Chapitre 1
Genre et racialisation des musulman.es : une analyse des interventions parlementaires en Suisse (2001-2016)
p. 31-55
Texte intégral
1Le phénomène de racialisation des populations musulmanes dans divers pays européens opère par de multiples canaux et dans de nombreuses sphères de la vie sociale : au travail, dans les médias, dans l’espace public, en politique, etc. À travers l’analyse des interventions parlementaires en Suisse, ce chapitre décrit le processus de racialisation des musulman.es dans ce pays tel qu’il est produit par les institutions, les partis politiques et dans le discours des élites qui y siègent. Les représentations dudit « problème musulman »1, mobilisées en particulier par la chambre basse du parlement suisse2 et par l’exécutif fédéral, sont ainsi analysées pour, d’une part, identifier les représentations genrées de l’islam et des musulman.es, utilisées au cours du processus législatif, et d’autre part, articuler ces représentations avec les formes historiques de racialisation institutionnelle des populations immigrées en Suisse. S’attacher à examiner les discours sur le « problème musulman » au sein de l’arène législative permet de mettre en lumière les opérations rhétoriques par lesquelles ce processus opère. En outre, ce chapitre analyse la production des représentations collectives sur l’islam en Suisse en tant qu’élément tributaire des répertoires historiques de discrimination d’autres minorités (immigrée et juive) dans le pays.
2L’étude des formes de racialisation3 des populations musulmanes grâce au concept d’islamophobie4 apparaît avec la première définition proposée par le Runymede Trust en 1997. Celle-ci dépeint l’islamophobie comme un produit et une modalité de l’interaction violente et asymétrique des élites européennes avec le reste du monde, générant une représentation qui considère l’Islam comme un bloc monolithique et statique, séparé des autres cultures, inférieur à l’Occident, barbare, irrationnel, primitif, sexiste, violent, agressif, menaçant, favorable au terrorisme5. Bien qu’elle délégitime toute étude scientifique qui essentialiserait le fait islamique, cette première définition propose paradoxalement d’étudier l’Islam en tant que sujet historique d’exception, méritant des précautions spécifiques6. Ce chapitre adopte une définition de l’islamophobie légèrement différente, que l’on peut nommer situationnelle ou contextuelle et qui se focalise sur les répertoires et processus de racialisation7 des minorités dans le contexte étudié. Cette approche permet de ne pas placer la perspective analytique au niveau du contenu des pratiques islamiques et de l’évaluation de leur légitimité démocratique, ce qui est souvent le cas dans les débats politiques et parlementaires sur ces questions. Dans cette perspective, plutôt que s’interroger sur la légitimité démocratique des discours et critiques « anti-islam », s’exprimant dans l’arène législative, ce chapitre les analyse en termes historiques et politiques, comme discours participant à produire de la racialisation.
3La recherche sur l’islamophobie en Suisse a déjà partiellement documenté les interactions au niveau national entre la xénophobie helvétique et les représentations collectives des populations musulmanes résidentes dans le pays8. Ce chapitre s’inscrit dans cette perspective, et propose en sus de réinscrire l’analyse de l’islamophobie contemporaine en Suisse dans l’histoire des formes de racialisation qui ont caractérisé les musulmans, en particulier l’histoire des représentations collectives et institutionnelles de « la » femme musulmane, et l’histoire des répertoires racistes des institutions helvétiques envers d’autres minorités. Dans sa partie empirique, le chapitre explore un corpus d’interventions parlementaires concernant l’islam et les populations musulmanes vivant en Suisse. Il examine comment les répertoires historiques de racialisation influencent encore les cadres argumentatifs associés aux représentations des musulman.es et des non-musulman.es. Les résultats de l’analyse qualitative sur les débats parlementaires contemporains mettent ensuite en lumière comment les représentations sexuées qui ont progressivement envahi les espaces politiques ont influencé les processus législatifs et institutionnels9.
Racialisation, genre et religion
Des théories de la race aux migrations d’aujourd’hui
4La littérature scientifique consacrée aux théories de la race permet d’historiciser le processus de racialisation des populations définies et/ou autodéfinies comme musulmanes dans le contexte européen. La création des catégories de race et d’ethnicité visant à identifier des groupes d’êtres humains afin de les opprimer et de les exploiter est étroitement liée à l’histoire moderne et contemporaine de la pensée européenne et de son passé colonial10. Au cœur de la création de ces catégories racialisantes se trouve l’opération conceptuelle de biologisation de prétendues différences physiques entre groupes humains afin de leur associer une nature inférieure et de légitimer des formes d’inégalité de traitement11. La biologisation des traits physiques d’un groupe s’inscrit donc également dans une prétendue identité collective ontologique, naturelle et immuable, ainsi que dans certaines caractéristiques spirituelles ou culturelles.
5En ce qui concerne la racialisation des populations musulmanes en Europe occidentale, il convient d’examiner ensemble les typologies des traits marqueurs des prétendues catégories de race ou d’ethnie et les caractéristiques morales-culturelles-spirituelles qui leur sont attribuées pour mieux comprendre le rapport implicite et souvent opaque entre identité religieuse et prétendue identité raciale. Déjà avant l’époque contemporaine, les minorités religieuses ont été associées à des prétendues caractéristiques morales et biologiques qui les excluaient de l’accès à certains droits dans différents contextes géographiques et historiques12. Toutefois, c’est spécialement au milieu du xixe siècle que prend forme la pensée systématique qui encore aujourd’hui façonne le débat sur la prétendue incompatibilité raciale-spirituelle des musulman.es avec l’« esprit européen ». C’est à cette époque que le racisme physique-morphologique et le racisme culturel-spirituel se soudent définitivement, notamment dans la théorie d’Arthur de Gobineau. Dans son Essai sur l’inégalité des races humaines13, il systématise la thèse de l’inégalité naturelle entre les races et la centralité de cette catégorie dans l’histoire humaine14 et introduit le thème de la déchéance de la « race supérieure » d’un point de vue spirituel et culturel à cause du mélange entre les « races ». Gobineau avance plusieurs arguments qui encore aujourd’hui structurent conceptuellement le processus de racialisation des musulman.es et les politiques migratoires racialisées en Suisse et en Europe. Pour l’auteur, chaque « race » donne en effet lieu à des civilisations et à des nations d’inégale valeur. La race blanche fonde sa supériorité sur l’importance qu’elle accorde à l’individu plutôt qu’à la collectivité. La pensée de Gobineau influence ainsi les formes d’institutionnalisation de la racialisation des musulman.es en Europe, notamment parce qu’elle associe théoriquement la défense de la pureté de la race blanche et la défense de sa pureté spirituelle et culturelle15.
6À partir du xxe siècle, les politiques migratoires opérationnalisent notamment l’idée que la prétendue race blanche a, parmi ses marqueurs de supériorité, l’utilisation de la violence pour contraindre les races inférieures à se civiliser16. C’est surtout grâce à la pensée d’Evola que, au cours du xxe siècle, les théories soutenant la conception spirituelle du racisme se soudent définitivement avec la reconnaissance de la primauté morale de la « race nord-aryenne » sur les autres prétendues races. Par conséquent, le rôle civilisateur de la race blanche est opérationnalisé à travers un droit différentialiste fondé sur une catégorisation racialisée des populations17. À cette époque, les caractéristiques spirituelles associées à des races ne sont donc pas identifiées grâce à l’affiliation explicite à une organisation religieuse et à la pratique religieuse.
7Dans les représentations « raciales » actuelles, les caractéristiques physiques réelles ou imaginaires sont aussi associées aux pratiques et aux valeurs religieuses-culturelles, afin de tracer des frontières entre des identités racialisées polarisées, opposant ainsi un « nous-majorité » et un « eux-minorité ». La majorité s’autodéfinit en tant que blanche et supérieure et non musulmane, en contraste avec des minorités définies « inciviles et inférieures ». Ainsi, elle se positionne en tant que civilisatrice, au sommet de la pyramide des civilisations humaines18. Dans les débats contemporains, l’identité musulmane assignée par la majorité à des minorités souvent immigrées est utilisée pour racialiser et maintenir comme citoyen.nes de seconde zone ces groupes de population19. À mesure que les immigrant.es extra-européen.nes s’installent et deviennent citoyen.nes dans les pays occidentaux, l’identité musulmane joue un rôle central dans le processus de racialisation institutionnelle qui tente de discipliner des minorités immigrées et de contrôler leur insertion dans le corps national20. Ce processus de racialisation est intimement articulé à la défense et au respect des droits des femmes associés à la majorité civilisatrice.
Genre et racialisation des musulman.es
8Les caractéristiques des formes actuelles de racialisation en Europe sont encore partiellement influencées par les représentations coloniales des femmes musulmanes. Au cours des dernières décennies, de nombreux pays ont concentré leurs efforts législatifs sur la réglementation du code vestimentaire des femmes musulmanes en interdisant le port de la burqa ou du foulard, notamment dans les espaces publics. Ces représentations des femmes musulmanes produites par la majorité non musulmane des sociétés de pays d’Europe occidentale se trouvent légitimées au niveau législatif dans la limitation des droits civils et politiques des femmes musulmanes voilées21.
9Ces représentations contemporaines découlent entre autres de la tradition orientaliste qui, au xixe siècle, décrit les femmes orientales comme des victimes ou des esclaves emprisonnées dans des harems, assujetties aux regards lascifs, violents et bestiaux des hommes musulmans22. Les femmes musulmanes ont été ainsi dépeintes comme une masse passive homogène23, inférieure et subordonnée24 aux femmes occidentales par son manque d’autonomie et de liberté25. Au sujet de ces dernières est donc développée une rhétorique qui les valorise en les représentant comme « sauvant » les femmes musulmanes opprimées par les hommes musulmans, rhétorique soutenue par un sentiment de supériorité culturelle26. Cette articulation est indissociable de la production et de la justification des catégorisations racialisantes des colonisateurs comme « des hommes blancs sauvant les femmes noires des hommes bruns »27. Les représentations coloniales et orientalistes montrent les femmes musulmanes comme une masse informe et passive asservie aux intérêts de la communauté religieuse-raciale des hommes musulmans. Elles permettent de renforcer le processus de racialisation des populations musulmanes en Europe de deux façons : d’un côté, elles consolident l’idée d’une supériorité de la civilisation occidentale vis-à-vis des droits des femmes en renforçant les thèses du racisme spirituel, de l’autre elles justifient le rôle civilisateur de la race blanche qui a été véhiculé par exemple par Gobineau.
10Ces représentations marquent encore les débats et les politiques dans les espaces publics européens en nourrissant ainsi le processus de racialisation contemporain des populations musulmanes en général. Les évènements qui ont suivi l’attaque du 11 septembre 2001 ont en effet assigné aux musulman.es l’identité de l’altérité par excellence, de l’Autre ontologiquement opposé aux valeurs occidentales28. Cette opposition s’est construite principalement grâce à un processus de racialisation, opérationnalisé par le biais des imaginaires associés aux corps de femmes musulmanes. La prétendue infériorité culturelle et spirituelle de la civilisation islamique s’est personnifiée dans les corps de femmes musulmanes en devenant « l’incarnation concrète » des traditions islamiques oppressives29. Les foulards et les burqas deviendraient marqueurs biologisés d’une prétendue race spirituelle inférieure. Dans le contexte néocolonial qui suit le 11 septembre 2001, dans les sociétés européennes, les formes du foulard porté par les femmes musulmanes remplacent ou se superposent dans le processus de racialisation des musulmans à la couleur de la peau.
11Par la symbolique du voile et de la burqa, les représentations orientalistes et néo-orientalistes ont réifié les corps des femmes musulmanes pour produire des catégories discriminatoires en réactivant la relation de domination30. Dans les représentations véhiculées par les médias, les partis politiques et certains acteurs de la société civile, le voile n’est pas appréhendé dans sa portée individuelle, par le sens assigné par la femme qui le porte ou par une explication socioculturelle ou religieuse. Le voile, qui est donc complètement dé-historicisé, revêt la fonction de marqueur d’un groupe et de son infériorité culturelle, justifiant ainsi la violence faite à l’encontre des droits des femmes musulmanes et de la collectivité musulmane en général. Comme Yegenoglu le souligne bien, en Algérie les violences coloniales françaises faites aux femmes musulmanes étaient cachées31. Au contraire, les autorités cherchent à donner l’image d’une France amie des femmes algériennes par la cérémonie de dévoilement public forcé, opérée par l’armée française32. L’utilisation du slogan « Dévoiler les femmes, c’est les moderniser »33 acquittait les pratiques de domination et de violence à l’encontre des femmes et des hommes musulman.es colonisé.es34.
12Dans les espaces postcoloniaux, les acteurs institutionnels ou de la société civile transforment le voile en marqueur culturel qui renvoie à une prétendue identité raciale d’un groupe de résidents (citoyens du pays dans certains cas) afin de les exclure symboliquement et juridiquement du corps national. Les femmes musulmanes sont donc privées de certains droits sociopolitiques parce qu’elles sont représentées comme ne participant pas au capital national putatif de l’égalité des sexes35. Ce processus est à inscrire dans une plus large reconfiguration de rapports entre nationalisme, racisme, sexisme et homophobie au sein de démocraties européennes au cours des derniers quarante ans36.
Minorités, racialisation et identité religieuse en Suisse
13Si les processus de racialisation ont une longue histoire transnationale et européenne, ils prennent aussi des formes spécifiques en fonction des contextes nationaux dans lesquels ils opèrent. Dans le contexte suisse, Stefanie Boulila37 a analysé la position des féministes suisses en faveur de la campagne pour interdire la construction de nouveaux minarets (initiative approuvée par le peuple suisse en novembre 2009). Elle a montré comment, dans leur positionnement théorique, trois éléments de représentations genrées orientalistes se recomposaient : l’objectification des femmes musulmanes, la peur de la contamination « raciale » de la nation et la dichotomisation entre sociétés occidentales civilisées et sociétés inciviles. Ces deux derniers éléments ont énormément influencé le processus historique suisse de racialisation des minorités, qui s’est développé au début du xxe siècle, notamment en relation avec la menace de l’« internationalisation »38 et de la « dénationalisation »39 de la population. La construction sociale d’une prétendue identité raciale suisse se consolide en effet historiquement principalement à travers trois processus institutionnels qui s’entre-chevauchent et qui visent à lutter contre l’influence étrangère ou représentée comme telle au sein de la communauté nationale : la création du droit et des statistiques des étranger.es, les politiques contre la judaïsation de la Suisse et la structuration de politiques des migrations racialisées.
14Entre la fin du xixe et le début du xxe siècle, les statistiques suisses consolident une conception ethnoraciale de la citoyenneté40. À partir de 1917, l’Überfremdung devient le cadre de référence dans lequel la notion de non-désirabilité des immigré.es se développe. Ce même cadre influence encore aujourd’hui les formes de racialisation des populations musulmanes et la notion de leur extranéité au corps national. Le néologisme d’Überfremdung41, qui se traduit par « surpopulation » ou « infiltration étrangère », a été introduit par Carl Alfred Schmid42, fonctionnaire de la ville de Zurich en 190043. La racialisation de certains groupes d’immigré.es s’opérationnalise à cette période de l’histoire du pays, par la dénonciation de leur prétendue incapacité spirituelle et culturelle à s’assimiler. À cette époque, le processus de racialisation de la minorité juive permet à une conception spirituelle de la race de s’institutionnaliser dans des politiques fédérales de discrimination d’une minorité religieuse. En 1915, un chargé d’affaires de la délégation suisse à Vienne critique par exemple les données statistiques sur la religion en biologisant explicitement l’appartenance religieuse des « israélites »44. Ernst Delaquis45, chef de la division de police des étrangers du Département fédéral de justice et police, en 1921, expliquera qu’avant d’accepter un étranger il faut déterminer « s’il constitue un élément acceptable sur le plan hygiénique, économique et s’il peut sublimer sa propre ethnie pour se fondre dans le peuple suisse »46. Il ajoute que la demande doit être examinée sur dossier, mais « que l’on doit préférer les individus qui appartiennent à des races homogènes et fortes qui sont nos voisines plutôt qu’à celles qui, plus éloignées, se distinguent de nous par la race, la religion et les coutumes »47. En septembre 1942, une archive des profils des réfugié.es est organisée par l’administration helvétique. La « race J/Jude » est opposée à celle de « nicht Jude/Arier »48.
15Cette période de racisme institutionnel influencera les politiques migratoires et de naturalisation jusqu’à aujourd’hui. En 1948 encore, les autorités continuent de souligner dans les appréciations d’un.e candidat.e à la naturalisation son origine « purement aryenne »49. Les pratiques et les savoir-faire du racisme institutionnel de la première partie du xxe siècle rejoindront le projet de modification de la loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE), soumise au Conseil fédéral le 22 octobre 1947 par Max Ruth. Dans cette loi, une catégorie de race spirituelle devient catégorie juridique, car seul l’étranger.e « assimilé.e » peut être naturalisé.e. À partir de ce moment, l’autorité peut partiellement, de façon arbitraire50, délimiter l’accès à la citoyenneté sur le plan local, cantonal et fédéral. À partir de 1960, le Conseil fédéral met en place une politique migratoire qui, avec l’ordonnance du 16 mars 1964, limite l’admission de ressortissant.es des pays européens éloignés (2e cercle). Il refuse l’immigration des ressortissant.es des pays de l’Europe de l’Est et des pays non européens (3e cercle). Cette géographie racialisée des migrations sera intégrée dans la politique des trois cercles de 1991 présentée par le Conseil fédéral dans son Rapport sur la politique à l’égard des étrangers et des réfugiés au Parlement, le 15 mai 1991. Hans Manhing51 souligne comment cette politique explicite et cristallise les critères ethnoculturels propres aux politiques migratoires helvétiques.
16Dans la période récente, comme nous le détaillons ci-dessous à partir du corpus étudié, ces critères ethnoculturels vont s’enrichir d’éléments qui justifient les politiques de contrôle des comportements et des corps des femmes musulmanes en Suisse. En analysant les objets parlementaires52, on constate que l’unique possibilité proposée aux femmes musulmanes afin d’être acceptées dans le corps politique helvétique est associée à leur capacité de s’individualiser et de se distancier d’une masse musulmane – évoquée comme informe, sans visage –, et particulièrement se distancier du groupe des hommes musulmans. C’est seulement en se dévoilant et en critiquant la prétendue infériorité ontologique de l’islam qu’elles peuvent être perçues comme « intégrables » à la nation helvétique.
17À ce propos, l’analyse des données développée dans ce chapitre montre comment la définition de la prétendue incivilité islamique s’articule à la peur de l’invasion migratoire, surtout dans les objets parlementaires présentés par les élus du parti de l’Union démocratique du centre (UDC, parti xénophobe, anti-européen et conservateur). Les liens conceptuels entre une prétendue infériorité de la culture islamique, justifiée par un manque de respect envers les droits des femmes – considéré comme un trait essentiel de cette culture – et la menace migratoire trouvent ainsi leur berceau théorique notamment dans les développements des théories racistes des deux derniers siècles en Europe et de l’Überfremdung en Suisse.
Méthodologie
18L’ensemble de données a été construit grâce à une collection exhaustive d’objets parlementaires extraits du site web officiel Curia Vista (version française). 240 objets parlementaires ont été échantillonnés pour la période du 11 septembre 2001 au 1er janvier 2016 par l’équation de recherche « Islam* OU Musulman* ». Les objets concernant les accords fiscaux entre États ne sont pas inclus. Interpellations, motions, questions et initiatives composent le jeu de données final. Les réponses du Conseil fédéral présentes sur le site sont également analysées, mais elles ne font pas partie du corpus principal de l’étude.
19L’analyse empirique adopte l’approche méthodologique de l’analyse de contenu développée à partir des intuitions de Franzosi53. Ce chercheur s’inspire des structures grammaticales pour examiner les événements revendicatifs dans la sphère publique. Cette recherche s’inscrit donc dans la tradition de l’analyse du contenu du discours public54. L’objet parlementaire est considéré comme l’unité d’analyse de notre étude, un « verbal claim » par excellence, en vertu de sa nature politique et stratégique. Cinq éléments constitutifs de la revendication politique ont été considérés et codés pour chaque unité d’analyse, c’est-à-dire pour chaque objet parlementaire :
- l’acteur de la demande ;
- la forme de la demande ;
- le contenu de chaque revendication, analysé dans sa relation aux droits fondamentaux remis en cause ou défendus : les droits des femmes, les droits des immigré.es (naturalisation, asile, droits politiques) et les droits religieux ;
- l’objet (individu ou groupe) dont les intérêts sont modifiés par la revendication en relation à sa nature collective ou individuelle et à son genre ;
- le cadre argumentatif qui justifie la revendication, analysé dans sa relation aux arguments suivants :
a. la supériorité culturelle et spirituelle de la civilisation occidentale ;
b. l’incompatibilité de l’islam et des musulman.es à la nation helvétique ;
c. le rôle civilisateur des acteur.rices non musulman.es ;
d. l’importance que l’« Occident » accorde à l’individu plutôt qu’à la collectivité.
20Dans un premier temps, en s’intéressant particulièrement à la relation entre les représentations des femmes musulmanes et le processus de racialisation, le contenu substantiel, l’objet et les cadres argumentatifs 3, 4 et 5 sont analysés pour un sous-échantillon de 28 objets. Ce sous-échantillon est obtenu par l’équation de recherche du mot-clé « femme OU femmes » et l’individuation du contexte linguistique limité aux 50 mots qui précèdent et suivent l’occurrence du mot-clé, réalisée par le logiciel NVivo. L’analyse qualitative des 28 objets obtenue permet de vérifier comment l’association sémantique entre les représentations des femmes musulmanes, de la violence, de la distance civilisationnelle et des frontières symboliques de la nation s’opère dans l’arène parlementaire suisse.
21Dans un deuxième temps, une attention spécifique est portée aux qualifications de l’acteur des objets parlementaires portant sur l’affiliation religieuse (par exemple « nous » qualifié de chrétien) ou la nationalité (par exemple « nous » qualifié de suisse). Une recherche réalisée par le logiciel NVivo du mot-clé « chrétien » (requête NVivo avec mots lexicaux) a permis de sélectionner dans le corpus de 240 objets, un sous-échantillon de 41 objets. Via le traitement par NVivo, l’individuation du contexte linguistique limité aux 50 mots qui précèdent et suivent l’occurrence du mot-clé étudié a permis de cartographier les associations sémantiques de l’adjectif/substantif « chrétien » dans ces 41 objets. Dans le sous-échantillon de 41 objets sélectionné à travers le mot-clé « chrétien », l’analyse qualitative investigue la polarisation entre un « “Nous” chrétien » et un « “Eux” musulman » ainsi que les associations aux noyaux sémantiques et couples antonymiques ennemis/amis et oppresseurs/défenseurs des droits des femmes.
Résultats
22La distribution dans le temps de 240 objets parlementaires qui concernent les musulman.es et l’islam montre une concentration d’objets au cours des années 2009, 2014 et 2015 (voir graphique 1). La variété des types d’objets est une caractéristique constante, mais elle s’accentue en 2014 et en 2015. Les objets parlementaires répertoriés sont l’interpellation, la motion, la pétition, la question, le postulat et l’initiative parlementaire55.
Graphique 1 : Formes des objets parlementaires entre 2001 et 2015

De la femme en danger à la femme dangereuse
23Les 28 objets parlementaires (13 interpellations, 7 questions, 4 motions et 4 postulats) obtenus à travers l’équation de recherche « (Islam* OU Musulman*) ET (femme OU femmes) » ont été analysés à travers la reconstruction des environnements sémantiques des mots « femme », « femmes », « islam », « musulman.es » et leur articulation. L’analyse montre une évolution temporelle, en cinq périodes distinctes, du lien entre la défense des droits des femmes et les propositions des politiques concernant les musulman.es au niveau international et national.
24Dans une première période, entre 2001 et 2003, les femmes ne sont pas désignées en tant que musulmanes, mais plutôt en tant que « femmes originaires de pays extra-européens ». En 200156, le Parti vert suisse pose deux questions au Conseil fédéral afin de sauver une femme condamnée à mort par lapidation par un tribunal islamique au Nigeria. Le mot « femme » est associé dans les questions à « jeune femme », « mère célibataire avec enfants », « risque », « lapidation » et « relation sexuelle hors mariage ». En 200257, le Parti vert suisse demande également au Conseil fédéral de soutenir la pétition des « femmes kosovares isolées » demandant l’augmentation des droits des réfugiées en Suisse afin d’éviter leur retour au Kosovo. Le mot-clé « femmes » est associé ici au « danger » pour les femmes de pays à prédominance musulmane de rentrer dans leur pays. En 200358, le parti socialiste pose une question au Conseil national concernant une autre femme, mère célibataire nigériane, condamnée à mort par lapidation, en mobilisant le même réseau sémantique. Dans ces quatre questions, les femmes musulmanes ne sont pas représentées en tant que croyantes musulmanes, mais en tant que femmes en danger dans leur État d’origine, isolées et menacées par leur communauté. Les institutions suisses sont représentées en tant que défendeures des droits humains et protectrices des femmes.
25Dans les objets répertoriés entre 2006 et 2008, les femmes musulmanes sont considérées comme des femmes mises en danger par des hommes musulmans, également dangereux pour l’ordre public suisse. Dans ces textes, les « femmes » sont associées aux « fondamentalistes islamiques », à la « sécurité », à la « protection », aux « menaces de mort », à la « peur » et aux « droits de l’homme ». La représentation de l’islam est polarisée entre deux domaines sémantiques : l’un lié aux femmes victimes de violence et l’autre lié aux hommes musulmans criminels et présentés comme ne respectant pas les droits humains. Les institutions suisses et occidentales sont ici représentées comme sauvant ces femmes de la nature supposée barbare de la civilisation islamique.
26En 200659, le Parti démocrate-chrétien suisse (PDC) demande une sanction contre les femmes portant la burqa. En 2007, Ulrich Schüler60, parlementaire de l’UDC, présente les femmes musulmanes en tant que victimes de la violence infligée par des hommes musulmans61. Dans le texte de Schüler, un lien est créé entre l’engagement des institutions suisses en faveur de l’égalité des femmes et la nécessité de lutter contre l’oppression des femmes par les musulmans. Historiquement, l’UDC a pourtant joué un rôle important dans la limitation des droits des femmes suisses et du concept d’égalité entre les femmes et les hommes dans le droit du pays. Par exemple, Christoph Blocher, l’un des leaders les plus influents du parti, a été très actif contre la réforme du droit matrimonial62. Récemment, l’UDC a exigé (sans succès) la suppression de bureaux de l’égalité au niveau cantonal (par exemple dans les cantons du Valais et de Bâle-Campagne) et la suppression du quota obligatoire de femmes au conseil d’administration du canton de Bâle-Campagne63. Cependant, en 200864, l’UDC demande au Conseil national que les institutions suisses accordent leur protection à Ayaan Hirsi Ali, une intellectuelle somalienne engagée dans la dénonciation de l’islam en tant que religion piétinant les droits des femmes.
27En 2009, l’année du vote de l’initiative anti-minaret, les objets parlementaires concernant l’islam et les femmes augmentent de manière exponentielle. C’est à ce moment65 que l’UDC développe l’axe sémantique lié à « l’intégration » des immigré.es musulman.es, à « l’expulsion des prédicateurs de la haine », aux « imams extrémistes », au « terrorisme », au « rejet de la démocratie » et à la « contradiction d’être européen et musulman à la fois ». Les femmes deviennent le signe de la radicalisation des imams qui « bannissent complètement les femmes de leurs mosquées ». Il y a d’un côté des hommes musulmans qui sont de plus en plus qualifiés de terroristes radicalisés, et de l’autre des femmes expulsées de leur lieu de culte par ces hommes. Le parti socialiste se concentre davantage dans ses objets parlementaires66 sur le fait que des États, comme l’Iran, ne respectent pas les femmes et les droits humains. Le PDC met l’accent quant à lui sur le lien entre intégration des immigrées et le port du foulard. Son interpellation est associée aux zones sémantiques « intégration », « droits fondamentaux » et « espace public ». Les femmes musulmanes sont qualifiées de « résidentes » ou d’« étrangères ». Le 29 novembre 2009, l’initiative qui interdit les minarets est approuvée. En décembre 200967, l’UDC demande au Conseil fédéral de mettre en œuvre cette initiative en contrôlant mieux les imams, qualifiés d’éléments dangereux pour la sécurité intérieure et extérieure de l’État et en renforçant le contrôle des étrangers entrant dans le pays. Les femmes sont associées dans cet objet parlementaire au « mariage forcé » et à la « violence ».
28Au cours de la quatrième période, entre 2010 et 2012, les objets parlementaires concernent principalement l’absence de démocratie dans les pays arabes et les persécutions des chrétien.es au Proche-Orient et en Égypte. L’UDC se concentre dans ses interpellations sur les femmes chrétiennes de pays islamiques et les mères ou les filles tuées par des maris ou des pères musulmans. Le lexique utilisé dans ces interpellations concerne les liens familiaux « sœurs », « mères » et « filles ». En parallèle, l’UDC68 mobilise autour de la polygamie le domaine sémantique de la sécurité et de l’application de la loi : « peine », « poursuites judiciaires », « poursuites pénales », « condamnations », « peines » et « loi islamique ».
29Enfin, dans une dernière période, entre 2013 et 2015, tous les partis (excepté les Verts) se concentrent sur des questions liées aux critères d’acceptation des personnes réfugiées et aux conditions d’intégration à imposer aux immigrant.es. L’UDC se concentre sur la polarisation entre un « nous » chrétien et respectueux des droits de femmes et un « eux » musulman persécuteur de ces mêmes droits. Le parti qualifie les musulmans de migrants pouvant provoquer une régression des droits des femmes en Suisse. Selon l’UDC, l’arrivée des réfugiés musulmans pourrait entraîner le fait que « les femmes [soient] empêchées d’accomplir certaines tâches liées à leur fonction car elles ne sont ni respectées ni acceptées par des hommes à prédominance musulmane […] en particulier des fonctions d’autorité ». On retrouve ici des relations discursives déjà évoquées en 1989 par l’anthropologue Ruth Mandel, entre le débat sur le foulard dans les pays européens et les répertoires nationaux d’exclusion des migrant.es :
Le discours entourant et définissant les multiples significations du foulard révèle un ensemble complexe de marqueurs. Le foulard lui-même devient un lieu de différenciation à de nombreux niveaux au sein de la communauté turque et de la société allemande, soulignant également les conflits plus évidents entre Turcs et Allemands […]. [Il devient] un lieu de débats déplacé sur la réalité socioéconomique de l’Allemagne contemporaine et acquiert une pléthore complexe de significations en plus de celle de marquage de l’identité culturelle ou religieuse.69
30Au cours de cette dernière période, la majorité des objets parlementaires analysés mobilisent des arguments qui associent définitivement la menace provenant du musulman résident en Suisse (l’Autre interne) avec celle du musulman persécuteur des femmes et des chrétiens à l’étranger (l’Autre externe). Ce processus de double « alterisation » de l’identité musulmane se consolide en parallèle, d’un côté par l’identité d’un « nous » suisse défenseur des droits des femmes et de l’autre côté, comme le paragraphe suivant le démontre, par l’identité d’un « nous » suisse chrétien. Dans le contexte suisse, l’identité chrétienne dévient ainsi fonctionnelle à l’opérationnalisation discursive d’une « typologie bidimensionnelle des frontières symboliques au sein de la communauté nationale » dans laquelle tous.tes les acteur.rices doivent être localisé.es, qu’ils ou elles soient ami.es internes ou externes, ennemi.es internes ou externes70.
Chrétien.nes, musulman.es et droits des femmes
31L’anthropologue John Bowen a retracé le débat public et l’évolution législative concernant le foulard islamique en France en soulignant l’association entre les vêtements et le foulard des femmes, en particulier maghrébines, et les représentations de la violence des banlieues et de la prétendue nature sauvage et non civilisée des immigré.es71. Bowen a montré comment, en France, le combat mené par une partie significative de l’Église catholique au détriment des droits des femmes (campagnes anti-divorce et anti-avortement par exemple) est souvent associé au danger que les femmes voilées pourraient représenter pour l’État laïc.
32En Suisse, l’analyse empirique montre, au contraire, que l’identité chrétienne est plutôt fonctionnelle à la création d’une polarisation ontologique entre un « Nous » suisse chrétien moralement supérieur et un « Autre » musulman inférieur. Au sein du corpus étudié, l’adjectif/substantif « chrétien » est employé dans 41 objets parlementaires du corpus concernant l’islam ou/et les musulman.es (voir graphique 1). En se transformant au cours de trois périodes différentes, l’univers sémantique qui l’entoure permet de mettre en évidence d’un côté l’émergence des qualifications religieuses pour identifier les liens d’appartenance au corps national (liens de sororité, d’aide, d’inclusion et d’exclusion), et de l’autre le rapprochement des termes « ethnie » et « race » de qualifications religieuses, indiquant une forme de racialisation de l’identité religieuse musulmane.
33Dans une première période, entre 2002 et 2007, l’adjectif « chrétien » est rarement attribué à la culture occidentale et à l’identité suisse en général, bien que les objets parlementaires traitent de la négation de la liberté de religion et des droits des femmes par des États à prédominance musulmane. Dans les interventions du parti des Verts72, les élu.es déconstruisent le rapprochement entre l’islam et la violence/violation des droits humains et envers les femmes proposé par le discours du Parti évangélique suisse (PEV). En revanche, l’Union démocratique fédérale (UDF) associe les droits des migrant.es à la prétendue violence congénitale de l’islam en contestant le droit à la naturalisation des fidèles musulmans73.
34La thématique de l’infiltration étrangère, typique de la période de la lutte institutionnelle contre la judaïsation de la Suisse, revient en 200474. C’est surtout le PEV75 qui présente l’islam comme une religion incapable de faire respecter le droit individuel à la liberté de religion, et qui présente les pays européens et la Suisse comme les garants au niveau international du droit à la liberté de religion. En parallèle, la thématique de l’intégration des réfugié.es chrétien.nes provenant des pays du Proche-Orient émerge76. L’identité chrétienne de ces personnes réfugiées est à l’origine de la demande d’une attention particulière des autorités suisses à leur égard. Toutefois, le lien entre leur identité chrétienne et une identité suisse chrétienne n’est pas encore complètement explicite.
35C’est seulement, dans une deuxième période entre 2008 et 2010, que la thématique des migrations est évoquée systématiquement pour décrire l’identité suisse, revendiquée comme chrétienne et mise en danger, et pour défendre les minorités chrétiennes au Proche-Orient et dans les pays à prédominance musulmane. Dans cette période, les objets parlementaires de l’UDC proposent explicitement une qualification religieuse des migrations, des personnes qui requièrent l’asile et des personnes réfugiées. L’UDF quant à elle interroge le Conseil fédéral sur l’opportunité des récents accords économiques de la Suisse avec le gouvernement iranien en soulignant l’opposition entre les prétendues identités religieuses de l’Iran (islamique radicale) et de la Suisse (chrétienne)77. En 2009, elle demande la fermeture des « chaînes islamistes » en Suisse en soulignant que, dans d’autres pays, « juifs, musulmans et chrétiens » se sont battus ensemble pour empêcher la transmission de ces chaînes78, et elle accuse les autres partis politiques de ne pas comprendre la crainte de « voir notre culture, notre société, nos valeurs judéo-chrétiennes menacées par l’islamisme »79. La thématique de l’identité suisse chrétienne est associée à celle de l’infiltration des étrangers non assimilables.
36De plus, à partir de 2010, la qualification religieuse remplace progressivement la qualification « ethnique » ou d’appartenance nationale. Cette assignation hétéronome d’appartenances et d’identités religieuses aux minorités persécutées prépare le processus de « racialisation » des personnes musulmanes résidant dans le pays. Si en 2006 dans le discours du PDC80 la qualification religieuse de minorités persécutées était subordonnée à la qualification « ethnique », le contraire advient en 201081. En 2010 en effet, la minorité persécutée est définie principalement comme minorité « chrétienne » regroupant différentes minorités ethniques (Assyriens, Chaldéens, Araméens) ; la défense de cette minorité à l’étranger et l’accueil des contingents de personnes réfugiées sont justifiés en raison de l’identité religieuse de ces dernières.
37Dans une troisième période, entre 2011 et 2015, l’UDC devient l’acteur principal de la construction d’un discours qui associe l’identité chrétienne à l’identité nationale suisse. Dans son discours, l’identité chrétienne devient un moyen de justifier l’exclusion des personnes musulmanes du corpus national. Ces dernières sont donc reléguées à la catégorie de non suisses, de personnes immigrées difficilement naturalisables. Les qualifications de « musulman.e » et d’« étranger.e » deviennent interchangeables dans une relation dialectique à un « nous » de plus en plus christianisé. La hiérarchisation des identités religieuses à l’intérieur et l’extérieur des frontières nationales est par exemple développée à travers le discours sur la condition d’inhumation chrétienne dans les pays musulmans et les carrés confessionnels musulmans en Suisse82. Un lien privilégié est établi entre Suisses et personnes réfugiées chrétiennes persécutées dans les pays à prédominance musulmane en raison d’une relation de « sororité », de consanguinité religieuse : « ce sont nos sœurs en tradition chrétienne occidentale »83. Progressivement, le rapprochement discursif entre ethnicité et appartenance religieuse s’opère84. Y compris dans les réponses du Conseil fédéral à certains objets85, les qualifications religieuses et « ethniques » se rapprochent sémantiquement et deviennent les deux faces presque interchangeables d’une réalité apparentée.
38Ainsi, plus les frontières entre les deux qualifications « ethnique » et religieuse se brouillent hors du pays, plus l’identification entre la nationalité suisse et les valeurs chrétiennes est renforcée par les objets parlementaires concernant la présence musulmane dans le pays86 et l’identité collective suisse qualifiée explicitement de chrétienne87. De plus, la quasi-absence d’élu.es musulman.es dans l’arène parlementaire suisse empêche de potentielles autodéfinitions, comme suisse et musulman.e, de contrer la catégorisation hétéronome produite par la majorité non musulmane, qui se définit de plus en plus en tant que chrétienne. Dans ce brouillard sémantique qui entoure le débat sur la présence musulmane dans le pays, en 2013 le Conseil fédéral utilise de façon non critique le terme « race » en l’élevant au même statut que d’autres catégories telles que la religion, la nationalité et les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social88.
Conclusion
39Les résultats de l’analyse des données récoltées montrent que les objets parlementaires traitant de l’islam et des musulman.es entre 2001 et 2015 en Suisse sont sémantiquement liés à la qualification d’éléments dangereux à l’intérieur et à l’extérieur des frontières nationales. La défense des droits des femmes musulmanes et des minorités chrétiennes persécutées dans les pays à prédominance musulmane participe à la création d’une identité collective suisse christianisée. L’Autre est initialement représenté par des hommes musulmans vivant dans des pays extra-européens et menaçant les droits des femmes et des minorités chrétiennes. Cependant, dans la deuxième période, entre 2005 et 2008, l’Autre est réifié à l’intérieur du pays, prenant la forme soit d’hommes musulmans qui menacent les femmes dénonçant la violence de l’islam, soit de femmes musulmanes qui ne dénoncent pas l’islam en tant que civilisation barbare. La définition de l’Autre dans les pays extra-européens devient la définition de l’Autre à l’intérieur du pays. L’Autre vivant dans le pays peut donc à tout moment être expulsé et transformé en un Autre vivant à l’étranger.
40En même temps, le PDC et l’UDC cherchent à imposer l’appartenance au christianisme comme un critère de sélection des flux migratoires (notamment pour les personnes qui requièrent l’asile et les personnes réfugiées). En effet, la construction d’une identité nationale homogène chrétienne est la condition sine qua non pour pouvoir racialiser hiérarchiquement la population résidant dans le pays. L’acteur principal encourageant ce processus est l’UDC. Des hommes politiques, comme Ulrich Schüler, s’étaient déjà d’ailleurs engagés dans une défense suprémaciste du régime d’apartheid sud-africain et avaient également mobilisé leur énergie politique contre les droits des femmes. Cependant, depuis 1990, la tendance démographique de la Suisse tend à l’implantation définitive d’immigré.es européen.nes dans le pays. Parallèlement, les Suissesses et les autres femmes résidentes ont progressivement obtenu davantage de droits, tels que le congé de maternité rémunéré ou le droit à l’avortement. L’idée de citoyenneté défendue par l’UDC a ainsi été progressivement ébranlée. C’est pourquoi, et en particulier depuis 2004, les objets parlementaires concernant l’islam, les femmes et les persécutions des minorités d’Orient donnent une nouvelle possibilité à l’UDC de consolider de nouvelles frontières nationales symboliques et une nouvelle identité collective suisse. En définissant l’Autre comme un musulman persécuteur des femmes et des chrétiens, la nouvelle identité suisse se définit en contraposition comme chrétienne et respectueuse des droits des femmes. Cette nouvelle identité permet de se construire au niveau national et d’intégrer dans ce nouveau « nous » les ancien.nes citoyen.nes de deuxième zone, les personnes immigrées européennes et les femmes suisses. La racialisation des musulman.es s’opère donc dans le corpus discursif analysé grâce à la christianisation d’un « nous » majoritaire défenseur des droits des femmes. La grille analytique de la racialisation proposée ici permet donc de cerner le rôle des renvois sémantiques entre les représentations des musulman.es européen.nes, la racialisation des minorités dans l’histoire suisse et les représentations des violations des droits des femmes ou/et des minorités religieuses dans certains pays extra-européens.
Notes de bas de page
1 A. Hajjat et M. Mohammed, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman » [2013], Paris, La Découverte, 2016.
2 Le système politique suisse est organisé sur trois niveaux : la Confédération, les 26 cantons et plus de 2 222 communes. Les 7 membres du Conseil fédéral (le pouvoir exécutif) sont élus par le pouvoir législatif, le Parlement (Assemblée fédérale). Ce dernier est composé de deux chambres : le Conseil national avec ses 200 membres (chambre basse) et le Conseil des États avec 46 membres (chambre haute).
3 Le terme « racialisation » définit un processus social, historique, politique de construction cognitive et psychologique des catégories raciales « imaginaires ». Cette construction est néanmoins « empiriquement effective » (C. Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir, Paris, Côté-femmes, 1992) dans le sens où elle sert à désigner les frontières des groupes sociaux (M. Banton, The Idea of Race, Londres, Tavistock, 1977 ; U. Fabietti, L’identità etnica. Storia e critica di un concetto equivoco, Rome, Carocci, 2000 ; F. Fanon, The Wretched of the Earth, Harmondsworth, Penguin, 1967 ; E. Garin, Rinascite e rivoluzioni. Movimenti culturali dal xiv al xviii secolo, Rome / Bari, Laterza, 1975 ; G. Gliozzi, Adam et le nouveau monde. La naissance de l’anthropologie comme idéologie coloniale : des généalogies bibliques aux théories raciales (1570-1700), Lecques, Théétète, 2000 ; S. Landucci, I filosofi e i selvaggi. 1580-1780, Bari, Laterza, 1972 ; R. Miles, « Racisme institutionnel et rapports de classe : une relation problématique », Racisme et modernité, M. Wieviorka éd., Paris, La Découverte (Textes à l’appui / Histoire contemporaine), 1993, p. 159-175 ; K. Murji et J. Solomos éd., Racialization. Studies in Theory and Practice, Oxford, Oxford University Press, 2005 ; M. Wieviorka éd., Racisme et modernité, Paris, La Découverte (Textes à l’appui / Histoire contemporaine), 1993). Des caractéristiques apparentes ou imaginaires (telles que le port du voile dans le cas étudié) sont comme les indicateurs d’une différence biologique ou culturelle. C’est pourquoi, dans ce chapitre, la définition de « racialisation » inclut la définition d’« ethnicisation » (V. de Rudder, C. Poiret et F. Vourc’h, L’inégalité raciste. L’universalité républicaine à l’épreuve, Paris, PUF, 2000 ; U. Fabietti, L’identità etnica. Storia e critica di un concetto equivoco, ouvr. cité) en tant que processus de « construction de frontières et de désignation de groupes sociaux, groupes qui, en l’occurrence, sont définis (socialement) ou se définissent eux-mêmes par leur origine ou leur culture » (J.-L. Primon, « Ethnicisation, racisation, racialisation. Une introduction », Faire Savoirs, no 6, 2007, p. 5). Le terme racisation désigne plutôt ici « les pratiques et les attitudes orientées et justifiées par la racialisation – consciemment ou non – et qui ont pour effet d’actualiser l’idée de race en produisant des individus et des groupes racisés » (C. Poiret, « Les processus d’ethnicisation et de raci(ali)sation dans la France contemporaine : Africains, Ultramarins et “Noirs” », Revue européenne des migrations internationales, vol. 27, no 1, 2011, p. 113).
4 N. Meer, « Islamophobia and postcolonialism. Continuity, Orientalism and Muslim consciousness », Patterns of Prejudice, vol. 48, no 5, 2014, p. 500-515 ; J. Rana, « The story of islamophobia », Souls, vol. 9, no 2, 2007, p. 148-161.
5 The Runnymede Trust, Islamophobia. A Challenge for Us All, Londres, 1997. En ligne : [https://www.runnymedetrust.org/uploads/publications/pdfs/islamophobia.pdf].
6 M.-H. Tamdgidi, « Beyond islamophobia and islamophilia as western epistemic racisms. Revisiting Runnymede Trust’s definition in a world-history context », Islamophobia Studies Journal, vol. 1, no 1, 2012, p. 54-81.
7 C. Poiret, « Les processus d’ethnicisation et de raci(ali)sation dans la France contemporaine : Africains, Ultramarins et “Noirs” », art. cité.
8 M. Helbling, « Islamophobia in Switzerland. A new phenomenon or a new name for xenophobia », Value Change in Switzerland, S. Hug et H. Kriesi dir., Lanham, Lexington Press, 2010, p. 65-80 ; L. Parini, M. Gianni et G. Clavien, « La transversalité du genre. L’Islam et les musulmans dans la presse suisse francophone », Cahiers du genre, vol. 1, no 52, 2012, p. 197-218 ; A. Lindemann et J. Stolz, « Use of Islam in the definition of foreign otherness in Switzerland. A comparative analysis of media discourses between 1970-2004 », Islamophobia Studies Journal, vol. 2, no 1, 2014, p. 44-58 ; J. Dahinden, K. Duemmler et J. Moret, « Disentangling religious, ethnic and gendered contents in boundary work. How young adults create the figure of “the oppressed Muslim woman” », Journal of Intercultural Studies, vol. 35, no 4, 2014, p. 329-438.
9 N. Meer, « Islamophobia and postcolonialism. Continuity, orientalism and Muslim consciousness », art. cité, p. 503.
10 Pour avoir un aperçu scientifique de la circulation à l’échelle planétaire du concept de race né entre le milieu et la fin du xviiie siècle en Europe et son influence sur les autres régions du monde, voir N. Bancel, T. David et D. Thomas éd., L’invention de la race. Des représentations scientifiques aux exhibitions populaires, Paris, La Découverte (Recherches) ; B. Bush, Imperialism, Race and Resistance. Africa and Britain 1919-1945, Londres / New York, Routledge, 1999.
11 C. Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir, ouvr. cité.
12 R. Carrasco, A. Molinié-Bertrand et B. Perez dir., La pureté de sang en Espagne. Du lignage à la « race », Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne (Iberica : 23), 2011 ; G. Gliozzi, Adam et le nouveau monde. La naissance de l’anthropologie comme idéologie coloniale : des généalogies bibliques aux théories raciales (1570-1700), ouvr. cité ; J. Hernández Franco, Cultura y limpieza de sangre en la España moderna. Puritate sanguinis, Murcie, Universidad de Murcia, 1996 ; A. A. Sicroff, Les controverses des statuts de « pureté de sang » en Espagne du xve au xviiie siècle, Paris, Didier, 1960.
13 A. de Gobineau, Essai sur l’inégalité des races humaines [1853], Paris, Firmin Didot, 1884.
14 P. Basso, Razze schiave e razze signore, Milan, FrancoAngeli, 2000.
15 L’influence des théories de la race sur l’institutionnalisation de formes de racialisation des musulman.es en Europe en général, et dans notre cas spécifique en Suisse, ne peut pas être complètement comprise sans analyser les conséquences juridiques des théories racistes du xixe et xxe siècles sur les politiques migratoires en Europe et aux États-Unis. Par exemple, dans la pensée de Tocqueville, l’exclusion des groupes humains racialisés en tant qu’« Indiens et Noirs » de la citoyenneté démocratique des États-Unis est théoriquement associée à la lutte contre l’immigration à travers des politiques migratoires racialisées afin de préserver une pureté de la prétendue race américaine blanche (M. Onfray, Tocqueville et les Apaches. Indiens, nègres, ouvriers, Arabes et autres hors-la-loi, Paris, Éditions Autrement (Universités populaires & Cie), 2017). En Europe, par exemple dans les écrits de Lapouge ou d’Hitler, les États-Unis deviennent un modèle d’État protecteur de la prétendue race blanche à travers l’eugénisme (menace interne) et le contrôle migratoire organisé sur base « raciale » (menace externe) : M. Burleigh et W. Wippermann, The Racial State. Germany, 1933-1945, Cambridge, Cambridge University Press, 1991 ; R. Rauty, Il sogno infranto. La limitazione dell’immigrazione negli Stati Uniti e le scienze sociali, Rome, Manifesto libri, 1999. En Allemagne, la migration est organisée et contrôlée sur la base des nationalités hiérarchisées et racialisées des immigré.es (P. Basso, Razze schiave e razze signore, ouvr. cité ; K. Bechtle et P. Kammerer, « Mercato del lavoro e razzismo in Germania », Razzismi, É. Balibar éd., Milan, Angeli (Quaderni di “problemi del socialismo” : 38), p. 80-92). De plus, Guillaumin (Sexe, race et pratique du pouvoir, ouvr. cité) explique comment, dans les systèmes nazis et d’apartheid, en effet, la majorité et la minorité étaient définies par une catégorisation raciale-juridique qui biologisait tous les aspects de la vie sociale et politique.
16 G. Le Bon, « Recherches anatomiques et mathématiques sur les variations de volume du cerveau et sur leurs relations avec l’intelligence », Revue d’anthropologie, vol. II, 1879, p. 60-61 ; P. J. Möbius, De la débilité mentale physiologique chez la femme, Paris, Solin, 1980 ; J. Evola, Rivolta contro il mondo moderno, Rome, Edizioni Mediterranee, 1969 ; O. Weininger, Sexe et caractère, Lausanne, L’Âge d’homme, 2012.
17 P. Furlong, Social and Political Thought of Julius Evola, Londres, Routledge / Taylor & Francis, 2012.
18 C. Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir, ouvr. cité ; S. Garner et S. Selod, « The racialization of Muslims. Empirical studies of islamophobia », Critical Sociology, vol. 41, no 1, 2015, p. 9-19.
19 J. Rana, « The story of islamophobia », art. cité.
20 N. Meer, « Islamophobia and postcolonialism. Continuity, orientalism and Muslim consciousness », art. cité ; N. Meer, « Racialization and religion. Race, culture and difference in the study of antisemitism and islamophobia », Ethnic and Racial Studies, vol. 36, no 3, 2013, p. 385-398 ; J. Rana, « The story of islamophobia », art. cité.
21 C. Hancock, « Décoloniser les représentations : esquisse d’une géographie culturelle de nos “Autres” », Annales de géographie, vol. 660-661, no 2, 2008, p. 116 ; C. Hancock, « Le corps féminin, enjeu géopolitique dans la France postcoloniale », L’Espace Politique, no 13, 2011. En ligne : [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/espacepolitique.1882] ; C. Teeple Hopkins, « Social reproduction in France. Religious dress laws and laïcité », Women’s Studies International Forum, vol. 48, 2015, p. 154-164 ; K. Najib, « Géographie et intersectionnalité des actes antimusulmans en région parisienne », Hommes & Migrations. En ligne : [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hommesmigrations/8224] ; C. Listerborn, « Geographies of the veil. Violent encounters in urban public spaces in Malmö, Sweden », Social & Cultural Geography, vol. 16, no 1, 2015, p. 95-115.
22 L. Abu-Lughod, Do Muslim Women Need Saving?, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2013, p. 88.
23 A. Kian, « Genre et perspectives post/dé-coloniales », Les cahiers du CEDREF, no 17, 2010. En ligne : [http://cedref.revues.org/603] ; L. Ahmed, « Western ethnocentrism and perceptions of the harem », Feminist Studies, vol. 8, no 3, 1982, p. 521-534.
24 A. Kian, « Genre et perspectives post/dé-coloniales », art. cité.
25 L. Abu-Lughod, Do Muslim Women Need Saving?, ouvr. cité.
26 Ibid.
27 G. C. Spivak, « Can the Subaltern Speak? », Colonial Discourse and Post-Colonial Theory. A Reader, P. Williams et L. Chrisman éd., Hemel Hempstead, Harvester, 1993, p. 92-93.
28 A. Telseren, Reproduction et reconstruction des rapports sociaux de sexe et de « race » après le 11 septembre 2001. Le cas des films hollywoodiens (2001-2011), thèse de doctorat en anthropologie et sociologie, Paris, Université Sorbonne Paris Cité, 2016, p. 11.
29 M. Yegenoglu, Colonial Fantasies. Towards a Feminist Reading of Orientalism, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 97.
30 A. Telseren, Reproduction et reconstruction des rapports sociaux de sexe et de « race » après le 11 septembre 2001. Le cas des films hollywoodiens (2001-2011), ouvr. cité.
31 M. Yegenoglu, Colonial Fantasies. Towards a Feminist Reading of Orientalism, ouvr. cité.
32 « Les cérémonies de dévoilement les plus élaborées, et qui ont eu le plus fort impact auprès des médias, se sont déroulées à l’occasion de manifestations massives organisées par l’armée, dans les villes principales, à partir du 18 mai. Les meneurs du “putsch d’Alger” (Soustelle, Salan, Massu, Allard), et d’autres généraux et dignitaires, se sont notamment, transportés par hélicoptère, lancés dans une véritable tournée à travers Orléansville, Mostaganem, Blida, Boufarik, Oran, Philippeville, Bône, Sétif, Constantine, Tizi-Ouzou et Biskra, entre le 18 et le 28 mai. À chaque occasion, on pouvait assister à une quasi identique, et théâtrale, mise en scène : des groupes de femmes voilées marchaient en parade jusqu’aux lieux traditionnellement dédiés aux cérémonies officielles (places centrales, hôtels de villes, monuments aux morts). À l’arrivée, une délégation de jeunes femmes, habillées à l’européenne ou portant le haïk (voile traditionnel algérien), partageaient l’estrade ou le balcon avec les généraux et les dignitaires présents, bouquets à la main, et délivraient de longs discours en faveur de l’émancipation des femmes avant de lancer leurs voiles à la foule », N. MacMaster, Burning the Veil. The Algerian War and the « Emancipation » of Muslim Women, 1954-62, Manchester, Manchester University Press / Palgrave Macmillan, 2012, p. 133 (la traduction vient de B. Ewanjé-Épée et S. Magliani-Belkacem, Les féministes blanches et l’empire, Paris, La Fabrique, 2012). Voir aussi J. Boittin, « Feminist mediations of the exotic. French Algeria, Morocco and Tunisia, 1921-1939 », Gender & History, vol. 22, no 1, 2010, p. 131-150.
33 L. Ahmed, « Western ethnocentrism and perceptions of the harem », art. cité.
34 F. Fanon, A Dying Colonialism, New York, Grove Press, 1959.
35 P. Eid, « Balancing agency, gender and race. How do Muslim female teenagers in Quebec negotiate the social meanings embedded in the hijab? », Ethnic and Racial Studies, vol. 38, no 11, 2015, p. 1902-1917 ; S. Bilge, « Mapping Québécois sexual nationalism in times of “crisis of reasonable accommodations” », Journal of Intercultural Studies, vol. 33, no 3, 2012, p. 303-318 ; S. Bilge, « Beyond subordination vs. resistance. An intersectional approach to the agency of veiled Muslim women », Journal of Intercultural Studies, vol. 31, no 1, 2010, p. 9-28.
36 L. Parini, « Droits LGBT, les nouvelles frontières du nationalisme ? », Chimères, vol. 92, no 2, 2017, p. 122.
37 S. Boulila, « Insignificant signification. A feminist critique of the anti-Muslim feminist », Jahrbuch für Islamophobieforschung, F. Hafez éd.,Vienne, New Academic Press, 2013, p. 88-103.
38 G. Arlettaz et S. Arlettaz, La Suisse et les étrangers. Immigration et formation nationale (1848-1933), Lausanne, Antipodes (Histoire.ch), 2004.
39 J.-P. Tabin, Les paradoxes de l’intégration, Lausanne, Éditions EESP, 1999.
40 G. Arlettaz, « Démographie et identité nationale (1850-1914). La Suisse et “La question des étrangers” », Revue des Archives fédérales suisses. Études et sources, vol. 11, 1985, p. 83-180.
41 Pour une histoire du concept, voir « Xénophobie » sur le site du Dictionnaire historique de la Suisse, en ligne : [http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F16529.php].
42 K.-A. Schmid, Unsere Fremden-Frage, Zurich, Boesch-Spalinger, 1900.
43 A. Weill-Lévy, K. Grünberg et J. Isler, Suisse : un essai sur le racisme d’État (1900-1942), Lausanne, Cora, 1999 ; U. Gast, Von der Kontrolle zur Abwehr. Die Eidgenössische Fremdenpolizei im Spannungsfeld von Politik und Wirtschaft 1915-1933, Zurich, Chronos (Veröffentlichungen des Archivs für Zeitgeschichte des Instituts für Geschichte der ETH Zürich : 1), 1997 ; R. Argast, Staatsbürgerschaft und Nation. Ausschliessung und Integration in der Schweiz 1848-1933, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht (Kritische Studien zur Geschichtswissenschaft : 174), 2007 ; P. Kury, Über Fremde reden. Überfremdungsdiskurs und Ausgrenzung in der Schweiz, 1900-1945, Zurich, Chronos (Veröffentlichungen des Archivs für Zeitgeschichte des Instituts für Geschichte der ETH Zürich : 4), 2003 ; T. Metzger, Antisemitismus in der Stadt St. Gallen 1918-1939, Fribourg, Academic Press, 2006.
44 A. Weill-Lévy, K. Grünberg et J. Isler, Suisse : un essai sur le racisme d’État (1900-1942), ouvr. cité, p. 42.
45 Pour les détails de sa biographie, voir « Delaquis, Ernst » sur le site du Dictionnaire historique de la Suisse, en ligne : [http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F31877.php].
46 A. Weill-Lévy, K. Grünberg et J. Isler, Suisse : un essai sur le racisme d’État (1900-1942), ouvr. cité, p. 74.
47 À la moitié du xxe siècle, le 11 novembre 1941, le Conseil fédéral édicte une ordonnance modifiant les dispositions sur l’acquisition et la perte de la nationalité suisse dans le cas où le ou la naturalisé.e manifeste une mentalité contraire à l’esprit suisse. En même temps, il oblige les Suissesses qui épousent un étranger à renoncer à leur nationalité (C. Gutzwiller, Droit de la nationalité et fédéralisme en Suisse, Genève, Schulthess, 2008 ; A. Weill-Lévy, K. Grünberg et J. Isler, Suisse : un essai sur le racisme d’État (1900-1942), ouvr. cité).
48 Archives fédérales E4260 (C1988/109), cité dans A. Weill-Lévy, K. Grünberg et J. Isler, Suisse : un essai sur le racisme d’État (1900-1942), ouvr. cité, p. I.
49 Voir BAR 4001 C1, no 146, rapport « Praxis des Bürgerrechtsdienstes », au conseiller fédéral E. von Steiger, du 31 décembre 1946 et les remarques au sujet de deux candidats à la naturalisation du 18 décembre 1947, Annuaire des statistiques fédérales suisses 1951, p. 105, cité dans A. Weill-Lévy, K. Grünberg et J. Isler, Suisse : un essai sur le racisme d’État (1900-1942), ouvr. cité, p. 192, note 229.
50 Voir à ce propos l’analyse du concept juridique d’aptitude dans l’étude de C. Gutzwiller, Droit de la nationalité et fédéralisme en Suisse, ouvr. cité.
51 H. Mahnig, « La politique migratoire du milieu des années 1980 jusqu’à 1998 », Histoire de la politique de migration, d’asile et d’intégration en Suisse depuis 1948, H. Mahnig éd., Zurich, Seismo, 2005, p. 160-185.
52 Le terme d’objet parlementaire désigne les différents types d’objets soumis à la délibération du parlement suisse : messages du Conseil fédéral, propositions, projets d’actes, déclarations, interventions, pétitions, etc.
53 R. Franzosi, « Content analysis », The Sage Encyclopedia of Social Science Research methods, M. S. Lewis-Beck, A. Bryman et T. F. Liao éd., Thousand Oaks, Sage, 2004, p. 186-189.
54 G. Arlettaz, « Démographie et identité nationale (1850-1914). La Suisse et “La question des étrangers” », art. cité.
55 Pour les détails, voir sur le site L’Assemblée fédérale – Le Parlement suisse, « Objets soumis à délibération et procédure parlementaire : petite sélection », en ligne : [https://www.parlament.ch/fr/%c3%bcber-das-parlament/portrait-du-parlement/objets-soumis-deliberation-et-procedure-parlementaire]. L’interpellation permet à un député, à la majorité d’une commission ou à un groupe parlementaire de demander au Conseil fédéral des informations sur des sujets concernant la politique intérieure ou extérieure et l’administration. La question permet aux seuls députés de demander au Conseil fédéral des informations sur des sujets de politique intérieure ou extérieure. La motion et le postulat permettent à la majorité d’une commission, à un groupe parlementaire ou à un simple député de demander au Conseil fédéral de déposer un projet d’acte de l’Assemblée fédérale, de prendre une mesure, et dans le cas d’un postulat de présenter un rapport concernant le sujet en question. L’initiative permet à ces mêmes acteurs de déposer un projet d’acte sans la médiation du Conseil fédéral. La pétition permet à toutes personnes de déposer une demande de renseignements auprès des autorités.
56 Questions no 01.5254 et no 01.5261, « Lapidation d’une jeune femme au Nigeria », du Parti écologiste suisse.
57 Question no 02.5098, « Pétition de l’Association des femmes kosovares isolées », du Parti écologiste suisse.
58 Question no 03.1053, « Lapidation d’une femme nigériane », du Parti socialiste suisse.
59 Interpellation no 06.3675, « Port de la burka », du PDC.
60 Ulrich Schüler était membre du comité de direction du groupe Arbeitsgruppe Südliches Afrika fondé en 1982. Celui-ci voulait contrer le mouvement suisse anti-apartheid, notamment pour établir une « vision correcte » de l’apartheid en Suisse. Son président fondateur, Christoph Blocher, a été ensuite le leader de l’UDC, le parti qui a défendu l’interdiction des minarets et de la burqa au cours des deux dernières décennies. Ulrich Schüler était en charge des relations publiques de l’Arbeitsgruppe Südliches Afrika et a organisé plusieurs séminaires afin de développer une stratégie politique contre le mouvement anti-apartheid, en particulier dans la petite ville de Egerkingen (voir G. Kreis, Switzerland and South Africa, 1948-1994. Final Report of the NFP 42+ Commissioned by the Swiss Federal Council, Bern, Peter Lang, 2007, p. 147). Il est également l’un des membres les plus influents du comité Egerkingen, qui a été le comité de lancement des initiatives anti-minarets en 2009 et contre la dissimulation des visages en 2016.
61 Question no 07.5164, « Commission fédérale contre le racisme et la violence domestique », de l’UDC.
62 J. Frischknecht et al., Die unheimlichen Patrioten. Politische Reaktion in der Schweiz. Ein aktuelles Hanbuch, Zurich, Limmat Verlag, 1984, p. 508-509. Voir aussi P. Nordmann, « Christoph Blocher : Ce n’est pas Fini. C’est pire ! », Domaine public, 2003. En ligne : [http://www.domainepublic.ch/articles/6821].
63 K. Belser, Femmes | Pouvoir | Histoire. Politique de l’égalité et des questions féminines en Suisse 2001-2017, Berne, Commission fédérale pour les questions féminines (CFQF), 2015. En ligne : [https://www.ekf.admin.ch/ekf/fr/home/documentation/geschichte-der-gleichstellung--frauen-macht-geschichte/frauen-macht-geschichte-ab-2001.html#-1266282639].
64 Motion no 08.3067, « Assurer la protection de Ayaan Hirsi Ali », de l’UDC.
65 Motion no 09.3270, « Mieux contrôler les imams », de l’UDC.
66 Interpellation no 09.3508, « Atteintes aux droits humains en Iran », du Parti socialiste suisse.
67 Interpellation no 09.4315, « Quelles mesures le Conseil fédéral prend-il pour traduire l’initiative sur l’interdiction des minarets dans les faits ? », de l’UDC.
68 Interpellation no 12.3170, « Polygamie en Suisse », de l’UDC.
69 R. Mandel, « Turkish headscarves and the “foreigner problem”. Constructing difference through emblems of identity », New German Critique, no 46, 1989, p. 29. Nous traduisons.
70 Jocelyne Cesari a abordé l’incorporation de musulman.es dans les sociétés européennes en analysant les mécanismes d’exclusion des groupes à travers la construction des frontières symboliques nationales, voir J. Cesari, Why the West Fears Islam. An Exploration of Muslims in Liberal Democracies, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2013.
71 J. R. Bowen, Why the French Don’t Like Headscarves. Islam, the State, and Public Space, Princeton, Princeton University Press, 2007, p. 218.
72 En 2001, l’adjectif/substantif « chrétien » fait sa première apparition dans le texte des questions no 01.5254 et no 01.5261 du Parti écologiste suisse. Il désigne les communautés chrétiennes qui, au Nigeria, s’opposent à la mise à mort par lapidation d’une femme accusée d’avoir eu des relations sexuelles hors mariage par une cour islamique de l’État de Sokoto, une province de l’État fédéral du Nigeria. Dans les deux textes, les objets spécifient que les communautés chrétiennes et musulmanes au Nigeria sont mobilisées ensemble, contre cette mise à mort, à l’État fédéral du Nigeria. Dans les discours du parti écologiste, la chrétienté ne s’oppose pas à l’islam pour ce qui concerne les droits de femmes. L’État fédéral du Nigeria est considéré comme un partenaire de la Suisse dans la défense des droits humains.
73 L’adjectif/substantif « chrétien » est associé à « notre culture occidentale » et mis en contropposition à l’altérité islamique dans l’interpellation no 02.3504, « L’islam en dehors de notre constitution ? », de l’UDF.
74 Interpellation no 04.3477, « L’islamisme radical est-il une menace pour la Suisse ? », du PDC.
75 En 2006, la question no 06.1016, « Chrétien menacé de peine de mort en Afghanistan », du PEV ; en 2006 et 2008 les questions no 06.1026, « Intervention de la Suisse pour protéger les minorités chrétiennes en Algérie et en Afghanistan » et no 08.3413, « Respect de la liberté de croyance. Intervention du Conseil fédéral auprès des autorités algériennes », de l’UDC.
76 Interpellation no 06.3842, « Malheur des Assyro-Chaldéens », du PDC.
77 Interpellation no 08.3128, « Visite de la conseillère fédérale Calmy-Rey en Iran », de l’UDF : « Le Conseil fédéral croit-il que ce régime honorera ses engagements en matière de gaz naturel si des conflits politiques, religieux ou idéologiques devaient opposer l’islam radical à la conception occidentale (européenne et suisse notamment) du droit et aux principes chrétiens fondamentaux ? ».
78 Interpellation no 09.3080, « Chaînes de télévision islamistes. Danger de radicalisation en Suisse », de l’UDC.
79 Motion no 094319, « Imams islamistes », de l’UDC.
80 Interpellation no 063842, « Malheur des Assyro-Chaldéens », du PDC.
81 Motion no 10.4158, « Persécution des chrétiens en Irak. Mettre un terme au génocide », de l’UDC et question no 10.5588, « Contingents de réfugiés », du PDC.
82 Interpellation no 11.3288, « Sépulture. Égalité de traitement pour tous », de l’UDC.
83 Interpellation no 11.3340, « Politique à l’égard des chrétiens persécutés », de l’UDC ; Question no 11.5010, « Renvoi de musulmans convertis au christianisme », de l’UDC.
84 Par exemple dans l’interpellation no 12.3067, « Liberté de religion et persécution des chrétiens dans le monde », du PEV : « qu’au Proche-Orient et au Moyen-Orient les minorités religieuses sont en partie victimes de déportations qui s’apparentent, dans certains cas, à une véritable épuration ethnique ? ».
85 Interpellation no 12.3766, « Chrétiens d’Égypte. Le Conseil fédéral se préoccupe-t-il de leur sort ? », de l’UDC.
86 Interpellation no 11.3506, « Institutions financières islamiques en Suisse », de l’UDC.
87 Dans l’interpellation no 14.3765 (« Berceau du christianisme, le Proche-Orient deviendra-t-il son tombeau ? »), le PDC affirme également que la « constitution repose sur un système de valeurs héritées de la tradition occidentale chrétienne », et dans le postulat no 15.3666 (« Accueillir des réfugiés chrétiens en provenance du Proche et du Moyen-Orient et dont la vie ou l’intégrité corporelle est menacée ») que « la Suisse est un pays de longue tradition chrétienne. C’est pourquoi il est de son devoir de tout mettre en œuvre pour venir en aide aux chrétiens ».
88 Avis du Conseil fédéral en réponse à l’interpellation no 13.3699, « Réfugiés syriens », de l’UDC.
Auteur
Elisa Banfi est politiste, collaboratrice scientifique post-doctorante à l’Institut d’études de la citoyenneté (InCite) de l’université de Genève. Son travail porte sur les organisations musulmanes en Europe, l’engagement social des acteur.ices religieux.ses et la relation entre religion et politique. Elle a participé à plusieurs projets de recherche scientifique financés par la Commission européenne (RITU, EURISLAM) et par le Fonds national de la recherche scientifique suisse (PNR58, AGORA). Ses récents travaux ont été publiés dans le Routledge Handbook of Islam in the West.
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