Implicitation, tacitation et multimodalité en enseignement de sciences physiques : des implications sur la formation ?
p. 125-146
Texte intégral
1. Introduction : problématique, objectifs et plan du chapitre
1Au milieu de l’hégémonie verbale des études linguistiques des années 1980, un souci pour l’étude de l’action ne cesse de grandir dans les sciences humaines (par exemple, Austin 1991 [1955], Garfinkel et Sacks 1970, Bourdieu 1980). Ce virage praxéologique (Mondada 2004) et des travaux majeurs sur l’image (par exemple, Barthes 1964, Bertin 1973) ont attiré l’attention des linguistes sur ce qui, dans les interactions, n’est pas verbal mais signifie (par exemple, Cosnier et Brossard éd. 1984) : l’image, mais aussi les gestes, le ton, etc. On parle de modes de communication (Kress 2009). Pour autant, la multimodalité implique plus que de reconnaître l’existence de ces modes. C’est le dépassement d’une conception verbocentrique des interactions sociales (de Saint-Georges 2008). Une étude de la construction du sens ne devrait plus se contenter d’une prise en compte unique ou première de la langue, mais considérer la contribution de chaque mode comme un tout supérieur à la somme de ses parties. Pour certains, c’est un nouveau paradigme linguistique (Kress 2005). C’est au moins un champ à part entière, à la vue des innombrables recherches en appelant à la notion de multimodalité.
2Jay Lemke (1998) propose de distinguer deux grands ensembles de travaux : ceux qui œuvrent à l’analyse des pratiques liées à un mode en particulier – comme le geste (par exemple, McNeill 1992) ou l’image (par exemple, Kress et van Leeuwen 1996) – et ceux qui visent à décrire l’organisation in actu des différents modes dans les interactions (par exemple, Goodwin 2002). Nous situons notre étude dans ce second ensemble.
3Les contextes où se tiennent les pratiques interactionnelles permettent aussi de distinguer différents champs d’études de la multimodalité : lorsqu’ils concernent des échanges commerciaux (par exemple, Traverso 2008), conviviaux (par exemple, Chen 2015), professionnels (par exemple, Colòn de Carvajal 2010), ou pour le présent travail, l’enseignement ou la formation.
4Le succès de la multimodalité en éducation se relève par le nombre de recherches, mais aussi par les disciplines concernées : en mathématiques (par exemple, Jewitt 2003), en sciences physiques (par exemple, Bécu-Robinault et Lund 2012), en langue (par exemple, Blanc 2014), dans l’enseignement professionnel (par exemple, Filliettaz, de Saint-Georges et Duc 2010) ou dans l’enseignement à distance (par exemple, Develotte, Guichon et Kern 2008). Elle y sert autant l’étude des pratiques enseignantes (par exemple, Roth et Lawless 2002) que celle des apprentissages des élèves ; que cela soit pour en souligner les effets bénéfiques (par exemple, Tellier 2010) ou délétères (par exemple, de Saint-Georges 2008).
5Malgré ces nombreux travaux, à notre connaissance, très peu semblent s’être penchés sur des études comparatives qui questionneraient, ou ne serait-ce que décriraient, les pratiques multimodales de différents enseignants, exerçant au sein de différents contextes. Nous proposons de contribuer à cette réflexion en rendant compte d’une recherche sur l’enseignement des sciences physiques lors de l’introduction de savoirs relevant d’une partie commune des programmes avec des attendus proches (en l’occurrence sur la notion de force) au sein de trois sections d’enseignement : les sections professionnelle, générale et européenne (l’enseignement des sciences physiques y est prodigué en langue étrangère). Il s’agira de décrire les divergences et convergences des aspects multimodaux des pratiques de trois enseignants ; un pour chacune des sections.
6Sans bien sûr viser, avec trois enseignants, à établir des liens forts entre contextes et pratiques, les constats que cette étude permettra seront néanmoins suffisants pour être mis au service du traitement d’une problématique elle aussi émergeante (par exemple, Cadet et Tellier 2007, Blanc 2014) mais peu traitée : que peut-on transposer de ce que l’on apprend des pratiques multimodales de classe vers la formation des enseignants ?
7Pour ce faire, nous nous intéresserons aux productions multimodales relativement à quatre médias1 : le langage oral de l’enseignant, ses gestes, le tableau, ainsi que les objets qu’il met à disposition des élèves ou leur montre. Nous proposons une étude du langage oral à l’aide d’un cadre théorique spécifique (Maitre 2012). Nous décrirons d’abord ce cadre. Après une présentation des aspects méthodologiques de notre travail, nous analyserons les pratiques relatives aux quatre médias – le langage oral, les gestes, puis le tableau et les objets. Nous procéderons à une analyse comparative et synthétique des pratiques des trois enseignants. Nous discuterons enfin l’ensemble des observations à l’aune de la problématique de la formation des enseignants.
2. Étude du langage oral de l’enseignant
2.1. Termes clés et termes indices
8Charles Peirce (5.569 ou 5.473)2, John Austin (1991) ou Paul Grice (1979) ont rendu communément admise l’idée que la signification d’un mot ou d’une phrase est avant tout liée à son usage. Nos recherches (Maitre et al. 2011, Maitre 2012) étudient l’implication de cette idée dans la salle de classe : un même mot ou une même phrase de l’enseignant ne revêt pas systématiquement la même signification.
9Au sein de données recueillies auprès d’un enseignant de sciences physiques de seconde, nous avons constaté que lors des premières utilisations qu’il faisait en classe du terme mole (unité de quantité de matière en chimie), il souhaitait d’abord signifier aux élèves qu’une mole est un paquet d’atomes. Dans un deuxième temps, il souhaitait que les élèves comprennent, plus précisément, que c’est un paquet de 6,02 × 1023 atomes. Dans un troisième temps, il introduisait le fait qu’une mole pouvait être un paquet d’atomes, de molécules ou d’ions. À partir de ce point, en fonction des contextes, c’est à un, deux ou trois de ces aspects qu’il faisait référence lors de ses emplois du terme mole.
10Ce type de phénomène a attiré notre attention sur les pratiques orales de l’enseignant relatives à l’utilisation de termes qu’il considère centraux pour l’enseignement d’une notion donnée. Ces termes, nous les appellerons des termes clés. À leur égard, nous avons montré qu’il peut exister un lien fort entre l’évolution de ce que l’enseignant suppose que les élèves connaissent des termes clés (par exemple, celui de mole) et la présence, ou non, auprès d’eux d’autres termes dits indices. Les termes indices sont ceux que l’enseignant utilise pour éclairer la signification des termes clés (par exemple, paquet, 6,02 × 1023). Lorsque les enseignants supposent que leurs élèves n’ont pas une bonne connaissance de la signification du terme clé, ils l’accompagneraient de termes indices. A contrario, lorsqu’ils supposent que les élèves connaissent la signification du terme clé, ils produiraient le terme clé seul. Ces deux cas de figure ont ensemble constitué 80 % de 250 occurrences de termes clés, aléatoirement extraites de 20 heures d’enseignement réparties entre 13 enseignants (Maitre 2012). Ces deux cas de production de terme clé ont été distingués en tant que deux types de sémiose.
2.2. Deux sémioses : implicitation et tacitation
11Par sémiose, nous entendons3 « quelque chose (1) qui tient lieu pour quelqu’un (2) de quelque chose (3) » (Peirce, 2.228). Nous avons fait appel à cette notion en liant :
- « quelque chose (1) » au fondement de la sémiose (Peirce, 5.484), pour les termes clés – avec ou sans indice(s) – produits par l’enseignant ;
- « pour quelqu’un (2) » à l’interprétant de la sémiose (Peirce, 1.339), pour les idées que les termes de l’enseignant provoquent chez les élèves ;
- « quelque chose (3) » à l’objet de la sémiose (Peirce, 2.231), pour ce que l’enseignant a l’intention de signifier à son ou ses élèves au moment de la production des termes, en fonction de ce qu’il suppose être connu d’eux.
12Nous étudions le langage oral de l’enseignant. Nous ne nous intéressons donc pas à ce que les élèves comprennent. Dans notre modélisation sémiotique, nous laissons de côté l’interprétant. Nous distinguons donc les deux cas de figure (voir la section 2.1, « Termes clés et termes indices ») en tant qu’association d’un type de fondement à un type d’objet.
13D’une part, les fondements d’une sémiose produite par l’enseignant peuvent consister :
- type 1 : soit en une production du terme clé avec termes indices ;
- type 2 : soit en une production du terme clé seul.
14D’autre part, tels que nous avons pu les entendre verbalisés par des enseignants, les deux types d’objet respectivement associés sont :
- type 1 : « À ce moment-là de l’enseignement, je suppose (que les élèves connaissent X de ce terme clé mais) qu’ils n’en connaissent pas Y. À partir (de X et) de ce que je vais leur dire, je souhaite qu’ils comprennent Y » :
- type 2 : « À ce moment-là de l’enseignement, je pense qu’ils connaissent X, Y, Z, etc. de ce terme clé. À partir de X, Y, Z, etc. et de ce que je vais leur dire, je souhaite qu’ils comprennent X et/ou Y et/ou Z, etc. »
15Par conséquent, un premier ensemble d’occurrences de termes clés se caractérise par une intention de signifier, à l’aide d’un terme clé, un contenu supposé pas ou peu connu des élèves. C’est l’objet de la sémiose de type 1. Dans son discours, l’enseignant produit alors le terme clé avec un ou des termes indices. C’est le fondement de cette sémiose. Dans ce cas, les élèves doivent procéder à un travail interprétatif, ou une inférence de la signification du terme clé à partir des termes indices. La signification à laquelle on accède par inférence relève de l’implicite (Ducrot 1979, Kerbrat-Orecchioni 1986). Ce type de sémiose du terme clé a donc été appelé une implicitation.
16Un second ensemble de cas se caractérise par une intention de signifier, à l’aide d’un terme clé, un contenu supposé connu des élèves. C’est l’objet de la sémiose de type 2. Dans son discours, l’enseignant produit le terme clé seul. C’est le fondement de cette sémiose. Dans ce cas, la signification du terme clé ne peut être inférée. Elle est tue et doit donc être sue. Le terme tacite provenant du latin signifiant « taire », ce type de sémiose du terme clé a donc été appelé une tacitation.
17Un exemple de chacun de ces deux types de sémioses sera détaillé en section 4.1 lorsque nous aurons introduit des listes effectives de termes clés et indices pour clairement les illustrer.
18L’étude des implicitations et tacitations a pu être liée au déroulement de la classe (Maitre 2012) : changements d’interlocuteurs (classe entière, élève/binôme), avancée dans la séquence (de la mole à la masse molaire).
19Dans ce qui suit, nous étudierons donc ces deux types de sémioses pour nous en servir comme points de comparaison des pratiques orales d’enseignants de sciences physiques de différentes sections. Dans la perspective multimodale qui est la nôtre, il nous faudra aussi interroger la manière dont ces pratiques orales, et les éventuelles différences qu’elles portent, sont dépendantes et s’articulent (ou non) avec des contrastes dans les pratiques relatives aux autres modes. Dans l’un ou l’autre des cas, nous formulerons un certain nombre de conjectures pour en comprendre les raisons.
3. Aspects méthodologiques
3.1. Sujets et contexte
20Le présent travail empirique est permis grâce à la participation de trois enseignants de sciences physiques en classe de seconde : une enseignante de section professionnelle (madame G) ; un enseignant de section générale (monsieur U) ; et une enseignante de section européenne intervenant en anglais (madame K). Tous sont expérimentés (entre 15 et 30 ans de carrière). Madame G exerce dans un établissement professionnel en périphérie d’une grande ville. Monsieur U exerce dans un établissement général du centre d’une autre grande ville. Madame K exerce elle aussi dans un établissement général, proposant un parcours européen, en périphérie de la même ville que monsieur U. Madame G, titulaire d’un doctorat de biologie, a été titularisée sur poste en 1992 après quatre années de suppléance. Monsieur U et madame K sont certifiés en sciences physiques. Madame K dispose d’une certification supplémentaire pour enseigner en anglais.
21Nous nous sommes tourné vers des enseignants de même discipline et même niveau (la classe de seconde) dans le respect de nos visées comparatives. Le niveau a été choisi de par la richesse de son programme en notions nouvelles. L’enjeu porté par les productions linguistiques de l’enseignant en est d’autant plus fort. Après concertation avec les enseignants – logistique et thématique –, le choix de la séquence s’est porté sur celle consacrée à la notion de force.
3.2. Recueil des données
22Les trois enseignants ont été soumis à un même protocole. Lors d’un premier entretien, après les avoir interrogés sur leurs objectifs d’apprentissage pour la séquence choisie, nous leur avons demandé ce qu’étaient pour eux les termes importants à sa compréhension. C’est le recueil des termes clés. Pour chacun de ces termes, nous leur avons demandé ce qu’ils souhaitaient que les élèves en comprennent à l’issue de la séquence. Tous les termes – verbe, nom ou groupe nominal – utilisés par les enseignants pour répondre à cette question ont constitué les termes indices du terme clé concerné.
23Ensuite, nous avons procédé à l’observation et l’enregistrement filmique de l’intégralité de la séquence consacrée à la notion de force. À partir de ces enregistrements, nous avons effectué des transcriptions intégrales du discours de l’enseignant.
3.3. Description du corpus
24La composition du corpus obtenu est résumée dans le tableau 1. Les deux séquences des sections professionnelle et générale sont relativement similaires sur les plans de la durée et des types d’enseignement. La séquence de section européenne s’en distingue clairement.
Tableau 1. Description du corpus
Section | Enseignant | Durée entretien Pré-observation | Nombre de séances | Durée totale de la séquence |
Professionnelle (Pro) | Madame G | 00:30:24 | 10 (5 magistrales + 5 pratiques) | 08:38:31 |
Générale (Gle) | Monsieur U | 00:31:09 | 7 (5 magistrales + 2 pratiques) | 07:13:48 |
Européenne (Euro) | Madame K | 00:25:54 | 3 (magistrales) | 01:57:03 |
25En considération de la taille du corpus, la description de pratiques multimodales ne peut avoir ici lieu que sur des extraits. Nous en avons choisi un par séquence, avec le souci qu’ils soient, autant que possible, comparables entre eux. Les trois séquences répondent d’une organisation différente. Dès lors, la seule phase qu’il nous est apparu judicieux d’isoler est la partie introductive de ces séquences. Nous avons considéré que l’introduction de la séquence prenait fin à la première définition de la notion au centre de la séquence ; celle de force. Le temps des extraits est détaillé en tableau 2. Les différences de temps observées serviront l’analyse (voir la section 6).
Tableau 2. Durée des extraits des trois séquences à l’étude
Section | Enseignant | Durée |
Professionnelle | Madame G | 00:23:38 |
Générale | Monsieur U | 01:39:48 |
Européenne | Madame K | 00:13:39 |
26Pour tous les médias à l’étude, nous nous sommes assuré que les extraits rendaient compte de pratiques représentatives de la séquence. C’est le cas, sauf lorsqu’il sera fait mention du contraire.
4. Mode oral
4.1. Traitement
27Nous avons répertorié, pour chaque enseignant, les termes clés fournis lors des entretiens. Ceux de madame G et monsieur U sont en français et ceux de madame K, en anglais. À la vue de leur nombre (de 9 à 19 par enseignant, 42 au total), nous ne pouvons étudier la production de tous les termes clés. Pour mettre en perspective leur pratique, nous avons ciblé les termes clés en commun (après traduction). Il en existe un seul : celui de force. Même si la réduction est drastique, elle apparaît pertinente puisque c’est bien ce terme qui constitue l’enjeu d’apprentissage de la séquence.
Tableau 3. Liste agrégée des termes indices pour les trois enseignants
En français | En anglais |
Action | Action |
Direction | Direction |
Exercer | (to) Exert |
Flèche | Arrow |
Intensité | Magnitude |
Mécanique | Mecanic |
Modèle | Model |
Objet | Object |
Point d’application | Point of application |
Pousser | (to) Push |
Représenter | (to) Represent |
Sens | Direction |
Tirer | (to) Pull |
Vecteur | Vector |
28Pour le terme clé force, chaque enseignant nous a fourni des termes indices ; là encore en français pour madame G et monsieur U, et en anglais pour madame K. Pour une étude comparative des pratiques de ces trois enseignants, il s’agit bien de prendre en compte l’ensemble de ces termes indices dans les trois discours et d’en examiner la proximité avec le terme de force. Nous établissons alors une liste agrégée des termes indices, commune pour l’étude des trois séquences (voir tableau 3).
29Ainsi, pour comparer un aspect terminologique du discours oral des trois enseignants lors de la séquence consacrée aux forces (et d’un extrait en particulier), nous avons répertorié tous les usages de ce terme ; selon que celui-ci est utilisé avec un ou plusieurs termes indices (implicitation) ou sans terme indice (tacitation). Le terme clé force sera considéré comme accompagné de termes indices lorsque, dans un ordre indifférent, terme clé et terme(s) indice(s) se situent dans le même tour de parole sans être séparés par un autre terme clé. Sinon, son emploi sera jugé sans terme indice.
30Voici, issus du corpus, deux exemples d’usage du terme clé force (en gras) avec ou sans terme(s) indice(s) (soulignés) :
Une implicitation produite par monsieur U (terme clé et termes indices) : « donc regardez, on lit ensemble, on appelle alors simplement hein c’est- c’est- c’est un mot pour un autre, on appelle force exercée par A sur X l’action de A sur X le mot action on en fait, on modélise ça par une force en physique ».
Une tacitation produite par madame K (terme clé seul) : « ok, chu chu chut, in this document, you have to complete the answers, you have to describe the, the experiments you are going to do, you have to write your observation, and try to find, what kind of force you have ».
31Ce repérage de l’usage du terme clé force avec ou sans terme indice dans l’ensemble du corpus a été effectuée à l’aide du logiciel TXM (Heiden et al. 2010). Avec lui, nous avons aussi repéré l’ensemble des occurrences de termes indices. Ces résultats sont détaillés ci-après.
4.2. Résultats
32Si une comparaison est établie entre les enseignants, les tendances de production d’implicitation et de tacitation à l’échelle des séquences (respectivement 52 % / 48 % pour madame G, 49 % / 51 % pour monsieur U, et 27 % / 73 % pour madame K) sont respectées au niveau des extraits : madame G et monsieur U produisent plus d’implicitations que madame K qui, elle, produit nettement plus de tacitations (voir tableau 4).
33Dans une perspective multimodale, nous n’interpréterons pas ces résultats sur la modalité orale séparément de ceux relatifs aux autres modes. Nous détaillerons et interpréterons l’ensemble dans un même mouvement (voir la section 6). Ces premières informations sur le mode oral y seront, pour chaque enseignant, complétées par :
- la répartition des implicitations et tacitations dans le temps des extraits ;
- les termes indices utilisés ;
- l’évolution de leur rythme de production.
Tableau 4. Implicitations et tacitations du terme force dans les trois extraits
Section | Enseignant | Implicitations | Tacitations |
Professionnelle | Madame G | 13 | 9 |
Générale | Monsieur U | 17 | 3 |
Européenne | Madame K | 4 | 16 |
5. Mode gestuel
5.1. Traitement
34À l’aide des enregistrements vidéo, nous avons relevé tous les gestes produits par les enseignants lors des extraits. Nous les avons distingués selon les catégories définies par David McNeill (1992) :
- iconiques (i) : gestes ressemblant à un aspect physique de l’objet désigné ;
- métaphoriques (m) : gestes ressemblant à un aspect abstrait de l’objet désigné ;
- déictique (d) : gestes de pointage ;
- battements, ponctuations (b) : mouvements simples et rapides des mains.
5.2. Résultats
35Se trouve ci-dessous (voir tableau 5) le nombre absolu de gestes par catégories, et leur nombre rapporté à la minute pour les rendre comparables (en considération de la différence de durée des extraits ; voir la section 3.3).
Tableau 5. Occurrences absolue et par minute de chaque type de gestes produits par les enseignants lors des extraits
Section | Enseignant | Iconique (i) | Métaphorique (m) | Déictique (d) | Battement (b) | Total | |||||
Occ | ≈/min | Occ | ≈/min | Occ | ≈/min | Occ | ≈/min | Occ | ≈/min | ||
Professionnelle | Madame G | 4 | 0,1 | 3 | 0,1 | 28 | 1,2 | 1 | 0 | 36 | 1,5 |
Générale | Monsieur U | 64 | 0,7 | 57 | 0,6 | 99 | 1 | 179 | 1,8 | 399 | 4 |
Européenne | Madame K | 0 | 0 | 6 | 0,5 | 4 | 0,3 | 3 | 0,2 | 13 | 1 |
6. Tableau et objets : description et analyse des extraits
6.1. Madame G
6.1.1. Déroulement
36Du point de vue des contenus abordés, cet extrait de 23 minutes peut être découpé en quatre.
37Jusqu’à la cinquième minute, l’enseignante interroge les élèves à propos des effets de quatre actions menées par un personnage (il lance, réceptionne, tape et soulève). Elle ne produit aucune occurrence de force (hormis celle qui annonce le thème de la nouvelle séquence), aucun terme indice et très peu de gestes.
38Dans un second temps (entre les minutes 5 et 7), elle résume l’effet des quatre actions et produit soudain de nombreux termes indices : action, exercer, mécanique, et objet (environ 14 à la minute). Elle produit aussi de multiples pointages vers le tableau.
39Jusqu’à la vingtième minute (19 min 30), l’enseignante s’attache ensuite à présenter les différents types d’action (action à distance, de contact, répartie, ponctuelle). On observe, dans le discours, l’entrée du terme clé force (8 fois entre 7 min 30 et 19 min 30) utilisé alors en synonyme de action. La faible utilisation de termes indices (3 par minute ; flèche en plus des précédents) implique alors une majorité de tacitations (7 sur 8). Les gestes restent présents pour pointer, et quelques fois pour représenter (iconiques et métaphoriques).
40À partir de la vingtième minute, l’enseignante résume, à l’oral et à l’aide d’un schéma, les différents types d’actions. Nous observons une augmentation du nombre d’occurrences des termes indices (6 par minute ; les précédents et point d’application) et de pointages vers le schéma. Enfin, madame G définit la notion de force à partir de celle d’action : « On appellera force de A sur B, l’action mécanique exercée par A sur B. » Les gestes et les termes indices sont nombreux ; d’où la grande majorité d’implicitations du terme force.
41Cet extrait est rythmé par l’utilisation de diapositives projetées au tableau. Très structurées, avec une apparition point par point, ces diapositives marquent la progression du propos de l’enseignante. Elles contiennent de l’écrit (du langage naturel et des notations mathématiques), des illustrations dessinées et schématisées. Ces représentations sont souvent prototypiques et comportent des onomatopées, ou d’autres ajouts illustratifs ; du mouvement notamment (pour exemple, voir fig. 1 et 2).
42Aucun objet n’est utilisé lors de l’extrait.
Figure 1

Figure 2

6.1.2. Analyse
43Lors de l’entretien qui précède les observations, madame G fait part d’une pratique dictée par les difficultés et l’intérêt limité de ses élèves pour les sciences (en formation dans le secteur social). Le choix revendiqué d’éviter toute démarche d’investigation et de préférer un diaporama guidant le propos fait écho à cette volonté. Dans ce diaporama, la présence d’images illustratives porteuses d’indices peut ainsi être interprétée comme une démarche facilitatrice. On n’en relève pas moins une confrontation directe au contenu : il est fait usage de schémas formels et de notations mathématiques. On constate aussi une introduction contrôlée des termes indices (exercer, action, mécanique, objet, etc.), avant celui de force. D’abord tacitement synonyme d’action, il est défini à l’aide de ce même terme et viennent ainsi les implicitations. Avec un propos porté par un support visuel contenant un grand nombre d’illustrations et la volonté de ne pas inciter les élèves à réaliser des investigations, l’enseignante témoigne que les objets disposaient, dans ce cadre, d’une plus-value limitée. Enfin, les gestes semblent appelés par le diaporama. Ils ne signifient pas des propriétés des objets. Ils pointent directement les diapositives où sont représentés les objets.
6.2. Monsieur U
6.2.1. Déroulement
44Les 98 minutes de l’extrait pourraient être découpées en deux parties très inégales : 95 minutes consacrées à la notion d’interaction, 3 minutes consacrées à la définition de force.
45Dans le temps consacré aux interactions, se tient une alternance de moments de travail en binôme et en classe entière. L’enseignant veut mener les élèves au constat de l’insuffisance du modèle des interactions pour décrire les mouvements. Des situations sont mises à l’étude : quelles sont les interactions entre une pierre et un élastique attachés à une potence ? Entre une moto et son conducteur ? Un médecine-ball et les mains des élèves ? Comment les représente-t‑on ? Les termes indices (action, exercer, flèche, intensité, modèle, objet, physique, pousser, représenter, sens) sont utilisés à un rythme moyen de 2 par minute. Le terme clé force est utilisé 12 fois : 9 fois sous forme d’implicitations par l’usage du terme indice exercer (« une force [est] exercée par… sur… »), dont 8 fois lors de questions. Ce faisant, monsieur U produit un grand nombre de gestes (voir tableau 5) ; 50 % sont des battements. Comparativement à madame G, il produit aussi 6 fois plus de gestes iconiques et métaphoriques.
46Pour combler les insuffisances du modèle des interactions, l’enseignant définit la notion de force aux élèves. Lors d’un long tour de parole, il produit 8 implicitations (sur 8 occurrences) du terme force à l’aide d’une augmentation d’usage de termes indices (6 par minute ; action, exercer, flèche, modèle, objet, physique, représenter). Les gestes deviennent principalement déictiques, en pointant un grand nombre de fois les schémas au tableau.
47Monsieur U a une utilisation mixte du tableau. Il mêle un usage traditionnel (écriture et dessins au stylo) à des projections, sur lesquelles il écrit. À l’aide d’écriture, de schémas, et de photos, le tableau semble alors illustrer, accompagner, mais non porter l’organisation de son propos (comme c’était le cas pour les projections de madame G).
48On relèvera l’appel à deux objets lors de l’extrait. Les élèves disposent d’une potence avec une pierre et un élastique, comme support à leur réflexion en binôme. Entre les minutes 90 et 95, l’enseignant provoque un échange de lancers de médecine-ball avec un élève, devant la classe. Il s’agit de convaincre que, de par son poids, sa vitesse lors de la réception ne tombe pas à zéro immédiatement.
6.2.2. Analyse
49Monsieur U traite les forces à l’aide de démarches d’investigations. Le temps long qui sépare le début de la séquence et la première définition du terme clé force est laissé aux élèves pour chercher et construire les réponses aux questions : qu’est-ce qu’il se passe pour cette pierre et cet élastique ? Pour ce médecine-ball ? Et pourquoi ? Les élèves disposent d’objets pour expérimenter, pour échanger en binôme et en classe entière. Ce faisant, une place massive est donnée aux interactions orales spontanées. L’enseignant gère ainsi l’introduction des termes indices : un champ lexical d’abord (action, exercer, mécanique, modèle, objet, etc.), puis le mot clé force qui sera massivement introduit par des implicitations et des questions. Les interactions orales s’accompagnent d’une production importante de gestes. Au-delà de ceux de battements – peu conscients (McNeill 1992) –, on observe des indices iconiques et métaphoriques ; autant d’aides hic et nunc aux élèves pour saisir la part invisible des phénomènes relatifs aux forces. Mais aucun indice (de vitesse ou de mouvement) ne se trouve sur les supports imagés. L’enseignant privilégie les photos et les schémas formels et conventionnels. Une démarche d’investigation liée à une telle pratique multimodale témoigne de la confiance de monsieur U envers ses élèves pour accéder au sens des situations abordées, comme il nous le confirme lors de l’entretien que nous avons avec lui.
6.3. Madame K
6.3.1. Déroulé
50L’extrait de madame K, de 14 minutes, peut être découpé en trois temps : 1 minute de consigne, 8 minutes consacrées à la tenue en binôme d’une activité introductive de la séquence, et 4 minutes de mise en commun. À l’aide de papiers découpés, l’activité consiste à associer des termes (force puis, electrical, gravitationnal, magnetic, contact et action-at-a-distance force) avec une définition et une image (voir fig. 3 et 4).
51Elle produit d’abord une tacitation du terme force lorsqu’elle annonce le thème de la nouvelle séquence avant de donner la consigne de la tâche.
52Bien que l’enseignante ait des échanges avec les élèves pendant le temps de travail en binôme, les termes indices n’apparaissent dans son discours qu’à partir de la mise en commun (au rythme de 4 par minute) : arrow, exert, object, push, pull, represent. Nous relevons l’absence des termes indices action, mécanique et modèle.
53Le terme clé force est alors utilisé 6 fois par tacitation tout au long du temps en binôme et même lors des deux premiers items corrigés (gravitational et magnetic force). La notion n’est pourtant pas introduite auparavant. L’enseignante remarque alors à voix haute qu’elle aurait dû commencer par là. Elle corrige l’item force, produit 4 implicitations, puis les tacitations – au nombre de 9 – reprennent immédiatement après.
54Madame K produit peu de gestes. Deux gestes déictiques en classe entière montrent les étiquettes qu’elle va distribuer. En binôme, elle montre des étiquettes pour interroger si telle force va bien avec telle image. Des gestes métaphoriques viennent cependant en soutien de points de vocabulaire. Par exemple, les mains de l’enseignante se rejoignent lorsqu’elle utilise le terme to match.
*
55L’utilisation du tableau est mixte. Elle s’en sert de support traditionnel d’écriture ainsi que pour de la projection numérique. Elle affiche des images, et un formulaire qu’elle remplit, par ordinateur, pour soutenir la correction de la tâche. Les images utilisées sont de caractère prototypique et contiennent des indications, notamment de mouvements (voir fig. 3).
56Aucun objet n’intervient dans l’extrait. Sur les modes observés, c’est d’ailleurs la seule incongruence notable entre les extraits et les séquences. La séquence de madame K est ailleurs marquée par un usage important d’objets. Ceux-ci étant fournis aux binômes, les élèves procéderont à plusieurs expériences pour les autres activités de la séquence.
6.3.2. Analyse
Figure 3 et 4

57La section européenne intègre des enseignements de physique en français et en anglais. Mais l’organisation de ce qui est vu dans une langue ou l’autre n’est pas déterminée institutionnellement (ministère de l’Éducation nationale, 1992) et les choix sont locaux. Madame K n’intervient dans cette classe qu’en anglais, mais elle sait que la notion de force n’a pas encore été traitée en français. À ses yeux, cela importe peu. Se conformant aux attentes du baccalauréat, madame K encourage ses élèves à parler de sujets inconnus. Ses objectifs sont d’abord linguistiques. Cela s’illustre par la faible présence d’implicitations du terme force, qui plus est sans l’aide des termes indices en appelant à son sens mécanique : action, mécanique et modèle. En fait, madame K n’aborde pas les forces par le plan mécanique, mais à l’aide d’un vocabulaire proche du français (electric, magnetic, gravitational, etc.), qui réduit les risques d’incompréhension et facilite d’autant la pratique de l’anglais. De même, l’usage de dessins indicés et de gestes majoritairement métaphoriques facilite la compréhension (to match, push, pull, etc.). Enfin, bien qu’absents dans les extraits, les objets sont aussi des prétextes au dialogue. Les élèves échangent même sur des expériences qui ne mènent à aucune correction en termes de sciences physiques. Au milieu de tant d’interactions orales spontanées, un tableau support d’une projection prédéterminée n’aurait que peu de sens. Il trouve sa place comme soutien du propos.
7. Analyse comparative des pratiques multimodales de madame G, monsieur U et madame K
Tableau 6. Synthèse des pratiques multimodales au sein des séquences de madame G, monsieur U et madame K4
Section | Enseignant | Oral | Tableau | Images | Gestes | Objets | ||
Quantité | Type | Quantité | Pour | |||||
Professionnelle | Mme G | I ≈ T | Cadre | Dessin indicé Schéma | Peu | d | Aucun | |
Générale | M. U | I ≈ T (I > T) | Illustre | Photo Schéma | Bcp | i, m et b | Bcp | Chercher |
Européenne | Mme K | I << T | Illustre | Dessin indicé | Peu | m | Bcp (Aucun) | Dialoguer |
58La présentation des extraits nous permet de synthétiser les pratiques multimodales des trois séquences (voir tableau 6).
59Il est saisissant de constater la cohérence de l’intégration de chaque mode et média dans une pratique multimodale d’ensemble, étant donné les contraintes de chacun. Le diaporama de madame G réduit les besoins d’objets et d’interactions. Les difficultés des élèves expliquent l’appel à un tel support d’une part, ainsi qu’à son contenu imagé d’autre part, sur lequel les gestes attireront l’attention par pointage. Oralement, les termes importants n’en sont pas moins soigneusement introduits. La démarche d’investigation menée par monsieur U, possible auprès de ses élèves autonomes, incite à l’usage d’objets, à l’utilisation de supports peu indicés – c’est aux élèves de trouver – et à beaucoup d’interactions orales, qui laissent alors la possibilité d’une production importante de gestes. Enfin, puisque son souci premier est le dialogue, madame K multiplie les situations d’interactions autour de différents supports que les élèves peuvent manipuler : étiquettes ou objets. La langue étrangère explique alors aisément les aides gestuelles et imagées. Le contenu devenant un prétexte, l’usage des termes clés et indices est soumis à moins de contraintes que dans le cas de madame G ou monsieur U.
60Ainsi, les pratiques multimodales de ces enseignants sont intimement liées aux objectifs qu’ils déclarent et/ou à ce qu’ils savent de leurs élèves. Ici, nous pouvons seulement formuler l’hypothèse que ces éléments sont au moins en partie corrélés aux sections dans lesquelles ils exercent (l’intérêt limité pour la physique d’élèves se destinant à des carrières sociales, la langue étrangère de la section européenne). Sans pouvoir faire plus que le supposer, nous pouvons au moins soutenir que ces pratiques dépendent de l’expérience de leur contexte d’exercice dans son ensemble – dont la section d’enseignement n’est qu’un aspect – que dépendent ces pratiques. La question est alors de savoir si cette expérience pourrait faire l’objet d’une transposition et ainsi bénéficier aux (futurs) enseignants.
8. Discussion : multimodalité et formation des enseignants
61Former, ce peut être informer. Il est aisé d’envisager que les enseignants puissent être sensibilisés à l’intrication des modes de communication. De plus en plus de recherches en éducation produisent des résultats saillants sur l’impact des pratiques multimodales sur l’apprentissage. Karine Bécu-Robinault et Kriss Lund (2012) montrent que la connaissance de la suite de sa séquence incite l’enseignant à produire, sur un mode ou sur un autre, des informations préparant ce qui suivra. Dans l’impossibilité de faire sens de ces informations anticipées, les élèves demeurent sensibles à l’encombrement qu’elles produisent. Leur compréhension de ce qui est dit ici et maintenant en est plus difficile. Ingrid de Saint-Georges (2008), lors de ses observations en atelier d’électricité, s’aperçoit que les titres de diapositives (dont le contenu apparaît pas à pas) créent des effets d’annonce parfois contre-productifs pour la compréhension de ce qui suit. Nos résultats, quant à eux, montrent que le support PowerPoint suscite d’autres pratiques, à la fois multimodales – par exemple, les gestes déictiques plutôt qu’iconiques ou métaphoriques – et didactiques – par exemple, le fonctionnement magistral plutôt que la démarche d’investigation. « Ce serait une question empirique que de s’interroger sur les effets de cette modalité particulière d’enseignement [le PowerPoint] sur l’appropriation des savoirs » (ibid., p. 150). Dans un autre contexte, Mireille Baurens, Nathalie Blanc et Peter Griggs (2006) ont montré que les aspects non verbaux (gestualité et action) et paralinguistiques (le ton) peuvent être de véritables outils de médiation. Ils favorisent l’organisation des activités d’enseignement (tels les gestes déictiques pour désigner les tours de parole) ainsi que l’accès aux référents d’une langue étrangère (par exemple, à l’aide des gestes métaphoriques) ; ce que nos résultats – en l’occurrence les gestes de madame K – laissent aussi supposer. Ce ne sont là que quelques exemples d’une liste longue d’études pouvant contribuer à l’information des futurs enseignants sur les pratiques multimodales.
62Former, ce pourrait être aussi entraîner. Il conviendrait alors de s’interroger, en premier lieu, sur la possibilité d’entraîner à ces pratiques plus ou moins conscientes, telles que celles relatives aux gestes (McNeill 1992). À cet égard, de premières expérimentations tendraient à la confirmer (Hostetter et al. 2006). La possibilité de faire évoluer les pratiques de l’écrit en classe paraîtrait en revanche plus difficile (ibid.). Admettons que la modification des pratiques soit possible – s’en assurer demanderait déjà un certain travail : entraîner signifierait déjà savoir qu’elles seraient souhaitables. Or, on imagine aisément – et nos résultats vont dans ce sens – qu’il soit difficile de définir ce que serait une bonne pratique. Celle-ci dépend nécessairement des aspects contextuels de l’enseignement. Pour une même discipline et un même contenu, trois enseignants expérimentés ont fait preuve de trois types de pratiques extrêmement différents. Envisager de proposer de bonnes pratiques multimodales demanderait d’avoir une idée précise de ce qu’elles seraient et de leurs effets en fonction de tout un ensemble de variables, que les trois exemples précédents n’épuisent certainement pas. Déjà faudrait-il disposer d’un moyen fiable d’évaluer de manière systématique l’effet des différentes pratiques (par exemple, quant à l’utilisation d’un support PowerPoint). En l’absence de tels résultats, il semble prématuré d’envisager une formation à la multimodalité, si l’on entend par là un entraînement.
63Ainsi, nous disposerions aujourd’hui plutôt de données pour sensibiliser les futurs enseignants à ces phénomènes, et à leurs éventuels effets sur les apprentissages. Nous en disposons d’autant plus que la question des phénomènes sémiotiques, portés par ce que l’on a appelé ici différents modes, préexiste au champ labélisé de la multimodalité. Les travaux de Gérard Vergnaud (1990) puis ceux de Raymond Duval (1996) ont montré à quel point l’implication de multiples registres de représentations – pouvant être portés par différents modes – et les phénomènes de conversions qu’ils suscitent sont centraux dans la conceptualisation des objets d’apprentissage. Plus récemment, toujours sans mention directe à la multimodalité, Gérard Sensevy (2011) a aussi contribué à l’étude des phénomènes sémiotiques se tenant sur plusieurs modes dans la salle de classe. Ainsi, plus largement qu’à la multimodalité – en tant que champ de recherche –, c’est en fait une (in)formation des enseignants à l’ensemble de la problématique de la signification que l’on pourrait envisager de systématiser.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 À l’instar de Gunther Kress et ses collaborateurs (2001), nous distinguons le média – support matériel de l’interaction (voix, film, image, objet, etc.) – et le mode qui est « la ressource pour faire sens » (Kress 2009). Un média – par exemple, une image – peut contenir des expressions sur différents modes – une photo et de l’écrit.
2 Nous citons les travaux de Peirce par les numéros de volume et de paragraphe des Collected Papers présentés par Paul Weiss et Charles Hartshorne. Les traductions en français sont issues de Écrits sur le signe publié par Gérard Deledalle et cité sous la référence Peirce (1978).
3 Dans cette citation, les chiffres entre parenthèses sont notre ajout.
4 Sont inscrits en gras les constats qui diffèrent entre séquence et extraits avec entre parenthèses l’observation faite dans l’extrait.
Auteur
Centre de soutien à l’enseignement, Université de Lausanne
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