Chapitre 1
L’École normale, le Conseil de l’éducation et la transmission d’un modèle professionnel progressiste
p. 29-69
Texte intégral
1Dans les années 1890, Chicago, comme d’autres villes du pays, n’est pas épargnée par les critiques à l’encontre de ses enseignants. Une étude des différents systèmes scolaires états-uniens publiée par le journaliste Joseph Mayer Rice entre 1892 et 1893 conclut que le faible niveau des écoles publiques de la ville s’explique surtout par le manque de « formation professionnelle » des enseignants et leur usage de méthodes « mécaniques, datées et absurdes », reposant sur la répétition et l’apprentissage par cœur des leçons. Lors de sa visite, Chicago dispose depuis peu d’une classe préparatoire dans un établissement de la ville qui accueille pendant quelques mois les diplômés de lycée qui se destinent à l’enseignement élémentaire. La plupart des enseignants des écoles publiques ont été recrutés sur simple examen, mis en place à la fin des années 1870 par le Conseil de l’éducation en charge de l’administration du système scolaire public de la ville, mais peuvent suivre des séminaires de pédagogie organisés ponctuellement pour tenter de pallier leur manque de formation initiale et faire évoluer leurs pratiques. Se côtoient donc, dans les écoles élémentaires publiques, des enseignants aux connaissances et aux compétences diverses, que Rice juge dans tous les cas insuffisants dans un contexte de développement des sciences de l’éducation et d’élaboration de nouvelles théories pédagogiques. Pour améliorer leur qualité, il préconise la mise en place d’un système « scientifique » où chaque enseignant « doit faire son maximum pour adapter ses méthodes au goût du jour » et l’ouverture d’un centre de formation (training school) afin de transmettre de nouvelles théories et pratiques pédagogiques aux futures recrues1.
2Ces arguments en faveur de la formation des enseignants, en particulier des écoles élémentaires, celle de leurs collègues de lycée étant généralement assurée par l’enseignement supérieur, trouvent un écho au sein de l’Association nationale pour l’éducation (National Education Association), alors une société savante réunissant des pédagogues, des directeurs d’institutions scolaires et universitaires, des surintendants des écoles et des professeurs d’université. Dans deux rapports publiés en 1895 et 1899, ses membres préconisent l’étude de la philosophie des méthodes éducatives pour rendre « un homme né pour enseigner apte à son travail » et tentent d’établir un modèle institutionnel de formation initiale pour remplacer les séminaires ponctuels destinés aux enseignants déjà en exercice. Ils soutiennent également l’ouverture et le maintien d’écoles normales à travers le pays, financées par les États ou les municipalités, pour uniformiser et améliorer les connaissances et les méthodes des enseignants, et ainsi favoriser leur développement professionnel2.
3Le surintendant des écoles de Chicago, Albert G. Lane, président de l’Association nationale pour l’éducation lors de la parution des critiques de Rice et coauteur du rapport de 1895, formule logiquement des préconisations similaires à l’échelle locale. Une ville du rayonnement de Chicago, qui vient d’accueillir l’Exposition universelle où ont été présentées au reste du monde les preuves de sa modernité, ne peut se satisfaire d’enseignants non qualifiés et doit affirmer son élan progressiste en ouvrant une école normale qui formerait de façon uniforme et scientifique des personnels compétents et professionnels. Lorsque le Conseil de l’éducation de Chicago examine la possibilité de reprendre la gestion de l’École normale du comté de Cook, auquel Chicago appartient, pour en faire une institution municipale fin 1895, il apporte son soutien à un projet qu’il juge indispensable3.
4Si des programmes publics de formation initiale pour améliorer les savoirs et savoir-faire des enseignants sont déjà disponibles dans des villes comme New York ou Boston et dans quarante-trois des quarante-cinq États du pays qui financent une école normale municipale ou étatique, ils rencontrent à Chicago l’opposition d’une partie de la population4. Dans un courrier au Chicago Tribune publié le 15 décembre 1895, un lecteur déclare qu’il lui paraît inadmissible d’« entretenir le luxe manifeste d’une école normale », véritable « fardeau » financier, alors que la ville est incapable de fournir des écoles décentes à ses écoliers5. Le contraste entre l’indignation de l’auteur de la lettre et l’enthousiasme du surintendant Lane traduit les multiples tensions auxquelles la métropole du Midwest, comme d’autres centres urbains états-uniens, est alors confrontée en matière d’enseignement. Avec l’explosion démographique de la ville et l’évolution des lois sur la scolarisation et le travail des enfants, le nombre d’écoliers quadruple en vingt ans, provoquant une augmentation substantielle du nombre d’enseignants de 898 en 1880 à 5 885 en 1900. Malgré la hausse considérable des dépenses consacrées au système scolaire de un million de dollars en 1890 à presque dix millions en 1900, le nombre de bâtiments et de places dans les écoles reste insuffisant : en 1896, 202 231 places sont comptabilisées pour 213 825 enfants. À ce manque de locaux s’ajoutent de trop faibles recettes, qui résultent à la fois de la location à perte de propriétés du Conseil de l’éducation à de nombreuses entreprises privées et d’un refus de la municipalité d’augmenter les impôts destinés à financer le système scolaire6.
5Au-delà des contraintes budgétaires et structurelles, l’ouverture d’une école normale semble un « luxe » au vu de la composition sociologique du groupe enseignant. En 1900, les femmes représentent 74,5 % d’une profession qu’elles quittent généralement sitôt mariées. À Chicago, près de 90 % des enseignantes sont célibataires7. Leur emploi potentiellement éphémère s’accorde mal avec un investissement de temps et d’argent de la part de gestionnaires et de citoyens qui envisagent toujours ce travail comme une vocation féminine. Le xixe siècle a, en effet, établi l’enseignement comme la « vraie » profession des jeunes femmes. La demande considérable en instituteurs lors du développement des écoles communes (common schools) conduit les autorités à contenir les coûts en employant une main-d’œuvre féminine nombreuse et plus économique, et la rhétorique de figures réformatrices influentes, comme Horace Mann ou Catharine Beecher, pose la femme en enseignante « née », capable d’élever et d’éduquer aussi bien ses propres enfants que ceux de la nation8. L’analogie entre enseignement et maternité exclut donc un éventuel besoin de formation.
6Ces arguments économiques et essentialistes ne suffisent pas à faire échouer le projet de rattachement de l’École normale du comté de Cook à la municipalité et son intégration au système scolaire public de la ville. Le 19 janvier 1896, le Conseil de l’éducation de Chicago vote l’ouverture d’un programme de formation mixte d’une année pour les diplômés des lycées de la ville, afin de préparer les enseignants à se familiariser avec les contenus des programmes scolaires, puis à les maîtriser, à enseigner des leçons-types et à remplir leur rôle de modèle au service du système scolaire et de la société américaine. Néanmoins, ces tensions entre ambitions de développement et d’uniformisation de la formation initiale d’une part et impératifs structurels et budgétaires d’autre part rappellent que les initiatives progressistes destinées à professionnaliser le métier d’enseignant ne font alors pas nécessairement consensus au sein de la population.
7Ce chapitre propose d’explorer l’évolution de ces tensions en retraçant l’histoire peu connue de l’École normale de Chicago de son ouverture en 1896 à sa transformation éphémère en institution de type universitaire en 19389. Il examine cette chronologie non pas du seul point de vue institutionnel, mais, comme le préconise l’historien Robert Church, en lien avec l’environnement dans lequel l’institution fut créée, puis maintenue, pour donner à voir l’envergure des programmes de formation des enseignants à Chicago, ainsi que la complexité des modèles professionnels envisagés10.
8La prise en compte des liens financiers et administratifs entre l’École normale et le Conseil de l’éducation rend en effet possible la mise au jour de l’évolution et du positionnement complexes de cette institution au sein de l’organisation scolaire locale durant le premier tiers du xxe siècle. Tandis que, à Chicago comme ailleurs dans le pays, certains pédagogues font donc du développement des écoles normales et de l’élargissement de leur influence sur les systèmes scolaires qu’elles servent un élément important de la professionnalisation du métier d’enseignant, ils se heurtent ici régulièrement aux décisions de l’administration de tutelle qui conditionnent l’expansion et le rayonnement de l’institution. Elle connaît ainsi un va-et-vient entre progression et régression, entre centralité et isolement, qui contraste avec l’analyse généralement progressiste de l’évolution des écoles normales états-uniennes11. Le recours à une étude institutionnelle en contexte, et non isolée, permet également d’affiner le portrait des modèles professionnels proposés aux futurs enseignants de Chicago à cette période. La nécessité pour les directeurs de l’École de s’accommoder, petit à petit, des attentes de l’administration centrale pour pérenniser l’institution n’empêche pas la persistance d’une certaine indépendance intellectuelle, grâce à laquelle ils transmettent aux futurs enseignants un modèle professionnel mélangeant savoir, savoir-faire et savoir-être, au contenu moins prescriptif et plus qualitatif que celui attendu par le Conseil de l’éducation.
9En portant l’analyse sur la sphère préprofessionnelle, ce chapitre dévoile le rôle remarquable de l’École normale dans le projet de professionnalisation du métier d’enseignant à Chicago dans les années 1890-1930. Les directeurs de l’institution œuvrent, avec plus ou moins de succès, et au même titre que leur administration de tutelle ou que les organisations syndicales ou professionnelles enseignantes locales, à l’élaboration et à l’évolution de la formation initiale d’un point de vue à la fois institutionnel et intellectuel.
Faire de l’École normale de Chicago un centre de formation incontournable
10Dans un entretien publié au lendemain de la décision du Conseil de l’éducation de rattacher l’École normale du comté de Cook qu’il dirige à la municipalité de Chicago, Francis W. Parker prédit le futur essor de l’institution12. Avec le surintendant Lane, il fait partie de ceux qui réclament déjà l’allongement du programme d’études de un à deux ans pour améliorer les connaissances et les compétences des enseignants et pour mieux répondre aux besoins de l’enfant et de la nation états-unienne. Parce qu’il possède un rôle de « garant de la société » et prend en charge le développement des futurs citoyens, l’enseignant doit recevoir une formation professionnelle accrue, alliant acquisition de savoirs théoriques et travail d’observation et de pratique dans une école-modèle. Son successeur à la tête de l’École normale, Arnold Tompkins, évoque également l’intérêt des enfants d’être mis au contact d’enseignants ayant acquis connaissances et savoir-faire lorsqu’il demande l’allongement de la formation à trois années. La promotion d’un modèle de formation incluant plusieurs années d’études supérieures permet, par ailleurs, de rapprocher l’enseignement d’autres professions, comme avocat ou médecin13.
11Parker anticipe également l’ajout de nombreux départements d’études, en complément de celui consacré à l’enseignement élémentaire. À une période où les systèmes scolaires états-uniens s’enrichissent de classes de maternelle, d’établissements secondaires, de nouvelles matières et de cursus différenciés avec l’ouverture de filières générales, techniques et commerciales, il envisage, comme nombre de ses collègues états-uniens, l’élargissement des programmes de formation dispensés dans les écoles normales aux enseignants de maternelle et de lycée, ainsi qu’aux professeurs de musique, de travaux manuels ou d’éducation physique. Les efforts pour améliorer la qualité de l’enseignement grâce à la préparation professionnelle ne se limiteraient alors pas aux seuls instituteurs des écoles élémentaires publiques de la ville14.
12Évoquée dès 1896 par Parker, puis reprise par ses différents successeurs, l’ambition de développer l’institution pour en faire un centre de formation complet et professionnel dans le contexte progressiste d’amélioration de la qualité des enseignants peine cependant à se réaliser pleinement. L’évolution de ses programmes et la croissance de ses effectifs s’effectuent, tout d’abord, de manière plus lente et irrégulière que prévu. Si le Conseil de l’éducation autorise dès 1899 l’allongement du temps de formation de un à deux ans réclamé par Albert G. Lane et Francis W. Parker, il tarde à suivre les recommandations des directeurs suivants et des principales associations éducatives états-uniennes d’ajouter une, voire deux années d’études supplémentaires pour offrir une formation d’une valeur et d’une durée comparables au modèle universitaire. Alors que les trois principales écoles normales financées par l’État de l’Illinois suivent cette orientation dès les années 1910, ce n’est qu’en 1926 que la préparation à l’enseignement élémentaire est étalée sur trois ans à Chicago, puis en 1938 qu’elle passe, brièvement toutefois, aux quatre années équivalentes à un diplôme d’études supérieures15.
13Dans sa gestion de l’allongement du programme de formation, le Conseil de l’éducation est moins préoccupé par des ambitions professionnelles que par des impératifs structurels. Bien que le nombre d’instituteurs ne cesse de grossir pour répondre à l’augmentation constante des effectifs scolaires, l’administration centrale est confrontée à des difficultés récurrentes de gestion de l’offre et de la demande dans les écoles élémentaires16. Elle fait état de périodes d’excédent en enseignants entre 1896 et 1902, 1909 et 1910, dans les années 1920, puis entre 1929 et 1933, qui résultent souvent de l’arrivée d’un nombre de diplômés de l’École normale important ou supérieur aux besoins des écoles publiques de la ville qui doivent les accueillir. Alors que le Conseil est censé leur garantir un emploi à l’issue de la formation, certains restent ainsi sans affectation, ni salaire. Par l’allongement du temps de préparation, il espère, en 1899 comme en 1926, repousser l’arrivée de jeunes recrues sur le marché17.
14La fluctuation des besoins en personnel influence également sa gestion du nombre de candidats admis à l’École normale. Les surplus conduisent à l’adoption temporaire de quotas. De 1902 au milieu des années 1910, le nombre d’étudiants reçus à l’examen d’entrée est limité à 250, hors besoins exceptionnels ; de même, au début des années 1930, le nombre d’admis est progressivement réduit à 250 après un assèchement de la demande en enseignants dû aux coupes budgétaires provoquées par la crise économique. En revanche, lorsque le Conseil fait face à une pénurie de personnel, comme pendant et après la Première Guerre mondiale, un allègement des examens d’entrée est envisagé pour les meilleurs lycéens et le nombre d’admis ne semble plus limité18.
15La conjonction des difficultés de gestion du personnel et du budget au début des années 1930 entraîne même la remise en cause de l’existence de l’École normale par certains membres du Conseil de l’éducation. La situation des écoles publiques de Chicago est alors critique : du fait de la crise économique qui touche tout le pays et de dysfonctionnements dans le prélèvement des impôts locaux et au sein de l’administration du système scolaire, l’argent ne rentre plus suffisamment dans les caisses du Conseil, les enseignants ne sont pas régulièrement payés à partir de décembre 1929 et plus de 1 700 d’entre eux attendent une affectation. Au bord de la faillite, le Conseil réfléchit à des coupes budgétaires, synonymes de modification de l’offre scolaire de la ville. En 1932, son président reprend une suggestion formulée dès 1930, proposant la fermeture de l’École normale pendant un an, afin d’amorcer la résorption du surplus d’enseignants et de réaliser une économie de plus de 700 000 dollars. Selon lui, l’absence d’un centre de formation ne nuirait pas à l’ensemble du système scolaire. Une mobilisation du surintendant des écoles, d’universitaires, de directeurs d’école, de citoyens et des membres de l’École normale permet le maintien de l’institution en 1932, puis en 1933, mais son budget est alors réduit de 50 %, le nombre d’admis est conservé à 250 et plusieurs programmes d’études sont interrompus19.
Graphique 1. Nombre d’étudiants inscrits à l’École normale de Chicago et dépenses annuelles de l’institution, 1896-1937.

Sources : Annual Report of the Board of Education, Chicago, 1896-1938 ; Proceedings of the Board of Education of the City of Chicago, 1896-1938.
16Alors que l’administration centrale considère que les variations d’enseignants disponibles provoquent des difficultés de gestion du personnel et des surcoûts, les directeurs de l’École notent qu’elles affectent également la qualité des étudiants de l’École et de leurs professeurs. Les périodes d’excédent sont, par exemple, accueillies défavorablement, car l’impossibilité d’offrir un emploi aux diplômés après la période de formation a deux conséquences néfastes sur la visée progressiste de l’institution. Elle décourage les meilleurs lycéens qui préfèrent s’orienter vers des études plus porteuses et provoque donc un déclin du niveau des candidats à l’entrée de l’École normale. Ella Flagg Young et William B. Owen, directeurs de l’institution respectivement de 1905 à 1909 et de 1909 à 1928, redoutent « la baisse potentielle du pourcentage d’étudiants énergiques et aptes » et l’arrivée de candidats uniquement « moyens » en cas de « surproduction de diplômés »20. De même, l’augmentation massive du nombre d’étudiants dans les années 1920, qui contribue pourtant au projet des directeurs de hisser l’enseignement au rang de profession grâce à une meilleure formation, complique le recrutement à l’École de personnel enseignant de qualité et formé à l’université. Incapable de pourvoir les quelque quarante-trois postes supplémentaires ouverts entre 1922 et 1926, Owen est contraint de faire embaucher des professeurs de lycée21. Entre son ouverture en 1896 et les années 1930, l’École normale se développe et se pérennise, sans suivre toutefois une progression linéaire et sans atteindre nécessairement l’ampleur ou la forme désirées.
17De façon similaire, l’ambition des directeurs de l’École normale de faire de l’institution le centre de formation de l’ensemble du corps enseignant de Chicago peine à se réaliser pleinement du fait principalement de contraintes structurelles. Si un diplôme de l’institution garantit l’obtention d’un certificat d’enseignement élémentaire dans les écoles publiques de la ville, il ne constitue pas une obligation. Jusqu’en 1928, le recrutement s’effectue à la fois sur examen du Conseil de l’éducation et sur présentation d’un diplôme de l’École normale de Chicago, ce qui garantit un brassage des origines géographiques et des expériences des nouveaux employés, mais autorise le contournement du centre de formation. La possession d’un diplôme d’école normale quel qu’il soit n’est pas obligatoire pour passer l’examen écrit qui porte sur quatre ou cinq matières, mais il est nécessaire d’avoir enseigné au moins quatre années dans la région ou dans le pays22.
18La proportion de nouvelles recrues passées par l’École normale fluctue jusqu’au milieu des années 1920. Près de 80 % des certificats d’enseignement élémentaire attribués par le Conseil de l’éducation entre l’ouverture de l’École normale en 1896 et 1904 concernent des diplômés du centre de formation. Cependant, ce pourcentage diminue à 50 % sur le reste de la décennie en conséquence, notamment, de la mise en place des quotas d’entrée, de la difficulté accrue des examens d’admission au programme de formation et de la non-rémunération du stage pratique de fin d’études. Certains candidats choisissent donc d’enseigner dans un premier temps dans les comtés environnants avant de revenir passer l’examen de certification à Chicago. Dans les années 1910, l’incapacité du Conseil à résoudre les problèmes de gestion de l’offre et de la demande en enseignants se traduit par une forte variation des recrutements sur examen, allant de quelques dizaines à quelques centaines selon les années23.
19Les directeurs de l’École, qui défendent la valeur de la formation initiale dans le cadre de la professionnalisation du métier, ne sont pas favorables au maintien d’un examen qu’ils jugent lacunaire. Arnold Tompkins et William B. Owen estiment que, s’il opère une sélection qui assure l’arrivée dans les écoles publiques de la ville d’enseignants expérimentés qui « contrôlent » la classe, ont les connaissances nécessaires et ont « confiance en eux », il ne garantit en rien le savoir-faire acquis par les diplômés de l’École normale sous la conduite d’un personnel maîtrisant les nouvelles théories de l’enseignement. L’expertise de l’institution doit donc justifier sa place essentielle dans le système de recrutement24. Bien que le Conseil reconnaisse que l’octroi d’un certificat d’enseignement sur examen n’est pas le plus adéquat pour garantir l’efficacité des enseignants puisqu’il ne vérifie pas le savoir-faire professionnel, mais uniquement les connaissances théoriques des candidats, il se défend en évoquant des impératifs conjoncturels25. L’École normale de Chicago constitue alors la voie privilégiée par l’administration centrale, mais elle est plus ou moins suppléée par la deuxième composante du système de recrutement, moins onéreuse et plus réactive en cas de besoin à très court terme.
20À partir du milieu des années 1920, l’octroi de certificats d’enseignement élémentaire sur examen se tarit petit à petit, jusqu’à ce que l’École devienne une institution incontournable. Le système scolaire de Chicago entre alors dans une phase d’isolationnisme croissant qui trouve son origine dans le surplus considérable d’enseignants, puis dans la crise budgétaire auxquels le Conseil de l’éducation doit faire face. À partir de 1928, le recrutement des instituteurs est même restreint aux seuls diplômés de l’École normale de Chicago, ce que déplorent certains directeurs d’école élémentaire qui, contrairement à leurs homologues du centre de formation, défendent l’arrivée d’enseignants chevronnés ayant une connaissance d’autres systèmes scolaires pour éviter un fonctionnement en vase clos. Plusieurs rapports officiels suggèrent que, sur l’ensemble de la période allant de 1903 à 1932, environ la moitié des nouvelles recrues sont issues de l’École normale de Chicago26.
21Tandis que l’institution laisse une empreinte certes variable selon les périodes, mais globalement significative sur l’enseignement élémentaire, elle reste peu fréquentée par les futurs professeurs de lycée. Dès la reprise de sa gestion par la municipalité de Chicago en 1896, le président du Conseil de l’éducation soutient le projet d’en faire un centre de formation complet, préparant les enseignants de la maternelle au lycée27. Mais si les programmes proposés couvrent, dès les premières années, l’enseignement élémentaire général, l’enseignement élémentaire spécialisé (en travaux manuels, en musique, ou pour les sourds et muets par exemple), ainsi que celui dispensé en classe de maternelle, aucun n’est prévu pour préparer spécifiquement les futurs professeurs de lycée.
22William B. Owen ne se satisfait pas de cette situation et, comme ses collègues états-uniens à la même période, s’interroge sur le contenu et la qualité de leur formation professionnelle dans les universités où ils suivent leurs études supérieures28. Conscient de l’incapacité de son institution à offrir un enseignement théorique de qualité égale à celle de l’université de Chicago voisine ou un diplôme universitaire du fait d’un programme d’études trop court, il suggère un partage du temps et des lieux d’études des futurs professeurs. Après une période d’apprentissage théorique à l’université, ils devraient passer un examen d’entrée pour « intégrer une école normale à laquelle serait rattaché un lycée afin qu’ils puissent recevoir une année de formation pratique » et pédagogique. L’ouverture d’un lycée annexe à l’École normale à cette même période ferait de l’institution un « lieu idéal » où effectuer un stage et acquérir des méthodes d’instruction adaptées. À l’issue de cette préparation professionnelle, les diplômés recevraient un certificat d’enseignement secondaire29.
23Owen cherche ici à modifier l’arrangement existant depuis le début des années 1900, selon lequel les diplômés d’université peuvent intégrer, à leur demande, la deuxième année du programme de formation élémentaire de l’École avant de passer l’examen de certification secondaire du Conseil. Ce parcours leur permet d’abaisser l’expérience d’enseignement requise pour s’inscrire à l’examen, mais ne les dispense pas de passer les épreuves et ne les prépare pas spécifiquement à l’enseignement en lycée30. Son projet ne se réalise cependant que partiellement. L’École normale ouvre bien un programme de formation accéléré distinct, destiné aux diplômés d’université pour leur permettre de compléter leur formation en y instillant une dose de pédagogie et pour contrôler leurs savoirs et savoir-faire avant leur entrée dans les écoles de la ville. Néanmoins, leur présence à l’École ne leur garantit toujours pas un certificat d’enseignement secondaire, comme Owen le souhaite, mais uniquement, dans un premier temps, en école élémentaire, puis en collège de la fin des années 1920 à 193331. Leur nombre semble donc être resté faible. À la lecture des répertoires annuels récapitulant la vie de chaque promotion de l’École (nommés yearbooks), ils représentent en moyenne 13,7 % du total des diplômés de 1923 à 1928. Les estimations fournies par l’universitaire George Strayer lors de sa visite officielle en 1932 suggèrent que, depuis 1920, un admis sur six vient de l’université. En dépit de ces évolutions, l’École normale demeure donc principalement un centre de formation des instituteurs et non des professeurs de la ville32.
24Elle reste, enfin, une institution spécialisée dans « le développement [...] de compétences professionnelles » chez les futurs enseignants des écoles publiques de la ville33. Alors que certains historiens notent que, durant le premier tiers du xxe siècle, de nombreuses écoles normales évoluent de centres de formation au contenu d’enseignement centré sur la science de l’éducation et l’art d’enseigner en institutions de type universitaire (colleges) dispensant une formation plus généraliste et diversifiée afin d’élargir leur influence et d’élever leur statut institutionnel, l’École normale de Chicago ne relègue pas la préparation professionnelle à la marge de ses préoccupations et maintient un fonctionnement qui rappelle, à certains égards, celui d’un établissement secondaire34.
25Certes, le traitement des matières scolaires dans les programmes d’études évolue vers un contenu plus théorique et un format plus universitaire. Dans les années 1900-1910 l’enseignement des techniques d’instruction côtoie celui des matières elles-mêmes selon le principe que l’enseignant doit avoir réfléchi à « ce qui doit être appris » avant de l’inclure dans la pratique. La première année d’études contient des cours d’anglais, de mathématiques, de sciences, d’arts, de musique et de géographie, la question des méthodes d’enseignement étant abordée lors de la deuxième année seulement. À partir des années 1920, le contenu des matières enseignées s’apparente davantage à un cursus universitaire qu’à une stricte connaissance liée aux programmes scolaires, avec la multiplication de séminaires théoriques dans toutes les matières, comme « principes de géographie », « organisation politique des États-Unis » ou « développement de la civilisation occidentale ». Le rapport du surintendant des écoles publié en 1936 officialise l’élargissement du rôle de l’École normale en incluant « la fondation d’une riche culture universitaire » dans ses missions. Les programmes d’études doivent contenir un enseignement général destiné à faire des enseignants des êtres cultivés et complets35.
26Le glissement universitaire est néanmoins restreint. La durée de la formation reste, tout d’abord, limitée à deux, puis à trois années alors que le minimum requis pour obtenir un diplôme d’université est de quatre ans. L’organisation de l’École indique ensuite la persistance de programmes prédéfinis, où tous les cours enseignés sont obligatoires et organisés selon un emploi du temps commun, d’une répartition des étudiants par classes sous la responsabilité d’un professeur référent, et d’une vérification de l’assiduité. Enfin, la formation professionnelle demeure une composante majeure des programmes d’études avec des enseignements théoriques et pratiques. Dès Parker, la psychologie, la pédagogie et l’histoire de l’éducation sont présentées comme les trois facettes de la formation scientifique de l’enseignant. En maîtrisant la manière dont le cerveau apprend, le type d’activités qui favorisent cet apprentissage et son rôle auprès de l’enfant, l’enseignant améliore son savoir-faire et optimise le développement de l’élève. La connaissance des théories éducatives couplée à celle des matières scolaires doit permettre aux étudiants d’acquérir une méthode d’enseignement. La persistance de cette approche se lit dans les programmes d’études qui incluent continuellement techniques d’instruction et théories psychologiques, ainsi que dans les propos de George Strayer qui reproche aux directeurs, en 1932, de fournir trop de méthodes d’enseignement directement utilisables en classe, et non une culture générale plus large36.
27L’engagement de l’institution dans la formation professionnelle de ses étudiants se manifeste également dans la place attribuée à la phase pratique et l’accroissement constant du nombre d’écoles-modèles partenaires de ce programme. Sous Parker, les étudiants ne disposent que d’une école annexe à l’institution où ils effectuent observation et pratique. Le programme n’est pas systématisé, les futurs enseignants préparent leurs leçons environ une fois par mois et s’exercent à tour de rôle. Pour mieux les préparer à leurs prochaines conditions de travail, le déroulement du stage est modifié à plusieurs reprises. Le programme d’études adopté en 1906 exige vingt semaines de mise en situation en dernière année, avec une matinée dans une école de la ville et un après-midi en cours. Il est condensé en 1920, les étudiants devant observer et pratiquer toute la journée sur une période de dix semaines, finalement réduite à neuf dans les années 1930. La moitié du temps du stage est alors consacrée à l’enseignement dans des cours élémentaires, l’autre moitié étant partagée entre observation et tâches administratives37. Le nombre d’écoles partenaires et d’enseignants-tuteurs est également élargi sous les directions de Young et de Owen afin de répondre aux évolutions de l’organisation du stage, puis au nombre croissant d’étudiants. À l’école annexe ouverte sous Parker, s’ajoutent dans un premier temps deux écoles élémentaires. À partir de 1920, le partenariat est élargi à une cinquantaine puis à une centaine d’établissements disséminés à travers la ville, avant d’être ramené à neuf en raison de la crise budgétaire au début des années 193038.
28L’École normale conserve donc une orientation professionnelle marquée, qui semble en phase avec la courte durée de ses programmes et le public accueilli. Le changement de nom en Chicago Normal College dès les années 1910 masque, en réalité, une évolution lente et restreinte vers un modèle institutionnel universitaire et la pérennisation d’un programme de formation destiné aux futurs enseignants des écoles élémentaires de la ville39.
29Comme le note Ella Flagg Young en 1908, l’École se trouve néanmoins dans une situation paradoxale :
[Elle est] confrontée au dilemme de rester en contact avec les établissements dans lesquels ses diplômés vont enseigner afin que les jeunes enseignants puissent rapidement s’ajuster aux idiosyncrasies de chaque école, et de suivre en même temps les progrès en matière de théorie de l’éducation.40
30Comme les universités qui l’entourent, l’École doit dispenser un enseignement supérieur fondé sur l’acquisition et l’approfondissement de savoirs et de théories relatives, dans son cas, à la pédagogie. Ses professeurs doivent donc se tenir informés des recherches et des avancées scientifiques récentes sur le sujet. Son travail est néanmoins contraint par la finalité de cet enseignement, qui est de préparer les futurs enseignants de la ville. Parce que le fruit de son travail est directement évalué par l’administration qui la finance lorsque ses diplômés intègrent les écoles publiques, elle ne peut rester isolée de leur futur environnement professionnel.
31Pendant quarante ans, le maintien de ce « double service » de guide intellectuel et de préparateur professionnel est au cœur des problématiques rencontrées par les directeurs et des critiques qui leur sont adressées. Dès 1904, Arnold Tompkins mentionne que « les problèmes liés à l’adaptation du travail [de l’institution] aux conditions actuelles dans les écoles publiques de Chicago ont consommé toute [son] énergie »41. Quelques années plus tard, le choix des établissements qui reçoivent les étudiants en stage pratique est critiqué par certains directeurs d’école élémentaire qui jugent qu’il ne reflète pas assez le caractère cosmopolite de la population scolaire42. Dans les années 1910, William B. Owen reconnaît la difficulté d’obtenir une vision globale du système scolaire du fait même de sa « taille, de la vaste surface que couvre la ville et de la diversité des conditions de vie dans les différents quartiers ». Il regrette par ailleurs que ses professeurs disposent de trop peu de temps pour se tenir informés des évolutions en matière d’éducation43. Un rapport sur l’École normale daté de 1930 convient qu’ils manquent toujours de temps, mais leur reproche de ne pas connaître convenablement les « réalités » du système, de ne pas assez se rendre dans les écoles, de ne pas accorder leurs méthodes à celles des tuteurs des étudiants en stage pratique et de posséder un savoir trop universitaire. L’École normale est ainsi présentée comme « une institution isolée » qui ne prend pas assez en compte la situation dans les écoles publiques de la ville. Le rapport exige une meilleure coopération avec le système scolaire et une adaptation des cours pour préparer les diplômés à des classes surchargées, à des restrictions budgétaires et à une population changeante44.
32Selon ses directeurs, le centre de formation ne serait pourtant pas entièrement responsable de son isolement. Dès 1900, Ella Flagg Young, qui consacre sa thèse à l’isolement des différents centres scolaires et personnels les uns par rapport aux autres, note l’absence de communication entre les écoles et conclut qu’une telle situation ne peut conduire qu’à la régression. William B. Owen remarque encore, en 1915, que les directeurs d’école et les enseignants n’ont qu’une vague notion du travail accompli à l’École normale, le système scolaire reposant sur l’agrégation de nombreuses unités qui fonctionnent séparément45.
33Cette difficulté à maintenir des liens entre les différents groupes ou établissements, également relevée par l’historienne Kate Rousmaniere dans le cas de New York, intervient à une période d’adoption progressive d’une organisation scolaire plus complexe et hiérarchisée, avec la multiplication de filières d’étude et d’établissements, ainsi que le transfert du pouvoir de décision des nouvelles règles professionnelles ou des méthodes pédagogiques dans les mains du surintendant des écoles. Au même titre que les enseignants et les directeurs d’école, les professeurs et les responsables de l’École normale sont affectés par ces évolutions structurelles46. Au début des années 1930, un observateur note que la « valeur potentielle » et le « rang » de l’institution ne sont pas suffisamment reconnus par l’administration centrale. Alors qu’elle mériterait d’avoir une place spéciale, à part (distinctive unit) du fait de son rôle central de guide pédagogique local, elle demeure dans l’anonymat du vaste système scolaire de Chicago47.
34Confrontée aux critiques d’observateurs et isolée par des contraintes structurelles, l’École normale tente de coopérer avec les écoles publiques de la ville de diverses manières. Ces efforts portent, tout d’abord, sur une collaboration pédagogique entre les professeurs du centre de formation et les directeurs d’école et les enseignants-tuteurs qui reçoivent les étudiants stagiaires. En 1905-1906, par exemple, les professeurs et les tuteurs participent à des réunions hebdomadaires organisées à l’École afin de tenter de s’accorder sur des questions pédagogiques, telles que le rôle de chacun dans le choix du contenu des leçons enseignées par les étudiants stagiaires ou dans leur évaluation. Alors que les professeurs ont tendance à donner leurs instructions de cours aux tuteurs, Ella Flagg Young les encourage à partager la responsabilité de la formation pratique des futurs enseignants avec les enseignants en service48. Entre 1914 et 1916, ce sont les directeurs des écoles accueillant les stagiaires qui sont invités à une conférence annuelle à l’institution. Dans un système scolaire où ils participent à la notation des étudiants de l’École normale à part égale avec leurs professeurs pendant le stage de fin d’études, puis à l’évaluation des (nouveaux) enseignants nommés dans leurs établissements, cette journée doit permettre de mieux comprendre les attentes de chacun en matière d’instruction et d’harmoniser les méthodes et les pratiques. Lors de leur visite, les directeurs assistent donc à des cours et échangent avec les professeurs, notamment sur les difficultés des débutants stagiaires ou leur connaissance des questions d’éducation, afin d’améliorer la formation des futurs enseignants49. Ce travail d’ajustement continue dans les années 1920 à travers le partenariat de l’École avec plus d’une centaine d’écoles élémentaires où les étudiants effectuent leur stage pratique. Mais leur multiplication contrarie l’objectif d’uniformisation des méthodes et des contenus d’instruction et rend nécessaire la tenue d’une conférence en mars 1932 afin de tenter d’harmoniser à nouveau la formation pratique des futurs enseignants50.
35Les efforts de collaboration pédagogique concernent ensuite, plus largement, l’ensemble des personnels et des établissements publics de la ville. À partir de 1906, l’École publie une revue professionnelle, nommée The Educational Bi-Monthly jusqu’en 1918, puis The Chicago Schools Journal, dont l’objectif est de favoriser la circulation des idées parmi les enseignants. Si la revue est dominée, dans les premières années, par les professeurs de l’institution et des universitaires qui semblent vouloir présenter et développer leurs théories de l’éducation, elle donne ensuite davantage la parole aux enseignants des écoles de Chicago, en se concentrant sur des questions d’enseignement élémentaire et secondaire et en simplifiant les propos présentés dans un objectif de service, de partage et d’unité51.
36Parallèlement à ce dialogue mensuel, l’École normale inaugure en 1912 la Journée des enseignants (Teachers’ Day), qui donne, une fois dans l’année, l’opportunité aux écoles de présenter des travaux et des spectacles artistiques d’élèves, aux enseignants de se rencontrer et au surintendant de s’adresser à eux. À l’origine une simple réunion des anciens étudiants de l’École, cette journée, organisée par et pour les enseignants, devient un rituel annuel censé favoriser le dialogue pédagogique et la dissémination de méthodes d’éducation récentes au sein du système scolaire. Mais en dépit de l’affluence de visiteurs, le nombre d’établissements qui participent à la journée au cours des années reste faible, suggérant ainsi des limites dans la collaboration obtenue52.
37Bien que parfois fragiles ou éphémères, les efforts de coopération pédagogique visent, dans leur ensemble, à faire de l’École normale un lieu de rencontre des différents corps enseignants de Chicago et une source privilégiée d’unification professionnelle à l’échelle locale. Ils permettent également de faire connaître le travail de l’École normale à la communauté éducative et donc d’élargir sa sphère d’influence et de justifier son existence. William B. Owen et Butler Laughlin, son successeur de 1928 à 1936, profitent ainsi du Teachers’ Day pour faire la publicité des différents départements de leur établissement et des écoles-modèles partenaires, et obtenir le « soutien chaleureux » de leurs collègues et des enseignants des écoles publiques de la ville53.
38Les responsables de l’institution ne circonscrivent néanmoins pas leurs actions au milieu scolaire. À une période où les écoles endossent le rôle complémentaire de centres sociaux pour proposer à la population des espaces de regroupement et de récréation jugés convenables le soir et le week-end, ils se tournent vers les habitants de Chicago pour leur offrir aussi un lieu de rencontre et de réflexion54. D’une part, l’ancrage de l’institution dans la ville qu’elle sert doit conforter sa position de centre incontournable auprès du Conseil de l’éducation qui la gère, des citoyens qui l’utilisent et la financent indirectement par leurs impôts, mais aussi des autres universités de la ville qui représentent d’éventuelles rivales. D’autre part, la diversification de ses fonctions, qu’elles soient professionnelles ou sociales, doit contribuer au rayonnement de l’École.
39Certaines associations utilisent donc les vastes bâtiments pour organiser des expositions et profitent du grand auditorium pour convoquer des assemblées générales. L’École accueille aussi l’association des parents d’élèves des écoles présentes sur son campus. Bien que l’implication de ce groupe dans la vie de l’institution soit irrégulière, il y organise des réunions de travail, assiste à des représentations artistiques des étudiants et se mobilise pour soutenir la sauvegarde de l’institution lorsque celle-ci est menacée de fermeture en 1932-193355. À cette même période, la réception du public s’effectue également par le biais de journées portes ouvertes, suivant une initiative nationale développée dans les années 1920. Alors que le Teachers’ Day est destiné à améliorer la collaboration professionnelle et à promouvoir le travail du centre de formation auprès de la communauté éducative, les portes ouvertes doivent permettre à la population de Chicago de s’informer des avancées en matière d’éducation grâce à des conférences, des expositions et des présentations artistiques, et de faire connaître l’École normale aux habitants. Lors de leur tenue en octobre 1932, Butler Laughlin délivre un message clair à ses étudiants : ils doivent convaincre les visiteurs de l’influence positive de l’institution sur les écoles de la ville et donc sur leurs enfants56. Tandis que le Conseil réfléchit à des coupes budgétaires drastiques, l’intention est bien double : contribuer à la sensibilisation des citoyens aux questions éducatives afin de favoriser leur soutien moral et financier au système scolaire, tout en présentant l’École normale comme un centre intellectuel et social qui contribue à la vie locale, afin d’assurer son maintien.
40Durant le premier tiers du xxe siècle, les professeurs et directeurs quittent également les murs de l’institution pour s’inviter dans les quartiers avoisinants afin de présenter l’École. Ils interviennent dans des associations et des lycées, exposent les travaux des étudiants dans des musées et des grands magasins, et contribuent à des programmes radiophoniques. Ces démarches d’ouverture viennent s’ajouter aux innombrables visites de promeneurs, touristes, pédagogues, membres de club ou lycéens qui défilent dans les couloirs et les salles de classe pendant plusieurs décennies. La présence régulière d’étrangers venus d’Asie, d’Amérique du Sud ou d’Europe pour observer le travail accompli à l’École normale étend même l’influence de l’institution bien au-delà de la sphère locale57.
41Les efforts d’échanges des directeurs et des professeurs dépassent, en effet, le strict cadre de Chicago. Ils participent, par exemple, aux actions entreprises à l’échelle régionale et nationale par des organisations savantes, professionnelles ou syndicales pour encourager la collaboration entre membres de la profession et promouvoir l’uniformisation et l’amélioration des savoirs et des pratiques, notamment par le biais de la formation initiale. Ella Flagg Young, première femme présidente de l’Association nationale pour l’éducation en 1910, William B. Owen, président de cette même organisation et du syndicat des enseignants de l’Illinois dans les années 1920, ou James F. Hosic, à l’origine de la création du Conseil national des professeurs d’anglais au début des années 1910, ont alors de multiples occasions de sensibiliser leurs collègues états-uniens au modèle institutionnel de l’École normale de Chicago58.
42Pendant quarante ans, les directeurs successifs cherchent donc à faire connaître l’institution à une variété de publics et à la faire évoluer en un centre de formation pérenne et incontournable en dépit de diverses contraintes. Leurs efforts sont partiellement récompensés puisque l’École normale perdure et forme une variété d’enseignants amenés à exercer dans les écoles, principalement élémentaires, de la ville en collaboration avec un nombre croissant d’établissements partenaires. L’implication des directeurs dans le projet de professionnalisation du métier d’enseignant à Chicago ne se limite néanmoins pas à l’élaboration, puis au développement d’un modèle institutionnel, mais porte également sur la formulation et la dissémination d’un modèle professionnel fondé sur des théories pédagogiques spécifiques, qui doit, lui aussi, s’accommoder de contraintes liées aux attentes du Conseil de l’éducation dont l’École normale dépend.
Les philosophies éducatives des directeurs de l’École normale
43À la fin du xixe et au début du xxe siècle, le désir d’uniformisation et d’amélioration des connaissances et des compétences professionnelles des enseignants s’exprime, en effet, non seulement au niveau institutionnel, avec le développement de centres de formation, mais également au niveau intellectuel, avec la diffusion de nouvelles théories éducatives. Alors que l’accès à l’école élémentaire puis au lycée se démocratise, deux philosophies entrent en concurrence. La première, qualifiée d’utilitariste, considère l’école comme un moyen de classement des élèves selon leurs capacités et de préparation à une vie de labeur. Leurs connaissances sont mesurées par des tests d’aptitude qui déterminent leur apprentissage et ainsi leur future place dans la société. La seconde repose sur une philosophie progressiste idéaliste, qui défend l’adaptation de l’école aux besoins de l’enfant dont le développement mental et social est primordial. Cette « éducation nouvelle » tente de redéfinir les rôles de l’enfant et de l’enseignant et de promouvoir une pédagogie fondée sur l’expérience sensorielle plutôt que sur l’accumulation de savoirs livresques. L’enfant est alors présenté comme un apprenant actif et innocent, la bienveillance comme le mode d’interaction approprié en classe et la nature comme un matériau d’apprentissage privilégié59. Le modèle éducatif proposé par les responsables de l’École normale de Chicago évolue d’une adhésion nettement prononcée à la théorie progressiste idéaliste dans les premières années de l’institution à une critique de cet idéalisme et à l’adoption d’une approche plus pragmatiste après l’arrivée d’Ella Flagg Young en 1905, qui accompagnent une volonté d’améliorer les relations que l’École normale entretient avec le système scolaire de la ville.
44Dans un premier temps, ce sont les théories de Francis W. Parker (directeur de 1896 à 1899) et d’Arnold Tompkins (directeur de 1900 à 1905), centrées sur le développement de l’enfant, qui dominent à l’École normale. Leur caractère idéaliste trouve ses origines à la fin du xviiie siècle, auprès notamment d’auteurs européens romantiques qui envisagent l’enfance comme le royaume de l’innocence et développent une philosophie de l’éducation axée sur la maternité, la spiritualité et la nature. Selon Johann H. Pestalozzi, les enfants apprennent mieux lorsqu’ils mènent des expériences avec des objets et observent le monde qui les entoure, ou encore lorsqu’ils jouent, guidés par des éducateurs aux vertus maternelles, les femmes. Friedrich Froebel applique les mêmes préceptes à la petite enfance, créant un système de classes de maternelle articulé autour des figures de la nature et de la mère. L’enseignante est alors une jardinière qui permet à ses plantes de pousser60.
45Francis W. Parker est sensibilisé au naturalisme romantique et à l’éducation comme vecteur de lien social lors d’un séjour en Allemagne dans les années 1870. Il développe, dans ses écrits postérieurs à ce voyage, une philosophie influencée par les deux Européens : l’enfant se développe en observant les objets, les situations et la nature qui l’entourent ; c’est à partir de sa propre expérience que l’apprentissage se crée et qu’il acquiert ensuite sa liberté. L’école représente alors la diversité, développe l’altruisme, lui permet de créer ses propres règles et organise la classe en une société modèle démocratique. Arnold Tompkins replace également l’enfant au centre de la société à laquelle il appartient. L’école doit lui permettre de développer sa conscience sociale grâce à l’observation du monde extérieur et à la compréhension que tout objet est connecté à l’univers. L’usage des émotions doit aussi l’aider à accéder à de nouvelles connaissances61.
46À la fin du xixe siècle, les théories d’un autre philosophe allemand, Johann Friedrich Herbart, font école dans le Midwest sous l’impulsion notamment de professeurs de l’École normale de l’État de l’Illinois qui développent un programme d’études interdisciplinaire à base d’activités et de problèmes à résoudre, générant un apprentissage dynamique62. L’idée que la connaissance forme un tout et les programmes d’enseignement doivent refléter cette unité trouve un écho à la fois chez Tompkins, qui défend la notion d’universalité, et chez Parker qui suit la théorie de la « concentration ». L’enseignement de multiples matières en lien les unes avec les autres nourrit les divers intérêts de l’enfant qui forment son caractère63.
47Les programmes d’études de l’École normale de Chicago suggèrent que, malgré leur avant-gardisme certain, les deux premiers directeurs ont la possibilité de dicter la ligne de conduite théorique de l’institution et d’enseigner et de transmettre leurs philosophies idéalistes aux futurs enseignants. Parker poursuit le programme qu’il offrait à l’École normale du comté de Cook avant son transfert à la municipalité de Chicago. Les étudiants suivent des cours qui les sensibilisent à l’importance de l’étude des phénomènes naturels et de l’usage des sens et de la perception dans l’apprentissage. Les théories d’Herbart et de Froebel font l’objet de cours spécifiques en histoire de l’éducation et la théorie de la concentration est abordée en cours de pédagogie afin de démontrer l’unité des différentes matières enseignées. L’instruction est divisée en plusieurs départements qui traduisent bien les préoccupations de « l’éducation nouvelle » : psychologie, pédagogie, histoire de l’éducation, sciences, littérature et histoire, musique, calcul et élocution. L’objectif de l’enseignement est d’« élargir l’horizon de l’enfant » grâce à de nouvelles méthodes qui développent les sens, la mémoire, le langage et l’attention. Parker utilise l’école annexe à l’institution pour mettre en application ses théories et les présenter à ses étudiants64.
48À son arrivée en 1900, Tompkins maintient le cap progressiste mais réorganise le programme d’instruction autour de quatre grands axes, qui vont du plus universel au plus spécifique : philosophie de l’éducation (qui devient psychologie de l’éducation en 1905), méthodologie, matières et art d’enseigner. Les cours de philosophie sont dispensés par le directeur et s’appuient sur sa théorie de l’universalité. Il s’agit de faire prendre conscience aux étudiants de l’unité du monde, de la relation de l’individu au tout et de son aspiration à atteindre un idéal. Les cours de sociologie abordent également la relation de l’homme à la nature et de l’individu à la société. Une fois cette vision holistique acquise, il est ensuite possible de l’appliquer aux méthodes d’enseignement. L’existence de l’institution se justifie, pour Tompkins, par la nécessité de former les enseignants à satisfaire parfaitement les besoins de l’enfant65.
49Les premiers directeurs de l’École normale de Chicago essaient d’élaborer et de transmettre leur philosophie éducative non seulement dans le cadre des enseignements aux étudiants de l’institution, mais aussi par le biais de séminaires, de conférences ou d’ouvrages. Dans son Course of Study in Pedagogics, par exemple, préparé pour un séminaire en 1897, Parker décrit longuement sa vision de l’école idéale et démontre son adhésion à la branche idéaliste qualitative des réformateurs progressistes de son époque. Dans un article rédigé quelque temps plus tard, il s’élève contre l’utilitarisme de certains collègues qui défendent une école du savoir livresque, formant des citoyens obéissants et efficaces dont les connaissances seraient proportionnelles à leur future place dans la société. Selon lui, seul le développement du caractère de l’enfant importe. Comme Parker, Tompkins rejette dans son ouvrage The Philosophy of Teaching l’approche utilitariste qui fait de l’éducation un instrument répondant aux futurs besoins économiques de la nation. Il s’agit plutôt de tendre vers une société idéale grâce à l’éducation66.
50La tendance utopique et radicale de leurs théories rencontre cependant des résistances plus ou moins fortes au sein du système scolaire de Chicago. Elle se heurte notamment à l’approche plus conservatrice de responsables administratifs soucieux d’améliorer l’efficacité et la rentabilité du système scolaire ainsi qu’à des divergences philosophiques parmi les pédagogues de la ville. L’accent mis sur la transmission d’idéaux pédagogiques ne garantit pas la formation d’enseignants capables de se confronter aux réalités de l’enseignement dans les écoles publiques. De plus, à l’heure de l’arrivée dans les établissements d’un nombre croissant d’enfants aux origines diverses, certains membres du Conseil de l’éducation conçoivent l’école davantage comme un agent du maintien de l’ordre social que comme l’incarnation d’un modèle démocratique. L’expérimentation, l’innovation et la pédagogie différenciée défendues par Parker s’avèrent finalement trop audacieuses et menaçantes pour l’administration, qui cherche à le remplacer. Tompkins est, quant à lui, critiqué par ses propres collègues professeurs qui mettent en cause son radicalisme philosophique et l’accusent de panthéisme devant les membres du Conseil de l’éducation. S’il demeure à son poste après enquête du Conseil en 1903, son prédécesseur choisit, lui, de quitter l’École normale en mai 1899 pour fonder une nouvelle institution privée où il entend poursuivre ses expérimentations67. Sous la direction de ces deux pédagogues défenseurs d’une approche progressiste idéaliste, l’École normale apparaît comme un centre de réflexion intellectuelle et pédagogique relativement isolé du système scolaire qu’il doit servir dans la première décennie de son existence.
51Après le décès de Tompkins en 1905, le Conseil de l’éducation ne nomme plus à la tête de l’institution que des recrues locales dont les philosophies vont permettre une relation plus équilibrée entre gestionnaire et administré. Élève du philosophe John Dewey à l’université de Chicago et enseignante dans son école-laboratoire avant de prendre la direction de l’École normale en 1905, Ella Flagg Young partage avec lui la conviction que l’école représente « une expérience parfaite de socialisation en tous points raccordée au fil de la vie de la société », favorisant la démocratie et la cohésion sociale, qui contribuent elles-mêmes au progrès68.
52Cette vision participe d’un courant humaniste qualifié de pragmatiste, dont la philosophie éducative considère la connaissance comme un processus dynamique et continu fondé sur l’accumulation d’expériences, et l’individu comme un être social actif dont l’intérêt doit être éveillé pour stimuler son développement. Bien que Young reconnaisse les notions d’unité et de coopération défendues par Tompkins et l’importance de l’expérience comme base d’apprentissage plaidée par Parker et Tompkins, elle s’affranchit des philosophies centrées sur l’enfant pour s’intéresser à l’ensemble du système scolaire en tant que ressort de l’harmonie sociale69. L’unité et la coopération doivent être encouragées et ne pas se réaliser dans un univers abstrait, mais dans une société cosmopolite où riches et pauvres se côtoient. Les enseignants doivent être libres d’adapter leurs méthodes aux différentes situations. Pour que l’enfant puisse développer corps et esprit et se réaliser en tant que futur citoyen, l’école commune est préférable aux projets de séparation entre établissements techniques et généraux présentés par le Conseil de l’éducation et certains groupes d’intérêt dans les années 1910. John Dewey reconnaît le « pragmatisme empirique concret » de Young qui, tout en s’appuyant sur des théories philosophiques fortes, garde à l’esprit les conditions dans lesquelles les élèves vivent à Chicago70.
53Son programme d’études à l’École normale est un mélange de l’héritage idéaliste de Parker et de Tompkins, auquel s’ajoutent des séminaires qui reflètent ses convictions pragmatistes. Ainsi les cours d’histoire de l’éducation continuent-ils de sensibiliser les futurs enseignants aux théories de Froebel, Pestalozzi et Herbart. Ceux de psychologie fonctionnelle et génétique témoignent, quant à eux, de l’influence de John Dewey sur la pédagogie enseignée à l’institution. Les arts, la musique, la culture physique ou les sciences naturelles font partie des matières obligatoires, auxquelles s’ajoutent des enseignements abordant l’importance du recours aux expériences en classe, les « problèmes d’éducation rencontrés dans les centres urbains » et la nécessité de gérer les élèves selon le principe démocratique de la coopération volontaire71.
54Les évolutions du programme ainsi que les transformations administratives traduisent, par ailleurs, sa volonté d’unifier le système scolaire. La notion de social efficiency, soit la capacité à coopérer avec les collègues intellectuellement et socialement au sein d’une école, fait son entrée dans les critères d’évaluation des étudiants72. Young favorise également le partenariat de l’École normale avec trois écoles-modèles qui se situent dans des quartiers reflétant la diversité sociale de la ville, afin de sortir l’institution de son isolement pédagogique et de permettre aux étudiants d’observer leurs futurs élèves dans des conditions naturelles, et non idéales comme ce pouvait être le cas à l’école annexe à l’institution sous Parker73. Elle tente enfin de mettre en commun les travaux de ses professeurs, qu’elle convoque en réunion afin de discuter des programmes, des stages pratiques et de la vie sociale de l’École. En dépit du caractère démocratique affirmé de ces rencontres hebdomadaires, le pouvoir de décision revient tout de même à la directrice74.
55Le départ d’Ella Flagg Young de la direction de l’École normale pour celle des écoles de la ville en 1909 marque la fin d’une période où les directeurs de l’institution sont des visionnaires dont les écrits traduisent l’adhésion à une philosophie pédagogique plus ou moins systématisée. Parker, Tompkins et Young laissent derrière eux des ouvrages qui témoignent de leur conviction réformatrice et de leur cheminement vers un raisonnement intellectuel qui propose une alternative aux politiques éducatives centrées sur l’efficience, qui trouvent alors un écho favorable auprès de membres du Conseil de l’éducation. Sous l’impulsion de réformateurs utilitaristes, leur approche éducative est, en effet, davantage fondée sur la rentabilité économique et la gestion d’entreprise, et l’école assimilée à un lieu d’apprentissage de la discipline et de l’individualisme. Les méthodes préconisées en classe reposent plus sur la répétition et le savoir livresque que sur l’expérience, et les enseignements fondamentaux prennent le pas sur les matières jugées non essentielles, notamment en cas de crise budgétaire. Certains membres du Conseil de l’éducation considèrent également l’école comme un lieu de formation professionnelle des futurs citoyens. Ils tentent donc, à plusieurs reprises, de réguler l’orientation des élèves pour promouvoir les programmes techniques qu’ils souhaitent organiser indépendamment du système scolaire général, mettant ainsi à mal la vision unitaire et démocratique de l’éducation défendue notamment par les premiers directeurs de l’École normale75.
56L’absence de manifeste philosophique chez leurs trois successeurs ne signifie pas pour autant leur adhésion à la vision ou aux décisions éducatives de l’administration centrale. Car s’ils n’ont pas rédigé d’ouvrage de référence, ils ont publié des articles dans des revues spécialisées et fait des discours qui traduisent une réécriture continue de l’héritage progressiste des premiers directeurs vers plus de pragmatisme76.
57Lorsque William B. Owen est nommé à la tête de l’École normale en 1909, cela fait huit ans qu’il est responsable du lycée de l’université de Chicago et dix-sept ans qu’il fait partie de cette institution. Que ce soit en tant qu’étudiant ou que professeur, il y a côtoyé Francis W. Parker, John Dewey et Ella Flagg Young. Ses nombreux éditoriaux de la revue de l’École normale, The Educational Bi-Monthly, puis The Chicago Schools Journal, attestent un point de vue progressiste hérité de ses prédécesseurs, qui mélange généralement considérations idéalistes et préoccupations pratiques. L’enfant est présenté comme « un tout qui évolue dans la vie vers un idéal » et qui a besoin pour se développer de la coopération de sa famille avec l’école. Owen loue l’enseignement des sciences naturelles et de la culture physique dans les programmes scolaires et insiste sur l’intérêt des matières techniques, uniquement si elles restent couplées avec l’enseignement classique. Le glissement de l’abstrait vers plus de pragmatisme s’exprime dans l’éditorial suivant, où Owen applique une pédagogie progressiste à l’enseignement de la géographie et de l’éducation civique :
[L’enfant] peut confronter ce qu’il apprend [à l’école] à son expérience une fois dans la rue, lorsqu’il lit les journaux, entend des gens discuter de politique ou observe la façon dont les affaires de la ville sont menées. Il sait que ce qu’il apprend à l’école est vrai non parce que son livre ou son enseignant le disent, mais parce qu’il le vérifie dans sa vie de citadin. En éducation, l’universel ne devrait pas renvoyer à l’abstrait mais à ce qui est universellement applicable. C'est là une conception qui devrait inspirer ceux dont la tâche est l’enseignement de l’éducation civique à l’école primaire ! C’est un programme pratique que tous les enseignants devraient adopter avec enthousiasme.77
58L’apprentissage passe par la possibilité pour l’enfant de faire ses propres expériences et par la prise en compte de la société dans laquelle il vit dans les méthodes et les contenus d’enseignement.
59Les successeurs de Owen, Butler Laughlin, proviseur du lycée annexe à l’École normale jusqu’en 1928, et Verne O. Graham (1936-1938), un ancien directeur d’école élémentaire de Chicago, continuent de mettre l’accent sur l’importance du développement du caractère de l’enfant à partir d’activités et d’expériences menées à l’école ou en dehors, sur la collaboration entre l’école et les familles afin de faciliter l’accès des enfants à la citoyenneté, sur la valeur des matières artistiques dans le développement d’une vie sociale communautaire, ou sur l’intérêt de méthodes d’enseignement alternatives, comme les programmes radiophoniques qui fleurissent alors. Laughlin identifie quatre valeurs progressistes essentielles à l’éducation des enfants : la liberté de pensée, le respect de la loi, la coopération et le service à la société78.
60Entre 1910 et 1937, les programmes d’études de l’École normale contiennent des cours où se perpétue l’héritage progressiste idéaliste. Les théories de Froebel, Herbart, Pestalozzi ou Dewey sont toujours enseignées et, à partir de 1933, l’histoire du mouvement pédagogique progressiste est transmise aux étudiants. Mais à ces enseignements s’ajoutent dorénavant des séminaires dont l’objectif est l’analyse de problèmes rencontrés au quotidien : les « enquêtes éducatives » proposent d’étudier les difficultés d’apprentissage et de comportement des élèves ; certains cours d’histoire incluent des périodes de recherche sur les problèmes sociétaux d’alors et l’étude de leur influence sur le développement social de l’enfant ; et le département de psychologie tente de répondre aux questionnements des étudiants stagiaires lors de cours spécialisés. À partir de 1914, l’approche progressiste quantitative, qui s’appuie sur des avancées en psychologie de l’éducation, fait son entrée à l’École normale avec un cours sur les tests de mesure de l’intelligence et du développement physique pratiqués sur les élèves79. La philosophie expérimentale et l’indépendance intellectuelle des premiers directeurs laissent donc, petit à petit, la place à une approche mixte, influencée par le penchant pragmatiste de leurs successeurs : l’objectif d’une école idéale demeure, mais le programme d’études inclut la prise en compte des conditions de travail dans les établissements publics de Chicago. Face aux critiques d’isolement adressées à l’École normale ainsi qu’à sa fragilité institutionnelle ponctuelle, cette évolution relève également d’une volonté de stabilisation et de compromis dans les rapports avec le système scolaire de la ville.
Les normes professionnelles transmises à l’École normale
61La capacité des directeurs de l’École normale à maintenir un objectif idéaliste tout en prenant en compte, petit à petit, l’environnement dans lequel leurs étudiants évoluent à l’issue de leur formation se lit également dans les normes professionnelles transmises par l’institution. Car, si elle est un lieu où se définissent et se transmettent des philosophies éducatives, elle a également pour vocation d’élaborer et de diffuser un modèle professionnel qui permette l’amélioration de la qualité de l’enseignement à Chicago. Celui que propose l’École normale indique à la fois la prise en compte des attentes de l’administration scolaire centrale en matière de savoir, savoir-faire et savoir-être enseignant et la transmission d’idéaux émancipateurs donnant au métier des caractéristiques professionnelles plus larges et qualitatives que celles du Conseil de l’éducation.
62En l’absence de gestion fédérale de l’enseignement aux États-Unis, les normes professionnelles émanent principalement de règles adoptées à différents niveaux administratifs au sein de chaque État. Dans l’Illinois, la gestion des systèmes scolaires est alors très décentralisée et le district de Chicago jouit d’un statut indépendant qui autorise la définition et la publication de règles relatives à la qualité des enseignants par le Conseil de l’éducation de la ville. Elles y sont généralement plus strictes que dans le reste de l’État, les centres urbains du pays étant souvent plus exigeants dans ce domaine que les régions plus rurales dans les premières décennies du xxe siècle80. Parce qu’il met l’accent sur l’efficacité et la discipline des enseignants pour améliorer l’enseignement dans les écoles dont il est responsable, le Conseil de l’éducation de Chicago opte pour un triple contrôle qualitatif : intellectuel, grâce à l’adoption de normes légales sur le niveau des qualifications requises pour obtenir un certificat d’enseignement ; moral, par l’inclusion de qualités personnelles adéquates dans les critères d’évaluation des enseignants ; et pédagogique, à travers une vérification des pratiques d’enseignement dans les salles de classe par les inspecteurs et les directeurs d’école. Il voit alors dans l’École normale la promesse d’un personnel qui sera plus efficace du fait de meilleures connaissances et compétences, et qui adoptera un comportement en adéquation avec les obligations des employés du Conseil.
63Le contenu des programmes de préparation des enseignants indique que les cours théoriques prennent régulièrement en compte les changements effectués dans les programmes scolaires et dans l’organisation administrative. Dans les années 1920-1930, des séminaires sur l’hygiène, les tests scolaires, les travaux manuels, les sciences sociales et l’organisation des collèges sont ainsi ouverts aux étudiants et l’enrichissement des programmes scolaires conduit à un élargissement des matières enseignées81. De façon similaire, les conditions dans lesquelles se déroule le stage pratique de fin d’études reflètent le système de supervision mis en place pour les enseignants dans les écoles par le Conseil de l’éducation : les étudiants sont sous le contrôle d’un enseignant-tuteur et sont ensuite évalués devant la classe en sa présence ainsi que celle du directeur de l’école et d’un professeur de l’École normale. La formation doit donner aux futurs enseignants « le pouvoir d’enseigner », répondant ainsi au désir de performance, d’efficacité et d’uniformisation des compétences professionnelles énoncé dès l’origine par l’administration scolaire centrale82.
64La mise en place de tests physiques pour l’entrée à l’École en 1902, puis de cours d’éducation physique dans le programme de formation rappelle également la volonté du surintendant des écoles de faire du personnel enseignant « des esprits sains dans un corps sain » en « standardisant leurs habitudes de vie » pour assurer leur efficacité et leur résistance dans leur futur environnement professionnel83. Leur élocution est travaillée en cours d’expression orale et leur comportement au sein de l’institution est régulé. Manquant de « sophistication » à leur arrivée à l’École, ils en ressortent perfectionnés et raffinés après leur passage par le moule du centre de formation où leurs obligations de ponctualité, de respect et de loyauté en tant que futurs employés du Conseil de l’éducation leur sont rappelées en assemblée plénière84. Comme les tentatives de collaboration avec les acteurs du système scolaire et la population de Chicago, ce choix de transmettre des savoirs, savoir-faire et savoir-être en adéquation avec les attentes du Conseil de recruter des enseignants compétents, efficaces et disciplinés intervient tandis que les directeurs travaillent à la stabilisation et à la pérennisation de l’institution.
65Elle n’indique néanmoins pas l’abandon des idéaux progressistes qui ont marqué la fondation de l’École normale. Comme nombre d’acteurs de l’éducation dans les premières décennies du xxe siècle, les directeurs de l’institution dressent, en effet, un portrait bien plus qualitatif de l’enseignant professionnel qui, tout en rappelant les valeurs véhiculées par le Conseil, lui donne une portée bien plus large85. Leur modèle mélange, tout d’abord, des qualités intellectuelles et sociales en érigeant l’érudition en valeur fondamentale. L’acquisition de connaissances scientifiques jouant un rôle dans l’accession de l’enseignant à un statut professionnel, leurs portraits le présentent comme un être dévoué à son travail et à ses élèves, cultivé et épris de savoir, et maître de sa classe et de lui-même. Parker recherche des enseignants « à forte personnalité, dégageant un certain pouvoir [et] très érudits ». L’amour des enfants, un certain sens de l’humour, un intérêt constant pour la culture de l’esprit et une vigueur physique sont essentiels pour réussir dans la profession. Owen souligne, quant à lui, que « pour réussir, un enseignant doit être un intellectuel et un érudit » et « mener une vie au service de la société ». Bien que ces pédagogues reconnaissent que le modèle proposé est une utopie, une chimère, ils en font un but vers lequel il faut tendre, car le progrès repose en partie sur l’idéalisme86.
66Grâce aux connaissances qu’il a acquises, l’enseignant professionnel accède ensuite à un certain degré de liberté et d’indépendance qui va de pair avec la défense d’une école démocratique. Pour Young, par exemple, les prescriptions constantes du Conseil de l’éducation empêchent l’enseignant de penser librement, d’innover et de s’approprier l’idéal envisagé. Contraint de se plier aux règles, son travail devient aussi mécanique que celui d’un « simple ouvrier actionnant une roue ». Or elle rappelle qu’un enseignement de qualité dépend de l’intelligence et de l’indépendance de l’enseignant. Il importe donc de lui laisser le choix d’instruire selon sa conscience87.
67Le joug n’est pas seulement institutionnel, mais également intellectuel. Tompkins et Graham suggèrent que la liberté de l’enseignant est acquise de l’intérieur, lorsque celui-ci se rend compte que son travail est un processus spirituel faisant appel aux émotions. Graham met donc en garde contre les méthodes mécaniques qui engendrent des pratiques uniformes, répétitives et restreignent l’expérimentation. Il encourage ses professeurs non pas à endoctriner les étudiants, mais à les faire au contraire recourir à leurs émotions afin de ressentir les méthodes d’enseignement. Libéré de l’emprise des normes, l’enseignant quitte son statut d’esclave pour devenir un artiste non conformiste qui inspire force, esprit de camaraderie et vertu. Sa liberté intellectuelle renforce son pouvoir d’adaptabilité et son esprit d’initiative. Ajoutée à ses qualités morales et à sa vigueur, elle l’établit également comme un leader, c’est-à-dire comme un acteur capable de mener la société dans laquelle il vit vers le progrès88.
68C’est là tout le paradoxe de ces pédagogues qui appellent l’enseignant à se délivrer des règles et des méthodes alors qu’ils participent eux-mêmes à ce processus de normalisation au sein de leur centre de formation. Ils s’accommodent de cette tension entre contrôle et autonomie, subordination à des normes et liberté, en insistant sur la dimension qualitative de la formation. Les « idées centrales » de l’École normale importent finalement plus que son « programme formel ». Young insiste sur le fait que le rôle de l’institution n’est pas de créer un produit fini et fixe, mais simplement de transmettre les bases nécessaires au futur épanouissement de l’enseignant89.
69Parmi les valeurs essentielles inculquées pendant les années de formation figure, tout d’abord, la responsabilité. Pour le premier directeur de l’École, elle est un des principes fondamentaux de la démocratie. L’enseignant porte en lui la responsabilité de faire des enfants d’alors les citoyens du futur ; il doit leur transmettre une éthique altruiste et s’adapter pour leur permettre de se réaliser en tant qu’individus. Il est en ce sens redevable à la société dans laquelle il vit. En contrepartie, la société a pour obligation de veiller au soutien financier et moral des enseignants. Ce terme devient la devise de Parker, est répété à l’envi chaque matin par les étudiants de l’École et représenté sur le sceau de l’institution créé en 1932, comme pour indiquer la prégnance de cette notion dans la formation des enseignants de la ville90.
70Afin de préparer les étudiants à ce devoir professionnel, l’institution les amène à cultiver leur sens de la responsabilité pendant les cours, les activités extrascolaires et le stage pratique. Les devoirs citoyens des enseignants sont mentionnés en cours d’éthique par Tompkins et évoqués lors d’entretiens entre étudiants et enseignants-tuteurs. La « curiosité civique » des étudiants est aiguisée lors d’excursions de sensibilisation dans différents quartiers et institutions de la ville, de présentations des conditions de vie locales en assemblée plénière ou de débats sur des questions d’actualité91. Ils sont chargés de faire vivre et de diriger les différents clubs culturels, intellectuels et sportifs du centre de formation, d’intervenir dans la gestion et le fonctionnement de l’École en tant que représentants des étudiants, ou encore de maintenir les lieux propres et accueillants. Enfin, quelques semaines avant la fin du programme d’études, le stage pratique marque le passage à l’action, la prise d’initiatives et l’épreuve d’entrée dans la profession. Ella Flagg Young insiste sur la nécessité « de traiter les enseignants stagiaires comme des enseignants responsables », signalant ainsi l’importance de leur devoir et de leur statut92. L’École normale assiste donc les futurs enseignants dans leur apprentissage de devoirs moraux et professionnels. En leur transmettant une éthique de la responsabilité et en leur offrant des occasions de prendre des responsabilités, elle les prépare à être des acteurs du progrès de leurs élèves, de leur profession et, plus largement, de la société dans laquelle ils vivent.
71Elle insiste, ensuite, sur le développement d’un esprit de corps, un terme français employé en anglais pour désigner la solidarité entre les membres d’un même groupe, ici professionnel. À son arrivée à la tête de l’École, Young constate que plusieurs clans cohabitent mais ne travaillent pas ensemble vers un objectif commun. Les efforts de son prédécesseur pour créer une « union des esprits » et une « unité dans l’instruction » sont restés vains face à la réticence de professeurs toujours attachés à la méthode de Parker après son départ de l’École93. Fidèle à sa vision unitaire du système scolaire et à son engagement démocratique, Young plaide pour la création d’une collaboration professionnelle et sociale et pour la réunion des membres de l’institution autour de principes représentant l’esprit de l’École, et non autour d’un chef de file éphémère94.
72Afin de promouvoir cette unité au sein de l’institution, Young, puis Owen œuvrent à un rapprochement entre les différents groupes présents. Ils se rendent disponibles auprès des étudiants, les professeurs référents d’une classe sont présentés comme des alliés, des guides ou des conseillers et, dès les années 1910, une conseillère principale des étudiantes est nommée afin de faciliter leur ajustement à l’École normale95. À partir de 1915, un conseil étudiant, composé d’un représentant des professeurs et de représentants des étudiants, est également mis en place pour établir une coopération dans le contrôle de la vie étudiante et donc assurer un fonctionnement participatif et démocratique. Enfin, l’unité souhaitée par Young se manifeste dans l’organisation des assemblées plénières, qui réunissent les étudiants autour d’un programme commun, et dans la vie sociale de l’École, qui inclut à partir des années 1910 des fêtes, thés, banquets et diverses rencontres culturelles et sportives, auxquels participent les étudiants et les professeurs.
73Ces efforts de coopération doivent permettre de souder les futurs enseignants autour de l’institution pour créer un sentiment de loyauté envers l’École normale et assurer son maintien. Un rapport commandé par Young en 1906 rappelle que les étudiants ont, en complément de leurs responsabilités envers la société qu’ils servent, des devoirs envers l’institution qui les forme96. Ils doivent tirer le meilleur parti des opportunités offertes par l’École, puis appliquer ce qui leur a été inculqué s’ils veulent se montrer dignes d’elle et contribuer à son rayonnement et à son prestige. Comme le suggère un professeur lors du départ de la promotion de 1930, les services rendus par le centre de formation justifient le maintien de leur loyauté et de leur coopération une fois qu’ils sont diplômés97.
74À ces valeurs essentielles de responsabilité et de solidarité s’ajoute, enfin, ce que William B. Owen considère comme l’une des clés pour devenir un enseignant professionnel : le développement personnel. Au-delà de l’acquisition de savoirs et de savoir-faire par le biais des cours dispensés, les étudiants ont aussi le devoir de se cultiver et de parfaire leur caractère98. Les directeurs encouragent donc la multiplication des activités extrascolaires, non seulement pour stimuler l’esprit de corps, mais aussi pour compléter la formation professionnelle. Les clubs au contenu artistique, intellectuel ou culturel servent ainsi à élargir l’horizon des connaissances des étudiants, à les sensibiliser au monde qui les entoure et à approfondir leur spécialisation professionnelle99. Tout comme les clubs, les assemblées plénières hebdomadaires servent à favoriser l’unité, mais aussi à enrichir les connaissances des étudiants grâce à la venue de conférenciers, d’universitaires et de personnalités qui abordent des thèmes historiques, géographiques, éducatifs ou médicaux. Elles sont aussi envisagées, tout comme le stage pratique, comme une occasion pour les futurs enseignants d’acquérir la confiance, la dignité et les règles de conduite nécessaires à leur rôle de modèle auprès de leurs élèves et de la société dans laquelle ils vivent100.
75Le modèle professionnel véhiculé par les directeurs de l’institution de Chicago, qui se superpose à celui du Conseil de l’éducation, apparaît donc attrayant pour les futurs enseignants puisque, en mettant l’accent sur la responsabilité, l’esprit de corps et le développement personnel, il valorise la fonction d’enseignant et favorise le maintien de son autonomie et de sa liberté tout en assurant la cohésion du groupe. Néanmoins, il ne fait qu’ajouter des obligations auxquelles les étudiants doivent tenter de se conformer pour accéder au statut professionnel tel qu’il est défini par ces pédagogues progressistes. Ce modèle engendre alors une dépendance à l’égard de l’institution puisque la notion de responsabilité les presse d’appliquer les normes professionnelles transmises par l’École normale, que la création d’un esprit de corps sous-tend la défense des intérêts de l’institution, et que la volonté d’enrichir leur personnalité les amène à recourir aux programmes annexes du centre, telles les activités extrascolaires.
*
76Pendant quarante ans, les directeurs de l’École normale de Chicago tentent donc d’établir cette institution comme le centre de formation des enseignants de la ville, afin de faire évoluer le métier vers un modèle professionnel progressiste influencé par une philosophie éducative humaniste et démocratique. Leur ambition première est freinée par la dépendance financière et administrative de l’institution au Conseil de l’éducation, qui limite son rayonnement et son développement et influence la nature et le contenu de la formation dispensée. Des années 1890 aux années 1930, l’institution accueille des étudiants se destinant, dans leur immense majorité, à l’enseignement élémentaire et propose un programme à la fois théorique et professionnel qui cherche à s’adapter aux contraintes et aux problématiques du métier à l’échelle locale. Cette étude en contexte vient donc nuancer le constat de certains historiens de l’éducation, selon lequel les écoles normales états-uniennes abandonnent progressivement leur mission première de formation pédagogique et intellectuelle des instituteurs et évoluent de manière continue et inexorable vers un enseignement universitaire destiné à un public varié101.
77Elle montre également que le dessein des directeurs de l’École est contrarié par le décalage entre les ambitions de professionnalisation du métier d’enseignant auxquelles ils adhèrent et les normes d’entrée dans la profession. Dans les premières décennies du xxe siècle aux États-Unis, le passage par une école normale ne constitue pas une obligation pour obtenir un certificat d’enseignement élémentaire. En 1926, seuls quatre États requièrent de leurs instituteurs une telle formation102. À Chicago, le Conseil de l’éducation fait le choix de conserver un système de recrutement par examen en parallèle du maintien de l’École normale jusqu’à la fin des années 1920, contrariant ainsi l’objectif d’uniformiser la formation des enseignants afin d’améliorer leurs compétences et connaissances.
78L’ambition des directeurs parvient tout de même à s’exprimer dans le perfectionnement et la pérennisation d’un programme de formation initiale ainsi que dans la transmission d’un modèle enseignant qui, sans ignorer les impératifs d’efficacité et de compétence, inclut des connaissances et des qualités personnelles émancipatrices. En dépit de contraintes structurelles et de fluctuations dans le soutien de l’administration scolaire centrale, l’institution perdure en gardant l’objectif de former des enseignants dignes, responsables, éclairés et capables de mettre en pratique dans les écoles de la ville les théories pédagogiques assimilées durant leurs études et d’enseigner les programmes adoptés par le Conseil de l’éducation. En décentrant le regard vers la sphère préprofessionnelle, l’opposition entre partisans de philosophies utilitaristes et pédagogues progressistes s’estompe donc à mesure que le modèle professionnel élaboré et proposé par les directeurs de l’École intègre des éléments du discours d’efficience à une philosophie démocratique idéaliste. Mais s’ils doivent composer avec les demandes de l’administration centrale pour mieux poursuivre leur projet de professionnalisation du métier d’enseignant, les directeurs doivent aussi prendre en compte le public du centre de formation auquel leurs discours et programmes sont destinés.
Notes de bas de page
1 « In [a scientific system], every teacher is obliged to do her utmost toward keeping her methods abreast of the times, while in an unscientific system the most mechanical, antiquated, absurd methods are tolerated » (Joseph M. Rice, The Public School System of the United States, New York, The Century Co., 1893, p. 169 et, plus généralement, p. 166-183).
2 NEA, Report of the Committee of Fifteen, Boston, The New England Publishing Company, 1895, p. 19 ; NEA, Report of Committee on Normal Schools, Washington, D.C., National Education Association, 1899. En 1898, alors que près de 50 000 postes d’enseignant sont à pourvoir aux États-Unis, le nombre de diplômés d’institutions impliquées dans la formation des enseignants est d’environ 11 000. Voir Willard S. Elsbree, The American Teacher: Evolution of a Profession in a Democracy, New York, American Book Company, 1939, p. 314.
3 Forty-First ARBE, Chicago, 1895, p. 55-57 ; Forty-Second ARBE, Chicago, 1896, p. 23 et 72 ; Forty-Third ARBE, Chicago, 1897, p. 23 et 43.
4 Christine A. Ogren, The American State Normal School: “An Instrument of Great Good”, New York, Palgrave Macmillan, 2005, p. 56 ; James W. Fraser, Preparing America’s Teachers: A History, New York, Teachers College Press, 2007, p. 91 et 155.
5 « It would seem highly improper for [Chicago] at this time to cultivate the comparative luxury of a normal school » (CT, 25 décembre 1895, p. 14).
6 Twenty-Sixth ARBE, Chicago, 1880, p. 27-28 ; Proceedings of the Chicago Board of Education, 31 octobre 1900, p. 243 ; Mary J. Herrick, The Chicago Schools: A Social and Political History, Beverly Hills, CA, Sage Publications, 1971, p. 75-77. Sur l’évolution des lois sur la scolarisation et le travail des enfants en Illinois, voir Fiftieth ARBE, Chicago, 1904, p. 43 ; M. J. Herrick, The Chicago Schools, ouvr. cité, p. 113. Les écoles de Chicago sont financées à plus de 90 % par les impôts fonciers locaux.
7 À l’échelle nationale, 5,6 % des femmes mariées ont un travail rémunéré en 1900. Voir United States Census Office, Twelfth Census of the United States, vol. 2, Washington, D.C., Government Printing Office, 1902, p. 505 ; vol. 13, p. ccxxiii ; United States Bureau of the Census, Fourteenth Census of the United States, vol. 4, Washington, D.C., Government Printing Office, 1922, p. 817.
8 La féminisation de l’enseignement a reçu une attention considérable de la part des chercheurs. Voir, par exemple, Kathryn K. Sklar, Catharine Beecher: A Study in American Domesticity, New York, Norton, 1976 ; John L. Rury, « Who became teachers? The social characteristics of teachers in American history », American Teachers: Histories of a Profession at Work, D. Warren éd., New York, Macmillan Publishing Co., 1989, p. 23-29 ; Victoria-María MacDonald « The paradox of bureaucratization: new views on Progressive Era teachers and the development of a woman’s profession », History of Education Quarterly 39:4, hiver 1999, p. 427-453 ; Joel Perlmann et Robert A. Margo, Women’s Work? American Schoolteachers, 1650-1920, Chicago, The University of Chicago Press, 2001 ; Nancy Hoffman, Woman’s “True” Profession: Voices from the History of Teaching [1979], Cambridge, Harvard Education Press, 2003. Pour un essai comparatiste sur cette question, voir James C. Albisetti, « The feminization of teaching in the nineteenth century: a comparative perspective », History of Education 22:3, septembre 1993, p. 253-263.
9 L’École normale de Chicago n’a fait l’objet d’aucune étude récente. Il existe un ouvrage succinct publié à l’occasion des cent ans de l’institution ainsi que quelques monographies et articles portant principalement sur la période à laquelle l’école est encore administrée par le comté de Cook. Voir Amalie Hofer, « The Chicago normal training school – A dream come true », Kindergarten Magazine 9:3, novembre 1896, p. 167-197 ; Catherine R. Selzer, A History of the Chicago Normal School, 1855-1905, maîtrise, Chicago Teachers College, 1940 ; Edmund W. Kearney, Chicago State College, 1869-1969: A Centennial Retrospective, Chicago, Chicago Teachers College, 1969 ; Shirley S. Williams, Student Teaching in the Chicago Public Schools, 1856-1964, thèse, Peabody College for Teachers, 1972.
10 Paul H. Mattingly, James D. Anderson, Robert Church, Emmett Curran et Marilyn Tobias, « Renegotiating the historical narrative: the case of American higher education », History of Education Quarterly 44:4, hiver 2004, p. 586.
11 Voir, par exemple, Richard J. Altenbaugh et Kathleen Underwood, « The evolution of normal schools », Places Where Teachers are Taught, J. Goodlad, R. Soder et K. A. Sirotnik éd., San Francisco, Jossey-Bass, 1990, p. 149-150 ; Christine A. Ogren, « The history and historiography of teacher preparation in the United States: a synthesis, analysis, and potential contributions to higher education history », Higher Education Handbook of Theory and Research, vol. 28, M. B. Paulsen éd., New York, Springer, 2013, p. 420-421.
12 CT, 31 janvier 1896, p. 12.
13 NEA, Report of the Committee of Fifteen, ouvr. cité, p. 154 ; Francis W. Parker, Course of Study in Pedagogics, Chicago, Chicago Normal School Press, 1897, p. 5 ; Forty-Seventh ARBE, Chicago, 1901, p. 96-98.
14 CT, 31 janvier 1896, p. 12 ; NEA, Proceedings, Washington, D.C., National Education Association, 1897, 1901, 1905.
15 Voir, entre autres, Forty-Seventh ARBE, ouvr. cité, p. 98 ; Sixty-First ARBE, Chicago, 1915, p. 57 ; NEA, Proceedings, Washington, D.C., National Education Association, 1908, p. 735. Il y a cinq écoles normales financées par l’État de l’Illinois à cette période. Un rapport de 1918 indique que celles de Normal, Carbondale et Macomb délivrent des diplômes de type universitaire. Voir NEA, A Conscious Program for the Normal Schools and Teachers Colleges of America, Washington, D.C., National Education Association, 1918, p. 17.
16 En 1890, il y a 2 711 enseignants ; ils sont 13 902 en 1940. Le nombre d’élèves passe sur la même période de 135 541 à 399 348. Voir M. J. Herrick, The Chicago Schools, ouvr. cité, p. 403-406.
17 Fiftieth ARBE, ouvr. cité, p. 56-57 ; ARSS, Chicago, 1926, p. 53.
18 Forty-Seventh ARBE, ouvr. cité, p. 72-74 et p. 76 ; « Announcement of the Chicago Normal College », 1922-1923, p. 9, CNCR, Boîte 2, Archives and Special Collections, Chicago State University ; Report of the Superintendent of Schools of the City of Chicago, 1936, p. 163.
19 M. J. Herrick, The Chicago Schools, ouvr. cité, p. 177-208 ; E. W. Kearney, Chicago State College, ouvr. cité, p. 44-45. La réduction des dépenses scolaires touche tout le pays. Dans l’Illinois, elles baissent en moyenne de 30 % entre 1931 et 1934. Voir David B. Tyack, Robert Lowe et Elizabeth Hansot, Public Schools in Hard Times: The Great Depression and Recent Years, Cambridge, Harvard University Press, 1984, p. 34-36 et 86-87.
20 « If the school were given to overproduction of graduates, many of the most enterprising among these young people would […] enter other professions or lines of industry in the city – a condition that would lower the percentage of energetic and capable among the students admitted » (Fifty-Fifth ARBE, Chicago, 1909, p. 106) ; « the more competent among our high school graduates will decide to fit themselves for work in other lines than that of teaching, and as a result Chicago Teachers College and in time, the teaching force will receive the average class only » (Fifty-Sixth ARBE, Chicago, 1910, p. 80).
21 CSJ VI:3, novembre 1923, p. 110 ; ARSS, Chicago, 1924, p. 25.
22 Pour les candidats diplômés d’une école normale autre que celle de Chicago, deux années d’enseignement suffisent pour passer l’examen. Voir Fifty-First ARBE, Chicago, 1905, p. 160-162 ; Fifty-Ninth ARBE, Chicago, 1913, p. 137 ; Report of the Superintendent of Schools of the City of Chicago, 1936, p. 329.
23 Fiftieth ARBE, ouvr. cité, p. 56 ; Fifty-First ARBE, ouvr. cité, p. 151 ; Fifty-Third ARBE, Chicago, 1907, p. 192 ; Fifty-Fifth ARBE, ouvr. cité, p. 167. Le nombre d’enseignants recrutés sur examen est de 213 en 1914, 42 en 1915, 106 en 1917 et 344 en 1919. Voir Sixty-Fifth ARBE, Chicago, 1919, p. 46 ; ARSS, Chicago, 1925, p. 96.
24 Fiftieth ARBE, ouvr. cité, p. 85 ; Sixty-First ARBE, ouvr. cité, p. 56.
25 Sixty-Fifth ARBE, ouvr. cité, p. 46.
26 Sixtieth ARBE, Chicago, 1914, p. 210 ; ARSS, Chicago, 1925, p. 43 ; Chicago Normal College Survey, p. 88, CNCR, Boîte 7 ; George D. Strayer éd., Report of the Survey of the Schools of Chicago, Illinois, vol. 2, New York, Teachers College, Columbia University, 1932, p. 248 ; Report of the Superintendent of Schools of the City of Chicago, 1936, p. 329. Un rapport publié en 1920 indique que, dans le reste de l’État de l’Illinois, 35 % des enseignants sont recrutés sur examen, 34 % par équivalence avec un certificat délivré ailleurs et 26 % par validation de crédits d’études supérieures. Voir ISTA, Journal of Proceedings of the Sixty-Seventh Annual Meeting, 1920, p. 50-54.
27 Forty-Third ARBE, ouvr. cité, p. 42.
28 NEA, Proceedings, Washington, D.C., National Education Association, 1905, 1914, 1915.
29 « [The would-be High School teacher] should […] enter a Normal School with a practice High School attached, where he may receive a year’s training » (Fifty-Eighth ARBE, Chicago, 1912, p. 131-133).
30 Un diplôme universitaire est nécessaire pour passer les examens de certification secondaire du Conseil de l’éducation de Chicago. Voir Rules of the Board of Education of the City of Chicago, 1905, p. 37 ; 1910, p. 15.
31 En 1932, la formation accélérée est prolongée à deux ans. La grande majorité des étudiants vient de l’université de Chicago.
32 George Strayer estime que 75,9 % des diplômés entre 1921 et 1931 ont obtenu un certificat pour enseigner dans les écoles élémentaires de la ville ; 9,7 % pour y enseigner les matières techniques ; 3 % pour y enseigner la culture physique ; et 7,2 % pour y enseigner dans les classes de maternelle. Seulement 4 % de ces diplômés ont reçu un certificat pour enseigner en collège. Voir G. D. Strayer éd., Report of the Survey of the Schools of Chicago, vol. 2, ouvr. cité, p. 247 et 277. Un programme de formation des professeurs de lycée est expérimenté durant l’année 1935-1936, mais n’est pas maintenu. Voir Report of the Superintendent of Schools of the City of Chicago, 1936, p. 331.
33 Ibid., p. 164.
34 Voir, par exemple, R. J. Altenbaugh et K. Underwood, « The evolution of normal schools », art. cité, p. 151-156 ; Jurgen Herbst, And Sadly Teach: Teacher Education and Professionalization in American Culture, Madison, WI, The University of Wisconsin Press, 1989, p. 140-184 ; William R. Johnson, « Teachers and teacher training in the twentieth century », American Teachers: Histories of a Profession at Work, D. Warren éd., New York, Macmillan, 1989, p. 237-256 ; J. W. Fraser, Preparing America’s Teachers, ouvr. cité, p. 174-190 ; C. A. Ogren, « The history and historiography of teacher preparation in the United States », art. cité, p. 421.
35 « Course of instruction for the Chicago Normal School », septembre 1900, p. 7, CNSR, Boîte 3, Dossier 3, Archives and Special Collections, Chicago State University ; Arnold Tompkins, The Philosophy of Teaching, Boston, Ginn and Company Publishers, 1894, p. 84 ; « Announcement of the Chicago Normal School », 1910-1919, CNSR, Boîte 2 ; « Announcement of the Chicago Normal College », 1922-1923, 1928-1929, CNCR, Boîte 2, Dossier 1 ; « Course of study », 1926-1927, 1929-1930, 1931-1932, CNCR, Boîte 2, Dossier 6 ; Report of the Superintendent of Schools of the City of Chicago, 1936, p. 164.
36 G. D. Strayer éd., Report of the Survey of the Schools of Chicago, vol. 3, ouvr. cité, p. 93. Voir également la note précédente.
37 « Characteristic normal school », 1896, Francis Wayland Parker Papers, Scrapbook 12, Special Collections Research Center, University of Chicago ; « Announcement of the Chicago Normal School », 1905-1906, CNSR, Boîte 3, Dossier 1 ; « Announcement of the Chicago Normal College », 1922-1923, source citée ; CSJ XII:1, septembre 1929, p. 10‑16 ; Report of the Superintendent of Schools of the City of Chicago, 1936, p. 166.
38 « Course of study of the Cook County Normal School », 1895, p. 36-37, Cook County Normal School Records, Boîte 3, Dossier 1, Archives and Special Collections, Chicago State University ; Forty-Fourth ARBE, Chicago, 1898, p. 94 ; ARSS, Chicago, 1924, p. 25 ; ARSS, Chicago, 1925, p. 98 ; Report of the Superintendent of Schools of the City of Chicago, 1936, p. 164.
39 L’évolution de l’École normale continue d’osciller entre phases de développement et de recul après 1938. À son arrivée à la tête de l’institution, John Bartky instaure un nouveau programme adapté aux quatre années d’études récemment acquises. Ces améliorations ne sont que de courte durée, l’entrée des États-Unis dans la Deuxième Guerre mondiale engendrant une perte des effectifs masculins et un retour à l’orientation professionnelle de l’École en place avant 1938. L’institution ne devient officiellement une université plus généraliste que tardivement, dans les années 1960, à la suite du transfert de sa gestion de la municipalité de Chicago à l’État de l’Illinois. Voir E. W. Kearney, Chicago State College, ouvr. cité.
40 « Every normal school has before it the dilemma of keeping so closely in touch with the schools to which its graduates go that the young teachers may readily adjust themselves to the idiosyncrasies of any particular school, and at the same time of holding itself abreast of the advance line of education » (Fifty-Fourth ARBE, Chicago, 1908, p. 229).
41 « Problems connected with the adaptation of [the School’s] work to the present conditions in the Chicago public schools have taxed all [the] energies [of its members] » (Fiftieth ARBE, ouvr. cité, p. 82).
42 Fifty-Fourth ARBE, ouvr. cité, p. 223.
43 « The very size of the public school system, the vast area covered by the city, the variety of living conditions in the different communities all make it difficult to gain a comprehensive view of the work of the schools » (EB VIII:5, juin 1914, p. 459). Voir également Fifty-Eighth ARBE, ouvr. cité, p. 129.
44 Chicago Normal College Survey, source citée, p. 246, 273 et 292.
45 Constance H. Goddard, Ella Flagg Young’s Intellectual Legacy: Theory and Practice in Chicago’s Schools, 1862-1917, thèse, University of Illinois at Chicago, 2005 ; Sixty-First ARBE, ouvr. cité, p. 53.
46 Kate Rousmaniere, City Teachers: Teaching and School Reform in Historical Perspective, New York, Teachers College Press, 1997, p. 10-27 et 75-93. L’ouvrage classique sur l’évolution des systèmes scolaires des centres urbains états-uniens est celui de David B. Tyack, The One Best System: A History of American Urban Education, Cambridge, Harvard University Press, 1974. Sur les conséquences de certaines de ces réformes sur les enseignants, voir, par exemple, Julia Wrigley, Class Politics and Public Schools, Chicago 1900-1950, New Brunswick, NJ, Rutgers University Press, 1982 ; Kate Rousmaniere, Citizen Teacher: The Life and Leadership of Margaret Haley, Albany, NY, State University of New York Press, 2005.
47 G. D. Strayer éd., Report of the Survey of the Schools of Chicago, vol. 2, ouvr. cité, p. 269-270 et 292.
48 Réunion des professeurs, 10 octobre 1905, 31 octobre 1905, 28 novembre 1905, 20 février 1906, 20 mars 1906, CNSR, Boîte 4, Dossier 6.
49 CNSW VI:31, 18 mai 1915, p. 2 ; EB X:5, juin 1916, p. 463-464.
50 The Normalite XVII:4, 7 mars 1932, p. 1.
51 Réunion des professeurs, 8 mai 1906, CNSR, Boîte 4, Dossier 6 ; CSJ I:1, septembre 1918, p. 1 ; I:3-4, novembre-décembre 1918 ; I:10, juin 1919, p. 21.
52 Le journal de l’École normale mentionne à plusieurs reprises le grand nombre de visiteurs, mais, en 1926 par exemple, le nombre d’écoles impliquées dans les spectacles et autres présentations est inférieur à vingt, alors que Chicago compte près de trois cents écoles publiques. Voir, par exemple, CNSW III:34, 27 mai 1912, p. 1 ; V:35, 1er juin 1914, p. 3 ; VI:32, 26 mai 1915, p. 2 ; The Normalite V:14, 28 mai 1926, p. 3 ; XV:12, 19 mai 1931, p. 1.
53 EB VI:5, juin 1912, p. 471 ; The Normalite V:14, 28 mai 1926, p. 3 ; XIII:10, 13 mai 1930, p. 1 ; XIX:9, 2 juin 1933, p. 1.
54 Pour une histoire du développement des centres sociaux dans les écoles de Chicago à cette période, voir le chapitre 5.
55 Voir, entre autres, CT, 8 novembre 1903, p. 19A ; 26 mars 1910, p. 8 ; CNSW III:11, 20 novembre 1911, p. 4 ; IV:5, 7 octobre 1912, p. 1 ; V:11, 17 novembre 1913, p. 3 ; V:29, 6 avril 1914, p. 1-2 ; The Normalite XI:7, 8 avril 1929, p. 3 ; XIX:1, 6 février 1933, p. 1 ; XIX:2, 20 février 1933, p. 1.
56 The Normalite XII:8, 12 novembre 1929, p. 1 ; XVIII:2, 4 octobre 1932, p. 1 ; XVIII:4, 24 octobre 1932, p. 1 ; XVIII:6, 21 novembre 1932, p. 1.
57 Voir, par exemple, CNSW I:14, 11 avril 1910, p. 3 ; I:16, 2 mai 1910, p. 1 ; III:3, 25 septembre 1911, p. 3 ; IV:6, 14 octobre 1912, p. 1 ; IV:32, 2 juin 1913, p. 4 ; VI:25, 22 mars 1915, p. 1 ; The Normalite IX:9, 23 avril 1928, p. 3; X:3, 8 octobre 1928, p. 1.
58 Voir Joan K. Smith, Ella Flagg Young: Portrait of a Leader, Ames, IA, Educational Studies Press and the Iowa State University Research Foundation, 1979, p. 158-182 ; Fifty-Eighth ARBE, ouvr. cité, p. 129. La carrière de William B. Owen n’a pas fait l’objet d’analyse historique jusqu’à présent. Pour un résumé de son parcours de vie, voir The Emblem, 1928, p. 8-11.
59 D. B. Tyack, The One Best System, ouvr. cité, p. 178-214 ; William J. Reese, « The origins of progressive education », History of Education Quarterly 41:1, printemps 2001, p. 1-24. Pour une analyse détaillée de cette philosophie, voir Sébastien-Akira Alix, L’éducation progressiste aux États-Unis. Histoire, philosophie et pratiques (1876-1919), Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2017, p. 31-55.
60 W. J. Reese, « The origins of progressive education », art. cité.
61 F. W. Parker, Course of Study in Pedagogics, ouvr. cité ; A. Tompkins, The Philosophy of Teaching, ouvr. cité. Pour une analyse de la philosophie de Parker, voir Merle Curti, The Social Ideas of American Educators, Paterson, NJ, Pageant Books, 1959, p. 374-395 ; Jack K. Campbell, Colonel Francis Wayland Parker, the Children’s Crusader, New York, Teachers College Press, 1967.
62 Harold B. Dunkel, « Herbartianism comes to America: part I », History of Education Quarterly 9:2, été 1969, p. 202-233, et « Herbartianism comes to America: part II », History of Education Quarterly 9:3, automne 1969, p. 376-390.
63 Francis W. Parker, Talks on Pedagogics: An Outline of the Theory of Concentration, New York, E. L. Kellogg, 1894. Tompkins fut le président de l’École normale de l’État de l’Illinois entre 1899 et 1900.
64 « Course of study of the Cook County Normal School », source citée, p. 44-49 et 56-57, p. 66, 71 et 78 ; « Chicago Normal School faculty organization, 1896-1897 », CNSR, Boîte 4, Dossier 1 ; « Characteristic normal school », source citée.
65 « Course of instruction for the Chicago Normal School », septembre 1900, CNSR, Boîte 3, Dossier 3 ; Forty-Seventh ARBE, ouvr. cité, p. 96 et 98 ; « Organization and course of instruction of the Chicago Normal School », septembre 1902, CNSR, Boîte 3, Dossier 3.
66 F. W. Parker, Course of Study in Pedagogics, ouvr. cité, p. 11-12 ; « The summer school », The Independent, 13 juillet 1898, Francis Wayland Parker Papers, Scrapbook 12 ; Francis W. Parker, « Plan purpose of the Chicago Institute », Flora J. Cooke Papers, Boîte 1, Dossier 3, Chicago History Museum ; A. Tompkins, The Philosophy of Teaching, ouvr. cité, p. 38-39 et p. 45.
67 Voir la série d’articles datés de 1898-1899, Francis Wayland Parker Papers, Scrapbooks 11-12 ; CT, 5 mai 1903, p. 13 ; 27 mai 1903, p. 3 ; 29 mai 1903, p. 13 ; 2 juin 1903, p. 13 ; 9 juin 1903, p. 5 ; 16 juin 1903, p. 7.
68 « [The school is] a thoroughly socialized affair in contact at all points with the flow of community life » (John Dewey, « The school as a social center », The Elementary School Teacher III:2, octobre 1902, p. 75). Sur la vie et la carrière de Young, voir, entre autres, John T. McManis, Ella Flagg Young and a Half-Century of the Chicago Public Schools, Chicago, A. C. McClurg and Co., 1916 ; J. K. Smith, Ella Flagg Young, ouvr. cité ; Jackie M. Blount, « Ella Flagg Young and the Chicago schools », Founding Mothers and Others: Women Educational Leaders during the Progressive Era, A. R. Sadovnik et S. F. Semel éd., New York, Palgrave Macmillan, 2002, p. 163-176.
69 Dans un ouvrage rédigé alors qu’elle travaille à l’université de Chicago, Ella Flagg Young admet sa frustration envers ses deux collègues, soulignant les failles de la pensée de Parker et la philosophie absconse de Tompkins. Voir Ella F. Young, Some Types of Modern Educational Theory, Chicago, The University of Chicago Press, 1902, p. 15-22 et 43-52 ; C. H. Goddard, Ella Flagg Young’s Intellectual Legacy, thèse citée, p. 198-204.
70 « She had by temperament and training the gist of a concrete empirical pragmatism with reference to philosophical conceptions » (lettre de John Dewey à John McManis, non datée, citée dans J. K. Smith, Ella Flagg Young, ouvr. cité, p. 107). Sur la philosophie éducative de Young, voir également Ellen C. Lagemann, « Experimenting with education: John Dewey and Ella Flagg Young at the University of Chicago », American Journal of Education 104:3, mai 1996, p. 171-185 ; C. H. Goddard, Ella Flagg Young’s Intellectual Legacy, thèse citée. Pour une étude des théories pragmatistes appliquées à l’éducation qui se développent à Chicago à cette période, voir Darnell Rucker, The Chicago Pragmatists, Minneapolis, The University of Minnesota Press, 1969, p. 9-13 et 83-106.
71 Voir « Announcement of the Chicago Normal School », 1906-1909, source citée.
72 Réunion des professeurs, 10 avril 1906, CNSR, Boîte 4, Dossier 6.
73 Fifty-Fourth ARBE, ouvr. cité, p. 223 et 230 ; Fifty-Fifth ARBE, ouvr. cité, p. 106.
74 Réunion des professeurs, 23 janvier 1906, CNSR, Boîte 4, Dossier 6 ; J. K. Smith, Ella Flagg Young, ouvr. cité, p. 113.
75 M. J. Herrick, The Chicago Schools, ouvr. cité, p. 117-120 et 229-230 ; J. Wrigley, Class Politics and Public Schools, ouvr. cité, p. 60-88 et 170-172.
76 Edmund Kearney, auteur d’une histoire de l’École normale de Chicago à la fin des années 1960, voit, au contraire, dans l’évolution des philosophies des directeurs un abandon des idéaux et une soumission au Conseil de l’éducation. S’il reconnaît le poids du lien avec le Conseil, il présente les responsables de l’École à partir de Young comme des personnages passifs qui cherchent à satisfaire l’administration. Voir E. W. Kearney, Chicago State College, ouvr. cité.
77 « The child can test out what he learns [in school] by his experience on the streets, as he reads the newspapers, hears politics discussed, or observes the actual conduct of the city’s business. He knows that what he learns in school is true, not because the book and the teacher say so, but because he finds it true in his life in the city. The universal in education should be, not the abstract, but the universally applicable. What an inspiring conception with which to approach the task of teaching civics in the elementary school! This is a practical program in which all teachers should unite with enthusiasm » (EB IX:4, avril 1915, p. 371-372). Voir également EB IV:4, avril 1910, p. 329-330 ; VI:2, décembre 1911, p. 188 ; VII:3, février 1913, p. 283.
78 CSJ XIII:9, mai 1931, p. 459-461 ; Réunion du personnel, 10 mai 1937, CNCR, Boîte 2, Dossier 3 ; The Normalite XIV:8, 10 novembre 1930, p. 1 ; IX:9, 23 avril 1928, p. 2.
79 « Announcement of the Chicago Normal School », 1910-1919, sources citées ; « Announcement of the Chicago Normal College », 1922-1923, 1928-1929, 1931-1938, CNCR, Boîte 1, Dossier 2 ; « Course of study », 1926-1927, 1929-1930, 1931-1932, sources citées.
80 ISTA, Journal of Proceedings of the Sixty-Seventh Annual Meeting, ouvr. cité, p. 50 ; John A. Vieg, The Government of Education in Metropolitan Chicago, Chicago, The University of Chicago Press, 1939, p. 86. Sur les disparités à l’échelle nationale, voir Christopher J. Lucas, Teacher Education in America: Reform Agendas for the Twenty-First Century, New York, St Martin’s Press, 1999, p. 50. À titre de comparaison, en France, les normes pédagogiques sont, à la même période, transmises dans les instructions officielles qui « définissent les principes de l’éducation scolaire » au niveau national. Voir Jacqueline Chobaux, « Un système de normes pédagogiques. Les instructions officielles dans l’enseignement élémentaire français », Revue française de sociologie, no 8, 1967, p. 34-56.
81 « Announcement of the Chicago Normal College », 1922-1923, 1928-1929, sources citées ; « Course of study », 1926-1927, 1929-1930, 1931-1932, sources citées.
82 Forty-Fourth ARBE, ouvr. cité, p. 93.
83 « The great importance of a sound body in a sound mind cannot be too urgently demanded » (Fifty-Second ARBE, Chicago, 1906, p. 202). Voir également Fifty-Seventh ARBE, Chicago, 1911, p. 111.
84 Voir, par exemple, CNSW II:24, 20 mars 1911, p. 1.
85 Voir, entre autres, George H. Palmer, The Ideal Teacher, Boston, Houghton Mifflin, 1908, p. v ; Inez N. McFee, The Teacher, the School and the Community, New York, American Book Co., 1918, p. 244. Pour une analyse du modèle enseignant véhiculé par la littérature professionnelle, voir Pamela B. Joseph, « The ideal teacher: images of paragons in teacher education textbooks before 1940 », Images of Schoolteachers in Twentieth-Century America, P. B. Joseph et G. E. Burnaford éd., New York, St Martin’s Press, 1994, p. 258.
86 « He searched far and wide for teachers of personality and power, highly equipped in scholarship » (Flora J. Cooke, « The social philosophy of Francis W. Parker », Progressive Education, décembre 1937, p. 630). « To be a successful teacher, one must be intellectual and scholarly » ; « the teacher should live a life of social service » (CNSW I:24, 24 juin 1910, p. 1 ; II:4, 3 octobre 1910, p. 1). Voir également CNSW I:7, 21 février 1910, p. 2 ; I:24, 13 juin 1910, p. 1 ; Chicago Normal College Survey, source citée, p. 300 ; Réunion des professeurs, 10 mai 1937, CNCR, Boîte 2, Dossier 3.
87 C. H. Goddard, Ella Flagg Young’s Intellectual Legacy, thèse citée, p. 17 et 156.
88 A. Tompkins, The Philosophy of Teaching, ouvr. cité, p. 2 ; Réunion des professeurs, 10 mai 1937, CNCR, Boîte 2, Dossier 3.
89 EB I:3, février 1907, p. 257-263 ; Réunion des professeurs, 26 octobre 1905, CNSR, Boîte 4, Dossier 6.
90 F. W. Parker, Course of Study in Pedagogics, ouvr. cité, p. 5 et p. 13-14 ; The Normalite XVIII:6, 21 novembre 1932, p. 1. Le sceau de l’École est toujours utilisé par Chicago State University à ce jour.
91 Le terme civic curiosity est employé dans CNSW V:5, 6 octobre 1913, p. 3.
92 « [We must treat] the student teachers as responsible teachers » (Réunion des professeurs, 6 février 1906, CNSR, Boîte 4, Dossier 6).
93 Forty-Ninth ARBE, Chicago, 1903, p. 63 ; Fiftieth ARBE, ouvr. cité, p. 83.
94 Réunion des professeurs, 10 avril 1906, CNSR, Boîte 4, Dossier 6 ; Rapport du comité, 5 juin 1906, CNSR, Boîte 4, Dossier 6.
95 CNSW II:13, 12 décembre 1910, p. 2 ; III:18, 25 janvier 1912, p. 2 ; IV:7, 30 janvier 1913, p. 2 ; IV:20, 24 février 1913, p. 3-4 ; VI:12, 7 décembre 1914, p. 1.
96 Rapport du comité, 5 juin 1906, source citée.
97 The Emblem, 1930, p. 61.
98 CNSW I:24, 24 juin 1910, p. 1 ; II:4, 3 octobre 1910, p. 1.
99 Les activités des clubs sont décrites à la fois dans le journal de l’École et dans les yearbooks.
100 The Normalite IX:7, 9 avril 1928, p. 2 ; XII:12, 17 décembre 1929, p. 3 ; XIV:5, 14 octobre 1930, p. 1 ; C. A. Ogren, The American State Normal School, ouvr. cité, p. 152.
101 Ces constats sont généralement critiques, leurs auteurs voyant le passage de ces institutions d’écoles normales à des teachers colleges comme un dévoiement. Voir, par exemple, R. J. Altenbaugh et K. Underwood, « The evolution of normal schools », art. cité, p. 149-150 ; J. Herbst, And Sadly Teach, ouvr. cité ; David Labaree, The Trouble with Ed-Schools, New Haven, CT, Yale University Press, 2004, p. 20-34.
102 J. W. Fraser, Preparing America’s Teachers, ouvr. cité, p. 93.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Incarner un modèle progressiste
La professionnalisation de l’enseignement à Chicago (1890-1940)
Sonia Birocheau
2020
Les valeurs de la science
Enquête sur les réformes de l'évaluation de la recherche en France
Clémentine Gozlan
2020
Observer la multimodalité en situations éducatives
Circulations entre recherche et formation
Véronique Rivière et Nathalie Blanc (dir.)
2019
Enfants gitans à l’école et en famille
D’une analyse des dynamiques langagières en famille aux pratiques de classe
Nathalie Auger (dir.)
2021