et demi, il y a une femme en France qui meurt des violences de son conjoint… C’est un problème de les amener à comprendre qu’on parle de quelque chose de beaucoup plus large et pas uniquement un truc qui ciblerait la communauté machin. Mais même moi quand je parle à mes collègues africaines… avec leurs histoires, leurs expériences… bien sûr elles… Je ne sais plus qui me disait l’autre fois : « Toi, tu es une féministe à 360 degrés ». Bien oui. Moi, ce qui m’intéresse, ce pourquoi je me bats, c’est pour faire entendre que les violences faites aux femmes, c’est transversal. Il y a certaines violences qui sont spécifiques. Je suis d’accord. Mais l’universalité de l’inceste, l’universalité des femmes battues… C’est pareil.
20Alors même que Chantal a suggéré un peu avant dans l’entretien que « ça coince un peu » quand elle aborde la thématique de l’excision devant « un parterre de mamans maghrébines », indiquant ainsi qu’elle a conscience du fait que son identité raciale joue un rôle dans la portée du message féministe qu’elle essaye de relayer, son discours articule de façon claire sa position de sujet féministe privilégié – « une féministe à 360 degrés » – et son affirmation que les inégalités de genre contre lesquelles elle se bat sont « universelles ». En refusant de faire des mutilations génitales féminines une pratique propre à une culture ou des groupes sociaux racisés, Chantal participe à relayer un discours universalisant sur le continuum des violences qui vise à souligner leur importance sociale et à refuser de distinguer certains groupes sociaux, – « la communauté machin » – comme plus susceptibles de la perpétrer. Toutefois, le pendant de cette analyse est de placer les violences subies par les femmes occidentales sur le même plan que celles subies par les femmes immigrées, sans mise en perspective des situations sociales différentes qui construisent ces deux positions. Par ce double mouvement, Chantal peut se positionner comme porte-parole légitime d’une cause universelle, celle de la lutte contre les violences faites aux femmes.
21Le deuxième répertoire de la blanchité féministe, souvent articulé au premier, consiste à délégitimer le principe de l’auto-organisation des femmes non blanches. Il s’agit ici d’affirmer qu’un véritable féminisme ne saurait s’arrêter aux limites d’une communauté donnée, et que toute organisation sur une base ethnique est a priori suspecte ou inutile. On retrouve alors un discours de color-blindness prévalent dans le contexte français qui refuse la légitimité des formes d’organisations ethniques, taxées de communautaristes30. Ainsi Julie, la vingtaine, employée dans une association qui défend les droits des femmes des quartiers populaires et offre des services d’accueil, rejette l’idée d’une auto-organisation sur une base communautaire :
Je pense que ce n’est pas une bonne manière de procéder. Aujourd’hui nous sommes la voix de toutes les femmes qui croient à la conception féministe de l’égalité des sexes dans la République qui est la nôtre et qui ont besoin d’aide à un moment donné, et ce quelle que soit leur origine, leur couleur, leur sexualité, etc.
Q : Qu’est-ce qui vous fait penser que ce n’est pas la bonne manière de s’organiser ?
Moi j’ai rien contre. C’est déjà tellement difficile de faire que les femmes partagent en accueil et en écoute, que si dans un premier temps ça prend un pas de gens avec qui on se sent en confiance parce qu’on partage la langue, par exemple, bien moi c’est quelque chose qui ne me choque absolument pas. […] Moi ce n’est pas quelque chose qui m’ennuie, mais moi j’aime bien la mixité… Je trouve qu’il y a là-dedans un enrichissement dont il serait dommage de se passer. Maintenant si dans un premier temps il y a une association communautaire qui via la langue, via la communauté, via une expérience commune… qui libère la parole. Évidemment qu’il le faut. Après si c’est pour tenir un discours : qui mieux qu’une Congolaise pour parler à une Congolaise ? Ça m’ennuie. Ici, on n’a jamais assigné des gens en fonction de l’origine.
22Si le discours de Julie refuse de délégitimer complètement l’auto-organisation des femmes non blanches, il témoigne cependant d’une forte ambivalence et d’une volonté d’établir une hiérarchie entre d’une part les organisations sur base communautaire qui « libéreraient la parole », premier stade d’une prise de conscience féministe, grâce à la confiance qu’elles permettent, et d’autre part des organisations comme la sienne qui militent « véritablement » pour la voix de toutes les femmes. Cet objectif, présenté comme le principe même du féminisme, exige dès lors une mixité, présentée aussi comme un enrichissement et une volonté de ne pas assigner les personnes en fonction de leur origine. Ainsi, l’organisation communautaire est partiellement délégitimée comme assignation, qui serait forcément limitée dans sa portée transformatrice.
23Dans le même mouvement, c’est parfois la prise en compte de la race elle-même qui est délégitimée dans le discours des féministes blanches. L’organisation sur une base ethnique ou communautaire est alors critiquée car elle nourrirait le communautarisme et surtout car elle politise la question raciale d’une façon qui est jugée inopportune. Ainsi Anick, militante dans un réseau de soutien aux femmes immigrées, opère une distinction nette entre des associations formées, souvent dans les années 1980, sur la base d’une même origine nationale, et des associations, contemporaines, telles que les « Féministes indigènes »31 :
Oui il y a une association de solidarité avec les femmes algériennes, une association de femmes iraniennes… Oui, il y en a. Par nationalité. Par origine géographique, oui, ça existe. Il y a des associations de femmes africaines… quand elles disent africaines, c’est africaines sub-sahariennes. […] souvent ce sont des associations qui sont animées par deux ou trois personnes et c’est la génération des années 1980 qui… et on ne fait pas forcément ça toute sa vie. Il y a un problème de relève des générations. Et les jeunes femmes, soit qu’elles sont arrivées récemment, soit qu’elles sont nées ici… elles n’ont pas nécessairement envie de faire la même chose […].
24Alors que je l’interroge sur les féministes postcoloniales et l’exemple des « Féministes indigènes » elle poursuit :
Moi, ça ne me dérange pas. Qu’elles restent dans leur délire. Je ne vais pas les interdire. Leur message ce n’est pas ça. C’est une vision nationaliste et racialiste du monde. Que ce soit en mixité ou en non-mixité… Comme d’autres femmes qui choisissent de se regrouper sur des bases quelles qu’elles soient… religieuses, géographiques, etc. Ça, ce n’est pas un problème, mais ce n’est pas un message. Ça n’a rien de nouveau. Le mouvement féministe a toujours permis et même favorisé ces groupes. Ce sont des femmes qui se reconnaissent comme… après il y a nécessairement des clivages internes de toutes sortes, mais c’est sur la base d’une auto-affirmation. Ça ce n’est pas un message nouveau.
25Ces deux extraits, situés à quelques minutes d’intervalle dans l’entretien dénotent une attitude ambivalente : si l’auto-organisation sur une base ethnique ou d’origine commune est présentée comme relativement naturelle, quand elle est porteuse d’un message politisant fortement la question raciale, ce discours est alors teinté d’illégitimité, ramené à un type « d’auto-affirmation » qui n’apporterait rien de nouveau au féminisme. Si les critiques d’Anick, informées et argumentées, visent précisément lors de son entretien un discours politique radical qui assimile et réduit toute la question sociale à une question coloniale et qui, selon elle, est contre-productif en ce qu’il n’opère pas les distinctions historiques nécessaires à une compréhension nuancée de la réalité actuelle, il faut noter que ce discours ne l’incite pas à se décentrer de sa position et à interroger ses éventuels privilèges. En effet, elle continue d’énoncer sa position à partir d’une position de surplomb – « je ne vais pas les interdire » – qui juge de l’opportunité et de la validité d’une démarche féministe particulier – « ce n’est pas un message nouveau ».
26Dans cette tension et ce rejet de formes d’organisations féministes jugées politiquement indésirables, c’est, en filigrane, une lutte de pouvoir pour la possibilité de conserver une position de sujet privilégié du féminisme qui se joue. En effet, Claudine, une militante d’une soixantaine d’années, s’exclame ainsi à propos d’une manifestation pour le 8 mars, organisée par des groupes de féministes racisées de façon autonome de celle organisée par les associations féministes habituelles dans lesquelles Claudine elle-même milite :
Je repense au 8 mars pour tous, je pense que les groupes de filles immigrées, j’aime pas le terme racisé du tout, je pense que ces groupes de filles immigrées qui se mettent là-dedans se fourvoient complètement, c’est vrai que ça part d’une divergence sur le voile très certainement, mais je pense pas que c’est ces gens-là qui vont les aider, si elles ont besoin d’aide… je trouve que c’est une position très maternaliste enfin bon passons. […] à la limite elles savent même pas qu’on existe, […] elles se trimballent des fausses idées sur nous !
27C’est donc bien la possibilité d’incarner, et d’être reconnue, comme sujet privilégié – et historique – du féminisme qui est ici en jeu dans la réaction de rejet de Claudine des formes d’auto-organisation choisies par les féministes non blanches. Claudine, qui adopte et refuse à la fois une posture « maternaliste » représentant les femmes non blanches comme vulnérables et ayant besoin d’aide, focalise donc sa critique sur la relation refusée par ces féministes. Dans ce refus, Claudine lit, à juste titre, une remise en cause de sa position privilégiée au sein du mouvement féministe à laquelle elle s’oppose de façon véhémente.
28À travers des discours universalisant le genre, et promouvant une organisation des mouvements féministes sur la base de l’identité commune de genre, plutôt que sur celle d’une auto-organisation reflétant des identités intersectionnelles, les discours d’une partie des féministes blanches maintiennent un sujet privilégié du féminisme centré sur les femmes blanches et leurs expériences. Cependant, la blanchité féministe s’exprime aussi par une forme d’altérisation des sujets féministes non blancs, en particulier les femmes musulmanes pratiquantes.
La blanchité comme altérisation : religion, race et féminisme
29Dans le discours de certaines féministes blanches, les sujets féministes musulmans se retrouvent largement altérisés. En effet, les femmes musulmanes perçues comme sous l’emprise de leur culture ou comme adhérant volontairement à un credo religieux islamique conçu comme patriarcal, sont présentées comme des « mauvais » sujets féministes, ou, à tout le moins, comme des sujets féministes « à éduquer ». Cette posture paternaliste fait écho à certains discours historiques féministes colonialistes32, mais, dans le contexte français contemporain, elle peut, selon moi, s’analyser à partir du concept de blanchité, comme une façon de conserver le privilège associé à la blanchité au sein du féminisme en altérisant les femmes non blanches. Cette altérisation s’effectue à partir d’une posture morale, au nom du féminisme, d’autant plus facilement que sa dimension raciale et raciste est occultée par la dimension religieuse. En effet, c’est parce que ces sujets féministes seraient « sous influence » religieuse qu’ils devraient être éduqués. Les discours féministes s’énoncent ainsi à partir d’une certaine conception de l’émancipation qui serait incompatible avec la croyance religieuse. Emerge alors des discours paternalistes qui visent à éduquer, voire à discipliner, des sujets féministes potentiels, à les émanciper de leur religion. Ces discours dessinent les contours d’une blanchité féministe qui s’énonce à travers une position de supériorité morale et de jugement33, nécessaire pour préserver la position de privilège des féministes blanches au sein du discours féministe. Néanmoins l’amorce de formes de réflexivité critique peut également être identifiée.
30Un premier type de discours, qui caractérise une partie des féministes blanches travaillant dans des associations accueillant des femmes (refuges, centres communautaires, centres de santé), se caractérise par une forme de bienveillance conditionnelle : les femmes musulmanes sont présentées comme des sujets féministes possibles, à condition qu’elles rejettent une partie de leurs croyances. Chantal, la quarantaine, dirige un refuge pour femmes victimes de violence conjugale dans la banlieue parisienne. Explicitant la position de son organisation sur le voile islamique, elle développe l’exemple suivant :
Moi je discutais avec une jeune femme qui est arrivée voilée pour l’entretien d’admission au centre d’hébergement, mais je lui ai demandé d’enlever son voile ici, parce qu’ici, elle n’a pas… Elle m’a expliqué qu’elle l’avait fait par choix. Elle avait douze ans, à l’époque. C’est un peu jeune, pour faire un choix. Ceci dit, c’est une femme qui a fait des études, qui revendique le droit de porter son voile, qui dit qu’elle n’est pas dans l’obligation de le porter. Après, elle a son cheminement à elle. Peut-être qu’à travers les discussions qu’on va avoir sur la question des droits des femmes, elle va peut-être évoluer ou pas dans la question du port de son voile.
Q : Et elle a accepté votre proposition de ne pas le porter ici ?
Ah oui. Bien sûr.
Q : Quelle est la raison pour laquelle vous lui demandez ça ?
Parce que je pense qu’effectivement, pour moi c’est un signe d’oppression des femmes. […] Après, c’est à nous de discuter avec elles par rapport à ça. Et aussi du choix éclairé qu’elles vont donner à leurs enfants…
31Dans le discours de Chantal, le voile fait donc l’objet d’une double transaction : le droit pour ue femme d’être accueillie en centre d’hébergement mais aussi le gage donné d’une possibilité de devenir un « bon » sujet féministe (et une bonne mère par la même occasion) faisant un « choix éclairé ». La femme musulmane reçue au centre d’hébergement est donc altérisée : sa pratique est soumise à un examen minutieux jugeant ses motivations et sa capacité à consentir à son propre choix. Si la distance sociale est en partie réduite par les diplômes obtenus qui la rapprochent de l’intervenante féministe, qui lui concède une forme d’autonomie dans sa décision, son choix de porter le voile, présenté comme radicalement contraire à une posture féministe, constitue le vecteur d’une puissante altérisation et la place dans une situation de sujet à mettre en conformité avec les valeurs féministes défendues par l’intervenante. C’est donc par une mise en conformité (retirer son voile et adhérer à un « choix éclairé » de refus de la religion) que l’altérisation pourra éventuellement cesser. Toute analyse de la relation de pouvoir entre l’intervenante (qui décide de la possibilité pour la femme reçue d’être hébergée ou non) et la bénéficiaire est absente, et la position de surplomb de l’intervenante, seule qualifiée à décider qui peut être un « bon » sujet féministe, n’est pas interrogée. Dès lors, la focalisation sur la pratique religieuse permet de ne pas questionner les asymétries de pouvoir qui se nouent lors de l’interaction, liées aussi bien au statut de l’intervenante vis-à-vis de la bénéficiaire qu’à leurs classes sociales et leurs assignations raciales différentes. Souvent, les féministes précisent également qu’elles portent le même jugement sur des femmes juives orthodoxes qui se soumettraient à des pratiques religieuses elles aussi jugées patriarcales – mais aucun exemple concret n’est donné d’une telle situation.
32L’altérisation qui se noue lors de ces interactions entre intervenantes et bénéficiaires peut aussi, partiellement, se dénouer en suscitant une forme d’interrogation et de remise en cause de la part des féministes blanches. Ainsi Martine, la quarantaine, qui travaille dans un réseau de santé pour les femmes, expose une forme d’ambivalence dans sa relation à ces sujets féministes qu’elle assigne à une forme de différence :
C’est pareil, une fille qui arrive avec un foulard sur la tête. Il y en a quelques-unes qui viennent et c’est toujours compliqué, pour les filles. Il y a toujours cette espèce de tension et c’est exacerbé comme pour les certificats de virginité. Une tension entre la difficulté à accepter qu’on perçoive cette femme comme aliénée… Ça chiffonne toujours un peu. Il y en a qui vont être capables et ensuite il y a l’histoire de chaque accueillante qui vont être capables d’aider, de discuter avec les filles aussi, d’essayer de comprendre pourquoi elles le portent, pourquoi elles ne le portent pas, ce que ça veut dire pour elles. Quand une fille vient en consultation et qu’elle est voilée, c’est vrai que ça interroge. Ben nous, ça interroge le féminisme. Le fait qu’une femme puisse accepter d’être sous la domination d’une idéologie… Ça interroge.
33Ici la certitude de l’extrait d’entretien précédent – « pour moi c’est un signe d’oppression des femmes » – laisse la place à une double interrogation. D’une part il y a une interrogation sur les motivations qui poussent les jeunes filles musulmanes à porter le voile ou à demander un certificat de virginité, et qui se situe, là encore, du côté d’un processus d’altérisation qui présente comme incompréhensible et fâcheux un choix individuel ayant trait à une pratique religieuse ou culturelle et familiale. En effet, seule l’idéologie religieuse est altérisée et suscite l’interrogation de Martine et sa volonté de savoir – d’autres formes d’idéologie patriarcales banales mais non culturalisées ne suscitent pas la même réaction chez elle. Ici encore, l’intervenante féministe se place en position de définir ce qui peut constituer une pratique féministe et de légitimement s’interroger sur les motivations des jeunes femmes musulmanes ainsi soumises à un examen minutieux qui traduit un rapport de pouvoir asymétrique. D’autre part cependant, l’interrogation porte également sur le féminisme lui-même : ainsi Martine se sent également interpellée par ses rencontres avec les sujets que sa propre posture altérise, et elle examine également les tensions que ces rencontres suscitent chez elle et chez ses collègues. Une amorce de décentrement semble donc possible.
Conclusion : comprendre l’investissement des féministes blanches dans le fémonationalisme
34J’ai décrit dans ce chapitre deux types de discours féministes qui contribuent à produire et consolider ce que j’ai appelé la blanchité féministe. Le premier type de discours vise à garantir la centralité des féministes blanches au sein du projet féministe, alors que le deuxième type de discours produit des formes d’altérisation des sujets féministes non blancs. Il ne s’agit pas ici, en aucun cas, de généraliser une blanchité féministe qui caractériserait l’ensemble des féministes blanches. Ces discours indiquent néanmoins qu’il existe des répertoires communs à certaines féministes blanches, mobilisés pour donner du sens à leurs interactions et à leurs relations avec les féministes non blanches, et que ces répertoires contribuent par différents moyens à préserver une position de privilège, et donc participent à reconduire des relations d’asymétries. Cette exploration des façons dont certaines féministes blanches investissent leur position de privilège au sein du féminisme, peut éclairer la manière dont une partie de ces féministes et de leurs organisations ont pu soutenir les diverses lois prohibant des pratiques religieuses musulmanes, sans tenir compte des effets concrets de ces interdictions pour ces femmes déjà multiplement marginalisées. Autrement dit, plutôt qu’une convergence d’intérêts – politiques et économiques –, ce qui motive en partie l’adhésion à des projets nationalistes et islamophobes a trait à une défense d’une position de privilège au sein du féminisme. Il s’agit de ce point de vue d’une entreprise morale, permettant de préserver des privilèges associés à la blanchité, en traçant des frontières entre « bons » et « mauvais » sujets du féminisme, sujets émancipés et sujets à émanciper. En ce sens, la spécificité de l’islamophobie, comme phénomène de stéréotypification et de racialisation d’une identité religieuse, joue un rôle particulier dans l’expression de la blanchité féministe décrite ici. C’est bien parce qu’il s’agit de pratiques religieuses que les féministes blanches s’octroient d’autant plus facilement une position de surplomb leur permettant de distinguer entre des bonnes et des mauvaises pratiques féministes, de bons et de mauvais sujets.
35En effet, la religion joue un rôle spécifique dans la dynamique du fémonationalisme dans le contexte français en ce que la transformation de la laïcité tire parti et nourrit l’islamophobie. La « nouvelle laïcité »34 contribue en effet à légitimer politiquement et moralement des formes d’islamophobie : ceux et celles qui ont travaillé à la formaliser juridiquement ont ciblé les signes religieux musulmans et les ont présentés de façon constante dans le débat public, politique et juridique, comme impropres à être montrés et visibilisés dans l’espace public, comme heurtant la sensibilité de la majorité, en particulier en matière d’égalité des sexes. Il est donc logique que la blanchité féministe décrite ici – qui, on le rappelle, ne concerne pas toutes les féministes blanches, loin de là – reprenne les discours de cette nouvelle laïcité puisqu’ils permettent de légitimer moralement et politiquement l’altérisation des femmes musulmanes dans le projet féministe et la position de surplomb moral que certaines féministes blanches peuvent ainsi revendiquer.
Notes de bas de page
1 Loi no 2004-228 du 15 mars 2004 « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ».
2 Loi no 2010-1192 du 11 octobre 2010 « interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public ».
3 J. R. Bowen, Why the French Don’t Like Headscarves. Islam, the State, and Public Space, Princeton, Princeton University Press, 2008 ; D. Koussens, « Sous l’affaire de la burqa… quel visage de la laïcité française ? », Sociologie et sociétés, vol. 41, no 2, 2009, p. 327-347 ; S. Hennette-Vauchez et V. Valentin, L’affaire Baby Loup ou La nouvelle laïcité, Issy-les-Moulineaux, LGDJ / Lextenso, 2014.
4 F. Lorcerie« La “loi sur le voile” : une entreprise politique », Droit et société, vol. 68, no 1, 2008, p. 53-74.
5 J. Beaugé et A. Hajjat, « Élites françaises et construction du “problème musulman”. Le cas du Haut Conseil à l’intégration (1989-2012) », Sociologie, vol. 5, no 1, 2014, p. 31-59.
6 N. Guénif-Souilamas et É. Macé, Les féministes et le garçon arabe, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2006 ; J. W. Scott, The Politics of the Veil, Princeton, Princeton University Press, 2007 ; É. Lépinard, « From immigrants to Muslims. Shifting categories of the French model of integration », Identity Politics in the Public Realm. Bringing Institutions Back in, A. Eisenberg et W. Kymlicka éd., Vancouver, The University of British Columbia Press, 2011, p. 190-214 ; F. El-Tayeb, European Others. Queering Ethnicity in Postnational Europe, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2011 ; D. Lettinga et S. Saharso, « The political debates on the veil in France and the Netherlands. Reflecting national integration models? », Comparative European Politics, vol. 10, no 3, 2012, p. 319-336 ; M. Bouyahia et M. E. Sanna éd., La polysémie du voile. Politiques et mobilisations postcoloniales, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2013 ; A. C. Korteweg et G. Yurdakul, The Headscarf Debates. Conflicts of National Belonging, Stanford, Stanford University Press, 2014 ; J. W. Scott, Sex and Secularism, Princeton, Princeton University Press, 2018.
7 L. Gianettoni et P. Roux, « Interconnecting race and gender relations. Racism, sexism and the attribution of sexism to the racialized Other », Sex Roles. A journal of Research, vol. 62, no 5, 2010, p. 371-386.
8 N. Dot-Pouillard, « Les recompositions politiques du mouvement féministe français au regard du hijab », SociologieS, 2007. En ligne : [http://sociologies.revues.org/246] ; J. W. Scott, The Politics of the Veil, ouvr. cité ; É. Lépinard, « Autonomy and the crisis of the feminist subject. Revisiting Okin’s dilemma », Constellations, vol. 18, no 2, 2011, p. 205-221 ; S. Rosenberger et B. Sauer, Politics, Religion and Gender. Framing and Regulating the Veil, Londres, Routledge, 2012 ; L. Bassel, Refugee Women. Beyond Gender versus Culture, Londres, Routledge, 2012 ; A. Barras, Refashioning Secularisms in France and Turkey. The Case of the Headscarf Ban, Londres, Routledge, 2014 ; J. A. Selby, « Un/veiling women’s bodies. Secularism and sexuality in full-face veil prohibitions in France and Québec », Studies in Religion / Sciences Religieuses, vol. 43, no 3, 2014, p. 439-466 ; J. A. Selby, « Hijab », The Oxford Handbook of European Islam, J. Cesari éd., New York, Oxford University Press, 2014, p. 701-741.
9 Voir en particulier dans cet ouvrage les chapitres d’Elisa Banfi, d’Oriane Sarrasin et de Lavinia Gianettoni sur la Suisse. Sur d’autres contextes, voir par exemple A. Korteweg et G. Yurdakul, « Islam, gender, and immigrant integration. Boundary drawing in discourses on honour killing in the Netherlands and Germany », Ethnic and Racial Studies, vol. 32, no 2, 2009, p. 218-238 ; S. Bilge, « “… alors que nous, Québécois, nos femmes sont égales à nous et nous les aimons ainsi” », Sociologie et sociétés, vol. 42, no 1, 2010, p. 197-226 ; M. H. Alaoui, « L’intégration sous condition : valeurs non négociables et égalité des sexes », Canadian Journal of Women and the Law / Revue femmes et droit, vol. 24, no1, 2012, p. 114-134 ; C. Roggeband et D. Lettinga, « In defence of gender equality? Comparing the political debates about headscarves and honor-related crimes in France and the Netherlands », Social Politics. International Studies in Gender, State & Society, vol. 23, no 2, 2016, p. 239-262.
10 Voir également sur ce point le chapitre de Lavinia Gianettoni dans cet ouvrage.
11 Voir par exemple C. Larzillière et L. Sal, « Comprendre l’instrumentalisation du féminisme à des fins racistes pour résister », Contretemps, 2011. En ligne : [https://www.contretemps.eu/comprendre-linstrumentalisation-du-feminisme-a-des-fins-racistes-pour-resister/]. Voir également la lettre ouverte datée du 26 août 2016 contre les arrêtés municipaux interdisant le « burkini » sur certaines plages communales françaises, en ligne sur le site de Mediapart : [https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/260816/lettre-ouverte-aux-maires-l-origine-des-arretes-anti-burkini].
12 S. R. Farris, In the Name of Women’s Rights. The Rise of Femonationalism, Durham, Duke University Press, 2017.
13 A. Hajjat et M. Mohammed, Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », Paris, La Découverte, 2013.
14 Par exemple A. Vigerie et A. Zelensky, « “Laïcardes”, puisque féministes », Le Monde, 29 mai 2003.
15 Elle peine aussi à expliquer les interventions d’actrices féministes elles-mêmes issues des populations musulmanes et/ou immigrées en faveur des différentes initiatives de prohibition du voile islamique. N. Dot-Pouillard, « Les recompositions politiques du mouvement féministe français au regard du hijab », art. cité ; M.-C. Garcia, « Des féminismes aux prises avec l’“intersectionnalité” : le mouvement Ni putes ni soumises et le Collectif féministe du Mouvement des indigènes de la République », Cahiers du genre, vol. 52, no 1, 2012, p. 145-165 ; J. A. Selby, « French secularism as a “guarantor” of women’s rights? Muslim women and gender politics in a Parisian banlieue », Culture and Religion, vol. 12, no 4, 2011, p. 441-462.
16 Le deuxième argument de Sara Farris est de l’ordre de l’économie politique : les féministes et fémocrates des classes supérieures promouvant ces mesures trouveraient un intérêt économique direct à celles-ci car elles permettraient de maintenir les femmes issues de l’immigration dans des emplois sous-qualifiés, qui contribueraient à libérer les femmes des classes supérieures du travail domestique, voir S. R. Farris, « Femonationalism and the “regular” army of labor called migrant women », History of the Present, vol. 2, no 2, 2012, p. 184-199 ; S. R. Farris, In the Name of Women’s Rights, ouvr. cité.
17 K. Crenshaw, « Mapping the margins. Intersectionality, identity politics, and violence against women of color », Stanford Law Review, vol. 43, no 6, 1991, p. 1241-1299 ; B. Roth, Separate Roads to Feminism. Black, Chicana, and White Feminist Movements in America’s Second Wave, Cambridge, Cambridge University Press, 2004 ; E. R. Cole, « Coalitions as a model for intersectionality. From practice to theory », Sex roles. A Journal of Research, vol. 59, no 5-6, 2008, p. 443-453 ; E. Townsend-Bell, « What is relevance? Defining intersectional praxis in Uruguay », Political Research Quarterly, vol. 64, no 1, 2011, p. 187-199 ; E. Evans, The Politics of Third Wave Feminisms. Neoliberalism, Intersectionality, and the State in Britain and the US, New York, Palgrave Macmillan, 2015 ; É. Lépinard, « Doing intersectionality. Repertoires of feminist practices in France and Canada », Gender & Society, vol. 28, no 6, 2014, p. 877-903 ; L. Bassel et A. Emejulu, Minority women and austerity. Survival and resistance in France and Britain, Bristol, Policy Press, 2017 ; M. Laperrière et É. Lépinard, « Intersectionality as a tool for social movements. Strategies of inclusion and representation in the Québécois women’s movement », Politics, vol. 36, no 4, 2016, p. 374-382 ; F. Fassa, É. Lépinard et M. Roca i Escoda dir., L’intersectionnalité : enjeux théoriques et politiques, Paris, La Dispute, 2016.
18 K. Anderson-Bricker, « “Triple jeopardy”. Black women and the growth of feminist consciousness in SNCC, 1964-1975 », Still Lifting, Still Climbing. African American Women’s Contemporary Activism, K. Springer éd., New York, New York University Press, 1999, p. 49-69 ; K. Springer, Living for the Revolution. Black Feminist Organizations, 1968-1980, Durham, Duke University Press, 2005 ; Z. Luna, « “Truly a women of color organization”. Negotiating sameness and difference in pursuit of intersectionality », Gender & Society, vol. 30, no 5, 2016, p. 769-790 ; J. Nelson, Women of Color and the Reproductive Rights Movement, New York, New York University Press, 2003 ; E. Tungohan, « Intersectionality and social justice. Assessing activists’ use of intersectionality through grassroots migrants’ organizations in Canada », Politics, Groups, and Identities, vol. 4, no 3, 2016, p. 347-362 ; J. J. Chun, G. Lipsitz et Y. Shin, « Intersectionality as a social movement strategy. Asian immigrant women advocates », Signs. Journal of Women in Culture and Society, vol. 38, no 4, 2013, p. 917-940 ; P. Bacchetta, « Co-Formations : des spatialités de résistance décoloniales chez les lesbiennes “of color” en France », Genre, sexualité & société, no 1, 2009. En ligne : [https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gss/810] ; A.-M. Hancock, Intersectionality. An Intellectual History, Oxford, Oxford University Press, 2016.
19 A. Lorde, Sister Outsider. Essays and Speeches, New York, Crossing Press, 1984 ; B. Hooks, Feminist Theory. From Margin to Center, Boston, South End Press, 1984 ; G. Anzaldúa et C. Moraga éd., This Bridge Called My Back. Writings by Radical Women of Color, New York, Kitchen Table: Women of Color Press, 1983.
20 L. McWhorter, « Where do white people come from? A foucaultian critique of whiteness studies », Philosophy & Social Criticism, vol. 31, no 5-6, 2005, p. 533-556 ; M. Cervulle, « La conscience dominante. Rapports sociaux de race et subjectivation », Cahiers du genre, vol. 53, no 2, 2012, p. 37-54.
21 S. Sullivan et N. Tuana éd., Race and Epistemologies of Ignorance, Albany, State University of New York Press, 2007 ; J. C. Mueller, « Producing colorblindness. Everyday mechanisms of white ignorance », Social Problems, vol. 64, 2017, p. 219-238 ; M. Ortega, « Being lovingly, knowingly ignorant. White feminism and women of color », Hypatia, vol. 21, no 3, 2006, p. 56-74.
22 S. Ahmed, « A Phenomenology of whiteness », Feminist theory, vol. 8, no 2, 2007, p. 149-168.
23 R. Frankenberg, « Growing up white. Feminism, racism and the social geography of childhood », Feminist Review, vol. 45, no 1, 1993, p. 51-84 ; R. Frankenberg, White Women, Race Matters. The Social Construction of Whiteness, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1993, p. 236. Sur l’Europe voir G. Griffin et R. Braidotti, « Whiteness and European situatedness », Thinking Differently. A Reader in European Women’s Studies, G. Griffin et R. Braidotti éd., Londres, Zed Books Ltd, 2002, p. 221-237.
24 R. Frankenberg, White Women, Race Matters. The Social Construction of Whiteness, ouvr. cité.
25 S. Ahmed, « Phenomenology of Whiteness », art. cité.
26 N. Dot-Pouillard, « Les recompositions politiques du mouvement féministe français au regard du hijab », art. cité.
27 G. Wekker, White Innocence. Paradoxes of Colonialism and Race, Durham, Duke University Press, 2016.
28 D’autres résultats issus de cette recherche ont été publiés dans É. Lépinard, « Doing intersectionality. Repertoires of feminist practices in France and Canada », art. cité, et É. Lépinard, Feminist Trouble. Intersectional Politics in Post-Secular Times, Oxford, Oxford University Press, 2020.
29 A. Lorde, Sister Outsider. Essays and Speeches, ouvr. cité.
30 D. Sabbagh et S. Peer, « French color blindness in perspective. The controversy over “Statistiques Ethniques” », French Politics, Culture & Society, vol. 26, no 1, 2008, p. 1-6 ; P. Simon, « The choice of ignorance. The debate on ethnic and racial statistics in France », French Politics, Culture & Society, vol. 26, no 1, 2008, p. 7-31.
31 Le collectif des « Féministes indigènes », issu des Blédardes, a eu une durée de vie limitée à la fin des années 2000 ; il a été dissous et l’une de ses fondatrices est devenue porte-parole du Parti des indigènes de la République. Voir H. Bouteldja, « On vous a tant aimé.e.s ! », Nouvelles questions féministes, vol. 25, no 1, 2006, p. 122-135.
32 J. Boittin, « Feminist mediations of the exotic. French Algeria, Morocco and Tunisia, 1921-1939 », Gender & History, vol. 22, no 1, 2010, p. 131-150.
33 S. Srivastava, « “You’re calling me a racist?” The moral and emotional regulation of antiracism and feminism », Signs. Journal of Women in Culture and Society, vol. 31, no 1, 2005, p. 29-62.
34 S. Hennette-Vauchez et V. Valentin, L’affaire Baby Loup ou La nouvelle laïcité, ouvr. cité.
Auteur
Éléonore Lépinard est sociologue, professeure associée en études genre à l’Institut des sciences sociales de l’université de Lausanne. Ses travaux portent sur les mouvements et les théories féministes, l’intersectionnalité, la représentation politique des femmes et la régulation juridique des minorités. Son ouvrage Feminist Trouble (Oxford University Press, 2020) explore les reconfigurations du féminisme liées aux politiques de l’intersectionnalité. Ses recherches ont été publiées entre autres dans Gender & Society, Politics, Gender & Politics, American Behavioral Scientist, Constellations, la Revue française de science politique et Droit et societés. Elle a récemment codirigé trois ouvrages : Intersectionnalité. Enjeux théoriques et politiques (La Dispute, 2016, avec F. Fassa et M. Roca i Escoda), Transforming Gender Citizenship. The Irresistible Rise of Gender Quotas in Europe (Cambridge University Press, 2018, avec R. Rubio-Marin) et Intersectionality in Feminist and Queer Movments. Confronting Privileges (Routledge, 2020, avec E. Evans). Elle est aussi l’auteure de l’ouvrage Les théories en études de genre (La Découverte, 2020 avec M. Lieber).
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