Introduction
Islamophobie, racisme et genre : quelles intersections ?
p. 11-28
Texte intégral
« Le voile est une arme utilisée par l’islam politique pour aller à l’encontre de tout ce à quoi nous croyons : la laïcité, la liberté, l’égalité entre les femmes et les hommes. »1
Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national (France), 2019
« Reconnaître que bien des filles et des femmes portant le voile sont totalement étrangères au discours islamiste ne doit pas nous faire ignorer que le voile, partout où l’islamisme s’est imposé, a été un instrument essentiel du contrôle des femmes. »2
Nadia Geerts, écrivaine (Belgique), 2010
« Il est à mon avis parfaitement absurde que des femmes socialistes, chrétiennes et libérales se battent dans notre Suisse libérale pour l’égalité des droits et l’émancipation des femmes tout en soutenant le droit des femmes musulmanes de se voiler complètement. »3
Barbara Keller-Inhelder, conseillère nationale, Union démocratique du centre (Suisse), 2017
1Le genre est omniprésent dans les débats sur l’islam et l’intégration des musulmanes et musulmans dans les pays occidentaux. Pourtant, dans les espaces académiques et politiques francophones, le débat sur l’islamophobie s’est longtemps focalisé sur la légitimité et l’usage du concept pour désigner les processus d’altérisation et de racialisation des personnes musulmanes, ou supposées telles, plutôt que sur la nécessité d’en documenter la réalité. Alors que la question de l’utilisation du terme islamophobie ne se pose plus véritablement dans la recherche académique4, la description et l’analyse des processus complexes sous-tendant ce phénomène constituent un chantier important pour les sciences sociales et un enjeu politique majeur pour les sociétés européennes. En effet, s’intéresser à l’islamophobie, ce n’est pas décrire un ensemble de pratiques minoritaires qui seraient le fait d’individus racistes – selon une conception individualisante de la discrimination et des préjugés –, mais plutôt analyser les processus sociaux qui transforment en profondeur nos sociétés, en assignant des groupes à des positions minorisées, en excluant des fractions de la population du marché du travail, en faisant circuler des stéréotypes fortement chargés d’histoire coloniale, et en redéfinissant des principes fondamentaux du vivre-ensemble et de la démocratie tels que l’égalité des sexes, la laïcité ou la liberté de religion5.
2En se concentrant sur les aspects genrés de l’islamophobie, cet ouvrage entend contribuer à cette entreprise de connaissance de la nature, des processus et des modalités de l’expression contemporaine du phénomène en s’intéressant particulièrement aux discours des institutions publiques, à leur adoption par les citoyen.nes et au vécu des pratiques discriminatoires. Ces trois dimensions de l’islamophobie et de ses conséquences constituent la focale des trois sections structurant cet ouvrage. À partir de deux approches disciplinaires, la sociologie et la psychologie sociale, il s’agit d’une part d’analyser les processus par lesquels le principe d’égalité des sexes, érigé comme modèle et norme occidentale, est mobilisé dans les discours publics (première partie) et adopté dans la pensée profane comme instrument de domination vis-à-vis des musulman.es (deuxième partie) et, d’autre part, de décrire et d’analyser les formes spécifiques d’islamophobie subies par les musulmanes et les musulmans (troisième partie).
3Le concept d’islamophobie a été forgé pour désigner une forme d’altérisation spécifique, qui passe par la racialisation mais ne s’y limite pas. Les différents chapitres réunis ici montrent bien que l’islamophobie fait appel à des registres et répertoires discursifs spécifiques, qui empruntent au racisme mais qui y articulent également des éléments idéologiques et des stéréotypes propres à une vision négative de l’islam comme religion (voir par exemple le chapitre 1 d’Elisa Banfi pour le cas suisse, et le chapitre 7 de Juliette Galonnier pour la France). La dimension genrée de l’islamophobie contemporaine est d’ailleurs intimement liée à cette dimension religieuse. En effet, cette dernière s’appuie sur des stéréotypes spécifiques visant les femmes musulmanes pieuses – qui sont aussi les premières victimes des actes islamophobes –, véritable synecdoque du « problème de l’islam » comme religion, dont le caractère patriarcal la rendrait incompatible avec le vivre-ensemble « laïc » (voir le chapitre 3 d’Oriane Sarrasin et le chapitre 4 de Lavinia Gianettoni).
4Afin d’analyser les processus d’altérisation et de discrimination qui constituent l’islamophobie contemporaine, cet ouvrage se focalise sur trois contextes nationaux francophones européens présentant des rapports variés à l’islam et aux communautés musulmanes : la France, la Belgique et la Suisse. Comme nous le verrons au fil des chapitres, l’islamophobie est en effet simultanément une construction historique et une production sociale toujours contextualisée. Les ressorts de l’islamophobie telle qu’elle peut être perçue dans les discours politiques ou parlementaires français, suisses et belges sont toujours à mettre en perspective au regard d’une histoire et d’un contexte politique spécifique : histoire et rapport à l’immigration postcoloniale et économique, conception du droit à la liberté de religion et de la laïcité, mobilisations des minorités musulmanes, droit de l’anti-discrimination, force des partis d’extrême droite populiste, etc. Tous ces facteurs façonnent l’élaboration et la mobilisation des discours publics islamophobes ainsi que la constitution de l’islam, en France, Belgique et Suisse, en véritable « problème public »6. Malgré les différences, en particulier au regard de leurs histoires coloniales respectives diverses, la comparaison de ces trois espaces nationaux permet de montrer les récurrences et les invariants qui font de l’islamophobie en Europe un phénomène global, partageant des caractéristiques au-delà des frontières, et ce d’autant plus que les discours politiques circulent aisément dans cette francophonie de proximité : association avec le terrorisme, assimilation à une menace intérieure contre laquelle le corps national doit se défendre et assimilation à un patriarcat spécifique constituent quelques exemples de tropes discursifs largement partagés. Le caractère global de l’islamophobie se perçoit également à travers les similitudes existantes entre les mesures législatives de prohibition de vêtements religieux musulmans dans les trois pays. En effet, comme un certain nombre de pays ou de régions d’Europe (par exemple la Bulgarie, le Danemark, certains Länder allemands), la France, la Belgique et la Suisse ont introduit, selon des modalités et des temporalités légèrement différentes, des prohibitions du port du voile intégral dans l’espace public. En France, il est interdit de porter un voile intégral en public depuis 2010, et toutes sortes de voiles dans la fonction publique (ce que certaines entreprises exigent également via des règlements intérieurs de plus en plus prohibitifs ; voir le chapitre 8 par Hanane Karimi). La Belgique s’est également récemment dotée d’un arsenal législatif afin d’interdire le voile intégral7. En Suisse, où deux cantons interdisent déjà le port du voile intégral, une initiative fédérale portant sur une interdiction nationale de se masquer le visage en public a été déposée en septembre 2017 et sera soumise au peuple dans un futur proche (en mars 2019, le Parlement recommande de rejeter cette initiative qui est néanmoins soumise à la votation populaire en mars 2021). Ainsi, malgré des histoires coloniales impliquant des rapports très différents à l’Islam8 – la législation française coloniale organisait l’infériorité civile et politique des musulmans9, la colonisation au Congo belge ne touchait pas de populations musulmanes tout en s’appuyant sur des missions catholiques, et la Suisse se présente, de façon contestable, comme un pays sans passé colonial10 –, la période contemporaine montre des convergences ainsi que des transferts de discours et de politiques entre ces trois pays, et, au-delà, en Europe.
L’islamophobie, un racisme comme les autres ?
5L’islamophobie constitue une forme de racisme, et le racisme, historiquement, s’est souvent appuyé sur la religion pour établir les frontières des catégorisations permettant la discrimination11. Dans le présent ouvrage, nous argumentons cependant, avec d’autres, que le terme de racisme peut s’avérer trop flou et trop englobant. Recourir au concept d’islamophobie permet de mieux saisir comment les catégorisations sont construites et par quels processus elles opèrent. Le distinguer du racisme fondé sur la couleur de peau ou l’origine nationale permet également de montrer comment ces deux critères de catégorisation peuvent se combiner de façon intersectionnelle ; les personnes musulmanes noires n’étant pas discriminées de la même façon, selon les contextes, que les personnes musulmanes maghrébines ou originaires du Sud-Est asiatique. En outre, s’attacher à définir la spécificité de l’islamophobie permet d’avancer qu’elle agit en partie par des canaux spécifiques : le dénigrement de la croyance et des pratiques religieuses à proprement parler, l’amalgame avec le terrorisme, la promotion d’une laïcité restrictive pour les musulman.es et la mobilisation d’aspects genrés, qui ne sont pas toujours aussi centraux dans les préjugés et discriminations visant d’autres groupes issus de la diversité ethnique et migrante. Dans la lignée des travaux, entre autres, de Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, le présent ouvrage réaffirme donc la nécessité d’un concept spécifique à l’étude des attitudes négatives et actes discriminatoires dont sont victimes les individus de confession musulmane.
6Plus fréquemment utilisé dans la recherche anglophone que francophone12, le terme islamophobie est devenu populaire dans la recherche académique britannique durant les années 1990 suite à la publication du rapport Islamophobia. A Challenge for Us All du Runnymede Trust13. Souvent reprise, la définition proposée – à savoir l’islamophobie comme crainte ou haine de l’Islam, et par extension des musulman.es –, a fait l’objet de nombreuses critiques. Elle distingue notamment ce qui serait une critique légitime de l’islam et la véritable islamophobie ; celle qui ne serait pas justifiée (à ce sujet, voir le chapitre 1, et le chapitre 2 par Nouria Ouali). De nombreuses autres définitions ont été par la suite proposées, rendant encore plus flou l’usage de ce concept14. Dans le présent ouvrage, nous nous appuyons conjointement sur deux définitions. Tout d’abord celle proposée par Erik Bleich15, à savoir l’islamophobie comme un ensemble d’« attitudes ou [d’]émotions négatives et sans distinction/nuance à l’encontre de l’islam ou des musulman.es »16. En mettant l’accent sur des aspects évaluatifs, cette définition reconnaît premièrement que la seule expression d’attitudes ou d’émotions négatives constitue de l’islamophobie, sans que ce ressenti ne se traduise nécessairement en actes discriminatoires (ceux-ci étant également fonction d’autres facteurs, comme le contrôle social17). Deuxièmement, elle insiste sur le fait que, pour qu’il soit question d’islamophobie, les discours doivent être « figés, immuables et sans distinction »18. Ainsi, si elle ne repose pas sur une généralisation (à toute une religion ou aux personnes la pratiquant), la critique (justifiée ou non) de points doctrinaux de l’islam ou de certaines pratiques musulmanes ne constitue pas nécessairement de l’islamophobie. Troisièmement, reconnaître que l’islamophobie concerne l’islam et les musulman.es permet de reconnaître la multidimensionnalité du phénomène, et son intrication complexe avec la race et l’origine migratoire19.
7On peut associer cette définition à une autre, proposée par Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed20, qui ne porte pas tant sur le contenu (évaluations négatives et homogénéisantes) que sur la nature du phénomène, en distinguant trois dimensions, communes à différentes formes de racisme : l’idéologie, les préjugés et les pratiques. En effet, les deux auteurs notent que si ce qu’ils appellent « l’islamophobie de plume » – celle qui véhicule un certain nombre de jugements moraux et politiques négatifs sur l’Islam dans les médias – relève de l’idéologie, les préjugés (aversion, rejet, mépris) et pratiques (discriminations, violences) peuvent être islamophobes sans se référer directement à cette idéologie. Cette distinction permet de considérer l’islamophobie à la fois, selon les auteurs, comme un « fait social total », touchant toutes les institutions sociales (justice, médias, éducation, etc.), et comme un ensemble de préjugés et de pratiques se diffusant par capillarité dans la société sans forcément entretenir de rapports directs avec l’idéologie anti-Islam. Opérant simultanément, idéologie, préjugés et pratiques produisent une « racialisation/altérisation appuyée sur le signe de l’appartenance (réelle ou supposée) à la religion musulmane, dont les modalités sont variables en fonction des contextes nationaux et des périodes historiques »21. À ce titre, la définition d’Hajjat et Mohammed, autant que celle proposée par Bleich, permettent d’affirmer le caractère historique et global de l’islamophobie, phénomène qui s’inscrit dans des contextes historiques, politiques et sociaux spécifiques qui en modulent l’expression (voir le chapitre 1 pour la Suisse, le chapitre 2 pour la Belgique, ainsi que le chapitre 5, par Éléonore Lépinard, et le chapitre 8 pour la France).
8Quels que soient les mots utilisés, il est indéniable que les personnes de confession musulmane résidant en Europe sont fréquemment victimes de préjugés et d’actes racistes. Ces personnes constituent une part importante de la population française, belge et suisse ; ainsi, pour celles considérées dans le présent ouvrage, le Pew Research Center22 a publié les chiffres suivants (pour l’année 2011) : environ 8,8 % de musulman.es en France, 6,1 % en Suisse et 7,6 % en Belgique, pour la plupart issu.es de l’immigration (voir par exemple le chapitre 6 par Patrick Simon). À noter que ces estimations ne tiennent pas compte des personnes perçues comme musulmanes mais qui, ne se définissant pas comme telles, sont également des victimes de l’islamophobie (via un processus de racialisation de la religion ; voir le chapitre 6 et le chapitre 7). Omniprésente en Europe, l’hostilité envers les personnes musulmanes serait plus forte qu’envers d’autres minorités issues de l’immigration. La septième édition du European Social Survey, une large enquête sociale menée en 2014 dans 21 pays d’Europe, met en avant que parmi une liste de minorités, seul.es les Roms sont moins apprécié.es que les musulman.es23. En France, la Commission nationale consultative des droits de l’homme24 constate, dans son rapport de 2018, que les musulman.es constituent l’une des minorités les plus stigmatisées du pays. En 2018, ce sont 676 actes islamophobes qui ont été rapportés au Collectif contre l’islamophobie en France25 (CCIF, 2019). Dans une enquête menée en 2015 (et décrite dans le chapitre 6), 40 % des répondant.es musulman.es ont rapporté des traitements discriminatoires liés à leur religion. En Suisse, le rapport de l’Office fédéral de la statistique (OFS) sur les incidents à caractère xénophobe ou raciste ne se penche pas sur la situation des musulman.es en particulier, et il n’est également pas possible de connaître le taux moyen d’expériences de discrimination par religion. Cependant, une enquête menée par le même office, intitulée Vivre ensemble en Suisse26, a montré qu’en 2018, 11 % de la population était hostile aux musulman.es et que 29 % reportaient de la défiance envers l’Islam (à noter que, ayant approché les 45 % en 2010, ce taux est en baisse). Une étude menée à Zurich quelques années auparavant avait d’ailleurs mis en évidence que parmi dix groupes d’immigré.es, les ressortissant.es des pays maghrébins étaient les moins apprécié.es (viennent ensuite les personnes originaires de Turquie27). En Belgique, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances28 (Unia) a ouvert 319 dossiers individuels liés aux convictions religieuses en 2017 (ce qui représente une baisse après un pic en 2016, probablement dû aux attentats de 2016 à Bruxelles). Alors que dans les trois pays les chiffres font déjà état d’une forte stigmatisation des personnes musulmanes, les incidents à caractère islamophobes sont fortement sous-rapportés. En France par exemple, selon une enquête menée par le CCIF en 201429 (dont les résultats sont cités dans le rapport 2016), seules 20 % des victimes d’islamophobie rapportent aux institutions publiques ou associations les actes dont elles sont victimes. Parmi les musulman.es de France, une enquête indique que ce sont celles et ceux de seconde génération ou ayant un niveau de formation supérieur qui rapportent davantage être victimes de discrimination (voir chapitre 6). Alors que peu de raisons mènent à penser que ces personnes souffrent davantage d’islamophobie, ces résultats suggèrent que celles et ceux disposant de moins de ressources scolaires et sociales et de moins de légitimité vis-à-vis des institutions se taisent davantage face à la discrimination.
9L’islamophobie s’affiche souvent sans pudeur. En 2010, Marine Le Pen s’était permis de comparer la présence musulmane en France à l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale30. En Suisse, Jean-Luc Addor (un parlementaire également à l’origine de la motion « Pas de militaires voilées dans notre armée ! »1) osait tweeter « on en redemande » suite à une fusillade dans une mosquée du pays, qui avait fait un mort (à noter qu’il a entre-temps été condamné pour discrimination raciale). En Belgique, c’est un célèbre présentateur météo, Luc Trullemans, qui avait été licencié en 2013 suite à des propos islamophobes publiés sur Facebook. Opérant via la racialisation de la religion, cette islamophobie ouvertement affichée contribue à la construction et à la dissémination de représentations stéréotypées et préjudicielles ainsi qu’à la multiplication de pratiques discriminatoires. En cela, elle s’apparente à des formes de racisme dirigées vers d’autres groupes issus de la diversité culturelle, ethnique, migrante ou religieuse. La frontière est parfois ténue ; la grande majorité des individus de confession musulmane résidant dans des pays occidentaux étant issus de cette diversité (une exception notable étant les converti.es sans origine étrangère ; à ce sujet, voir le chapitre 7).
10Comme d’autres formes de racisme31, l’islamophobie s’explique d’un point de vue psychosocial, par la peur de l’autre et le manque de contacts avec le groupe concerné32, ainsi que par la volonté de légitimer et préserver les privilèges des dominants33. Dans une perspective historique et sociologique, l’islamophobie permet de maintenir des représentations sociales préjudicielles, héritées du passé colonial et contribuant à justifier la relégation sociale des populations concernées. S’inspirant de Norbert Elias, Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed34 analysent ainsi l’islamophobie comme l’expression d’un ressentiment à l’égard d’une population infériorisée socialement qui, cependant, revendique l’égalité légale et surtout sociale (accès à des positions sociales moins marginales et moins méprisées). En ce sens il s’agit d’un déni d’égalité. De plus, il faut souligner d’un point de vue historique que si l’islamophobie, comme tout ensemble de représentations, évolue, et si elle a ressurgi de façon nette après le 11 septembre 2001 à l’échelle mondiale, elle est ancrée dans un ensemble de représentations – orientalistes, impérialistes, colonialistes – qui ont accompagné et soutenu l’entreprise coloniale pour de nombreux pays européens, ou encore les politiques impérialistes du côté des États-Unis35. Les représentations typiques de l’islamophobie portent ainsi ces traces historiques, ce que Hajjat et Mohammed nomment « l’archive anti-musulmane »36, ou l’ensemble des représentations et stéréotypes négatifs, historiquement sédimentés, à l’égard de l’Islam et des musulman.es.
11Au-delà des spécificités décrites ci-dessus, cet ouvrage illustre comment la dimension genrée de l’islamophobie et des réponses qui lui sont faites par les musulman.es jouent un rôle central dans la construction, la diffusion et le maintien de cette forme de racisme. Le constat s’impose en effet que le genre est régulièrement instrumentalisé dès qu’il s’agit de réguler les rapports sociaux avec les populations musulmanes37. Dans cette perspective, la section qui suit se penche en détail sur le rôle joué par le genre dans la construction de l’islamophobie.
Le genre comme révélateur des processus d’altérisation
12Le genre est au centre du racisme dont sont victimes les musulman.es. De manière générale, les femmes issues de la diversité migratoire et postcoloniale sont plus souvent la cible de formes moins ouvertes (et plus insidieuses) de discrimination (qui n’en sont pas moins préjudiciables que celles, plus ouvertes, subies par les hommes des mêmes groupes)38. Ce phénomène s’expliquerait par une invisibilité intersectionnelle : les femmes issues de la diversité ne correspondent à la représentation prototypique ni de leur groupe ni des femmes en général. C’est tout le contraire qui semble s’observer dans le cas des musulmanes, qui sont tout autant – voire plus souvent – victimes d’attitudes négatives et d’actes discriminatoires ouverts que les musulmans. En France, 70 %39 des victimes d’actes islamophobes seraient des femmes (le plus souvent voilées)40 ; un pourcentage similaire, 71 %, a été observé en Belgique (selon le Muslim Rights Belgium, cité dans le chapitre 2)41. En Suisse, une enquête menée auprès de musulman.es a révélé que les musulmanes (35 % des Maghrébines et 20 % des femmes originaires de pays d’ex-Yougoslavie) reportaient davantage avoir été discriminées durant l’année précédente que les hommes des mêmes groupes (28 % et 13 % respectivement)42. Ce sont celles qui portent le voile qui sont en particulier victimes, le taux dépassant les 50 % dans ce groupe. En France, les résultats de l’enquête présentée dans le chapitre 6 ne font état d’aucune différence entre musulmanes voilées et non voilées en termes de discrimination auto-rapportée. Les premières rapportent cependant souffrir davantage de processus d’altérisation : elles se sentent, par exemple, moins perçues comme françaises que les musulmanes non voilées. Les déboires professionnels des femmes voilées interrogées dans le chapitre 8 font d’ailleurs état de fortes discriminations à l’embauche et sur le lieu de travail. Sur le plan légal, les restrictions – principalement vestimentaires – touchent davantage (si ce n’est exclusivement) les musulmanes (la barbe portée par certains musulmans est certes un facteur de stigmatisation mais ne fait pas l’objet d’une interdiction formelle ; voir le chapitre 7).
13En quoi l’islamophobie diffère-t-elle d’autres formes de racisme ? Quels facteurs expliquent sa violence et sa prévalence ? Bien que l’attribution d’un sexisme extraordinaire à l’Autre racisé43 s’observe également par rapport à d’autres groupes racisés, comme les « Noirs » ou les « gens du Sud », la prégnance et la centralité du genre dans les discours et attitudes islamophobes semblent être un élément déterminant de ses particularités. De longue date, les musulmans ont été perçus et présentés comme oppressant et dominant les femmes de leur groupe (pour un historique, voir le chapitre 1). Selon cette vision, l’Islam, et par conséquent les musulmans, seraient caractérisés par un sexisme « extraordinaire », qui n’aurait rien en commun avec les inégalités de genre observées en Occident44. Les viols dans les banlieues françaises45 ou les remarques sexistes dans la rue (voir le chapitre 2) ont ainsi été décrits comme découlant de la nature intrinsèquement « non civilisée » des musulmans. En Suisse, la campagne visant à interdire les minarets a également été structurée par un discours en faveur de la défense des droits des femmes. Les représentants des partis de droite nationaliste, comme l’UDC (Union démocratique du centre, premier parti en Suisse) ont ainsi défendu cette initiative, acceptée en 2009, comme visant notamment à protéger les femmes suisses du « patriarcat islamique » (alors que le rapport entre identité féministe et rejet de l’islam ou des pratiques musulmanes est fort complexe ; à ce propos, voir le chapitre 3 et le chapitre 5). Comme le révèlent deux études expérimentales également menées en Suisse, le sexisme du groupe d’appartenance est davantage mobilisé comme élément explicatif des mêmes actes d’oppression de femmes (mariages forcés, harcèlement de rue) lorsque l’auteur est musulman que lorsqu’il est chrétien sans origines étrangères (voir le chapitre 4).
14Revers de la médaille, les musulmanes sont vues et décrites comme des victimes de ce système oppresseur et patriarcal46. Ces représentations homogénéisantes et réductrices leur ôtent toute agency ; elles seraient à la merci des hommes de leur entourage, sans possibilité d’agir ou de s’engager en toute liberté dans certaines pratiques (voir le chapitre 1 et le chapitre 2). Pour reprendre les mots d’une des participantes de l’étude décrite dans le chapitre 8, en tant que femme musulmane voilée, « tu représentes l’aliénation ». Alors que bon nombre de musulman.es (réel.les ou supposé.es) sont victimes de ces représentations, ces dernières touchent également ceux et celles qui se convertissent à l’islam (voir le chapitre 7). L’adoption de certains marqueurs (par piété ou besoin de revendiquer sa nouvelle identité), tels que le voile pour les femmes ou la barbe pour les hommes, confrontent les converti.es à de nouvelles formes de discrimination. Les hommes deviennent alors objets de soupçons de violence sexiste ou de polygamie ; les femmes interrogées rapportent ne devenir plus que des femmes voilées, incarnant l’islam à elles seules. Elles font face, à ce titre, à des réactions s’échelonnant de l’indifférence à la violence. Pour ces personnes, l’appartenance à une religion racialisée supplante ainsi l’appartenance raciale d’origine.
15Ces représentations genrées de l’Islam et des musulman.es se construisent et s’entretiennent à différents niveaux et dans différents milieux, sans que cela ne soit forcément le fruit d’une coordination consciente et volontaire (on parlerait davantage de convergence dans ce cas-là47). Au niveau politique, alliées à des représentations de l’Islam comme en montée, en expansion, elles sont largement instrumentalisées par des partis d’extrême droite, mais aussi par d’autres partis, pour élargir leur base électorale (voir également les chapitres 1 et 2). La mise en avant d’une claire frontière entre un Occident civilisé et respectueux des femmes et l’Islam (et souvent, plus généralement, de toute culture non occidentale) permet, pour ces partis et d’autres acteurs de la sphère publique tels qu’une fraction des mouvements féministes (à ce sujet, voir le chapitre 5), de justifier des mesures prises pour, par exemple, limiter l’immigration ou les droits des personnes immigrantes résidant dans le pays. Dans ce contexte, les restrictions touchant les musulmanes, en particulier l’interdiction de porter un foulard ou un voile intégral, sont présentées comme bénéfiques, car elles les forceraient à s’affranchir de leur milieu et iraient dans le sens d’un renforcement des droits des femmes. Dans le même registre, certains pays organisent des cours d’intégration, où les personnes migrantes sont invitées à se familiariser avec des principes tels que l’égalité de genre (pour le cas de la Suisse, voir le chapitre 4).
16Les médias jouent également un rôle central dans la diffusion des représentations genrées liées à l’islam, où cette religion est fréquemment invoquée comme « en montée », prenant de plus en plus (et trop) de place dans l’espace social (voir le chapitre 2). Les discours sur « la » femme musulmane comme dominée et dénuée d’agency sont véhiculés, reproduits et renforcés par les discours et prises de position de certaines figures féministes48. Ce phénomène s’observe également sur le terrain, dans les propos de femmes luttant pour l’égalité des sexes. Certains discours féministes contribuent ainsi à altériser les femmes musulmanes, bonnes à émanciper si elles acceptent de discipliner leurs pratiques ; elles sont alors cantonnées dans le rôle de victimes, à aider. Si elles refusent cette assignation, elles sont alors rejetées comme sujet féministe impossible (voir le chapitre 5). Finalement, ces représentations pénètrent le discours commun. Décrite dans le chapitre 3, une analyse de justifications spontanément fournies par des personnes résidant en Suisse romande pour appuyer leur opinion quant au port du voile (hijab et niqab) dans l’espace public démontre ainsi que le genre, en particulier l’image de la femme musulmane perçue comme soumise, occupe une partie de l’espace argumentatif. Face à ces représentations réductrices et homogénéisantes, que reste-t-il à faire ? Comme développées dans la partie finale de cette introduction, et de cet ouvrage, des initiatives sont prises du côté de certaines femmes musulmanes ; de nombreuses pistes sont également envisageables du côté des non-musulman.es.
Résistances et perspectives
17Les femmes musulmanes ne restent pas passives face à la discrimination et aux stéréotypes. Leurs réactions ont été documentées dans un certain nombre de recherches, bien que le corpus scientifique sur l’islamophobie se centre davantage sur les aspects négatifs, tels que les événements de discrimination et leurs conséquences, que sur les stratégies mises en place pour y parer49. Les stratégies individuelles adoptées par les victimes de discriminations et d’agressions, que ces dernières relèvent de l’appartenance à une religion, une origine, un sexe, une orientation sexuelle, etc., sont caractérisées en psychologie sociale comme des stratégies d’engagement (elles sont alors dites « centrées sur le problème ») ou d’évitement, de désengagement50. Ainsi, ces concepts, qui permettent d’analyser les réactions face à de nombreuses formes de situations stressantes, qu’elles impliquent de la violence d’une personne extérieure ou non, permettent de mettre en lumière les expériences documentées d’islamophobie.
18Actives, les stratégies d’engagement ont pour but de trouver une solution à la situation problématique et d’agir sur la source de violence. La victime de discrimination peut ainsi confronter l’agresseur.e. Le chapitre 7 fournit un exemple d’une telle confrontation : à une inconnue qui lui somme de rentrer chez elle, une musulmane française répond : « Mais madame… pourquoi vous dites ça ? Vous savez, ça va être compliqué de retourner chez moi parce que mon père est du Gers, et ma mère est de la Picardie ». Dans des situations plus ambiguës, lorsqu’on ignore si la personne en face a l’intention d’émettre un préjugé, l’humour permet de se défendre tout en évitant une confrontation directe. Un exemple en est donné dans l’ouvrage de Jennifer Selby et collègues, qui décrit les stratégies mises en place par des musulman.es au Canada pour « naviguer », selon leurs mots, dans leur quotidien. Une femme musulmane ayant récemment décidé de porter le voile croise l’une de ses voisines, qui lui dit que voir ses cheveux lui manque. Elle répond alors avec humour que ceux-ci étant gris, il n’y a plus vraiment grand-chose à montrer51.
19Cependant, les victimes de préjugés, de discriminations et d’agressions souhaitent bien souvent éviter une escalade de la violence et des représailles. Elles n’agissent ou ne répondent alors pas sur le moment : elles adoptent des stratégies d’évitement, dont le but est de se soustraire, physiquement et/ou mentalement, à la situation stressante. La victime peut ainsi en venir à éviter certains lieux. Les témoignages de musulmanes vivant en France rassemblés dans l’ouvrage Les filles voilées parlent52 font état de nombreux cas d’évitement. Ainsi, une femme musulmane rapporte ne plus pratiquer le vélo dans certains lieux, suite à des propos islamophobes : « Je me reçois des regards vraiment méchants, et des remarques bêtes ou moqueuses comme “Faites attention que votre voile ne se prenne pas dans les roues”. À tel point que je n’y vais plus »53. Dans le même ouvrage, une autre femme musulmane témoigne de l’agression physique qu’elle a subie de la part d’un libraire. Il s’énerve et elle se fait « toute petite » ; il lui prend le bras et la secoue ; elle s’enfuit, mais il la rattrape et la frappe. S’ensuivent alors pour la victime non seulement les dommages de l’agression même, mais également la frustration ne pas avoir réagi comment elle l’aurait souhaité. Des agressions verbales similaires, et les sentiments de décontenancement et de sidération qu’elles provoquent, sont également rapportées par les participantes à un collectif genevois de lutte contre l’islamophobie. La publicisation de ces agressions, sur le compte Facebook du collectif54, constitue alors une forme de réponse pour les victimes. Les réponses et résistances se construisent donc souvent de manière indirecte, dans un second temps et sur le long terme.
20Les stratégies que les femmes musulmanes, et en particulier celles portant le voile, adoptent au quotidien pour affirmer leurs identités et lutter contre les représentations homogénéisantes et réductrices de « la » femme musulmane comme soumise et opprimée sont multiples. Des entretiens menés en Écosse auprès de Britanniques musulmanes ont ainsi révélé que celles-ci percevaient fréquemment l’idée chez les non-musulman.es que le port du voile était associé à l’oppression de la femme55. Loin de cette image, l’analyse de ces discours met en lumière que le port du voile s’allie à d’autres stratégies : performance de l’identité nationale (britannique), par exemple en portant simultanément des vêtements occidentaux et un foulard ; performance de l’identité de genre, en mettant en avant des caractéristiques extérieures stéréotypiquement féminines (maquillage, intérêt pour la mode, etc.) ; et performance de l’identité musulmane (qu’elles savent stigmatisée), en se sentant parfois dans l’obligation de se comporter de manière exemplaire. Une autre étude, menée auprès de musulmanes résidant dans plusieurs pays européens, a révélé de quelles manières certaines agissaient pour contrer et « renverser » les représentations négatives du voile, comme symbole d’oppression56. Plusieurs d’entre elles décrivent en quoi il devient d’autant plus important pour elles de porter le voile (foulard ou voile intégral) afin de démontrer que les femmes musulmanes voilées ne sont pas soumises et qu’elles sont « tout autant capables »57. Le voile devient alors une stratégie de resistant agency.
21Les résistances à long terme se construisent également à travers des actions collectives. Certaines impliquent une lutte directe contre la discrimination : un collectif est par exemple venu en aide aux jeunes femmes obligées d’ôter leur voile pour poursuivre leur scolarité en France après la loi de 200458. En France toujours, des femmes musulmanes, dont l’accès au monde du travail est limité par le port du voile et les discriminations vécues, s’organisent parfois en réseaux. Ainsi, les deux réseaux analysés dans le chapitre 8 émanent d’une logique d’empowerment qui permet aux femmes rencontrées de dépasser les sentiments d’humiliation, d’isolement et d’exclusion produits par la défiance née des débats récurrents sur l’incompatibilité de leur manifestation religieuse avec la laïcité française parce qu’elles portent le voile. Indirectes, d’autres actions imbriquées dans des activités de la vie quotidienne (vie de quartier, monde professionnel, etc.) permettent également de contrecarrer les représentations réductrices et homogénéisantes dont les musulman.es sont victimes. Eva Marzi59 a par exemple suivi et analysé les activités d’une association de femmes musulmanes d’une commune périurbaine et fortement multiculturelle de Suisse. Son analyse met en avant que « la lutte pour la reconnaissance ne s’effectue pas par les canaux de revendications classiques (demandes de droits spécifiques, revendications particularistes, etc.), mais par une occupation directe de l’espace public »60. Elle décrit ainsi l’implication de cette association dans le tissu local, implication qui permet une reconnaissance du religieux sans que celui-ci n’ait besoin d’être explicitement revendiqué. Ainsi, ces femmes « parviennent à sortir du renvoi communautaire qui, dans le débat public suisse, réduit tout musulman exclusivement à sa religion »61.
22Finalement, bien davantage d’actions sont à entreprendre du côté des non-musulman.es et des institutions publiques. Les politiques de lutte contre les discriminations mises en place dans des contextes, comme en France, Belgique et Suisse, où ni l’origine ethnique ni l’identité religieuse ne sont véritablement reconnues comme donnant lieu à un racisme et une islamophobie systémique, sont vouées à connaître des formes d’échec systématique62. Par ailleurs, les transformations récentes des cadres juridiques du fait religieux dans les trois pays, avec la multiplication des interdictions de port de signes religieux musulmans féminins, rendent inopérant tout recours juridique au droit individuel à la liberté de religion. Dans le contexte de montée de la droite populiste, visible dans les trois pays étudiés ici, il semble donc que seuls les mouvements sociaux puissent être des sites de résistance et d’élaboration d’un discours combatif contre l’islamophobie. Pourtant, comme le chapitre 5 le démontre clairement, certaines positions féministes réfutent aux femmes musulmanes – perçues comme sous l’emprise de leur religion et de leur culture, et restant, pour cette raison, « à éduquer » – leur identité de féministes. Il est donc grand temps de penser un féminisme inclusif et réflexif, qui reconnaît l’instrumentalisation de l’égalité de genre à des fins de discrimination et d’exclusion. Soutenir l’égalité de genre peut tout autant refléter un souci de traitement égalitaire de tous les groupes sociaux qu’une volonté d’imposer un idéal à certaines femmes, et ceci contre leur gré (voir le chapitre 3). Le chapitre 4 souligne ainsi « l’importance, pour les luttes féministes, de remettre systématiquement en avant la logique patriarcale qui structure tous les actes et comportements sexistes, qu’ils soient commis par des […] blancs chrétiens ou athées ou par des individus racisés sur la base de leurs origines, couleur de peau ou religion (réelle ou supposée) ». Par ailleurs, avoir conscience des privilèges attachés aux positions sociales des femmes blanches est fondamental pour un fonctionnement réellement horizontal dans des collectifs féministes mixtes. L’ouvrage Les filles voilées parlent décrit ainsi un collectif féministe composé de membres musulmanes et non musulmanes, dans lequel le concept de liberté de choix de la femme prévaut sur l’importance de trouver un accord sur la question du port du voile. Le développement des féminismes islamiques et de leur visibilité pourra contribuer à ce changement nécessaire63, et c’est l’auto-organisation des femmes musulmanes qui pourra constituer des formes de résistance et de mobilisation.
Notes de bas de page
1 « Port du voile : Macron s’en “lave les mains”, accuse Marine Le Pen », Le Figaro / AFP, 25 octobre 2019.
2 N. Geerts, Fichu voile ! Petit argumentaire laïque, féministe et antiraciste, Waterloo, Luc Pire, 2010.
3 B. Keller-Inhelder, « Pourquoi la femme que je suis soutient l’interdiction de se dissimuler le visage », Union démocratique du centre (UDC), octobre 2017. En ligne : [https://www.udc.ch/actualites/articles/exposes/pourquoi-la-femme-que-je-suis-soutient-linterdiction-de-se-dissimuler-le-visage/].
4 Voir les différents ouvrages qui utilisent ce concept, par exemple A. Hajjat et M. Mohammed, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », Paris, La Découverte, 2013 ; C. Allen, Islamophobia, Londres, Ashgate, 2010. En ligne : [https://difarepositories.uin-suka.ac.id/259/1/Islamophobia.pdf] ; M. Bunzl, Anti‑Semitism and Islamophobia. Hatreds Old and New in Europe, Chicago, Prickly Paradigm Press (Paradigm : 28), 2007 ; M. Helbling éd., Islamophobia in the West. Measuring and Explaining Individual Attitudes, Oxford, Routledge, 2012 ; N. Lean et J. L. Esposito, The Islamophobia Industry. How the Right Manufactures Fear of Muslims, Londres, Pluto press, 2012.
5 S. Hennette-Vauchez et V. Valentin, L’affaire Baby Loup ou la nouvelle laïcité, Issy-les-Moulineaux, Lextenso / LGDJ, 2014.
6 Voir A. Hajjat et M. Mohammed, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », ouvr. cité, pour la France ; A. Feddersen, « Same but different. Muslims and foreigners in public media discourse », Swiss Political Science Review, vol. 21, no 2, 2015, p. 287-301, pour la Suisse ; S. Zemni, L’islam entre discrimination et reconnaissance. La présence des musulmans en Europe occidentale et en Amérique du Nord, U. Manço éd., Paris, L’Harmattan (Compétences interculturelles), 2004, p. 307-329, pour la Belgique.
7 E. Brems, The Experiences of Face Veil Wearers in Europe and the Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2014.
8 « Islam » employé avec une majuscule décrit la civilisation musulmane, le monde musulman. Employé avec une minuscule, il désigne spécifiquement la religion musulmane.
9 E. Saada, « Citoyens et sujets de l’Empire français. Les usages du droit en situation coloniale », Genèses, vol. 53, no 4, 2003, p. 4-24.
10 P. Putschert et H. Fischer-Tiné dir., Colonial Switzerland. Rethinking Colonialism from the Margins, Londres, Palgrave Macmillan, 2015.
11 R. Miles, Racism, Londres, Routledge, 1989.
12 H. Asal, « Islamophobie : la fabrique d’un nouveau concept. État des lieux de la recherche », Sociologie, vol. 5, no 1, 2014, p. 13-29.
13 The Runnymede Trust, Islamophobia. A Challenge for Us All, Londres, 1997. En ligne : [https://www.runnymedetrust.org/uploads/publications/pdfs/islamophobia.pdf]. Divers emplois épisodiques antérieurs du terme islamophobie ont cependant été observés (voir E. Bleich, « What is Islamophobia and how much is there? Theorizing and measuring an emerging comparative concept », American Behavioral Scientist, vol. 55, 2011, p. 1581-1600 ; H. Asal, « Islamophobie : la fabrique d’un nouveau concept. État des lieux de la recherche », art. cité ; M. Helbling éd., Islamophobia in the West. Measuring and Explaining Individual Attitudes, ouvr. cité).
14 L’islamophobie a par exemple été décrite comme visant l’Islam, voir par exemple M. Semati, « Islamophobia, culture and race in the age of empire », Cultural Studies, vol. 24, no 2, 2010, p. 256-275, et J. P. Zúquete, « The European extreme-right and Islam. New directions? », Journal of Political Ideologies, vol. 13, 2008, p. 321-344. D’autres approches s’intéressent à la façon dont les personnes de confession musulmane sont la cible d’émotions et d’attitudes négatives, voir par exemple J. Stolz, « Explaining Islamophobia. A test of four theories based on the case of Swiss city », Swiss Journal of Sociology, vol. 31, 2005, p. 547-566.
15 E. Bleich, « What is Islamophobia and how much is there? Theorizing and measuring an emerging comparative concept », art. cité.
16 La traduction de cette citation de Bleich est de Houda Asal dans « Islamophobie : la fabrique d’un nouveau concept. État des lieux de la recherche », art. cité.
17 M. Helbling éd., Islamophobia in the West. Measuring and Explaining Individual Attitudes, ouvr. cité.
18 H. Asal, « Islamophobie : la fabrique d’un nouveau concept. État des lieux de la recherche », art. cité.
19 E. Bleich, « What is Islamophobia and how much is there? Theorizing and measuring an emerging comparative concept », art. cité. Voir en particulier l’introduction.
20 A. Hajjat et M. Mohammed, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », ouvr. cité, p. 20.
21 Ibid.
22 Pew Research Center, Europe’s Growing Muslim Population. Muslims are projected to increase as a share of Europe’s population – even with no future migration, 29 novembre 2017. En ligne : [https://www.pewforum.org/2017/11/29/europes-growing-muslim-population/].
23 European Social Survey (ESS), « Attitudes toward immigration and their antecedents. Topline results from round 7 of the European Social Survey », ESS Topline Results Series, vol. 7, 2016.
24 Commission nationale consultative des droits de l’homme, Rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Année 2017, 2018. En ligne : [https://www.cncdh.fr/sites/default/files/essentiels_du_rapport_racisme_2017_-_pour_impression_ok_1.pdf].
25 Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), Rapport sur l’islamophobie pendant l’année 2018, 2019. En ligne : [https://www.islamophobie.net/wp-content/uploads/2019/03/Rapport-CCIF-2019.pdf]. Il est regrettable que l’accès au travail précurseur de recensement des actes islamophobes du CCIF, qui a permis de documenter le phénomène en France, soit menacé après l’action du gouvernement dirigé par Jean Castex, qui a confirmé la dissolution de l’association pour des motifs politiques le 2 décembre 2020 en Conseil des ministres.
26 Office fédéral de la statistique (OFS), Vivre ensemble en Suisse, Neuchâtel, 2018. En ligne : [https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/migration-integration/vivre-ensemble-suisse.html].
27 J. Stolz, « Explaining Islamophobia. A test of four theories based on the case of Swiss city », art. cité.
28 Centre interfédéral pour l’égalité des chances (Unia), Refuser l’inertie. Rapport annuel 2017, Bruxelles, 2018. En ligne : [https://www.unia.be/files/Documenten/Jaarrapport/UNIA-rapport2017_FR-AS.pdf].
29 Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), Rapport 2016, 2017.
30 « Mais pour ceux qui aiment beaucoup parler de la Seconde Guerre mondiale, s’il s’agit de parler d’occupation, on pourrait en parler, pour le coup, parce que ça, c’est une occupation du territoire. C’est une occupation du territoire, des quartiers dans lesquels la loi religieuse s’applique, c’est une occupation. Certes il n’y a pas de blindés, il n’y a pas de soldats, mais c’est une occupation tout de même et elle pèse sur les habitants », propos de Marine Le Pen rapportés dans le Figaro, 2010 (pour les liens entre nouvelle laïcité, islamophobie et montée du FN, voir également le chapitre 5).
31 E. G. T. Green et O. Sarrasin, « Individual and contextual explanations of attitudes towards immigration », The Routledge Companion to Migration, Communication, and Politics, S. M. Croucher, J. Caetano et E. Campbell éd., Oxford, Routledge, 2019.
32 A. M. Ceobanu et X. Escandell, « Comparative analyses of public attitudes toward immigrants and immigration using multinational survey data. A review of theories and research », Annual Review of Sociology, vol. 36, 2010, p. 309-328 ; E. Davidov et al., « Values and support for immigration. A cross-country comparison », European Sociological Review, vol. 24, no 5, 2008, p. 583-599.
33 F. Pratto et al., « Social dominance orientation. A personality variable predicting social and political attitudes », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 67, 2004, p. 741-763.
34 A. Hajjat et M. Mohammed, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », ouvr. cité.
35 E. W. Said, « Orientalism reconsidered », Cultural Critique, vol. 1, 1985, p. 89-107 ; C. Allen, Islamophobia, ouvr. cité.
36 A. Hajjat et M. Mohammed, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », ouvr. cité.
37 P. Roux, L. Gianettoni et C. Perrin, « Féminisme et racisme. Une recherche exploratoire sur les fondements des divergences relatives au port du foulard », Nouvelles questions féministes, vol. 25, no 1, 2006, p. 84-106.
38 V. Purdie-Vaughns et R. P. Eibach, « Intersectional invisibility. The distinctive advantages and disadvantages of multiple subordinate-group identities », Sex Roles. A Journal of Research, vol. 59, 2008, p. 377-391 ; A. K. Sesko et M. Biernat, « Prototypes of race and gender. The invisibility of Black women », Journal of Experimental Social Psychology, vol. 46, no 2, 2010, p. 356-360.
39 Ce chiffre contredit les résultats décrits dans le chapitre 6, montrant que les musulmanes déclarent moins de discrimination (quel que soit le motif) que les musulmans. L’auteur du chapitre explique cette différence par le plus grand retrait des répondant.es de l’enquête des arènes usuelles de l’islamophobie (par exemple le monde du travail).
40 Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), Rapport sur l’islamophobie pendant l’année 2018, ouvr. cité.
41 Muslims Rights Watch Belgium, Islamophobie en Belgique francophone. Rapport annuel, Bruxelles, 2014.
42 M. Gianni, M. Giugni et N. Michel, Les musulmans en Suisse. Profils et intégration, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes (Savoir suisse), 2015.
43 C. Delphy, « Antisexisme ou antiracisme ? Un faux dilemme », Nouvelles questions féministes, vol. 25, no 1, 2006, p. 59-83.
44 F. Brion, « Des jeunes filles à sauver aux jeunes filles à mater : identité sociale et islamophobie », Voix et voies musulmanes de Belgique, U. Manço éd., Bruxelles, FUSL (Travaux et recherches : 43), 2000, p. 115-146 ; C. Delphy, « Antisexisme ou antiracisme ? Un faux dilemme », art. cité.
45 C. Hamel, « La sexualité entre sexisme et racisme : les descendantes de migrant.es du Maghreb et la virginité », Nouvelles questions féministes, vol. 25, no 1, 2006, p. 41-58 ; J. R. Bowen, Why the French Don’t Like Headscarves. Islam, the State, and Public Space, Princeton, Princeton University Press, 2007.
46 L. Abu-Lughod, Do Muslim Women Need Saving?, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2013 ; W. Wagner et al., « The veil and Muslim women’s identity. Cultural pressures and resistance to stereotyping », Culture & Psychology, vol. 18, no 4, 2012, p. 521-541.
47 S. R. Farris, In the Name of Women’s Rights. The Rise of Femonationalism, Durham, Duke University Press, 2017.
48 Ibid.
49 J. A. Selby, A. Barras et L. G. Beaman, Beyond Accommodation. Everyday Narratives of Muslim Canadians, Vancouver, UBC Press, 2018. À noter également que les études sur les formes genrées d’islamophobie se sont avant tout attelées à décrire le vécu des femmes musulmanes victimes de ces représentations, et non celui des hommes (des études se sont penchées sur les conséquences de l’islamophobie, par exemple en termes de radicalisation, mais elles ne portent pas sur les aspects spécifiquement genrés de la discrimination que les hommes subissent ; par contraste, Juliette Galonnier aborde dans le chapitre 5 le cas des convertis masculins).
50 É. Spitz, « Les stratégies de coping face à la violence au travail », Stress et Trauma, vol. 4, no 3, 2004, p. 155-162.
51 J. A. Selby, A. Barras et L. G. Beaman, Beyond Accommodation. Everyday Narratives of Muslim Canadians, ouvr. cité.
52 P. Tevanian, I. Chouder et M. Latreche, Les filles voilées parlent, Paris, La Fabrique, 2008.
53 Ibid., p. 254.
54 Collectif « Les foulards violets ». En ligne : [https://www.facebook.com/lesfoulardsviolets/].
55 N. Hopkins et R. M. Greenwood, « Hijab, visibility and the performance of identity », European Journal of Social Psychology, vol. 43, no 5, 2013, p. 438-447.
56 M. Chapman, « Veil as stigma. Exploring the role of representations in Muslim women’s management of threatened », Social Identity. Journal of Community & Applied Social Psychology, vol. 26, no 4, 2016, p. 354-366.
57 Ibid., p. 52.
58 P. Tevanian, I. Chouder et M. Latreche, Les filles voilées parlent, ouvr. cité.
59 E. Marzi, « Citoyennes et musulmanes. Le partage du religieux et du politique dans l’horizon de reconnaissance d’une association musulmane à Genève », La Suisse des mosquées. Derrière le voile de l’unité musulmane, C. Monnot éd., Genève, Labor et Fides, 2013.
60 Ibid., p. 177.
61 Ibid.
62 S. Mazouz, La République et ses autres. Politiques de l’altérité dans la France des années 2000, Lyon, ENS Éditions (Gouvernement en question(s)), 2017.
63 Z. Ali, Féminismes islamiques, Paris, La Fabrique, 2012 ; M. Gamper, Islamischer Feminismus in Deutschland. Religiosität, Identität und Gender in muslimischen Frauenvereinen (Islamic Feminism in Germany. Religiosity, Identity and Gender in Muslim Women Association), Bielefeld, Transcript, 2011.
Auteurs
Oriane Sarrasin est psychologue sociale, maîtresse assistante à l’Institut de psychologie de l’université de Lausanne. Ses recherches portent sur les antécédents individuels et contextuels des attitudes et comportements intergroupes. Dans cette veine, elle a notamment travaillé, lors de ses recherches doctorales, sur différentes formes de sexisme et de soutien à l’égalité de genre. Elle a ensuite pu approfondir son intérêt pour les inégalités de genre en codirigeant un ouvrage collectif sur la thématique : Gender and Social Hierarchies. Perspectives from Social Psychology (Routledge, 2015). En parallèle, elle a initié des recherches portant sur les facteurs façonnant les différentes formes de discrimination envers les communautés résultant de la diversité migrante, ethnique et culturelle. Ainsi, elle s’est notamment intéressée, à travers plusieurs études, sur les attitudes envers le port du voile en public.
Éléonore Lépinard est sociologue, professeure associée en études genre à l’Institut des sciences sociales de l’université de Lausanne. Ses travaux portent sur les mouvements et les théories féministes, l’intersectionnalité, la représentation politique des femmes et la régulation juridique des minorités. Son ouvrage Feminist Trouble (Oxford University Press, 2020) explore les reconfigurations du féminisme liées aux politiques de l’intersectionnalité. Ses recherches ont été publiées entre autres dans Gender & Society, Politics, Gender & Politics, American Behavioral Scientist, Constellations, la Revue française de science politique et Droit et societés. Elle a récemment codirigé trois ouvrages : Intersectionnalité. Enjeux théoriques et politiques (La Dispute, 2016, avec F. Fassa et M. Roca i Escoda), Transforming Gender Citizenship. The Irresistible Rise of Gender Quotas in Europe (Cambridge University Press, 2018, avec R. Rubio-Marin) et Intersectionality in Feminist and Queer Movments. Confronting Privileges (Routledge, 2020, avec E. Evans). Elle est aussi l’auteure de l’ouvrage Les théories en études de genre (La Découverte, 2020 avec M. Lieber).
Lavinia Gianettoni est psycholoque sociale, maîtresse d’enseignement et de recherche à l’Institut des sciences sociales de l’université de Lausanne. Ses travaux de recherche portent sur les inégalités sociales, notamment de genre, et les discriminations. Elle aborde ces questions dans une perspective d’imbrication des rapports de domination, tout en mobilisant en parallèle des concepts de la psychologie sociale. Elle a publié plusieurs articles dans des revues telles que Sex Roles, Nouvelles questions féministes et Revue suisse de sociologie sur la manière dont racisme et sexisme s’imbriquent pour déterminer les positionnements de la population autour de l’interdiction du port du voile.
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